prisonnière d'une promesse -...

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1.

Isolésursacollinedominantlaville,l’hôtel,danslaclartéopalescentedelalune,semblaitirréel,mystérieux.

Spectralplutôt,songeaCharleyquifitaussitôttairesessombrespressentiments:elleétaitvenueicidansunbutetunseul,etnes’enlaisseraitpasdétournerpard’absurdesappréhensions.

Prenantuneprofondeinspiration,elleattenditquelabarrièreselève,puiss’engageasurl’airedestationnementpourgarersapetiteFiat500parmilesFerrari,Maserati,Lamborghinietautresvoituresdegrandluxe.

C’étaitl’undeshôtelslespluschicsdelaville:danslehall,delamusiquedoucel’accueillit.Desclientsallaientetvenaient,laplupart,leurtéléphoneàl’oreille.Ellelesvitàpeinetantelleavaithâtedegagnerlagrandesallederéception.Soncœurbattaitplusviteàmesurequ’elleenapprochait,etarrivéedevantlaporteellehaletaitpresque.

Unportiersematérialisadevantelle,luibarrantl’accèsdelasalle.—Votreinvitation,jevousprie,madame.—Monmariestdéjàarrivé,répondit-elledanssonespagnolencorehésitant.Elle vivait enEspagne depuis cinq ans,mais n’en parlait à peu près correctement la langue que

depuisquelquesmois.—Ilaprévenuquej’arriveraistard,reprit-elleenmentant.—Votremari,dites-vous?Siceluiqui,dansquelquessemaines,neseraitplussonmaris’était trouvédanscettesituation, il

aurait réagi avec l’aplomb et l’arrogance qu’elle lui connaissait. Eh bien elle allait l’imiter ! songeaCharleyentirantdesonpetitsacdorésonpasseportqu’elletenditàl’homme.

—Oui,RaulCazorla.Puis,sortantsontéléphoneportable,ellelançaavechauteur:—Voulez-vousquejel’appellepourqu’ilconfirmemonidentité?Legardes’interrogeait.C’étaitluicertainementquiavaitfaitentrerRaul,etiln’avaitpumanquerde

remarquerlacélèbretopmodelroussequil’accompagnait…Acettepensée,Charleysentit resurgir l’amertumequi l’avaitenvahiequinzejoursplus tôt,quand

elleavaitdécouvertlaphotodecettefemmeaubrasdesonmarisurlacouvertured’unerevuepeople.Raul semblait très content de lui, et on pouvait le comprendre : Jessica était somptueuse. Sans douted’ailleursn’était-ellepaslapremièreàpartagerlelitdeRaul,depuisqu’elle-mêmel’avaitquitté,maisc’étaitlapremièrefoisquecelui-cis’affichaitenpublicavecuneautrefemme.

Tout cela ne la regardait pas, songea Charley. Dans quelques semaines, leur divorce seraitprononcé,etilseraitlibre.

Retrouvantsonaplomb,elles’adressadenouveauauportierquihésitaittoujours:—Peut-êtrepréférez-vousallerlechercherpourqu’ilm’identifielui-même?Cettefoiselleavaitgagné:l’hommeouvritlaportesansdiscuter.Ellelecomprenait,carilaurait

falluuncertaincouragepouroserdérangerRaulCazorla,l’undeshommeslesplusrichesd’Espagne,etluidemandersilafemmequiseprétendaitsonépouseétaitounonuneusurpatrice.

Lesalonderéceptiondel’hôtelGarciadeBarcelonen’étaitquescintillement.Argenterie,miroirs,lumières,toutétincelaitetilluminaitlesgensélégantsquis’ypressaientnombreux.UnDJdispensaitunemusique au rythme entraînant, et Charley se prit à regretter d’avoir mal aux pieds. Hélas, c’était lapremièrefoisdepuisdeuxansqu’elleportaitdestalonshauts,etilfallaitenpayerleprix.

Desserveurscirculaientavecdescoupesdechampagneetdescanapés.Quandl’und’euxpassaàproximité,ellepritunecoupeetlabutd’untraitpoursedonnerducourage.

Peu àpeu, elle prenait consciencedes regards curieuxqui l’observaient, et il lui semblaitmêmeentendrechuchoter:«C’estbienCharlotte,non?…»

S’efforçant de ne pas y prêter attention, elle gagna les grandes portes-fenêtres ouvrant sur demagnifiques jardins que baignait l’air tiède et parfumé de la nuit, et qui, par cette belle soirée d’été,attiraient de nombreux invités. Certains avaient pris place à des tables, d’autres déambulaient sur lespelouses.

Ce fut son cœur qui le reconnut le premier, et il s’emballa avant que son cerveau ait identifiél’hommetrèsgrand,trèsélégantqui,àquelquesdizainesdemètres,luitournaitledos.Ilconversaitavecun individu qu’elle ne connaissait pas. A la table, à côté d’eux, deux jeunes femmes bavardaient. Laroussetirasursacigarette.

EtRaulquidétestelafumée…,songeaobscurémentCharley,tandisque,l’espaced’uninstant,unvertigelasaisissait.

Elle avança pourtant de quelques pas, et l’homme se tourna soudain comme s’il avait senti saprésence,avantdereportersonattentionsursoninterlocuteur.

S’armantde courage,Charley continuad’avancer.Trèsvite, il tournadenouveau la tête et, cettefois,laregardaavantdepivoterpourluifaireface.Oui,c’étaitbienlui,Raul,aussibeau,aussiséduisantquedanssonsouvenir:cheveuxdrusetsombrescoupéstrèscourt,cravateensoiebleunuitsurchemiseimmaculée,etélégantcostumesurmesurequimettaitenvaleurseslonguesjambes,seshanchesétroites,seslargesépaules…

Letempsqu’elleatteignelatable,lesjeunesfemmess’étaienttues,etlaroussedardaitsurellesesyeuxvertsoutrageusementmaquillés.

—Bonsoir,Raul,lança-t-elled’unevoixmalassurée.Laforcequil’avaitpousséeàs’introduireicicesoirl’avaitdésertéedèsl’instantoùellel’avaitvu.

Pourlapremièrefoisdepuisdeuxans…Si lui aussi éprouvait un choc, il le cachait bien. Du reste il avait toujours été très habile pour

dissimulersessentiments.Saufaulit…—Charlotte!articula-t-il,ensepenchantpourl’embrassersurlajoue,envoilàunesurprise!Envérité,l’expressiondesonvisagen’exprimaitriend’autrequelacolère.Ilrepritlaparoled’unevoixcontenue:—Excuse-moi,Andres,etvousaussi,mesamies.Surquoi,ilpritCharleyparlebrasetl’entraînaàl’écart.Charley sentit qu’on les suivait des yeux, comme ils gagnaient sans unmot le fond du jardin où,

derrière d’épaisses frondaisons, on avait disposé, parmi des buissons de fleurs parfumées, des petitsbancspourlesamoureux.

En marchant, elle essayait de se rappeler les mots qu’elle voulait lui dire et avait répétés toutl’après-midi.Hélas,enprésencedeRaul,c’étaittellementplusdifficilequ’ellel’avaitimaginé!

Ilsnes’étaientplusvusdepuissixcenttrente-troisjours,exactement.Depuiscesoirtragiqueoùilsavaienteucetteterribledispute.Elleétaitpartiecesoir-là,etn’étaitplusrevenue.

Aujourd’hui,lesblessurescauséesparcedéchaînementdeviolenceavaientguéri,etsarupturenelafaisaitplussouffrir.Dumoinsl’avait-ellecrujusqu’àcetinstant,oùledouloureuxtourbillond’émotionsqu’elle éprouvait en présence de Raul lui prouvait que non. Elle demeurait vulnérable et ne lui étaittoujourspasinsensible.Aprèssilongtemps!

Dèsqu’ilsfurentàl’abridesregards,illâchasonbrasetlafusilladesesyeuxbleutrèsclair:—Peux-tumedirecequetuviensfaireicicesoir,Charlotte?—J’aiàteparler.—Cen’estpasuneraisonpourt’introduireici.C’estunesoiréeprivée.Enoutre,tusaistrèsbien

quejeneveuxpastevoir.Pourquoi sesmots lui faisaient-ils simal?Charleyauraitdûs’enmoquer,mais ils lablessaient.

Tout comme elle avait été meurtrie quand il n’avait pas voulu prendre ses appels, puis qu’il avaitdécommandélerendez-vousqu’elleavaitobtenuauprèsdesonassistante.

—J’aibesoindetonaide,dit-elleavecunhaussementd’épaulesimpuissant,fixantlesyeuxsiclairsquejadiselleavaittantaimés.

Ellesedétournaviteenunréflexed’autoprotection.Rauldégageaitune telleauradevirilitéque,quandellel’avaitconnu,elleenavaitperdulatête.Cesoir,elleavaitbesoindetoutsonsang-froid,etpasquestionderecommencercommecinqansplustôt,quandsalibidoavaitprislepassursaraison!IlfallaitconvaincreRauldel’aider,c’étaitmaintenantoujamais.

—As-tureçumalettreetleprojetquej’yavaisjoint?Ileutunepetiteexclamationdedérision.—Tuveuxparlerdecellequim’estparvenueilyaquelquesjoursoùtumesuppliesdetedonner

del’argent?Charleyréussitànepasbronchersouslesarcasme.—Donctul’aslue…Envoyantl’écritureenfantinesurl’enveloppe,Raulavaittoutdesuitecomprisquienétaitl’auteur.

Charlottemanquaitdematurité,commesisondéveloppementaffectifetintellectuels’étaitarrêtéàl’âgededouze ans, et son écriture la trahissait.Elle en avait toujours étégênée, il l’avait souvent constaté.Aussifallait-ilqu’elleaitdésespérémentbesoindesonaidepourlecontacterdecettemanière.

Maisiln’avaitpenséàriendetelenrecevantlalettre.Enrevanche,souslechoc,ilavaitjetéleplidanslacorbeilleàpapier.Illuiavaitfalluunebonneheurepoursereprendreetlerécupérer.Etlàencoreiln’enavaitluqueledébutavantdelejeterdenouveau.Quantauprojetquil’accompagnait,ill’avaitposéprèsdeladéchiqueteusesansmêmeleregarder.

—J’enai luassezpoursavoirque tuveuxencoreplusd’argent. Je t’enaipourtantdonnéassez,non?

Après son départ, il avait fait virer dixmillions d’euros sur son compte, afin de lui rappeler cequ’elleperdaitenlequittant;ils’étaitattenduqu’elleluirevienne,adoucieetrepentie.Etc’estcequ’ilattendaitencorequand,unanplustard,luiétaitparvenuesademandededivorce.

—Jen’aiquefairedetonargent!s’exclama-t-ellealors.Tun’asdoncpaslucequiconcernaitlecentredePocoRio?

—Si.C’était ce qui lui avait fait jeter pour la seconde fois la lettre au panier. Poco Rio, un centre

d’accueildejourpourenfants!Uncomble!Leurmariageavaitéchouéjustementparcequ’ellen’avaitpasvoululuidonnerd’enfant!

Pendant leurs trois années de vie conjugale, il avait financé les entreprises qu’elle avait voulumonter,etquiavaientéchoué,ilavaitaccédéàtoussesdésirsparcequ’elleluiavaitpromisqu’unjour,

ilsauraientunenfant.Etvoilàqu’ellerevenaitàlachargepouruneénièmetentative,qui,ironiesuprême,concernaitdesenfants!Quelsadisme!

—Tusaisdonccombienc’estimportant.J’aitrouvédeslocauxparfaitsetj’aiobtenuunepromessedevente,maissicelle-cineseconclutpaslemoisprochain,lepropriétairereprendsesdroits.Jet’ensupplie, Raul, aide-moi, nous n’avons plus le temps de chercher autre chose.Dans quatremois, nousdevronsrendrelelocalquenousoccuponset…

—Cen’estpasmonaffairemaislatienne.—Jeterépètequeletempsestcompté,l’endroitquej’aitrouvéestidéal,trèsspacieux,bienplacé

et,unefoisaménagé,nouspourronsaccueillirdavantaged’enfants.—Jetelerépète,celanemeconcernepas.—Essaiedecomprendrequesanstoi,jenepeuxpasobtenirdefinancement.J’aitoutessayé…—Essaieencore,peut-êtrecettefoisiras-tujusqu’aubout,aulieudelaissertomberaprèsquelques

mois,commed’habitude.Charley se contint : c’était vrai, hélas. Pourtant sans se démonter, elle soutint son regard pour

ajouter:—Jen’abandonneraipas,cen’estpaspossible.Seulementpersonneneveutmeprêterdel’argent.— C’est que ton plan prévisionnel n’est pas bon. Revois-le. Et maintenant cessons cette

conversation.Monamiedoitsedemandercequejefais.Jeneteraccompagnepas…Elleavaitpâlilorsqu’ilavaitrappeléqu’iln’étaitpasseul.Ilauraitdûenêtreravi,aulieudequoi

ilressentitunesortedeculpabilité.Pourquoi?Ilseledemandait!C’estCharlottequil’avaitquitté.Elleétaitpartieauboutdetroisansdemariagedurant lesquels ilavaitdépensésanscompterpourelle, luidonnanttoutcequ’ellevoulait…etenfindecompte,elleluiavaitrefuséunenfant!Aprèsluiavoirfaitcroirequ’ilsenauraientununjour,elleavaitfiniparavouerqu’ellen’envoulaitpas!Leurmariagen’yavaitpasrésisté.Etmaintenantelleavaitleculotdevenirluidemanderdel’aide!

Pourtant, en cet instant, son teint était si pur, sous la pâle clarté de la lune, sa peau si lisse, sifraîche,qu’ileutenviedel’attirerdanssesbras.

Il l’avait rencontrée juste après avoir pris la direction de la chaîne d’hôtelsCazorla, une grosseaffaire de famille, jusque-là gérée par son père. Mais celui-ci avait subi un AVC qui l’avait laissélourdement handicapé. Bien qu’ayant monté ses propres affaires devenues florissantes, Raul avaitremplacésonpèrequi,désormaisprivédel’usagedelaparole,avaitsuexprimerpard’autresmoyenscombien ilétait furieuxquesonfilsprennesaplace.Sonpèreétait jalouxde lui,pire, il leméprisait.Raull’avaittoujourssu.

Al’époquedonc,ilsetrouvaitàMajorquepourinspecterl’hôtelCazorla,commeilavaitdécidédele faire pour tous les établissements du groupe. Celui-là, avec les années, était devenu une sorte depension de famille, et non un établissement de grand luxe comme les autres. Charley y avait étéembauchéecommeanimatrice.

Il l’avait aperçuepour lapremière fois, un soir très tard, commeelle rentrait chezelle avecuneamie:vêtued’unshort,avecundébardeuràpaillettesetdestongs,elleriaitauxéclats,seslongscheveuxblondsdansantsursesépaules.

Ill’avaitrevuelelendemainsoir:elleanimaitunjeuinteractif.Elleluiavaitparuamusante,pleined’énergie, et toute l’assistance, les jeunes comme les vieux, semblaient séduits. Après, il l’avaitretrouvéealorsqu’ellepartaitavecd’autresterminerlasoiréeailleurs,etiln’avaitpaseudemalàluifairechangersesplans.

Physiquement,elleneressemblaitenrienàcequ’elleétaitcesoir,danssonélégantepetiterobeentaffetasrouge,trèsmoulante,etsesescarpinsassortis.Dèsqu’illuienavaitdonnélesmoyens,elleavaitmontréunpenchanttrèsnetpourlestenuessignéesdegrandscouturiers.

—Accorde-moiencoreuninstant,dit-elle,seslumineuxyeuxvertspresqueimplorants.Comprendsdonc que tu es le seul qui puissem’aider. J’ai enfin trouvé une banque qui accepte deme prêter del’argent,maisàconditionquetuteportesgarant.

—Tu es folle !Me porter garant,moi ! Ton banquier sait-il que nous ne vivons plus ensembledepuis deux ans ? Je te rappelle que nous serons officiellement divorcés— à ta demande— dansquelquessemaines.Tuleluiasdit?

Charlottesemorditlalèvre.—Non,jeluiailaisséentendrequenousavionsreprislaviecommune.Raulécarquilladesyeuxincrédules:— Tu as fait croire à un banquier que nous étions de nouveau ensemble pour qu’il accepte de

financertondernierprojetfarfeluendate?—Cen’est pas unprojet farfelu ! protesta-t-elle avecvéhémence, si onne crée pas unnouveau

centred’accueil,lesenfantsn’aurontnullepartoùaller.—Cen’estpasmonproblème.Raulavaitdumalàcontenirsonirritation,etc’estavecfroideurqu’ilajouta:—Jememoquedetesmensonges,jeneveuxplusrienavoiràfaireavectoi.Débrouille-toi.Salut!Ils’étaitéloignédequelquespasquandellelança:—Jepeuxencoredemanderàmonavocatqu’ilexigeuneprestationcompensatoireimportante,tu

sais?Ils’immobilisanet:voilàlavraieraisondecetteentrevue.Ilseretournalentementpourluifaire

face:soncœurbattaitavecviolence,etsonsangcoulaitbrûlantdanssesveines:elleosaitlemenacer?—Trèsbien,appelletonavocatet,oui,letribunalm’obligerasansdouteàtedédommager.Jeme

suis toujoursmontré généreux avec toi, et c’est toi qui as décidé de ne pas demander plus que je net’avaisdéjàdonné.

Ilavaittrouvésurprenantqu’ellesecontentedesdixmillionsd’euros,maislaconnaissantilavaitpensé qu’elle s’était dit qu’une telle somme durerait éternellement. Aujourd’hui, il ne lui restait sansdouteplusrien.

Endeuxenjambées,ilfutdenouveauprèselle:—Untribunalmettradesmois,sinondesannées,àconvenird’unmontant,etd’icilàtonprojetaura

tournécourt.Quantàtoi,tuauraseuletempsdemesurerl’absurditédetaconduiteetlesconséquencesdetesmensonges.

Denouveau,ils’éloigna,etcettefoisellenelerelançapas.Maisenrejoignantsesamis,ilrevitsonexpressionblessée,choquée,etpouruneobscureraison,iln’enfutpasfier.

***

Jessica,sonamie,étaitcontrariéequandillaretrouva.Elletiraunelongueboufféedesacigaretteetdemanda:

—Oùétais-tu?Voilàpresqueunmoisqu’ilssortaientensemble.C’étaitlapremièrefoisqu’ilvoyaitrégulièrement

quelqu’undepuissaséparationd’avecCharlotte.Jessicaétaitd’unebeautéspectaculaire,parfaiteselonlescritèresactuels.Quandilarrivaitquelquepartavecelle,ilsfaisaientsensation.Enoutre,ellesavaitcequ’ellevoulait,étaitréfléchieetnes’emportaitjamais.

Charlotteétaitpluspetite,etavecdes formesbeaucouppluspleines.Maissonenthousiasme,sonimpulsivitéetsonriresijoyeuxvouschauffaientlecœur.Etpuis,ellesentaitbonlavanille…

Raulgardaitencoresonodeuren lui. Il l’avait toujoursadorée,surtout lematin,quandceparfumexotiqueprenaitdesarômesdemuscauxquelssemêlaientleseffluvesdeleursétreintesdelanuit…

Ildétestaitl’odeurdelafumée…D’ailleurs,iln’aimaitpasembrasserJessica.Il perçut un éclair rouge dans son champ de vision et tourna la tête : Charlotte se hâtait vers la

sortie.Mêmedeloin,onlasentaitvaincue.S’obligeantàsourireàJessica,ilditalors:—Onnevapastarderàyaller,non?Sansattendrederéponse,illuipritlamainpourl’entraînerdanslesalonoùlafêtebattaitsonplein.

Engagnantlaporte,ilcherchadanslafouleuneroberougesang.Envain.Charlotteétaitpartie.

2.

Charley réussit à sourire en prononçant un adiós poli, avant de quitter le bureau du banquier.Quelques instantsaprès, en traversant lehallde l’énormebuildingquiabritait sabanqueetunebonnedouzained’autresinstitutions,elleétaitencoresitenduequ’elleavaitdumalàrespirer.

Aulieudesortir,ellesedirigeaverslestoilettespours’isolerettenterdesereprendre.C’étaitfini.Elleavaitperdu.Lebanquiern’avaitpaschangéd’avis:sanslacautiondeRaul,pasde

prêt.Certes,elles’yattendait,maisavaitrefusédepartirvaincue.Maintenant,hélas,ilfallaitserendreà

l’évidence:lecentred’accueildePocoRiofermeraitsesportes.Pauvresenfants!Sapropredéceptionn’étaitrienauregarddecequ’ilsallaientperdre,euxetleurs

familles.Dieuseulsavaitcequ’ilsavaientdéjàendurédurantleurcourtevie!Unsanglotluiserralagorge.Direqu’elles’étaitmêmeabaisséeàsolliciterl’aidedeRaul!Jamais

ellen’aurait imaginéqu’il semontrerait si insensible, siméprisant.Sansdoute luienvoulait-ilencorebeaucoup…

Pourtant, du temps leur vie commune, il avait toujours été compréhensif et, chaque fois qu’elleéchouaitdanssesentreprises,illuiexpliquaitsuruntonoùnes’entendaitjamaisaucunreproche:

«Cariña,ilesttempsd’accepterquetun’espasunefemmed’affaires.Maintenantilfautquenousfondionsunefamille,commenousl’avonsprojetéquandnousnoussommesmariés.»

Charley sentit soncœur se serrer.Aujourd’hui encore, ellene se sentait pas capabled’avoirdesenfants.Elleenaurait,unjour,elleenavaitlacertitude,maispasavantd’avoirtrouvésonchemindanslavie.

Sapropremèreavait travaillédurpourl’élever.Hélas,devenueadolescente,Charleyavaitrejetétous lesbeauxprojetsd’avenirque lapauvre femmeavaitconçuspourelle,etétaitpartieà l’étrangervivredepetitsboulots.Elleavaithonte,àprésent,etregrettaitamèrementsonchoix.

Lejouroùelleauraitunenfant,ellenevoulaitpasqu’ilcomparesonpèreetsamèreetvoie,danslepremier,unexemplederéussitesocialeetprofessionnelleet,danslaseconde,unsymboled’échec.Non,elle tenait à ce que son mari et ses enfants soient fiers d’elle parce qu’elle réussissait ce qu’elleentreprenait.

Lesoirdecetteultimedispute,ellen’avaitpasprévudequitterRaul,maiscommeelletentaitdeluiexpliquerquelemomentneluiconvenaitpaspouravoirunenfant,toutàcoup,touts’étaitdéchaîné,etilss’étaientditdeshorreurs.

Raull’avaitaccuséed’êtreintéresséeetincapabledetravailler!Sesmotsrésonnaientencoredanssa tête, si injustes, si douloureux. Elle qui avait fait tant d’efforts pour essayer d’avoir une vie

professionnelle!Maischaquefois,elles’étaitmontréetropambitieuse,ellelecomprenaitmaintenant.Etaprèschaqueéchec,demoinsenmoinssûred’elle,elleplaçaitlabarreencoreplushaut.

Bref,aucoursdecettedisputedramatique,Raulluiavaitditdepartirsiellelevoulait,etd’unseulcoup,elleétait redevenue lapetite filleabandonnéepar sonpère.Tous lescomplexesqu’elleavait sibien refoulés depuis qu’elle connaissait Raul avaient resurgi, et elle avait compris avec une luciditéterrifiantequejamaiselleneseraitl’épousequ’ilavaitessayédefaired’elle.Elleétaittropincapable,tropinsignifiante.Mieuxvalaitpartir.Raullaremplaceraitparunefemmequiluiressembleraitplus.

Le temps qu’elle ait bouclé ses bagages, Raul s’était repris et lui avait dit que non, bien sûr, iln’avaitpasparlé sérieusement, seulement sous le coupde la colère, et il nevoulaitpasqu’elleparte.Trop tard.Elle savaitdésormaisque leurmariageétait uneerreur tragique.Raul cherchaituneépouseparfaite,orellenel’étaitpasetneleseraitjamais.

Alorspourquoiétait-ellesimalheureusedepuisleurentrevue,deuxjoursplustôt?Elleauraitdûluien vouloir d’avoir refusé de l’aider, au lieu de quoi, elle se sentait si triste qu’elle en avait perdul’appétit.

Elleattenditd’avoirrefouléseslarmespoursortirdestoilettes,etparuneffortdevolonté,réussitàafficheruneexpressionpresquesouriante.EncoreunechosequeRaulluiavaitenseignée:quoiquel’onressente, il fallait sauver lesapparences,arboreruneattitudedigneetavenante.Pour lesCazorla, toutétaitdansl’imagequel’onprojetait.

Dehors,lebeausoleildeValencel’éblouit.Elleavaitgarésavoitureàl’angledelarue,etcommeelles’apprêtaitàlarejoindre,elledécouvritunelonguesilhouettemasculinenonchalammentadosséeàuneLotusmétalliséegaréesurunemplacementinterdit,devantl’immeuble.

Raul?L’espaced’uninstant,elleeutlesoufflecourt.Levoirenpleinelumière,sibeaudanssonélégant

costumemarineassortid’unechemisebleupâlequifaisaitressortirsesyeuxclairs,luienlevaitsoudainlepeud’assurancequ’illuirestaitaprèssadramatiqueentrevueaveclebanquier.

Et il n’était pas là par hasard. Raul connaissait tous les grands acteurs de la finance et de lapolitique.Sansdouteavait-ilsuavantellequelebanquierluirefuseraitsonaide.

Brusquement,Charleycompritlaraisondesaprésence,etelleallaverslui,lespoingsserrés.—Tujubiles,n’est-cepas,Raul?Ilseredressa.—Pasdu tout,cariña, dit-il, sabellebouche sensuelle ébauchant l’ombred’un sourire, jeviens

t’offriruneplanchedesalut.Elleledévisageaavecméfiance.—Ahoui?—J’aiunepropositionàtefairepoursauvertoncentred’accueil.Raulvitl’expressionincrédulesursonvisage.Dieu,qu’elleétaitjolie!—Tuveuxm’aider?DenouveauilébauchaunsourireenouvrantlaportièredesaLotus.—Installe-toi,etnousdiscuterons,ordonna-t-il.—Mavoitureestgaréetoutprès,dis-moioùteretrouver.Elleconduisait,maintenant?Premièrenouvelle.—Situveuxsauvercecentrequitetienttantàcœur,jeteconseilled’obéirsansdiscuter.Sinon,

tantpispourtoi.Surquoiilcontournalecapotdesonbolidepours’installerauvolant.Cenefutquelorsqu’ilrefermasaportièrequeCharleyréagit.Alors,galvanisée,ellesautaàcôtéde

luietbouclasaceinturedesécurité.

Ilnese tournaversellequ’aprèsavoirchausséses lunettes.Elégant,cepetit tailleurnoirqu’elleportait…Mais curieusement, ellen’étaitpas fardéeà l’exceptiond’un traitd’eye-liner etd’unpeudemascara.Dutempsoùilsvivaientensemble,sonépousesavaitfortbiensemaquiller;dumoinsavait-elleapprisàlefairedèsqu’elleavaiteulesmoyensdefréquenterlescentresdebeautélespluschics.Enrevanche,quandill’avaitconnue,elleétaitcommeaujourd’hui:fraîcheetnaturelle.

Unélandedésirlecisaillacommel’exquiseodeurdevanilleluieffleuraitlesnarines.Depuisleurrencontre,deuxjoursplustôt,lesouvenirdesonparfumlehantait.

Ellelefixaitaussi,d’unregardàlafoistroubléetcraintif.Ilenéprouvaunesatisfactioncertaine.Sans un mot, mais avec un demi-sourire, il démarra et engagea le véhicule de sport dans la

circulationquiencombraitlarue.—Tuveuxvraimentm’aider?demanda-t-elleenfindecettevoixdegorgedontilsesouvenaitsi

bien.—Biensûr,sinonjeneseraispasici.Samedisoir,ils’étaitjurédelalaissersesortirseuledupétrinoùelles’étaitmise.Aprèstout,elle

l’avaitquitté,etn’enavaitjamaisvouluqu’àsonargent.Elleneméritaitpassonaide.Enquittantlasoirée,ilavaitraccompagnéJessicachezelle,etétaitrentréchezlui,commetoujours

depuis le départ de Charlotte.Mais ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Inlassablement luirevenait le souvenir des nuits qu’ils passaient jadis ensemble, des nuits d’amour fou, effréné : ilretrouvaitsoussesdoigtsladouceurdesapeau,desescourbespleines,etrespiraitl’odeurexquisedeleursétreintes.Pourlapremièrefoisdepuisdeuxans,salibidos’étaitréveillée.Incroyable!Ilavaitsuffid’unerapideetâprediscussionavecsafemme,etsoncorpstoutentierétaitrevenuàlavie!

***

A la levée du jour, il n’avait toujours pas fermé l’œil, et réfléchissait à toute allure. On étaitdimanche,etlesgensdormaienttard:tantpis,ilavaitcontactétoutessesconnaissancessusceptiblesdeluienapprendredavantagesurledernierprojetdeCharlotte.Ilavaitainsidécouvertqu’ils’agissaitd’uncentred’accueilde jourpourenfants,etqu’ellepouvait financersurses fondspropres lamoitiédecequ’ilfallaitpouracheterleslocauxetlesaménager.Qu’avait-ellefaitdurestedel’argentqu’illuiavaitdonné?Mystère…Ilpréféraitnepassavoir.

Ilavaitapprisaussi—maiscela,ils’endoutait—quelesinvestisseursexigeaientqu’ilseportegarant pour lui accorder un prêt. Il avait donc toutes les cartes en main : lui et lui seul pouvait luipermettrederéalisersonprojet.Ehbien,illeferait,maispassanscontrepartie!

—Tuvasmeprêterdel’argent?demanda-t-elle,toujoursincrédule.—Mieux,jevaist’endonner.—Etqu’exigeras-tuenéchange?—Jevoisquetuconnaislavie,cariña,onn’ariensansrien.Nousparleronsdemesconditionsàla

maison.—Tuveuxquej’ailleàBarcelone?—Sí, chez moi nous serons tranquilles pour discuter. A présent, détends-toi, sachant que si tu

acceptesmaproposition,tupourrasconstruirececentred’accueilauqueltutienstant.Charleysemorditlalèvreinférieure,s’efforçantdecachersontrouble.—Dis-moiaumoinscequit’afaitchangerd’avis.—Jet’aiditqu’onenparleraitàlamaison.Elle n’en obtiendrait pas davantage, aussi mieux valait ne pas insister. Pour l’instant Raul se

montraitcordial—unprogrèsparrapportàsonattitudehostile,voirefranchementagressive,lesoirdelaréception.Enoutre,ilsemblaitprêtàl’aider,etcelaseulcomptait;inutiledoncdelepousserdansses

retranchements.Sielledevaitdéjeuneraveclui,elleleferaitpourcesenfantsquiavaienttantbesoind’unnouveaufoyer.

Hélas,sisaraisonparlaitainsi,soncorps,lui,réagissaittoutautrementàl’intensevirilitédeRaul.Dansl’habitacleexigudelavoituredesport,elleéprouvaitdumalàrespirer,etlatensionquil’habitaitlamettaittrèsmalàl’aise…

Prenantuneprofondeinspiration,ellerisquauncoupd’œilsursoncompagnon,etsentitsoncœurbondirdanssapoitrine: ilavaitrelevésesmanches,etsonbrasgauche,bronzésousleduvetsombre,reposait sur l’appui de la portière dont la vitre était baissée…Charley avait toujours trouvé ses braspuissantstrèssexy,etpasseulementsesbras…Jamaisellen’avaitrencontréhommeplusexcitantquelui.Elle avait été si heureuse, avec lui ! En tout cas au lit, se reprit-elle, bannissant les souvenirs quimenaçaientdedéferlerdanssonesprit.

Jusqu’àl’héliport,ellenequittapaslaroutedesyeux.

***

—Tuhabitesicidepuislongtemps?s’enquit-elle.—Unpeuplusd’unan.Toutàcoup,elleétaitintimidéedevantunetelledébauchedeluxe.Aucontrairedelavillaauborddelameroùilsavaientvécuensemble,lamaisonactuelledeRaul

se trouvait sur l’avenida Tibidabo, l’une des plus chics de Barcelone. Entourée d’un jardin queclôturaient de hautes grilles cachées par des alignements de palmiers, c’était une grande et très bellebâtissededeuxétages,àlafaçadeflanquéedetourelles,avecdejolistoitsentuilesrondes.

L’intérieur aussi était très différent de la villa. Cette dernière était confortable, certes, maisultramoderne. Ici tout n’était que splendeur inspirée des demeures princières d’autrefois : sols enmosaïque,plafondsvoûtésdécorésdefresques,mursornésdemoulures.Sansdouteunteldéploiementde luxeétait-ildestinéàmontrerque,cesdeuxdernièresannées,Raulétaitpasséàunautreniveauderéussite.

Charleytoussota,malàl’aise:—Oùestlepersonnel?Auneheurepareille,lesdomestiquesauraientdûs’activer,orlamaisonétaitsilencieuse.— J’ai donné congé à tout lemonde, la renseignaRaul avec un curieux éclat dans le regard, je

pensaisquenousserionsplustranquillespourdiscuter.Charleycroisalesbrassursapoitrine.Sanervositégrandissait,etl’émoiquil’avaitsaisiedansla

voiturenelaquittaitpas.Sonmaricontinuaitàlatroubler,ellenepouvaitpluslenier.—Queveux-tumedire?Tupeuxm’éclairer,maintenant?Tusaisquejen’aipastoutmontemps:il

fautquejerentreàValencecesoir,pourtravailleraucentredemainmatin.—Nousparleronspendantledéjeuner.Quefairesinonlesuivredanslasalleàmanger?C’était une vaste pièce dont les hautes fenêtres donnaient sur le jardin. On avait dressé deux

couvertssurl’immensetabledeboissombre.Raultiraunsiègepourl’inviteràs’asseoir.—Ledéjeunerestprêt,dit-il,jet’enprie,mets-toiàl’aisependantquejevaislechercher.Al’aise,avait-ildit?Jamaisellenes’étaitsentieplusdéplacéequedanscedécor.Heureusement,

dans quelques semaines le divorce serait prononcé, et elle n’aurait plus rien à voir avecRaul et sonnouveaustyledevie.

Elles’assit,cherchantàcalmerlesbattementsdésordonnésdesoncœur.D’uninstantàl’autre,ellesauraitcequesonmariattendaitd’elle.Oh! ilneseraitpasquestiond’argent, ilenavait tant, luiquiréussissait dans tout ce qu’il entreprenait… à l’inverse d’elle, hélas. Lorsqu’ils vivaient ensemble, il

étaitdéjàmultimillionnaire.Depuis,ilavaitvenduunefortunel’affairedehautetechnologiequ’ilavaitmontéeavantderécupérerl’affairefamiliale,Charleyl’avaitapprisparlesjournaux;puisilavaitajoutéàlachaîned’hôtelsdeluxedontilavaitprisladirectionunecompagnied’aviationprivéeainsiqu’uneflottedebateauxdecroisièrehautdegamme,devenantainsil’undeshommeslesplusrichesd’Espagne.

L’avocat de Charley lui avait d’ailleurs conseillé de demander une prestation compensatoireimportanteenplusdesdixmillionsd’eurosqu’illuiavaitdonnésàsondépart.Ellen’avaitpasvoulu:l’argent deRaul lui appartenait, estimait-elle, c’est lui qui l’avait gagné, pourquoi lui en réclamerait-elle?Elleenavaitassezdépensédurantleurviecommune.

Levoilàqui revenait avecungrandplatd’antipasti : charcuterie italienne,petits légumesgrillés,poivronsconfits,tomatesséchées,olives,enunmot,toutcequ’elleadorait.

Aprèsl’avoirposésurlatable,ilservitdeuxverresdecevinitalienquijadisétaitsonfavori,puiss’assitenfaced’elle.

Aboutdepatience,elleprittoutdesuitelaparole:—Toutcelaestmagnifique,etmercidel’avoirfaitpréparer,maisjenemangeraipastantquetune

m’auraspasditquellessonttesconditionspourmeprêterdel’argent.Raulprittoutsontempspourgoûterlevinpuisenbutunegorgéeavantderépondre:— Je suis disposé à te donner les fonds nécessaires pour aménager, dans les locaux que tu as

trouvés,cenouveaucentreauqueltutiens.Tum’asbienditquetoutdevaitêtreprêtdansquatremois?—Eneffet. J’ai quatremoispour concrétiser l’achat dubâtiment et sa transformation.Cela peut

paraîtrelong,maisils’agitdetravauxcompliqués.Commenousaccueillonsdesenfants,ilyauncahierdeschargestrèslourdavec…

Raullacoupad’ungestedelamain.—Nousentreronsdanslesdétailsquandnousnousseronsmisd’accord.—Surquoidonc?Lecentred’accueilreçoitassezdesubventionspourrembourserleprêtquetu

meconsentiras.Raulébauchaunsouriredeprédateur.—Jetel’aidéjàdit,jenecomptepasteprêterdel’argent,maist’endonner.Jeconnaistonsensdes

affaires,jenevoudraispasrisquerdetoutperdre.Ilsemoquaitd’elle,etc’étaitinsupportable!—Tusaistrèsbienque…Cettefoisilluicoupalaparoleavecautorité.—Enaffaires,tuasleflaird’unenfant.Jen’aiaucuneconfianceentonjugement.C’enétaittrop!—Dansunsens,jetedonneraison,rétorquaCharley,cinglante,carfallait-ilquemonjugementsoit

altéréquandj’aiacceptédet’épouser!Apeine avait-elle achevé sa phrase qu’elle la regrettait.Mais tant pis : il avait l’art de la faire

sortirdesesgonds.Etilcontinuaitàsouriredecesouriresupérieurqu’elledétestait!—Dommagequenotremariaget’inspiredetellespensées,déclara-t-ilaprèsunsilence.Sacheque,

pourmapart, jene lespartagepas.Mais revenons ànosmoutons : quand jedisque je suisprêt à tedonnerdel’argent,cen’estpastoutàfaitexact.Jen’attendspasdetoiunremboursementausensstrictduterme,maisenéchangejeveuxquetureprenneslavieconjugaleettoutcequ’elleimpliquejusqu’àcequetoncentresoitachevé…

3.

Charlotteavaitblêmi.Raulcraignituninstantqu’elleneperdeconnaissance,maissonvisagerepritvitesescouleurs,etelledemanda,lesoufflecourt:

—Qu’entends-tuparvieconjugale?Tuoubliesquenoussommeseninstancededivorce.—Onpeutinterromprelaprocédure,rétorqua-t-il,trèscalme,avantdeprendreunenouvellegorgée

devinetd’ajouter:c’estleprixàpayerpourtonnouveaucentre.Aprendreouàlaisser…—Tuesdevenufou?s’écria-t-elle,horsd’elle.Jusqu’àsamedisoir,nousnenousétionsplusparlé

depuispresquedeuxans.Notremariagen’existeplus,voyons!—Maisnotredivorcen’estpasencoreprononcé.—Jenevoispasl’intérêtdeprétendrequenoussommesdenouveauensemble!—Iln’estpasquestiondeprétendre.Parailleurs,jevaistedonneruneimportantesommed’argent,

jeveuxpouvoirm’assurerquetul’utilisesàbonescientetquetun’abandonneraspastonnouveauprojetenchemin,commed’habitude.

—Cettefois,c’estdifférent.—Peut-être,maisdutempsdenotreviecommune,partroisfoistuasvoulumonteruneaffaire,et

par trois fois tu t’en es désintéressée avant qu’elle soit rentable. Cette fois, je compte m’impliquerpersonnellement.

—Tun’aspas lamoindre idéede la façondont fonctionneuncentrepourenfants ! riposta-t-elled’untonacerbe.Tunesaisriendescontraintesimposéesparlesservicessociaux.

—Ehbien tum’aideras,commemoi j’essaieraide t’aideràgérercecentredefaçonrationnelle.Considère ces quatre mois comme un temps d’apprentissage professionnel. Si nous échouons, celan’affectera pas ma santé financière, je te le garantis. Ce seront ces enfants et leurs familles qui enpâtiront.

Charlottesemblaitindignée.Sesbeauxyeuxvertslançaientdedangereuxéclairs,maisils’interditdeluitendreunrameaud’olivier.Elleluiavaitfaittropdemalenluirefusantl’enfantqu’ildésiraitplusquetoutaumonde.

Elle avait toujours adoré les enfants, il le savait.Quand ils s’étaientmariés, et qu’elle lui avaitdemandéd’attendrequelquesannéespourenavoir.Comprenantsondésirdes’affirmerentantquefemmeavant d’être mère, il s’était montré patient. En vain, puisque jusqu’à leur ultime dispute, elle s’étaitobstinéedanssonrefusdefonderunefamille.

Ill’avaittantimaginé,cetenfantqu’ilvoulaitd’elle!Etilavaittellementréfléchiàlafaçondontilrempliraitsonrôledepère.Ilseraitàl’opposédesonproprepère,quil’avaittoujoursméprisé,rabaissé,et qui, à force d’humiliations, lui avait donné l’impression d’être un bon à rien… Lui au contraireencourageraitsonenfant,luidonneraitconfiance,fêteraitsessuccèsetexcuseraitseséchecs…

LavoixdeCharlotteleramenaauprésent:— Si tu cherches à prendre le contrôle financier de ce centre, libre à toi, dit-elle. Pour moi,

l’essentielestqueleslocauxsoientprêtsàaccueillirlesenfantsdansquatremois.Alorsàquoisert-ildeseremettreensembleletempsdestravaux?C’estunemascaradeabsurde.

Ildutsefaireviolencepourrétorquerd’untoncalme:—Jenecomprendspastaréaction.Sijet’aibiencomprise,dansl’espoird’amadouertonbanquier,

tuluiasditquenousnousétionsréconciliés.Celat’arrangeait,n’est-cepas?Ehbien,maintenantc’estmoiquecelaarrange,etc’est lemarchéque je tepropose : l’argentnécessairepoursauver toncentrecontrequatremoisoùtuserasmafemme,aulitcommedanslavie.

Laseulepenséedel’avoirdanssonlitl’excitaitdéjà.Ilestvraiqueluifairel’amouravaittoujoursété fantastique, et dieu sait s’ils avaient usé et abusé de leurs corps pendant leurs trois ans de viecommune. Leur passion physique n’avait jamais tiédi, au contraire, plus ils faisaient l’amour, plus ilsavaientenviederecommencer.

—C’esttonorgueilquiteguide!fulminaCharlotte.Tuesfurieuxparcequec’estmoit’aiquitté.Pourtevenger,tuveuxm’humilier.

—Pasdutout.Turéclamesmonaide,etjesuisprêtàtel’accorder;enéchange,toutcequetuesenmesuredemedonneretquim’intéresse,c’esttoi.

Elleselevaetrepoussasachaised’unmouvementbrusque:—Sommetoute,tuveuxquejemeprostitue?— Non, je demande seulement que ma femme regagne le domicile conjugal et redevienne mon

épouseausenslittéralduterme.End’autrestermes,qu’ellesoitdisponiblepourmoioùetquandjeledésirerai.

Le désir le cisailla comme il imaginait Charlotte satisfaisant tous ses fantasmes : autrefois, elleanticipaitàmerveillecequ’ilvoulait,etleursnuitsd’amourétaienttorrides.Pendantcesquatremois,ilallaitenprofiter,etpeut-êtreselasserait-ilenfind’elle.

Soutenant son regard avec un aplomb qu’elle était loin de ressentir, elle finit par reprendre,atterrée:

—Sais-tuquedepuisquejeteconnais,jamaisjenet’avaisméprisé?Encetinstantpourtant,jetehaisetjetemépriseplusquejenel’auraiscrupossible.

Asontour,ilsedressapours’approcheretluifaireface,posantsurelleunregardglacé.—Jememoquepasmalquetum’aimesoumehaïsses.Avançant lamain, il la glissa dans l’échancrure de son chemisier pour la plaquer contre sur son

épaule.S’interdisant de réagir, elle retint son souffle ; mais la douceur de ses doigts sur sa peau

l’électrisait,etsoncœurs’emballa.C’étaitlapremièrefoisqu’illatouchaitdepuissilongtemps…—Es-tuprêteàmedonnercequejeveux?murmura-t-il.Parceque,soyonsfrancs:c’estaulitque

tueslaplusdouée…Sonpoucequicaressaitsoncouluidonnaitlachairdepoule,aussineréagit-ellepastoutdesuite,

maisquandelleeutintégrécequ’ilvenaitdedire,ellelerepoussaavecforce.—Commentoses-tumeréduireàunobjetdeplaisir?Ilsemitàriredoucementenserapprochant.—Celaneteposaitpasdeproblème,autrefois.Illatouchaitpresque,ettoutàcouplessouvenirsexaltantsdeleursnuitsd’amourqu’ellerefoulait

depuisdeuxanslasubmergèrent,irrépressibles,affolants.Dèsleurpremièrerencontre,elleavaiteuenviedelui.Ilétaitsidifférentdetousceuxqu’elleavait

rencontrés jusqu’alors. Beau et élégant, riche, drôle… bref, le prince charmant. Et il la voulait, elle,petiteCendrillonsansimportance!Illuiavaittournélatête,c’étaitbiencompréhensible.

Etleurententephysique…jamaisellen’auraitcruqu’untelaccordputexisterentredeuxcorps.Ilsétaientfaitsl’unpourl’autre,leursdésirsseconfondaient,serépondaient,secomplétaient…

Charley se reprit : pourquoi se laisser enflammer par des pensées pareilles quand elle avait aucontraire besoin de tout son sang-froid ? Pour son malheur, quand elle avait connu Raul, elle avaitconfondudésiretamour,etilss’étaientmariés.Envérité,leurhistoireauraitdûn’êtrequ’uneaventuredequelquesmois.

Ilsn’étaientpasdumêmemonde.Ellevenait d’unmilieudéfavorisédu suddeLondres, avecunpèreabsentetunemèresubmergéeparlessoucismatériels;luiavaitétéélevédansunefamillericheetn’avaitfréquentéquelahautesociété.Ilenavaittiréuneassuranceetunearrogancedontellen’avaitprisconsciencequepeuàpeu.

Enbref, ils n’étaient pas faits l’unpour l’autre.Une seule chose les rapprochait : leur fabuleuseententephysique.

—Autrefois,jet’aimais,répondit-elled’unevoixunpeurauque.Carc’étaitvrai:àforcedebonheurphysique,elleétaittombéeamoureuseets’étaitpriseàl’aimer

plusqu’ellen’auraitcrupossible.Lequitteravaitétéfacile,maisvivresansluis’étaitrévéléunelenteetdouloureuseépreuve!

Maintenantcetamours’étaittransforméenhaine,maisledésirétaittoujoursvivant,bienvivant.—Sijecomptaisunpeupourtoi,tunemeproposeraispasunmarchéaussiignoble,ajouta-t-elle.—Tucomptesencorebeaucouppourmoi,répondit-ilenl’attirantcontrelui.Elleréprimauncrideplaisirensentantsonérection,maisserepritviteettentadesedégager.—Tunepeuxpasmeforcer,dit-elled’unevoixqu’elleauraitvouluassurée,maisquin’étaitguère

plusqu’unmurmuretantsonémoiétaitviolent.Carelleretrouvaitl’odeurdesapeau,uneodeurvirilequijadisl’excitaittant…Raulritcontresonoreilletoutenluicaressantlecou.—Jen’aipasàteforcer.Et comme pour le prouver, il empauma l’un de ses seins à travers la fine étoffe de sa chemise.

Charleysentitunemerveilleusechaleurl’envahiraucreuxdesreins,etdutserrerlesjambespournepassecambrercommesoncorpsl’exigeait.

Sonmari pouvait prendre ce qu’il voulait d’elle, elle ne se donnerait jamais à lui spontanément,maintenantqu’elleconnaissaitsonvraivisage.

Elletentadesedégager:envain,illamaintenaitavecfermeté.—Tuvois,cariña,dit-il,emprisonnantsesdeuxmainsdanslessiennespourlesbloquer,ledésir

entrenousn’apaschangé,tunepeuxpaslenier.Toncorpsm’accueillequandjetecaresse,mêmesitatêteneleveutpas.

Il voyait juste.Oh ! quelle honte ! Sans doute voulait-il l’humilier comme elle l’avait fait en lequittant.

—Jetehais.—Jesais,dit-ilavantdemordillerlelobedesonoreille;imaginecommecelaseramerveilleux,

toutecettehainetransforméeendésir…Charley perdait pied, emportée par un tourbillon d’émoi. Le souffle deRaul sur elle, sa voix si

excitantetoutcontresonoreille,lecontactdesapeau…deuxansqu’elleenétaitprivée!Elle réussità libérer sesmainspour le repousser.Au lieudequoi,muesparunevolontépropre,

ellessenouèrentautourducoudeRaul.Dèslors,ellenecompritpluscequ’ellefaisait:soninstinctavaitprislerelaisetgouvernaitson

corps. Leurs lèvres se trouvèrent, leurs langues se mêlèrent en un maelström affolé tandis qu’elleenfouissaitlesdoigtsdanslescheveuxdrusetsombresqu’elleaimaittant.

Autourd’elle,toutcessad’exister.Legoûtdelabouchequifouillaitlasiennel’enivrait,lesoufflechaud de son compagnon agissait comme une drogue exquise et partout en elle fusaient les étincellesbrûlantesdudésir.

D’unemain,Raulmaintenaitsatêtetandisquedel’autreillacaressait.Ileuttôtfaitderemontersajupeetdetrouverl’élastiquedesonpetitslipqu’ilécarta.Alorsilglissaundoigtlàoùelleétaitchaude,mouillée,prêtepourlui.Ellesoupira…

Raul relâchasonétreintesivitequ’elle serait tombée, sans la tableà laquelleelleétaitadossée.L’espaced’uninstant,ellecrutsurprendredansleregarddeRauluneexpressiond’incrédulité,maisdéjàils’étaitressaisi.Illissasachemiseet,indiquantlafenêtredumenton,chuchota:

—Lejardinier…Eneffet,Charleyperçut commeà traversunbrouillardunbruit demoteur, puis àmesurequ’elle

reprenaitsesespritslebruitenfla,etquelquesinstantsplustardpassaitdevantlafenêtreunmotoculteurconduitparunhomme.Elleretombabrutalementsurterre.

Queldémonl’avaitpossédée?Avait-elleperdutoutedignité?ElletirasursajupepourlaremettreenplacepuistrouvalecouragederegarderRaul.Ilaffichaitunsourirenarquois.

—Tuvois,cariña,j’avaisraison.Lahaineaiguiseledésir.—Celanesereproduiraplusjamais,marmonna-t-elle.—Cessedoncdediredesbêtises,veux-tu?Raulregagnasaplaceàtable,etpritungressinenattendantqueletumultedanssapoitrinesecalme.

Commentlasituationluiavait-elleéchappésivite?Sanslejardinier,ilauraitprisCharlottelà,surlatabledelasalleàmanger.Salibidoluifaisaitl’effetd’unressortcomprimédansuneboîtetroppetite:ilavaitsuffidebougerlecouvercle,etelleavaitsurgi,violente,dévastatrice,commeautrefois.Ilestvraiqu’entreeux,l’alchimieétaitparfaite…

Charlotteétaittoujoursdeboutfaceàlui,sessplendidesyeuxvertsemplisdefureur.Encetinstant,quidétestait-elle leplus?Lui,parcequ’il la forçaitàpartagerdenouveauson lit,oubienelle-mêmeparcequ’elleavaitenviedelui?

—Alorscariña, on est d’accord ? demanda-t-il de sa voix la plus aimable.Ton centre dans denouveauxlocauxentièrementaménagésenéchangedequatremoisdansmonlit?

Quatremoissuffiraientsansdoutepourqu’ilselassed’elle.Carilétaittempspourluidepasseràautrechose.L’emprisequ’elleavaitsursessensn’avaitquetropduré.

—J’accepte,oui,déclara-t-elleavechauteur,maisj’ymetsunecondition:jenepartageraitonlitquelorsquel’acted’achatdeslocauxserasigné.

—Illeserad’iciàlafindelasemaine.—Tudevrasdoncattendrequatrejoursavantdemetoucher.Note,si tutrouvesle tempslong, tu

peuxtoujoursallertrouvertajolierousse.—Iln’yaplusderousse.C’étaitvrai,ilavaitrompuleurrelationavantmêmequ’elleaitvéritablementcommencé.Ilréfléchitvite:ilavaittouteslescartesenmainsetpouvaitlaforceràretirersacondition.Maisà

quoibon?Quatre joursdeplus,cen’étaitpasgrand-chose.Quatre joursàanticiper toutes lesdélicesqu’ilsallaientpartager…ceseraitexquis.

Ilconnaissaitbiensafemme,c’étaitunecréaturefaitepourlesexeetlesplaisirssimples.Auboutdequatrejours,ellelesupplieraitdeluifairel’amour.

***

—A quelle heure termines-tu ? demanda Raul en immobilisant la Lotus devant l’immeuble qui,jusqu’ànouvelordre,abritaitPocoRio,lecentred’accueilpourenfants.

—17heures,maisjerisqued’êtreenretard,jet’appellerai.—Pasquestion,jepasseraiteprendreà17heures,ettuserasprête.Charleysecontentadehausserlesépaules,etaprèsavoirprissonsac,sortitenclaquantlaportière.

Ettantpiss’iln’étaitpascontentparcequ’ellemaltraitaitsasacro-saintevoiture.Après tout, ilsn’étaientpasdumêmemonde,etellen’avaitpas lesmêmesmanièresque lui.Oh,

biensûr,samèreluiavaitenseignéquelquesrudimentsdepolitesse,maispasgrand-chose.Quantàsonpère,ilnepassaitquerarementàlamaisonetsemoquaitpasmaldel’éducationdesafille.Pourtantellel’aimait, et il lui avait tantmanqué !Surtout engrandissant.Samère était toujours épuisée à forcedetravailler.Ellen’avaitjamaisletempsdefairelacuisine,etleplussouventtoutesdeuxsenourrissaientdepâtesoudepommesdeterrequ’ellesmangeaientdevantlatélévision.Lavien’étaitpasgaie!

Raul,aucontraire,avaitgrandidansunefamilleéduquée.Lesrepasseprenaient toujoursdans lasalleàmanger,servisparunmaîtred’hôtel.Charleyn’enétaitpasrevenue,lapremièrefoisqu’elleavaitdéjeunéchezsabelle-famille.C’étaitunautremonde.Aussiavait-elletentédes’yadapteravectoutesabonnevolonté.

Raull’avaitaidée,allantjusqu’àluipayerdescoursdemaintien,etCharleyavaitmislongtempsàcomprendrequ’ilcraignaitqu’elleternisselenomdeCazorla.

Finalement,pendanttouteleurviecommune,ilavaitcherchéàfaired’ellelafemmeparfaitequ’ildésirait,cellequicorrespondaitàsonrangsocial.

Aussiquandelle l’avaitquitté, s’était-elle retrouvée, enquelquesorte.PlusdeCharlotte, commel’exigeait sonmari, elle était redevenueCharley,un surnomqui avait toujours été le sien, etqueRauldétestait.C’étaitundétail,maisilavaitsonimportance.

Quoiqu’ilarriveaucoursdecesquatremois,jamaiselleneperdraitdevuequielleétaitvraiment:Charleyetpersonned’autre.QuecelaplaiseounonàRaul!

A son entrée au centre,Karine, une fillette deneuf ans, vint l’accueillir avecun sourire radieux.Karine avait eu un grave accident de voiture quand elle était encore bébé. Si son père n’y avait passurvécu,elles’enétait sortieavecun traumatismegravequi l’avait laisséehandicapée.Siellen’avaitplus toutes ses capacités intellectuelles, c’était une enfant adorable, et quandCharley était de service,ellelasuivaitcommeuneombre,luitémoignantuneémouvanteaffection.

Dèsqu’ellelavit,Charleyl’embrassaavectendresseetl’entraînadanslasalledejeux.Là,commechaque fois, sagorge senouaau spectaclede ladouzained’enfantsqui s’y trouvait, laplupartperdusdansleurpropremonde,maisbienvivants,pourtant.C’étaitpoureuxqu’ellesebattait;poureuxqu’elletiendraitpendantlesquatreprochainsmois.

Pourcesmalheureuxpetitsêtreshumains,elleétaitcapabledetout,ycomprisdereprendrelaviecommuneavecsonmari.

4.

Raul, exaspéré,pianotait sur levolantde savoiture, le regardbraqué sur son téléphone : il étaitpresque17h30,etCharlotten’étaittoujourspassortie.Pournerienarranger,elleneprenaitmêmepassesappels!

Sesyeuxseportèrentdenouveausur l’immeublemodestequiabritait lecentre.Unblocdebétonlépreux avec des ouverturesminuscules garnies de volets de fer. Seule tache de couleur— et encoreétait-elledélavée—,l’enseigne:PocoRio,pouvait-onlire,«PetiteRivière».Quipouvaitsouhaiterqueson enfant passe ses journées dans un endroit aussi sinistre ? Pas d’espaces verts, dans ce quartierdéshérité deValence, rien que des immeubles d’habitationsminables et délabrés, des rues étroites etsales…

Raulsepritàpenseràlacliniquederééducationoùsonpèreavaitpasséplusieursmois,aprèssonAVC,letempsquesamèreaménagepourluiuneailedelamaisonfamiliale.Cettecliniqueétaitcommeunhôteldeluxe,avecsonbeaujardinombragéetsonpersonnelsoignanttriésurlevolet.

Hélas,eût-elleétéaussisomptueusequelepremierhôtelCazorlacrééparNestor,legrand-pèredeRaul,en1955,qu’Eduardo,sonpère,l’eûtdétestéetoutautant,mêmes’ilnepouvaitplusexprimersessentimentsparlaparole.

Cepremierhôtel,construitàMadrid,pouvaitrivaliseravectouslesRitzetlesWaldorfdelaterre.NestoravaitvouluquelemondeentieryvoielapreuvequelesCazorlajouaientdésormaisdanslacourdesgrands.

Plus tard, sous le règne d’Eduardo, il avait perdu de son prestige, tout autant que les trente-huitautres hôtels de la chaîne. Eduardo renâclait à investir, préférant utiliser les profits générés par sesaffairespourmaintenirsontraindevie.

Raul n’avait jamais oublié ce jour où il était allé le voir à sonbureaupourdiscuter avec lui durapidedéclinde l’empire familial. Il revenaitdesEtats-UnisavecenpocheundiplômeprestigieuxduMIT,ets’étaitimaginé—àtort—quecettedistinctionluivaudraitenfinl’estimedesonpèrequijusque-làn’avaitmanifestéàsonégardqueméprisetindifférence.

Eduardo avait distraitement feuilleté le rapport d’analyse rédigé par Raul sur l’évolution de lachaîned’hôtels,puiss’étaitlevépourallerlejeterparlafenêtreendéclarant:

—Voilàcequejepensedetesidées!Raulavaitalorsvingt-deuxans,etquelquechoseenluis’étaitbrisé.Ilétaitsortidubureaudeson

père sans unmot pour retourner chez lui, dans la grandemaison familiale qu’il habitait encore.Là, ilavaitfaitsesbagagesetétaitparti.Lepetithéritagequeluiavaitléguésongrand-pèreNestorluiavaitserviàlouerunappartement,etàinvestirdanslastart-upd’undesesamis.Entroismois,ilavaittriplésamiseetl’avaitrécupéréepourcréersapropresociétéd’électronique.

Toutesavie,ilavaitcherchéàêtrelefilsparfaitquevoulaitsonpère;désormais,ilseraitl’hommequ’ildésiraitêtre,ettantpissicelui-cin’avaitriendecommunaveccequesouhaitaitsonpère,s’était-iljuré.

Ses affaires avaient vite prospéré, mais jamais Eduardo n’y avait fait allusion, et Raul ignoraitencores’ilavaitétéfieroufurieuxquandc’estluiquis’étaitportégarantduprêtconsentiparlabanquepourtenterdesauverlachaîned’hôtels,engrandedifficulté.Enfamille,personnen’yavaitfaitallusion,etRaulavaitcontinuéàjouerenverssonpèrelerôledefilsrespectueux,soucieuxd’êtreàlahauteurdeladynastieCazorla.

Un minibus qui venait de s’arrêter devant lui interrompit ses réflexions, et il eut un choc endécouvrantlasilhouettefémininequisortaitparlaportièreduconducteur.Charlotte!

Elleconduisaitunminibus,maintenant?Oui,elleconduisait,puisqu’elleluiavaitditposséderunepetitevoiture…Ellequin’avaitjamaisvoulupassersonpermis,avant…

Ellevenaitdelerepérer,etsanssourire,luifitsigned’attendreuninstant.Ilouvritsaportière:—Ilfautrentrer,lança-t-il,tuesdéjàassezenretard.L’hélicoptèreattend.Ellehaussalesépaules:—Jet’avaisprévenu.Jevaisviterangerlesclésetsignermafeuilledeprésence.Ellecourutjusqu’àl’immeuble,sonjeanfaisantparaîtresesjambespluslonguesencore.Carelle

portaitunjean!Cematinenlavoyant,ilavaitcrurêver.Ilnel’avaitjamaisvueainsi.Celaétant,cetypedepantalonluiallaittrèsbien!

Cinqminutesplustard,elles’installaitsurlesiègepassageretclaquaitavecforcelaportièresurelle.

—Tulefaisexprèspourm’agacer,n’est-cepas?marmonna-t-il.—Désolée…—Peux-tumedirepourquoituconduisaisceminibus?—Jeramenaisdesenfantschezeux.—Quandas-tupassétonpermis?—Ilyaunan.—Jet’avaisditquecen’étaitpasbiencompliqué.C’était vrai, Raul l’avait poussée à prendre des leçons de conduite,mais elle avait refusé avec

obstination.—Tuastoujoursraison,jesais…«Jetel’avaisdit.»Cettephrase,ellel’avaitentenduedesmilliersdefois;souventàjustetitre,

certes,maiscommec’étaitlassant…— Il fallait savoir conduire pour obtenir le job, expliqua-t-elle, radoucie. A tour de rôle, nous

devonsraccompagnerlesenfantsqueleursparentsnepeuventpasvenirchercher.Aveclerecul,c’étaitridiculequ’illuiaitfallusilongtempspourpassersonpermis.Envérité,elle

étaitsûredelerater;àtelpointque,quandl’examinateurluiavaitannoncéqu’elleavaitréussi,ellen’yavaitpascru.

LavoixdeRaullaramenaauprésent:—J’imaginequevousfaitespayerlesparentsquandvousreconduisezleursenfants?—Biensûrquenon!—Ehbien,c’estuneerreur.Vousjetezl’argentparlesfenêtres.Charley prit une profonde inspiration, réprimant la remarque cinglante qui lui venait aux lèvres.

Raul s’était toujours montré pragmatique, voire matérialiste. Mais en l’occurrence, il s’agissait demalheureuxenfantshandicapés:commentlessoumettreàlaloiduprofit?

—Tuconnaismonadresse?demanda-t-elle,préférantchangerdesujetavantdes’emporter.

—Oui,ellefiguraitsurlesdocumentsdudivorce.Ilsn’échangèrentplusunmotjusqu’àleurarrivéedevantsapetitevilla.—C’estlàquetuhabites?demanda-t-il,surpris.—Oui,celat’étonne?— J’imaginais un quartier plus chic et unemaison plus luxueuse. Que s’est-il passé ? Tu as dû

changertontraindeviequandl’argentacommencéàmanquer?Elleleregardasansciller.— J’ai acheté cettemaison sixmois après t’avoir quitté, déclara-t-elle, et elleme convient.Les

goûtsdeluxec’esttoiquilesas,pasmoi.Savillacomportaitdeuxpetiteschambresetluisuffisaitlargement.Ellen’avaitpasdepiscine,et

sonjardinnedonnaitpassurlaplage,maiselles’enmoquait.—Etmaintenantrentrons,veux-tu?Mavaliseseravitefaite.Tandisqu’ellegagnaitsachambre,elleentenditRaulfaireletourdeslieux.Quelquesminutesplus

tard,alorsqu’elleachevaitderemplirlavaliseVuittonqu’illuiavaitofferteautrefois,illarejoignit.—Tuenasencorepourlongtemps?demanda-t-il.—Non,ilmerestejusteàprendremesaffairesdetoilette.Cequejelaisseaujourd’hui,jeviendrai

lecherchervendredi.Cejour-là,ilsdevaientreveniràValence,etCharleyiraittravaillerpendantqueRaulseraitchezle

notairepourfinaliserl’acquisitiondesnouveauxlocaux.Ceseraitdoncsondernierjourdetravail.Raulleluiavaitspécifié,etelleavaitévitéd’endiscuter,attendantquel’acted’achatsoitsigné.

Sesbagagesbouclés,Raulsortitlesmettredanslavoiture,tandisqu’elle-mêmepassaitdansl’autrepetitechambrequi lui servaitdebureau.Là,elle rangeadanssonattaché-case ledossierdesplansdunouveaucentre,puisceluidesonfinancement.Elley travaillaitdepuisplusieursmoisetcomptaitbiencontinuer.

Quandill’eutrejointe,ildemanda,indiquantl’attaché-case:—Qu’est-cequetutransportes?—Lesplansdunouveaucentre.—Inutiledetetracasser,jevaismettremonarchitectesurleprojet.Laissetomber.Nerelèvemêmepas…—Tonarchitectepourrapeut-êtres’inspirerdecesplans,dit-elled’untonégal.—Parcequetutecroisplusfortequ’unprofessionnelquiavingtansd’expérience?—Je crois surtoutquenous endiscuteronsune foisquenous aurons les locaux.Avant, ce serait

prématuré.—Cariña,n’oubliepasquedésormaisc’estmoiquisuischargéduprojet.S’approchantd’elle,ilditencore,plusbascettefois:—Toutcommetuesmapropriétépendantletempsquedurerontlestravaux.IlétaitsiprèsqueCharleysentaitsonsoufflesursescheveux.Elleseraidit,essayantd’avalersa

salive,maissagorgeétaitnouée.Commentavait-iluneffetpareilsurelle?Physiquement,dèsqu’elleétaitaveclui,elleledésirait,

maisenmêmetempsellelehaïssait.— Jusqu’à vendredi, je n’appartiens qu’à moi-même, réussit-elle à déclarer d’une voix ferme.

Jusque-là,tun’aspasledroitdemetoucher.—Teconnaissant,tunemeferaspasattendreaussilongtemps,ironisa-t-il.—Jetedéteste!—Jelesais.Cedoitêtreterribledemedétesteretd’avoirenviedemoienmêmetemps.—Jen’aipasenviedetoi!

—Menteuse!Quandnousvivionsensemble,jenem’étaispasrenducomptequetumentais.Direquejetecroyaisquandtudisaisquetum’aimais,etqu’unjournousaurionsunenfant!Envérité,tun’enavaisqu’aprèsmonargent.

Ilavaitprisuntonbadin,maisquandellesetournapourluifaireface,Charleyvitl’éclatdurdesonregard.

—Jenetementaispasetjenet’aipasépousépourtonargent.Ellenesupportaitpasqu’iltourneendérisionlebonheurqu’ilsavaienteuensemble.Carilsavaient

étéheureux,parfoisplusqu’ellenel’auraitcrupossible.—Pourquoid’autrealors?—Jet’aiépousépourtoi,dit-elleavecforce,toiettoiseulement.Jetetrouvaismerveilleux.Ilfeignitunairsurpris:—Parcequejenelesuisplus?—Non,tuescruel.Tutesersdecespauvresenfantspourobtenirmesfaveurs,etc’estignoble.Au

fond,tuveuxtevengerparcequejen’aipasvouluquetumefassesunenfant.D’oùcesmotsluivenaient-ils?Charleynelesaurait jamais,etellelesregrettadèsqu’ilseurent

franchiseslèvres,maistroptard.Levisagecrispé,Raulsepenchapoureffleurersajouedelasienne,etmurmurer:—Jeneveuxpasmevenger,cariña,jetedonnecequetuveux,enéchangetumedonnescequeje

veux.—C’est-à-diremoncorps.—Absolument.Mais si je cherchais une revanche, sache que t’avoir dansmon lit serait la plus

délectablequisoit.

***

L’autrejour,elleluiavaitditqu’ilétaitcruel.L’était-il?Non,Raulnelepensaitpas.Sonproprepère, avant son AVC, était capable d’une grande cruauté, et lui-même s’était juré de ne jamais luiressembler. Certes, il se montrait autoritaire, directif, hautain parfois, mais cruel, jamais. Cependant,c’estainsiquelejugeaitCharlotte.

Iln’avaitpourtantménagénisapeine,nisonargentpour luifaireplaisir :ainsi,quandelleavaitconçu ce projet de location de limousines avec chauffeur pour transporter des hommes d’affaires envoyageprofessionnel.Ilavaitexprimésesdoutes:lesgrandspatronsvoyageaientenavionetavaientleurstaffparticulier,maisCharlottetenantàsonidée,illuiavaitdonnél’argentpouracheterlesvoituresainsiquedesbureaux.Ilavaitaussimisàsadispositionsoncarnetd’adresses,bref,ilavaitfaittoutcequ’ilfallaitpourquel’affairemarche.

Unanplustard,elledéposaitlebilan:plusdecontrat,doncplusderentréesd’argent;maisaulieudeluidemanderconseil,elleavaitpréférétoutarrêter.

Ils’étaitmontrécompréhensif,neluiavaitfaitaucunreproche,etsansrechigner,avaitfinancéunenouvelleentreprise.Cettefois,illuiavaitmêmeprêtél’undesesmeilleursgestionnaires.Rienn’yavaitfait:enquelquesmois,ellefaisaitfaillite.

Cen’estqu’aprèsuntroisièmeéchecqu’ilavaiteuavecelleuneconversationdécisive:ilfallaitregarder la réalitéen face :ellen’étaitpas faitepour lesaffaires. Ilétait tempsde luidonner l’enfantqu’elleluiavaitpromis.

Saréactionavaitétéd’uneviolenceinouïe!Ilnel’avaitjamaisoubliée.Avecunsoupir,ilselevapourallercherchersafemmedanssachambre.Installéeaugrandbureausoussafenêtre,elleétudiaitdespapierséparsdevantelle.—Nousdevonspartirdansuneheure,luidit-il,s’efforçantdeconserveruntoncalme.

—Jeseraiprête,rétorqua-t-ellesansleverlatête.—Allons,Charlotte,quandtusors,iltefauttoujoursaumoinsdeuxheurespourtepréparer.Etengénéralceladuraitbienpluslongtemps:elleavaiteneffetlafâcheusemanied’essayertoute

sagarde-robeoupresqueavantdesedéciderpourunetenue.Venaitensuitelacoiffure,etcen’étaitpasnonplusuneminceaffaire:fallait-ilunchignon,ouunequeue-de-cheval,ouencorelaissersescheveuxlibressursesépaules?Lechoixprenaitdesheures.Pourtant,quedefoisilluiavaitditqu’elleétaitbellequoiqu’elleporte?

—Net’inquiètepas,jeseraiprête,répéta-t-elle.—Quefais-tuaujuste?—Jerevoislesplansdesnouveauxlocaux.—Pourquoifaire,grandsdieux?Jet’aiditquejeprenaismonarchitecte.Ellehaussalesépaules:—J’aipasséuntempsinfinisurcesplans.Ceseraitstupidequetonarchitectenelesregardepas.—Ilserasûrementtrèsheureuxquetuluidonnesdesconseils!ricanaRaul.Charleyrepoussasachaised’unmouvementbrusquepoursedresser:—Jevaismedoucher,dit-elled’unevoixtendue.—Onseretrouvedansuneheure.—Arrêtedemelerépéter,veux-tu?lança-t-elleavecimpatienceavantdepasserdanslasallede

bainsdontellerefermalaporteettirabruyammentleloquet.Dansunmouvementréflexe,Raulserralespoings.Depuis quatre jours, il vivait avec une adolescente bougonne. Malgré sa mauvaise humeur

permanente, il luiavait laisséune liberté relative,maisàprésent, sapatienceétaitàbout.Demain lesactesnotariésseraientsignés,etilfaudraitbienqu’elleremplissesapartieducontrat.

***

Raulpritluiaussiunedoucherapideetserasa.Quandilentradanslesalon,Charlottes’ytrouvaitdéjà.

—Tuesprête?Iln’enrevenaitpas.Ilfutégalementsurprisparsatenue:deslegginsenmatièrebrillantedansdes

dégradésdegris,avecunechemiseensoienoiretoutesimple.Asespieds,dessandalesplatesàlanièresdecuir.

Ellesedirigeaverslafenêtre,etgrâceauxrayonsobliquesdusoleilcouchant,ilputvoirl’adorablesoutien-gorgeendentellenoireàtraverslafineétoffedesachemisesobre.

Elleavaitdûsurprendresonregardcarelledemanda:—Quelquechosenevapas?—Tucomptessortirdînerchezdesamisdanscettetenue?—Biensûr,pourquoicettequestion?—Jesuissurpris,c’esttout.Elleétaitsuperbe,certes,maisdutempsdeleurviecommuneelleneseraitjamaissortiedîneren

pantalon.Aprésent,hormislesoiroùelles’étaitintroduiteàlaréception,etlejouroùill’avaitcueillieausortirdechezsonbanquier, ilne l’avaitvuequ’enjeanouen leggins.Dommage,carelleavaitdesjambesmerveilleuses.

—Detoutefaçonjen’airiend’autre,reprit-ellesèchement.—Qu’as-tufaitdetoutescesrobesquiremplissaienttondressing,autrefois?—Jelesaidonnées.—Puis-jesavoirpourquoi?

Ellehaussalesépaules:—Jetel’aidit,destenuesdeChaneloudeDolce&Gabbanan’ontguèreleurplaceàPocoRio.— Je vais appeler ma sœur pour qu’elle t’accompagne faire du shopping en début de semaine

prochaine.Croisant les bras sur sa poitrine, Charlotte secoua la tête, mais son expression maussade avait

disparu:ellesemblait…ouiellesemblaitpresquetriste.—Jen’aipasenvied’acheterdesvêtements,dit-elle,ceuxquej’aimesuffisent.—Voyons, Charlotte, s’exclama-t-il s’efforçant d’être patient, au cours des quatremois à venir,

nousauronsuneviemondaine,commeautrefois.Desjeansetdespantalonsétaientparfaitspourcequetufaisais au centre, mais ce temps est provisoirement révolu. Tu es ma femme et tu sais ce que celaimplique.

—Faut-ilvraimentquejem’habillecommeunepoupéeBarbie?Raulrefrénasonirritation.—Pasdutout,non,maistuesuneCazorla,ettudoisdonnerunecertaineimage…—Pourquoi?Faisait-elleexprèsdenepascomprendre?— Charlotte, soyons sérieux : nous avons parlé de tout cela quand nous avons décidé de nous

marier.Ma famille est très connue, très respectée,noshôtels le sont aussi, lesgensnous regardent, etnousavonsunrangàtenir.

—Celanemeditpaspourquoijedoism’habillerenpoupéeBarbie.—Personneneteledemande,dit-il,lesdentsserrées,etjenecomprendspasoùestleproblème.

Tuétaissicoquettequandnousvivionsensemble!Il sesouvenaitencorede l’éclatdesesyeux,aprèssapremièreexpéditiondans lesboutiquesde

luxeavecsasœurMarta.Ellenese tenaitplusde joie,et riaitdebonheuren luimontrantcequ’ellesavaientacheté,touteslesdeux.

Illavitébaucherunsourire:c’étaitbienlapremièrefoisdepuisqu’ellehabitaitsoussontoit.—Audébut,c’estvrai,admit-elle,maisunefilledevingtetunansquipeuts’achetertoutcequ’elle

veutchezlesmeilleurscouturiersselaisseprendreaujeu,c’estnormal.—Tureconnaisdoncquetum’asépousépourmonargent?Elleleregardadroitdanslesyeux.—Jeseraifranche:tonargent,ouplutôttonstyledevie,m’atournélatête.Maisjet’auraisépousé

mêmesituavaisvécudansuntaudis.Ileutunriresansjoie.—Heureusementquetun’aspaslenezdePinocchio:ilseseraitallongédepuisquenousparlons.Ellesoutintsonregard:—Sijen’avaistenuqu’àtonargent,pourquoiserais-jepartiesansrien?—Tuaseuquandmêmedixmillionsd’euros.—Quejenet’aipasdemandés,fit-ellevaloir,ettusaistrèsbienquej’auraispuobtenirbeaucoup

plussij’avaisvoulu.— Je te rappelle que notre divorce n’est pas prononcé et que tu peux toujours le demander.

Cependantjetrouvequandmêmecurieuxquetuaiesrepriscontactavecmoiprécisémentquandtun’aspluseuassezd’argentpourfairecequetuvoulais.

Elle voulut répondre, mais il l’en empêcha, avançant pour poser un doigt sur sa jolie bouchesensuelle.

—Allons,dit-il,n’enparlonsplus.Si tu jouesbienle jeu, tudécouvrirasquemagénérositépeutêtresanslimites.

Elleécartasamaind’ungestefurieux,tandisquesesjouess’empourpraient:

—Quandlecentreserafini,toutcequejetedemanderaiseramaliberté.—Etjetelapromets,comptesurmoi.Surquoi,incapabled’yrésister,ilnichauninstantsonvisageaucreuxdesoncoupourrespirerce

parfumdevanillequil’excitaittant.

5.

Cetaprès-midi-là,ilnel’attenditpascommelafoisprécédente:Charlottesortitducentresansuneminutederetard,etdansunétatdegrandeexcitation.Déjàlematin,aupetitdéjeuner,ellenetenaitpasenplace,etavaitavaléplusieurstassesdecafé,sanstoucherauxœufsbrouilléspréparéspourelleparlechef.

—Alors?C’estsigné?demanda-t-elleàpeineavait-elleouvertlaportière.—Oui.—Lecielsoitloué!—Lecieln’yestpourrien.C’estplutôtmoiqu’ilfautlouer.Elleéclataderire.—Ehbienmerci,Raul!C’étaitlapremièrefoisqu’illavoyaitriredepuisbienlongtemps.Cetteréflexionluivintaumoment

oùunhommemaigreauxcheveuxdégarnissortaitàsontourducentre.Charlotteseredressaetcourutlerejoindrepour leprendrepar lesépauleset l’embrassersur lesdeux joues.Un instantaprès, l’hommedisparaissaitavecunlargesourire.

Charlotteregagnavitelavoitureets’yengouffra,lesyeuxtoujoursbrillantd’excitation.—Quiétaitcetype?interrogeaRaul,feignantuneparfaiteindifférence.Voirsafemmesejeteraucoud’unhommel’avait…dérangé.Pourlapremièrefoisluivenaitl’idée

assezdésagréableque,sansdoute,ilyavaiteud’autreshommesdanssaviedepuisleurséparation.—Steve,ledirecteurducentre,expliqua-t-elle.Ilvaannoncerlabonnenouvelleauxautres.Charlotte rayonnait d’une joie telle que ç’en était déconcertant. Etait-ce vraiment l’achat des

nouveaux locaux qui en était la cause ?Ou bien était-elle heureuse d’avoir passé la journée avec ceSteve?

Sansunmot,RauldémarraetengagealaLotusdansletraficassezdense,encemilieud’après-midi.Auboutdequelquesinstants,iln’ytintplus:

—Dis-moi,cedirecteur,tuestrèsamieaveclui?—Oui.—Etiln’yariend’autreentrevous?Elletournalatêtepourleregarder:—TuesentraindemedemandersiSteveetmoisommesensemble?—L’êtes-vous?—Ilestmarié.—Toiaussi.Uncoupd’œildebiaisluirévélaqu’elleavaitrougi,etcefutd’untonmordantqu’ellerétorqua:

—Jeneleseraisplussituavaissignéplusvitelespapiersdudivorce.Maismêmesij’étaislibre,jenefréquenteraispasunhommemarié.

—Parcequetuasfréquentédescélibataires,depuisquetum’asquitté?Elleneréponditpastoutdesuite,etquandellelefit,savoixétaittendue:—Jetelediraiquandtum’aurasditcombientuaseudemaîtressespendantlemêmetemps.Jesais

pourJessica,celaenfaitune,maiscombienyena-t-ileud’autres?Siseulementellesavaitlavérité!Commentréagirait- elleenapprenantqu’iln’yavaiteupersonne

danssaviedepuissondépart?Ils’étaitnoyédansletravail,inspectanttousseshôtels,sesbateauxdecroisière,et rencontrantde trèsbelles femmesdontaucunesansdouten’auraitditnons’ilavaitvoulu,maisvoilà:iln’avaitpasenvie.MêmeJessica,quipassaitpourl’unedesfemmeslesplussexyquisoit,l’avaitlaisséfroid.

Pourquoicette indifférence?Acaused’elle,mauditeCharlotte.Oh! Ilne le luidiraitpas !Elleseraittropcontente.

Aprésent,ildisposaitdequatremoispourselasserd’elle.Etilallaittantenprofiterqu’ilfiniraitparyparvenir.

—Répondreàtaquestionseraitvulgaireetinconvenant,répliqua-t-ild’unevoixégale.—Jesuisd’accord.Illuilançaunnouveauregarddebiaisavantdedéclarer:—Entoutcas,soyonsclairs:tantquetuserasavecmoi,jeneveuxpersonned’autredanstavie.—Jeneseraiavectoiquejusqu’àlafindestravaux,fit-ellevaloird’untonâpre.—Certes,cariña,maisenattendant,jeteveuxàmoi,etàmoiseul.Commepourbienleluifairecomprendre,ilposaunemainsursacuisse.Ileutlasatisfactiondela

sentirfrémiretcompritqu’ellesefaisaitviolencepourdemeurerimpassible.L’héliportétaitenvuequandelledemanda:—Tuasl’acte?—Oui,dansmonattaché-case,tuleverrasàlamaison.C’estqu’ilavaithâted’arriverchez lui,maintenant.Sonpiloteavait reçu l’ordredese tenirprêt

pourqu’ilsneperdentpasuneminute.Cesoir,Charlotteseraitàlui,danssonlit,etsielleavaiteudesamantspendantleurséparation,ilsejuraitbiendelesluifaireoublier!

***

Enarrivant chezRaul,Charleyavaitperdu sabonnehumeur.Elleavait l’impressiondeporter lepoidsdumondesursesépaules.Raulavaitdouchésonenthousiasmeenlaissantentendrequ’elleavaitpeut-êtreuneaventureavecSteve.

Oh!ilétaitnormalqu’illasoupçonnedel’avoirtrompé.Deuxans,c’étaitlong.D’autantplusqueluiavaitcontinuésavie:unenouvellemaison,denouvellesfemmes,d’autresaffaires…C’étaitcommesiellen’avait jamaiscomptépour lui.Commetoujours…Déjàsonpèreoubliait jusqu’àsonexistencequandilnelavoyaitpas,etillavoyaitsirarement!

NepascompterpourRaulavaitétésahantisependantlesannéesqu’ilsavaientvécuesensemble:qu’ilouvreenfinlesyeuxetlavoietellequ’elleétait,danstoutesabanalité,voilàcequ’elleredoutaitleplus.Etbienentendusespirescraintess’étaientconfirmées : ilavaiteuJessicaetcombiend’autres?Pourceuxqu’elleaimait,Charleyn’étaitquequantiténégligeable,ellelesavaitdepuislongtemps.

Certes,pendantcesdeuxannées,d’unecertainemanière,elleaussiavaitcontinuéàvivreets’étaitfaitdenouveauxamis.Desvrais, ceux-là,qu’elleavait choisis.C’est lapenséequi lui étaitvenue, laveilleausoir,lorsdecedîneravecDiegoetElana.Commec’étaitrassurantetenrichissantd’avoirdevraisamis,aucontraired’Elanaquin’étaitqu’unerelationmondaine.

Elle la connaissait depuis le début de sonmariage : Elana avait été la secrétaire de Diego, uncélèbre chirurgien esthétique, avant de l’épouser. Elle était alors devenue l’incarnation de la créatureparfaitetellequ’onlaconcevaitdanscertainsmilieuxhuppés:nez,pommettesetseinsrefaits,elleétaittoujourshabilléeàladernièremodeetneportaitquedestalonsvertigineux.

Toutesles«amies»deCharleyàl’époqueétaientsurlemêmemodèle:ellesavaientlelooketlecomportementqueleurmariattendaitd’elles,leurservaientdefairevaloiretsecomportaientcommedesautomates.

Hiersoir,dureste,Charleyavaitremarquédeschosesquinel’auraientpaschoquéeavant:ainsi,Elanamangeaitàpeineetduboutdes lèvres,pouréviter lescalories superflues ; avantd’émettreuneopinion,elleconsultaitsonmariduregard.Autantdesignesque,malgrésaréussiteéclatante,savieétaitvide,toutcommeelle-même.Charleyavaitéprouvécemêmesentimentdevideintérieurjadis,etc’estcequiavaiteuraisondesonmariageavecRaul.

Pendantlesdeuxannéesécoulées,elleavaitcherchéàcomblercevide,ens’efforçantd’identifierses vrais désirs. Une tâche ô combien difficile et douloureuse, qui l’avait empêchée sans doute des’intéresseràunautrehommequesonmari.Commesisalibidoétaitrestéefixéesurluietluiseul.

Ellelerejoignitdanslesalon,etilluitenditunverredevin.—Trinquonsànousdeux,déclara-t-il,levantsonverre.—Aunouveaucentre,plutôt,rectifia-t-elleenl’imitant.—Lesdeuxvontensemble,fitvaloirRaulavecuneétrangelueurdanssesyeuxtrèsbleus.Nulbesoind’êtregrandclercpourdevinercequ’ilavaitentête.Charleybaissalesyeux,furieuse

desentirunedoucechaleursourdreaucreuxdesesreins.D’unseulcoup,dessouvenirsdeleursnuitsdepassiondéferlèrentdanssonesprit, luicoupantle

souffle. Comme ils s’aimaient alors… Jamais ils ne se lassaient de faire l’amour, ils jouissaientensemble,l’unpourl’autre,l’unparl’autre…

Assez,Charley!Ilnet’ajamaisaimée,iln’afaitquetedésirer.Tun’étaispasassezbienpourlui,ettunel’estoujourspas.Asesyeux,tun’esqu’uncorpsdefemmedestinéàlesatisfairequandilenaenvie.

Pourtant… oui, pourtant… dans un contexte pareil, pour la première fois depuis qu’elle leconnaissait,l’idéedefairel’amour—ouplutôt,decoucheravecluilarévoltait.Elleméritaitmieuxqued’être traitéecommeunsimpleobjetdeplaisir.Commentrepousseraumaximumlemomentoùellesetrouveraitseuleaveclui?

—J’aimeraisjeteruncoupd’œilàl’actedeventedeslocaux,dit-elleaprèss’êtreéclaircilagorge.Ileutuneexpressionénigmatiqueetréponditavecflegme:—Situveux.Commeilouvraitsonattaché-case,sonportablevibra.Avecunegrimace,illetiradesapochepour

consulterl’écran,puissortitdusalonpourrépondre.Charleyhésita de longues secondes, les yeux fixés sur l’attaché-case.Enfin, incapable d’attendre

davantage,elle l’ouvritetensortitunevolumineuseenveloppeenkraftbrun.Elleportait l’adressedesnouveauxlocaux,c’étaitdoncledossierqu’ellecherchait.Lajoieaucœur,elleentrepritdelefeuilleter.

Ellenecomprenaitpas tous les termes juridiques,mais saconnaissancede l’espagnolétaitassezbonnemaintenantpoursaisirlesensdecequiétaitécrit.Aussiparcourut-elleledocumentjusqu’aubout,avantdelerefermerenfronçantlessourcils:quelquechosen’allaitpas,maisquoi?

Maisoui,ill’avaittrompée!AvecRaul,ilsétaientconvenusqueleslocauxseraientàsonnomàelle.Orillesavaitmisàsonnomàlui!

Furieuse,elleseprécipitadanssonbureau.Assisàsatable,ilparlaitautéléphone.—Menteur!s’écria-t-elleavectoutel’indignationqu’elleéprouvait.Ils’immobilisa,etditquelquesmotsàvoixbasseàsoninterlocuteuravantderaccrocher.

—Quelquechosenevapas?interrogea-t-ilavecuncalmequidécuplalafureurdeCharley.—Tuasmisleslocauxàtonnom!cria-t-elle.—C’estvrai.—Tuavaisditqu’ilsseraientàmoi!—Non,j’aiditqu’ilsseraientaunomdeCazorla,etc’estcequej’aifait.—Tujouesdefaçonignoblesurlesmots.Tusaistrèsbienquejepensaisenêtrepropriétaire!Une

foisaménagés,jevoulaislesdonneraucentre!Raulsemitàrire:—Ehbienj’aiprislabonnedécision,mesemble-t-il.Tesamisnesontquedevagueséducateurs,

pasdesgestionnaires!—Neparlepasavectantdeméprisdecesgensquetuneconnaispas!rétorqua-t-elle,cinglante.

D’ailleurs,iln’ajamaisétéquestionqu’ilsgèrentlecentre,c’étaitmoiquidevaislefaire.Jenemesuispaslancéedansceprojetàlalégère.

—Peut-être,maissansmoi,tun’auraispasputrouverdefinancementparceque,avectonpassédefemmed’affaires,lesbanquesn’ontpasconfiance.

—Tuesignoble!—Jene comprendspasdequoi tu teplains, repritRaul avecuncalmeexaspérant.Tuauras ton

nouveaucentre,tul’aménagerasavecautourdetoiuneéquipequit’empêcheradefairedesbêtises.C’estl’idéal,non?

—Maistoutseferasoustoncontrôle,n’est-cepas?Ilhaussalesépaules:—Qu’estcequecelachange?Cettefois,ç’enétaittrop!—Jeveuxêtreresponsabledeceprojet,lecomprends-tu?rugit-elle,ivredecolère.—Necriepas,c’esttrèsdéplaisant.—Situsavaiscommequejem’enmoque!—Tuastort.N’oubliepasquelestravauxn’ontpasencorecommencé.Illamenaçaitdetoutarrêter,c’étaitclair!—Tuparlessérieusement?Sijenem’inclinepas,tunefinancerasplusrien?—S’illefaut,eneffet.Jetel’aiditmillefois,situremplistesengagements,jeremplirailesmiens.—N’empêchequetum’asmenti!—Non,c’esttoiquiasmalcompris.Surcesmots,ilselevaavantd’ajouter:—Jet’aitoujoursditquejegarderaislamainsurleprojet.Considèrelecôtépositif:cettefoisil

aboutira,àl’inversedetesprojetsprécédents.PourCharley,lacoupeétaitpleine.Siellerestaitunseulinstantdeplusensaprésence,elleallait

lui envoyer lepremierobjetvenuà la figure.Aussi sortit-elle en trombeet courut se réfugierdans sachambre.

Quandelleenouvritlaporte,lechoclafitchanceler:lapièceavaitétéentièrementvidée!Danslapenderie, ses vêtements avaient disparu, dans la commode aussi, tout comme dans la salle de bainsattenante.

Lelitavaitétédéfait;nerestaientquelematelasetlesdeuxoreillers.—J’aifaittransportertesaffairesdansmachambre.Ellepivota:Raulappuyéauchambranledelaporteaffichaitunairsatisfait.—Tun’aspasperdudetemps!Ileutunsourirenonchalantetavançapourposerlesmainssursesépaules;puisilsepenchasurses

cheveuxpourenrespirerl’odeur.

—Tugaspillestonénergieàt’emporterainsi,murmura-t-ilenluiprenantlesmains.Viens,jevaistemontreroùtuvasdormircesquatreprochainsmois.

—Jepréféreraisdormirdansuncaveau!siffla-t-elleentresesdents.—Allons,cariña,tutiensàmemettreencolère?Letonétaitcaressantmaislamenaceclairementperceptible.—Jememoquebienquetusoisfurieux!Toutcequejesais,c’estquetut’esmoquédemoi.—J’aiinvestipasmald’argentdanstonprojet,jeneveuxpastoutperdre.S’adjurantaucalme,elledemanda:—Tumedonnerasleslocauxquandlestravauxserontachevés?Illaregardaquelquesinstantssansrépondre,plissantsesyeuxsibleus.—Si tumeprouvesquetu t’intéressesàcecentre,quetuensuis les travauxavecténacité,alors

j’envisageraipeut-êtredelefaire.—Pourquoipeut-être?—Jeneveuxpastefairedefaussespromesses,cariña.Puissavoixseréduisitàunmurmureinfinimentséducteur,commeilnichaitsonvisagedanssoncou

etpromenaitseslèvressursapeau.—Assezparlédetravaux,jeconnaisdesfaçonsbienplusagréablesdepasserdutempsensemble.Charleyserraplusfortlespoings,tropémueparlesoufflechauddanssoncou…Commentpouvait-

ilencorelatroubleràcepoint?

6.

Leursdoigtsentrelacés,Raull’entraînadanssachambre.Apeineenavaient-ilsfranchileseuilqueCharley libéra sa main et, après s’être débarrassée sans ménagement de ses sandales, alla se placermilieudelapièce.Là,sanslequitterdesyeux,elleenlevasontopetlejetaparterre,avantd’ouvrirlafermeturedesonshortquiàsontourtombasurseschevilles.Elles’enlibérad’uncoupdepied.

Raul, hypnotisé, regardait ce strip-tease impromptu. Où Charlotte voulait-elle en venir ? Sessplendidesyeuxvertsbrillaientd’unfeuétrange…maiscommentréfléchirquandelleenlevaitmaintenantsonpetitsoutien-gorgeendentelleblanche,bientôtsuiviparsonstringminuscule?

Toussesvêtementsgisaientautourd’elleàprésent,etelleétaitnue,complètementnue, lesmainsposéessurleshanchesetlementonpointéenavantenuneattitudedeprovocationtotale.

Ilvouluts’approcher,maisquelquechoseleretint.Sesyeuxvertssansdoute,dontilcompritsoudainqu’ilsnebrillaientpasdedésir,maisdedéfi!—Voilà,dit-elleavecuneinsolencebienperceptible,jesuisprête.Situmeveux,prends-moi!Dieu, qu’elle était belle avec ses seins bien ronds aux aréoles presque brunes et si sensibles…

Quandillescaressait,jadis…Soudainluirevintlesouvenirdelapremièrefoisqu’il l’avaitvuenue.Elleétaitblondplatine,à

l’époque, et il avait ri de lui découvrir une toison pubienne presque brune.Ah, comme il avait aimél’explorer avec sa bouche, cette première fois… Il adorait sentir l’excitation monter en elle, tandisqu’elle secabraitpourmieuxs’offrir auxcaressesde sa langue…Sa femmeavait toujoursaiméqu’ill’embrasseainsi, la fouille, la lèche…et luines’enétait jamais lassé, s’abreuvantavecvoluptéàcetélixird’amour.

Iln’enpouvaitplus àprésent.Sonpénisdur, tendu, lui faisaitmal à forcededésir.Maisnon, ilresteraitmaîtredelui.Charlotteravaleraitsondéfiavantqu’illuifassel’amour!

Croisant lesbras, il s’approchad’elle.Ellesemità trembler,maisconserva lementonfièrementpointé.Alorssanscesserdelafixer,ilempaumasesdeuxfesses.

—Tuveuxquejeteprennemaintenant,n’est-cepas?chuchota-t-il,caressantavecvoluptélachairfermesoussesdoigts.

—Tupeuxfairecequ’ilteplaît,murmura-t-elleàsontour.Illuisemblaqu’elleavaitlesouffleunpeucourt,pourtantquandilpritseslèvres,elleluirésista.—Jecroyaisquejepouvaisfairecequejevoulais?grinça-t-il.—Oui,maisjenesuispasforcéed’yparticiper,nid’yprendreduplaisir.Sedégageant, il fixa lesyeuxvertspleinsd’insolence.Ah, il comprenait sonpetit jeu !Ehbien,

riraitbienquiriraitledernier!

De nouveau, il s’approcha pour caresser les deux seinsmagnifiques ; en en pinçant à peine lespointes,ileutl’ineffablesatisfactiondelessentirdurcirsoussesdoigts.Malgréelle,elleéprouvaitceplaisirauquelellevoulaitsesoustraire!Elleavaitadoréqu’iljoueavecsesseins,ettoujoursdanscesmoments-là,tandisqu’ilinventaitmillecaressesnouvelles,ellegémissaitdoucement.

Pas aujourd’hui. En revanche, elle avait entrouvert les lèvres, et… non, il ne rêvait pas, ellehaletait,sanscesserdefixersurluisonregarddedéfi!

Ildésignalefauteuil,dansuncoindelachambre.—Vat’asseoirlà!ordonna-t-il.Elle avala sa salive, fixant le siège sans comprendre. Comme elle ne bougeait pas, il réitéra sa

demande,ajoutant:—Tum’ascompris,outuveuxquejeteporte?Elle obtempéra puis le regarda ; ses yeux disaient : « Tu peux faire ce que tu veux,mais tu ne

m’obligeraspasàavoirduplaisir.»Ehbien,c’estcequel’onverrait!Affichantunsouriretrèsdétendu,Raullarejoignitavecnonchalancepours’agenouillerdevantelle.

Sansunmot, il lasaisitpar lescuissespour l’attirerà luidesortequesonvisagesoità lahauteurdutrianglebouclédontilrêvaitdepuissilongtemps.Yenfouirsabouche,puisplongerenelle…ah,ilauraittoutdonnépourunbonheurpareil…

Par un effort de volonté surhumain, il se domina, écarta doucement les cuisses qui défendaientencorecesexequilerendaitfou:enfinilfutàlaportéedesabouche,desesyeux,desonnez!Alors,sansattendre,ilentrepritdeletaquiner.

Charlottenebougeapas,tendueàl’extrême.Quoiqu’elleressente,sonespritpourl’instantgagnaitlapartie.

Alors Raul caressa sans hâte les jolies lèvres à la peau si douce et dont la moiteur le rendaittoujoursfou,puisil introduisitavecunelenteurextrêmeundoigtenelle:elleétaithumideetchaude!Réprimantavecpeineuncridetriomphe,ilentrepritdel’embrasser,léchantavecvoluptélesucd’amourquicommençaitàsourdre,humantcetteodeurexquisequin’appartenaitqu’àsafemme.Quand il repritsonsouffle,ilneputs’empêcherdesoupirerdeplaisir.

Charlotteétaittoujoursassisedanslefauteuil.Ilrepritsescaressesavecsabouche,taquinantsonfourreaud’amour avecunedouceur à laquelle, il le savait, elle n’avait jamais résisté.Et quand il euttrouvélerythmequ’elleaimait,alorsenfin,illasentitcéder.

Lui-même était prêt à exploser, mais il n’en ralentit pas ses caresses, au contraire, redoublantd’ardeur jusqu’à ce qu’il perçoive ses premiers soupirs. Quel bonheur ! Elle s’abandonnait enfin, secambraitpourallerau-devantdesabouche,ettoutsoncorpsendemandaitplus,toujoursplus.

Ses gémissements se faisant plus rauques, Raul releva le visage un instant : les yeux verts, siinsolentsunpeuplustôt,étaientcommerévulsés,etsoudain,toutsoncorpssetendit:ellejouissait!

Alorsilenfouitdenouveaulatêteaucœurdesaféminitépourmieuxressentirlessoubresautsquil’agitaient,avantqu’ellenes’alanguisse,vaincue…

Cefutseulementquand il se levaqu’elle le regarda :sesyeuxétaientécarquillés,commeahuris,mais déjà l’expression de défi reparaissait. En cet instant, il aurait pu se déshabiller en hâte et laprendre:elleauraitaussitôtperducetairinsolent,etauraitjouiunesecondefois.

Maisàcepetitjeududésir,elleauraitgagné.Orilnelevoulaitpas.Quandillaprendrait,ilvoulaitqu’elleleveuille,qu’ellecriesonnom,qu’ellelesuppliedeluidonnerduplaisir,pasqu’ellesedéfendedelui.

— Je vais prendre une douche, annonça-t-il d’un ton dur. Va te préparer, nous sortons dans uneheure.

Etsansunregardenarrière,ildisparutdansl’unedesdeuxsallesdebainsattenantes,enfermalaporteetsedéshabilla.

Sonérectionétaittoujoursaussidouloureuse.

***

CommeRaul,lafamilleCazorlaoccupaitunesplendidemaisondansunquartiertrèsrésidentiel.Amesurequelavoitureenapprochait,Charleysentaitcroîtresanervosité.

Dînerchezsesbeaux-parentscesoir,aprèscequis’étaitpasséunpeuplustôtavecRaul,étaitàlalimitedusupportable!

Quand il avait disparu pour prendre sa douche, la laissant nue dans le fauteuil, elle aurait voulumourir de honte, ne plus exister. Puis très vite elle avait compris qu’en la traitant ainsi Raul n’avaitcherchéqu’àl’humilier.Devantcetteévidence,elleavaittrouvélaforcederéagir:ellen’avaitpassudominersoncorps,certes,maisellenedonneraitpasàsonmarilasatisfactiondecroirequ’ilavaitaussilepouvoirdecontrôlersessentiments!

Asontour,elleétaitpasséedanslasecondesalledebainsetaprèsavoirprisunedouche,pensantqu’ill’emmenaitaurestaurantcommesisouventautrefois,elles’étaithabilléesimplement,d’unpantalonensoiecouleurpruneassortid’unampleT-shirt,ensoieaussi,d’unbeaurosevif.

Cen’estqu’unefoisdanslavoiturequeRaulluiavaitannoncéleurdestination.—Tes parents savent que je t’accompagne ? finit-elle par demander, incapable de dissimuler sa

nervositéàl’idéederevoirsabelle-famille.—Tuimaginesquejeferaiscegenredesurpriseàmamère?l’interrogea-t-ilavecunlentsourire.

Biensûrquenon,maistun’asrienàcraindre:chezmoi,onsaitsetenir.Commeildisaitvrai!LesCazorlafaisaientbonnefigurequellequesoitlasituation.Jamaisilsne

laissaienttransparaîtrelamoindrefaille.Lemaîtred’hôtellesaccueillitetlesconduisitausalonoùlesattendaientLucetta,lamèredeRaul,

etMarta,sasœur.Toutesdeuxétaienthabilléescommepourunepremièreàl’opéra,etd’embléeCharleysesentitbienmodestedanssatenuesisimple.

Heureusement, lesdeux femmes avaient toujours étégentilles avec elle, surtoutMarta. Il est vraique,quandRaulavaitprésentésafuturefemmeàsafamille,c’estMartaqu’ilavaitchargéedefairesonéducation pour qu’elle devienne l’épouse parfaite d’un Cazorla. S’en étaient suivies d’innombrablesexpéditions dans les boutiques les plus chics de Barcelone, pour lui composer une garde-robe à lahauteurdesattentesdesonmari.Elless’étaientbienamusées,touteslesdeux,etavaientnouéuneamitiésincère.

Lucetta, de son côté, sansmanifester un enthousiasmedélirant devant le choixde son fils, s’étaitdonnédumalpourqueCharleysesenteàl’aisechezlesCazorla;maisseseffortsétaient-ilsdictésparuneaffectionréelle,ouseulementparlesensdesconvenances?Charleysel’étaittoujoursdemandé.

Quoi qu’il en soit, les apparences comptaient beaucoup chez les Cazorla, et les femmes enparticulier devaient en toute occasion être élégantes, sophistiquées, porter des tenues de marquesprestigieusesetdeschaussuresàtalonsvertigineux.

En tout cas, si elles trouvèrent la tenue de Charley modeste, elles n’en montrèrent rien : ellesl’embrassèrentaveceffusion,manifestantbeaucoupdejoiedelarevoir.

Trèsvite,Martaluitenditunadonis,l’apéritiffavoridesCazorla,uncocktailàbasedesherrytrèssec.Puis,laprenantavecaffectionparlesépaules,elles’exclama:

—Jesuissicontentedetevoir!Jesavaisbienqu’unjour,tureviendraisàlaraison.CharleycroisaleregarddeRaul:illuiintimaitdenepasladétromper.—Moiaussi,jesuisheureused’êtreici,murmura-t-elle,serrantlatailledeMarta.MentirluidéplaisaitcarMartaétaitrestéeuneamie,etellesn’avaientjamaisperdulecontact,ces

dernièresannées.

Poursedonnerunecontenance,ellebutunegorgéedesoncocktail:cegoûtdélicieuxqu’elleavaitoublié déclencha soudain une vague de souvenirs : elle retrouvait la couleur du temps où elle était siheureuse avec Raul qui savait se montrer tendre, attentionné… Elle n’avait pas que des mauvaissouvenirsaveclui…

S’obligeantàrevenirauprésent,elleportasonregardsurlui.Ilparlaitavecsamère,etpouruneobscure raison leur attitude la frappa : aucune manifestation d’affection entre eux, moins encore defamiliarité. Seulement du respect de la part de Raul, et de la distance chez sa mère. Comme c’étaitétrange…

La porte du salon s’ouvrit de nouveau, et Eduardo Cazorla, le père de Raul, apparut dans sonfauteuilroulantquepoussaituneinfirmière.

Endeuxans,iln’avaitpaschangé:lecôtégauchedesonvisageétaitaffaissé,etonavaitposésesmainsinertessursesgenoux,commetoujours.Seulssesyeux,aussibleusqueceuxdesonfils,gardaientleur éclat, indiquant sans l’ombre d’un doute que dans ce corps infirme continuait à vivre un cerveauaussiactifqu’ill’étaitlejouroùl’AVCavaitfrappé.

EnvoyantCharley,sesyeuxcherchèrentaussitôtRaulquineditpasunmot,fixantsonpèreavecuneexpressionsidurequeCharleyenfuteffarée.Pourquoicesdeuxêtressemblaient-ilssejuger…etpeut-êtremêmesehaïr?

Lucetta,qui s’approchaitde sonmari, la tirade ses réflexions.Elle sepenchapour luiparlerenespagnolmaiselles’exprimaitsivitequeCharleyneputcomprendre.Sansdouteluiexpliquait-ellequesonfilsetsonépouses’étaientréconciliés.

Elle luiparlaitencorequandlemaîtred’hôtelapparut,annonçantquelerepasétaitservi.Tout lemondepassaàlasalleàmanger.

CharleysetrouvaassisefaceàRaul,etàcôtédeMarta,tandisqueLucettas’installaitàgauchedesonfils,Eduardoconservantsaplacehabituelleauboutdelatable,avecàcôtédeluisoninfirmière,unejeunefemmebrune,pourl’aideràmanger.

Lerepascommetoujoursserévélaexcellent:gaspachopourcommencer,suividecalamaresensutinta,descalamarscuitsdansleurencre,unespécialitéduchefabsolumentexquise.

Aufildudîner,Raul,commeil lefaisait toujourspendantcesrepasdefamille, résumal’étatdesaffaires familiales, parlant dupersonnel qu’il avait recruté, des employésqu’il avait dû licencier, deshôtelsencoursderénovation,desprofitsdégagésparlanouvellecompagnied’aviation…

Commeilparlait,Charley,que lesujetn’intéressaiten rien, se renditcomptequ’ilnes’adressaitqu’àsonpère.Etletonpleindedéfidontilusaitaveccethommeinfirmeladéconcerta.Sansdouteenavait-iltoujoursétéainsi,maisellenel’avaitjamaisremarqué.

Etait-ce le signe que les Cazorla, derrière leur façade de haute respectabilité, connaissaient desdifficultésrelationnellescommebiend’autresfamilles?C’étaitlapremièrefoisquecetteidéeluivenait,ellequiétaitpourtantissued’unefamilleoùlesconflitsétaientfréquents.Ellesepritalorsàregardersabelle-famille sous un autre jour : Lucetta d’abord, parangon de respectabilité, puis Eduardo, chef defamilleinfirme;Marta,lafille,dotéed’unefantaisiemalicieusequinesemanifestaitqu’enl’absencedesadominatricedemère.EtenfinRaul,lefilsquisedevaitd’êtrelemeilleurentoutetpartout.

Aprèsdeuxansd’absence,Charleyavaitl’impressiond’assisteràunjeudemarionnettes,oùchacunportait unmasque afin de dissimuler tout ce qui aurait pu être interprété comme un sentiment ou uneémotion.

Dutempsdesavieconjugale,cesdînersdefamillel’intimidaient,etelleavaittoujourspeurqu’onla juge,endépitdeseseffortspourêtreà lahauteurdesexigences familiales.C’était sansdoutecettepeurquil’avaitempêchéedevoircequisepassaitautourd’elle.

Unepreuvedeplusquependantlesdeuxansécoulés,elleavaitréussiàsetrouverelle-même.Quoiqu’il arrive à l’avenir, elle ne se perdrait plus jamais, elle se le jura. Plus jamais elle n’accorderait

d’importanceauregarddesautres.

7.

—Quandas-tuvuMarta?demandaRaulsitôtqu’ilsfurentpartis.Sanschercherànier,Charlotteréponditparunequestion:—Tuveuxsavoirladernièrefoisquejel’aivue?Donc il ne s’était pas trompé. Sa sœur et sa femme avaient continué à se fréquenter. C’est le

comportementdeMartaquiluiavaitmislapuceàl’oreille.Celle-ci,pourtantd’unnatureltrèscurieux,neluiavaitpasposéuneseulequestionsursavie,cesdeuxdernièresannées.

—Parcequevousvousvoyiezsouvent?s’enquit-ild’untonâpre.—Detempsentemps,admitCharlotte.—Jemetrompeoùmamèren’étaitpasaucourant?—Nousavonspréférénerienluidireparcequ’elleseseraitcrueobligéedet’enparler.Ellel’auraitfait,c’étaitcertain.Parloyautéfamiliale.—Quiaprisl’initiativedecesrencontres?insista-t-il.—Moi,maiscelas’estpassépresqueparhasard.Charlottetournalatêtepourleregarderetreprit:—J’étaisalléevoirmonpère…—Tonpère?—Oui,ils’estinstalléenEspagnepeuaprèsnotrerupture.IlvitmaintenantprèsdeBarcelone,sur

lacôte.—Commenta-t-ileulesmoyensdeseloger?Sonbeau-pèreétaitunbonàrien,Raullesavait.Ladernièrefoisqu’ilavaitentenduparlerdelui,il

venaitdedéposerlebilanaprèsavoirmontéunedecesaffairesrocambolesquesdontilavaitlesecret.— Je lui ai acheté une maison, expliqua Charlotte qui, loin d’avoir l’air gênée, semblait très

satisfaite.—Tuluiaspayéunevillaavecmonargent?tonna-t-il,incapabledecontenirsonindignation.—Disonsquec’étaitmonargent,puisquetumel’avaisdonné.Jesaisquetunel’aimespas,mais

c’estquandmêmemonpère.Raulprituneprofondeinspiration.Ilsavaientdéviédeleursujetdeconversationinitial,etilfallait

yrevenir,maisd’abord,ildevaitrectifierlavérité:—Jen’airiencontretonpère,sinonlafaçondontilvousatraitées,tamèreettoi,quandtuétais

petite. Ilaabuséde l’innocencede tamèrequin’avaitquedix-septanset l’a laisséeéleverseulesonenfantsansjamaisl’aider.

Le comportement de Graham Hutchinson envers sa fille et la mère de celle-ci l’avait toujoursindigné. L’homme avait quatorze ans de plus que la mère de Charlotte ; en apprenant qu’elle était

enceinte,aulieud’agirdemanièredécente,ill’avaitlaisséetomber.Ensuite,ilavaitsurgidansleurviedetempsentemps,quandcelal’arrangeait,leurpréféranttoujourslesdeuxfilsqu’ilavaiteusavecuneautre femme. Charlotte et sa mère avaient vécu dans la précarité, pendant que Graham prenait desvacancesàl’autreboutdumondeetconduisaitdesvoituresdesport,persuadéquelesquelquescadeauxluxueuxetinutilesqu’illeurfaisaitparfoiscompensaientunepensionalimentairerégulière.Bref,c’étaitunêtreviletsuperficiel.

Maisaufildutemps,Raulavaitcomprisquesafemmenesupportaitpasqu’oncritiquesonpère:toutdesuite,ellesortaitsesgriffesetledéfendait.

—Toutcelaestdupassé,ditCharlotted’untondéfinitif,iln’estpasparfait,jelesais,maisc’estmonpèreetjel’aime.Iln’avaitnullepartoùaller,etvoulaitserapprocherdemoi.J’avaisdel’argent,alorsjeluiaiachetéunemaison…

—Sijecomprendsbien,ilapriscontactavectoiparhasard,justeaprèsnotreséparation?ironisaRaul.

—Noussommestoujoursrestésencontact,rétorquaCharlotteavecaigreur.Maiselleneniaitpasquesonpèreavaitsciemmentchoisisonmoment!Quand sa fille s’étaitmariée,Graham s’était comporté comme s’il avait décroché le gros lot, et

n’avaitpascachéqu’ilcomptaitsursonnouveaugendrepourl’entretenir.Audébut,Raulluiavaitprêtédespetitessommesdetempsentemps;ensuiteill’avaittenuàdistance.Etl’homme,dèsqu’ilavaitsentil’instantpropice,étaitrevenuàlacharge,telunvautour.Avecunsoupir,Raulrepritlesujetquiluitenaitàcœur:

—Explique-moilerapportentretavisiteàtonpèreettesrelationsavecmasœur…—Quandpapas’estinstallédanssanouvellemaison,jesuisalléelevoiret,enpassant,jemesuis

arrêtéechezMartapourluirendredeslivresqu’ellem’avaitprêtés.—Parcequetuluiavaisempruntédeslivres?Jamais,augrandjamaisiln’avaitvuCharlottelireunlivre.—Jel’aifaitsouvent.Avraidire,c’étaitellequivoulaitquejeliseenespagnol:ellepensaitque

j’apprendraisplusvitelalangue.—Pourquoinem’enas-tujamaisparlé?—Tuteseraismoquédemoi!D’oùtenait-elleuneidéepareille?—Pourquoimeserais-jemoquédetoi?—Quandj’essayaisdeparlerespagnol,turiais.Première nouvelle. Il avait toujours trouvé adorables ses efforts pour parler la langue de son

nouveaupaysets’ilavaitriparfois,c’estparcequ’ilétaitfierqu’ellesedonnedumal.Etelleavaitcruqu’iltrouvaitseseffortsrisibles!

—Jenememoquaispasdetoi,luiassura-t-il,ettoutdesuite,illuiintima:—Revenonsànotresujet :dece jouroù tuas rapportéses livresàMarta,vousavezdécidéde

continueràvousvoir,c’estcela?—Pasvraiment,non.Disonsquedetempsentemps,nousallionsprendreuncaféensemble.C’était

spontané.N’imaginepasuneconspirationcontretoi,ceseraitabsurde.—N’empêchequevousn’enavezparléniàmamère,niàmoi.Raul secoua la tête : une telle duplicité le laissait pantois. Il est vrai queMarta n’avait pas les

mêmesvaleursquelui.Elleavaiteuuneenfancesidifférente!Sonpèrequil’adoraitlagâtait,alorsqu’iln’avaitquedesmotsdursetméprisantspoursonfils.

—Martaavaitpeurquetunesoisfurieux,fitvaloirCharlotte.Ellecraignaitquetun’yvoiesdesapartunmanquedeloyauté.

—Sicen’enestpasun,qu’est-cequec’est,alors?Maisnon,jenesuispasfurieux.

—Ahbon?s’étonnaCharlotte.Maisalors,queressens-tu?Ils’obligeaàafficherunmasqued’impassibilité.—Rien.Lesilences’établitentreeux,puisCharlottefinitparobserver:—Riennechange,n’est-cepas?—Dequoiparles-tu?— Tu dois toujours tout maîtriser, murmura-t-elle avec tristesse, même tes sentiments et tes

émotions.Quelledrôledenotiontuasdelaperfection!Cettefois,lesilencequisefitdansl’habitacleétaitassourdissant,etRaulsentitsesmainssecrisper

surlevolant.Enfinildemanda,d’unevoixplustenduequ’iln’auraitvoulu:—Tuasbeaucoupbu,cesoir?—Tuvois,plutôtqued’affronterlaréalité,tupréfèresesquiverlesujet.Ilprituneprofondeinspiration:non,ilneselaisseraitpasentraînerdansunediscussiondontilne

voulait pas, et qui ne lemènerait à rien sinon à perdre le contrôle de lui-même.Enfant, déjà, il avaitapprisàrestermaîtredelui,sonpèreyavaitveillé.

Ilserappelaitunjouroù,àlatablefamiliale,celui-ciavaitlusonbulletinscolaire,etaprèsl’avoirdisséquédanssesmoindresdétails,luiavaitdemandépourquoiiln’étaitquesecondenmathématiques.

«J’aimanquéunegrandepartiedutrimestreparcequej’avaislascarlatine»,avaitexpliquéRaul.Enguisederéponse,sonpèreavaittapédupoingsurlatableavantdedéchirerlebulletin.Puisilavaitdécrétéquesonfilsseraitprivédesportpendantquinzejours!

Marta, qui pourtant travaillait beaucoupmoins bien, était toujours félicitée par son père, si bienqu’un jour,Raul avait demandé pourquoi ils étaient traités différemment.Avec pour résultat d’être denouveauprivédesportpendantdeuxsemaines!Iln’avaitalorsqueonzeans.

—Jen’esquiveriendutout,articula-t-il,faisantuneffortsurhumainpourquesavoixresteneutre,etjenecontrôleriennonplus,pasplusmessentimentsquemesémotions.

Ilsetournapourluiadresserunsourirequ’ilvoulaitégrillard,avantd’ajouter:—Surtoutcellesquim’agitentau-dessousdelaceinture.

***

Charley se déshabilla à la hâte, et fit sa toilette pendant que Raul téléphonait dans son bureau.Revenuedanslachambre,ellefixaquelquesinstantsl’immenselitàdeuxplacesavecsesdrapsdesoieetsesoreillersénormes.CombiendefemmesRaulavait-ilinvitéesàpartagercelit?Pourchassercettepensée idiote, elle se coucha, se réfugiant de « son » côté du lit avant d’éteindre la lumière. L’étéespagnolbattaitsonplein,maisdanslachambreilfaisaitunetempératurepolaire:Raulavaitdûmettrelaclimatisationàfond.

Pourvuquesontéléphonel’occupeassezlongtempspourqu’elleaitletempsdes’endormir!Hélas,cesoir,lesommeilnevenaitpas:latension,sansdoute,etlespenséesquisebousculaient

danssatête.Ledîneravecsabelle-famille,d’abord.Pourlapremièrefois,elles’étaitsentiespectatrice,sanss’inquiéterqu’onlajuge,sansavoirpeurdecommettreunimpair.

Quelledrôlede famille,quandon la regardait ainsi !Direquependant si longtemps, elle l’avaitenviée à Raul. Comment n’avoir pas remarqué plus tôt que des courants délétères troublaient cetteapparenteunité?

Ellesongeaalorsàsaproprefamilleetenfutaccablée,commechaquefois:queléchec!Ellequiavaittantcherchéàsefaireaimerparsesdeuxdemi-frères!QuandRaulapprendraitqu’elleleuravaitdonnéunemaisonàchacun,nuldoutequ’ill’accuseraitd’avoirtentéd’acheterleuraffection,etilaurait

raison.Hélas,commepourtoutcequ’elleavaitentreprisdanssavie,elleavaitéchoué,etn’avaitplusrevulesdeuxgarçonsdepuisqu’elleleuravaitoffertuntoit.

Fermant les yeux, elle essaya de détourner le cours de ses réflexions pour se concentrer sur lestemps heureux qu’elle avait vécus avec Raul. Au début au moins, quand avec lui elle se sentaitprincesse…

Lebruitdesonpasdanslecouloirlaramenaauprésent:Ellefermaaussitôtlesyeuxetentenditlaporte s’ouvrir. Il fallait faire semblant de dormir, respirer lentement, régulièrement… il la croiraitendormieetlalaisseraitenpaix…

Elleperçutlebruitdel’eaudanslasalledebains,puisunraidelumièreapparutquandilentradanslachambre.Quelquesinstantsaprès,n’ytenantplus,Charleyentrouvritlesyeux.Illuifallutunefractiondesecondepourquesonregardenregistrecequ’ilvoyait:Raulétaitentraindesedéshabiller!

Toutàcoup,sagorges’asséchaenleregardant,àtraverssespaupièresentrouvertes,sedébarrasserdesachemise,puisdesonpantalon.Dieuqu’ilétaitbeau,encontre-jour,baignéparlalumièreprovenantde lasalledebains : ses largesépaulessedécoupaient,puissantes,et son torse large, splendide,étaitcouvertd’unduvetsombrequidescendaits’amenuisantàmesurequ’ilapprochaitde…

Son ultime vêtement échoua sur le sol : il était nu, ses hanches étroites, ses longues cuissesmusclées,etàleurjonction…Charleycrutquel’airluimanquait!

Il retourna à la porte de la salle de bains pour éteindre la lumière, puis revint se coucher dansl’obscurité. Le lit se creusa, les draps bruissèrent, etCharley sentit la chaleur gagner son côté du lit.Alorsàsongranddam,uninsurmontableémoilasaisitaucreuxdesreins,unesensationbrûlante,exquiseetpresquedouloureusequigagnaittoutsonêtreparvaguesgrandissantes.Enunmouvementréflexe,elleserralesjambesetfermalesyeux,commepourmieuxanticiperl’instantoùRaull’attireraitàelle.

Aurait-ellelaforcedelerepousserquandtoutsoncorpsétaitenéveil,exacerbéàl’extrêmeparsaprésencesitroublanteàcôtéd’elle?

Illuisemblaqueletempsétaitsuspendu,maisriennevenait.Ilétaitcouchésurlecôté,faceàelle,quicommeuneidiotenes’étaitpastournéeverslemur,etellesentaitsonregardsurelle.

—Alors?articula-t-ellesoudainsansmêmel’avoirvoulu,cen’estpaslemomentderéclamertondû?

Ilapprochasonvisagesiprèsqu’ellesentitsonsouffletièdesursapeau.—Mondû,c’esttoncorps,déclara-t-ild’untonquilafitfrémir,quandjeveux,oùjeveux.Maisce

soirjen’enaipasenvie.Surcesmots,ilsetournadel’autrecôtéavantdelanceràmi-voixpar-dessussonépaule:—Amoinsbiensûrquetuaiesenviedemedonnerunacompte…—Certainementpas,chuchota-t-elle,outrée,jen’enauraijamaisenvie,tupeuxenêtresûr.—Ataplace,jenem’avanceraispasautant.Raulsouritdanssonoreillerenfermantlesyeux.Ilpouvaitpresquesentirsafrustration!Quandil lui ferait l’amour,elleneseraitpaspassive.Elleenauraitencoreplusenvieque lui, le

supplieraitdelacaresseretluidonneraitduplaisirdemilleetunefaçons,commeellel’avaittoujoursfait.

Ilvoulutdétourner lecoursde sespensées,et cequ’elle luiavaitditdans lavoiture lui revintàl’esprit:«Tudoistoujourstoutmaîtriser,mêmetesémotionsettessentiments».Cen’étaitpeut-êtrepastoutàfaitfaux…

Pourtant,commenttolérerdenepasêtremaîtredesoi?Unsouvenirluirevintenforce:celuidecettescèneterriblequ’ilavaiteueavecelle,etàl’issuede

laquelleelleétaitpartie.Cettefois-là,oui,ilavaitlaissétransparaîtresesvraissentiments,tantilétaitindignéqu’elle lui refuseunenfant.Dans sacolère, il lui avait lancédes insultesméchantes, cruelles,

l’avaittraitéedegarce,et,suruncoupderage,luiavaitditdepartir,n’imaginantpasuninstantqu’elleleprendraitaumot.

C’est pourtant ce qu’elle avait fait. Après l’avoir accusé de la traiter comme une enfant, de nejamaisvoirleseffortsqu’ellefaisaitpourlui,devouloirlatransformerenunefemmequ’ellen’étaitpas,elleavaitdisparudanssachambreetenétaitredescendueavecsesbagages.Leurmariageétaituneerreurtragique,avait-ellesoutenu,ildevaittrouveruneautreépousequiseraitparfaite,luiferaitdixenfantsetlesélèveraitselonsesinstructions.

Ilsavaientcontinuéàsedisputer,maisbientôtleurcolèrerespectiveétaittombée,etluiétaitrevenusursesparoles,luidemandantdenepaspartir;Charlotteétaitrestéesursespositions:ellenepouvaitplusvivreaveclui,avait-elleassuré.

Quelle ironie du sort !En cet instant, tandis qu’il la sentait à côté de lui dans le lit, il en auraitpresquesouri.Direquec’étaitlaseulefoisdesavied’adulteoùilavaitlaissésonaffectprendrelepassursaraison!Celaneluiarriveraitplus!

***

LebâtimentqueRaulavaitachetépourrelogerlecentrePocoRioétaitunestructuredeplain-pieden brique, entourée d’un terrain envahi par des mauvaises herbes. Mais Charley s’en moquait : ellen’avaitaucunmalàimagineràquelpointtoutseraitbeauetaccueillant,unefoislestravauxterminés.

L’architectedeRaul,unhommed’uncertainâgeprénomméVittore,avaitfaitletrajetenhélicoptèredepuisBarcelone avec eux.En vol, puis après dans la voiture qui les conduisait sur le site, les deuxhommesavaientdiscutédeprojetsqu’ilsavaientencommun,etVittoren’avaitpassemblésurprisqueRaul lui ait demandé de l’accompagner à Valence un samedimatin. En tout cas, il semontrait d’unegrandeamabilité.

Pendantqu’ilexaminaitleterrainavecbeaucoupd’attention,Charley,brûlaitd’enviederevoirleslocaux. Elle rêvait de ce moment depuis si longtemps ! Certes dans ses rêves, elle s’était imaginéepropriétairedeslieuxafind’enfairedonplustardàl’association.MaisRaulnel’avaitpasvouluainsi.Ilchangeraitpeut-êtred’avis,avait-ildit,maispouvait-elleluifaireconfiance?

Quoi qu’il en soit, une chose était sûre : si Charley respectait les termes de leur contrat, luirespecteraitlessiens.Surcepoint,elleluifaisaitconfiance.

— Je vous laisse pour aller inspecter ma dernière acquisition, annonça Raul, la laissant avecVittore.

Les locaux étaient beaucoupmieux agencés que ceuxqu’occupait actuellement l’association : lespiècesétaientvastes,iln’yavaitpasd’espaceobscur,pasdeplaceperdue.Sansattendre,Charleys’assitsur le sol poussiéreuxet sortit sesplans.Aprèsquoi, prenant son courage àdeuxmains, elledéclara,s’appliquantànepasfairedefautesenespagnol:

—Nepensezsurtoutpasquejechercheàprendrevotreplace,Vittore,maisj’aifaituneesquissedufuturcentreentenantcomptedesnormesexigées.

L’architectes’assitàcôtéd’elleavantdedéplierlesplansqu’ilregardaavecbeaucoupd’attention.Enfin,ildemanda:

—Pourquoiavez-vousprévudesportesaussilarges?Charleyexpliqua:—Parcequebeaucoupd’enfantssontenfauteuilroulant.Ilhochalatêteavantdeposerd’autresquestionstechniques.Charley lui expliquait pourquoi il fallait abattre telmur et le remonter à tel endroit quand Raul

reparut.Aussitôt,ellesetut.IlfixasurelleunregardduravantdesetournerversVittore:

—Vousa-t-elleexpliquécequ’elleenvisageait?L’architectehochalatête.—Elleamêmefaitd’excellentsplans.Illaregardapourajouter:—Desplansdontvouspouvezêtrefière,madame.Charleyrositdeplaisir.Elles’attendaitsipeuàpareilcompliment!Vittorerepliaavecsoinlesencombrantesfeuillesdepapierpourlesglisserdanssalargesacoche,

avantdes’adresseràelleensouriant:—Laprochainefois,roulezlesupportpapiersansleplier,c’estpluspratique.Cettefois,Charleysemorditlalèvrepourréprimerunsourire.Vittore,unarchitectederenomqui

travaillaitdans toute l’Europe, lacomplimentaitet luiprodiguaitdesconseilscommeildevait le faireavecsesélèves!Ilyavaitdequoiêtrecontente!

Elleétaitmêmesiheureusequ’elleneprêtapasattentionàlaconversationquis’étaitengagéeentrelesdeuxhommes,secontentantdelessuivrequandilssortirentdubâtimentpourregagnerlavoiture.

Quandcelle-cidémarra,Vittoreannonçaqu’ilenverraituneéquipeattaquerlechantierdèslelundipuis,souriantàCharley,ilditàRaul:

—Grâceauxplansdevotrefemme,toutdevraitallertrèsvite.—Vouscomptezdoncvousenservir?l’interrogeaRaul.—Biensûr,ilspermettrontdedégrossirletravail.Ilyabeaucoupderéflexiondanscesplans.RaulcroisaleregarddeCharley:—Décidément,mafemmeadestalentscachés,lança-t-il,mi-sarcastique,mi-admiratif.

8.

Ence samedi après-midi, la circulationétait fluide,Barceloneappartenantdavantageauxpiétonsqu’auxautomobilistes.IlsfurentvitechezRaulettrouvèrentlamaisondéserte:lepersonnelnetravaillaitpasleweek-end.

—TuasbeaucoupimpressionnéVittoreavectesplans,fitobserverRaulenentraînantCharleyàlacuisineoùilbranchalamachineàcafé.

Encoreabasourdieparlescomplimentsdel’architecte,Charleysecontentadehocherlatête.C’étaitlapremièrefoisdesaviequequelquechosequ’elleavaitfaitseuleluivalaitdeslouanges,

etelleenéprouvaitcommeunvertige:peut-êtren’était-ellepastoutàfaitbonneàrien?Etpourtant…touteslesaffairesqu’elleavaitvoulumonterdutempsdesaviecommuneavecRaul

avaientéchouédefaçonlamentable.C’estqu’ellenepossédaitpas,hélas!lesqualitésprofessionnellesdesonmari.Ellequi,àl’époque,désiraittantqu’ilsoitfierd’elle,etlaconsidèrecommesonégale…Quelledésillusion!Toutavaittournéaufiasco…sansdouteparcequ’ellevoulaittropréussir…

—Quit’aapprisàdessinerdesplans?demanda-t-ilsoudain.—L’agent immobilierm’a fourni un relevé des lieux, après quoi, j’ai trouvé un programme sur

Internetetj’airentrémesdonnées.Ilsortitdeuxtassesd’unplacardetenposaunesurlamachineàcafé.—Jeregrettedenepast’avoirprisedavantageausérieux,l’autrejour,quandtum’enasparlé.Rauls’excusait?Charleyn’encroyaitpassesoreilles.C’étaitbienlapremièrefoisdepuisqu’ilsse

connaissaient.—Cen’estpasgrave,fit-elleobserver,j’ail’habitude.Ilposasurelleunregardsurpris:—Queveux-tudire?—Engénéral,surleplanprofessionneltunemefaisaisguèreconfiance…avant.—Jet’aipourtanttoujoursdonnél’argentquit’étaitnécessaire.—C’estvrai,maisc’étaitsansdoutepourmefaireplaisir.Raulfituneffortpournepass’emporter.—Jevoulaissurtoutqueturéussissesetj’étaispersuadéquetuenétaiscapable.Malheureusement,

Charlotte,ilfautparfoisregarderlaréalitéenface:tun’avaisaucunequalification,etjecroyaisquetuprofiteraisdemonexpérience.Ortun’aspasvoulum’écouterettuaséchoué.

Il n’avait pas été facile pour lui de la voir se désintéresser de ce qu’elle entreprenait. Pourtantjamais il ne lui avait fait de reproche, l’admirant même de recommencer autre chose avec le mêmeenthousiasmeinitial,lemêmeacharnement.

Jusqu’à ce jour fatidique où elle lui avait refusé un enfant.Alors, il avait enfin compris que sesprojets professionnels étaient comme des jouets pour elle, qu’elle abandonnait dès qu’elle ne leurtrouvaitplusdemagie.

Malgrétout,ilavaittentédelaretenir,quandelleétaitpartie,etpireencore,ill’auraitrepriseàtoutmomentsielleavaitvoulu…Etpuisunbeaujour,ilavaitreçulespapiersdudivorce.

Cejour-làaussi,ilavaitfailliperdretoutcontrôle.Sansmêmesavoircequ’ilfaisait,ils’étaitmisenroutepourValenceauvolantdesaLotuspourtrouverl’adressequ’elleavaitdonnéeàl’avocatetquifigurait sur les documents officiels.Grâce àDieu, àmi-chemin, sa raison avait repris ses droits, et ilavaitfaitdemi-tour.

Adosséeaumur,lesbrascroiséssursapoitrine,Charlotterepritlaparole.—Cen’étaitpassisimpledetefairebonneimpression.—Pourquoi,grandsdieux?Jet’avaisépousée!Tun’avaisrienàmeprouver.—C’estmonphysiquequiteplaisait,rétorqua-t-elleavecunpetitrireamer.—Passeulement,ettulesais!J’adoraistonsensdel’humouretdelarepartie!Hélas, tout cela avait disparu les dernières années de leur vie commune,mais il ne s’en rendait

comptequemaintenant.— Je voulais aussi que tu me trouves intelligente et compétente, ajouta-t-elle d’une voix triste.

Hélasc’étaitbeaucoupplusdifficilequejenel’imaginais.Sansdouteétais-jenaïve,carjetenaisàfaireleschosesseuleetàmafaçonpour teprouverque j’enétaiscapable.Mais jeprenais tout tellementàcœurquejen’yarrivaispas.Etpournerienarranger,jeneparlaispasl’espagnol.

—Tuasfaitdesprogrèsdepuisquenoussommesséparés,fit-ilvaloiravecaigreur.Autrefois, il lui avait payé un professeur dont elle n’avait plus voulu au bout de quelquesmois,

arguantquecettelangueétaittropdifficilepourelle.Maintenantellelaparlaitpresquecouramment.—Ilabienfalluquejem’ymette.Aucentre,lesenfantsneparlentqu’espagnol,etsouventtrèsmal.

Sijevoulaisêtrecomprise,jen’avaispaslechoix.Raulneréponditrien,etlesilences’installadanslacuisinejusqu’aumomentoù,pointantlementon

enavant,Charlottedéclarad’untonferme:— J’ai eu tort de t’épouser : tu étais le prince charmant, celui qui réussissait tout ce qu’il

entreprenait,etmoij’échouaispartout.Jen’étaispasàlahauteur.—Uncouplen’estpasforcémentenrivalité,aucontraire.—Jesais,maisdansmoncas…Commeellehésitait,Raullapressa:—Discequetuasàdire…—Jete lerépète, jen’étaispasdetailleàmemesurerà toi.Pourtant j’aiessayé,mais jesavais

qu’iltefallaitlaperfectionentout:ainsi,nonseulementtuvoulaisquejeparleunespagnolimpeccable,maisaussiquejechangemonaccentanglais,parcequelemientrahissaitmesoriginesmodestes;ettuattendaisquejesoistoujoursélégantepourêtrefierdemoi…oh,jepourraistedonnertantd’exemples!

—Tudéformestout!rétorqua-t-ilavecirritation.Cette manière qu’elle avait de tourner les choses à son avantage pour se faire passer pour une

victimeétaitinsupportable.Pluscalmement,ilajouta:—J’essayaisjustedet’aideràt’adapteràtonnouvelenvironnement.—Moiaussi,jevoulaism’intégrer,rétorquaCharlotte,etilm’afallulongtempspourcomprendre

quejen’yarriveraisjamaisparcequej’étaisétrangèreàtonmilieu.Celuid’oùjeviensesttropdifférentet,quoiquequejefasse,jeresteraitoujoursCharleyalorsquetucontinuesàm’appelerCharlotte,parcequetutrouvescediminutiftropordinaire.

—Ehbienmoi,j’aid’autressouvenirsquetoi.Toutletempsquenousavonsvécuensemble,jenemerappellepast’avoirentendudireunefoisquetuétaismalheureuse.

— J’avais bien trop peur pour le faire ! Tu ne te rends pas compte de ce que j’éprouvais àl’époque?J’attendaisaveceffroilejouroùtumediraisquejen’étaispasassezbienpourtoietquetunevoulaisplusdemoi.

Elleétaitpresquecrédibletantellesemblaitsincère!—Dis-moi une chose, déclara-t-il après un silence. Pendant nos années de vie commune, t’ai-je

donnéàpenser,fut-ceuneseulefois,quej’avaisenviedetetromper?Ellesecoualatête.—Non,biensûr,et j’ai toujourssuque tune le feraispas.Tues tropattachéà ta respectabilité.

Néanmoinsj’avaislaconvictionquejen’étaispasirremplaçable,pire,quejenevalaispasgrand-choseparrapportàtantdefemmesquetuétaisamenéàrencontrer.

Dios!Parlait-ellesérieusement?— Jeme demande comment tu peux penser une chose pareille ! Quand j’étais avec toi, je n’ai

jamaisregardéuneautrefemme.Elle parut ébranlée,mais pas convaincue. Pourtant, à la lumière des faits, ce qu’elle disait était

risible.C’estellequiétaitpartie, l’avait laissé, trahissant lesvœuxqu’ilsavaientéchangés le jourdeleurmariage!Uncomble,toutdemême!

Ils’approchaetposaunemainsurlemurau-dessusdesatête:—Pourquoimeserais-jeintéresséàuneautrefemmequandjet’avaisàlamaison?Allons,cariña,

pasunenetevaut,tulesais.Charleydéglutitavecpeine.—Tum’asprouvéquetoutcequej’aiditestvrai,articula-t-elle:pourtoi,jenesuisbonnequ’à

unechose.—Etjedoistedirequ’àcettechose,tuesinégalable,ironisa-t-il.Elleluisaisitlepoignetpoursedégager.Envain,carill’immobilisaetpassaunbrasautourdesa

tailleafindel’attireràlui.Ilsurpritalorsdanssesgrandsyeuxvertsunecurieuseexpressiondeméprisetdedésirmêlés.

—Depuisquandes-tudevenusicruel?demanda-t-elledansunsouffle.—Depuislejouroùj’aicomprisquelafemmequej’aimaisplusquetoutsemoquaitdemoi.Surcesmots,ilinclinalatêtepourprendresabouche.Charleyvoulutrésister.Elleserraseslèvres,s’efforçantd’ignorersessensquidéjàs’enflammaient.

Mais autant lutter contre des éléments déchaînés : la chaleur de Raul, son odeur virile, toutes cessensations enivrantes s’infiltraient en elle par tous les pores de sa peau pour envahir son sang quibouillaitdanssesveines.

Le repousser ?Elle pouvait essayer, bien sûr,mais elle n’en avait pas la force,moins encore ledésir.Etpuisn’était-ellepaslàpoursonplaisir?

Saraisonluttanttoujourscontrelaviolencedesessens,elleposaunemainsurlapoitrinedeRaul,sans savoir encore si elle le repousserait ou l’attirerait ; et puis, avantmêmequ’elle l’ait décidé, sesdoigtss’agrippèrentàlachemise,seslèvress’entrouvrirent…

Cefutunbaiserdur,exigeant.Trèsvite,Charley lâcha l’étoffede lachemisepournouer lesbrasautourducoudesonmarietsepressercontreluiavectoutelaforcedesonêtre.

Letempsavaitcesséd’exister,seulcomptaitcemoment,etlabrûlureexquisequiladévastait.Raulapprofonditencoresonbaiser,avantdesedégagerjusteletempsdemordillersoncou.Puisil

s’emparadesesfessesàdeuxmains,etl’attirantàlui,lasoulevacommeunfétudepaille.N’écoutant que son instinct,Charley noua les jambes autour de sa taille, enmême temps qu’elle

couvrait de baisers sonvisage et son cou, commepour éprouver le goût de sa peau, s’enivrer de sonodeur,s’agaceraucontactàpeinerugueuxdesesmâchoirescouvertes,encettefind’après-midi,d’uneombredebarbenaissante.

Ilsemitenmarche,laportantcommesiellenepesaitrien,etquittantlacuisine,gagnalachambre.Là,illadéposasurlegrandlit,etreculantd’unpas,lacontemplalonguement.Sonbeauvisageétaittenduàl’extrême,etsapoitrinesesoulevaitaurythmed’unerespirationpressée.

Charleyquisentaitsoncœurbattrefollement,soutintsonregard.Sansunmot,ilouvritsaceintureetdéfitlesboutonsdesonpantalon,quitombaàsespieds.Commeenréponse,ellesesoulevapoursedébarrasserdesonhautqu’ellejetaloind’elle.Rauldéboutonnaensuitesachemisependantqu’ellebataillaitaveclafermetureEclairdesonshort

enjean,quirejoignitbientôtsontop.LachemisedeRaulsuivitlemêmechemin,lelaissantseulementvêtudesoncaleçondontl’étoffe

tenduerévélaitsonérectionplusqu’elleneladissimulait.Un feu intense, délicieux et douloureux à la fois, ravageaitCharley au plus profond de son être.

Incapabledesecontrôler,elleselevapours’agenouillersurlelitetadmirercethommesibeau,nuoupresquedevantelle,etdontelle rêvaitqu’il lapossèdeenfin.D’unmouvement lent,elledégrafaalorssonsoutien-gorge,puisfitglissersonpetitstringlelongdesescuisses.Raulnelaquittaitpasdesyeux,subjugué.

—Allonge-toi,ordonna-t-ild’unevoixrauque.Elle obéit, et prit une posture délibérément provocante, un bras replié sous la tête, une main

empaumant l’un de ses seins, ne laissant paraître entre deux doigts que l’extrémité de l’aréole déjàdurcie.

Avecungrognementsourd,Raularrachasoncaleçon,libérantsonsexefièrementdressé.Charley se sentit fondre au creux de son ventre, et la brûlure qui la dévastait s’étendit encore,

l’embrasanttoutentière,tandisquesonsexehumidepalpitait,dansl’attentequ’onlecaresse,leflatte,leremplisseenfin.

Pourtantunepenséecohérenteperçalabrumeépaissequiavaitenvahisonesprit:—Jeneprendspluslapilule,murmura-t-elle.Elle lut de l’étonnement dans les yeux de Raul, qui se leva pour aller prendre un paquet de

préservatifs dans le tiroir de la commode. Un paquet vierge, réalisa Charley avec une joie sauvage,malgré son état de semi-conscience…Puis, soudain le désir obscurcit davantage encore son esprit, etc’estdeloin,trèsloinqu’elleentenditRaulordonner:

—Donne-toiàmoi…Elleobéit,offrantàsonregardlecœurdesaféminité.Alors,dansl’instantquisuivit,Raulfutsur

elleet,prenantsesdeuxmains,lesimmobilisaau-dessusdesatête;puisaprèsavoirfixésonregard,ilcouvritsabouchedelasienne.

Charleysentitl’extrémitédesonsexeàl’oréedusien.Enunlongmouvementpuissant,illapénétraprofondément.

Uncridebonheur lui échappa, tandisqueRaul serraitdavantage sesmainsenmême tempsqu’ilallait et venait en elle. Lentement d’abord, puis de plus en plus vite, et toujours avec autant depuissance…Commeillaremplissaitbien,aveclasublimeviolenced’unmâlequiprendsafemelle!

Ce fut la seule pensée qui vint à Charlie dont l’orgasme montait déjà, violent, incontrôlable etdévastateur.

Raul jouit enmême temps qu’elle, et quand elle revint sur terre, il haletait, allongé sur elle, levisageenfouiaucreuxdesonépaule.

Tropvite,hélas,ilsedégagea,etsansunmot,disparutdanslasalledebains,lalaissantseuleletempsquecebonheursansnomfasseplaceàunevagueamertume.

Fairel’amournesignifierienpourlui,ilnet’aimepas,iltecroitintéresséeparsonargent,toutcequiluiplaît,c’estcoucheravectoi.

Ellerepoussacettepensée,refusantdereconnaîtrequesoncœurétaitémuplusqu’iln’auraitfallu.

Sansbruit,Raulrevintsecoucherprèsd’elleavantde l’attirercontre lui.Puis ildéposaundouxbaisersursonfront,et,quandelleentenditsarespirationlente,régulière,ellesutqu’ils’étaitendormi.

***

Installée dans un bureau communiquant avec celui deRaul,Charley s’efforçait de lire une revuefinancièretoutengrignotantunbiscuit.

—Ondiraitquetuaslamigraine,lançaRaulendéposantdeuxcaféssurunepetitetable.—J’essaiedecomprendre…Raul,fidèleàcequ’ilavaitdit,nel’avaitpaslaisséeseuleunesecondedetoutelasemaine.Lundi

etmardis’étaientpassésdanssesbureauxdeBarcelone,etmercredietjeudi,ilsétaientpartisàParisoùil était en négociation avec les autorités pour obtenir le droit de faire atterrir ses avions dans un desaéroportsdelacapitalefrançaise.Pendantcesquatrejours,ilavaittravaillécommeunfou.

Aujourd’hui,ilsétaientdenouveauàBarcelone,etsisonrythmedetravaildemeuraitfrénétique,ilrégnait néanmoins dans les bureaux une atmosphère plus tranquille. La perspective duweek-end, sansdoute.Charleyaussi,d’ailleurs,voyaitarrivercesdeuxjoursdereposavecuncertainplaisir.

Etmêmeunplaisircertain,devait-elleadmettre,àlapenséed’unweek-endentierseuleavecRaul.Faire l’amour avec lui était comme une addiction : elle en voulait toujours plus… et lui aussi,

semblait-il.—Pourmoi,cetterevue,c’estducharabia,soupira-t-elleenlarefermant.Jen’ycomprendsrien!Raulhaussaunsourcil:—Sitouteslesaffairesquetuasvoulumonterontéchoué,c’estparcequetunet’intéressaispasaux

mécanismes financiers. Pour quePocoRione subisse pas lemême sort, je te conseille d’y faire plusattention.

—PocoRioestdifférent.—Uneentrepriseresteuneentreprise,ettoutessontassujettiesauxmêmescontraintesdelaloidu

marché.—Pasdanscecas!protesta-t-elle.Levibreurdesontéléphonel’empêchad’allerplusloin.—Quiest-ce?s’enquitRaul.—Monpèrequim’envoieunSMS.—Queveut-il?—Ilrépondàunmessagequejeluiailaissélasemainedernière.Jeluidemandaisquandilétait

librepourdéjeuner.—Ilamisunesemaineàterépondre?grinçaRaul.Quelempressement!N’oubliesurtoutpasque

tun’espaslibre.Taplaceestàmescôtés.Charleylevalesyeuxauciel.—Jen’oublierien,voyons!C’estpourquoijeluiaiproposéqu’onsevoieleweek-end.—Jeteveuxtoutletempsauprèsdemoi,samedisetdimanchescompris.—Lesprisonniersontbienundroitdevisite,non?l’interrogea-t-elleavantd’avalerunegorgéede

café.Levoyantserrerlesmâchoires,elleajouta:—Tunesongespasàm’empêcherdevoirmafamille,toutdemême?Ceseraittropcruel.Raulneréponditpastoutdesuite,etquandillefit,ilrestaambigu.—Non,jeneveuxpast’empêcherdevoirtonpère,maissijelevoulais,jelepourrais.D’ailleurs,

je ne vois pas pourquoi je te concéderais un jour de liberté pour quelque chose qui risque de ne pasarriver.Tuseraistellementdéçuesitonpère,commesisouvent,oubliaitsonrendez-vous.

—Tonsoucidemonbien-êtreaffectifesttouchant,riposta-t-elle,acerbe.Raulétouffaunsoupir.—Jesaisquetun’aimespasquejecritiquetonpère,maiscethommet’asisouventfaitfauxbond.Charleysehérissa.—Ilsetrouvequecethommecommetudis,estmonpère!—S’ils’étaitcomportécommeunpèreavectoi,jeseraisplusindulgent.Allons,Charlotte,mêmeà

notremariage,ilestarrivéavecplusd’uneheurederetard.—Ilétaitbloquédansunembouteillage!riposta-t-elle,tandisquecesouvenirluinouaitl’estomac,

soudain.—S’ilétaitpartiplustôt,celaneseraitpasarrivé.Cettefois,lafureurlasaisit,etelles’écria:—Dequeldroitcritiques-tumafamille,alorsquelatienneestencoreplustorduequelamienne?—Mafamilleest…Ellenelelaissapasallerplusloin;—Tafamilleestparfaite,onlesait:lescélèbresCazorlasontparfaitssoustousrapports.Saufque

lefilsuniquedétestesoninfirmedepère,qu’iln’aaucunerelationaffectiveavecsamère,etquelafillecachesavraienatureàsesparentspournepastomberdupiédestaloùilsl’ontplacée.Apartcela,toutvatrèsbiendanslemeilleurdesmondes!Dans la familleCazorla,onfaitsemblantquoiqu’ilarrive,parcequelesapparencescomptentplusquetout.

LevisagedeRaulavaitprisuneexpressioninquiétante,etilserraitlesmâchoires.—Tais-toi,Charlotte!Jet’interdisdeparlerainsi.—Jevois…Toi,tuasledroitdediredumaldemafamille,maismoi,pasquestionquejecritique

latienne.—Tunesaismêmepasdequoituparles!tonnaRaul.—Détrompe-toi :nousavonsvécutroisansensemble,ne l’oubliepas.Seulementmaintenant j’ai

changé,jenesuisplusempêtréedansmescomplexesd’infériorité,etj’aidesyeuxpourvoir.Rauls’approcha,posalesdeuxmainssurlebureaudeCharleyetasséna:—Mafamilleneteconcerneplus.Tun’enfaispluspartiedepuisquetum’asquitté.Elleripostadutacautac:—Ehbien,considèrequemafamilleneteconcerneplusnonplus!Illafusilladuregard,etaprèsunsilence,demandad’untondur:—Tonpèret’afixéunedatepourcedéjeuner?—Oui,samedienhuit.—Jeteferaisavoirsinoussommeslibrescejour-là.—Merci.Ilseredressa,avantdedireencore:—Undemescomptablesvavenirtravailleravectoi,cetaprès-midi,pourt’apprendreàtenirdes

comptesetlireunbilan.—Toutdesuite?—Oui.Sansunmotdeplus,ilregagnasonbureau,etfermalaportedecommunication.

9.

Raultraversalesalonpoursortiretserendreàlapiscine.Aplatventresurlecanapé,Charlotte,sesjambes et ses pieds nus dépassant d’un long T-shirt, feuilletait une revue en croquant une barrechocolatée.Ellenel’avaitpasentenduetnelevapaslatête,maisellesemblaitsidécontractée,tellementàl’aisequeRauléprouvauneétrangesensation.

Sanss’arrêter,ilpoursuivitjusqu’àlapiscine,etaprèsavoirposésaserviette,plongea.Nagerledétendaittoujours.Pasaujourd’hui:malgrésoncrawlvigoureux,lapenséedesafemmenelequittaitpas.Aprèsleur

âprediscussionsurleursfamillesrespectivesdeuxjoursplustôt,unesortedetrêves’étaitinstallée.Lanuit, leur ardeur amoureuse ne connaissait pas de limites, et ils s’épanouissaient toujours davantage.Cependant,enlavoyantsinaturelle,sipeusophistiquéecematin,ilavaiteuuneimpressiondedéjà-vu.Peut-êtreàcausedecettebarredechocolatqu’ellemangeaitavecunegourmandisedefillette?Bref,ilavaitcruuninstantavoirretrouvélaCharlottedejadis…

Unequestionluivintalors:avait-elleétémalheureuseaveclui,commeelleleprétendait,cherchantàdevenirquelqu’unqui,s’était-elleimaginé,feraituneépouseplusdignedelui?

Quandilss’étaientconnus,ilavaitétéséduitparsoncaractèregai,direct,primesautier.Sansparlerdesamanièred’être:naturellementsexysanschercherniàprovoquerniàséduire.

Cecaractèreavaitdisparudepuislongtemps,maistoutàl’heure,elleluiétaitapparuesimple,sanscomplexenisophistication,commeautrefois.

Ayant toujours vécu dans unmilieu huppé très fermé, Raul avait cru qu’elle aimerait ce que lesfemmesqu’il fréquentait appréciaient : s’habiller dans lesmeilleuresboutiques, aller chez le coiffeur,chez l’esthéticienne, en un mot dépenser beaucoup d’argent pour être belle et impeccable en touteoccasion…Illuienavaitdonnélesmoyens,etellen’avaitpasrefusé,aucontraire.

Lui,aufond,cherchaitseulementàcequ’ellesoitheureuseets’intègredanssonmonde.Iln’avaitrienménagépourcela,etgrâceàseseffortsellen’avaitsansdoutejamaiseulesentimentd’êtrejugée,voirecritiquée.

C’estcequ’ilavaitcru jusqu’àceaujourd’hui.Jusqu’àcequ’il lavoiecroquerdeboncœurunebarredechocolat,etquecedétailpourtantdérisoirel’amèneàs’interroger…

Quandileutterminéseslongueursdepiscine,ilsortitdel’eauetrepritsaserviette.Acetinstant,Charlotteapparutdanslesoleilmatinal,sontéléphoneàlamain.

—Onaquelquechosedeprévu,demain?lança-t-elle,setenantàdistancerespectabledelui.Oubliantd’uncoupsespréoccupations,ils’approchaetvoulutlaprendreparlataille.—Attention,jevaisêtretoutemouillée!protesta-t-elle,sansréelleconviction.

Depuisune semainequ’ils faisaient l’amourcommedes fous,Raulavait comprisque,quandellefeignaitdeluirésister,c’étaitunjeuquineduraitjamaislongtemps.

—Jen’airiencontre,murmura-t-ilavecclind’œilpleindesous-entendus.D’unmouvementdécidé,ill’attirapourl’embrasser.Saboucheavaitlegoûtduchocolat!Ellesoupiracontreseslèvres,etnoualesbrasautourdesoncoupours’abandonneruninstant.Puis

d’uncoup,ellesedégagea.—Alors,pourdemain?—Demain,tuesavecmoi.—C’estimportant,oubienvais-jeresterdanslebureauàcôtédutienàt’attendre?—Commetoujours,tuferascequejetedemanderaidefaire.—C’est ennuyeux, parce que j’ai reçu un SMS de Steve.Deux des employés de PocoRio sont

malades.—Enquoicelateconcerne-t-il?—Sijenevaispasl’aider,lecentren’ouvrirapasdemain,fautedepersonnel.Alorsjepensais…Raulenavaitassezentendu.D’ailleursdèsqu’elleparlaitdesenfantsducentre,ilvoyaitrouge!Lui

quiauraittantvouluenavoirunavecelle…—Iln’enestpasquestion,déclara-t-ild’un tondur,noussommesdéjàconvenusque, tantque tu

seraisavecmoi,tunetravailleraisplusàPocoRio.Ilvitsonvisages’assombrir.—Mais…—Chut!C’estunbeaudimanche,neperdonspasdetempsànousdisputer.Charlotteneréponditrien,maisilsentitqu’ellen’avaitpasditsonderniermot.Pourtant,lorsqu’ill’entraînaverslachambre,elleselaissafaire.

***

Aprèsunjouretunenuitpassésàfairel’amourencoreetencore,Raulseréveilla le lundimatin,seuldanslegrandlit.Unbruitqu’ilconnaissaitbienl’alerta:celuid’unhélicoptèrequis’élevaitdansleciel,nonloin.

Uncoupd’œilàsontéléphoneluiappritqu’ilétaitenretard,etn’avaitpasentenduleréveil.Ilétaitsûrpourtantdel’avoirmis,laveille.

EtCharlotte?Oùétait-elle?Aprèsunedoucherapide,ils’habillasansperdredetemps,etallaviteprendresonpetitdéjeuner.

Uneodeurdecaféfraisetdebollos—cesdélicieuxcroissantsfourrésàlaconfiture—l’accueillitdanslasalleàmangeroùunseulcouvertétaitdressé.Acôtédel’assiettesetrouvaitunelettrepliée.

Sidéré,illalut:«Suispartieaucentre.Rentreraienfind’après-midi.

Charley.PS.Aiempruntél’hélicoptère.»Incroyable!CelaressemblaitbienàlaCharlottequ’ilavaitconnuelespremierstemps:intrépide,

capabledetouteslesaudaces,vivantseulementl’instantprésent…Maistoutdemême!Elledevaitbiensedouterdesconséquencesdecequ’ellevenaitdefaire,non?Unefoispasséesonenviederire,Raulsentaitmontersacolère,àprésent.Ilavalaenvitesseune

tassedecafé,mangeasansfaimunbollo,enmêmetempsqu’ilréfléchissaitàtouteallure.Charlotte pensait-elle sérieusement que, maintenant qu’ils vivaient de nouveau ensemble, elle

pouvaitagiràsaguise,etqu’ilauraitenversellelamêmeindulgencequ’avant?

Il était grand temps de lui donner une leçon. Et si elle continuait à ne pas comprendre que lesconditionsavaientchangé,ilrevendraitlelocaldunouveaucentre.Aprèstout,queluiimportaitlesortdecesenfants?

***

Après avoir garé sa Lotus derrière le minibus qu’il avait vu Charlotte conduire la semaineprécédente,Raulallasonneràlaporteducentre.

Quandilavaitrappelél’hélicoptèredeBarcelone,lepiloteétaittoutpenaud,etilavaitvitecomprisce qui s’était passé. Charlotte avait appelé le pilote qui, sans rien voir d’anormal dans sa demande,l’avaitconduiteàValence.

Lorsqu’ilentradanslecentre,sapremièreimpressionfutqu’ilpénétraitdansunhôpital:toutétaitgriset triste.Uncentred’accueilpourenfantsdevaitêtregaietcoloré,non?Iln’eutpas le tempsd’ypenserdavantage:Steve,ledirecteur,venaitl’accueillirsurleseuild’unevastesalleauxmurstapissésdedessinsd’enfantsaménagéeavecdesmeublesenplastiquedecouleursvives.

Steve,aprèsluiavoirserréchaleureusementlamain,luiditavecunsourireradieux:—C’estunhonneurdevousconnaître.Nousvoussommessi reconnaissantsdecequevousavez

faitpournosenfants.C’estunvraicadeauduciel.Pendantqueledirecteurparlait,Raulpromenaitunregardahuridanslapièce:unepetitedouzaine

d’enfants,dontunebonnemoitiéenfauteuil roulant,étaient installésendemi-cercleautourd’une jeunefemmeenpyjamajaunevif,arborantuneperruquerousseetungrosnezdeclownrouge.Juchéesuruneplancheposéesurunballon,ellejonglaitavecdesballesenmousse.Elleétaitenéquilibreprécaireetforçaitletrait,jonglantavecunemaladressedélibérée.Néanmoinssonjeunepubliclabuvaitdesyeux,etcertainsenfantshurlaientderire.

Raul mit quelques instants à comprendre que ce jeune clown était Charlotte. C’est alors qu’unepetitemainletiraparlamanche.Ilabaissalesyeux:ungarçonnetleregardait,presqueimplorant.

—C’est Ramon, expliqua Steve, un enfantmongolien dont le syndrome n’est pas très sévère. Ilvoudrait,jecrois,quevousregardiezlespectacleaveclui.

— Je ne suis pas venu pourm’amuser, grommela Raul, et il allait ajouter qu’il venait chercherCharlottemaislesouriredupetitRamonétaitsirayonnantqu’ilenfuttroublé.Alorsbongré,malgré,ilselaissaentraînerparl’enfant.

Touscespetitsétaient très lourdementhandicapés,mais le spectacledeCharlottene les fascinaitpasmoins.

Celle-cilerepéravite,etperdituninstantcontenance.Sesballesluiéchappèrentet,cettefois,ellene le faisait pas exprès. Pourtant elle continua à jongler un moment, se contorsionnant avec forcegrimacespourleplusgrandbonheurdesenfants.

Quand elle s’arrêta, elle prit la parole, et dans un espagnol impeccable, expliqua à son jeuneauditoirequelareprésentationétaitterminée,etquevenaitmaintenantl’heuredudéjeuner.Celafait,elles’inclina,etlesenfantsapplaudirentavecfrénésie,certainsmêmehurlantdejoie.

Steveetdeuxmoniteursentreprirent toutdesuitede lesaideràpasserau réfectoire,pendantqueCharlotterassemblaitsesaccessoiresqu’ellefourraitdansunevieillevalise.Raull’observait,maisellenesemblaitpasfairecasdesaprésence.

Quandellesortitdelapièce,illuiemboîtalepas.Ellesuivituncouloirjusqu’àunlocalaveuglequiservaitderéserve.

Unefoisàl’intérieur,ellesetournaavecbrusquerie:—Désolée,d’accord?murmura-t-elleavantderangerlavieillevalisesuruneétagère.Elleretirasonnezencaoutchouc,puiscettemauditeperruquequilagrattait.

Ellen’avaitpasdoutéuninstantqueRaulviendraitlachercher.Etquelquepart,ellel’avaitdésiré.Aumoins,ilavaitvulesenfants,etpeut-êtrefinirait-ilparcomprendrecombienlecentreétaitimportantpourtous?

Maispourquoinedisait-ildoncrien?Elleenlevasonpyjamajauneavecunsoulagementnondissimulé:illuitenaitaffreusementchaud.—Peux-tum’expliquercequ’estcecentre?demanda-t-ilenfinavecunesortedelassitudedansla

voix.Ellefeignitl’étonnement.—Jecroyaisque tuavais lu la lettreque je t’aienvoyée,avantdevenir tevoirà l’hôtelGarcia

pourtedemandertonaide?—J’ailucequejecroyaisleplusimportant.—EttupensaisquePocoRio,c’étaitquoi,exactement?—Unecrèche.Elleleregardad’unairahuri,avantd’afficherunsourireradieux.Raulsetendit.—Ondiraitquecelatefaitplaisir.—Ohoui,alors!Jecomprendsmieuxtaréactionnégative,situpensaisqu’ils’agissaitd’uncentre

d’accueilpourenfantsnormaux.Enlevoyantbaisserlesyeux,ellefutprisedepitié.Ill’avaitjugéeavectantdecynisme!Commeil

devaits’envouloir!—Tusaisismieuxmaintenantpourquoiilfallaitquejevienne,aujourd’hui?reprit-elle.Sansmoi,

lecentren’auraitpasouvert,orilestunesortedebouéedesauvetagepourlesenfantsautantquepourleursfamilles.

—Quisontcesgosses?—Depauvrespetitsqui,denaissanceouparaccident,nepourrontjamaismenerunevienormale,

maisquiontassezdeluciditépourledésirer.Raul eut soudain un regard incertain et, comprenant combien il était désemparé, Charley eut le

couragedeluidemander:—Resteavecnousuneheureoudeux,tuverrascequenousfaisonsetàquoiserviral’argentquetu

asdépensépournosnouveauxlocaux.Ilhésitauninstant,puisjeta:—Nouspartironsquandtuvoudras.Quellevictoire !La joieaucœur,Charley l’entraînadans le réfectoireoù ledéjeunerbattait son

plein. Ou plutôt la bataille car, dans une cacophonie insensée, les enfants jouaient autant avec leurnourriturequ’ilslamangeaient,malgrélabienveillantesollicitudedeséducateurs.

Comme Raul s’était arrêté à l’entrée de la salle devant une photo représentant l’équipe dupersonnel,Charleyl’attendit.

—Tuesvolontairebénévole?l’interrogea-t-ilauboutdequelquesinstants.—Oui.Il hocha la tête, puis la regarda, et elle eut l’impression étrange qu’il la découvrait sous un jour

nouveau.Debutenblanc,ildemanda:—Quedois-jefaire?Ellefixasonbeaucostumesurmesureavecunsouriremalicieux:—Tupeuxnousaideràfairedéjeunerlesenfants?Denouveau,ilhochalatêteet,lasuivant,allas’asseoiràcôtédupetitRamonqui,ravi,luifaisait

degrandssignes.

Charleysouritensilence.Ramonétait,detouslesenfants,celuiquimangeaitleplussalement.Tantpis,arriveraitcequiarriverait…etRaulavaitlesmoyensd’envoyersoncostumeaupressing.

***

De retour àBarcelone, ils s’arrêtèrentdansun restaurantpourmangerunmorceau, etprirentunetableenterrasse.Ilscommandèrent,puistoutdesuite,Rauldemanda:

—Commentas-tuconnucecentre?—Jevoulaism’occuperd’enfants.—Tuastrouvéuneannonce?—Plusoumoins.J’avaisdécidédefairedubénévolatetj’aitoujoursaimélesenfants.Lesamuser

estàpeuprèslaseulechosequejesachefaire.J’aicommencéparallerdansunhôpitalpourvoirs’ilsavaientquelque chosepourmoi et, là, j’ai rencontré l’undespetits qui fréquentaitPocoRio. J’y suisalléeproposermesservicesetj’aieuunesortedecoupdefoudreenvoyantcespauvresgossesetcesmerveilleuxmoniteurs.La chance a voulu queSteve ait besoin de bénévoles, et jeme suis engagée àl’aider.

—Ilsn’avaientpaslesmoyensdetepayer?—Lasituationàl’époquen’étaitpasfacilepoureux,etpuis…Charlotteeutunsourireespiègleavantd’ajouter:—J’avaisassezd’argentpourmepasserdesalaire.TandisqueRaulessayaitd’intégrercequ’ellevenaitdedire,onleurservitleurpaella.—D’oùlecentretire-t-ilsesressources?demandaRaulavantdegoûteraucontenudesonassiette.—Allons,protestaCharlotteenriant,nemedispasquetuasachetélesnouveauxlocauxsanslire

lerapportfinancierquejet’avaispréparé!—Jen’aipaseuletemps.C’étaitlapremièreexcusequiluivenaitàl’esprit.Iln’allaittoutdemêmepasluidirequ’ill’avait

d’abordmis à la déchiqueteuse sans l’ouvrir, puis l’avait retiré pour le fourrer au fond d’un placard.Maisellen’étaitpasdupe,illevittoutdesuite.

—Certainsparentsont lesmoyensdepayer,expliqua-t-elle,mais leplusclairdenosressourcesvientdedonsprivésetdesubventions.Celasuffitpourfairetournerlecentre,maisnousn’avonspasderéservesfinancières.

—Lesdonsprivésreprésententquellepartdevotrebudget?—Jenesauraisteledire,maisilssontinsuffisants.Pourenobtenirdavantage,ilfaudraitnousfaire

connaître,maiscomment?Raulmangeaunmomentensilence.Ilréfléchissait.Iln’avaitpasséquequelquesheuresaucentre,

maiscelasuffisaitpourqu’ilaitenvied’aider.—Pourquoinem’avoirjamaisparlédececentre?demanda-t-il.—Jel’aifait!protesta-t-elle.—Jeveuxdireavantd’apprendrequevousdeviezchangerdelocal.Charlottebaissalesyeux.—Jepensaisquejepouvaisnoussortird’affaireseule.Seule,avait-elledit.Commetoujours!Sansformationcommerciale,ellenepossédaitpaslesoutils

permettant de réussir. Il avait tenté de l’aider,mais elle ne voulait rien entendre, et ses tentatives sesoldaientimmanquablementpardeséchecsquiprovoquaientdesdisputesentreeux.Carplusilessayaitdel’aider,pluselles’obstinaitàvouloirsedébrouillerseule.

—C’estpourcetteraisonquetuvoulaisquej’achèteleslocauxàtonnom?l’interrogea-t-ilencore.

—Bien sûrquenon ! Jevoulais aider le centre ! Jecroyaisqu’ilme restait assezd’argentpouracheter des locauxmoi-même et jeme disais que, quand ce serait fait, je trouverais unmoyen de lesmettreaunomdel’associationquigèrePocoRio,desortequ’iln’yauraitjamaisplusdesouci.

Charlotteposasafourchettepourboireunelonguegorgéedebière.QuandRaull’avaitconnue,ellebuvaitdelabière.Cen’estqu’après,quandill’avaitamenéeàBarcelone,qu’elles’étaitmiseàpréférerlesbonsvins.

Etdirequ’ilyavaitvuunepreuvedeplusdesavénalité!Amesurequ’ilparlaitavecelle,cesoir,il réalisait combien il s’était trompé ! Il avait suffi de ces quelques heures au centre pour qu’il ladécouvresousunautrejour!

Ilsongeasoudainàsapropreenfanceetsonadolescence,etàseseffortsdésespéréspourplaireàsonpère.Iltravaillaitsansarrêtpourobtenirdebonsrésultats,etilyétaitarrivé,puisqu’ilavaitpassésonexamendefind’étudesaveclaplushautementionetlesfélicitationsdujury.Maissonpère,aulieudel’enféliciter,avaitmaugréé:

—OnverracequetuferasauMIT,quandtuserasconfrontéauxmeilleurscerveauxdumonde.Charlotte avait-elle ressenti des frustrations semblables quand, croyant l’aider, il lui donnait

l’impressionqu’ellen’étaitcapablederien?Dios!Direqu’ill’aimaitplusquetout,etqueloindevouloirlachanger,ilavaitseulementvoulu

qu’elles’adaptemieuxetplusvite.—Jeconnaisbeaucoupdemonde,tulesais,dit-ilenfin,enparticulierdanslesmedias.Onpourrait

avecleuraidemieuxfaireconnaîtrelecentre,etobtenirdavantagededons.—Ceseraitmerveilleux,soupiraCharlottedontl’émotionselisaitdanssesgrandsyeuxverts.Plus

nousauronsd’argent,plusnouspourronsembaucherdepersonneletaccueillird’enfants.Laconversationentreeuxsepoursuivit,etCharlottes’anima.Jamaisilnel’avaitvueainsi.Quandil

suggérad’organiserunesoiréeauprofitdePocoRiosursonbateaudecroisièreleplusluxueux,ellenesetintplusdejoie,etapplauditdesdeuxmains,souslesregardsétonnésdesautresclients.

Ils prirent leur café, puisRaul consulta samontre : incroyable ! Ils avaient passé trois heures àdiscuter.Le tempsavait filé sivite !Après avoirdemandé l’addition, il posa surCharlotteun sourirenonchalantavantdeprendresamain.

—Sionrentraitàlamaison?—Dois-jecontinueràrespecterlepactequenousavonsconclu?demanda-t-elled’untonglacial.—Biensûr.Ilsepenchapourappuyersajouecontrelasienneethumersondélicieuxparfumdevanille.—Rienn’achangé,ajouta-t-il.Pourtanttoutavaitchangé,il lesavait.Ilvoulaitresteravecelle.Ouplutôtiln’étaitpasprêtàla

laisserpartir.Leserait-ilunjour?

10.

Le lendemain matin, Charley achevait de s’habiller après sa douche quand Raul entra dans lachambre,plusieursdossiersàlamain.Ils’étaitlevébeaucoupplustôtsansqu’ellel’entende.

Aprèsavoirposélesdossierssurlacoiffeuse,illuitenditunefeuilledepapierdisant:—Voilàmon programmepour lemois qui vient.Les dates soulignées sont celles où je n’ai pas

besoindel’hélicoptère.Tupeuxt’enservirpouralleràValence.Charleyleregarda,incrédule.—Tuveuxdirequejepeuxcontinueràtravailleraucentre?—Oui.—Oh!c’estformidable!s’écria-t-elle,incapabledecontenirsajoie.—J’aiautrechoseàtedire,poursuivit-il,j’aieuPierreBinocheautéléphone.C’étaitledécorateurquis’occupaitdeseshôtelsetdesesbateauxdecroisière.—J’aiorganiséuneréunionàlafindumoisdanslesnouveauxlocaux.Jesupposequetuvoudrasy

assister?—Tuveuxlechargerdeladécorationintérieure?s’étonnaCharley.C’esttrèsgentil,maiscelane

mesemblepasnécessaire.Lesaménagementsterminés,ilsuffirad’uncoupdepeinture.— Pierre ne s’occupera pas des couleurs : je voudrais qu’il crée une atmosphère pour que les

enfantssesententmieux.Tul’aideras,cariña.Charleyrositdeplaisir,etilpoursuivit:—Tu connais les problèmes et les règlementationsmieux que personne. J’ai pensé aussi que la

notoriétédePierrenousservirait.Ilnousferadelapublicitéetainsi,noustrouveronsplusdedonateurs.—C’estvrai,admit-elle.PierreBinochequiétaittrèsconnuferaituneexcellentepublicitépourlecentre.UnepenséevintalorsàCharleyquidemanda:—Quandestprévucerendez-vous?—Lederniermercredidecemois.—Ohzut!—Qu’ya-t-ilcejour-là?LaTomatina,àBuñol.Buñol,unpetitvillageàcôtédeValence,organisaiteneffet,touslesans,unebatailledetomatesqui

attirait lesgensdetoutelarégion.C’étaitunefêtepopulaire,dont laréputationavaitdepuis longtempsdépassélesfrontièresdel’Espagne.

—NemedispasquevousemmenezlesenfantsàlaTomatina?s’exclamaRaul.Asonexpression,onauraitpenséqueCharleyvoulaitleurmontrerunfilmporno.Ellesemitàrire.

—Etpourquoipas?L’andernier,nousenavonssélectionnécinq.Nousavionslouéuntoitterrasse,etachetéunecaissedetomates,ilsontpasséunejournéemerveilleuse.

Puis,prised’uneidéesubite,elleajouta:—Tudevraisveniravecnous.—Jenepensepasquecesoitjudicieux,rétorqua-t-ild’untonsec.—Pourquoi?Tuaspeurdetesalir?—Tusaisbienquenon!asséna-t-il,vexé.—Alorspourquoipas?Ilhaussalesépaulesavecirritation:—Enfin,Charlotte,réfléchis!Jenevaispasprendreunjourdecongépourregarderdesgensse

battreàcoupsdetomatestropmûres!—Nesoispassisnob,c’esttrèsamusant,jet’assure.—Jenesuispassnob!Acetinstant,letéléphonedeCharleybipa:elleregardal’écran,etserembrunit.Sansqu’ellelui

parle,Raulavaitcompris:c’étaitunmessagedesonpère.Etdefait,elleannonça,toutetriste:—Papaannuleledéjeuner,samediprochain.—Pourquoi?demanda-t-il,affichantunairimpassible.Sanssurprise,ellefutaussitôtsurladéfensive:—Ilaunrendez-vousprofessionnel.—Unsamedi?s’étonnaRaul.—Toiaussi,tuasparfoisdesrendez-vouslesamedi,fit-elleobserver.Ildoitrencontrerunéventuel

employeur,parcequ’ilcherchedutravail,figure-toi.Toiquilaissestoujoursentendrequec’estunbonàrien,tudevraisêtrecontent!

—Jesuisravi,eneffet.SaufqueRauln’encroyaitrien.Grahamavaitsansdouteunenouvelleconquête,etavaitmontésa

petitehistoireplutôtquededirelavéritéàsafille.Leseulpointpositifétaitqu’ilprévenaitplusieursjoursàl’avance,alorsquesouvent,illefaisaitàladernièreminute.

Secouantlatête,ilallaprendrelesdossierssurlacommode.—Pendantquetudormais,j’airegardélebudgetprévisionnelquetuavaispréparépourlenouveau

centre.Bravo,c’estdubeauboulot.Charlottes’empourpra.—Tuparlessérieusement?—Toutàfait.Il avaitmême été sidéré par son travail. Il avait toujours su qu’elle était capable dumeilleur à

conditionqu’oncanalisesonénergie ; leproblème,et il levoyaitclairementmaintenant,c’estqu’elle-mêmenes’encroyaitpascapable.Dumoinsautrefois,quandellevivaitaveclui.

End’autrestermes,ellen’avaitpasconfianceenelle,etluines’enétaitjamaisrenducompte,idiotqu’ilétait!Certes,ellecrânait,àl’époque,etcachaitsonmanqued’assuranceenseprétendantplusfortequ’ellen’était,maisiln’auraitjamaisdûs’ylaisserprendre.

Ecartantcespensées,ils’approchapourl’embrasseravantdelancer:—Maintenant,habille-toi,nouspartonsaubureaudansvingtminutes.Tusaisbienquejenepeux

plusmepasserdemonsex-toy,ajouta-t-ilavecunclind’œilmalicieux.Ileutlajoiedelavoiréclaterderire,puiselledemanda,feignantunairtrèssérieux:—Tuveuxquejeprennemonattirailsado-maso?—Ah,celameplairaitbien!rétorqua-t-ildutacautac,etlerireencascadedesafemmel’escorta

danslecouloir.

***

—Restetranquillepourunefois,ditRaulautéléphone.Tun’aspasarrêtédetravaillerdepuisplusdequinzejours.

—Tuessûr?—Oui.LavoixdeRaulbaissaetsefitcoquinequandilajouta:—Amoinsquetuneviennesmefaireladansedesseptvoilesdansmonbureau…Charleyneputréprimerunfrissondeplaisir.Raul,mêmeautéléphone,latroublaittant!—Onsevoitcesoiràlamaison,déclara-t-elled’untonferme.Passeunebonnejournée.Aprèsavoirraccroché,elleallaàlafenêtre.Lapluietombaitdru,etleventsecouaitsanspitiéles

palmiers du jardin.On était en août, et un déluge s’abattait surBarcelone.Au point que l’hélicoptèren’avait pas pu décoller, et Charley avait dû renoncer à se rendre à Valence, comme prévu. Restait àsouhaiter que le temps s’améliore mercredi, jour de la réunion avec Pierre Binoche, le décorateur.Ensuite,aprèscerendez-vous,CharleyconduiraitlesenfantsàBuñol,pourlaTomatina.

Enattendant,cettejournéeétaitàelle,rienqu’àelle!Elleallaitd’abordseprélasserdansunbonbain.Voilàsilongtempsquecelaneluiétaitpasarrivé.Elle entra dans la baignoire remplie à ras bord et ferma les yeux pour écouter la pluie qui

tambourinaitcontrelesvitres.Quelétonnantbien-êtreelleéprouvait!Lesdernièressemainesétaientpasséescommelevent.Raull’avaitemmenéeàSainte-Luciavisiter

l’un de ses tout récents complexes hôteliers, puis àMadrid où se trouvait le siège de sa compagnied’aviation.Ilsétaientsortisdînerplusieursfois,etmalgréça,elleavaitréussiàtravailleraucentredeuxjoursparsemaine.

Comme elle vivait les choses différemment,maintenant !Avant quandRaul l’emmenait dans sesdéplacementsprofessionnels,elleavaitsipeurdenepasêtreàlahauteuretdepasserpouruneimbécileque ces voyages lui étaient devenus insupportables. Alors elle avait cessé d’accompagner son mari.Résultat,chaquefoisqu’ils’absentait,elletremblaitàl’idéequ’ilrencontreunefemmequiluiconvenaitdavantage…

Maintenant,ellesemoquaitpasmaldeseslacunes.Ellen’étaitpasparfaite?Etalors?Cen’étaitpasgrave.SaviecommuneavecRaulnedureraitpas.Pendantlesquelquesmoisàvenir,pasquestiondefairesemblantd’êtreautrequ’ellen’était.D’ailleursRaulacceptait sesdéfauts.Luiaussi savaitqu’ennovembrechacunreprendraitsoncheminetqu’ilpourraitalorschercheruneépousedignedelui.

Un élancement douloureux la cisailla à la pensée deRaul avec une autre femme : elle retint sonsouffle pourmieux le réprimer. Cette souffrance aiguë n’était pas nouvelle mais, aujourd’hui, elle sefaisaitpluslancinante,plustenace…

NéanmoinsCharleynecommettraitpasdeuxfoislamêmeerreur:unefoisdéjàelleavaitconfonduleplaisirphysiqueavecl’amour!Onnel’yreprendraitplus.Maintenant,elleétaitlucide…

Ellelaissasonespritdériver.Oui,toutavaitchangéentreeux,cesdernièressemaines…Ellesentaitconfusémentquesiellevoulaitlequitter,Raullalaisseraitpartir,malgréleuraccord.Ellesavaitaussiqu’ilne sedésintéresseraitpasducentre,quoiqu’il arrive.Lesenfantshandicapésavaient touchésoncœur.

Alorspourquoirestait-elleauprèsdelui?Elleouvritlesyeuxd’uncoup,commelavérités’imposaitavecunebrutalitéahurissante.Ellerestaitavecluiparcequ’elleenavaitenvie!Rauls’étaitcertesmalcomportéenexerçantsurelleunchantageimbécile.Parailleurs,sansdoute

continuait-il à la juger trèsmal, croyant qu’elle l’avait épousé par vénalité ; néanmoins ces dernières

semaines,ill’avaittraitéeavecrespect,unsentimentqu’ellen’avaitjamaisperçuchezluipendantleursannéesdemariage.

Respect,oui !Charleysentit l’adrénalinefuserdanssesveines, tandisquesoncœur tambourinaitdanssapoitrine.

Sepouvait-ilqueleurmariagesoitviable?Non, interdiction d’envisager cette éventualité ! Quand ils s’étaient connus, tout avait semblé

simple.Hélas,leuridyllen’avaitpasrésistéàl’épreuvedutemps.Cettefois, leurrelationétait limitéedansle temps, justement.C’étaitpeut-être lachancedevivre

ensembleunebelleaventurequiresteraitpoureuxunmerveilleuxsouvenir…Elleéprouvatoutàcoupunegrandepaixintérieure:siellen’étaitplusl’otagedeRaul,ilsétaient

tousdeuxacteursdecetteaventure.Danscesconditions,allait-ellegaspillerlesquelquesmoisqu’illuirestaitàvivreavecsonmarienfeignantdesubirsonsort?

Elle ferma de nouveau les yeux. Elle aimait tant faire l’amour avec lui… leurs étreintes lesemplissaientl’unetl’autred’unbonheursanspareil.Certes,elleavaitjurédenejamaisfairelepremierpas,maisc’étaitautoutdébut…

Elleseredressaavectantdebrusqueriequel’eauéclaboussalesoldelasalledebains.Etellesemitàriretouteseule,tantlapenséequiluivenaitétaitcoquine.

Parplaisanterie,Raulluiavaitsuggérédeveniràsonbureauluifaireladansedesseptvoiles?Ehbien,ilallaitêtrecontent!C’étaitlameilleuremanièredeluiprouverque,danscetterelation

provisoire,ilsétaientsurunpiedd’égalité.

***

Non, la concentration n’était pas au rendez-vous.Raul dictait une lettre sur son ordinateur, et sapensées’évadaitsanscesseversCharlotte,seuleàlamaison.Iltâcheraitderentrertôtcesoir,maiscen’étaitjamaisfacile…

Soudain,sonInterphonesonna.Ilavaitpourtantdemandédenepasêtredérangé!—Quelestleproblème?aboya-t-ildansl’appareilaprèsavoirdécroché.—Votrefemmeestici,etinsistepourvousvoir,expliquaAva,sonassistante.—Faites-laentrer.Ce dernier mois, l’atmosphère entre eux avait été bonne, mieux, excellente. Il n’aurait jamais

imaginé,mêmeauxpremiers tempsde leurmariage, que lavie avec ellepût être aussi intéressante etenrichissante.

Trop,sansdoute.Aprèsleshautsvenaienttoujourslesbas…La porte s’ouvrit, et Charlotte apparut, vêtue comme le temps exécrable l’exigeait d’un long

imperméablenoir.—Qu’est-cequisepasse?Unsouriresereinsedessinasursonravissantvisage,etellerefermaendouceurlaportederrière

elle.—Assieds-toi,ordonna-t-ellesanscesserdesourire.—Que…Elleportalamainàlaceinturedesonimperméable,etditenladénouant:—Jet’aiditdet’asseoir.La ceinture s’ouvrit, et lespansduvêtementnoir s’écartèrent : dessous, elle était nue commeau

premierjour!Bientôt l’imperméable glissa au sol, et elle s’avança vers Raul, ondulant sur ses talons aiguille

vernisnoir.

Il dut se pincer pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Déjà, elle posait les mains sur ses épaules,l’obligeant à se laisser tomber sur son siège. Il s’aperçut alors que son visage était exactement à lahauteurdesonpubis.L’effetfutinstantané.

Le souriredeCharlotte avaitperdude sa sérénité, et s’était fait lascif.Elleposadenouveau lesdeuxmainssursesépaules,etécartantlesjambes,s’assitàchevalsursesgenoux.Puiselleinclinalatêtepourmurmurerd’unevoixenjôleuse:

—Tuvoulaisladansedesseptvoilesdanstonbureau:laplusbellefilledumondenepeutdonnerquecequ’ellea!

Ellesuivitalorsavecseslèvreslalignedesamâchoirepours’arrêtersursabouche,tandisqu’elleentreprenaitd’ouvrirlaceinturedesonpantalon.

Il lapritpar la taille : toutdesuite lachaleuret ladouceurdesapeaul’enflammèrent.Jamais iln’avaitétéexcitésiviteetavectantdeviolence.Lesangbattaitàsestempes,etsoncœurtambourinaitsifortqu’ilenavaitlesoufflecourt.

Uneurgenceinsenséelesaisit,etenmouvementsdésordonnés,ilaidaCharleyàfairedescendresonpantalonet soncaleçonpour libérer son sexeenpleineérection.Aussitôt elle lepritpour le caressercommeellesavaitsibienlefaire.Ildutsefaireviolencepourréprimerlegrognementquiluiétranglaitlagorge.Ilallaitexploserdedésir,commeça,danssamain,etilnelefallaitsurtoutpas…

Charlotte continua à le caresser sans hâte, et bientôt elle le guida en elle. Cette fois, il gronda,incapabledesecontenir,etellegémitaussitoutcontresabouche.

Alors,abandonnantseslèvres,ellesesoulevaàpeine,setenantàsesépaules,puisselaissatomber,s’empalantsursonsexedressé.

Raulposaunemaindanssondos,tandisqu’elles’écartaitpourqu’illapénètreplusprofondément.Puisleva-et-vientcommença…Trèsvite,lerythmes’accéléra,lessoudanttoujoursdavantage.

Raullasentitsecrisperautourdesonsexe,etluttapourtenirencore.Cenefutquelorsque,avecunlongfrémissement,ellesedétenditd’unseulcoup,qu’ils’autorisaenfinàlibérersasemence.Illasentit,brûlante,ledévaster,luiarrachantdeviolentssoubresautsdeplaisir.

Ilsnesauraientjamaiscombiendetempsilsrestèrentainsi,danslesbrasl’undel’autre,àécouterlesifflementhaletantdeleursrespirationstroublerlesilencedubureau.

Enfin,Charleysedégageapourl’embrasser,etilretombasurterre.—Jereviensdansuninstant,murmura-t-elleenseremettantdebout.Elleluisouritetdisparutentitubantdanslecabinetdetoiletteattenant.Unefoisseul,Raulremitsesvêtementssanstropsavoircequ’ilfaisait,bouleverséparl’expérience

qu’ilvenaitdevivre—certainementl’unedesplusérotiquesqu’ilaitjamaisconnues.Déjà,Charlottereparaissait,toujoursnue,etrécupéraitsonimperméable.Ellel’enfila,etaprèsen

avoirnouélaceinture,voulutsedétournerpourrepartir.Maisilluisaisitlepoignetetl’attiradenouveauàluipourprendresonvisageentresesmainsetl’embrasseravecpassion.

Enfin,arborantunsourireaussisereinqueceluiqu’elleavaitenentrantunpeuplustôt,ellesortit.Dios!Cequ’ilvenaitdevivreétait-ilbienréeloul’avait-ilrêvé?Raulsefrottalesyeux.Comment

retrouverunsemblantdeconcentration,quandilseremettraitautravail?IlappuyasurleboutondesonInterphone.—Apportez-moiuncafétrèsserré,ordonna-t-ilàsonassistante.

11.

Raulbouclasaceinturedesécuritéavecappréhension.Quellemouchel’avaitpiquéd’accepter?IlsavaientretrouvéPierreBinocheainsiqueVittoreetPablo,lefuturchefdeprojet,surlesitedu

nouveaucentreoùStevelesavaitrejoints.Charlottefaisaitplaisiràvoir,onlasentaitdanssonélément,etelleétaitradieuse.

Le temps s’était remis au beau, et à l’issue de la réunion, Raul, sans doute emporté parl’enthousiasmecollectif,avaitacceptéd’alleràBuñolaveclesenfants,dansleminibus.

—Etsi jeconduisais? finit-ilpardemanderen regardantCharlottequi,aprèss’être installéeauvolant,mettaitsaceinture.

—Tun’espasassuré,fit-ellevaloiravecunsourireamusé.—Jepeuxappelermonassurance,celaprendradeuxminutes.—C’estmoiquiconduis!Surcesmots,elleenclenchalamarchearrière,etleminibusreculaavantdeprendreladirectionde

Buñol.Encadrés par deuxmoniteurs et un volontaire, cinq enfants avaient pris place à l’arrière, et leur

excitationétait à soncomble.AuxdiresdeCharlotte, toutdéplacement,quece soit à lapiscineouaujardinpublic,lesmettaitenjoie.

Lematin,ilavaitétéconvenuqueRaul,aprèslaréunion,laconduiraitaucentre,puisretourneraitàBarcelone.Maisunefoisarrivéeàdestination,Charlotteavaitlevésurluisesgrandsyeuxvertsauxquelsilrésistaitdemoinsenmoins:

—Viensdoncavecnous!avait-ellesuggéré.Pourquoi avoir accepté ? Il s’en étonnait encore. Peut-être par curiosité ?Ou pour voir par lui-

mêmecequifaisaitcourirtoutel’Espagne?En tout cas, pas parce qu’il avait de plus en plus demal à se séparer deCharlotte, fût-ce pour

quelquesheures!Ça,non!Leur relation avait changé depuis son numéro de séduction dans le bureau.De ce jour elle avait

perdu toute réserveenvers lui.Elleétaitplus libredansses rapportsphysiques,plusgaiedans lavie,plusenthousiaste.Elleétaitheureuse.Oui,vivreavecluilarendaitheureuse!

Ilétaitperdudanssespenséesquandleminibuss’immobilisadevantunhôtelmodestesurlaplazadelPueblooùdevaitsedéroulerlaTomatina.Ledirecteurlesfitmontersansperdredetempssurletoitterrasse, sans doute l’un des meilleurs endroits d’où regarder dans son ensemble le théâtre desopérations. Un garde-corps protégeait la terrasse, de sorte que les enfants pouvaient manifester leurenthousiasmeetleurvitalitésansrisque,etonavaitprévudeschaisespourlesadultes.

QuelspectaclesongeaRaul.Laplaceetlesruesadjacentesfourmillaientdemonde;descamionsremplisdecaissesde tomatesétaient stationnésàproximitédecanonsàeau ;desbâchesenplastiqueprotégeaientlaplupartdesimmeublesetmagasins,etdeshordesdejeunesgensessayaientdegrimperàunmâthautd’unedizainedemètresausommetduquelétaitaccrochéeuneénormegrappecomposéedejambons.Lemâtétaitsansdoutesavonnécarlesaudacieuxn’allaientjamaisbienloin,etretombaientlesunssurlesautres,aussitôtremplacéspardenouveauxcasse-cou.

Raulétaitstupéfait:jamaisiln’avaitimaginéqu’ilassisteraitunjouràuneTomatina!Quediraitson père s’il apprenait que son fils participait à une fête aussi populaire ? Nul doute, ildésapprouverait…

LavoixdeCharlotteleramenaauprésent:—L’annéeprochainej’espèreemmenertouslesenfants,criait-ellepar-dessusles«Olé!Olé!»

assourdissantsdelafoule.Rouged’excitation,elletenaitsursesgenouxunefilletteblondeauregardabsent.—J’espèrequetuserasencoredesnôtres,ajouta-t-elle.Ilneputrépondre:legrondementdescanonsàeauannonçaitlecoupd’envoidelabagarre.Ce qui suivit s’apparenta vite à un massacre de carnaval : joyeux, débridé, triomphant mais…

franchementdégoûtant.Charlotteetlesenfantsriaientàenpleurer,voyantdescentainesdetomatesmûresjaillirdepartout

et s’écraser, transformant les rues en torrents de jus rouge, et les gens en épouvantails dégoulinant depulpe.

Commentunhommecommeluiassistait-ilàunedébauchepareille?sedemandasoudainRaul.Lepire,c’estqu’ilnes’ennuyaitpas,n’étaitpasdégoûté,aucontraire.Iltrouvaitlespectacletrèsdrôle.

Il sentit soudainquelque chosedemou s’écraserdans sondos, et aussitôt après eut l’impressiond’avoirétémouillé:undesenfantsl’avaitprispourcibleetriaittantquedeslarmescoulaientlelongdesesjoues.

Il s’aperçut alors que quelqu’un avait monté une caisse de tomates sur la terrasse. D’ailleurs,Charlotteavaitdéjàinstallélapetitefillesursonsiègeetseprécipitaitpours’emparerdedeuxgrossestomatesbienmûres.Avecunsourirepleindemalice,ellelesécrasadanssesmainsavantdeleslancersursachemiseblanche.

Raul baissa les yeux : il était maculé de jus rouge, et ce n’était que le début ; tous les gossess’étaientruéssurlacaissedeprojectilesetlevisaient,hurlantderire.

Charlottesebaissapourseréapprovisionner,etluilançaunregardpleindedéfi.Raulrelevaittoujoursundéfi.

***

Quellemerveilleusejournée!Exaltante,même.Charleyétaitépuiséemaisheureuse.Labatailledetomatesterminée,ilss’étaienttousretrouvésaussisalesquelesgensdanslesrues.Le

directeurde l’hôtelétait remontébrancher la lanced’arrosageet lesavait lavésau jet.Aprèsquoi, ilsétaientrepartisaucentre,trempésmaisjoyeux.

—Tu t’esbienamusé,non?demanda-t-elleàRaulquand ils reprirent laLotuspourse rendreàl’héliport.

Raulacquiesça.Asagrandesurprise,etpoursonplusgrandbonheur,ilavaitvraimentparticipéàlafête,acceptantdeservirdecibleauxenfantsauxquelsilrendaitcouppourcouptoutenprenantgardedenepasleurfairemal.

Ilhochalatêteenimmobilisantlavoituredesportàunfeurouge.—C’étaittrèsdrôle.

—Jetel’avaisdit!Maisj’aimalaubrasàforced’avoirlancédestomates.Elleluiglissauneœilladepleinedesous-entendusavantd’ajouter:—J’aibesoind’unbonmassage.—Etmoijecroisconnaîtreunbonmasseur,réponditRauldutacautac.—Jen’endoutepas.Ilavaitposé lamainsursacuisseet,secalantcontre lavitre,ellefermalesyeux.Oui,elleétait

lasse.—A propos, demanda-t-elle soudain, comment fonctionne la vente des billets pour le dîner de

bienfaisanceàborddetonpaquebot?Elle-mêmes’occupaitdel’organisationpratiquedelamanifestation,maispasdelavente.Raulluilançaunregarddebiais:—J’attendaislemomentpropicepourt’annoncerlabonnenouvelle:nousavonstoutvendu.—Formidable ! s’exclama-t-elle. Tu te rends compte que rien qu’avec les billets nous assurons

deuxansdesalairedupersonnel?—Quandnousauronscollectédesfondsauprèsdesinvitésaveclesenchèresauxdons,jeparieque

lessalairesserontgarantispourlesdixprochainesannées!rétorquaRaulenriant.Tupourraissongeràtepayer,maintenant.

Ellesecoualatête.— Je ne sais pas, il me reste pas mal d’argent, et si je fais attention, je peux continuer à être

bénévolependantlongtemps.—Tuasdoncl’intentionderesteraucentre?—Quepuis-jefaired’autre?—Danscecas,prendsunsalaire,c’estbienlamoindredeschoses.Tutravaillestrèsdur!—Maisnonvoyons!protesta-t-elle,j’amuselesenfants,pasplus.C’étaithélastoutcequ’ellesavaitfaire,etsoudainsonhumeurs’assombrit.—Tufaisbiendavantageettulesais,fitvaloirRaul.Commeellehaussaitlesépaules,ilinsista:—Enfin,Charlotte,sanstoi,iln’yauraitpasdenouveaucentre.—Sanstoi,tuveuxdire!Lavoiturevenaitdefranchirlaporteduhangaroùl’hélicoptèreattendait.—C’est toi qui as fait tout le boulot, rétorquaRaul.Les travaux sont réalisés d’après tes plans,

Vittorelesaàpeinemodifiés.C’esttoutàtonhonneur,reconnais-le.—Tudisn’importequoi!s’insurgea-t-elle, j’aifaitcequen’importequid’autreauraitfaitàma

place.Raultapadupoingsursonvolantavectantdeforcequ’ellesursauta.—Assez,Charlotte,s’écria-t-ilavecirritation.Cessedeterabaisser!—Jenemerabaissepas,maisc’estvrai,jen’airienfaitd’extraordinaire.Après avoir immobilisé la voiture et coupé le contact,Raul se tourna pour la regarder avec une

intensitéquilatroubla.—Aucontraire,déclara-t-ildétachantbiensesmots,tuasétéexceptionnelle.Etilajouta,laclouanttoujourssoussonregardintense:—Voyez-vous,señoraCazorla,quandjevousregarde,jesaispourquoijesuistombéamoureuxde

vous.Charleysentitsatêteluitourner,tandisqu’elleavaitlagorgesèche,soudain.—Lepilotenousattend,réussit-elleàarticulerpourcachersonémotion.

***

—Encoreunpeudevin?Charleysursauta:elleétaitàmillelieuesdelà.—Volontiers,dit-elle,seforçantàsourire,etnouspourrionscommander.—Tucrois?Ils étaient arrivés au restaurant voilà plus d’une heure, et son père n’était toujours pas là. Son

téléphone, évidemment, restait muet. Son père n’avait qu’une heure de retard, pour lui ce n’était pasgrand-chose.Enfant,Charleyavaitpassédesjournéesentièresàl’attendre.

Ellefixalemenudevantelle,incapabled’affronterleregarddeRaul.—Oui,insista-t-elleenseforçantàrire,celaleferaarriver.Ellebutunegorgéedevin.Elleétaitadulte,maintenant,etavaitdepuislongtempsacceptésonpère

tel qu’il était : un homme sur qui on ne pouvait pas compter.Mais l’attendre ainsi la renvoyait à sonenfance,quandelleguettaitpendantdesheuresl’arrivéedesavoiture;àsonadolescenceaussi,quand,parpeurdemanquerunedeseshypothétiquesvisites,ellefaisaitl’écolebuissonnière.

Ilallaitarriver.Ilscommandèrentleurrepas,etburentencoreunverredevin.Enfin,sontéléphonevibra.UnSMS.—Ilaeuunproblème?s’enquitRauld’untonneutre,commeellelisaitlecourtmessage.Ellehochalatête,seforçantencoreàsourire:—Unennuiavecsavoiture.Ellefaitundrôledebruit,ilpréfèrerentrerchezlui.Commeelle s’envoulait !Car c’était sa faute : elle aurait dû aller voir sonpère chez lui sur la

CostaDorado,ou,aupire,luidiredeveniràBarcelone,bienplusprochequeValence.—Queldommage,ditRauld’untonégal.—Ceserapouruneautrefois.Uneautrefoisoùilneviendraitpasaurendez-vous.Brusquement,ç’enfuttrop.—Oh!arrêtedefairesemblantdetrouvercelanormal,explosa-t-elle,auborddeslarmes.Nous

savonstrèsbientouslesdeuxquemonpèresesouciedemoicommed’uneguigne.!Ellevitalorsaveceffroiquesesmainstremblaient.Raulyposalasienneet,sansrépondre,lafixa

desesyeuxtrèsbleusoùselisaientautantdecompassionquedecolère.Raulavaitjugésonpèredèsledébut.

Libérantsamain,Charleypritsonverrepourlelever:—Joyeuxanniversaireàmoi!lança-t-elleavecamertume.—Charlotte,voyons…—Ne t’en faispas, cen’estpas lepremierdemesanniversairesqu’il rate, et cene serapas le

dernier.Envingt-sixans,sonpèren’avaitétéprésentquedeuxfois!—Charlotte,répétadoucementRaul,cen’estpastafaute,tusais?Ellevoulutsourirepouréviterdepleurer.—Jesais.C’estvrai,ellen’étaitpasresponsabled’êtreunefille.Sielleavaitétéungarçon,sonpèrel’aurait

aiméedavantage,comme ilaimait sesdeuxfils.Charley l’avait toujourssu,maisc’était sidouloureuxqu’ellen’avaitjamaispul’accepter.

Ellen’étaitqu’unefemme,unêtreinférieur,sansvaleur.— Je n’ai jamais compté pour lui, s’entendit-elle articuler après avoir pris une bouchée de son

entrée ; quand je repense àmon enfance, le seul souvenir que j’ai de lui c’est de l’avoir attendu. Lamoitiédutemps,ilarrivaitenretard,etl’autremoitié,ilnevenaitpas.

Ellepritunelongueinspiration,etbutunegorgéedevin.PourquoirabâcherunehistoirequeRaulconnaissaitparcœur?Ilyenavaitpourtantunequ’iln’avait jamaisentendue,parcequ’ellenel’avaitjamaisditeàpersonne…

—Jen’aipaspasséunseulNoëlavecluidetoutemavie,déclara-t-elle,gardantlesyeuxfixéssursonverredevin,etilnem’ainvitéequ’unefoisàfêtersonanniversaire:celuidesesquaranteans;moi,j’en avais neuf, je crois. J’y suis allée avecmaman. Je me souviens, j’étais très excitée à l’idée deconnaîtremesdemi-frères.Papam’enavait tantparlé!Il lesvoyait tout le tempsparcequ’ilsvivaientprèsdechezlui.

EllelevalesyeuxpourchercherceuxdeRaul,etrévélaenfin:—Ce jour-là, j’aidécouvertqu’ilsn’étaientpasaucourantdemonexistence!Monpèrene leur

avaitjamaisditqu’ilsavaientunesœur!Raul se fit violence pour demeurer impassible. Il ne fallait pas queCharlotte voie la colère qui

l’étranglait;maissi,àcetinstant,Grahamétaitentrédanslerestaurant,iln’auraitsansdoutepaspuseretenirdeluienvoyersonpoingdanslafigure.Commentunhommepareilpouvait-ilseregarderdansuneglace?

Surtout,oui,surtout,comment,souffrantd’unmanqueaussicapital,Charlotteétait-elledevenueunefemmeaussichaleureuseetprofondémentbonne?Celaétaitunmystère.

—Sionrentrait?demanda-t-elle.J’ailamigraine.Elleétaitpâle,eneffet.Rauldemandal’addition,etglissadiscrètementauserveurd’annulerlegâteaud’anniversairequ’il

avaitcommandéensecret.Enselevant,iltâtadanssapochelepetitécrinqu’ilyavaitglisséeavantdeveniraurestaurant.Il

donnerait àCharlotte son cadeau à lamaison, après avoir débouchéunebouteille de champagne.Elleaurait,ilselejurait,unbelanniversaire!

12.

Autourdu restaurant, la circulationétaitbloquéeàcausede la sortieduTheatroOlympia.Aprèsavoir avancé de quelques mètres, Raul passa au point mort, et prit son mal en patience. Charlotteregardaitpar lavitreenmordillant sonpetitdoigt.Sonchagrin le touchait aucœur. Il aurait tantaimél’attirerdanssesbrasetlaconsolercommeuneenfant!

—Tuasdonnébeaucoupd’argentàtonpère?finit-ilpardemander.Ellehaussauneépaulesansseretourner.—Jenesaisplus.Danslescinqcentmilleeuros,jesuppose.—Enplusdelamaison?Ellesecontentadehocherlatête.Sansmêmes’enrendrecompte,elleavaitessayéd’acheterl’affectiondesonpère.Envain,biensûr.

Commec’étaittristeetdécevantpourelle!UnconcertdeklaxonsramenaRaulauprésent:lavoiturequileprécédaitavançait.Ill’imitaavant

del’interrogerencore:—Qu’as-tufaitaveclerestedel’argent?Cettefois,elleseretourna,etilnesutpaslirel’expressiondesonvisage.—Atonavis?répondit-elle.—Aucuneidée.Ils’étaittrompésisouventsurellequ’ilsegarderaitdefairedeshypothèses.—J’aiachetéd’autresmaisons,révéla-t-elle,uneàmamère,d’abord.—Maisjel’avaisdéjàfait!s’exclama-t-il.Carcontrairementaupèredesafemmequineluiinspiraitquemépris,samèreétaitunepersonne

courageuse.Raisonpour laquelle il luiavaitachetéun logementàLondresdans lesquelquesmoisquiavaientsuivisonmariage.

—Jesais,murmuraCharlotte,maisiln’étaitpaséquitablequemonpèreaitunemaisonenEspagneetpaselle.JeluiaitrouvéunepetitevillaprèsdeValencepoursesvacances.

Sansfairedecommentaire,Raulinsista:—Quid’autreencoreaeudroitàunemaison?—Mesdemi-frères.Cettefois,ilneputcachersastupéfaction.Iln’avaitjamaisrencontrélesdeuxgarçonsetn’ytenait

pas.Commeleurpère,ilsnesesouvenaientdeCharlottequelorsqu’ilsavaientbesoind’elle.—Pourquoidonc,grandsdieux?—Celamefaisaitplaisir,déclara-t-elleavecunesimplicitéconfondante.Aprèstout,mêmesitune

lesaimespas,ilssontmaseulefamille.

—Maisenfin,s’exclama-t-ilsanscachersonexaspération,cetargentétaitpourtoi!—Rassure-toi,j’enaidépenséunepartiepourm’achetermavilla,unevoiture,etj’aipuvivredeux

anssanstoucherdesalaire.—Pourquoinem’avoirpasditquetuvoulaisquetesparentset tesfrèresaientdesmaisons?Je

m’enseraisoccupé!L’idéeparutl’horrifier.—Jamaisjenet’auraisdemandéunechosepareille!—Pourquoi?Tuétaismafemme,toutdemême!Commec’était douloureuxdedécouvrir queCharlotte ne lui avait pas ouvert son cœur !Lui qui

avaitcruallerau-devantdetoussesbesoins,detoussesdésirs…Brusquement,lavéritélefrappaaveclaviolenced’unuppercutdansl’estomac.Leurviecommunen’avaitétéqu’unemascarade!

—Aufond,tunem’asjamaisditlavérité,n’est-cepas?lâcha-t-ild’unevoixsourde.Nisurcequetupensais,nisurcequetuvoulais,nisurcequetuaimais?

Elleportasurluiunregardinquiet:—Queveux-tudire?—Quependanttoutescesannées,tun’asjamaiseuconfianceenmoi.—Sivoyons!Jetel’aidit,jesavaisquetunemetromperaispas…—Cen’estpascequej’appellelaconfiance!lacoupa-t-ild’untondur.Laconfiancec’estdirece

quel’onadanslatêteetdanslecœursanscraintequel’autrevousjuge.Ils’interrompit,cherchantsesmots,puisdéclara:—Avecmoi,tufaisaissemblant.Pourtout!Tun’aimaispaslaviequetumenais,tun’aimaispas

t’habiller dans les meilleures boutiques, tu ne t’intéressais pas vraiment aux affaires que tu voulaismonter,sinonellesauraientréussi.Enbref,tuteconformaisàungenredeviequineteconvenaitpas.

Ellelefixa,etsonexpressionétaitbutée,maintenant.—Tuvoulaismechanger,murmura-t-elleavechostilité.—Jamais!—Entoutcas,c’estcequej’airessenti.Avantmêmenotremariage,tum’avaistrouvéunprofesseur

d’espagnolettuavaischargétasœurdem’habiller.Ensuite,tuasengagéuncoachpourquej’amélioremasilhouette…Tuveuxqueje tedisepourquoituasfait toutça?Parcequejen’étaispasassezbienpourtoiettafamilleparfaite!

—Jetelerépèteunefoisencore,j’essayaisdet’aideràt’intégrer.—Etpourquoi?s’écria-t-elle,necontrôlantplussavoix.Parcequejenefaisaispaspartiedeton

monde,voilàpourquoi!D’ungesteviolent,iltapadupoingsurlevolant.—Jevoulaisteprotéger!Elleparutsidérée.—Meprotéger?Dequoi?—Desgensdemonmilieu.Jenevoulaispasquetutesentesintimidée,ouquetuaiesl’impression

denepastenirtonrang.Le silence lourd s’établit entre eux, seulement troublé par leur respiration.Raul sentait son sang

battreavecviolence.Ilattenditdes’êtreressaisipourdireàvoixpresquebasse:—Désormais,jet’enconjure,plusdemensongeentrenous.—Jenet’aipasmenti,chuchotaCharlottelesyeuxbaissés,jevoulaistantm’adapteràtonmondeet

quetusoisfierdemoi!C’étaitmonseuldésiravoué.J’avaissipeurqu’unjourturencontresquelqu’undemieuxquemoi.Jemetrouvaissibanale,sansintérêt,bonneàrien…

—Pourquoit’aurais-jeépouséesijel’avaispenséaussi?reprit-il,incrédule.

—Jenesaispas!Unefoliepassagère,peut-être?Celanemerassuraitpasparcequelejouroùtudécouvriraisquij’étais,tuenauraisviteassez.

Ellesetutuninstantavantdereprendreavecl’énergiedudésespoir:—Ilfautmecomprendre,Raul.Toutemavie,jemesuiscruesiinsignifiantequemêmemonpèrene

s’intéressaitpasàmoi.J’avaissipeud’importancepourluiqu’iln’apasparlédemoiàsesfilspendantprèsdedixans!

Elleeutunpetitsanglotétrangléavantderejeterlatêteenarrièreetfixerleplafonddelavoiture.—Commentpeux-tucomprendre,toipourquilavieaétésifacile?gémit-elle.Ah,siseulementellesavaitcombiencesmotsleblessaient,etcommeelleétaitloindelavérité!Il

nepouvaitpas comprendre, lui, lepetit garçonqui s’était toujours surpassépourplaire à sonpère, etn’avaitreçuenretourqueblâmeetmépris?

—Tu sais, rien n’a été si simple, finit-il par avouer avec réticence. Je connais ce sentiment den’êtrebonàrien.

Elleleregardasidérée:—Quandl’as-tuéprouvé?Denouveau,illuifallutprendresurluipourexpliquer.Ilétaitsipeuhabituéàrévélersesfaiblesses

oudecellesdesafamille.—Monpèren’étaitpasfacileavecmoi,finit-ilparavouer.Ilendemandaittoujoursplus,etriende

cequejefaisaisnelesatisfaisait.J’ignores’ilm’aimait,maisiln’enajamaisrienmontré.Enrevanche,iladoraitmasœur,etlagâtait.

Il se tut, comprenant à son expression combien ce qu’il venait de lui apprendre désemparaitCharlotte.Commeellegardaitlesilence,ilreprit:

—Sijeteparleainsidemonpère,cen’estpaspourm’enplaindre,maisparcequesinousvoulonsenvisagerunavenircommun,nousdevonsêtresincèresl’unenversl’autre.

IlvitalorsuneexpressiondepaniquesepeindresurlevisagedeCharlotte.—Queveux-tudireenparlantd’avenircommun?demanda-t-elled’unevoixblême.At’entendre,

nouspourrionsrevivreensemble?—Ceseraitunetellecatastrophe?demanda-t-ilàsontour,d’untonqu’ilvoulaitamusé,alorsqu’il

n’en menait pas large. Ces derniers mois, nous nous sommes rendu compte que la vie pouvait êtreagréable, si nous faisions l’un et l’autre quelques petits efforts.Nousnous comprenonsmieux, tu doisl’admettre,non?

—Sinousnousremettionsensemble,demandaencoreCharlotted’unevoixblanche,attendrais-tudemoiquejetedonnedesenfants?

Elleétaitbouleversée,illesentait,maispourquoi?—Tuferaisunesibonnemère,cariña…—Tuesfou!s’écria-t-ellealorsavecuneviolencesidérante.Commentpeux-tupenserunechose

pareille?Surcesmots,elleouvritlaportièreetbondithorsdelavoiture.—Oùvas-tu!—Jenesaispas,ilfautquejemarche,quejesoisseule,lança-t-elle,prisedepanique.Etait-elledevenuefolle?—Ilfaitnuit,cen’estpasprudent!Commesiellenel’avaitpasentendu,Charlottesepenchaàl’intérieurdelavoiturepourprendre

sonsac;elleétaitlivide.—Pardonne-moi,balbutia-t-elle,oh,jet’ensuppliepardonne-moi,maisjenepeuxpas…non,jene

peuxpas!Déjà,elleclaquaitlaportière,etpartaitencourantentrelesvoiturestoujoursimmobiles.

Aprèsuncourtinstantd’incompréhensiontotale,Rauldéfitàlahâtesaceinturedesécuritéetsortitàsontour,inconscientdesklaxonsquicommençaientàretentircarlacirculationreprenait.

Pendant de longues secondes, il ne la vit pas et il eut si peur qu’il lui sembla que son cœurexplosait.Puisenfin,illarepéra,assezloin,suruntrottoirencombrédegens.

Charley courait en se faufilant entre les piétons et elle finit par s’engouffrer dans une petite rueinterditeauxvoitures.Peuimporteoùelleallait,ilfallaitfuir,disparaître…

***

Unemainluisaisitlebras,ellevouluthurler,maisdécouvrantquec’étaitRaul,ellesedégageaavecviolence:

—Jet’enprie,laisse-moi,l’implora-t-elle,j’aibesoind’êtreseule!—Cen’estpasprudent…Raulmarmonnaencorequelquechoseenessayantdeluireprendrelebras,maisdenouveau,ellele

luiarrachacommes’ill’avaitbrûlée.Alorssouslalumièred’unlampadaire,ellelevitsepasserlamaindanssescheveux,tandisqu’ilaffichaituneexpressiondure,soudain.

—Qu’est-cequiteprend?Tupeuxmeledire?demanda-t-ild’untonâpre.— Rien n’a changé, tu ne le vois donc pas ? s’écria-t-elle, sa voix prenant un timbre suraigu.

Commentpeux-tuimaginerquenousallonsrevivreensemblequandtoutcequinousaséparésesttoujourslà!Commentuncouplecommelenôtrepeut-ilenvisagerd’avoirdesenfants?

—Nous ne sommes plus les mêmes qu’autrefois, tenta de plaider Raul, nous nous connaissonsmieux,etnousvivonsplusenharmonie.

—Parcequenoussavonsquecelanedurerapas.—Pourquoinepasdéciderqueceladurera,aucontraire?—Parceque jeneveuxpasrecommencer lesmêmeserreurs,gémitCharley.Jevoulais tellement

êtrecellequetuattendaisquej’enaioubliéquij’étais.Maintenantquejemesuisretrouvée,jesaiscequejesuisetjesaisquejenepeuxpasm’intégrerdanstonmonde.

—Cequetudisn’aaucunsens!protestaRaul.Quandjet’airencontrée,jevivaisdansunebulledontjen’étaisjamaissorti.Tuétaislapremièrepersonnequejeremarquaisquin’appartenaitpasàcemilieu,etjesuistombéamoureuxdetoitoutdesuite.Jevoulaist’enleverpourteprotégeretterendreheureuse.Peux-tulecomprendreetmecroire?

—Oui, bien sûr, soupiraCharley,mais tu dois comprendre aussi que,moi, je suffoquais dans tabulle. Je voulais que tu sois fier demoi, je voulais être une épouse parfaite, je voulais te donner lesenfantsquetudésirais,etquejedésiraisaussi,tupeuxmecroire.Maisilfallaitd’abordquejetrouvedanscettevieuneimagedemoicohérenteetsatisfaisante.Etjen’ysuispasarrivéeparcequelapressionétaittropforte.Tucherchaislaperfectionentout.Moi,jenesuispasparfaite,maisj’essayaisdel’être,etplusjem’yefforçais,plusjemerendaiscomptedemesfaiblesses,etplusjemerenvoyaisuneimagenégativedemoi-même.

Relevantlesyeux,elleregardaRaul:ilsemblaithagard,etelleenéprouvauneimmensetristesse.—Tusaisbien,reprit-elle,quetunetesatisfaisquedelaperfection.Iltefautl’excellenceentout.

MêmepourcenouveaucentredePocoRio:quandilseraterminé,ilseraparfait,etceseragrâceàtoi.Unelarmeperlaitauborddesapaupière,ellel’essuyad’ungestefurtifavantdedireencore:—Jesuistrèstriste,Raul,maisnoussommestropdifférents.Jenepeuxpasrecommenceràvivre

ainsi,c’esttropéprouvant.Elleétaitdure,cruelle,etinjusteaussi,elles’enrendaitcompte,maisunepeurpaniqueluiétreignait

lecœur,lafaisaittrembler,ettout,mêmelepire,étaitpréférableàcettepeurirraisonnée.Raulluisemblaitcommeunfantôme,maintenant,etildemandad’unevoixqu’ellereconnutàpeine:

—Queveux-tufairedetavie?Laquestionlapritdecourt.—Jenesaispas,maisjeneveuxplusmeperdre.Jeveuxêtremoi-même:Charley.Ellehaussalesépaulespourleregarderdroitdanslesyeux,etajouta:—Jeveuxêtreheureuse.—Ettunepensespaspouvoirl’êtreavecmoi?—Non.Jenelepourraipas.Ah,siseulementelleavaittrouvédesmotsmoinsarides,moinsdurspourluidirelavérité!Mais

non,ilfallaitquecelasoitdit.Raul enfouit les mains dans ses poches, prenant visiblement sur lui pour afficher un masque

d’impassibilité.—Danscesconditions,dit-il,jenevoispasl’intérêtdeprolongercetteconversation.Jeteramène.—Chezmoi,ici,àValence?Ilhochalatête.—Sic’estcequetuveux.Tenantàpeinesursesjambes,CharleyregagnalaLotus,toujoursaumilieudel’avenue,maisseule,

maintenant,avecsespharesallumés.Ilsn’échangèrentplusunmotjusqu’àleurarrivéedevantlapetitevilla.Fixantlepare-brisedevant

lui,Rauldéclaraalors:—Jeteferairapportertesaffairesdèsquepossible.—Merci.—Avaresteraencontactavectoipourl’organisationdecedînerdebienfaisance.Charleyréussitseulementàhocherlatêtetantsagorgeétaitnouée.Aprèsquoiellesortitdevoiture,

etpourune fois referma laportièreendouceur, commepour se fairepardonner toutes les foisoùellel’avaitclaquée.Puisellecherchaavecfébrilitélaclédesamaisondanssonsac.

—Charley…Ellelevalatête:deboutprèsdelavoiture,Raullafixait:—Lenouveaucentre,lança-t-il,c’esttoiquil’asfait,pasmoi.S’ilestparfait,unefoisfini,cesera

grâceàtoi.Cenefutqu’unefoisentréechezellequ’ellesentitsesjambessedérober.Il l’avait appelée Charley ! Jusqu’à ce soir, pour lui, elle était toujours Charlotte ! Il lui avait

demandétantdefoisd’abandonnercesurnomqu’iln’aimaitpas!Alors,s’adossantaumur,elleéclataensanglots.

***

Deretourchezlui,Raulcommençaparseservirungintonicbientassé,puischerchaàlatélévision,lematchdefootopposantleBarcelonaauCeltaViga.Ilvitquelquesbellesactionset,entempsnormal,ilauraitapplaudil’équipeduBarcelonaquigagnahautlamain.Iladoraitlefoot,c’étaitsonpéchémignon.

Cesoir,pourtant,sonenthousiasmen’étaitpasaurendez-vous.Etd’abordquelquechoselegênaitdanslapochedesonpantalon.Avecunegrimace,iltâtalapetiteboîtecarréequ’ilsortitaussitôtetlançasurlebar.Laboîteglissaetéchouaparterre.Lecadeauprévupourl’anniversairedeCharlotte,ehbienqu’ilrestesurlesol!Iln’iraitpasplusloin.

Soudain,ilsentitsonfrontsecouvrirdesueurfroide,commes’ilavaitdelafièvre,tandisquesonestomacsecontractaitdouloureusement.

Ilavaitmangéquelquechosequinepassaitpas.

Mais non, voyons, ils avaient quitté le restaurant sans qu’il ait même goûté son entrée. C’estCharlottequiavaitvoulupartir.Charley…

Il se levad’unbondpour récupérer laboîtepar terre,etd’ungeste rageur,arracha lepapierquil’enveloppait, puis en souleva le couvercle pour regarder son contenu. Et plus il le fixait, et plus sanauséedevenaitinsupportable…Sansvraimentcomprendrecequ’ilfaisait,ilpritsonélan,etdetoutesaforce,lançalecoffretsurlesbouteillesalignéesderrièrelebar.Leflacondevodka,déséquilibré,tombaparterreetsebrisa.

L’odeurd’alcoollefitrire,etilriaitencorequandilavalad’untraitcequ’ilrestaitdesongintonic,avantdejetersonverreavecforcesurlabouteilledewhisky.Cettefois,seulleverresebrisaenmillemorceaux.

Sonrires’arrêtanetcommeilregardaitleséclatsacéréséparpillésautourdelui.Ilnepouvaitpaslarendreheureuse.Elleleluiavaitdit!Ilavaitvoulul’aider,laprotéger,ettous

seseffortss’étaientretournéscontrelui.Charleys’étaitsentie incapabled’atteindrelaperfectionque,pensait-elle, ilattendaitd’elle.Tout

commelui-mêmes’étaitsentiincapabled’êtreàlahauteurdesexigencesdesonpère.Alorsellel’avaitquitté,commeluiavaitfuisonpère.Ilpritunelenteinspiration.Ils’enremettrait.Quandelleétaitpartie,lapremièrefois,ils’enétaitremis.Maislapeine,lechagrin…Dieu,commec’étaitdouloureux!Illuisemblaitquetoutsonêtreétait

ravagé.Celafiniraitbienparpasser…

13.

Charleyselaissatombersursoncanapé,épuisée.Pourtant, la journéen’avait pasprésentédedifficultéparticulière.Enquittant le centre, elle était

alléedînerchezSteveetsafemme,puisétaitrentréetôt.Pasdequoiêtreépuisée.D’autantplusqu’elleavait toutpourêtreheureuse :unebonnesanté,unemaison, samèrequine

tarderaitpasàarriverpourlesvacances,lenouveaucentrepresqueterminé,etledînerdebienfaisanceàborddubateaudecroisièrequiapprochaitetpromettaitd’êtreuneréussite.

Seuleombreautableau:elleyreverraitRaul.L’idéeluiétaitvenuenepasyassister,elleenavaitmêmeparléàAva.Maiscelle-ciavaitdûledireàRaulquiparunmaillaconiquel’avaitprévenuequesiellenevenaitpas,ilannuleraitl’événement.Ilterminaitainsi:

Cecentreesttonœuvre,Charley,tuastravaillédur,ilestnormalquetuparticipesàcettesoirée.

Pourlasecondefois,ill’appelaitparsonsurnom…Comme il luimanquait ! Il est vrai que pendant ces deuxmois, ils ne s’étaient pratiquement pas

quittés…Lesidéesqu’elleavaitrefouléescesdernièressemainess’emballaientmaintenantdanssatête.Impossibledelesignorer.

Etait-ceunecoïncidencesielleavaitquittéRaulpourlasecondefoislejourprécisoùsonpèreluiavaitfaitfauxbondcommeàsonhabitudepoursonanniversaire?Etsi…

Elleseredressa.Avait-ellesacrifiéleurrelationparcequ’elleavaitpeur?CarRaulavaitditvrai:cette fois, leurviecommuneavaitétéharmonieuse…JamaisCharleyn’aurait imaginés’épanouirainsiavec lui. Il lui avait apporté la sécurité morale, la liberté d’être elle-même, et à aucunmoment ellen’avaitredoutésonjugement.Pendantcetinterlude,ilss’étaienttraitésavecrespect,enégaux.

Etelleavaitrefusédevivreaveclui!Délibérément,elleavaitrejetélachancedebonheurqu’illuioffrait!

Qu’est-cequin’allaitpaschezelle?Allait-elle laisser cette peur irraisonnée régir son existence ?Allait-elle perdreRaul et lui faire

payerlesinconséquencesdesonpère?Parcequesonmanqued’assurance,ellelesentait,étaitdûàl’absencedesonpère,àsadémission;

c’étaitluiquiavaitsuscitéenelle,dèslapluspetiteenfance,cesentimentqu’ellenevalaitrien,qu’elleétaitremplaçable…

Voilà pourquoi elle avait toujours paniqué à l’idée queRaul lui en préfère une autre…Et voilàpourquoi,pardeuxfois,elleavaitfui,decraintequ’ilnel’abandonnecommesonpèrel’avaitsisouventfait.

MaisRaullavoulaitelle,Charley…etill’aimait,elle!

Unecertitudes’imposasoudainàsonesprit:Raull’aimaitavecsesimperfections!Sesfaiblesses!Unejoieirraisonnéel’envahitcommeellecomprenaitenfincequ’ellen’avaitpassu—pasvoulu

peut-être—voir.Maiselleserembrunitvite:Raull’aimait,maisellel’avaitdurementblessé.Danssonorgueil,surtout.Ellel’avaitquittépardeuxfois,alorspeut-êtrerefuserait-ildel’écouterquandelleluiouvriraitsoncœur?Ets’ilnevoulaitplusd’elle?

Unpeudecourage!S’ilt’enveuttroppourtepardonner,tul’aurascherché,ettantpispourtoi.Maisavantdeluiparler,elledevaitréglerdefaçondéfinitivelecœurduproblème.Sansquoi,elle

nepourraitpasaimerpleinementRaulniprofiterdel’amourqu’illuiportait.Ils’agissaitdeleurbonheurcommun,etellenepouvaitplussepermettredeprendrelemoindrerisque.

Aprèsêtrealléecherchersontéléphone,ellecomposalenumérodesonpère.Commed’habitude,elle tomba sur sa boîte vocale, et dut raccrocher puis rappeler une demi-douzaine de fois pour qu’ildécrocheenfin.

—Charley?Il faisait semblant d’être hors d’haleine, entendit-elle ; ce n’était sans doute pas vrai : il avait

toujourssonportablesurluietleposaitsurlatable,lesraresfoisoùilsdéjeunaientensemble.—Bonsoir,papa.Elleprituneprofondeinspirationpuissejetaàl’eau:—Jevoulaistedirequejeneviendraipastevoirjeudi.Jeferaivireràtabanquelasommequetu

m’asdemandée,maisc’estladernièrefois.Jenetedonneraiplusjamaisd’argent.Situenasbesoin,ilfaudratetrouveruntravail.

Sonpèrebalbutiaquelquesmotsincompréhensibles,maissansl’écouter,ellerepritavecfermeté:—J’aipassémavieàt’attendre,papa,jet’aimebeaucoup,maisj’enaiassezmaintenant.Surquoi,ellecoupalacommunicationetfermalesyeux.Comme elle se sentait libérée ! Enfin, elle était contente d’elle ! Elle se respectait. Comment

attendredurespectdesautresquandonnes’enportaitpassoi-même?

***

Legigantesquebateaudecroisièreavaitembarquésespassagersdansl’après-midi,avantdequitterleportpourallermouilleraulargedeBarcelone.Lesinvités,aprèsavoirprofitédesdeuxpiscinesdubord, étaient allés se préparer dans leurs cabines et,maintenant que la nuit était tombée, la fête allaitcommencer.

Al’entréeduhallderéception,Raul,affichantunsouriredecirconstance,accueillaitlesconvivesquelepersonneldebordescortaitensuiteaugrandsalon.

Charleyétaitvenuetrèstôt,lematin,pours’occuperavecAvadesderniersdétailspratiques,maisilnel’avaitpasencorevue.

En fait, depuis qu’il l’avait raccompagnée chez elle, il n’avait eu aucun contact avec elle, àl’exception du mail qu’il lui avait envoyé quand Ava l’avait informé qu’elle envisageait de ne pasassisteràl’événement.Ilnes’habituaitpasàvivresanselle,hélas…

Legrandsalonfutbientôtpleindefemmesenélégantesrobesdusoiretd’hommesensmoking.Desserveursenlivréecirculaientavecdesplateauxdecoupesdechampagneetdepetitscanapés,etbientôttoutlemondeavaitunverreàlamain.Lasoirées’annonçaitprometteuse.

Raulfronçalessourcils:sesparentsvenaientd’arriver,Martapoussantlefauteuilroulantdesonpère.C’étaitlapremièrefoisqu’illesvoyaitdepuissaruptureavecCharley,ayantdéclinélesinvitationsdesamèreauxdînersfamiliauxhebdomadaires.

—Charlotteestlà?demandatoutdesuitecelle-ci.—Oui,maisjenesaispasoù,répondit-il,prenantl’airdégagé.

—Cettesoiréeestauprofitdel’œuvredontelles’occupe,n’est-cepas?repritsamère.Ilsecontentadehocherlatête.D’ailleurslemaîtredecérémonieinvitaitmaintenantlesinvitésà

passeràlasalleàmanger:lerepasallaitcommencer.Suivraientlesenchèresauxdons.Al’entréedelasalleàmangersetrouvaituntableauaveclesplansdetable.Commeils’yattendait,

Raulprésidaitlatabled’honneur,aveclecommandantdebordàsagauche,samèreàsadroite,puissonpèreetsasœur.OùétaitdoncplacéeCharley?

Ilfinitpardécouvrirsonnomàunetabletrèséloignéedelasienne,maisprochedelaporte.VoyantpasserAva,illuifitunsigne,etelleapprocha:

—Pourquoimafemmen’est-ellepasàlatabled’honneur?—Elleavouluresteraveclesenfantsetleursfamillesetellepréféraitunetableprèsdelasortieau

casoùl’undespetitsauraitunproblème,expliqual’assistante.Sept enfants assistaient au dîner, accompagnés de leurs parents.Raul aurait aimé qu’ils viennent

tous,maispourcertains,cen’étaitpasprudent:lanouveauté,lechangementderoutine,bref,l’absencederepères,risquaientdelesaffoler,etdeprovoquerchezeuxunedétresseincontrôlable.Leursfamillescependantavaientétéconviées,demêmequelesmembresdupersonnelducentreavecleursconjoints.TousétaientleshôtesdeRaulquicomptaitbienobtenirdesautresinvitéslemaximumd’argentpourlecentrequand,aprèslerepas,auraientlieulesenchèresauxdons.

IlrepéralapetitefilleblondesimignonnedontCharleys’étaitoccupéeàlaTomatina,puisungrandgarçon en fauteuil roulant dont il avait oublié le nom…Et soudain, il la vit ! Elle avançait dans sadirection,engrandeconversationaveclamèredel’undesesprotégés.

Elle dut sentir son regard car, l’espace d’un instant, elle se tut et porta les yeux sur lui.Raul setendit.

Dieu,qu’elleétaitbelle!Resplendissante,radieuse!Elleportaitunerobeendentellebleuequiluiarrivaitàmi-cuisseetmettaitenvaleursasilhouettetouteencourbesvoluptueuses;sescheveuxblondfoncéretombaientlibressursesépaules.Malgréladistance,Rauldevinaitl’animationdanssesyeux.

Unhommedehautetailles’interposa,etelledisparutdesavue.Bientôt, chacun ayant trouvé sa place à table, on servit du vin, et le dîner d’apparat commença,

impeccablementorchestréparunpersonnelnombreuxetstylé.Durantlerepas,bienquejouantsonrôled’hôteauprèsdesinvitésdesatable,Raulnequittapas

Charleydesyeux.Aveclesenfantsetquelquesparents,ilsformaientunejoyeusetablée,etellebavardaitaveclesunset lesautres.Detempsentemps,elleregardaitdanssadirection,et iléprouvaitalorscetélanded’énergievitalequ’ilavaittoujoursressentiauprèsd’elledepuisledébutdeleurrelation.Pourlui,elleétaitlaviemême…

Lesenfantsautourd’ellesemblaientravis.Elleavaitàsadroiteunepetitefilledontelletenait lamain,tandisqu’avaitprisplaceàsagauchelepetitgarçonenfauteuilroulantquesonpèreassisàcôtédeluifaisaitmangercommeunbébé.

Raulfutsoudainsubmergéparunevaguedepitié :pauvregarçonnetquinepourrait jamaisvivrecomme tout le monde ! Et pauvre père, dont la vie serait perturbée à jamais par l’infirmité de sonenfant…

Sonregardseportaalorssursonproprepère,infirmeetdansunfauteuilroulant,luiaussi,etpourlapremièrefoissoncœurseserra: iléprouvaitdelacompassionpourlui.Sonpèreavaitétédur,cruel,férocementexigeant…maisméritait-ilunedéchéancepareille?

Il regardaensuitesamère :elleaussivivaituneexistenceéprouvantedepuis l’AVCdesonmari.Elleavaitmêmetransformélamaisonfamilialepourqu’ilpuissecontinueràyvivre,alorsqu’elleauraitpuleplacerdansuneinstitutionspécialiséeoùd’autresl’auraientsoigné.Maisnon,c’étaitunefemmededevoirquiavaitchangésaviepournepasabandonnersonmari.

Charleyauraitfaitlamêmechose,Raulenétaitsûr.Charleyn’auraitjamaisabandonnéunêtrecher.Saufsielles’yétaitsentieobligéeparquelquechosedeplusfortqu’elle…

Tandisquecespenséesdéfilaientdanssatête,lesserveursavaientfinidedébarrasserlesassiettesàdessert,etducoindel’œil,ilvitCharleysedirigerverslefonddelapièceoùl’onavaitinstalléunepetiteestradeavecunmicro.

Elle tapotad’abordsur l’instrumentpourvérifierqu’ilétaitbranché,puissavoixs’élevadans lasalle.

—Toutlemondem’entend?demanda-t-elleenespagnol.Un brouhaha lui répondit. Elle s’éclaircit la gorge, puis reprit la parole d’une voix claire et

chaleureuse.—Avantquenecommencentlesenchèresauxdons,jeveux,aunomdesenfants,deleursparents,et

du personnel de Poco Rio, vous remercier tous pour votre présence ici ce soir, et votre générosité.Sachezquevosdonspermettrontàl’associationdesedévelopperetdemieuxservirlebutqu’elles’estfixé:rendreheureuxdesenfantsquelavien’apastoujoursgâtés,etsoulagerleursparents.

Un tonnerre d’applaudissements ponctua ses paroles, mais Charley n’en avait pas terminé. Elledemandalesilence,etsavoixvibraitd’émotionquandellereprit:

—Jevoudraismaintenantremerciertoutspécialementl’hommeexceptionnelquiapermisquecettesoiréeaitlieu.

Elleleregardaitàprésent,Raulenétaitsûr,etilenfutsiémuqu’ileneutlagorgenouée.LavoixdeCharleyvibraittoujoursquandellepoursuivit:—SansRaul,nousneprofiterionspasdecettebellesoirée,etPocoRion’auraitplusquequelques

semainesàvivre.Alors,portonsuntoastàRaul!Lesapplaudissementsredoublèrent,tandisquetouslesregardssebraquaientsurlui.—Raul!Raul!scandaitlafouledesinvités,chacunlevantsonverre.Ah,s’ilavaitpusourire,acceptercethommageavecbonnegrâce!Maisimpossible,Charleys’était

trompée,ilfallaitrectifier…Iln’eutmêmepasletempsdesedresserpourprotesterquedéjà,elleavaitregagnésaplace,etque

lemaîtredecérémonieannonçaitledébutdesenchères.

***

Lasoiréeseterminait.Lesenchèresétaientmontéesjusqu’àdessommesastronomiquesmais,sansenattendrelafin,Charleyavaitdisparuaveclaplupartdesenfants.Cen’étaitpasgrave.Commetouslesinvités, elle resterait à bord cette nuit, et Raul irait la chercher dès qu’il le pourrait. Car d’abord ilvoulaitmettredel’ordredansunepartiedesavie.Ils’étaitpromisdelefaire,unpeuplustôtpendantlerepas,quandilavaitcomparélepetitgarçonquesonpèrefaisaitmangerdanssonfauteuilroulantàsespropresparents.

Lemoment était propice :Marta venait de partir s’amuser avec un groupe de jeunes, et samèrepoussaitlefauteuildesonpèreversl’undespetitssalons.Illessuivitets’installaàleurtableavantdeleurfaireserviràboire.Laconversationavecsamères’engageasansdifficulté,ettrèsviteilluiposalaquestionquiluitenaitàcœurdepuislongtemps:

—Pourquoim’avoirlaissérenoncerauxaffairesfamilialessansprotester,maman?Lavieilledamemarquasasurprise:—Tucroisdoncquej’auraisput’enempêcher?—Tuauraispuessayer.—Jenem’inquiétaispaspourtoi,jesavaisquetoutiraitbien.Turessemblestantàtongrand-père

Nestor.

—Nestor,dis-tu?Raul n’en croyait pas ses oreilles. Son grand-père avait fondé l’empire Cazorla, mais pour des

raisonsqu’ilnes’étaitjamaisexpliquées,onparlaitpeudeluidanslafamille.—Oui,repritsamèretoujourscalmeavecunregardpleindecompassionsursonmaridontlesyeux

passaientdesonfilsàsafemme,commes’ilessayaitdésespérémentdeparticiperàlaconversation.—Tonpère,expliquaitmaintenantLucetta,nes’est jamaisentenduavecNestor,pasplusqu’avec

toi.—Et pourquoi ? s’exclamaRaul, s’adressant par réflexe au vieil homme infirme. Ilm’a semblé

parfoisquetumedétestais,papa,quejen’étaispasassezbienpourêtretonfils.Sonpèreréussitàémettreunesortedegrognement,etsafemmeluipritlamainpourlatapoteravec

affection.Puiselleditencoreàl’adressedesonfils:—Jepensaisquetul’avaiscompristoutseul.CommeNestor,tuestrèsintelligentetturéussisdans

toutcequetuentreprends.Tonpèremepardonneradetedirelavérité:pourlui,lavieaétémoinsfacile,etiladûbeaucouptravaillerpourobtenirdesrésultatsplusmodestes.Maisilsavaitqu’unjourviendraitoùtureprendraislesaffairesfamilialesetverraisseslimitesetseséchecs.Aufond,vois-tu,ilavaitpeurdetoi.

Commentlecroire!Sonpèreletrouvaitplusintelligentquelui-même!Stupéfait,Rauls’adressadenouveauàsamère:

—Pourquoin’avoirjamaisprismadéfensequandpapaétaitimpitoyable,etqu’ilmepunissait?Samèresoupira.—Tusais,Nestor,sonproprepère,étaitencoreplusduretplusexigeantenverslui.Etpuis,mon

chéri,tunelesaispasparcequetun’espaspère,maistul’apprendrasunjour.Lesparentsnefontquecequ’ilspeuventavecleursenfants.Ilslesaiment,certes,maissetrompentsouvent,carcesontaussidesêtreshumainsavecleursfaiblessesetleursimperfections.Quantàmoi,dequeldroitaurais-jeempêchétonpèredetepunirquandilestimaitdevoirlefaire?Cen’étaitpasmonrôle.Tuverraslemomentvenucommeilestdifficiled’éleverdesenfants!

Quelle ironie ! Raul en aurait presque ri. Parler des enfants qu’il aurait un jour quand la seulefemmeaveclaquelleilenvoulaitétaitCharleyqu’ilavaitsimaltraitéequ’ellel’avaitquitté!

Il reporta son attention sur sonpère : dans ses yeux se lisait ungrand tumulte d’émotionsque lepauvrehommenepouvaitpasexprimerparlaparole.Etilcomprit.Sonpèreluidemandaitpardon!Unepulsionviolentelesaisit:ilfallaitpartir,fairecommes’iln’avaitrienvu,riensaisi,ignorercerepentirqu’illisaitdanslesyeuxaussibleusquelessiens.

Ilseressaisitetpritentrelessiennesl’unedesmainsinertesduvieilhomme,pourlaserrer,avantdesepencheretdéposerunbaisersursajoue.

La vie avait assez puni son pauvre père. Qui était-il, lui Raul, pour le juger, quand, par soncomportementidiot,prétentieux,ilavaitfaitfuirlafemmequ’ilaimait?

Peut-êtreétait-iltroptôtpourluipardonner,maislavoiedelaguérisonétaitouverte:ilneluienvoulaitplus.

14.

Les enchères avaient dépassé les prévisions les plus optimistes !De quoi faire tourner la tête àCharleyetàtoussesamisducentre.Etc’étaitsanscompterl’argentdébourséparlesconvivespourlerepasetlasoiréeàborddubateau.Bref,PocoRion’auraitplusdeproblèmesfinanciersdesitôt!

Lesenchèresterminées,plusieursdistractionsétaientproposéesauxinvités:onpouvaitallerdanseràladiscothèquedubord,oujoueraucasino,ouencoreassisteràunecomédiemusicaledonnéedanslasalledeconcert…Charley,elle,avaitchoisidemontersurlepontsupérieuret,accoudéeaubastingage,elleregardaitscintillerleslumièresdeBarcelone.Onauraitditdesluciolessuspenduesparmyriadesau-dessusdel’eausombre.

Ellerespiraàpleinspoumons:quel’airdelamersentaitbonlesel!Commedutempsoù,avecRaul,ilshabitaientunevillaauborddelaplage…

Raul!Ilfallaitqu’elleluiparle.Ellel’auraitcherchéplustôt,cesoir,maissonairfâché,quandelleavaitdemandéquel’onporteuntoastensonhonneur,l’avaitdécouragée.

S’ilnevoulaitplusd’elle?Si…Assezdequestions idiotes, se reprit-elle vertement.Elle avait à lui parler, s’était promis depuis

plusieursjoursdelefairecesoiretleferait!—Puis-jetetenircompagnieunmoment?Elletournalatêteenmêmetempsquesoncœurbondissait:ilétaitlà,justederrièreelle,plusbeau

quejamais,danssonsmokingcoupéàlaperfection,etiltenaitdeuxflûtesdechampagne.Illuientenditune.—J’aipenséquetonlongdiscoursaumicrot’avaitdonnésoif,dit-ilavecunhumourfroid.—Merci.Charleypritlacoupe,leursdoigtssefrôlèrent,etelleenressentitcommeunedéchargeélectrique.Il s’accoudaàcôtéd’elle, siprèsqu’elle sentait sa troublanteodeurvirile, etporta lui aussi les

yeuxsurlespetiteslumièreslointainesquipalpitaientdanslanuit.—Cequetuasditn’étaitpasvrai,déclara-t-ilauboutd’unmoment.—Aquelsujet?— Quand tu as demandé qu’on porte un toast en mon honneur parce que cette soirée avait été

possiblegrâceàmoi.C’estfaux!Toi,tuméritaisuntoastparcequelecentreexistegrâceàtoi.—Pasdutout!—Si.Sanstoi,rienneseseraitpassé.C’est toiquiasdécidéd’aiderPocoRio,deluioffrir les

moyensdepoursuivresonbut.Moi,j’aiseulementdonnéunpetitcoupdepouce.

—Ecoute,nousn’allonspasnouschamaillerpoursavoirquidenousdeuxaété leplusefficace.Disonsquenousavonsfaitunbontravaild’équipeetnoussommescontentstouslesdeux.

EllevitalorsuntimidesouriredétendrelevisagedeRaulquilevasaflûte:—Anous,alors?—Anousdeux,acquiesça-t-elle,levantaussisonverrequ’elleentrechoquaavecceluideRaul.Maiselleneleportapasàsabouche.Illuifallaitgarderdesidéesclaires.—Tuestrèsbelle,déclara-t-ilàmi-voixaprèsunsilence.—Merci,répondit-elle,feignantuntonenjoué.Jenepourraisplusmemettresurmontrenteetun

touslesjours,commeavant,maisunefoisdetempsentemps,c’estagréable.—Detoutefaçon,tuestoujoursravissante,murmuraRaulquitoussotaavantdereprendre,savoix

raffermie:jevoulaistedirequej’aimisàtonnomleslocauxdunouveaucentre.—Maislestravauxnesontpasterminés!Ilétouffaunsoupir:—Jemesuistrèsmalcomportéavectoidanscetteaffaireetj’enaihonte.J’espèreseulementqu’un

jourtumepardonneras.—Tuavaistesraisons,murmuraCharley,refoulantsonémotionpournepaspleurer.Mercidufond

ducœur,Raul.Ilhaussalesépaules,etsanslaregarder,reprit:—J’airéfléchi:nousavonsrecueillibeaucoupd’argent,cesoir,bienassezpourouvrirunsecond

centre.PourquoipasàBarcelone?Celameplairait.Alors,accepterais-tudechercherpourmoncompteunterrainouunimmeublequiconviendrait?

LetourqueprenaitlaconversationsurpritCharley.—Commentcela,pourtoncompte?demanda-t-elle.—Jesuisprêtàfinancerleslocauxsurmesfondspropres,etunepartiedel’argentréunicesoir

pourraitserviràpayerlesfraisdefonctionnementenattendantquenousorganisionsd’autresévénementscommecelui-cipourremplirdenouveaunoscaisses.

—Ettuvoudraisquejet’aide?l’interrogeaCharley,lecœurbattant.—Jeveuxquetugèresceprojetàmaplace.Jetepaierai…—Jeneveuxpasd’argent.—Jesais,maistuenaurasquandmême.Situacceptesmaproposition,évidemment.Charley se tourna pour le regarder, incrédule.Mais sans lui laisser le temps de répondre, Raul

reprit:—Netedécidepastoutdesuite.Réfléchis,etnousenreparlerons.C’était incroyable, et si inattendu ! Il lui faisait confiance ! Il croyait en elle, en ses capacités à

meneràbienunprojetcomplexe,difficile!C’étaittropbeaupourêtrevrai!DéjàRaulreprenaitlaparole,maissavoixétaittriste,maintenant.— J’aimerais tant remonter le temps ! soupira-t-il. Tu sais, cette bulle que nous avons évoquée,

l’autresoir,danslavoiture.Moi,j’ysuishabituéeparcequejeneconnaisquecettevie-là;maisj’auraisdûmedouterquequelqu’unvenantd’unmondedifférentauraitdumalàs’yadapter.Envérité,jen’avaisriencompriset, au lieude t’aiderà t’intégrer, je t’aiobligéeà te comporter comme tun’enavaispasenvie,sibienquelasituationestdevenueintenable.Jem’enrendscomptemaintenant:depuisdeuxans,tuessortiedecettebulleettuestellementplusheureuse!

Charleyrestasilencieuse:ilfallaitqu’ildisetoutcequ’ilavaitsurlecœur.—Jesaisquej’ai toujoursmis labarre trèshaut,poursuivit-ilsuruntondéfait.Cen’estpasma

faute,toutemavie,monpèreaexigédemoid’êtrelemeilleurdanstouslesdomaines,etjevoulaislesatisfaire.Jecherchaisàêtreparfaitpourqu’ilsoitfierdemoi…

—Etreimparfaitn’estpasunetare,suggéra-t-elleàmi-voix,c’esthumain,aucontraire.

—Jelesais,c’esttoiquimel’asenseigné.Sepenchant,ilmurmuraalorstoutcontresonoreille:—Tuescequ’ilm’estarrivédemeilleurdansmavie,CharleyCazorla.Quoiquetudécidespour

tonavenir,soisheureuse,tulemérites.Puis il effleura à peine ses lèvres des siennes, et alla poser sa flûte de champagne sur une table

avantdes’éloigner.IlnefallutquequelquessecondesàCharleypoursaisirsachance.—Jet’aimenti!s’écria-t-elleens’élançantderrièrelui.Ils’immobilisa,etluifitface.—Quandjet’aiditl’autrejourquejenepourraispasêtreheureuseavectoi,c’étaitfaux!Cesdeux

moisquenousvenonsdevivreontétélesplusmerveilleuxdemavie.Lesdernièressemainessanstoiontétémisérables.

Lesmotsluiavaientéchappé,maisellenelesregrettaitpas,ilsétaientsivrais.Raulluiavaitoffertsoncœur,quinzejoursplustôt,etellel’avaitrejeté.Mêmes’ilnevoulaitplusd’elleaujourd’hui,elleluidevaitlavérité.Etellen’allaittoutdemêmepaspasserlerestedesavieàregretterd’avoirpeut-êtrelaissépassersachancedebonheur!

—J’avaissipeur,expliqua-t-elle,lesoufflecourt,j’étaisterrifiée…Jet’aiquittédeuxfois,Raul,situneveuxplusdemoi,jenepourraipastelereprocher…

Elleprituneprofondeinspiration,illeluifallaitpouravouerenfinlavérité.—Jet’aime,Raul,jet’aimetantquemoncœuréclated’amour.Alors,jesais,jeneteméritepas,

maissituconsentaisàmedonnerunetroisièmechance…Ellen’allapasplus loin :Raulbonditet lapritdanssesbraspour l’embrasseràperdrehaleine.

Alors,ellenoualesbrasautourdesoncou,etlemondeautourd’euxcessad’exister.Longtemps,trèslongtemps,ilsdemeurèrentenlacés,puisRaulsedégageapourprendresonvisage

entresesmainsetlaregarderdanslesyeux:—Jecroyaisquec’étaitfini,nousdeux,chuchota-t-il,jepensaist’avoirperdue.Ellesecoualatête:—Jamais!Jet’aimedepuislepremierinstantoùjet’aivu,Raul.Ellesouritalors,etglissaundoigtcaressantlelongdelajouedesonmari:—Jet’aimedetoutmonêtre,reprit-elle.Ettusais,cettebulledonttuparlaistoutàl’heure?On

pourraitpeut-êtrevivreavecunpieddanstonmondeetl’autredanslemien…Iléclataderire,unrireheureuxcommeellen’enavaitpasentendudepuissilongtemps.C’estalors

qu’ilsortitdesapocheunpetitécrinqu’illuitendit:—C’estpourtoi,machérie.Jevoulaisteledonnerpourtonanniversaire.—Qu’est-cequec’est?—Ouvre-leettuverras…Charley obéit, et aussitôt son cœur bondit : sur son coussin de velours sombre scintillait une

allianceincrustéedediamants.—Commeelleestbelle!—Chaque fois que tu la regarderas, rappelle-toi quemon amourpour toi est éternel commeces

diamants,murmuraRaulavecuneinfinietendresse.Ilsortitlabaguedesonécrin,etlaglissaàsonannulaire;elleétaitexactementàsataille.—Tuvois,dit-ilencoreavecunsourireheureux,désormaistuesàmoi,etnousnenousperdrons

plusjamais.Les yeuxdeCharley se voilaient de larmes, à présent : tant d’émotions, tant de bonheur… il lui

semblaitqu’elleallaitexploserd’allégresse.

—Cariña,repritRaul,nousallonsconstruirenotrebulleànous,nousyvivronsetnousapprendronsàaimertoutesnosimperfections.

—Tuveuxdiretoi,moi,etnosbébés?Raulserembrunitd’unseulcoup.—Nousauronsdesenfantsquandtuserasprête,déclara-t-ild’untonferme,etpasavant.Jen’ai

plus envie d’une famille parfaite : la perfection m’ennuie. Et nos enfants, je l’espère, seront aussiimparfaitsquenous!

—Nousauronsdesenfantsquandjeseraiprête,as-tudit?Dansseptmois,celaneteparaîtpastroprapide?Parcequemoi,celameconvienttoutàfait.

LechocqueressentitRaulétaitpresquepalpableet,n’ytenantplus,Charleyéclataderire.—Etoui,monamour,tuvasbientôtêtrepapa!—Commentcela?réussit-ilàarticuler.—Tutesouviensquandjesuisvenuetefaireladansedesseptvoilesdanstonbureau?luirappela

Charley,rianttoujours.Ehbien,j’avaispenséàtoutsaufàmeprotéger.—Etjen’yaipaspensénonplus,admitRaul,ahuri.—Ehbienj’aifaituntestdegrossessehier;ilestpositif.C’estunpeutôtpourseréjouir,maisily

aunebonnechanceque…Oh!chéri,jesuissiheureuse!Redevenantsérieuse,elledemandaavecinquiétude:—Tuesheureux,toiaussi?—Heureux?Lafemmequej’aimeacceptedevivreavecmoi,etj’apprendsquenousallonsavoir

unenfant:heureuxestunmotfaiblepourexprimercequejeressens!Ill’attiradanssesbraspourl’embrasseravecpassion,sanss’occuperdespassagersmontéscomme

euxsurlepontpourprendrel’airetquilesregardaientavecunétonnementmêléd’envie.

TITREORIGINAL:THEPERFECTCAZORLAWIFETraductionfrançaise:

HARLEQUIN®

estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequinAzur®estunemarquedéposéeparHarlequin

©2015,MichelleSmart.©2016,Traductionfrançaise:Harlequin.

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:HARLEQUINBOOKSS.A.

Tousdroitsréservés.

ISBN978-2-2803-5460-8

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

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