printemps 2016 prix libre n21
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Printemps 2016 prix libre N 21°
viedebout
Médias locaux // NDDL // NoTHT // Nuit debout // logiciel libre // BD
Éditorial Printemps 2016
Un mois de mars sans fino u l ’ a r t d e t e n i r
deboutNous étions nombreux à
attendre une étincelle, le début
d’une réponse à cette vague néo-
libérale et sécuritaire. A la suite de
la mobilisation contre la loi travail,
Les initiateurs des “Nuits Debout”
(ND) étaient porter par un double
désir : construire la “convergence
des luttes” et ainsi “leur faire peur”.
Ces objectifs partent d’un constat
simple : nous sommes émiettés et
nos luttes parcellaires ne leur font
pas peur… Les premiers
noctambules de la place de la
République ont mis sur la table un
troisième objectif qui est aussi
“comme un vide à combler” : nous
devons nous parler et construire
ensemble au delà de nos
appartenances, de nos choix
individuels.
Avant dans répertorier les
limites, nous devons faire un
constat implacable : le succès des
ND (mais aussi du vaste
mouvement contre la loi travail)
est une incontestable bonne
nouvelle politique ! Le FN est hors
sujet. Le gouvernement est poussé
dans ses retranchements. Les
places publiques deviennent des
agoras. Une génération se politise
en appliquant une démocratie
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radicale. Les “grands” partis et leurs
primaires sont ringardisés. Les
valeurs de partage et d’hospitalité
sont au coeurs des débats. La poésie
et la créativité se réinvitent dans le
champ politique. Et tout ceci en à
peine un mois ! Ne boudons pas
notre plaisir.
Dans notre département, les
ND ont rassemblés des militants de
toutes origines et des citoyens en
quête de solutions et d’actions. Les
premières décisions sont tournées
vers la convergence des luttes (avec
un soutien aux migrants par
exemple…) et la volonté d’agir au
plus près des gens avec pas moins
de 4 ND sur notre département
(Gap, Veynes, Embrun et Briançon)
et une assemblée dans le quartier
Beauregard.
Pour tenir debout, il faudra
pourtant trouver les ressorts pour
gagner un marathon et non un sprint
! Les pièges des ND sont ceux liés à
toute nouveauté attendue depuis
longtemps : se contenter du plaisir
de l’invention et des retrouvailles,
ne pas situer ce mouvement dans
un moment historique plus vaste.
En clair, les ND peuvent tourner à
l’entre-soit et se contenter de la
joie retrouver de la délibération.
Les participants sont conscients de
cet obstacle, les “Banlieues
Debout” sont déjà un début de
réponse.
Un autre danger est aussi
de perdre de vue l’objectif central
de faire retirer la loi Travail et de
faire converger les luttes. Le lien
avec les mouvements syndicaux
doit être renforcé et la journée de
grève du 28 avril doit être un
grand moment de mobilisation
pour faire plier le gouvernement.
Cette journée est aussi un outils
fabuleux pour élargir les
participants aux ND et ainsi ancrer
la soif d’alternative dans l’esprit
du plus grand nombre.
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C’est bien d’alternative dont
il s’agit, d’alternative au système
capitaliste. Laurent Joffrin rêve à
voix haute dans un de ses éditoriaux
(Libération du 16 avril) en décrivant
les ND comme un mouvement qui ne
souhaite pas prendre le pouvoir et
dont les avancées tangibles
pourraient être la mise en place d’un
revenu de base et l’instauration d’un
zeste de tirage au sort lors des
élections locales. S’il est bien
difficile de prédire l’avenir de ce
mouvement à la fois uni et divers, il
faut parier sur sa sereine radicalité.
Le rejet des partis politique n’est
pas le rejet de la politique. Chacun
tire les leçons des révolutions arabes
et de leurs confiscations, des
mouvements Occupy et des
inventions politiques qui ont suivies
les places indignées espagnoles et
grecques. Chacun sait que l'addition
d’alternatives locales ne suffit pas,
pas plus qu’une grève générale ou
une victoire électorale. Parions sur
la capacité du mouvement ND a unir
ces 3 nécessités politiques
(alternatives concrètes, luttes
émancipatrices et batailles
électorales.) et ainsi faire mentir
Laurent Joffrin. En effet, il est
urgent d’inventer une réponse
radicalement démocratique aux
crises que nous vivons (écologique,
sociale et institutionnelle). Les
temps électoraux ne sont qu’une
des armes à notre disposition pour
faire reculer la finance et un
pouvoir tenté par les solutions
sécuritaires.
Laurent Eyraud-Chaume
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NUIT DEBOUTProchains rendez-vous :
- Lundi 18 avril à 19h à Veynesdevant la mairie
- Mardi 19 avril à 18h à Gap aupied de la tour Beauregard
- mercredi 20 avril à 20 heures,place de la mairie à Embrun
Alp'ternativesest édité par l'association
Ensemble 05,Pour une Alternative Citoyenne à Gauche.
Directeur de publication : Laurent Eyraud-Chaume.
Alp'ternatives - Maison des associations-rue pasteur – 05 000 Gap –
www.alpternatives.org –[email protected]
Sommaire
D'où viennent et où vontles médias locaux
page 6
Notre Dame des Landes(suite)
page 12
Penser l'après GAFAFabriques à Idées
page 13
Un mardi soirsous très haute tension
page 14
« Tous Pourris »sauf à Saillans ?
Le bloc-notes de JC Charitatpage 20
Les blocages sont dans nos têtes
la chronique philo de JP Leroux.Page 25
Dans la bulle...la chronique BD de Sophie Babu
et Alice Rivièrepage 28
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« Le bruit qui courtsur les choses advenues »
d ' o ù v i e n n e n t e t o ù v o n t
les médias locaux« Le bruit qui court sur leschoses advenues » futl’exergue du premier journalpériodique créé parThéophraste RENAUDOT, à lademande du CardinalRichelieu, en 1631. Les chosesadvenues… Mais pas n’importelesquelles. Tirée à 800exemplaires, la Gazette deRenaudot est avant tout unmoyen de propagandepolitique pour la cour royalede Louis XIII : c’est le premierjournal… d’opinion. Le Roi lui-même s’amusera à y publierquelques articles.Cependant Théophraste ne faitpas dans la frasque et aura lariche idée d’inclure desannonces d’emplois et deservices dès l’origine deparution. C’est à partir de1633 que la Gazette deviendrale premier journal imprimérégional ; Lyon, Aix-en-Provence et Bordeaux severront attribuées des éditionslocales.
Les esprits chagrin s’indigneront, jele sais, je les entends avant que deles avoir écoutés, dire haut etfort : « non de non ! C’est Epsteinqui le premier tira… un journal ». Ily a débat c’est vrai, car de laconcurrence entre « La Gazette »de Renaudot et « Les Nouvellesordinaires de divers endroits »publiées par Epstein, naîtra lapremière loi de restriction de laliberté de la presse, édictée parMazarin. Autrement dit, la Cours’arrangea pour étouffer toute voixqu’elle ne contrôlait pas. Il fut doncinterdit de tenir « ordinairementdes assemblées où ils rapportentcomme dans un bureau tout cequ’ils apprennent » et de composer,écrire à la main ou copier « desnouvelles à leur fantaisie ».C’esttriste les esprits qui ont duchagrin… Alors que nous avions làles prémices de ce que deviendra lechamp éditorial de la presse localeaujourd’hui. L’une où l’info est biencanalisée par le corps institutionnelou les pouvoirs dominants etl’autre, Alp’ternatives en est,
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comme le Canard des alpages, desmédias indépendants quis’attachent à prendre l’info à lasource… vive ! Une pressed’opinion, quoi qu’on en pense,qu’elle soit partisane, citoyenne ouanticonformiste, qui forge unenotion d’objectivité journalistiqueaux contours parfois flous. Les faitssont les faits pour lerédacteur, mais les faits sont têtuset la ligne éditoriale marque l’anglede vue sous lequel ils sont relatés.Vint la révolution, et à partir de1791 l’édition journalistique vadevenir un véritable enjeupolitique : " Le Courrier deProvence " de Mirabeau prend leparti de relayer tous les débats del’assemblée constituante, enpassant par le cher « Ami dupeuple » de l’inénarrable Marat,jusqu’à « La feuille villageoise »créée par le philosophe Joseph-Antoine Cerutti, (et quifut) certainement le premier às’adresser à la populationpaysanne peu instruite desprovinces :…« C’est pour vous que nousécrivons, paisibles habitants descampagnes, disait Cerutti enexposant aux villageois ses vuesgénérales : il est temps quel’instruction parvienne jusqu’àvous. Ci-devant elle était renferméedans les villes, où de bons livres ontinsensiblement éclairé les esprits etpréparé la Révolution, dont vous
avez recueilli les premiers fruits... »« Nous avons vu le temps où l’onn’avait pas honte d’assurer quel’ignorance devait être votrepartage : c’est que l’ignorance deceux qui sont gouvernés semblefaire la sûreté de ceux quigouvernent : c’est que despuissants qui abusent craignenttoujours d’être observés. Ce tempsd’obscurité n’est plus. Un nouveaugouvernement va succéder à celuiqui, d’abus en abus, avait accumuléles maux sur tous les rangs ettoutes les conditions. Il se soutenaitpar les préjugés qui entretiennentl’ignorance, ou par l’autorité quiimpose silence aux réclamations etaux plaintes. Celui auquel vousallez être soumis ne peut sesoutenir que par les lumières ; il sefortifie par l’instruction ; il senourrit, dans chacune de sesparties, par l’émulation et par lesconnaissances que chacun yapporte ; il se remonte par lasurveillance de tous ceux quil’étudient et qui l’observent : ilpérirait, s’il n’était éclairé. » Le « paradoxe »haut-alpin « Le Courrier des Alpes » très…disons… à droite cathotoute(!), journal de la Maison deSavoie et des pays de Sardes, estl’ancêtre d’"Alpes et Midi ". Créé en1849, il participera à entretenir uneforte influence de l’église, mais
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également) avec la mutationrépublicaine, d’une certainebourgeoisie, qui encoreaujourd’hui se retrouve aux « belles places » des corpsinstitutionnels dans le département.Il faut cependant se garder de lacaricature. Fort d’un tirage de12 000 exemplaires dans les Alpes
du sud, "Alpes et Midi" est devenu« un journal d’imprimeur » sanspéjoration ; il illustre bien un aspecttrès « bon père de famille », plusposé que désuet de la paysannerieet l’entrepreneuriat moyen desAlpes du sud. Conservateur, dirontcertains, mais d’un conservatismeplus patrimonial qu’idéologique.Bien évidemment entre "Alpes etMidi" et "Alp'ternatives", il y aplusieurs mondesd’écart(Ouf !). Pour autant cesmondes aussi éloignés qu’ils soient,sont sans aucun doute la thèse etl’antithèse de ce qui constitue lasynthèse de notre territoire (et c’estpô le philosophe Jean-Paul Lerouxqui me contredira !). Ces deuxjournaux créés à un peu plus d’unsiècle de distance, sont lesmarqueurs d’une évolution à la foissociétale mais également politique,
au meilleur sens du terme. Ilsreflètent l’évolution de l’informationinstitutionnelle « qui dit le bien, quidit le mal », vers l’information-expression plus citoyenne quepopulaire, non comme uneopposition frontale mais comme unmiroir du territoire. C’est « leparadoxe des Hautes-Alpes »
(référence au Paradoxe desAlpes cher auxanthropologues), hérité à la fois del’influence de la République desescartons marquant un niveaud’instruction très élevé, et dans lemême temps, un enclavementgéographique propice à un certainconservatisme. Un peu pépère, unpeu révolutionnaire, les pieds surterre et la tête en l’air ! C’est lecharme paradoxal de notre presselocale.
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La presse généralisteou l’info allopathique Et le Dauphiné fut libéré ! D’abordde son ancêtre « Petit dauphinois »qui, soyons juste… n’était pas très… résistant ! et de « L’allobroge »très… disons… collaborant ! « Lelibre journal des hommes libres »fut l’exergue choisi par les 7résistants fondateurs : LouisRicherot, Fernand Policand, ElieVernet, Alix Berthet, RogerGuerre, André Philippe etGeorges Cazeneuve, pour lepremier numéro publié le 7septembre 1945. Il est le médiarégional et local le plus lu dansnotre département (305 000exemplaires pour toutes seséditions). Le Dauphiné n’est plus« Libéré », mais est une référenceprestigieuse de l’histoire de lapresse contemporaine en France ;
c’est également une institution deformation sur le terrain pour lesjeunes stagiaires et journalistes. Laligne éditoriale n'est clairement pasde gauche... Mais là encore,gardons-nous des caricatures. Denos jours le manque de concurrencedirecte et donc de monopolene facilitent pas forcément lemaintien d'un certain équilibreéditorial. Pourtant c'est sonhistoire qui parle pour ce journal.Même si celui-ci est soumis à la loidu marché et donc des annonceurs,ses journalistes quant à eux « fontle métier »! Le contraste estfrappant si on le compare à unnouveau média comme DICI. Eneffet le modèle économique de cedernier et le choix d’une directionde publication un peu… personnel,le font parfois tomber dans lemauvais écueil de la complaisanceenvers ses annonceurs alors quec'est le devoir d’informer qui régit
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la profession. L’aventure estsympathique certes, c’est l’info d’icimais… vu d’ici et là la perspectivene donne pas tout à fait la mêmequalité de profondeur de champ.Tout ne se vaut pas en ce bas-monde de la presse locale. Lesdifficultés économiques, quesubissent en premier lescorrespondants locaux, sontd’intransigeantes conditionsd’exercice de cette belle et nobleprofession d’informer et d’être auplus près des faits, fussent-ilsdéplaisants aux annonceurs ouactionnaires.
Journaliste :un sacerdoce ! Pigiste, correspondant, stagiaire oujournaliste « avé la bonneuhcarte », le travail du localier est uneplongée dans un océand’ingratitude. Celle du salaire, desrevenus à la pige… Celle du peu dereconnaissance publique… Pourtantc’est certainement, avec le grand-reportage, la partie la pluspassionnante et difficile du métier.Il est si particulier de ne succomberà aucun avantage de fonction touten étant là, tout le temps… Aumilieu des gens qui sont aussi levoisin que l’on croise tous lesjours tout en devantmaintenir cette solitude qui permet
de garder la distance essentiellepour informer le plus objectivementpossible. Dur de ne pas donner sonavis ou de voir son rédac’chefdétourner le sens d’un article en ycollant le titre dont on ne voulaitpas. Il faut tellement aimer les genspour exercer ce métier que c’est unsacerdoce plus qu’une simpleprofession. Marie Drouet nousexplique, bien-sûr qu’il y a les «correspondants des villes » et «correspondants des champs » Lespremiers sont spécialistes d’undomaine (sport, culture, économie),les seconds spécialistes d’unsecteur géographique. MarieDrouet propose de différencier lesclp « utilitaristes-individualistes »et les « missionnaires-messagers ».Les utilitaristes publieraient poursatisfaire une vocation, pour êtresocialement reconnus et retirer unprofit personnel de leur activité.Les missionnaires auraient le souciaffirmé de rendre compte de la oudes communautés dont ils sontmembres actifs, sans négliger deretirer quelques profitspersonnels » Mais il n’en reste pasmoins que le localier n’est pas celuiqui publie. Il ne fait que transcrireavec rigueur , finalement « Le bruitqui court sur les choses advenues».
Leo Artaud
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Notre Dame des Landes(suite)
"Voulez-vous ou ne voulez-vous pas l'aéroport de Notre-Dame-des Landes ?"
C'est la question qui devrait être posée lors duréférendum (proposé par François Hollande, maisManuel Valls baptise « la consultation ») le 19 ou le26 juin 2016 en Loire Atlantique.Mais une expertise demandée par Ségolène Royal le 13 janvier 2016 vientd'être rendue publique le 5 avril 2016. Elle relance le débat.Pour les experts la question de l’extension de l'aéroport actuel serait tout àfait possible : c'est une des conclusions de ce rapport. Mais deuxièmeconclusion : le projet actuel d'un autre aéroport à NDDL estsurdimensionné et, s'il était conservé, une seule piste serait biensuffisante.Les habitants actuels de la ZAD et ceux qui les soutiennent ne sontabsolument pas convaincus de l'intérêt du référendum et veulent leretrait total du projet.En ce qui concerne le référendum : ils argumentent que l’État serait à lafois juge et partie puisqu'il décide de la formulation de la question et dupérimètre de la consultation. Les opposants signalent que depuis desannées l’État et les collectivités locales leur mentent : comment croirealors que le résultat de ce référendum sera respecté (si le projetd'aéroport est refusé) alors que les expulsions sont programmées et queles appels d'offre pour le chantier sont déjà pourvus par des entreprises !Ils rappellent que ce qui est important pour eux, c'est de ne pas sacrifierdes terres nourricières et de ne pas gaspiller des fonds publics. De plus leslois protectrices de l'environnement édictées par ce gouvernementseraient bafouées...Enfin et surtout la ZAD de Notre Dame des Landes estun lieu d'expérimentation d'un nouveau modèle de développement quiserait détruit en cas de victoire du oui.
Tout ceci a été débattu lors de l'AG du mouvement anti aéroport du 2 avril
2016 et signé par 17 organisations présentes.
Cécile Leroux, le 12 avril 2016
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Penser l'après GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple)
Le Logiciel libre est-il l'avenir du Net ?Ces géants du Net, en rajoutant un M pour Microsoft en fin d'acronyme, monopolisent etuniformisent le Net. Comment ne pas leur donner tout pouvoir sur nos données numériques ?Plusieurs acteurs du Net se mobilisent, imaginent et créent des alternatives dont les logiciels libres font partie. Les logiciels libres accordent 4 droits fondamentaux aux utilisateurs :
le droit de l'utiliser, de le distribuer, d'en étudier le fonctionnement et de lemodifier. Ces droits vont de pair avec les questions de formats des fichiers(ouverts et fermés). Le monde du logiciel libre partage de nombreuses valeurs avec le monde associatif et plus particulièrement avec l'éducation populaire.
Jeudi 21avril20h, à la mutualité à Gap
Nos échanges avec Fabienne Morel Chargée de développement
numérique au Centre de Ressources des Hauts Pays Alpins, permettront de
comprendre les notions qui gravitent autour des logiciels libres, des
formats de fichiers. Nous découvrirons ensemble les alternatives actuelles,
possibles et pragmatiques.
« La Fabrique à Idées est un espace d’éducation populaire proposé par Ensemble 05.
Nous souhaitons changer le monde, pour cela nous devons comprendre les alternatives
en marche et connaître les idées qui les portent. Nous souhaitons construire une
culture politique commune. Nous rencontrons les acteurs d’expériences innovantes. La
Fabrique à Idées articule le local et le mondial dans un aller-retour de partage de
savoirs et d’expériences. La Fabrique à Idées c’est une une fois par mois les jeudis de
20h à 22h à la grande salle de la Mutualité, à Gap. »
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Ligne THT dans les Hautes-Alpes
Un mardi soirsous très haute tension
Les opposants à la ligneTHT, habitant la vallée del’Argentière-la-Bessée pour laplupart, ne se résignent pas àl’idée qu’ils devront détournerle regard pour ne pas être« écrasés » par les trèsimposants pylônes électriquesque veut implanter la RTE(Réseau de transportd’électricité-Filiale d’EDF). Ilspointent également lesdommages irréversibles quecausera le chantier sur unelongue parcelle forestière.
L’impact économique paraît, au vudu projet, d’une logique frappée dunon-sens. A ce jour RTE n'a pasdémontré la nécessité absolue d’unbesoin en énergie locale autrementque par des prospectives relevantde la fiction ou du fantasme d’uneindustrialisation massive de lavallée.
L’impact négatif sur le tourisme,économie autrement plus concrèteet réelle au carrefour du parc desÉcrins et du Queyras, sera quant àlui très important en terme defréquentation et donc d’emploi. Ilest en effet peu probable que lesamoureux de la montagne viennentde loin pour admirer des pylônesélectriques. De là à penser quecette ligne est faite pourtransporter de l’énergie afin de larevendre à des opérateurs privés enItalie… Il n’y a qu’un pas,finalement, plus cohérent avec ladémesure du projet.
Des parents, des élus, desamoureux de la montagne, destravailleurs locaux, des jeunes haut-alpins se sont constitués enassociations et collectifs. Depuisdes mois ces derniers essayentd’imposer le droit par des recoursjuridiques, contre le droit au profità tout prix des compagnies
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d’intérêts privés soutenues sanscomplexe par la CCI etl’UPE (Union pour l’entreprise-Filiale du MEDEF). Qu’en est-ildans ce contexte des 98% d'avisnégatifs exprimés par la populationlors de l’enquête publique. LePremier ministre Manuel Valls, sanss’encombrer de précautions et avecla douceur démocratique qui lecaractérise, a donné son feu vertpour l’implantation des pylônes de20 mètres de haut sans mêmeattendre les permis de construire.
Les opposants à la ligne THT sesont donc retrouvés le 29 marsdernier à Saint-Crépin auxalentours de 8 heures, là où le siègedu chantier a été installé. Deuxhangars et quelques bureaux decadres et de techniciens ont étémontés en face de chaletsd’habitations, qui étrangementn’apparaissaient pas sur les plansdu cadastre de la demande depermis de construire initiale. Un
recours des habitants a permis defaire annuler ce permis. Ce ne sontd’ailleurs pas les seuls plans, danscette affaire, où les maisonsdisparaissent… Malédiction locale?Magie noire? Vaudou? Qui sait…Signalons cependant qu'elles nedisparaissent pas sur les feuillesd’impôts locaux de leurs habitants.
Les locaux de la RTE, à l’arrivéedes opposants, étaient ouverts àtout vent et un employé était surplace. Le contact fut courtois ettout le monde est ressorti pouroccuper les alentours du site. Unedizaine de manifestants est montéesur le toit, accessible par unescalier extérieur. La gendarmerieest alors rapidement arrivée surplace.
La force publique c’est comme lecholestérol. Il y en a une quigarantit l’ordre et la sécurité descitoyens et, visiblement depuisquelques mois, une qui s’attacheplutôt à garantir que ces mêmescitoyens n’entravent pas la bonnemarche des affaires en remettanten cause la loi du marché. Ce mardilà à Saint-Crépin, il n’y a aucundoute que c’est bien la premièrecatégorie qui prit contact avec lesmanifestants. L’ambiance, vidéos àl'appui, était bon enfant même si
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quelques contrôles etinterpellations eurent lieu pendantla journée mais sans conséquence ;le fait le plus grave retenu par lesmilitaires fut sanctionné par uneamende de 68 euros infligée à unopposant qui fit pipi depuis le toit !Ah ces « zadistes » !
Puis arrivèrent cinq gendarmes duP.S.I.G (Peloton de surveillance etd’intervention de la gendarmerie))d’Embrun pour prendre la relève dusoir. Alors que leur collègue étaitdescendu du toit en laissant lesmanifestants à leurs joyeuseschansons de circonstance, quatredes nouveaux gendarmes ymontèrent, un restant en faction enbas sous le seul éclairage desphares de leur véhicule. Deuxvigiles maîtres-chien étaientégalement sur place.
Sur ce toit seulement entouré degarde-corps tenus par des contre-poids, les opposant décidèrent detendre une corde pour acheminerdes duvets et des vivres pour lanuit, l’accès à l’escalier étantbloqué par les forces de l’ordre.Tous les autres manifestants restésau sol étaient tenus à bonnedistance derrière les grilles quientourent les locaux. Il fallut deuxheures pour réussir à tendre une
tyrolienne de fortune alors quel’obscurité gagnait le site.
Pour une raison encoreindéterminée, c'est lorsque la nuitfut totale que les 5 gendarmes duPSIG décidèrent de couper manu-militari la tyrolienne. Le chef dugroupe criait qu'il avait un couteauet les 4 gendarmes montés sur letoit se ruèrent violemment sur lesopposants en leur infligeant descoups, hurlant tel les héros destéléfictions de Carole Rousseau.
D’un coup, d’une minute à l’autre,sans que rien ne le laisse présager,le groupement de gendarmeried’Embrun installait un climat depanique sur le toit précaire et sanséclairage.
Une des manifestantes que nousappellerons « Camille », entre lesaboiements des chiens des vigiles etles menaces verbales et physiquesdu PSIG, prit peur et décida dequitter le toit coûte que coûte.L’accès à l’escalier étant bloqué,elle descendit en désescaladant laface arrière de 9 mètres de haut dubâtiment, et tomba, dans lapanique. De là elle rejoignit leparking où son véhicule était garéen rampant avec difficulté, encoreinconsciente de ses blessures.Incapable de conduire, elle réussit
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à trouver quelqu’un qui latransporta aux urgences del’Hôpital d’Embrun.
Sur le site, c'était un climat deconfusion qui régnait. Une scènesurréaliste qui aurait pu êtrefilmée… Si les caméras portablesdes gendarmes n’avaient pas étéinadaptées à la nuit noire. Queldommage, c’est Carole Rousseauqui va être triste ! Même s’il estpeu probable que la hiérarchie duColonel Villalonga de lagendarmerie d’Embrun ait autorisésa diffusion, tant l’opération menéesemble l’avoir été en dehors desrègles du bon sens.
Le PSIG cependant déclare toutignorer de l’accident de« Camille », et n’avoir répondu qu’àdes jets de projectiles et au faitqu’un manifestant aurait touchél’arme de service d'un des
militaires. C’est un fait avéré quel’accident de « Camille » fut ignorédes opposants comme des forces del’ordre, et qu’aucun secours ne futappelé sur place, « Camille » ayantrallié les urgences avec l’aide d’unami. La gendarmerie prétend quecet accident n’est pas lié auxopérations qu’elle a menées sur letoit. Pourtant des questions restenten suspens:
Qui a ordonné l’opérationcisaillement de la tyrolienne dansdes conditions d’insécuritéextrêmes?
Quelle urgence vitale y avait-il àfaire prendre autant de risques surce toit précaire, uniquement pourempêcher l’acheminement dequelques duvets et de quelquespaquets de sucreries et pommes-chips?
Quelle impérative nécessité y avait-
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il à mettre autant de violence danscette opération face à desmanifestants qui n’avaient mêmepas songé à occuper ou “saccager” les locaux pourtant ouverts,préférant rester symboliquement àl’extérieur et sur ce toit?
Et enfin la question la plustroublante : pourquoi « Camille »n’a t-elle pas tout simplementemprunté l’escalier si sa situationétait aussi indépendante del’opération que le prétend lagendarmerie…?
« Camille » est maintenant hors dedanger, mais gardera en plus duchoc et de la peur, deux vis dans lesvertèbres et de longs mois derééducation. Cette habitante de lavallée voulait juste manifesterpacifiquement son désarroi, face àla démesure d’un projet dedestruction du patrimoine naturelcommun.
On ne peut s’empêcher de voirl’ombre de Sivens dans cette affaire: la crainte des autorités de voir uneoccupation à long terme empêchantla bonne conduite des travaux, laposture de déresponsabilisationimmédiate de la gendarmeriecomme ce fut le cas avec la mort de
Rémi Fraisse. Reste à savoir sil’opération menée par le PSIG cettenuit là était une initiativeindividuelle du chef de groupe, oubien si l’ordre était donné de toutfaire, quels que soient les risques,pour empêcher les opposantsd’occuper la place.
Affaire à suivre…
Leo Artaud
Agenda Ensemble 05
Jeudi 21 avril 20h à GapFabrique à idées à Gap autour des
logiciels libres
Lundi 30 mai à Gap (mutualité)Assemblée générale
11 et 12 juin ParisAssemblée Générale nationale
26 au 29 août BretagneUniversité d'été
Samedi 24 septembre à Rambaud
La Fête des Alp'ternatives
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Autrement ditL e b l o c - n o t e s d e J e a n - C l a u d e C h a r i t a t
« Tous pourris »sauf à Saillans ?
Une réunion publique a été organisée à Veynes le 18 mars à l’initiative d’un groupe de citoyens. Comme je suis toujours assez motivépar tout ce qui concerne les rapports à la politique, les recherches et les tentatives diverses pour réconcilier les citoyens et la gestion de la cité, j’ai assisté à ladite réunion.J’ai été assez déçu (pour ne pas dire
beaucoup) de la prestation que nous
a servie un représentant de la
municipalité de Saillans. Même si
par certains côtés cette expérience
semble mériter notre attention, il
me semble délicat de suivre les
préceptes et les conseils quinous
furent prodigués.
L’exposé présenté, même s’il est de
façon évidente assorti d’une volonté
d’humanisme, pêche sur plusieurs
points qui me semblent assez
fondamentaux pour être analysés de
près.
Tout d’abord il paraît réaliste de
resituer le contexte dans lequel
cette commune a pu tenter de
bousculer la politique municipale
antérieure et surtout les excès
de cette dernière, cela se
traduisant par un manque criant de
démocratie lors de décisions
importantes prises contre l’avis
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d’une majorité de la population. En
effet sans un projet de création de
surface commerciale de taille peu
proportionnée à celle de la ville, et
surtout un choix d’implantation non
concerté, l’équipe en place
aujourd’hui n’aurait
vraisemblablement pas obtenu une
élection au scrutin majoritaire.
Si cet aspect des choses n’est pas
déterminant, il est toutefois
important pour relativiser et ne pas
généraliser la situation ainsi créée
dans une petite ville de 1200
habitants de la Drôme ; il
est d’ailleurs très probable que ce
ne soit pas la volonté politique et
citoyenne qui soit
déterminante, mais plutôt un « ras-
le-bol » généré par l’incompétence
d’une équipe en place.
Il semble également indispensable
de préciser les conditions dans
lesquelles je souhaite développer le
présent exposé. Il ne s’agit en aucun
cas de porter un jugement sur la
forme de gestion et la bonne volonté
du conseil municipal citoyen mis en
place dans cette ville ; par contre il
ne s’agit pas non plus de prendre un
modèle qui serait en soi
fondamentalement différent de ce
qui se pratique généralement dans
les collectivités territoriales et serait
donc exportable comme une théorie
politique de changement.
Enfin, avant d’aborder quelques
thèmes, il convient de préciser
également que ces sujets
concernent l’orateur de manière
beaucoup plus précise que les élus
ou le groupe qu’il représente.
Quelques points nécessitant
controverse :
L’orateur nous précise très
clairement que son intervention a
une volonté explicative destinée à
aider les citoyens à prendre en main
leur destin local ; il situe très
expressément l’objectif de
2020, séparant ainsi très
distinctement les élections
municipales de toute autre échéance
politique.
L’élu ajoute en outre que la méthode
de gestion préconisée ne
nécessiterait aucune opposition; en
réponse à une question du public,
l’orateur spécifie même qu’il
n’imagine pas le rôle de son propre
groupe dans une opposition.
Sur la méthode de gestion et le
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contenu des réunions publiques :
Aucun programme préétabli n’est
nécessaire avant que le groupe
constitué invite la population à
débattre.
L’élaboration d’un programme
« ponctuel » n’est en rien
définitive ; elle peut et doit évoluer
en fonction du groupe tel qu’il se
constitue, avant comme après
l’élection.
Il est même expressément conseillé
par l’orateur que chaque dossier en
cours puisse évoluer et changer en
fonction de la partie de la
population qui le suit.
En réponse à une question, l’orateur
précise même que les gens sont très
peu concernés par les problèmes
budgétaires et économiques ; en
conséquence assez peu de réunions
se tiennent sur ces thèmes.
En réponse à une autre question
relative à la gestion de la ville de
Grenoble et aux projets participatifs
de celle-ci avec des citoyens, la
réponse clairement émise se traduit
par l’affirmation qu’il ne s’agit là
que d’une part infime du budget et
que ceci ne correspond pas aux
orientations prises à Saillans.
Devrait-on conclure de ce qui
précède que la direction d’une
collectivité locale n’est en rien
politique ou économique, et qu’elle
ne constitue qu’une sorte de gestion
courante des intérêts du groupe
local concerné ?
Il convient de rappeler que
l’invitation à cette réunion a été
faite avec fortes références à
l’existence et aux actions de
Podémos et d’autres contestataires
beaucoup plus politisés que ne
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semblent l’être ces gestionnaires
locaux. La salle était donc
essentiellement composée de
citoyens proches de ces volontés de
changements politique, économique,
écologique et social.
Une bonne partie de l’auditoire
semblait toutefois sensible à
l’argumentaire de l’orateur sans
forcément en détecter les
contradictions, l’angélisme et
parfois la naïveté qui devraient nous
interpeller quant à la nécessité
d’une généralisation de cette
démarche ponctuelle.
Il convient également de souligner :
Que les organisateurs de cette
réunion semblent ignorer que notre
groupement local de citoyens existe
sur le Veynois, se battant depuis de
nombreuses années contre toutes
les dérives de la politique
économiquement ultralibérale ainsi
que « sociale libérale » que nous
subissons à tous les niveaux
géographiques déterminants, de la
ville à l’Europe.
Que des élus locaux, issus de notre
groupe, invitent régulièrement la
population avant leurs interventions
au conseil municipal ; sachant
que nous tentons également un
rapprochement citoyen le plus large
possible, notre regroupement allant
déjà du Front de Gauche à EELV, et
poursuivant ses contacts avec toutes
les forces sociales qui souhaitent de
profondes transformations de notre
société à gauche du parti
actuellement au gouvernement.
Conclusions :
Toutes les actions tendant à séparer
les actions citoyennes entre le local,
le national voirel’européen me
semblent pour le moins soumises à
controverse en ce qu’elles
détournent l’attention des citoyens
des causes fondamentales de la
crise que nous traversons à tous les
niveaux.
Je considère que la pénurie
constatée au niveau local n’est pas
d’abord le résultat de carences de la
part de ceux qui gèrent nos
villes, mais bien plutôt d’une volonté
politique délibérée liée à un système
économique entièrement dépendant
du système privé bancaire et des
grands monopoles industriels et
commerciaux.
C’est d’abord au niveau de l’État (et
de l’Europe) que les politiques
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doivent fondamentalement modifier
le sens et le contenu de leurs
actions.
Le rôle de l’État, ainsi
qu’éventuellement celui du
regroupement européen, doit
revenir à sa mission essentielle et
fondamentale, les fonctions
régaliennes que nous jugeons
prioritaires : une redistribution plus
équitable des richesses ainsi qu’une
planification de l’économique et de
l’environnemental sur le temps long.
Cette mission doit se réaliser par le
biais d’une fiscalité progressive plus
juste ainsi qu’un interventionnisme
justifié sur la production et la
gestion de ce que nous qualifions
comme représentant les biens
communs de l’humanité.
La démarche qui nous est proposée
par l’un des élus de Saillans
présente indéniablement un certain
intérêt en ce qu’elle semble
mobiliser divers courants de
pensées (humanistes et favorables
aux transformations
économiques,sociales et
environnementales) ; pour autant la
« méthode » proposée semble
difficilement transposable à
l’ensemble des collectivités locales.
Jean-Claude Charitat.
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Les blocagess o n t d a n s n o s t ê t e s
La chron ique Ph i lo de J ean - Pau l Leroux
Dans le derniernuméro du Monde Diplomatique,Frédéric Lordon présente, à partirune critique de l'action de la social-démocratie, une contre propositioninstitutionnelle à la Constitutionde la Ve République. Cetteprésentation se veut d'ailleursradicale puisque son articlecommence ainsi : C'est bien l'espritde Lampedusa1 qui plane surl'époque : tout changer pour querien ne change. Tout changer est unbeau mot d'ordre mais est-ilpossible de tout changer ? Il nesemble pas. Même les révolutionsles plus amples emportent avecelles bien des aspects essentiels dela période avec laquelle ellesveulent rompre. Leurs projets lesplus audacieux ne parviennent quemalaisément à se réaliser de façontrès partielle. L'ancien demeure
1 Dans le roman de Giuseppe Tomasi diLampedusa, Le Guépard (1958), unpersonnage d’extraction noble,confronté à un mouvementrévolutionnaire, expose sa stratégiepour préserver les privilèges de saclasse : « Tout changer pour que rienne change. »
inscrit dans le nouveau de façonindélébile. Ainsi le christianisme asurvécu à 1791, à la séparation del’Église et de l’État, aux lois sur lalaïcité ; les femmes ne sont toujourspas réellement égales aux hommes,et ainsi de suite.
A l'heure actuelle, nombreuxsont ceux qui pensent qu'il estnécessaire de changer de façon« importante » notre société quidysfonctionne, mais sur quellesfinalités baser ce bouleversement ?Voilà ce qu'il est plus difficile depenser. Prenons l'exemple de nosinstitutions. Les mots d'ordre de« 6ème République », d'unenouvelle constituante pour élaborerune nouvelle constitution, de« République sociale », etc.. sontpromus par de nombreux courants.Ils prennent en compte, bienentendu, la crise institutionnelleque traverse notre pays qu'il n'estplus besoin de décrire tant elle faitconsensus : l'abstention massive, lerejet des partis politiques,l'oligarchie des élus menant lamême politique qu'elle soit dedroite ou de gauche, etc.. La
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critique, avec des nuances propresà chacun, semble acquise. Lesquestions sont alors : que faire ?Que mettre à la place de nosinstitutions ? Comment parvenir àimposer ces changements ? Unsimple changement de numéro : dela 5ème République à la 6ème,d'adjectif : de République« bourgeoise » à République« sociale », etc.. suffira-t-il àréaliser le changement attendu si lesignifiant « République » ne changepas ?
Le mot vient, comme l'onsait, du latin res publica qui signifiela chose publique et les institutionspour gérer ce qui est commun àtous. Mais l'origine étymologiquedu mot ne nous donne pas son sensactuel. Chez les romains, ildésignait l'ensemble de leursinstitutions différentes de ladémocratie athénienne. Il ne leurviendrait pas à l'esprit de soutenirque leur République était uneDémocratie. Pour nous,l'assimilation de la république à ladémocratie semble naturelle etceux qui réclament une 6èmeRépublique ou une Républiquesociale pensent avant tout à unrégime vraiment« démocratique ».
Or, Le régime républicainqui guide les révolutionnairefrançais en 1789 n'est pas celui desromains mais celui de la nouvelleconstitution américaine de 1787.Elle proclame solennellement lanaissance de la République des
États Unis d'Amérique. Il existe undocument exceptionnel deprésentation et de défense de cetteconstitution, c'est le recueild'articles paru en 1787 dansl'Independent Journal de New Yorket publié sous le nom de : TheFédéralist Papers. L'ensemble deces articles étaient signés du nomde Publius, pseudonyme de troisdes artisans de la nouvelleconstitution : James Madison,Alexander Hamilton et John Jay.Dans le numéro 14 des féderalistpapers, Madison, à propos de ladistinction entre démocratie etrépublique, écrit : « la véritabledistinction entre ces formes a étéprécisée dans une occasionantérieure. En démocratie lepeuple s'assemble et se gouvernelui-même. Dans une république ils'assemble et gouverne par sesreprésentants et ses agents.2 » Dela démocratie à la république onpasse de la démocratie directe à lareprésentation. La différenceessentielle entre une démocratie etune république se nommereprésentation. Nous avons là deuxsystèmes politiques différents voireantagoniques. Le premier donnedirectement le pouvoir au grandnombre, au peuple, le second donnele pouvoir à une élite.
Un des problèmesqu’affrontent les révolutionnairesaméricains est de construire un
2 The Fédéralist papers, Penguin books,England, 1987, p. 141. La traduction est de moi.
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système politique qui ne permettepas à une majorité de violer lesdroits de la minorité. Pour cela, illeur faut des garanties. Il se trouveque la représentation est l'une deces garanties3. En effet, lereprésentant une fois élu s’éloignede sa circonscription, il échappeaux passions populaires, il se situeau-dessus de ses concitoyens pourconsidérer les problèmes non plusdu point de vue de l’électeur debase, qu’il ait voté pour lui ou pas,mais d’un point de vue plus large,celui des intérêts de la république.L’élection a pour but, non pas dereproduire « l’honnêtemédiocrité 4» du corps électoral,mais de dégager une élite. Elle créeun fossé entre électeurs et élus.L’élu doit avoir des vertus qui lehissent au dessus du commun desmortels parce qu’il appartient à unearistocratie naturelle. L’élection n’aqu’un seul but, produire une élitede législateurs vertueux selon levocabulaire des Pères Fondateurs.En d’autres termes, lareprésentation a pour fonctionprincipale d’ériger une “oligarchie”séparée du peuple par l’électionmême. Cela est pensé et voulu parles rédacteurs de la constitutionaméricaine. On a ainsi une divisionsociale du travail politique. Le
3 Le second consiste dans l’équilibreentre les pouvoirs. Ils reprennent surce point les analyses déjà classiques deMontesquieu.
4 Denis Lacorne, L’invention de la République américaine, Pluriel, Paris, 1991, p.130.
signifiant « république » emporteavec lui ses significationsaristocratiques, ce qui signifie acontrario que le grand nombre, lepeuple n'est pas capable de sediriger, il lui faut des tuteurs. Lerégime républicain n'est un régimed'émancipation que par rapport à laféodalité et à l'aristocratie au sensclassique. Elle n'est nullement unrégime émancipateur pourl'immense majorité qui se trouveexclue de tout pouvoir politiqueentre deux élections.
Changer le régime de la5ème République si cela consiste àrester en république au sensclassique de système représentatifne sera pas du tout un changementde fond, tout au plus un replâtrage.Le blocage, dans ce cas, n'est pasdans l'analyse de la situation maisdans les propositions dechangement de république. Il fautd'abord changer nos idées ; leblocage est dans nos têtes. Ce quenous voulons, en fait, c'est passerde la république à la démocratie.Nous ne voulons pas vraiment une6ème République, nous voulonssûrement une première démocratie.
Jean-Paul Leroux
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La Chronique BD de Sophie Babu et Alice Rivière
Dans la bulle du.festival BD Bastiaà
La 23ème édition du festival “BD à Bastia” s’est déroulée du31 mars au 03 avril au Centre Culturel Una Volta
l’organisateur de l’événement et dans plusieurs lieuxpartenaires de celui-ci, notamment le musée de Bastia et le
Théâtre Municipal.
Le compte-rendu de l'envoyée-spéciale d'Alp'ternatives.
Expositions, conférences etateliers, rythment les 4 jours defestival qui affiche une très belleliste d’invités, avec de nombreuxauteurs de renommée nationale etinternationale. Son formatconcentré facilite la rencontre etl’échange : les auteurs sontaccessibles, prennent le temps de ladiscussion et offrent de superbesdédicaces à leurs lecteurs. Despropositions à l’attention du publicjeune se déclinent sous formed’expositions, de jeux et d’ateliers.
Pour les adultes,conférences et rencontresthématiques fort bien animées pardes journalistes passionnés et dehaut-vol permettent de prolonger leplaisir de la lecture en écoutant les
auteurs parler de leur travail.
Parmi tous les beaux moments qu’aoffert le festival cette année, nousretenons : la présence de RubenPellejero, “maître du dessin”,(auteur avec Denis Lapierre del’excellent “Tour de valse”), quireprend à la suite d’Hugo Pratt lesaventures de Corto Maltese avecJuan Diaz Canales, avec une grandeprécision dans le trait.
La jolie mise en lumière deslivres animés, les “pop up” :Exposition et ateliers sontconsacrés à ces objets qui offrentau lecteur un parcours de lecturetout en volume et aux multiplesdimensions. De nombreux artistesétaient présents pour représenter
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ce genre bien particulier fait devéritables livres-objets : MarionBataille, Jean-Marc Fiess, ClaireZucchelliRomer qui transposenotamment Mondrian et Kandinskien “popup”…
Notre choix sur ce thèmes’est porté sur le fascinant“popville” d’Anouck Boisrobert etLouis Rigaud (ed. Hélium, 2009) quidéploie, au fil des pages, lafulgurante évolution d’une ville enconstruction et remplit l’espace dulivre peu à peu.
Autre clin d’oeil à l’imageanimée que nous retenons, lePyjamarama, qui emprunte à uneancienne technique d’animation,l’ombrocinéma : Muni d’un Rhodoïdsur lequel est imprimée une grille,vous parcourez les pages du livredont les motifs s’animent et semettent en mouvement. Hypnotique! Notre sélection : Moi enpyjamarama, Michaël Leblond,Frédérique Bertrand, Ed. du
Rouergue, 2012. Pour les sorties BD nous
serons attentifs à “Space Boulettes”de Craig Thomson, (Blankets,Habibi) qui explore, voire bousculeles codes de la Fantasy dans unouvrage, une fois n’est pascoutume, tout en couleurs. Le 15avril sort également “FreedomHospital” d’Hamid Sulaiman, artistesyrien qui a trouvé refuge enFrance et qui raconte les débuts dela guerre en Syrie, au fil de 284pages en noir et blanc et aux traitsépais et épurés qui confèrent uneforte intensité graphique àl’ouvrage.
BD à Bastia est donc unfabuleux moment d’échanges avecdes auteurs de tout horizon, à nepas manquer si vous passez par làau bon moment !
L’affiche du festival BD à Bastia2016 a été réalisée par EdmondBaudoin.
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Dans la bulle du.
Grand NordEncyclopédie des débuts de la terre
d'Isabel Greenberg, Casterman
Étrange hiver me direz-vous ? Pour chercher un peu defroid, j'ai découvert L'encyclopédiedes débuts de la terre d'IsabelGreenberg, un long romangraphique. Auteure londonienne,elle s’attaque aux origines de laplanète, s’approprie les mythesfondateurs de l’humanité (la tour deBabel, le mythe d’Ulysse, Caïn etAbel, les contes des Mille et unenuits) et les assaisonne à samanière, pleine de douceur,d’empathie, et d’un goût pour lefantastique onirique. L'histoirecommence ainsi : un homme duNord et une femme du Sudrapprochent leurs canoës sur unemer glacée. Ils tombent amoureux.Or, la puissance de leur amour nepeut lutter contre le champmagnétique. Celui-ci les empêchede se tenir l’un à côté de l’autre. LeShaman des Dessous-de-là eststupéfait et les marie à distance.Les deux protagonistes vivent leuramour sans pouvoir se toucher. Unsoir, dans l’igloo, l’homme devenuconteur raconte ses pérégrinations.Il commence par l’ histoire des
Trois sœurs de l’île d’Été, par laquête d'un fragment de son âme,par l'histoire d’une vieilleterrassant un géant avec dessaucisses.... Il envoûte les peuplesqu’il croise par ses récits etrecueille leurs propres légendes,faites de guerre, d’amour et dedieux tantôt aimants, tantôtcolériques. Un vrai récit à tiroirs !
L'auteure utilise à merveillesa palette chromatique, avec dunoir et blanc en passant par le gris,avec parfois du jaune, du rouge etdu bleu. Evocation de la gravure,les traits épais doublés d'unerondeur vont à l'essentiel.L'atmosphère chaleureuse, laconvivialité, la simplicité font unepart-belle à la poésie. IsabelGreenberg pose en même temps, unregard amusé sur des questionssociétales et d’actualité : croyancesreligieuses, rapports humains… Alire absolument ! Et pour complétercette envie de Grand Nord, je vousconseille aussi : Celle qui réchauffel'hiver de Pierre Place, retraçant lavie tumultueuse d’une tribu Inuit.
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