pour une didactique de l’éthique et de la citoyenneté

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Claudine LeLeux Chloé ROCOuRT Pour une didactique de l’éthique et de la citoyenneté Développer le sens moral et l’esprit critique des adolescents

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Développer le sens moral et l’esprit critique des adolescents

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Claudine LeLeuxChloé ROCOuRT

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Pour une didactique de l’éthique et de la citoyennetéDévelopper le sens moral et l’esprit critique des adolescents

D     estiné aux personnes enseignant la morale, l’éthique ou le cours d’édu-cation civique par compétences, cet ouvrage propose :

-  les objectifs propres à ces disciplines selon les quatre phases d’un déroulement  pédagogique  socioconstructiviste  (intéressement, information, formation, intégration) ;

-  une  méthode de préparation de leçons  qui  permet  de  cibler l’objectif moral et citoyen de chacune d’entre elles ;

-  dix-neuf leçons,  testées  sur  le  terrain,  illustrant  la  didactique proposée.

ISBN 978-2-8041-6046-3

DOCOMO

Pour une didactique de l’éthique et de la citoyennetéDévelopper le sens moral et l’esprit critique des adolescents

www.deboeck.com

Pédagogie générale

Sciences & mathématiques

Sciences humaines

Ouvertures

ENSEIGNEMENTSECONDAIRE

DOCOMO-cov.indd 1 13/04/10 8:02:44

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table des matières

Présentation 5

CHAPITRE 1Spécificités d’une didactique de la morale et de la citoyenneté 9

1.1. Préliminaires 9

1.2. Un modèle de formation par compétences 11

1.3. Déroulement pédagogique 181.3.1. Phase d’intéressement 181.3.2. Phase informative 201.3.3. Phase formative 21

Objectif 1. Discerner être, devoir-être, sentiment 22Objectif 2. Distinguer fait et droit, nature et culture 25Objectif 3. Développer le jugement moral 25Objectif 4. Pouvoir problématiser 26Objectif 5. Pouvoir conceptualiser et classer 27Objectif 6. Pouvoir induire et généraliser 33

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Objectif 7. Pouvoir répondre de ses choix 35Objectif 8. Clarifier et hiérarchiser des valeurs 36Objectif 9. Valider et hiérarchiser des normes 36Objectif 10. Dégager les fondements des morales 37Objectif 11. Se reconnaitre et se construire comme personne 37

1.3.4. Phase d’intégration 381.3.5. Moment d’évaluation 39

annexe. Synthèse du déroulement pédagogique 42annexe. Grille de préparation de leçon 44

CHAPITRE 2Étapes de la préparation d’une leçon 47

2.1. Description des rubriques de l’EPL 48annexe. Schéma des étapes de préparation (EPL) 52

2.2. Illustration didactique à propos du thème de « La mode » 54

2.3. Déroulement pédagogique possible 57leçon : La mode à tout prix ? 58

CHAPITRE 3Le développement du jugement moral et citoyen 65

3.1. La théorie de Jean Piaget 66

3.2. La théorie de Lawrence Kohlberg 673.2.1. Le dispositif expérimental kohlbergien 673.2.2. Caractéristiques du développement 69

3.3. Pertinence de la théorie kohlbergienne 71

3.4. Conclusions pédagogiques 73

CHAPITRE 4Les valeurs 79

4.1. La valeur sous son aspect logique 80

4.2. Sous son aspect pragmatique 82

4.3. Genèse des valeurs 83

4.4. Le relativisme des valeurs 84

4.5. Le pluralisme des valeurs 86

4.6. Le(s) conflit(s) personnel(s) de valeurs 86

4.7. Toutes les valeurs se valent-elles ? 87

4.8. Le jugement évaluatif et expressif 89

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CHAPITRE 5Typologie des normes et des discussions de la raison pratique 91

CHAPITRE 6Morale laïque 101

CHAPITRE 7Méthodes et dispositifs 105

7.1. Méthodologie de la discussion 105

7.2. Le dispositif de la discussion à visée philosophique 107

7.3. Méthodologie de l’écrit 113

7.4. Méthodologie de la coopération 116

CHAPITRE 8Portfolio de leçons

Leçon n° 1. Un seul type de « vérité » ? par Claudine LeLeux 119

Leçon n° 2. Baisser les bras ? par Chloé RocouRt 124

Leçon n° 3. « Je n’y peux rien, je suis comme ça ! » par Chloé RocouRt 136

Leçon n° 4. Ami ou copain ? par Claudine LeLeux 143

Leçon n° 5. Toutes les valeurs sont-elles bonnes à prendre, à défendre? par Claudine LeLeux et Chloé RocouRt 150

Leçon n° 6. Toutes les valeurs sont-elles bonnes à prendre, à défendre? par Caroline Dewit 160

Leçon n° 7. Toutes les valeurs sont-elles bonnes à prendre, à défendre? par Daniel Luciani 165

Leçon n° 8. Mes valeurs, une richesse ? par Leïla MebaRki et Chloé RocouRt 167

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Leçon n° 9. Quelle morale choisir ? par Claudine LeLeux 179

Leçon n° 10. Obéir à la loi : une perte de liberté ? par Caroline Dewit 199

Leçon n° 11. Que faire face à un dilemme ? par Caroline Dewit 205

Leçon n° 12. Qu’est-ce qu’être juste ? par Claudine LeLeux 210

Leçon n° 13. Se libérer de nos pulsions ? par Claudine LeLeux 216

Leçon n° 14. Représentation ou démocratie directe ? par Claudine LeLeux 229

Leçon n° 15. Quelle répartition des richesses ? par Claudine LeLeux 236

Leçon n° 16. Laïcité, libre examen : une autre philosophie ? par Caroline Dewit et Claudine LeLeux 242

Leçon n° 17. Les vieilles recettes des charlatans, des astrologues, marchent toujours ! Parfois, je suis tenté ! par Leïla MebaRki 253

Leçon n° 18. Signes du destin ? par Chloé RocouRt 260

Leçon n° 19. Bioéthique : nouveaux enjeux moraux ? par Chloé RocouRt 278

Bibliographie 289

Index des pistes pédagogiques par dispositif 299

Table des matières 305

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Présentation

L’idée du présent livre a commencé à surgir, il y a trois ans, lorsque Chloé Rocourt vient enseigner à la Haute École de Bruxelles, et qu’il nous faut former conjointement les futurs enseignants de morale. Ses réflexions et ses questions fusent et sont d’abord l’occasion de discussions vives entre nous : toutes les valeurs se valent-elles ? Quelle relation les valeurs entretiennent-elles avec les normes ? Comment former à déterminer une problématique morale ? Quelle différence entre former à la morale non confessionnelle et à l’éducation à la citoyenneté, entre former à la morale et former à la philosophie ?…

Toutes ses interrogations me font prendre conscience que ma pra-tique s’avère, comme telle, incommunicable et qu’il me faut, pour qu’elle soit transférable, la justifier par écrit.

L’ouvrage, qui vous est ici proposé et recourt à la nouvelle orthogra-phe, est une synthèse des travaux que j’ai publiés sur le sujet de la didac-tique de la morale non confessionnelle et de la citoyenneté, auxquels s’ajoutent les nouveaux développements qui sont nés de la rencontre et des échanges avec Chloé Rocourt.

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J’en dresse ici une présentation schématisée par chapitre.

La structure du chapitre 1 est complexe parce que la matière qu’il aborde l’est aussi.

La didactique de la morale non confessionnelle et de la citoyen-neté que je propose :•  s’inscrit dans une didactique générale et selon un déroulement péda-gogique socioconstructivistes ; •  se présente sous la forme d’un modèle opérationnalisant de didac-tique spécifique par compétences [1.2.]. Les trois grandes compé-tences génériques visées sont l’autonomie individuelle, la coopération sociale et la participation publique ;•  s’opère  selon  un  déroulement  pédagogique  en  quatre  phases [1.3.] – la phase d’intéressement, la phase informative (éventuelle), la phase formative et la phase d’intégration. La phase formative vise à atteindre onze objectifs disciplinaires [1.3.3.].

Un schéma de synthèse des objectifs, compétences, démarches et objectifs d’évaluation par phase, complète le propos en annexe 2 (pp. 42-43).

Nous avons été amenées, Chloé Rocourt et moi-même, à mettre au point une technique de préparation de leçon spécif ique à la didactique de la morale non confessionnelle et de la citoyenneté. Nous appelons cette technique : l’EPL, soit les « Étapes préparatoires à la leçon » [cha-pitre 2].

L’EPL a pour principale fonction de déterminer l’objectif disci-plinaire (moral/citoyen) de la leçon. Il est, en effet, loin d’être évident pour nos étudiants, comme pour beaucoup d’enseignants d’ail leurs, de traduire un thème, une question d’actualité, un texte philosophique, un conte, un article de journal… en objectif d’apprentissage moral ou citoyen et de conduire une leçon pour atteindre un tel objectif.

L’outil EPL est également précieux pour préparer un plan de dis-cussion à visée philosophique.

Lorsque l’EPL est complétée (pp. 52-53), l’enseignant ou le stagiaire peut compléter la grille de préparation proprement dite (pp. 44-46).

Toute didactique se nourrit, cela va de soi, de la psychologie du développement en général. Une didactique de la morale et de la

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citoyenneté fait en outre fond sur les deux grandes théories du déve-loppement du jugement normatif (moral et citoyen) en particulier. C’est la raison pour laquelle, le chapitre 3 rappelle, tout en les discu-tant, les enseignements de Jean Piaget et de Lawrence Kohlberg.

La morale et le droit (Que dois-je faire ? / Que devons-nous faire ?) se meuvent sur fond de valeurs et de normes. La complexité de la notion de valeur est telle qu’elle me paraissait devoir être clarifiée sur le plan théorique. C’est l’objet du chapitre 4. Dans la mesure où la valeur est un concept, particulier j’en conviens, nous avons souvent tendance à l’utiliser pour synthétiser une norme. D’où la confusion largement répandue entre valeurs et normes. Et dans la mesure où nos obligations ne nous obligent pas toutes dans la même mesure, il m’a semblé utile de rappeler ce que la tradition philosophique nous enseigne en matière de typologie des normes (chapitre 5) d’autant que la discussion, visant à valider – provisoirement – les normes d’action, varie en quantité en fonction du nombre de personnes qu’el-les concernent et en qualité selon qu’il s’agit d’une norme de moralité ou de légalité, ou qu’il s’agit d’un impératif hypothétique ou catégo-rique.

Le présent ouvrage se limite aux aspects cognitifs de l’enseigne-ment de la morale et de la citoyenneté. Il n’aborde pas, par exemple, les aspects conatifs (comment agir ? Comment devenir vertueux ? Comment s’engager ?) et se contente de promouvoir un espace d’ex-pression des ressentis (aspects affectifs).

Puisque l’un des champs disciplinaires proposé est celui de la morale non confessionnelle, le chapitre 6 est spécialement consacré à la « morale laïque ».

En outre, certains dispositifs pédagogiques sont particulièrement appropriés pour le déroulement d’une leçon de morale et de citoyen-neté. Le chapitre 7 s’attarde sur quelques-uns de ces dispositifs et pointe quelques conseils en matière de méthodologie de la discus-sion, de l’écrit et de la coopération.

Enfin, le portfolio des dix-neuf leçons ne constitue d’aucune façon un manuel. Il a pour fonction d’illustrer la didactique proposée. Ces leçons sont, en effet, le fruit de personnes différentes qui les ont dispensées et expérimentées dans des classes de milieux et de degrés divers. Elles ne sont, à ce titre, que des pistes pédagogiques à adapter ou transférer et n’ont pas l’ambition de constituer un module cohérent de formation par année scolaire.

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La bibliographie reprend toutes les sources utilisées pour l’élabora-tion de cet ouvrage : aussi bien les sources théoriques que pratiques.

Un index des pistes pédagogiques a été adjoint pour permettre aux lecteurs qui le souhaitent de trouver des illustrations pédagogiques complémentaires au portfolio dans mes autres publications.

Mars 2010.

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chapitre 4

les valeursApproche théorique des valeurs

Nous entendons traditionnellement par « valeurs » des notions comme liberté, égalité, solidarité, dignité, vie, santé, amour, amitié, gain, profit, droit, argent, bonheur, authenticité, honnêteté, courage… dont certaines sont considérées comme des valeurs par les uns sans l’être pour les autres.

Qu’en est-il cependant du racisme, de la violence, de la cruauté, du sadisme ? Sont-ce aussi des valeurs ? Si oui, à quel titre et pourquoi ? Et toutes les valeurs se valent-elles ?

Ces questions font elles-mêmes question dans la mesure où leur donner une réponse affirmative heurte notre sens moral.

Cependant, pour une approche didactique – et donc transférable – des valeurs 81, nous ne pouvons ni évacuer le problème ni faire fi du sens commun et devons clarifier le concept de valeur.

81 Notons que celles-ci structurent le programme de morale non confessionnelle dans l’enseignement secondaire inférieur en Communauté française de Belgique (référence : 181/2002/240).

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Rappelons tout d’abord, vu la confusion persistante qui est prati-quée entre les valeurs et les normes, que les normes se distinguent des valeurs d’abord parce que, formellement, elles ne sont pas des concepts – même spécifiques comme le sont les valeurs –, et ce, bien qu’elles les mobilisent : elles se présentent sous la forme d’énoncés, normatifs / prescriptifs, tels que : « Il faut que », « Tu dois », « Il est impératif que »… que ces parties de phrase soient ou non explicites. Les normes se meuvent dans la sphère déontologique (devoir) – et non, comme les valeurs, dans la sphère axiologique (valoir) –, et se distinguent entre elles par leur force d’obligation. Le chapitre 5 prendra les normes comme objet d’étude.

Disons ensuite que le concept de valeur doit pouvoir être appré-hendé sous ses deux aspects, logique et pragmatique qui, eux aussi, sont souvent confondus.

4.1. La valeur sous son aspect logique

La valeur se présente sous la forme (logique) d’un concept, c’est-à-dire d’un mot qui rassemble sous un sujet logique tous les éléments qui ont une même propriété générale essentielle (attribut ou prédicat essentiel de la substance). Ce qu’au Moyen Âge, on appelait les « uni-versaux », et qu’en logique contemporaine on appelle un genre, une classe, voire un ensemble. Ainsi, « insecte » est le sujet logique de la classe des arthropodes à trois paires de pattes tandis que « arachnide » est le sujet logique de la classe des arthropodes à quatre paires de pattes. Un concept se définit en compréhension (exemple : arthropodes à quatre paires de pattes) et en extension (exemple : araignée, scorpion, acarien…). En ce sens, le concept de liberté se définit en compréhen-sion comme ce qui caractérise l’homme lorsqu’il « se gouverne par la raison en l’absence de tout déterminisme 82 » et en extension comme ensemble des libertés, démocratiques par exemple :

82 Petit larousse 2009.

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À ce titre, et comme dans le cas de n’importe quel concept, les valeurs ne peuvent en aucune façon être hiérarchisables objectivement : cela n’aurait pas plus de sens logique de dire que « la liberté de culte vaut plus que le libre marché », « la liberté vaut plus que la santé », que de dire que « l’insecte » vaut plus que « l’arachnide ».

De même que le bleu ou le rouge sont des couleurs qui n’ont pas, par nature, priorité sur d’autres couleurs, que la grandeur ou la petitesse peuvent être préférables ou non selon les circonstances, de même les valeurs, n’en déplaise à Max Scheler 83 et à son « royaume-des-valeurs » platonicien, ne sont pas hiérarchisables en tant que telles.

D’autre part, toujours d’un point de vue logique, il est tout à fait envisageable de considérer le concept et son contraire (ce qu’il n’est pas), et donc la valeur et ce qu’elle n’est pas. Nous aurons ainsi par exemple la valeur « obéissance » et la valeur « désobéissance » qui s’ex-cluent mutuellement sans qu’aucune d’elles ne prévale logiquement. Si la liberté est une valeur pour beaucoup d’entre nous, la non liberté, la privation de liberté, peut apparaitre comme une valeur au sans-abri à la recherche de bien-être pendant l’hiver (abri et chaleur). Les valeurs des uns ne constituent donc pas forcément des valeurs pour les autres.

Mais, en même temps, la valeur n’est pas un simple concept comme en témoigne son étymologie – qui fait référence à « valoir ». Pour com-prendre la spécificité du concept de valeur, il nous faut l’envisager sous son second aspect, pragmatique cette fois.

83 Max SCHeler [1916].

• Liberté d’association• Liberté de circulation

• Liberté de culte• Liberté d’entreprise• Liberté d’expression

• Libre marché• Libre pensée

• Liberté de presse

Liberté

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4.2. Sous son aspect pragmatique

La logique classique, en se limitant à l’approche formelle du concept, ne permet pas d’appréhender la spécificité du concept de valeur dans sa dimension pragmatique.

En revanche, la logique de Charles Sanders Peirce, dans ses Écrits sur le signe par exemple, préconise d’approcher le concept sous son aspect pragmatique en tant qu’« interprétant », comme produisant des effets affectifs, énergétiques et logiques qui se transmettent au fil de l’histoire (le processus de la sémiosis) 84.

Pour le dire autrement, les valeurs (en tant que concepts) seraient les signes que nous utilisons pour rendre compte (en condensé ou en synthèse) des expériences au monde qui ont été source de bien-être ou de plaisir, voire de mal-être ou de peine. Et ces signes servent d’in-dices pour orienter l’agir de manière à retrouver ce bien-être et éviter ce mal-être. En ce sens et à la différence de concepts formels, ils ont une force normative : ils indiquent un « devoir-être », fût-il encore non réfléchi, en vue d’atteindre le bien-être, le bonheur ou le salut 85. Les valeurs sont, à ce titre, des indicateurs de sens pour l’ac-tion. « Sens » doit être compris ici dans les trois acceptions : direc-tion (oriente l’action) ; signif ication (synthétise une expérience sous la forme d’un concept) ; telos 86/f inalité (bien, bonheur, salut recherchés).

Dans cette troisième acception, les valeurs se réfèrent à une visée téléologique qui ne peut être qu’individuelle, même si la même visée peut être partagée par un très grand nombre de personnes. Par exem-ple : la liberté est une visée partagée par la plupart des démocrates ; le salut (le « paradis ») est une visée partagée par les croyants aux religions du Livre…

Certaines valeurs nous semblent même universelles. Ainsi en est-il de l’amour et de l’amitié ou, dans les sociétés démocratiques, de la vie, de la liberté, de l’égalité de droit… Je propose d’appeler ces valeurs sous leur aspect pragmatique et téléologique des valeurs structu-rantes parce qu’elles condensent sous un sujet logique des expérien-

84 Charles Sanders PeirCe [vers 1906, 135] : « l’interprétant logique est un effet de l’inter-prétant énergétique dans le sens où ce dernier est un effet de l’interprétant affectif. le désir cependant est la cause et non l’effet de l’effort. » ; pp. 136-137 : « l’habitude jointe au mobile et aux conditions a l’action pour interprétant énergétique […] Par suite, pour expri-mer le plus parfaitement possible un concept que les mots peuvent communiquer, il suffira de décrire l’habitude que ce concept est calculé à produire ».85 Valeur vient du latin valeo, valere qui veut dire « être bien portant, fort, vigoureux, effi-cace » ; « avoir de l’influence ».86 Voir note 12.

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ces concluantes dans les pratiques humaines quant à la recherche du bien-être, du bonheur ou du salut et qu’elles sont, à ce titre, si préfé-rables à d’autres qu’elles finissent par orienter l’action des institutions (la famille, l’école…) chargées d’éduquer les jeunes générations et d’ainsi structurer les identités. Ainsi, par exemple, sans être des valeurs universelles sous leur aspect pragmatique et sans être objectivement hiérarchisables sous leur aspect logique, la vie, la liberté, l’égalité de droit, la propriété, la souveraineté populaire, l’éducation, la culture, l’intégrité psychique et physique… sous-tendent les normes juridiques qui servent de référence à l’éducation scolaire 87 et au vivre-ensemble dans nos sociétés démocratiques.

4.3. Genèse des valeurs

Sur le plan ontogénétique, le petit d’homme fait l’expérience de ce qui doit être recherché parce que source de plaisir, de bien-être, bref, digne d’effort car désirable ; et de ce qui, en revanche, doit être évité parce que source de souffrance, de mal-être. Ces recherches de plaisir et d’évitement de la peine peuvent être assimilées à un « devoir-être » qui, sans être encore réfléchi, va peu à peu émerger et structurer son approche du monde.

Sur le plan phylogénétique (pris sous l’angle intersubjectif et inter-actif dans le temps et dans l’espace), tout « devoir-être » pour le petit d’homme sera imprégné de ce qui vaut ou non pour la communauté familiale ou locale, nationale ou internationale. Ce qui permet de comprendre, comme le dit Habermas, le caractère relatif des valeurs en fonction de contextes de vie différents :

« […] le caractère attractif des valeurs a le sens relatif d’une appréciation de certains biens, usuelle ou adoptée dans le cadre de certaines cultures ou formes de vie ; autrement dit, les décisions importantes d’ordre axio-logique ou les préférences d’ordre supérieur définissent ce qui, dans l’ensemble, est bon pour nous (ou pour moi) 88 ».

Si l’agir téléologique, tendu vers la satisfaction du désir, rencontre un succès, il devrait être valorisé. Inversement, s’il était source de souf-france, il pourrait être disqualifié. L’accès au langage et au discours plus tardif permettra alors de condenser les normes d’action sous la

87 Voir par exemple, les Décrets définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté [D. 31-03-1994, art. 2] et de l’enseignement officiel subventionné [D. 17-12-2003, art. 3].88 Jürgen HABerMAS [1992, 278].