petits portraits en miniature, en émail et sur porcelaine ... · visite de la pastelliste et...
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Musée Cognacq-Jay – Musée du XVIIIe siècle de la Ville de Paris Livret d’accompagnement / juillet 2015
Collections permanentes
Petits portraits en miniature, en émail et sur porcelaine,
dans la collection d’Ernest Cognacq
Portrait de Wilhelmine de Prusse, Princesse d’Orange-Nassau, en miniaturiste entourée de sa famille
Livret d’accompagnement
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La collection constituée par Ernest Cognacq dans les premières décennies du XXe siècle, puis léguée à la Ville de Paris
en 1928, comprend un ensemble tout à fait remarquable de portraits, qu’ils soient peints en grand sur toile, dessinés,
peints en miniature ou en émail. Tous ces portraits, auxquels s’ajoutent des dons et des acquisitions récentes, sont de
l’école française et de l’école anglaise pour la plupart et datent essentiellement du XVIIIe siècle et du début du XIXe
siècle. À cette période précisément, ce genre est abondant et se démocratise, ce dont se plaignent à Paris nombre de
critiques du Salon. Ainsi, dans un compte rendu du Salon de 1769 peut-on lire : « En vain le Public se plaint depuis
longtemps de cette foule obscure de bourgeois qu’on lui fait passer sans cesse en revue. […] Grâce au malheureux
goût du siècle, le Salon ne sera plus insensiblement qu’une galerie de portraits. Ils occupent près d’un grand tiers de
celui-ci !1 ». Jugé trop abondant et trop largement accessible à une clientèle qui n’a pas forcément vocation à passer à
la postérité, le portrait est alors souvent décrié même si, naturellement, des artistes, des styles et des
représentations se détachent. Dans ce vaste ensemble, le petit portrait, en miniature ou en émail, portrait intime très
souvent, parfois exposé au Salon ou à la Royal Academy, a été oublié dès le milieu du XIXe siècle, bientôt concurrencé
par la photographie.
Ces vingt dernières années cependant, du fait même de sa popularité au XVIIIe et au début du XIXe siècle, de
nombreuses recherches ont été conduites sur le petit portrait, en miniature et en émail en particulier. Très actives,
elles donnent lieu à des monographies sur des artistes de premier plan, tels Pierre-Adolphe Hall ou Jean-Baptiste
Augustin, à des colloques, à des expositions, telles Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), portraitiste de l’Europe, à des
ouvrages scientifiques de synthèse tel La Miniature, portrait de l’intimité ou encore à des catalogues de grandes
collections publiques et privées parmi lesquels on peut citer le catalogue des émaux de la collection Gilbert (déposée
au Victorian and Albert Museum de Londres), celui des miniatures du Louvre et du musée des arts décoratifs de
Bordeaux, celui de la Wallace Collection, celui de la fondation Tansey à Celle en Allemagne2. La collection de
miniatures du musée Cognacq-Jay a participé et bénéficié de ces recherches avec la parution en 2002 d’un catalogue
des miniatures par Nathalie Lemoine-Bouchard, précédé d’une campagne de restauration. Le catalogue des
collections d’émaux du musée Cognacq-Jay, qui comprend pour l’essentiel des portraits, est par ailleurs projeté.
Dans ce contexte de redécouverte, il apparaît intéressant de revenir sur ce qu’est le petit portrait en miniature et en
émail, des techniques spécifiques que certains artistes ont pratiqué conjointement. Par ses dimensions mêmes, ce
type de portrait a été décliné sur différents objets, boîtes, tabatières, étuis, bijoux… et ses usages, souvent destinés à
la contemplation privée, participent de sa spécificité. Une sélection d’œuvres du musée Cognacq-Jay, acquises par
Ernest Cognacq, et dont plusieurs sont actuellement exposées, nous sert de point de départ et rend bien compte de
ces aspects. Nous y avons ajouté une boîte en or de l’orfèvre Paul-Nicolas Ménière car, par-delà la technique, ses
seize portraits du roi de France et de sa famille peints sur porcelaine illustrent parfaitement certains usages du petit
portrait.
Plan du dossier
I - Techniques de la miniature et du portrait en émail
II - Les objets et usages du petit portrait dans la collection d’Ernest Cognacq
Références bibliographiques et ressources en ligne pour aller plus loin
Dossier rédigé par Claire Scamaroni,
responsable de la bibliothèque, de la documentation et des archives au musée Cognacq-Jay
1 Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de M. de l’Académie royale exposées au Salon du Louvre, Londres, 1780, lettre II, p. 51-
52, citées par Édouard Pommier, Théories du portrait, de la Renaissance au Lumières, Paris, Gallimard, 1997, p. 319. 2 Les références complètes de ces travaux sont données en bibliographie.
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I - Techniques de la miniature et du portrait en émail
Comme le rappelle Nathalie Lemoine-Bouchard, le mot « miniature » apparaît en français vers le milieu du XVIIe
siècle mais, dans la langue courante, son emploi n’a jamais été très strict3. Ainsi, bien souvent, des œuvres de
petits formats peintes à l’huile ont pu être désignées comme des miniatures, des émaux, des peintures sur
porcelaine également, non sans raisons. Une artiste comme Marguerite Gérard, par exemple, a pratiqué à la fois
le portrait peint à l’huile de petit format et la miniature sur ivoire, maniant son pinceau de la même façon4. Pour
autant, les techniques sont différentes et la miniature, stricto sensu, est communément rattachée aux arts
graphiques, les émaux relevant pour leur part des arts du feu.
Supports et techniques de la miniature au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle
Dans son Dictionnaire universel de 1690, plusieurs fois réédité, Antoine Furetière donne de la miniature la
définition suivante :
« La miniature se fait de simples couleurs très fines, détrempées avec de l’eau, et de la gomme sans huile. Elle
est distinguée des autres peintures, en ce qu’elle est plus délicate, qu’elle veut être regardée de près, qu’on
ne la peut faire aisément qu’en petit, qu’on ne la travaille que sur du vélin, ou des tablettes. […] Les
miniatures sont d’ordinaire petites et délicates, d’où vient que quelques-uns les appellent mignatures. Les
amans se font peindre en miniature.5 »
Les supports de la miniature sont multiples au XVIIIe siècle, parmi ceux-ci on trouve les tablettes – petites
plaques de plâtre poli –, le vélin – peau de veau mort-né –, l’ivoire, le papier, le carton fort encore. Tous ces
supports font l’objet de préparations différenciées mais ils sont peints à la gouache et à l’aquarelle. Très usité en
France jusque dans les années 1760, le vélin y est alors supplanté par l’ivoire, dont l’usage se répand après la
visite de la pastelliste et miniaturiste vénitienne Rosalba Carriera en 1720. De fait, dans la collection d’Ernest
Cognacq, qui comprend pour l’essentiel des œuvres postérieures à 1750, seul un Portrait de Louis XIV (fig. 1)
attribué à Jean Petitot, daté vers 1690, pourrait être sur vélin6. Les œuvres de la collection sont des ivoires,
auxquels s’ajoute une miniature sur papier, le Portrait de Mme de Kercado (fig. 3) par Jean-Baptiste Isabey, vers
1813.
Fig. 1 Détail
3 Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Peintres en miniature actifs en France, 1650-1850, Paris, les éd. de l'Amateur, 2008, p. 7.
4 Voir à ce sujet Carole Blumenfeld, « Marguerite Gérard et ses portraits de société », dans Marguerite Gérard, artiste en 1789, dans
l’atelier de Fragonard, catalogue de l’exposition au musée Cognacq-Jay, Paris, Paris-musées, 2009, p. 22. 5 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, t. 2, 2e éd. revue, corrigée et augmentée par Monsieur Basnage de Bauval, La Haye, A. et R.
Leers, 1701. Cette édition est consultable sur Gallica. 6 Voir Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Miniatures, Paris, Paris-musées, 2002 (Les collections du musée Cognacq-Jay), p. 128-129.
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Les traités sur la miniature des XVIIIe et XIXe siècles sont riches en informations quant aux techniques utilisées
par les miniaturistes sur ivoire7. Avant d’être peintes, les feuilles d’ivoire, achetées chez des marchands
spécialisés, les tabletiers, doivent d’abord être préparées pour éliminer les aspérités et pour être dégraissées.
De plus en plus minces (inférieures à un millimètre à partir du milieu du XVIIIe siècle), les plaques d’ivoire sont
ensuite contrecollées sur du carton et, dans certains cas, un paillon - une fine feuille d’argent - est glissée entre
l’ivoire et le carton pour en accroître l’éclat. L’une des miniatures de la collection d’Ernest Cognacq, Le Peintre et
sa famille devant une maison de campagne (fig. 2), par Jean-Antoine Laurent laisse présager un tel procédé. En
effet, l’argent, qui s’est oxydé, est probablement à l’origine de l’aspect terne et jaunâtre repérable sur certains
motifs. Exécutée vers 1797-1798, la miniature de Laurent témoigne également de l’évolution des formats, et
donc des supports, à la fin du XVIIIe siècle. Comme l’a montré la restauration de cet objet par Bernd Pappe en
2002, cette miniature est composée de deux feuilles d’ivoire incrustées dans une plaque de carton d’environ
quatre millimètres, le papier et les bords des feuilles d’ivoire étant égalisés avec une couche de préparation
blanche8.
Fig. 2
Une fois prêt, le support d’ivoire peut recevoir le dessin et les couleurs. Le dessin était souvent tracé sur une
feuille de papier séparée et certains, de la main de Jean-Baptiste Augustin par exemple, passent régulièrement
en vente publique. Le Portrait de Mme de Kercado (fig. 3) par Jean-Baptiste Isabey, sur papier, peut apparaître
comme une portrait préparatoire pour une miniature sur ivoire, aujourd’hui conservée au musée des Arts
7 Parmi ceux-ci on peut citer l’ouvrage de Pierre Noël Violet, Traité élémentaire sur l'art de peindre en miniature, Paris, Guillot, 1788 ou
celui de Léon Larue, dit Mansion, Lettres sur la miniature, par Mansion, élève d’Isabey, Paris, L. Janet, 1823. Jacqueline du Pasquier et Bernd Pappe nous y invitent dans leurs travaux respectifs : Jacqueline du Pasquier, La Miniature, portrait de l’intimité, Paris, Norma, 2010, p. 107-112 ; Bernd Pappe, « Marie-Gabrielle Capet et la miniature sur ivoire », dans Marie-Gabrielle Capet (1761-1818), une virtuose de la miniature, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Caen, Gand, Snoeck, 2014, p. 37-44. 8 Voir à ce sujet l’article de Georges Brunel et Bernd Pappe, "La collection de miniatures du musée Cognacq-Jay", dans Coré, Conservation
et restauration du patrimoine culturel, n° 13, 2003, p. 44-50.
5
décoratifs à Paris, mais l’artiste a aussi réalisé des miniatures autonomes sur ce support. Le célèbre miniaturiste
suédois Pierre-Adolphe Hall esquissait pour sa part le dessin préparatoire à la pointe d’argent sur l’ivoire,
comme on peut le voir sur le portrait de sa fille Lucie Hall (fig. 15), décadré à l’occasion de sa restauration par
Bernd Pappe en 2002. Les pigments colorés, que l’on se procurait dans des boutiques pour artistes, étaient
broyés avec du liant, la gomme arabique, qui, pour gagner en souplesse et éviter que la peinture ne s’écaille,
était souvent mêlée à du sucre candi9. D’autres substances pouvaient encore y être ajoutées, afin de favoriser
l’adhérence des couleurs sur le support gras de l’ivoire.
Fig. 3 Fig. 4
Parmi les instruments indispensables aux peintres miniaturistes, on compte le pupitre, la palette, des pinceaux
de diverses épaisseurs et qualité (fig. 4), un grattoir également, pour modifier les touches, et, bien souvent, une
loupe. L’apposition de la couleur a été pratiquée de différentes façons par les peintres, suivant la technique du
pointillé ou par touche plus hardie. Comme le rappelle Nathalie Lemoine-Bouchard10, « pointiller » consiste à
travailler par points de gouache plus ou moins dilués ou par petits traits, en croisant dans tous les sens pour
donner l’illusion du pointillé. Répandue, cette manière, très minutieuse, a été pratiquée avec brio par Jean-
Baptiste-Jacques Augustin, dont le musée Cognacq-Jay conserve plusieurs miniatures, parmi lesquelles le
Portrait de Mlle Raucourt (fig. 19) en 1790. Dans le sillage de la pastelliste et miniaturiste Rosalba Carriera, le
Suédois Pierre-Adolphe Hall, arrivé en France en 1766, adopte pour sa part une manière ample, qui évoque la
peinture en grand. Sa touche, vigoureuse, rend avec beaucoup de fraîcheur et de finesse les étoffes et les
coiffures. Le Portrait de Lucie Hall (fig. 15), réalisé vers 1788, en est un bel exemple. Ces deux façons de faire ont
coexisté dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle et, naturellement, les artistes les ont adaptées en trouvant leur
propre style.
9 Bernd Pappe, « Marie-Gabrielle Capet et la miniature sur ivoire », op. cit., p. 40.
10 Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Peintres en miniature actifs en France, éd. citée, p. 10.
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La technique de l’émail
La définition de l’émail proposée par Antoine Furetière dans son Dictionnaire universel est, là encore, précise :
« Espèce de verre coloré. […] / Esmail, se dit aussi de la peinture et du travail qui se fait avec des couleurs
minérales qui se cuisent avec le feu, ce qu’on appelle parfondre l’émail. Un portrait fait en émail ne s’efface
point. […] On a fort estimé autrefois les émaux de Limoges qui se faisoient du temps de François I
particulièrement sur du cuivre.11
»
Le mot « émail », comme celui de « miniature », désigne à la fois une technique et les peintures qui en
résultent. L’émail, verre coloré par des oxydes métalliques, fusionne par cuisson avec son support en métal.
Cette technique relève des arts du feu, ce pourquoi elle a d’abord été pratiquée par des orfèvres puis, au XVIIIe
et au XIXe siècle, par des peintres sur porcelaine également. L’émail achevé est très résistant et ses couleurs
gardent tout leur vivacité, d’où son succès et son application sur différents objets d’orfèvrerie. Les différentes
étapes de fabrication sont longues et complexes cependant12.
Différents métaux ont été utilisés comme supports de l’émail, l’or, le cuivre ou encore l’argent mais le cuivre
s’est imposé progressivement car il est résistant et cuit à haute température. La plaque de cuivre, de moins d’un
millimètre, est d’abord martelée afin d’obtenir une surface légèrement bombée, pour prévenir la déformation
du support à la cuisson. Pour la même raison, ce support est revêtu d’une couche d’émail blanche au recto et
d’une autre au verso, qu’on appelle le « contre émail », support d’informations sur l’œuvre parfois, telles que
son titre, son auteur, sa date, l’œuvre de référence qui a pu servir de modèle également (fig. 5).
Fig. 5 Revers
11
Antoine Furetière, Dictionnaire universel, éd. citée, t. I. 12
Sarah Coffin et Bodo Hofstetter décrivent en détail la technique de l’émail dans l’introduction du catalogue The Gilbert Collection.
Portrait Miniatures in Enamel, London, P. Wilson, 2000, p. 9-11. Nous nous appuyons ici sur leurs travaux.
7
La couche picturale est formée d’oxydes métalliques réduits en poudre, auxquels on ajoute un liant à base
d’huile. L’émailleur applique ses couleurs au pinceau en fonction de leur point de fusion, de la température la
plus élevée à la température la plus basse, et travaille donc par cuissons successives, parfois jusqu’à huit. Plus la
plaque est grande, plus les risques à la cuisson sont importants (présence d’une bulle d’air qui aboutit à la
formation d’un petit trou en surface, par exemple). De plus, une fois cuite, la pièce ne peut pas faire l’objet de
retouches.
Entre le XVIIe siècle et les environs de 1800, la technique de l’émail n’a pas changé de façon notable, même si
les couleurs se sont améliorées et que leur nombre s’est accru. À partir de 1800 par contre, des émailleurs
genevois et l’Anglais Henry Bone, dont le musée Cognacq-Jay conserve un émail, recouvrent leurs émaux d’une
glaçure transparente pour en accroître l’éclat et en masquer les irrégularités de surface. Henry Bone, qui a
d’abord travaillé comme peintre en porcelaine, améliore également l’adhérence et la fusion des couleurs sur le
support13.
La réalisation d’un portrait en émail, par cuissons
successives, est un travail long qui s’accommode mal
de séances de pose multiples. Si des esquisses
pouvaient être réalisées sur le vif, bon nombre de
portraits sont réalisés d’après des gravures ou des
portraits peints en grand à l’huile sur toile. La
transposition de ces sources mêmes a pu nécessiter
un dessin préparatoire. Deux émaux de la collection
Cognacq en offrent des exemples. Le premier est un
portrait de Henry Philip Hope (fig. 6), probablement
d’après une peinture de Guy Head (1753-1800),
réalisé par l’émailleur Henry Bone en 1802. Son
dessin préparatoire mis au carreau est conservé à la
National Portrait Gallery de Londres14. Cette
institution conserve également, du même artiste, un
dessin mis au carreau pour le Portrait d’Anne Russell,
comtesse de Bedford15, d’après une huile sur toile de
Van Dyck en 163916. Daté de 1821, ce dessin a pu
être utilisé quelques années plus tard, en 1844, par
Henry Pierce Bone, fils d’Henry, comme dessin
préparatoire pour le portrait en émail de la
comtesse de Bedford, aujourd’hui au musée
Cognacq-Jay (fig. 5).
Fig. 6
13
Sarah Coffin et Bodo Hofstetter, op. cit., p. 10. 14
Ce dernier est reproduit dans la base de données en ligne des collections à l’adresse : http://www.npg.org.uk/collections/search/portrait/mw120072/Henry-Philip-Hope?LinkID=mp52679&search=sas&sText=henry+philip+hope&role=sit&rNo=0 15
Ce dessin est également reproduit, à cette adresse : http://www.npg.org.uk/collections/search/portrait/mw84935/Anne-Russell-ne-Carr-Countess-of-Bedford?LinkID=mp18244&search=sas&sText=anne+russell&role=sit&rNo=8 16
Le portrait de Van Dyck est un portrait à mi-corps, avec les mains. Il est aujourd’hui conservé au Tokyo Fuji Art Museum.
8
Plusieurs émailleurs ont apposé leurs couleurs suivant la technique du pointillé, parmi lesquels le célèbre
orfèvre et émailleur genevois Jean Petitot, qui a travaillé pour la Cour d’Angleterre puis pour la Cour de France
dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Comme on l’a vu précédemment, le musée Cognacq-Jay conserve un
portrait de Louis XIV attribué à cet artiste (fig. 1), probablement d’après le portrait gravé par Robert Nanteuil en
1662, mais, chose rare, ce dernier est vraisemblablement une miniature sur vélin, une technique à laquelle
Petitot a recouru mais qui reste peu documentée le concernant. Une version très proche de ce portrait, en émail
cette fois, est aujourd’hui conservée à la Wallace collection17. Outre le pointillé, une facture plus libre a été
pratiquée également dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et le miniaturiste et émailleur Jean-Baptiste
Weyler en est un bon représentant. Le musée Cognacq-Jay conserve de cet artiste une miniature sur ivoire, le
Portrait d’un fermier général (fig. 8), entre 1775 et 1783, et un émail monté sur une boîte en écaille brune
ciselée d’or, un Portrait d’homme en habit mauve, dit Portrait présumé du comte d’Angiviller (fig. 7), vers 1770-
1790.
Fig. 7 Fig. 8
Jean Petitot au XVIIe siècle, puis Jean-Baptiste Weyler, Pierre-Adolphe Hall, Jean-Baptiste Augustin, Jean-
Baptiste Isabey encore, nombreux sont les artistes qui ont pratiqué la miniature et l’art de l’émail, et pas
seulement. Plusieurs d’entre eux étaient également peintres et dessinateurs et pouvaient décliner une
commande suivant différentes techniques et formats, comme Marie-Gabrielle Capet, élève d’Adelaïde Labille-
Guiard, dont l’œuvre de pastelliste, de miniaturiste et de peintre, a connu le succès à la fin du XVIIIe siècle et au
début du XIXe siècle. D’autres ont peint sur porcelaine, comme l’émailleur anglais Henry Bone ou les
miniaturistes français Charles Bourgeois et Étienne-Charles Le Guay, représentés par des miniatures dans la
collection d’Ernest Cognacq.
17
Stephen Duffy, Christoph Martin Vogtherr, Miniatures in the Wallace Collection, London, The Wallace Collection, 2010, p. 32-33, note
p. 172.
9
II - Les objets et usages du petit portrait dans la collection d’Ernest Cognacq
Quelle que soit la technique utilisée, la fonction première du portrait, qui est aussi celle de la peinture, suivant
l’origine légendaire relatée par Pline l’Ancien, est de garder par le tracé la mémoire de l’être cher18. À cette
fonction originelle s’en ajoutent d’autres, qui, à partir de la Renaissance, font l’objet de vifs débats théoriques
en Italie, puis en France autour de l’Académie, et dans le reste de l’Europe19. Le portrait du roi et, dans une
moindre mesure, celui de son entourage occupent d’emblée une place centrale et singulière, aux enjeux
symboliques et politiques marqués. Mais, naturellement, le portrait ne leur est pas réservé. Des personnes
considérées comme exemplaires, des célébrités ou, plus simplement tout à chacun, pourvu qu’il en ait les
moyens, peut-être portraituré. La prolifération du portrait est une critique récurrente dès la Renaissance et,
dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, période à laquelle se rattachent bon nombre
de portraits collectionnés par Ernest Cognacq, elle est visible en Angleterre et en France, au Salon et à la Royal
Academy notamment, où sont exposés grands et petits portraits.
Moins étudié que son homologue, souvent anonyme car non signé, le petit portrait, en miniature, en émail ou,
plus rarement, sur porcelaine, fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt pour la qualité intrinsèque de
nombre d’œuvres produites mais aussi pour les fonctions et usages qu’il met en lumière. Autonome ou décliné
sur différents objets, boîtes, tabatières, étuis, bijoux, il est donné lors d’événements particuliers, échangé entre
amis, on le transporte aisément avec soi ou même sur soi. Précieux, il est exposé dans un cabinet – une petite
pièce, un petit meuble de collectionneur aussi –, rangé aisément dans un tiroir ou placé secrètement sous un
couvercle de boîte ou dans un logement spécifique et secret de celle-ci. Car, par sa taille même, le petit portrait
induit une mode de contemplation d’ordre privé. De fait, quand bien même il décline un portrait en grand, il lui
confère un caractère intime voire sentimental.
Très prisé, le petit portrait est souvent mis en scène dans le portrait de grand format, ou inversement, ce qui
nous renseigne sur son statut, ses fonctions et ses usages au XVIIIe siècle. La scène de genre y recourt souvent
comme accessoire d’une intrigue amoureuse, ainsi dans La Consolation de l’absence (fig. 9), gouache de Nicolas
Lavreince, dessinateur et miniaturiste.
Fig. 9 et détail
18
Au livre XXXV de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien relate l’histoire de la fille d’un potier, Dibutades de Sicyone, qui trace sur un mur l’ombre portée de son amant, en partance pour un long voyage. 19
Voir à ce sujet l’ouvrage d’Édouard Pommier, Théories du portrait, de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998.
10
Les petits portraits de la collection d’Ernest Cognacq ne reflètent pas tous les usages de ces petits objets mais
elle en offre différents exemples sur des supports variés, rares pour certains, plus communs sinon, que l’on peut
regrouper ici suivant quelques grandes catégories : les portraits royaux ou de l’entourage royal, les portraits de
famille et d’enfants, le portrait de l’être cher, le portrait d’une célébrité, la reproduction d’un portrait peint en
grand qui a rencontré le succès.
Les petits portraits du souverain et de son entourage
Parmi les petits portraits de grand prestige, qui font aujourd’hui l’objet de recherches, la boîte à portrait, le
cadeau diplomatique le plus prisé sous Louis XIV, occupe une place de choix. Il ne s’agit nullement d’une boîte
au départ mais du portrait en émail du roi, enchâssé dans une luxueuse monture d’orfèvrerie enrichie de
diamants, le tout surmonté d’une couronne et doublé d’une plaque en or émaillée au chiffre du roi20. En 2009, à
la vente de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, le musée du Louvre s’est porté acquéreur de l’une de
ces boîtes de prestige, dont il ne subsiste plus que trois exemples aujourd’hui, l’émail et les pierres précieuses
ayant souvent été dissociés et l’émail réutilisé, parfois sur une boîte ou une tabatière plus modeste. Une étude,
à paraître prochainement21, permettra de me mieux connaître ces objets et les peintres-émailleurs auteurs de
ces boîtes à portrait, Jean Petitot en particulier, dont le musée Cognacq-Jay, on l’a vu, conserve un portrait de
Louis XIV22 (fig. 1). Quelques décennies plus tard, la boîte à portrait devient véritablement une boîte, précieuse,
ornée sur son couvercle d’un portrait du roi, et son usage diplomatique perdure.
Différents types de boîtes ornées d’un portrait du roi et de son entourage, de la reine également, figurent au
nombre des cadeaux royaux offerts lors d’occasions particulières au XVIIIe siècle, mais, en l’absence d’archives
précises pour documenter les circonstances de la commande, la destination exacte des boîtes reste inconnue. Le
musée Cognacq-Jay en offre deux exemples remarquables. Le premier est une tabatière en or de l’orfèvre
Joseph-Étienne Blerzy, en 1776-1777, ornée d’un portrait en émail de Marie-Antoinette (fig. 10), d’après une
composition peinte de François Dumont, un des miniaturistes attitrés de la reine. Il s’agit vraisemblablement
d’un présent royal offert en étrenne, en remerciement ou en gratification23.
Fig.10 Détail
20
Voir José de Los Llanos et Christiane Grégoire, Boîtes en or et objets de vertu, Paris, Paris-musées, 2011 (Les collections du musée
Cognacq-Jay), p. 10. 21
Michèle Bimbenet-Privat et François Farges, La Boîte à portrait de Louis XIV, Paris, musée du Louvre, Somogy, ouvrage à paraître en
2015 (Solo). 22
La destination originelle de ce portrait n’est pas connue. Au début du XIXe siècle, il a été monté sur une boîte en écaille, expression sans doute d’un sentiment royaliste. Voir José de Los Llanos et Christiane Grégoire, op. cit., p.477. 23
Ibid., p. 106.
11
Datée également de 1776-1777, la deuxième tabatière, de l’orfèvre Paul-Nicolas Ménière, est ornée pour sa part
de seize portraits en médaillons des membres de la famille royale peints sur porcelaine à la manufacture de
Sèvres (fig. 11 et 12). Louis XVI et son épouse Marie-Antoinette sont d’abord représentés sur le couvercle, puis
ses aïeux Louis XV et Marie Leczinska, ses parents Louis-Joseph de France et Marie-Josèphe de Saxe, ses tantes,
Mme Victoire et Mme Adelaïde, ses sœurs, Mme Élisabeth et Mme Clotilde, ses frères enfin, le comte de
Provence et le comte d’Artois, ainsi que leur épouse. Cette boîte est tout à fait exceptionnelle, moins par le
nombre de portraits cependant que par l’usage de la porcelaine, rare pour ce type de représentation. Le
peintre, qui a travaillé d’après des modèles peints diffusés par la gravure, n’a pas signé son œuvre : il pourrait
s’agir des frères Pithou, auxquels furent confiées presque toutes les commandes de portraits de la manufacture
entre 1770 et 178024. Mémorial dynastique portatif, cette tabatière a pu être réalisée à l’occasion du sacre de
Louis XVI, le 11 juin 1775, mais on ne sait à qui elle fut offerte. Les archives de Sèvres mentionnent le roi de
Sardaigne cependant, beau-père d’une des sœurs et des deux frères du roi, d’où l’hypothèse émise par
Christiane Grégoire25 suivant laquelle cette boîte pourrait être un présent royal destiné à commémorer les liens
étroits entre ces deux familles.
Fig. 11 et 12
24
Rosalind Savill, The Wallace Collection Catalogue of Sèvres Porcelain. III, References, Appendices, Index, Londres, The Trustees of the Wallace Collection, 1988, p. 1060-1062. 25
José de Los Llanos et Christiane Grégoire, op. cit., p. 268.
12
Portraits et petits portraits étaient échangés ou commandés à l’occasion des mariages. Hors de France, le
Portrait présumé d’Amalia-Wilhelmine de Hasbourg tenant la miniature de son époux, le futur empereur
d’Allemagne Joseph Ier (fig. 13), vers 1699, en est un bel exemple. Cette miniature sur ivoire, de l’école
allemande ou autrichienne - où l’usage de l’ivoire comme support de miniature apparaît plus précoce qu’en
France -, illustre également l’insertion fréquente de miniature dans la miniature : ici, la future impératrice
présente un médaillon de son époux, qu’elle tient par son anneau ou « bélière ».
Fig. 13
Portraits familiaux et portraits d’enfants en miniature
La collection réunie par Ernest Cognacq offre de nombreux exemples de portraits familiaux, dont le charme
opère, que les modèles soient identifiés ou que leur nom se soit perdu, par des mises en scène pleines de vie et
de naturel où, sur le mode des « conversation pieces » à la mode en Angleterre à partir des années 1720, les
sujets sont représentés dans des situations conviviales ou quotidiennes, autour d’une activité commune.
Le portrait sur ivoire de Wilhelmine de Prusse, princesse d’Orange-Nassau, en miniaturiste (fig. 4), par de Saint-
Ligié en 1784, rappelle les talents de miniaturiste de la princesse – auteur elle-même de portraits de sa famille -
et offre une représentation sensible de sa famille. Wilhelmine de Prusse est y entourée de son époux,
stathouder de Hollande, à gauche, de trois de leurs enfants et, peut-être, d’une sœur et d’une nièce de la
princesse. Comme l’indique Nathalie Lemoine-Bouchard26, le traitement des visages et des corps a dû être
réalisé en deux temps, une pratique fréquente décelable ici par de légères disproportions.
En 1787, le portrait familial du miniaturiste Dubois, probablement Nicolas Dubois, Une mère jouant de la guitare
devant des deux fils (fig. 14), met également en scène le cercle familial autour d’une mère artiste, peintre,
dessinatrice et musicienne - comme le suggèrent la palette et les pinceaux, la guitare et le carton à dessins -,
26
Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Miniatures, éd. citée, p. 137.
13
entourée de ses deux fils. L’époux est représenté par son portrait en buste, peint à l’huile sur un grand format.
Ce dispositif, souvent utilisé, souligne le caractère intime et sentimental du portrait féminin au regard du
portrait en buste, plus sobre, de l’époux. Si l’attribution de la miniature est juste, il pourrait s’agir ici d’une
famille de la noblesse espagnole27.
Fig. 14
Nobles, bourgeois, artistes également ont droit au portrait familial. Ces derniers nous livrent naturellement des
portraits de leur propre famille, tel Jean-Antoine Laurent qui les expose parfois au Salon. La miniature du musée
Cognacq-Jay, Le Peintre et sa famille, devant une maison de campagne (fig. 2), vers 1797-1798, est intéressante
à plusieurs titres. Le peintre, dont on ne connaît encore que peu d’autoportraits, s’est représenté en pied dans
une scène d’extérieur, tenant son jeune fils Paul, monté à cheval. À l’arrière-plan, son épouse, sa fille et peut-
être une servante les observent. Plein de vie, témoin d’une sensibilité particulière à l’enfance et à la
transmission par l’éducation, ce portrait sur ivoire et carton de « grand format » (20 x 26 cm) est représentatif
d’une tendance de la fin du XVIIIe siècle que le miniaturiste Jean-Baptiste Augustin avait expérimentée
auparavant avec son « grand » autoportrait présenté au Salon en 1796. Le « grand » format offre en effet
plusieurs avantages, l’élaboration de compositions et de motifs plus variés, comme ici, une plus grande visibilité
dans le cadre des expositions publiques également.
27
Ibid., p. 66.
14
À ces mises en scène de l’intimité
familiale s’ajoutent les portraits
individuels d’enfants. Comme Jean-
Antoine Laurent, Pierre-Adolphe Hall
a laissé plusieurs portraits de son
épouse et de ses enfants, parmi
lesquels celui de sa fille Lucie Hall (fig.
15), vers 1788, âge de quatorze ans
environ. L’éclat des chairs, qu’exaltent
la blancheur et la transparence de
l’ivoire, et la touche hardie pour le
traitement des étoffes et de la
chevelure, contribuent au naturel de
ce portrait, comme saisi sur le vif.
Fig. 15
Portrait de l’être cher, conjoint(e), amant(e) ou parent(e)
Le petit portrait, objet intime par excellence, représente à merveille la personne aimée. La boîte à secret,
inventée au XVIIIe siècle, en accentue le caractère sentimental et privé. La boîte en bois doublée d’ivoire, dont
un double fond, vissé, permet de dissimuler la miniature d’une jeune femme peinte par François-Antoine
Romany (fig. 16), vers 1785-1795, en est un très bel exemple. Le couvercle est garni de cheveux tissés, un
véritable gage d’attachement légèrement teinté d’érotisme.
Fig. 16
15
L’usage des cheveux sur des bijoux est attesté en France dès le XVIIe siècle, comme en témoigne la définition de
« cheveu » du dictionnaire de l’Académie française, en 1694, où le « bracelet de cheveux » est mentionné. Cet
usage se répand au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, en France, en Angleterre aussi, sur des boîtes ou des
miniatures. Les cheveux pouvaient être apposés au revers de la miniature, en mèches pour former une
composition ou finement tressés, ou constituer un encadrement. La collection d’Ernest Cognacq comprend deux
beaux exemples, typiquement anglais, de ces usages, dont un Portrait d’homme inconnu (fig. 18) sur ivoire
attribué à Abraham Daniel, vers 1795. Sur la face, le cadre est formé de quatre rangées de cheveux tressés,
cernées de fines moulures, maintenues en partie supérieure par un ruban, en partie inférieure par une boucle.
Au revers figure en outre un médaillon de cheveux tressés dans un entourage d’émail.
Fig. 17 Fig. 18
Souvent de face ou de trois quarts, avec ou sans les mains – ce qui en modifie le prix –, le petit portrait évolue
en Europe, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, avec la multiplication des représentations de profil.
Les sources de ce type de représentation sont multiples. Certains profils, moins onéreux, résulte de l’invention
du physionotrace, une machine à faire le portrait, à la fin de l’année 178728. Le procédé consiste à réduire
mécaniquement un profil grandeur nature en un petit portrait, à l’aide d’un pantographe, puis de graver celui-ci
pour en tirer différents exemplaires sur différents supports, tel l’ivoire, ensuite peint. Le procédé démocratise le
petit portrait et contribue à la vogue des représentations de profil mais il n’est pas le seul. L’invention de la
silhouette, un dessin au trait de profil d’après l’ombre projetée par un corps, en 176029, y avait concouru
auparavant. Antérieurement encore, les médailles et les camées offraient des exemples de portraits en buste de
profil. À partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, plusieurs artistes, qui font de ce genre une spécialité,
puisent dans toutes ces sources. Pierre-Marie Gault de Saint-Germain, par exemple, a réalisé des miniatures en
grisaille imitant le camée, sans doute à partir de physionotraces30. Dans la collection Ernest Cognacq, un Portrait
de femme en buste de profil (fig. 17) de l’école anglaise, vers 1800, se rattache à cette production foisonnante.
28
Jacqueline du Pasquier, op. cit., p. 159-160. 29
Le nom vient d’Étienne Silhouette (1709-1769), contrôleur général des Finances en 1759, qui avait fait décorer son château de portraits en ombre. Voir à ce sujet Édouard Pommier, op. cit., p. 372. 30
Jacqueline du Pasquier, op. cit., p. 165.
16
Portrait d’une célébrité
Bien souvent l’identité des modèles représentés sur les portraits en miniature et en émail n’est plus connue
aujourd’hui et bon nombre de petits portraits de la collection Cognacq sont dans ce cas. En l’absence de toute
inscription fiable sur l’objet, une grande partie de la recherche sur ce type de fonds, outre l’attribution à un
artiste et la datation, consiste alors à tenter d’identifier le modèle représenté. La tâche n’est pas toujours
possible car les modèles ne sont pas tous, tant s’en faut !, passés à la postérité. Telle n’est pas le cas de Mlle
Raucourt, reçue sociétaire à la Comédie-Française le 23 mars 1773. Dans le répertoire de la collection Cognacq,
dressé vers 1924, l’auteur du portrait (fig. 19) est bien identifié comme Augustin (l’objet est signé), mais le
modèle est ainsi décrit : « femme cheveux gris avec myosotis. Corsage blanc, ceinture dorée et pierreries […] ».
Nathalie Lemoine-Bouchard31 a rendu son identité au modèle en retraçant plusieurs appartenances antérieures
du portrait et, en particulier, sa présence dans la collection Leboeuf de Montgermont, vendue les 25 et 26 mai
1891, car l’œuvre était reproduite au catalogue de cette vente. D’autres portraits de cette actrice célèbre ont
conforté l’identification. Les circonstances de la commande en revanche ne sont pas connues et l’exposition de
ce portrait d’une célébrité par son auteur, qui aurait pu attirer l’attention des visiteurs et de la critique sur la
production de l’artiste, n’est pas référencée. Au début du XXe siècle, on l’a vu, l’œuvre est acquise par Ernest
Cognacq en tant qu’œuvre d’Augustin, l’un des miniaturistes les plus célèbres et les plus talentueux de sa
génération, au pointillé très subtil.
Fig. 19
31
Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Miniatures, éd. citée, p. 25-26.
17
La reproduction d’un portrait peint en grand qui a rencontré le succès
Pour conclure ce parcours, on peut également évoquer les petits portraits qui sont, en fait, prioritairement des
copies d’œuvres célèbres, l’intérêt pour le modèle représenté passant au second plan en quelque sorte. Cette
pratique, qui transforme d’emblée le petit portrait ainsi réalisé en œuvre de collection, a été en usage dans
toute l’Europe au XVIIIe puis au XIXe siècle. Elle a été fréquente en Angleterre, où les peintres en émail Henry
Bone et son fils Henry Pierce Bone ont réalisé avec succès de telles transpositions en émail. Le Portrait d’Anne
Russell, comtesse de Bedford (fig. 5), par Henry Pierce Bone en 1844, d’après une huile sur toile de Van Dyck,
datée de 1639, en est un exemple représentatif car les portraits de Van Dyck, qui ont joué un rôle essentiel dans
l’histoire de l’école anglaise de peinture en y révolutionnant le genre, y ont été très prisés. Henry Pierce Bone
adapte cependant la composition et, comme son père32, il transforme le portrait à mi-corps de Van Dyck, avec
les mains, en portrait en buste, suivant une pratique courante. Le musée Cognacq-Jay offre un autre exemple
d’œuvre de reproduction avec le Portrait d’Emily et Laura-Anne Calmady, d’après l’œuvre de sir Thomas
Lawrence exposée à la Royal Academy en 182433. Ernest Cognacq a acheté deux copies de ce portrait aussitôt
célèbre, une huile sur toile d’époque et une miniature sur ivoire de la deuxième moitié du XIXe siècle (fig. 20),
dont les couleurs, très vives et orangées, donnent à penser qu’elle pourrait être d’Annie Dixon34, peintre en
miniature à succès en Angleterre, auteur de nombreux portraits de l’aristocratie et de la Cour.
Fig. 20
32
Voir supra p. 7. 33
Cet original est aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York. 34
Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Miniatures, éd. citée, p. 239.
18
Pour aller plus loin, quelques références bibliographiques et ressources en ligne
Ont été choisies ici des références récentes.
Sur les collections de miniatures et d’émaux du musée Cognacq-Jay :
Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Miniatures, Paris, Paris-musées, 2002 (Les collections du musée Cognacq-Jay).
José de Los Llanos et Christiane Grégoire, Boîtes en or et objets de vertu, Paris, Paris-musées, 2011 (Les
collections du musée Cognacq-Jay).
Georges Brunel et Bernd Pappe, "La collection de miniatures du musée Cognacq-Jay", dans Coré, Conservation et
restauration du patrimoine culturel, n° 13, 2003, p. 44-50.
Aline Vidal, « Les trésors cachés du musée Cognacq-Jay. I, Une société en miniature », dans Plaisirs de France,
février 1976, n° 436, p. 33-39.
Sur le petit portrait en miniature et en émail :
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et du musée d'Orsay, Paris, Réunion des musées nationaux, 1994.
19
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Catalogue d’exposition :
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musée des Arts décoratifs, Genève, musée de l'Horlogerie, Paris, musée du Louvre, Paris, Réunion des musées
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France et d'Europe : les miniatures du Musée Condé à Chantilly, Domaine de Chantilly, musée Condé, Paris,
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Christophe Marcheteau de Quinçay, Bernd Pappe, Xavier Salmon, Marie-Gabrielle Capet (1761-1818), une
virtuose de la miniature, Caen, musée des Beaux-Arts, Gand, Snoeck, 2014.
20
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François Pupil, Cyril Lécosse,Tamara Préaud et al., Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), portraitiste de l'Europe,
Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, Nancy, musée des Beaux-Arts , Paris,
Réunion des musées nationaux, 2005.
Ressources en ligne :
- Site du Victorian and Albert Museum de Londres (en anglais)
Plusieurs ressources sont en ligne, textuelles et vidéos, sur l’histoire et les techniques de la miniature et de
l’émail :
http://www.vam.ac.uk/content/videos/p/painting-portrait-miniatures/ http://www.vam.ac.uk/content/articles/p/portrait-miniatures-on-vellum/
- Site de la fondation Tansey (en allemand) :
http://tansey-miniatures.com/miniaturmalerei/die-bildtrager/
- Exposition virtuelle « Portraits et figures » des Musées de la Région Centre
Parmi les portraits intimes, des miniatures sont présentées :
http://webmuseo.com/ws/musees-regioncentre/app/collection/expo/265
21
Légende des figures et crédits photographiques :
Visuel de couverture : De Saint-Ligié, Portrait de Wilhelmine de Prusse, Princesse d’Orange-Nassau, en
miniaturiste entourée de sa famille, 1784. Aquarelle et gouache sur ivoire © Philippe Joffre / Musée Cognacq-Jay
/ Roger-Viollet
Fig. 1 Attribué à Jean Petitot, Portrait de Louis XIV, vers 1690. Aquarelle et gouache sur vélin © Fr. Cochennec et
A. Llaurency / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 2 Jean-Antoine Laurent, Le Peintre et sa famille devant une maison de campagne, 1797-1798. Aquarelle et
gouache sur ivoire et carton © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 3 Jean-Baptiste Isabey, Portrait de Mme de Kercado, vers 1813. Aquarelle et gouache sur papier © Philippe
Ladet / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 4 De Saint-Ligié, Portrait de Wilhelmine de Prusse, Princesse d’Orange-Nassau, en miniaturiste entourée de
sa famille, 1784. Aquarelle et gouache sur ivoire © Philippe Joffre / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 5 Henry Pierce Bone, Portrait d’Anne Russell, comtesse de Bedford, d’après Van Dyck, 1844. Émail © Carole
Rabourdin / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 6 Henry Bone, Henry Philip Hope, d’après Guy Head, 1802. Émail © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 7 Jean-Baptiste Weyler, Portrait d’homme en habit mauve, dit Portrait présumé du comte d’Angiviller, vers
1770-1790. Émail, sur le couvercle d’un boîte ronde en écaille brune cerclée d’or ciselé © Carole Rabourdin /
Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 8 Jean-Baptiste Weyler, Portrait d’un fermier général, entre 1775 et 1783. Aquarelle et gouache sur ivoire
© Philippe Ladet / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 9 Nicolas Lavreince, La Consolation de l’absence, vers 1785-1790. Gouache sur vélin © Musée Cognacq-Jay /
Roger-Viollet
Fig. 10 Portrait de Marie-Antoinette, d’après François Dumont, en 1776-1777. Émail, sur le couvercle d’une
tabatière en or de l’orfèvre Joseph-Étienne Blerzy © Carole Rabourdin / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 11 et 12 Tabatière de l’orfèvre Paul-Nicolas Ménière, ornée de seize portraits en médaillons des membres
de la famille royale peints sur porcelaine à la manufacture de Sèvres (par les frères Pithou ?), 1776-1777.
Peinture sur porcelaine © Fr. Cochennec et A. Llaurency / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 13 Herer ?, Portrait présumé d’Amalia-Wilhelmine de Hasbourg tenant la miniature de son époux, le futur
empereur d’Allemagne Joseph Ier , vers 1699. Aquarelle et gouache sur ivoire © Philippe Joffre / Musée
Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 14 Dubois, peut-être Nicolas Dubois, Une mère jouant de la guitare devant des deux fils, 1787. Aquarelle et
gouache sur ivoire © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 15 Pierre-Adolphe Hall, Portrait de Lucie Hall, vers 1788. Aquarelle et gouache sur ivoire © Philippe Joffre /
Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 16 François-Antoine Romany, Portrait d’une jeune femme, vers 1785-1795. Aquarelle et gouache sur ivoire,
miniature cachée dans le double fond d’une boîte en bois ronde, dont le couvercle est garni de cheveux tissés
© Fr. Cochennec et A. Llaurency / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 17 École anglaise du XVIIIe siècle, Portrait de femme en buste de profil, vers 1800. Aquarelle et gouache sur
ivoire © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 18 Attribué à Abraham Daniel, Portrait d’homme inconnu, vers 1795. Aquarelle et gouache sur ivoire,
encadrement en cheveux © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 19 Jean-Baptiste Augustin, Portrait de Mlle Raucourt, en 1790. Aquarelle et gouache sur ivoire © Philippe
Joffre / Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet
Fig. 20 École anglaise du XIXe siècle (Annie Dixon ?), Portrait d’Emily et Laura-Anne Calmady, d’après Thomas
Lawrence, après 1850. Aquarelle et gouache sur ivoire © Musée Cognacq-Jay / Roger-Viollet