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Trabajo sobre la región occidental de México, Michoacan.

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Page 1: Pereira_2008-NDA-libre L’Archéologie de La Mésoamérique Septentrionale Vue Depuis Le Massif de Barajas (Guanajuato)

Les Nouvelles de l’archéologie n° 111-112 – Avril 2008 101

L’archéologie de la frontière nord de la Mésoamérique

Les spécificités écologiques et culturelles des limites septen-

trionales de l’aire mésoaméricaine offrent un cadre particulièrement favorable à l’étude des dynamiques sociales et des stratégies d’adapta-tion aux contraintes environne-mentales. Cette bande de terre de plus de 1 500 km de long d’est en ouest marque, en effet, la transi-tion entre les régions sub-humides du tiers sud du Mexique et les vastes étendues arides du nord (Fig. 1). Force est de constater, à la suite du travail fondateur de Paul Kirchhoff (1943), que cette limite n’a pas seulement été définie par de simples divergences culturelles qui auraient opposé des sociétés au bagage techno-économique comparable. Les différences dites « culturelles » sont, en effet ici, doublées d’un vertigineux fossé

sociologique et économique. En réalité, les sociétés mésoaméricaines du sud, agraires, sédentaires et hiérarchisées (souvent étatiques), s’opposent presque en tous points à leurs voisines du nord, constituées par des chasseurs-cueilleurs nomades et faiblement différenciés.

Si ces contrastes sont bien établis par la documentation du XVIe siècle, les recher-ches archéologiques menées depuis une quarantaine années dans les régions fronta-lières ont révélé des situations plus complexes que la stricte opposition énoncée et qui, en outre, ont varié au cours de l’histoire. L’étude détaillée des sources ethno-histori-ques et surtout la multiplication des études archéologiques régionales ont largement remis en cause l’image d’une frontière stricte et statique. Ces recherches ont d’abord révélé un large éventail de situations socioéconomiques et d’interactions entre les groupes qui se sont côtoyés le long de cette limite (Nalda 1996 ; Stresser-Péan 1977). Mais, les importantes fluctuations spatiales de cette frontière au cours les deux millénaires qui ont précédé l’arrivée des conquistadors attirent aussi l’attention. Les travaux pionniers d’Armillas (1964) dès les années 1960, puis ceux de Braniff (2001), esquissaient les grands lignes d’une histoire pour le moins atypique où succède à une phase de colonisation et d’expansion mésoaméricaine vers les territoires du nord, une période d’abandon et de reflux vers le sud. On estime à environ 90 000 km2 (Armillas 1964) les territoires abandonnés au cours de cette « dé-néolithisation » et repeuplés tardivement par les chasseurs-cueilleurs nomades connus sous le nom générique de Chichimèques (Rodriguez-Loubet 1985).

L’archéologie de la Mésoamérique septentrionale

vue depuis le massif de Barajas (Guanajuato)

Grégory Pereira*

* UMR 8096 du CNRS – Centre d’études

mexicaines et centraméricaines (CEMCA),

Mexico, [email protected].

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200 km

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La QuemadaEl Huistle

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limites nord de la Mésoamérique autour du VIIIe siècle

limites nord de la Mésoamériqueau début du XVIe siècle

Xochicalco

S. A. Carupo

carte: G. Pereira

BARAJAS

ZACATECAS

MICHOACÁN

TAMAULIPAS

GUANAJUATO

SAN LUIS POTOSí

JALISCO

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Fig. 1 – Localisation du Cerro Barajas dans le contexte de la Mésoamérique septentrionale.

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Pour le sommaire complet ou la commande du numérocliquez ici�: www.nda.msh-paris.fr

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Dossier D e s m e rs d e g l a c e à l a Te r re d e F e u

102 Les Nouvelles de l’archéologie n° 111-112 – Avril 2008

Si l’archéologie des marges septentrionales a suscité nette-ment moins d’intérêt que celle des prestigieuses cités du centre et du sud de la Mésoamérique, les travaux réalisés depuis Armillas ont toutefois permis de préciser la datation et les modalités de leur occupation et de souligner leur importance à une plus grande échelle. Zone de transfert de biens, de techni-ques et d’idées entre la Mésoamérique et le nord du continent américain (Carot 2001 ; Kelley 1966 ; Weigand 1977), cette zone a aussi fonctionné comme un notable foyer d’innovations. On y situe, en effet, l’origine de divers aspects de la culture maté-rielle, de l’organisation sociale et du système religieux post-classiques mésoaméricains (Braniff 1999 ; Hers 2001). Avec les migrations consécutives à l’abandon des contrées septen-trionales, certaines caractéristiques importantes des sociétés toltèque, aztèque et tarasque ont été introduites.

Les recherches françaises ont largement contribué au déve-loppement de l’archéologie des limites nord de la Mésoamérique. À partir des travaux menés dans les années 1960 par Guy Stresser-Péan dans le secteur nord-est (sud de l’État de Tamaulipas), plusieurs programmes se sont succédé, plus à l’ouest, en divers points de la frontière : l’État de San Luis Potosí (Michelet 1984 ; Rodriguez-Loubet 1985), puis, dans les années 1980, le Guanajuato (Taladoire et Rodriguez-Loubet 1979) et le nord du Michoacán (Michelet, Arnauld et Fauvet-Berthelot 1989 ; Faugère Kalfon 1996). Leur objectif était

d’établir les dynami-ques de peuplement et de dépeuple-ment, et de tenter de comprendre les rela-tions entre nomades e t s éden ta i r e s (Michelet 2001).

Le projet Barajas

Le projet Barajas s’inscrit pleinement dans les probléma-tiques présentées ci-dessus (Pereira, Migeon et Michelet 2001 ; Pereira et Migeon 2005). Co-dir igé, de 1998 à 2007, par Grégory Pereira, Gérald Migeon (ministère de la Culture et de la Communication)

et Dominique Michelet (UMR 8096 du CNRS), ce programme a été réalisé avec l’appui financier du ministère des Affaires étrangères et de l’UMR 8096 du CNRS ainsi que le soutien logis-tique et institutionnel du Centre français d’études mexicaines et centre-américaines (CEMCA) et de l’Instituto Nacional de Antropología e Historia du Mexique (INAH).

Cette recherche s’appuie sur les résultats des programmes menés précédemment dans le Michoacán et le Guanajuato. Le Barajas est situé à l’extrême sud de l’État du Guanajuato, à mi-chemin des deux régions : il s’agit d’un massif volcanique situé sur la rive nord du fleuve Lerma1 qui marquait, au XVIe siècle, la limite entre les populations sédentaires alors soumises au royaume des Tarasques et les nomades chichimèques.

Si les vestiges fugaces attribuables aux chasseurs-cueilleurs tardifs ont été ponctuellement détectés dans quelques localités du massif, la majorité des établissements repérés correspondent, en fait, à une occupation sédentaire antérieure. Ses caractéristiques nous ont conduits à nous intéresser aux sites du Barajas. Ils avaient été signalés, dès de début des années 1980, par des collègues mexicains (Zepeda 1988 ; Sánchez Correa 1993) qui, sur la base des informa-tions alors disponibles, avaient interprété Nogales, le site le

1. La vallée moyenne du Lerma

et les portions voisines de celles de ses principaux affluents

sont connues sous le nom de Bajío.

Fig. 2 – Carte archéologique générale du massif de Barajas.

Yácata

El Angel

Lomillo Largo

La Nopalera

Los TorilesEl Encino

023

Los Alacranes

La Charca

Cerro Barajas

Cerro Moreno

La Ordeña

La Peñita

El Puerto

Rancho NuevoEl Tlacuache

El Guayabo

San José deMaravillas

Leyva

La Atarjea

La Calle

Potreros

Lomita

Río

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N 0 1 2 km

2000 1900

1800

1700

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La Perra

Los Nogales

MICHOACÁN

GUANAJUATO

Casas Tapadas

Camposanto

El Moro

Los Cuates

Zambrano

Charco de

la Tortuga

Las Majadas

Los Picachos

La Campana

La Lagunita

Potreros

carte: G. Pereira

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Grégory Pereira | L'archéologie de la Mésoamérique septentrionale

Les Nouvelles de l’archéologie n° 111-112 – Avril 2008 103

plus important du massif, comme une place forte construite par les Tarasques pour protéger la frontière nord de leur royaume. Les recherches menées par la suite dans le nord du Michoacán (Faugère-Kalfon 1996) infirmaient cette hypothèse et suggéraient, sur la base de comparaisons avec San Antonio Carupo, une occupation plus ancienne d’au moins cinq siècles. Signalons, enfin, que l’architecture du Barajas semblait très atypique dans le contexte régional et montrait des affinités avec les cultures sédentaires connues plus au nord.

Les sites du Barajas étaient donc susceptibles d’informer sur l’occupation sédentaire d’un secteur assez septentrional et sur les bouleversements survenus à la fin du premier millé-naire dans cette zone qui allait devenir la frontière entre la Mésoamérique et le Nord au Postclassique. Sur cette hypothèse de départ, nous nous étions assigné trois objectifs principaux :

– définir et dater les grandes étapes de l’occupation sédentaire du massif ;

– caractériser l’organisation sociale, économique, poli-tique et religieuse des habitants ;

– éclairer les raisons qui ont conduit à l’abandon des lieux quelques siècles avant l’arrivée des Espagnols.

La dynamique du peuplement

Pour ce faire, il était indispensable d’obtenir des datations fiables (inexistantes jusqu’alors) ainsi qu’une carte archéologique précise du massif (Fig. 2).

La prospection pédestre des versants a permis d’enregistrer une quinzaine de sites, pour la plupart groupés le long du flanc nord. Là, se succèdent, sur une série d’interfluves séparés par des ravins, plusieurs ensembles qui combi-nent des constructions monumentales en pierres sèches, de très nombreuses terrasses d’habitat et des aménagements agricoles.

La réalisation de fouilles extensives et de sondages stratigraphiques dans la plupart des sites a aussi permis l’élaboration d’une séquence chrono-céramique calée par plus de vingt dates radiocarbone (Migeon et Pereira 2007). Ainsi, l’occupation du massif débute pendant la première moitié du Ve siècle de notre ère, soit assez tardivement si l’on considère que le début du peuplement sédentaire de la vallée moyenne du Lerma, attribué à la culture Chupícuaro, se situe autour de 500 av. J.-C. (voir l’article de V. Darras et B. Faugère ici même : 76-83). Sur le massif, l’occupation, d’abord modeste, se déve-loppe rapidement à partir du VIIe siècle. Entre le VIIIe et le Xe siècle, le versant nord se couvre d’un tissu quasi continu de structures en pierres

sèches tandis que, dans le reste du massif, se développe un semis de petites unités domestiques isolées. Ce saut quantitatif remarquable nous a conduits à proposer, qu’à l’accroissement naturel de la population primitive, aient pu s’ajouter des afflux extérieurs (Pereira, Migeon et Michelet 2001, 2005). Bien que difficilement quantifiables, ils font écho à une réorganisation de l’habitat observable à l’échelle régionale. Des phénomènes semblables sont d’ailleurs connus dans la plupart des régions septentrionales, où ils précèdent l’abandon final de la zone. À Barajas, l’occupation sédentaire semble s’achever abrupte-ment autour du Xe siècle.

L’organisation sociale et l’idéologie

La bonne conservation et la lisibilité des vestiges de surface ont fourni des données précises sur l’organisation et l’architecture des sites. Elles sont enrichies par la réalisation de fouilles extensives d’une gamme variée de structures : habitats simples et complexes (fig. 3), structures monumen-tales à vocation civico-cérémonielle, aménagements liés au stockage, ensembles funéraires. De cet important corpus en

Fig. 3 – Fouille extensive d’une unité d’habitation du massif de Barajas.

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cours d’analyse nous n’évoquerons que certains aspects qui éclairent la place des sites étudiés dans le contexte de la Mésoamérique septentrionale.

Concernant l’organisation globale du massif, la présence d’éléments récurrents atteste d’une cohérence certaine des établissements étudiés. On notera d’abord la répétition, d’un bout à l’autre du massif, de modules architecturaux semblables qui évoquent une organisation socioéconomique et idéologique commune.

Dans le cas des ensembles monumentaux, deux types de complexes co-existent : le premier est un sanctuaire aux caractéristiques pan-mésoaméricaines (complexe temple-pyramide / place / autel) ; le second associe un bâtiment pluri-

cellulaire à un édifice de plan carré ou rectangulaire, où un péristyle intérieur délimite un patio central généralement surbaissé. Un exemple de ce dernier type de complexe a été fouillé de façon extensive par G. Migeon, D. Michelet et G. Pereira sur le site de Yácata el Angel. Cette opération a suggéré que le bâtiment pluricellulaire avait des fonc-tions résidentielles et/ou administratives tandis que le hall à atrium attenant faisait office de lieu d’assemblée et était aussi employé à des fins funéraires. L’omniprésence, sur le massif, de ce type de bâtiment à vocation communautaire constitue un bon indice d’une organisation politique impliquant une participation assez large de la société : pour exemple, l’en-semble monumental le plus important de la zone (le groupe C

relevé topographique : D. Michelet; infographie : G. Pereira

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grand hall à atriumpetit hall à atrium

bâtiments pluricellulaires

Fig. 4 – Plan général du groupe C de Nogales.

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de Nogales) ne compte pas moins de deux grands halls de 1 310 et 408 m2 chacun (fig. 4).

Ces structures s’apparentent directement aux salles à colonnades connues dans deux autres régions : dans les sites contemporains de la région de Zacatecas, à quelque 250 km au nord-ouest de Barajas (Hers 1995, 2001), ainsi que dans les métropoles toltèques plus tardives de Tula ou Chichén Itzá. Si la filiation entre les modèles nord-occidentaux et toltèques a déjà été proposée, la mise en évidence de l’important corpus du Barajas et sa situation sur le chemin entre Zacatecas et le bassin de Mexico amènent à reconsidérer les modalités de diffusion de ces bâtiments et de l’organisation sociopolitique à laquelle ils se rattachent.

La grande standardisation des pratiques sépulcrales évoque également une idéologie commune. Les données issues de quatre sites distincts révèlent un schéma identique pour le traitement du cadavre (inhumation en fosse simple), sa posi-tion (décubitus dorsal étendu) et son orientation (est-ouest).

Malgré tout, les différences perceptibles dans le mobilier funéraire et surtout dans le domaine de l’architecture monu-mentale et domestique sont les signes d’inégalités certaines entre les habitants du massif. Si l’on retrouve d’un site à l’autre les mêmes composantes, les dimensions et la complexité des structures varient considérablement. À cet égard, Nogales occupait manifestement une position prépondérante, faisant peut-être office de centre politique, religieux et administratif local. C’est dans la partie haute du site que se concentrent les ensembles monumentaux les plus remarquables du massif.

L’organisation économique et les échanges

L’étude paléobotanique réalisée par Natalia Martínez (University of Arizona) montre que l’alimentation des habi-tants du Barajas était principalement fondée sur le maïs même si d’autres plantes cultivées comme l’amarante semblent avoir joué un rôle important. Les parcelles agricoles étaient étroite-ment associées aux habitats concentrés sur les affleurements rocheux, réduisant ainsi l’emprise sur les terres arables. Des systèmes de terrasses permettaient, par ailleurs, de limiter les effets de l’érosion sur des versants.

Les structures souterraines de stockage sont un autre indice remarquable de l’organisation économique du massif. L’étude systématique réalisée par Séverine Bortot (2007) a mis en lumière un aspect original de l’archéologie du massif. Pas moins de 75 équipements liés au stockage ont été repérés dont 28 ont été fouillés. Cette étude révèle que les habitants du massif ont élaboré un système de conservation des produits agricoles tout à fait original, constitué de caissons de pierre munis de dalles de couverture. L’organisation de ces structures montre que le stockage pouvait être organisé aux niveaux domestique et communautaire.

Pour tenter de comprendre l’insertion des sites du Barajas dans les réseaux d’échange régionaux, diverses études ont été développées à partir du matériel lithique et céramique.

L’outillage en pierre était surtout composé d’obsidienne. Cette matière première n’était pas disponible aux abords immédiats des sites, mais on en connaît trois gisements dans

un rayon de 20 à 30 km. Les analyses de provenance (Bernard Gratuze, UMR 5060) couplées à l’étude technologique (Chloé Andrieu, Paris-X) montrent que les habitants employaient principalement l’obsidienne verte du gisement de Pénjamo. La très faible représentation de celle des deux autres gîtes les plus proches (Zináparo et Abasolo) suggère que l’accès à l’obsidienne était fortement contrôlé. En fait, les rares produits issus d’autres gisements sont des produits manufacturés (lames ou produits bifaciaux) qui circulaient dans un réseau régional plus vaste.

Le matériel céramique collecté sur le massif permet également d’appréhender les réseaux d’échange et les affi-nités stylistiques. La grande variété de poterie à décor incisé constitue une piste de recherche importante, objet de la thèse de Chloé Pomédio (Paris-I). Son étude détaillée a distingué pas moins de 246 thèmes décoratifs dont l’exécution fait appel à sept techniques d’incision et de gravure distinctes. Par le croisement des différents paramètres, la production locale a été définie et les pièces importées identifiées. Leur origine a été établie grâce à l’étude de collections issues des régions alentour. Signalons enfin qu’une étude en cours des inclusions dans les pâtes céramiques, menée par Juan Jorge Morales (Universidad de las Américas), devrait identifier les différents centres de production du reste du corpus.

Un abandon qui reste à expliquer

Si les habitants du massif de Barajas ont pu y vivre pendant trois siècles avec des structures sociales et économiques efficaces, comment expliquer l’abandon du secteur à la fin du Ier millénaire ? Doit-on, comme c’est souvent le cas en de telles circonstances, invoquer quelque calamité comme la guerre, la sècheresse ou des conflits internes ? La question est loin d’être résolue, même si les données archéologiques permettent de préciser certaines conditions de cet abandon. Par exemple, les accès de nombreux bâtiments avaient été soigneusement murés lors du départ de leurs occupants (Pereira, Migeon et Michelet 2001 ; Migeon 2003), suggérant un départ organisé. Bien qu'il ne semble pas dû à une attaque extérieure brutale, d’autres indices témoignent d’une insta-bilité politique à l’échelle régionale. La plupart des grands ensembles monumentaux étaient fermés par des murs qui en limitaient l’accès et qui, dans certains cas, s’apparentent à des barricades. Mais l’exemple le plus significatif concerne le site de Los Toriles dont le caractère défensif ne fait aucun doute : cet éperon naturel situé en amont de Nogales, protégé par des ravins sur trois côtés, a été barré au sud par une imposante muraille de près de 600 m de long.

Si l’existence de conditions d’insécurité n’est donc pas à exclure, l’abandon du Barajas est à replacer dans le cadre général des fluctuations de la limite nord de la Mésoamérique. En effet, ce phénomène s’inscrit dans une dynamique globale qui affecte une grande partie des marges septentrionales entre 900 et 1000 apr. J.-C. On a supposé à une époque qu’un renversement de cycle climatique avec une augmentation durable de l’aridité avait précipité ce changement. Cette hypothèse formulée pour la première fois par Armillas (1964)

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se fondait sur les données paléoclimatiques globales dispo-nibles à l’époque, et il l’avait aussi évoquée pour le XIIIe siècle. Les recherches paléo-environnementales réalisées depuis dans plusieurs régions de Mésoamérique septentrionale ne l’ont pas confirmée (Brown 1984 ; Elliott 2007). Les données disponibles montrent, au contraire, une stabilité globale des conditions d’aridité pour les périodes envisagées. Une autre hypothèse d’origine climatique, impliquant des périodes de sécheresses courtes mais répétées est, aujourd’hui, mise en avant (Michelet 2006). Toutefois, elle reste à confirmer, et il faut espérer que la multiplication d’études paléo-écologiques dans cette vaste région permettra de mieux comprendre l’inter-action entre les sociétés humaines et le milieu naturel. Là, se trouve une clé importante pour connaître l’histoire mouve-mentée de cette région.

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