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No 2 avril 2007 Architecture Angles et perspectives

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Se mettre à l’écoute des besoins des personnes handicapées avant de construire des espaces pour elles… Extrait d’une lettre ouverte aux architectes : « Pour revenir à l’école spécialisée que vous allez construire, il faut penser aux fenêtres: elles doivent être grandes et faciles à ouvrir - pas tellement pour regarder le temps qu’il fait (pas très rassurant actuellement:Rafales, Perturbations, Tonnerres, ou RPT, comme disent les météorologues des affaires sociales...) - mais pour laisser entrer l’air du temps, cet air qui est plein de promesses pour des enfants comme moi. »

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No 2 avril 2007

ArchitectureAngles et perspectives

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Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédago-gie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Conseil de FondationPrésident : Charles-Edouard Bagnoud

Rédactrice et directrice de revueSecrétariat, réception des annonces et abonnementsMarie-Paule ZuffereyAvenue Général-Guisan 19CH - 3960 SierreTél. +41 (0)79 342 32 38Fax +41 (0)27 456 37 75E-mail: [email protected]

Comité de rédactionMembres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Jean-Daniel Vautravers, Olivier Salamin, Valérie Schauder, Eliane Jubin Marquis, Laurie Josserand, Marie-Paule ZuffereyResponsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud

Parution: 5 numéros par anMi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

Tirage minimal: 800 exemplaires

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GraphismeClaude Darbellay, www.saprim.ch

Mise en pageMarie-Paule Zufferey

ImpressionEspace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

Crédits photographiques et illustrationsRobert Hofer, Fotolia, Musée du Quai Branly, O. Salamin, Eliane Jubin Marquis, Marie-Claude Baillif, Richard Barzé, Marius Gay, Fondation Renée Delafontaine, Christophe Münster

Photos de couverture: Robert Hofer

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction.La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

©Pages romandes

Sommaire

Dossier: Architecture Angles et perspectives

2 Tribune libre: Architecture, immobili-sation générale et/ou émancipation? Jacques Kühni

3 Editorial Marie-Paule Zufferey

4 Lettre aux architectes Gisela Chatelanat

5 Participation, exclusion sociale et autonomie Philippe Rebetez

7 Architecture et accessibilité, un contexte global

Anne-Michèle Stupf, Laurie Josserand

9 De l’état d’esprit à l’esprit des lieux Entretien avec Richard Barzé

12 D’un espace à l’autre, l’aventure de la Violette

Suivi d’un travail d’équipe Marianne Loup

14 Les passerelles du Paléo Laurie Josserand, Nicolas Chevallier

16 Construire autour d’un concept institutionnel

Centre la Meunière à Collombey Olivier Salamin

18 Intégration à la vie de la cité Un EMS dans un stade de football Eliane Jubin Marquis

19 Moyen de transport: fauteuil roulant Témoignage de Marius Gay

Line Lachat

20 Concept de construction pour tous Cyrus Mechkat, Bill Bouldin

22 Une autre approche de la mise en espace Entretien avec Christophe Münster

24 Bon à savoir: des structures d’aide à la construction adaptée Michel Bellego, Kurt Mäder

25 La 5e révision AI: un enjeu de société Stéphane Rossini

26 En bref

27 Sélection Loïc Diacon

28 Séminaires, colloques et formations

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Tribune libre

L’architecture c’est à peu près tout ce qui concerne l’environ-nement construit par des hu-mains. Construire c’est d’abord mettre à l’abri, parfois c’est en-censer le pouvoir ou magnifier l’histoire. Il arrive aussi aux ar-chitectes de bâtir ,pour leur pro-pre gloire, des églises, des mu-sées ou des temples somptueux pour les multinationales. Les effets de gloire passent ainsi de l’artiste machin à la société bidu-le, fastueusement domiciliée dans un monument lucratif. Dans «Le crépuscule des idoles», Nietzsche écrit que l’architecture est une sorte d’oratoire de la puissance au moyen de formes. Cette considé-ration traverse les siècles.

Mais l’architecture sert aussi à contraindre les corps et à confor-mer les esprits. Prenons l’exemple des écoles, souvent construites entre l’église et la mairie, elles affichent leur volonté d’éduquer tout en démontrant leur obses-sion de contenir. Au début du 19e siècle, en France, fait rage un combat idéologique entre les partisans de l’école mutuelle et les inconditionnels de la tradition congréganiste. Le Conseil géné-ral du Calvados prend position: «Si le mode d’enseignement suivi par les Frères des écoles chrétien-nes est moins accéléré dans son

but… il offre des avantages pour le rapport de l’éducation morale qu’aucun autre ne peut rempla-cer. Il se rend maître en quelque sorte de l’emploi du temps des enfants… depuis leur berceau jusqu’à l’adolescence, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils puissent entrer utilement dans la société, avec les connaissances convenables à leur condition et avec les habi-tudes de l’ordre, de la docilité, de l’application, du travail et de la pratique des devoirs sociaux et religieux.» Voilà pour le contrôle idéologique du temps. Passons aux détails architecturaux, pour le contrôle idéologique de l’espace: «Le maître est placé sur une es-trade élevée de soixante à quatre-vingts centimètres, de manière à pouvoir surveiller toute la classe et saisir d’un coup d’œil tous les élèves à la fois»; ou encore dans les Recommandations sur les plans d’école (1873): «La construction doit avoir un aspect en rapport avec sa destination. On doit s’at-tacher à lui donner une physio-nomie austère et sévère. Façades nues, point de corniches, des sur-faces planes.» Il faudrait encore parler des palissades qui devaient séparer les garçons des filles dans la classe (1,50 m de hauteur), de la forme de la salle qui devait être impérativement rectangulaire, de la surface accordée à chaque élève (1,25 m2), de tous ces délires mé-triques pour contenir ces corps d’enfants, de cette permanence du regard de l’autorité sur les subalter-nes. Si l’école d’antan prévoyait des fentes dans les murs pour permettre au maître de surveiller le chemin des latrines, l’école d’aujourd’hui ins-talle des caméras pour préserver la virginité de ses murs. Autres temps, autres technologies; mais toujours le même souci.

La Chalotais dans son Essai d’édu-cation nationale écrivait en 1763 «Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que leurs occupations». Le paradoxe de l’éducation est là, éduquer oui, mais pas trop, pour que les cho-ses restent en l’état; éduquer pour produire plus et penser moins. Cette volonté politique s’inscrit dans les murs des institutions.Y installer un plan d’eau ou des plantes vertes n’y change pas grand-chose, le problème à empoigner reste le même: pour quel devenir construisons-nous? Sommes-nous capables de le penser et de l’élaborer collective-ment?L’école de ce temps-là préparait évidemment à l’usine, les ressem-blances et les interdépendances de ces deux mondes sont criantes. Taylor (1912) avec son «orga-nisation scientifique du travail» craignait deux choses chez les ouvriers: leur capacité de freinage de la production et leur goût pour la flânerie. Les contremaîtres avec leurs chronomètres dépossédèrent les ouvriers de leur pouvoir sur le temps et la division et la parcelli-sation du travail eurent raison de l’espace qu’ils s’étaient approprié pour des rencontres possibles. L’école et l’usine par leur toute- puissance sur l’espace et le temps, ajoutée à l’épuisement des corps, tentèrent très opiniâtrement de contenir les revendications sociales.Les murs des institutions signi-fient le pouvoir sur les faibles, dé-signent les puissants et travaillent sans relâche au maintien de leurs privilèges. Et pourtant la connais-sance est émancipatoire et il arrive que les bâtiments trahissent leurs affectations avec bonheur.

Architecture, immobilisation générale et/ou émancipation?Jacques Kühni, formateur d’adultes, Morgins

©Fo

tolia

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L’architecture est une sorte d’écriture géante et instructive qui traverse les âges. Elle nous donne à voir et à comprendre, depuis les origines, l’organisation et le fonctionnement de l’humanité. Ou de l’inhumanité. Car les histoi-res que racontent les murs de nos construits urbanistiques au cours des siècles sont surtout, hélas, des histoires d’exclusion. Des palais ancestraux aux arrogants buildings modernes; des petites maisons de maîtres aux grands ensembles contemporains; des quartiers péri-phériques aux banlieues et autres bidonvilles, chaque époque a inscrit en dur, à sa façon, dans l’espace et le temps, ses propres symboles de richesse, de moyenneté citoyenne, de misère ou de marginalité.Autrefois, les institutions pour per-sonnes handicapées étaient souvent construites hors-les-murs de la ville. Or, ironie de l’histoire, avec l’extension des zones urbaines, cer-taines d’entre elles se retrouvent aujourd’hui au cœur même de véritables quartiers résidentiels. Parallèlement, le discours officiel a lui aussi évolué vers l’intégration.1 Mais la propension est têtue, qui pousse l’être humain à cloisonner les différences; et les dispositions législatives les mieux intentionnées ont de la peine à se traduire en dis-positifs concrets dans les projets de certains architectes. D’autres en revanche ont compris que les barriè-res de type architectural ne sont pas les plus difficiles à abattre. L’igno-rance, la peur, l’incompréhension ou le rejet sont des obstacles bien plus redoutables que quelques mar-ches d’escalier, sur le chemin de l’in-tégration. Cherchant des solutions

en amont, ceux-là ont alors élaboré des concepts qui invitent les gens, valides ou en situation de handicap, à vivre ensemble dans des complexes dont les logements ont été aménagés pour les besoins de tous. Ce dossier rappelle les exigences de base en matière de construction adaptée. Il relaie aussi quelques sou-haits et autres rêves, mais surtout, il dégage une perspective réjouissante: l’émergence, chez certains concep-teurs, d’une posture constructive faite d’écoute et d’échanges. Cela dit, j’ai aussi rencontré des archi-tectes, auteurs de projets parfai-tement réglementaires, mais qui ne voyaient pas de quoi il aurait fallu tenir compte, dans leur création, s’agissant du handicap mental. Cette catégorie de professionnels en est encore à produire ce qu’on pour-rait appeler, à l’instar de Maurice Born, une architecture de planche à dessin2: structures irréprochables en termes d’alignement ou de respect des normes, fonctionnelles jusqu’à l’obsession, mais froides et aseptisées. Tout, sauf des lieux de vie…La conception et l’aménagement des espaces sont des actes dont la gravité n’est plus à prouver. Les conséquen-ces de certains choix induisent des comportements, déterminent le bien ou le mal-vivre et s’inscrivent longuement dans le temps. Toutes bonnes raisons qui devraient déci-dément inciter tous les metteurs en espace du monde à se mettre en état d’écoute…

1La presse de ce matin annonce pourtant qu’en Suisse, 70% des bâtiments publics ne sont pas encore adaptés pour les personnes en situation de handicap... (NF, 26.03.07)

2Maurice Born, Périphéries, Ed. d’en Bas, 2006

Edito

De l’écoute avant toute chose...Marie-Paule Zufferey, rédactrice

La Maison des gens handicapés

Elle pourrait être comme ça, Une drôle de maisonPeut-être pas pour de vraiDans cette maison, il faudrait:De bons coins où passer de bons momentsDes recoins où se coincerDes couloirs où se coulerDes trottoirs où trotterDes isoloirs où s’isolerDes réfectoires où se restaurerDes perfectionnoires où se perfectionnerDes parloirs où se faire raconter des histoiresEt du matin jusqu’au soirPlus que des efforts ou des moments rasoirsPlus que des plans savants dessinés sur des écritoiresDans cette maisonOn s’arrangerait pour toujours avoirDu matin jusqu’au soirDes chansonsDes fleursEtDe l’espoir...

Le Savant, le Poète et l’Enfant, Xavier Bied-Charreton, Gerse 1994

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Lettre ouverte aux architectesGisela Chatelanat, professeur, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève

Mesdames et Messieurs les architectes,

Tout d’abord j’aimerais vous dire merci! Je trouve génial que vous construisiez des appartements et des institutions pour les personnes handicapées en vous préoccupant de leur qualité de vie et de leurs besoins! Je sais de quoi je parle, car je suis moi-même une enfant avec «des besoins spéciaux», et ça me réconforte de savoir qu’on en tient compte pour me rendre la vie plus facile et plus agréable. C’est vrai que les gens ne savent pas toujours à quel point les limitations de capacités diverses et variées nous compliquent la vie de tous les jours. J’ai aussi appris que vous avez le projet de construire une école pour nous. Même si je ne connais rien au métier d’architecte, je connais un peu le métier d’élève, alors je me suis dit que mon avis pourrait vous intéresser. Mon école, je l’imagine lumineuse, aux cou-leurs gaies et chaudes, avec des espaces pour circuler aisément, se repérer facilement, mais aussi avec des coins pour être tranquille, pour se reposer ou faire quelque chose à deux, à trois ou tout seul. Il doit y avoir des endroits pour des activités différentes: travail scolaire, mais aussi peinture, musique, ordinateur, cuisine… Je voudrais aussi des espaces pour courir, comme une salle de gym et un beau terrain de jeu. Vous me direz que ce n’est pas très original: tous les enfants voudraient une école comme ça! Et justement, j’ai une petite idée dans la tête à ce propos dont je vous parlerai dans un moment.

Pour revenir à l’école spécialisée que vous allez construire, il faut penser aux fenêtres: elles doivent être grandes et faciles à ouvrir - pas tellement pour regarder le temps qu’il fait (pas très rassurant actuellement: Rafales, Perturbations, Tonnerres, ou RPT, comme disent les météorologues des affaires sociales...) - mais pour laisser en-trer l’air du temps, cet air qui est plein de promesses pour des enfants comme moi. Déjà, il nous désigne comme «enfants en situation de handicap» et non plus comme «les handicapés». Et je peux vous dire que c’est sacrément rassurant de penser que c’est la situation qui a un problème et qui doit s’améliorer et s’adapter à moi et que ce n’est pas seulement à moi de faire l’ef-fort de m’améliorer et de m’adapter! Je me sens toute légère à l’idée que je partage ce souci avec d’autres! Ce même air du temps a fait dire que «les personnes ayant des be-soins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer dans un système pédagogique centré sur l’enfant, capable de répondre à ces besoins spéciaux». C’était en 1994 à Salamanque - déjà le nom de cette ville me fait rêver, pas vous? Ils ont aussi dit et signé («ils», cela veut dire 92 gouvernements et l’ONU et l’UNESCO, pas mal, non?) que nous, les élèves en situation de handicap, on avait un rôle important à jouer: «Les écoles ordinaires ayant cette orientation intégra-trice constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant une société intégratrice et en atteignant l’objectif de l’éducation pour tous». Vous pouvez comprendre que cet air du temps me plaît beaucoup, au point que j’aimerais qu’il puisse se répandre dans l’école que vous construisez pour nous jus-qu’à ce qu’elle devienne peut-être un jour une école pour tous les enfants. Ma maî-tresse et mon éducatrice préférée seraient toujours là pour m’aider et je parie qu’elles auront aussi des bonnes idées à partager avec tous les enseignants de l’école quand il s’agit d’autres enfants qui peuvent avoir parfois de la peine à comprendre un truc ou

qui ne se comportent pas comme il faut. Et ma logopédiste sait aussi aider les enfants qui confondent parfois les b et les d, ou qui ont un zveu zur la langue, ce qui fait rire tout le monde sauf eux!Depuis 1994, l’école «intégratrice» est deve-nue, dans les déclarations officielles, l’école «inclusive» pour souligner notre droit d’ap-partenance à tous les lieux de la commu-nauté proposés aux enfants du même grou-pe d’âge. Mais il y a toujours une bonne raison («c’est pour ton bien!») pour que ce droit ne s’applique pas à moi. Je sais bien que j’ai besoin de plus d’aide et de plus de protection que d’autres pour apprendre et pour me débrouiller. Mais pourquoi tout doit toujours être tellement spécial quand il s’agit de nous (que des lieux spéciaux, que des camarades spéciaux, que des adul-tes avec des formations spéciales…)? Est-ce que, par exemple, les autres enfants de mon âge ne peuvent pas aussi nous aider et nous protéger quand il y a besoin? Parfois je rêve que je suis sur une auto-route où je vois en face les personnes qui vont dans l’autre sens, vers d’autres destina-tions. Je les croise par hasard sur une aire de repos ou au moment d’une bifurcation. On se fait parfois des signes de la main, mais chacun part dans sa direction sans s’arrêter et faire vraiment connaissance. Cela m’an-goisse de penser que toute ma vie, je serai à contre-courant parce que nous, les enfants d’une même génération, nous n’avons pas pu grandir ensemble, apprendre les uns des autres, apprendre à se connaître et à se comprendre. Excusez-moi, je ne voulais pas vous parler de mes cauchemars. Je voulais vous féliciter de construire cette école adaptée à nos be-soins et vous proposer de la rendre adaptée aux besoins de tous les enfants. Et n’hésitez pas à nous solliciter si vous avez des ques-tions sur l’une ou l’autre des adaptations qu’il faudrait faire dans l’aménagement de cette école pour tous: on a plein de bonnes idées!Avec mes salutations reconnaissantes et cordiales.

Une élève avec des besoins spéciaux

Pour adresser son message aux architectes, Gisela Chatelanat a prêté sa plumeà une élève avec des besoins spéciaux, partant du principe que si cette dernièrene connaît pas le métier d’architecte, elle en connaît un bout sur celui d’élève vivant avec des limitations. Plaidoyerpour une stratégie de l’écoute et de l’échange...

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La construction adaptée pose un certain nombre de problèmes techniques et architecturaux mais elle demande également et peut-être prioritairement une réflexion et des choix sur le développement de notre société.

Participation ou exclusion?L’aménagement d’une gare, d’un cinéma, d’une bibliothèque, d’une salle de spectacles, d’un cabi-net médical ou dentaire, d’un café ou d’une école peut être un facteur de participation ou d’exclu-sion sociale.Les personnes confrontées à des déficiences physiques, sensorielles, mentales ou psychiques sont, selon l’environnement dans lequel elles évo-luent, en situation de handicap ou au contraire de participation sociale. C’est l’interaction de facteurs personnels (par exemple une déficience au niveau de la mobilité ou de la vue) et de facteurs environne-mentaux qui produit un résultat au niveau du degré de participation sociale. Autrement dit, si une personne dépendante d’un fauteuil rou-lant souhaite se rendre dans une bibliothèque inaccessible, elle sera en situation de handicap. Si la bibliothèque est ouverte à tous, elle ne sera pas en situation de handicap, malgré sa déficience. On pourrait également citer le cas de la personne malentendante qui pourra assister à une confé-rence qui l’intéresse si la salle est équipée d’une boucle magnétique et qui y renoncera si ce n’est pas le cas. Il ne s’agit pas de sous-estimer l’importance de la maladie ou de la déficience mais bien d’insister sur le fait que l’environnement social, économi-que, culturel et urbain est déterminant. Cette approche n’est pas nouvelle puisqu’en 1982, les Nations-Unies édictaient un document qui stipulait que «le handicap est fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels et sociaux qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside alors dans la perte ou la limi-tation des possibilités de participer, sur un pied d’égalité avec les autres individus à la vie de la communauté». Selon Julia Kristeva, cette définition «abolit le modèle binaire qui dressait face à face l’individu

déficient et la société réparatrice. Elle lui subs-titue d’emblée une compréhension extensive des personnes handicapées, dont la déficience est désormais située au carrefour d’un déficit neuro-physiologique et de critères matériels, culturels et sociaux. Le handicap est défini aujourd’hui non pas à partir de la seule déficience en soi, mais à partir du décodage ou de l’interprétation par la société, des différents obstacles à la vie commu-nautaire qui s’ensuivent».1

Or, qu’en est-il dans le domaine de la construc-tion adaptée? En Suisse, selon une étude récente publiée par le Fonds national de la recherche2, sept bâtiments publics sur dix ne sont pas praticables en fau-teuil roulant! Et on ne parle que de personnes à mobilité réduite et non de personnes aveugles ou malvoyantes, sourdes ou malentendantes. Cette réalité représente un obstacle considérable que doivent surmonter chaque jour des milliers de nos concitoyennes et concitoyens.Peut-être faudrait-il plus souvent avoir à l’esprit cette réflexion d’Alain Clémence qui écrit: «On a la fâcheuse tendance à négliger l’environne-ment social lorsqu’on juge les autres et les causes de leurs problèmes. Et à l’inverse, on est porté à croire que ses propres difficultés ou celles de ses proches résultent de la malchance, de l’injustice ou de circonstances défavorables».3

Vieillissement Aborder la question de la construction adap-tée, c’est inclure dans la réflexion la question du vieillissement de la population. En 2005, la Suisse comptait 7,4 millions d’habitants. En 2050, ce chiffre passera à 8,2 millions. Pen-dant cette période de 45 ans, la population âgée de 65 ans et plus augmentera de 90%.4

1KRISTEVA, Julia, Lettre au président de la République sur les ci-toyens en situation de handicap, à l’usage de ceux qui le sont et de ceux qui ne le sont pas. Paris, Fayard, 2003, p.272Construction adaptée aux handicapés - Pro-cessus de planification et problèmes de réalisa-tion, partie A «Faisabilité technique et financière», projet 45 du Fonds National «Problèmes de l’Etat social». Zürich, 2004.3CLEMENCE, Alain, Solidtés sociales en Suisse. Lausanne, Ed. Réalités sociales, 1994, p. 1334Office fédéral de la statistique

Participation, exclusion sociale et autonomieImportance de la construction adaptéePhilippe Rebetez, assistant social et responsable du Service de construction adaptée à Pro Infirmis Jura

Permettre aux personnesen situation de handicap de participer à la vie sociale et de vivre d’une manière autonome implique de ne pas renvoyer à la seule personne les causes de ses difficultés.Dans cet article, Philippe Rebeteznous livre quelques éléments de réflexionconcernant la construction adaptée.

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C’est donc aujourd’hui que nous devons intégrer ces perspectives dans les réflexions sur l’architecture et l’urbanisme .Il ne s’agit pas simplement de construire pour les per-sonnes handicapées comme on l’entend encore trop souvent, mais d’avoir une vision universelle; donc de construire pour toutes et tous.

Ça coûte trop cher!L’argument financier est souvent invoqué pour cou-per court aux revendications dans le domaine de la construction adaptée. Quand il s’agit de rénovations dans certains types de bâtiments, il y a effectivement des dépenses supplémentaires, mais il ne s’agit pas d’une règle absolue. En revanche, dans les bâtiments neufs, selon une étude du Fonds national, la moyenne des dépenses supplémentaires se monte à 1,8% du coût du bâtiment. Ce montant est donc tout à fait accep-table. Si dès le départ les bâtiments sont conçus pour être fréquentés par tous, le tiers seulement des dépen-ses supplémentaires (1,8%) est dû à des mesures qui bénéficient uniquement aux personnes en situation de handicap. Les autres aménagements (un ascenseur, une entrée sans seuil ou même un monte-escaliers) peuvent être utiles à tout le monde. S’il n’y a pas d’obstacles, ce ne sont pas seulement les personnes en situation de handicap qui y trouveront leur compte mais aussi le concierge de l’immeuble, les personnes qui rencontrent momen-tanément des difficultés de mobilité, les parents avec poussettes et certaines personnes âgées.

L’autonomie dans les faits Les grandes déclarations sur l’autonomie des personnes en situation de handicap ne suffi-sent pas. Notre société ne leur donne pas tou-jours des signaux très clairs. Comme l’écrit David le Breton «une forte ambivalence caractérise les relations que nouent les sociétés occidentales avec l’homme souffrant d’un handicap. Ambivalence que ce dernier vit au quotidien, puisque le discours social lui affirme qu’il est un homme normal, membre à part entière de la communauté, que sa dignité et sa valeur personnelle ne sont en rien entamées par sa confor-mation physique ou ses dispositions sensorielles, mais en même temps, il est objectivement marginalisé, tenu plus ou moins hors du monde du travail, assisté par les aides sociales, mis à l’écart de la vie collective du fait de ses difficultés de déplacement et d’infrastructu-res urbaines souvent mal adaptées».5 Il faut donc que dans les faits, à différents niveaux de notre organisation sociale, l’interaction entre les difficultés de l’individu et son environnement soit prise en considération. Dans le cas contraire, nous continuerons de jongler avec de beaux concepts mais n’agirons pas sur le cadre de vie qui est pourtant si déterminant.

5LE BRETON, David, Handicap d’apparence: le regard des autres. Ethnologie française, tome 21, 1991, p. 323

Pour Antoine, l’autonomie a une saveur quotidienne

Antoine a quarante ans et il habite un petit village d’Ajoie dans le canton du Jura. Il est atteint dans sa santé par une maladie qui porte le nom d’«ostéogenèse imparfaite», ou maladie des os de verre dans le langage courant. Cette maladie se caracté-rise par une fragilité osseuse excessive.Pendant trente-cinq ans, Antoine a vécu dans la maison de ses parents. Son autonomie était très relative et l’appartement étant mal adapté (Antoine se déplace en fauteuil roulant), il était dépen-dant de l’aide d’autrui pour la plupart des actes de la vie quotidienne. Il y a cinq ans, Antoine a aménagé un studio au rez de la maison fa-miliale. Et depuis, sa vie a complètement changé. Il a dessiné lui-même les plans de son studio à la hauteur de son fauteuil et il a passé beaucoup de temps sur ce qui est considéré comme des détails dans un aménagement ordinaire. Un panneau de commande électrique lui permet de contrôler l’éclairage, d’ouvrir et de fermer portes, fenê-tres et stores. Le coin cuisine est spécialement adapté à ses besoins et Antoine dit avec émotion: «C’est la première fois de ma vie que j’arrive à me servir un verre tout seul!».A part l’intervention chaque matin d’une aide familiale, Antoine vit maintenant d’une manière autonome. Tout cela parce que son environ-nement a été aménagé en fonction de ses besoins.

Vue sur le coin-cuisine du studio d’Antoine. Aujourd’hui, il peut se servir un verre d’eau seul, parce que le robinet de l’évier a été spécialement adapté à ses besoins.

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Un lavabo accessible...

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Architecture et accessibilité, un contexte globalAnne Michèle Stupf, Laurie Josserand, insieme Genève

D’emblée, il nous tient à cœur de préciser que l’architecture ne se limite pas à la conception d’une rampe avec une pente correcte, à la largeur d’un couloir ou à un ascenseur adapté. L’accessi-bilité c’est prendre en compte le confort de tous dès l’origine du projet créatif, c’est partir du pos-tulat que le but premier de toute construction humaine est d’éliminer les barrières naturelles et de proposer à l’humain sécurité, protection et bien-être.

Loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l’élimi-nation des inégalités frappant les personnes handicapées (Loi sur l’égalité pour les handi-capés, LHand)Cette loi votée par le peuple suisse en 2002 est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. Elle régit la construction sans obstacle en Suisse. C’est un catalogue d’exigences minimales visant à garantir à tous l’utilisation des bâtiments et à en faciliter l’accès. Les personnes handicapées sont souvent confrontées aujourd’hui encore à des obstacles inutiles. La Constitution fédérale et la loi sur l’égalité pour les handicapés rendent obligatoire l’élimination de ces obstacles.1 Parallèlement à cette loi a été créé le Bureau fé-déral de l’égalité pour les personnes handicapée (BFEH), chargé de l’application de cette loi. Le Bureau édite entre autres un guide des construc-tions en accord avec la LHand.2

L’application de la LHand coûte 60 CHF par personne et par an investis dans un mode de construction sans obstacle, confortable et orienté vers l’avenir. Ce coût constitue un facteur positif pour notre économie, d’autant plus conséquent si l’on considère le vieillissement de la popula-tion et le fait que, grâce à un tel effort supporté par l’ensemble de la collectivité, les person-nes âgées sont d’autant plus autonomes et leur prise en charge dans des instituts spécialisés est retardée. La construction adaptée pour les per-sonnes en situation de handicap profite donc également et certainement à hauteur égale aux personnes âgées.Malheureusement, force est de constater que seuls 4 architectes sur 10 en Suisse savent que la construction sans obstacle est prescrite par la loi.Comme évoqué plus haut, la construction sans obstacle, contrairement aux idées reçues, ne concerne pas uniquement les personnes avec

un handicap. L’utilité d’un environnement dépourvu de barrière et d’obstacle n’est plus à démontrer tant pour les personnes vivant avec un handicap que pour celles dites valides: il est en effet reconnu que deux tiers des mesures permet-tant l’utilisation rationnelle et confortable d’un bâtiment sont bénéfiques à tout un chacun, par-ticulier comme entreprise d’ailleurs! Il est aussi de notoriété publique que les aménagements spécifi-ques aux personnes en situation de handicap ne représentent pas les surcoûts les plus importants lors de l’érection d’un bâtiment (élargissement des passages des fauteuils roulants estimés à 4% seulement de la totalité des frais de la construc-tion sans obstacle). En d’autres termes, le fait de tenir compte des besoins des utilisateurs handi-capés au début du projet architectural accroît l’efficacité de l’accessibilité et en réduit les coûts. Une conception prévoyante est aussi synonyme de confort accru (minimisation des efforts, faci-lité de manœuvre, etc.) et d’augmentation de la valeur d’un bien immobilier. Bref, le travail de l’architecte ne prend sa valeur, sa beauté que si tout est fonctionnel, juste, utili-sable et non s’il est discriminatoire pour les per-sonnes déjà trop souvent marginalisées par leur handicap.

Un modèle du partenariat

Afin d’équilibrer le rapport entre conception de la construction par les architectes et celle des pro-fessionnels du handicap confrontés aux besoins au quotidien, citons deux structures genevoises qui œuvrent au quotidien pour la construction d’un environnement bâti pour tous: - L’Association Handicap Architecture et Urba-nisme (HAU)- Le Fonds Hélios ou le modèle de partenariat entre une fondation privée et l’Etat.3

L’importance de la formation des architectes

Selon un rapport de l’ONU, la moitié des pays (environ 80) disposent de lois ou normes pour la construction sans obstacle: la conception de l’espace construit pour les personnes handicapées dépend des différences économiques et cultu-relles entre les différentes régions du globe. Ce rapport d’experts est la base de discussion pour

Anne-Michèle Stupf et Laurie Josserand font le tour de l’état des mesures mises en place dans notre pays, pour faire disparaître les barrières architecturales empêchant les personnes en situation de handicap de bénéficierdes mêmes droits que tout un chacun.

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l’édition prévue en 2007 des normes ISO «Accessibility and Usability of the Built Environment» (Accessibilité et convivialité du milieu bâti).Finalement, la construction pour tous vise l’élaboration d’un mode architectural in-clusif et intégratif, contrairement aux ob-jectifs de naguère cherchant des solutions spéciales voire «marginalisantes»!C’est là toute la question de la formation des architectes: il n’y a en effet en Suisse aucune spécialisation relative au domaine du han-dicap, contrairement à l’Italie ou même à la Pologne. Le prétexte invoqué est celui de l’intégration. Pourquoi dès lors aborder cette thématique ou celle du développe-ment durable? Car les deux devraient être partie intégrante des préoccupations socié-tales actuelles. Elles invitent à la question du lien et ce serait presque anachronique de les élever au rang de matière spécifique à un cursus! Toutefois, on note qu’en 2004, à l’occasion de la remise du Prix Schindler pour la construction sans obstacle, a été mis en lumière le manque d’intérêt de la formation en Suisse, quant à cette thémati-que. Force est de constater qu’en intégrant le thème du handicap dans le programme obligatoire de plusieurs écoles d’architec-ture, les étudiants italiens ou polonais foi-sonnent d’idées novatrices et concrètement applicables dans ce domaine… Le manque de réalisme quant à l’accessi-bilité en particulier, et à l’environnement bâti en général, génère d’autres situations de handicap, comme si celui inhérent à la personne n’était pas suffisant! Car une rampe d’accès trop raide pour une per-sonne à mobilité réduite, un message dif-fusé uniquement par voie sonore ou encore un obstacle non signalé peuvent faire de la journée d’une personne à mobilité réduite ou malentendante ou encore malvoyante un parcours du combattant. Ces situations privent nombre d’individus du droit légi-time d’accès à l’espace et à l’usage des servi-ces et équipements implantés. Alors, chers didacticiens suisses férus de droit à la diffé-rence et à l’équité, il vous reste à plancher sur des cursus de formation (optionnels ou non), abordant ces thématiques liées aux handicaps sans perdre de vue que l’acces-sibilité habilite les gens et que les obstacles les rendent incapables…

Un exemple d’architecture accessible: le musée du Quai Branly à ParisPrenez en exemple le travail de passerelles aux sens propre et figuré, accompli par le Musée du Quai Branly de Paris, où se conjuguent esthétique, culture, expression

du droit à la différence et adaptabilité à ce défaut de normalité. Le musée, inauguré en 2006 a pour vocation d’offrir aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques un lieu digne d’eux, de refléter l’évolution du regard porté sur ces arts, de s’intégrer et à la fois de se démar-quer sans un tissu urbain et monumental dense.4

C’est dès le début de ce projet souhaité par le président Chirac que les équipes du mu-sée, le milieu associatif et l’architecte Jean Nouvel ont eu la forte motivation de bâtir ensemble un espace culturel commun et accessible à tous et à tous les types de han-dicap, sensoriel, physique, mental et psy-chique. Les nombreux aménagements pour rendre le musée accessible (rampes d’accès intégrées à l’ensemble, priorité des person-nes en situation de handicap à la billetterie, signalisation adaptée et diversifiée: plans en relief et cheminement podotactile, res-pect de la norme Accessiweb pour le portail Internet, etc.), et la grande diversité des activités proposées (La Rivière ou parcours de découverte par les sons et le toucher, les boucles magnétiques, les ateliers pédagogi-ques, le vidéoguide en LSF), témoignent de cet engagement altruiste. Parce que l’ar-chitecture sans obstacle est une affaire hu-maine, cette démarche s’est poursuivie par la formation du personnel à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handica-pées ou à grande fatigabilité. Le musée pro-pose ainsi pléthore de visites avec possibilité de préparation pour les accompagnants.

Finalement, la métaphore à retenir pour les futurs professionnels ne serait-elle pas celle de la porte? De l’intérieur, on essaie de regarder un jardin à travers une série de portes; il suffit qu’une d’elles soit fermée pour que l’accès visuel au monde extérieur soit bloqué. Chacun des niveaux de l’acces-

sibilité, tant matériel qu’humain, est doté de ses propres caractéristiques et joue ses propres rôles pour soit accroître l’accessibi-lité soit créer des obstacles à l’accès… Aux générations futures de ne pas éluder ces cri-tères de base!

1 Consulter la LHand: www.admin.ch/ch/f/ff/2002/7640.pdf2 Bureau de l’Egalité: www.edi.admin.ch/ebgb/ 3 Lire en page 26 la présentation de ces deux structures4 En savoir plus sur le Quai Branly: www.quaibranly.fr

La brochure du musée du Quai Branly: accessible à tous, y compris au public vivant avec une déficience mentale...

Au musée du Quai Branly, une personne aveugle a la possibilité d’appréhender tactilement et auditivement les objets.

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De l’état d’esprit à l’esprit des lieuxRichard Barzé, architecte, Cernier, NeuchâtelInterview réalisée par Marie-Paule Zufferey

Etait-ce là votre première expérience dans ce domaine ?

J’avais eu auparavant, une expérience à Ligniè-res, également avec les Perce-Neige. Il s’agissait d’adapter un ancien pensionnat de jeunes filles, Les Pipolets, à la population handicapée de l’ins-titution. Ensuite, nous avons gagné ce concours et construit l’espace de Fleurier.

Que connaissiez-vous alors du handicap mental?

Au départ, j’en avais une idée assez vague; elle s’est étoffée par la suite. J’ai quelques amis édu-cateurs avec lesquels j’ai beaucoup échangé sur le sujet. Puis la transformation à Lignières m’a amené à avoir des contacts plus directs avec les personnes handicapées elles-mêmes. Enfin, dans ce genre de construction, on est appelé à travailler avec diverses commissions: constructions, équi-pement, équipes éducatives… C’est à travers ces échanges que je me suis construit petit à petit une représentation plus concrète du handicap mental (du handicap physique aussi, puisque dans le cas de Fleurier, ce sont les deux à la fois). Je me suis tourné également vers la littérature et j’ai beau-coup appris de mes visites dans d’autres institu-tions. Je connais peu d’architectes qui soient des spécialistes du handicap. Mais cela fait partie de notre travail d’entrer en connaissance, pour cha-que construction, avec le domaine en question. Quelquefois il s’agit d’aspects plus techniques; dans ce cas, la part d’humain est extrêmement importante.

Les professionnel-le-s et les résident-e-s concerné-e-s ont-ils participé à la mise en application de votre projet?

Les professionnel-le-s oui, les résident-e-s as-sez peu. D’abord parce ces dernier-ère-s étaient disséminé-e-s dans plusieurs autres structures, en attendant la fin de la construction et ensuite parce qu’il est difficile d’avoir un contact avec ces personnes; il s’agit vraiment de cas lourds. Mais bien entendu, nous avons travaillé, dans les com-missions d’équipement avec beaucoup d’éduca-teurs, d’éducatrices, de physiothérapeutes, d’ani-mateurs, d’animatrices et - chose importante - de parents des futurs locataires. Le type de structure que nous avons construite est également une sé-

curité pour les parents. Un certain nombre de ré-sident-e-s approchent la quarantaine, avec des pa-rents déjà âgés, dont le gros souci est de savoir ce que va devenir leur fils ou leur fille, une fois qu’ils auront disparu. Nous avons eu plusieurs visites de parents, au cours de la construction… La Direc-tion a fait le relais avec l’Association des parents et le projet a ainsi évolué pendant plus d’une année.

Les choix de construction se sont-ils greffés sur un projet éducatif préexistant?

Il fallait décentraliser, et aussi éviter de renouveler l’expérience des Hauts-Geneveys (établissement excentré et de très grande dimension). Les buts étaient donc clairement de créer une institution à échelle humaine (35 résident-e-s) et de l’inté-grer le plus possible au lieu et au bâti existant. Le directeur de l’époque aurait même voulu construi-re les ateliers à l’autre bout du village, afin que les résidente-e-s soient appelé-e-s à le traverser quoti-diennement. Cela ne s’est pas fait, mais l’emplace-ment de l’espace Fleurier fait joliment transition entre le vieux bourg et les nouvelles constructions, entre l’ancien et le moderne. Reste à réaliser le projet de parc animalier, qui ferait venir la popu-lation vers l’institution…

Le complexe comprend cinq pavillons d’un étage. N’aurait-il pas été plus rationnel et moins coûteux de construire un bâtiment en hauteur?

L’OFAS était effectivement de l’avis que notre projet allait coûter beaucoup plus cher, du fait de son étalement. Nous avons dû prouver que cela n’était pas la réalité. Dans ce cas de figure, il y avait certes des avantages de départ: terrain plat et vaste mis à disposition par l’association des parents, prix des terrains encore relativement bon marché dans le Val-de-Travers, etc. Pour ce qui est du côté pratique, l’espace ainsi organisé pose bien entendu quelques problèmes d’intendance. Par exemple, pour passer d’un bâ-timent à l’autre en plein hiver, cela nécessite de préparer les personnes, etc. Cette organisation de l’espace était voulue par la Direction et adoptée avec enthousiasme par une grande partie du per-sonnel éducatif; d’autres se sont montré-e-s plus réticent-e-s au début.

Richard Barzé a 58 ans et une trajectoire d’auto-didacte en architecture. Après un apprentissage de dessinateur, il se tourne vers l’urbanisme, y travaille durant quel-ques années avant de reprendre une formation qui lui permettra, ultérieurement, d’ouvrir son propre atelier. Sa carrière est riche de toutes sortes de constructions allant de l’habitation à l’indus-trie, en passant par une station d’épuration et des salles de spectacles. A la suite d’un concours, Richard Barzé est ap-pelé à construire l’Espace Perce-Neige à Fleurier, une structure destinée à accueillir �5 person-nes polyhandicapées.

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Vous n’avez donc pas joué la carte de la fonction-nalité à tout prix?

Ce qui a primé dans les choix réalisés, c’est le confort et le bien-être des personnes han-dicapées. Les ouvertures invitent à la sortie et le plain-pied facilite ce mouvement vers l’extérieur. De fait, les résident-e-s sont sou-vent dehors, où il y a de l’espace à investir. D’ailleurs certains se le sont déjà approprié à leur manière en y plantant leur tente…

De quoi avez-vous tenu compte pour répondre aux besoins de la population handicapée mentale?

D’une manière générale, nous avons fait en sorte de faciliter la reconnaissance des lieux, en créant une certaine unité. Les cinq bâti-ments sont tous traités de manière identique: même organisation, mêmes formes et mêmes revêtements. Seules les teintes varient d’un groupe à l’autre, ce qui permet à un ou une résident-e qui rend visite à un-e collègue

de se retrouver dans l’institution. D’autres aménagements pratiques ont été réalisés

expressément pour tenir compte de rapports particuliers que certaines personnes peuvent avoir avec l’espace. Un exemple: les locaux sanitaires. Habituellement, les baignoires hydrauliques ont le système de commande disposé contre le mur. Mais cela signifie que la personne qui est dans sa baignoire se trou-ve dos à la porte; ce qui peut être pour elle une source d’angoisse. Nous avons donc tout inversé, avec un montage spécial pour cacher les dispositifs.

Vous avez développé une transparence maximum des lieux, dites-vous. Qu’en est-il de l’intimité des résident-e-s?

Notre idée est de prolonger l’habitation vers l’extérieur, tout en respectant le besoin d’in-timité. Nous n’aurions pas pu, par exemple, concevoir des lieux de séjour totalement vitrés. Nous avons donc travaillé par ouver-tures verticales; entre deux, il y a toujours des pans de murs qui permettent de créer une ambiance, une intimité. Il faut en effet éviter que les résident-e-s soient exposé-e-s constamment au regard. Les pavillons sont travaillés sur des plans carrés, avec les groupes sanitaires au centre. La circulation se fait sur le pourtour de ces locaux, avec un éclairage naturel qui permet d’éviter le problème de longs couloirs sombres inhérents à ce genre de construction. Enfin, l’idée est de donner à voir les quatre points cardinaux; que chacun et chacune puisse, en passant, avoir vue sur le dehors… et ce paysage du Val-de-Travers, particulièrement bien préservé.

Comment les habitant-e-s sont-ils entré-e-s dans cet espace?

Lors de l’aménagement, il a fallu organiser, pour certain-e-s, des gestes d’apprivoisement: faire le tour de l’institution en voiture, en-suite en fauteuil roulant, avant d’entrer avec peine, et quelquefois même des crises, tandis que d’autres ont immédiatement choisi leur chambre…

Savez-vous aujourd’hui si les résident-e-s vivent bien dans cette institution?

Je me suis intéressé à la question de savoir si le concept que nous avions développé (cou-leurs, formes, espaces) pouvait avoir une in-fluence sur le bien-être et le bien-vivre des personnes qui y séjournent. Il semblerait que oui! Certains résidents assez pertur- bés lors de leur arrivée, se sont calmés. Je crois qu’il y a une certaine sérénité qui se dé-gage des lieux; cela tient sans doute aussi à l’inscription de la structure en pleine nature.

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Les ouvertures invitent à la sortie etle plain-pied facilite ce mouvement...

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On nous a souvent dit que cet espace res-semblait plus à un village de vacances qu’à une institution traditionnelle… J’entends cette observation comme un point positif!

Dans quel état d’esprit faut-il aborder la construction d’une institution pour personnes handicapées?

Je pense qu’il faut éviter d’entrer dans une démarche comme celle-là avec ses gran-des certitudes d’architectes. Je dirais aussi qu’il faut avoir une solide envie de le faire, parce qu’on y passe beaucoup de temps, sans doute plus que pour un autre projet de même envergure. Comprendre les pro-blèmes concrets qui se posent par rapport aux différents handicaps, chercher des solu-tions, intégrer les préoccupations de l’équi-pe éducative, s’imprégner de l’ambiance qu’on veut créer, la traduire dans l’espace… Tout cela ne peut pas se faire dans la pré-cipitation. Au bout du compte, on en res-sort différent, plus sensible aux problèmes rencontrés quotidiennement par ces per-sonnes. Il y en a eu du chemin parcouru, entre le projet du concours et la réalisation définitive! Il est important également d’anticiper cer-tains problèmes. Reprenons l’exemple des Hauts-Geneveys: voilà une structure qui a été construite il y a quelques années, pour des personnes handicapées mentales. Or aujourd’hui, toute cette population a vieilli et on se retrouve avec des

résident-e-s à mobilité réduite; du coup, l’institution ne répond plus à leurs besoins actuels. La conception d’une structure doit pouvoir intégrer des possibilités d’adapta-tion.

Entre foisonnement de normes et restrictions budgétaires, reste-t-il de la place pour une certaine créativité?

Trouver des solutions qui jonglent entre désirs des clients, lois, aménagement du territoire, règlements de construction com-munaux, budgets et autres topographies de terrain… ces défis font partie intégrante de notre profession! Dans ce cas, il faut ajouter les normes OFAS qui sont très restrictives, en termes de surfaces subventionnées et exigeantes dans les rapports entre les sur-faces de circulation et les surfaces de lieux de vie et de séjour, etc. Bien sûr, nous avons dû en tenir compte, déjà dans le projet de concours; c’était même l’un des points critiques. Mais c’est aussi ce qui fait son intérêt. Lorsque nous avons présenté notre projet à l’OFAS, tout a été re-contrôlé; cela a mis 11 mois, mais le projet a été accepté…

Les problèmes liés au handicap ont-ils la place qu’ils méritent dans la formation des architectes?

Si je me réfère au suivi de nos stagiaires, j’ai l’impression que les questions liées au

handicap sont assez peu évoquées dans les cursus de formation. Et pour avoir parti-cipé à plusieurs expertises dans le domaine de l’accessibilité, je crois pouvoir dire que ce souci n’est pas encore intégré naturelle-ment dans le travail de beaucoup de mes collègues. Cette approche apparaît encore comme quelque chose de nouveau. La loi fédérale sur les mesures d’accessibilité a été mise en application en 2006. Ce n’est qu’à cette occasion-là, que beaucoup d’archi-tectes, constructeurs et autres promoteurs qui gravitent autour de la construction ont remarqué que la loi cantonale neuchâte-loise sur les constructions (antérieure, puis-qu’elle date de 1996), était plus sévère que la loi fédérale. Ce qui montre bien que ces problèmes ne sont souvent pris en compte, malheureusement, que lorsqu’il y a une obligation qui vient d’en haut!

Espace Perce-Neige Fleurier: après 20 mois de fonctionnement, qu’en disent-ils?

Jacques Gabus, responsable d’unité, Espace Perce-Neige Fleurier, a re-cueilli les témoignages de personnes vivant dans la structure du Val-de-Travers (personnel et résidents). Il nous en donne un bref résumé.

L’Espace Perce-Neige Fleurier est une unité des Foyers Oc-cupationnels de La Fondation Les Perce-Neige. Vingt mois se sont écoulés depuis sa mise en fonction et l’on peut consi-dérer que c’est une réussite. La mission première de L’EPNF est l’accueil de personnes atteintes d’un handicap mental pro-fond auquel s’ajoutent diverses autres déficiences. Il nous est maintenant possible d’évaluer la qualité de notre outil et nous pouvons dire que ce dernier correspond à nos at-tentes. Les infrastructures permettent aux éducateurs de tra-vailler dans des conditions optimales et de garantir une prise en charge de qualité des 28 résidents et résidentes accueillis à ce jour et ce 24 heures sur 24.

L’organisation des pavillons permet une grande souplesse dans l’accompagnement. Nous devons encore travailler la prise en commun du repas de midi à la salle à manger, les in-teractions entre les résidents pouvant provoquer des tensions importantes. Le concept participatif mis en place avec les fa-milles donne d’excellents résultats et nous permet de vérifier la justesse de notre prise en charge. L’intégration à la cité de Fleurier peut également être qualifiée de bonne, les contacts sont quotidiens avec les commerces et la population. Des ren-contres régulières avec le voisinage permettent de régler les problèmes rencontrés, le principal étant les cris. La tolérance n’est pas toujours de mise. Nous bénéficions des infrastructu-res du Val-de- Travers telles que la piscine couverte du centre sportif de Couvet. En conclusion, le sourire des résidents de L’EPNF reste le meilleur outil de mesure de la satisfaction qu’ils ont de vivre dans cet endroit qui leur est dédié.

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Histoire et état des lieuxDans les années 80, une réflexion conduit à l’idée de créer au sein de la Fondation Renée Delafon-taine un lieu spécifique pour les enfants atteints de graves troubles de la personnalité. Un tel groupe se crée dans les locaux existants de la Fon-dation au Mont-sur-Lausanne, mais en 1988, vu l’augmentation des effectifs, l’espace manque et un nouvel endroit est recherché. Des démarches aboutissent au choix de la Violette, l’ancien Foyer du Soldat, situé à proximité de l’actuel Bâtiment administratif de l’Etat de Vaud, dans le quartier de la Pontaise à Lausanne. Cette maison se trouve dans un environnement de petites villas familiales construites avant les années 1950; elle jouit d’un espace extérieur arborisé et plein de charme. Elle comprend deux étages dévolus aux classes et aux locaux communautaires. Le manque d’espace fait que certains locaux sont polyvalents, classes qui se transforment en une salle à manger pour les temps de repas, véranda qui au fil de la journée est le lieu de récréation, de repas, de récupéra-tion ou encore une salle de psychomotricité, une salle d’équipe. Le sous-sol est également utilisé et comprend des sanitaires, les vestiaires des en-fants et une grande salle pour la psychothérapie de groupe, un atelier peinture et une salle pour les activités psychocorporelles.

La Violette, un centre thérapeutique et une école spécialiséeLa Violette est un centre thérapeutique et une école spécialisée. Elle offre 16 places pour des en-fants et des adolescents de 3 à 16 ans souffrant d’importants troubles de la personnalité (autisme et psychose avec un retard mental).Les enfants et les jeunes de la Violette présentent un retard de développement, des troubles rela-tionnels et de la communication, des difficultés à accéder au monde des apprentissages. Souvent, ils ont une perception de leur corps confuse et expriment de façon démonstrative leur mal-être, notamment par la manifestation d’angoisses cor-porelles et psychiques.L’équipe pluridisciplinaire de la Violette se com-pose d’enseignant-e-s spécialisé-e-s, de psycho-thérapeutes, d’une psychomotricienne, d’une logopédiste. Un important travail d’équipe per-met à chaque intervenant d’ajuster son action et ses attitudes pour répondre de manière adéquate et coordonnée aux besoins spécifiques de chaque enfant. Le projet psychopédagogique de chaque enfant tient compte de ses besoins et de ses pos-sibilités évolutives. Il inclut trois axes:Un axe pédagogique qui comprend: - des apprentissages cognitifs,- des activités pour stimuler la communication et le langage, - des apprentissages pratiques et sociaux pour dé-velopper le maximum d’autonomie.Un axe psychothérapeutiqueLe travail psychothérapeutique en groupe aide les enfants à mieux gérer les émotions et les angois-ses et favorise l’accès à une identité personnelle distincte.Un axe psychocorporelLes activités psychocorporelles prennent en considération les difficultés des enfants à se situer dans l’espace et le temps, à avoir conscience de leur corps.

Alors le projet...La décision est tombée. Il faut déménager… Alors, en même temps:- La commission de construction du Conseil de Fondation se met en route pour trouver un nou-veau lieu. Exercice difficile parce que les endroits qui pourraient convenir ne sont pas légion dans la région lausannoise, les prix sont prohibitifs ou

D’un espace à l’autre, l’aventure de la VioletteSuivi d’un travail d’équipeMarianne Loup, responsable de la Violette

Une école, section de la Fondation Renée Dela-fontaine, accueillant des enfants en situation de handicap mental doit déménager, il s’agit de trouver de nouveaux locaux. Depuis long-temps l’équipe rêve d’un bâtiment mieux adapté aux besoins des enfants, mais voilà qu’un jour la recherche d’un autre lieu est rendue obligatoire par le fait que le pro-priétaire a vendu «notre maison». La Fondation renonce à son droit de préemption, notre bail échoit en été �008.

De l’ancien espace...

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alors l’affectation de la zone ne permet pas d’y installer une école.- Et l’équipe essaie de définir les besoins en locaux dans une optique réaliste, selon les concepts ci-dessous, qui ont sens par rap-port à la qualité de la prise en charge. Concepts de base L’architecture a des incidences sur le comportement des enfants et sur le bien-être des occupants des lieux, qu’ils soient enfants ou adultes. En tenant compte des trois axes de la prise en charge des enfants à la Violette, soit les axes pédagogique, psychothérapeutique et psy-chocorporel, une différenciation des lieux semble importante, soit:

un espace scolaire et d’activité d’expressionou d’atelierun espace psychothérapeutiqueun espace psychocorporelun espace d’équipeun espace cuisineun espace extérieuret des locaux annexes pour du rangement

De plus, nous pensons aux notions de:clarté et lisibilité de la circulationlumière, couleurs apaisanteslieux contenants

L’équipe, ensuite, estime la surface de chaque pièce. Lors de cet exercice, nous nous rendons compte que faire la liste des locaux nécessaires et déter-miner une surface ne présage rien du comment nous allons articuler les divers locaux qui doivent impérativement être à proximité les uns des autres pour respecter une délimitation claire des divers espaces de prise en charge. Mais pour cela, nous at-tendons les idées géniales de l’architecte…La Direction et le Conseil de Fondation ont trouvé un lieu pour la «future» Violette. Il s’agit d’un étage dans un bâtiment indus-triel qui se trouve dans une zone mixte, artisanale et d’habitation sur la commune du Mont-sur-Lausanne. Ces locaux seront loués. Nous devrons ainsi cohabiter avec d’autres occupants, ce qui constituera un nouveau défi, puisque nos étions seuls dans «notre maison». Un architecte est mandaté pour faire les travaux de transformation, architecte qui a déjà construit ou réamé-nagé d’autres locaux de la Fondation, qui est conscient des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap men-tal, intéressé à réfléchir dans quelle mesure l’architecture peut en tenir compte et rodé aussi à la collaboration avec les équipes. L’équipe continue de réfléchir lors d’un mo-ment de travail avec une personne ressource qui intervient régulièrement à la Violette, pour nourrir sa pensée… Nous avons alors

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en tête: bien-être, commodité, sécurité, couleurs différentes, un peu comme une pa-lette des affects, choix des matériaux et leur résistance, lieux qui contiennent, chemine-ments qui font continuité entre les divers lieux pour faciliter le passage, luminosité adaptée soit, par exemple, faire attention aux baies vitrées qui ne donnent pas le senti-ment de limites entre le dedans et le dehors ou encore aux locaux sans lumière exté-rieure, qui pourraient induire des angoisses claustrophobiques. Et encore, penser l’es-pace architectural comme une projection du corps…Nous rêvons de construire un lieu vraiment adapté aux besoins de chaque enfant. Cepen-dant rapidement, nous prenons conscience que si tous les enfants de la Violette souffrent de troubles envahissants du développe-ment avec un handicap mental, les patho-logies sont variées, les niveaux d’organisa-tion différents avec des fonctionnements sur des modes autistiques, psychotiques, plus œdipiens, avec pour certains des syndromes génétiques, des troubles neu-rologiques, des atteintes sensorielles. Il faut tenir compte de tout cela… et nous osons aussi penser à l’idée, pour une équipe, de travailler dans la commodité, l’esthétique et un certain confort.L’architecte et sa collaboratrice vien-nent passer une journée à la Violette lorsque les enfants sont présents. Ils ont l’occasion de discuter avec les mem-bres de l’équipe, et d’essayer de se familiariser avec la problématique des enfants que nous accueillons, afin de mieux percevoir ce dont ils auraient be-soin, en termes d’espace, et aussi certai-nement de mieux comprendre certaines demandes qui peuvent paraître un peu far-felues. Le bureau d’architecte, le directeur

de la Fondation et la responsable prépa-rent alors un pré-projet qui tient compte de l’inventaire des locaux, des concepts dé-finis plus haut, des observations faites par l’architecte et sa collaboratrice lors de leur passage d’une journée à la Violette. Ce pré-projet est présenté à l’équipe lors d’une réu-nion, et d’emblée il soulève beaucoup de questions. Il sera cependant la base de nos réflexions futures.Un groupe construction interne est mis en place; il s’est constitué lors d’un colloque d’équipe et il comprend une enseignante qui s’occupe des «petits», et qui travaille au 1er étage, d’un enseignant qui travaille au rez, et de la res-ponsable qui fait le lien avec les autres pro-fessionnels, de la cuisinière au psychothéra-peute en passant par la psychomotricienne et la personne qui s’occupe des nettoyages. Ce groupe va régulièrement rencontrer l’ar-chitecte et sa collaboratrice pour leur trans-mettre les demandes de l’équipe, et présen-ter à cette dernière en retour, les avancées du projet. Au fur et à mesure que l’équipe et le groupe de construction entrent dans les plans, il y a une foule de petits détails ou même des éléments plus importants qui sont à reprendre. Il s’instaure alors à travers ce petit groupe, des allers et retours jusqu’au moment où le consensus semble établi. Le plan définitif est arrêté et le projet est sou-mis à l’OFAS pour présentation et aval. A ce jour, nous en sommes là…La Direction et le Conseil de Fondation nous ont laissé une grande liberté dans nos choix, respectant ce qui allait devenir notre outil de travail où enfants et adultes espè-rent trouver un confort matériel, mais aussi psychique pour avancer. Beaucoup de travail nous attend encore, beaucoup de questions sont encore à résoudre. Le déménagement est prévu à la fin du printemps 2008…

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... à la nouvelle structure

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Les passerelles du PaléoDe la musique pour tomber les barrièresLaurie Josserand, insieme Genève, Nicolas Chevallier, Paléo Festival de Nyon

Le Paléo Festival de Nyon a mis en place une série de dispositifsvisant à faciliter la fréquentation de cette manifestation par les personnes handica-pées. Visite guidée avec Laurie Josserand, l’une des ��00 bénévoles que compte de Festival.

Si la culture est reconnue comme une démarche sociale importante, la fréquentation des lieux culturels par les personnes en situation de handi-cap est très faible en raison d’obstacles architectu-raux (problème d’accessibilité) mais aussi d’obs-tacles psychologiques. Beaucoup d’initiatives personnelles ou d’actions ponctuelles montrent néanmoins qu’il est possible d’ouvrir la culture et les pratiques artistiques à l’ensemble de la po-pulation. Pages Romandes s’est penché sur la politique d’accès aux personnes en situation de handicap du Paléo Festival de Nyon, un des plus grands rassemblements musicaux de Suisse et d’Europe, et a interrogé les Messieurs «Chaises Roulantes» des différents secteurs du festival, en charge de défendre et de suivre les évolutions des aménage-ments mis en place par le Paléo depuis quelques décennies maintenant! Rappelons en préambule que la place de l’humain a toujours été déterminante dans une manifesta-tion comme le Paléo et que le spectateur est la véritable clef de voûte du festival: le respecter est une priorité absolue, une valeur fondamentale, et ceci outrepasse les différences ou particularités de tout un chacun. Pour un tel événement, il n’était en aucun cas question d’insulariser les personnes handicapées: pas de bien portants d’un côté, qui constituent la majorité, et de l’autre, les handi-capés, considérés comme un groupe en soi, une humanité spécifique qui ne vibrerait pas sur les mêmes ondes et sons que le festivalier «normal». Car l’homme quel qu’il soit est un instrument

récepteur; à l’état d’écoute, il perçoit dans son corps tout entier, et la musique propose à l’hom-me de se réconcilier avec lui-même, de pacifier conscience privée et comportement social. Or pour pouvoir atteindre le sacro-saint sanc-tuaire musical, en salle ou en «open air», encore faut-il pouvoir y accéder ou avoir une place où partager ces moments… C’est la question de l’aménagement qui se pose alors: celui notam-ment du plateau accueillant les personnes en situation de handicap durant les concerts, de sa passerelle, de l’accès à celle-ci, de la mise en place d’un chemin praticable qui profite tout autant au festivalier lambda qu’au festivalier plus en déli-catesse… et c’est à partir de toutes ces interro-gations que s’activent, toute l’année durant, les fourmis du Paléo, pour que finalement tout un chacun participe et fasse le spectacle estival. De ce subtil mélange entre l’art de la musique et l’art d’une architecture et d’une infrastructure qui ne soient pas discriminatoires, naissent six jours dans le même monde mais sur une planète bien différente! L’un des enjeux est forcément de ne pas limiter la déambulation des personnes en situation de handicap aux seules scènes aménagées (principa-lement la Grande Scène, les Chapiteau et Dôme sur le site de l’Asse). Encore faut-il que ces pla-teaux aient un accès de préférence bitumé. Et qui dit aménagement d’un plateau où peuvent se dérouler trois ou quatre concerts sur une dizaine d’heures, dit d’une part aménagement de toilet-tes adaptées non loin de ce plateau, et d’autre

Les photos sont de Marie-Claude Baillif www.myopathe.ch

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part proximité des lieux de restauration. C’est la raison pour laquelle 3 toilettes sont installées: une à proximité de l’infirmerie, c’est-à-dire non loin du Chapiteau, une autre en plein centre du festival, vers nom-bre de stands et des principaux axes béton-nés de déambulation et la dernière, offerte par la Fondation Suisse pour Paraplégiques, au Village du Monde à proximité du Dôme et des animations thématiques (notons une quatrième au Camping). C’est tout un réseau de circulation qui est alors mis en place afin de faciliter les dé-placements des personnes en situation de handicap prises en charge dès la sortie de leur véhicule car un parking spécifique (le parking Jura) leur a été ouvert non loin de l’entrée principale et du point névralgique et stratégique, donnant la possibilité par ce passage d’accéder directement sur le terrain. Ce réseau de circulation permet aux personnes à mobilité réduite de profiter da-vantage des animations proposées dans les domaines des arts du cirque et du théâtre de rue mais aussi de la décoration marquée par les projets des étudiants des HES-SO et par les spectacles pyrotechniques de la Compagnie Carabosse… Certes les aménagements infrastructurels sont capitaux mais la hausse de la fréquen-tation de la population en situation de han-dicap est due également au facteur humain par l’instauration de la gratuité pour la

personne accompagnant une personne en chaise roulante. Ceci a débouché sur une démarche de prise en charge élargie, allant de pair avec l’évolution des mentalités et des politiques intégratives. Il a donc fallu mettre en place une équipe d’accueil sur les plates-formes handicap (agrandies et déplacées pour davantage de visibilité) ayant pour tâches de surveiller et d’offrir une qualité de service toujours plus performante (due à la fidélisation des collaborateurs): les accompagnants ont désormais la possibilité de laisser en toute confiance les personnes en situation de handicap sur les lieux qui leur sont dédiés; chaque acteur spectateur gagne ainsi en autonomie, indépendance et plaisirs… Par ailleurs la visibilité des concerts a été perfectionnée par l’installation d’écrans géants sur les principales scènes, ce service bénéficie à tous et en particulier aux per-sonnes vivant avec une déficience. Reste alors un nouveau challenge: améliorer le contact et la proximité avec les artistes en sensibilisant peut-être ces derniers à la forte affluence des personnes en situation de handicap sur le site…Ces exemples d’aménagement sont les fruits d’interrogations constantes des membres, bénévoles, permanents et collaborateurs d’une association, et ne sont que consé-quences d’une prise de conscience aboutis-sant à un travail main dans la main (valides

et non valides) à long terme sur les besoins particuliers des personnes en situation de handicap. La réalité nous montre ainsi qu’il est possible de penser plus juste pour agir mieux; à cela le Paléo veut s’attacher avec le souci de mettre à jour les manques, les vrais besoins et de fédérer le plus largement possible les énergies. Car on rencontre tous à un instant donné une situation de handi-cap… et la musique ne se donne-t-elle pas pour mission d’établir des passerelles entre personnes de tous horizons, de briser les murs d’incompréhension entre Handicapés et Valides?

En quelques chiffres, le Paléo c’est:

220’000 spectateurs-trices sur 80 ha de terrain dont 2650 personnes en situation de handicap (environ 1.5% du public hors camping)3700 bénévoles dont 17 chargés de l’accueil des person-nes en situation de handicap une quarantaine de collaborateurs-trices bénévoles à l’infirmerie30 permanent-e-s 95 membres du Comité d’or-ganisation du Festival

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Dans sa présentation du Centre de la Meunière, Christian Bidaud - responsable du secteur vie de Collombey (VS) - ne manque pas d’enthousias-me. Il se place dans la droite ligne des concepteurs du projet et de leur souci: la valorisation des rôles sociaux, concept institutionnel de la Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales (FOVAHM).De sa création jusqu’à ses derniers établissements, la direction de la FOVAHM a évolué dans ses repères architecturaux. Initialement, dans les années septante, l’institution de la Pierre-à-Voir voulait répondre de façon autonome à l’ensemble de ses besoins (l’institut a sa propre piscine, sa salle de gym, etc.). Elle a été construite à proxi-mité du village de Saxon, même si celui-ci s’est progressivement développé au point de l’entou-rer à présent. Le home de la Pommeraie a marqué une seconde étape en effectuant ses premiers pas dans la Cité, puisque le bâtiment se situe dans le quartier des HLM de Sion.A Collombey, l’idée de l’intégration des résidents est devenue plus prégnante encore. Le Home (devenu Centre) de la Meunière est en effet à un jet de pierre des écoles primaires du Corbier, de la gare, de l’église, en deux mots, il est au cœur du village. Cette participation à la vie commu-nautaire fait écho au concept d’«équivalent cultu-rel valorisé» tel qu’il a été développé par Louis Vaney. Ce dernier s’appuie sur le fait que «ce qui est observé a généralement cours dans la culture environnante».

Immédiatement, si vous avez déjà eu la chance de vous rendre au Centre de la Meunière, une question survient: «Le choix de Joël Chervaz, architecte de l’atelier Nunatak à Fully, est réso-lument contemporain; n’a-t-il pas choqué les vil-lageois?» Christian Bidaud précise que le concept choisi s’appuie sur les trois fondements suivants:

Le droit à la ressemblance

Le Centre se situe dans un quartier d’immeu-bles de moyenne importance. Son architecture est moderne et tournée vers le futur, elle est en écho à celle d’une villa voisine qui est également construite dans un style contemporain. Le Cen-tre est divisé en appartements de 6, 5, 4, 3 et 2 pièces qui portent des noms de couleur. 2 studios indépendants complètent la gamme de ces loge-ments de type PPE.

Le droit à la différence

En raison des limites de leurs capacités, les rési-dents ont droit à quelques aménagements particu-liers: il y a dans les appartements des chambres de veille, une accessibilité favorisée par des ascenseurs et l’absence de seuils. Portes et couloirs sont lar-ges et des salles de bains agrémentent chacune des chambres individuelles, ce qui les différencie de l’occupation d’un appartement en collocation.

Les adaptations réciproques

Les adaptations réciproques sont enfin le fruit d’un dernier choix qui marque l’interface possi-ble entre l’institution et le village. Un tea-room implanté dans le premier pilier du bâtiment per-met des rencontres et des expositions régulières d’art dans le Centre amènent des visiteurs dans un lieu d’accueil pour personnes en situation de handicap. C’est une double «contrainte» qui né-cessite l’effort réciproque de se rendre dans le lieu pour le visiteur et, pour les résidents, d’accepter des visites chez soi… Le Centre de la Meunière est le fruit d’une réflexion qui s’appuie sur une démarche socio-éducative qui a permis de mieux sérier les questions d’extériorité et d’intimité, d’ouverture et de fermeture. Etrangement, c’est dans un bâtiment carré que la circularité est devenue possible…

Construire autour d’un concept institutionnelCentre de la Meunière, CollombeyOlivier Salamin, psychothérapeute FSP, directeur Asa-Valais, Sion

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Le Centre de la Meunière est un exemple d’intégra-tion à la cité. «Située à un jet de pierre des écoles primaires du Corbier, de la gare et de l’église», cet-te structure se distingue aussi par son architectu-re résolument moderne.Olivier Salamin a franchi les murs de cette insti-tution et interrogé les résidents sur leur percep-tion de cet espace de vie.

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Monique Borgeaud, 61 ans, a grandi à Col-lombey avant son placement au Home de la Pommeraie à Sion. A l’ouverture du Centre de la Meunière en 1992, «la Commune m’a convoquée, dira-t-elle, et m’a inscrite à la Meunière.» Ce départ de Sion vers Collom-bey, même s’il permettait un rapproche-ment de son village natal, n’a pas été sans mal: «C’était dur de partir, je m’étais atta-chée et j’aimais beaucoup la Pommeraie». Avant ses premières impressions, ce fut sur-tout la difficulté du départ qui a marqué Monique Borgeaud. Du Centre, elle dira juste «Il est bien!».Jean-Charles Rippa quant à lui, est un homme de 38 ans qui a longtemps vécu à Monthey. Après un externat à la Casta-lie, il a également rejoint le Centre dès son ouverture. De la Meunière, il dit d’emblée qu’elle lui offre «une grande chambre, dans une grande maison». Jean-Charles Rippa a pourtant mis un peu de temps à trou-ver sa place. Après le grand appartement où «il y avait trop de bruits» et l’apparte-ment plus petit où, en compagnie d’un autre résident, il ne parvenait pas bien à gérer son autonomie, Jean-Charles Rippa a trouvé son équilibre dans l’appartement orange où il se sent à son aise avec deux de ses collègues. «J’ai une vraie chambre par rapport à ma maison. J’ai pris toutes mes affaires. Ce n’est plus ma maman qui s’oc-cupe de ça, à la Meunière, c’est chez moi !» souligne-t-il.Si Jean-Charles Rippa s’étonne de ma ques-tion à propos de l’absence de toit sur le Centre, Monique Borgeaud répond du tac au tac que: «C’est comme les blocs (elle les montre) qui n’ont pas de toit non plus!».Monique Borgeaud apprécie le Tea-Room où «elle peut manger avec les copines et profiter de boire un verre avec les visites». Jean-Charles Rippa est également très favo-rable à ce lieu qui lui permet «de boire le café ou de prendre une bière…».Les fêtes organisées sur place sont éga-lement reconnues dans leur utilité puis-qu’elles favorisent les rencontres. Ainsi, Jean-Charles Rippa «peut rencontrer chez lui ses collègues de travail» et Monique

Borgeaud, revoir d’anciens éducateurs auxquels elle est restée très attachée.Sur les autres options de l’établissement, les avis sont un peu plus nuancés. Pour les expositions, Mme Borgeaud se plaint sur-tout de certains styles «modernes». «J’aime mieux les tableaux où l’on voit ce que c’est». M. Rippa aime bien que des tableaux soient exposés. Il est d’accord que les expo-sitions «débordent» parfois jusque dans son appartement, mais il a aussi fixé une limite claire: «pas dans ma chambre!»La proximité de l’école est positive pour Jean-Charles Rippa à qui des élèves disent: «Bonjour Jean-Charles!» sur le chemin qui conduit aux ateliers du Tonkin et à la COOP où il exerce dans un atelier inté-gré. Cependant, le passage des écoliers et la venue des parents «amène beaucoup de monde lorsque nous devons passer en bus. Nous devons faire attention aux voitures et aux élèves.» dira Monique Borgeaud.Jean-Charles Rippa regrette que le hall d’entrée soit encore autorisé aux fumeurs. «J’aimerais poser le rond (d’interdiction)!». Il est décidé à en parler au responsable des lieux…La proximité de la gare donne également des avis divergents. Mme Borgeaud sait qu’«il y a des jeunes qui cassent» et M. Rippa est un peu inquiet par la proximité de la voie ferrée et par les «gens qui peuvent

la traverser». Toutefois, il reconnaît égale-ment que «le train lui permet de voyager seul et d’aller à ses entraînements et à ses matchs de basket à Martigny.»Madame Borgeaud voudrait-elle habiter dans un des deux studios de la Meunière? «Non je n’aime pas le plain-pied, des jeunes pourraient venir m’embêter. Au début, je n’avais pas la clé de ma chambre, mainte-nant je l’ai et je peux fermer ma porte…» Cette clé, c’est pour Monique Borgeaud la clé de son indépendance…

Résider au Centre de la MeunièreInterview de Monique Borgeaud et Jean-Charles RippaOlivier Salamin, psychothérapeute FSP, directeur Asa-Valais, Sion

Jean-Charles Rippa et Monique Borgeaud

Intérieur, La Meunière, Collombey

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Le stade Saint-Jacques à Bâle a un concept architectural uni-que en Suisse, il se veut un modèle d’innovation où fonc-tionnalité et intégration s’unissent pour le plaisir des utili-sateurs.Tertianum offre à ses hôtes un lieu de vie adapté aux besoins de la 3e et 4e phase de leur vie. Chacun a la possibilité de vivre dans son propre appartement, tout en bénéficiant de services de haute qualité.Le complexe compte un centre commercial, deux restaurants, un home pour personnes âgées et bien sûr un stade de football.

Les locaux de l’EMS «Tertianum St. Jacob» se trouvent dès le 3e étage du bâtiment central. C’est là que se situent le restaurant, la réception, les boîtes aux lettres des habitants, l’administration ainsi que 16 chambres pour personnes nécessitant des soins.

C’est aussi à cet étage que se trouvent les locaux permettant une vue directe sur le stade qui en font ainsi le premier établissement de ce genre avec loges.

Les matchs, mais aussi l’ensemble des spectacles proposés sont suivis depuis les loges, le prix des billets des matchs de champion-nats est inclus dans le prix de pension. Les personnes âgées ont la possibilité d’inviter leurs proches pour les événements sportifs et culturels.

Les 107 autres appartements de l’EMS sont répartis du 4e au 9e étages du bâtiment principal. Les appartements ne sont pas conçus pour avoir une vue directe sur le stade afin de les protéger du bruit par un paroi adéquate et un corridor. Par contre, les balcons sont situés au sud avec vue sur le parc «Grün 80», un parc floral et de détente à disposition des résidents.L’inauguration du stade a eu lieu en 2001 et l’ouverture de l’EMS en 2002. «Il n’est pas nécessaire d’être fan de football pour loger chez nous», précisent les responsables, tout en citant l’exemple de ce résident qui suit le FC Bâle depuis 1954 et qui est tout heureux de pouvoir encore vibrer si près de lui...

Les photos illustrant cette page sont d’Eliane Jubin MarquisConcepteur du projet: Bureau d’architecture Herzog & De Meuron

Intégration à la vie de la citéL’exemple de l’EMS du stade Saint-Jacques, à Bâle Eliane Jubin Marquis

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Moyen de transport, fauteuil roulantTémoignage de Marius GayInterview réalisée par Line Lachat, étudiante à l’Institut de pédagogie curative de Fribourg

Vous rendez-vous souvent en ville et dans laquelle ou lesquelles ?

Globalement, je me rends principalement à Morges, environ une fois par semaine et occa-sionnellement à Lausanne.

Quel est, pour vous, le principal problème lié au man-que d’infrastructures en ville et pourquoi ?

Le principal problème est tout bêtement un trot-toir non abaissé car ayant des problèmes de vue, je ne distingue pas toujours la hauteur de celui-ci et ne repère pas forcément les endroits où je peux descendre.

Avez-vous déjà rencontré ce type de problème à Morges ou à Lausanne ?

A Morges, je n’ai pas trop rencontré ce type de problème car j’ai repéré les endroits où je pou-vais passer. Par contre à Lausanne, c’est vrai que le problème est différent car je ne connais pas la ville aussi bien que celle de Morges et je n’y ai pas forcément repéré les endroits qui me sont acces-sibles. Mais par exemple, pour les trottoirs non abaissés à Lausanne, il y aurait encore du boulot à faire car certaines fois le trottoir est abaissé d’un côté de la route et pas de l’autre.

Vous semblez marquer une différence entre le fait de connaître Morges et de mal connaître Lausanne mais en quoi est-ce différent, question accessibilité ?

A Morges, avec l’expérience, j’ai appris petit à pe-tit, où les trottoirs étaient abaissés et où il y avait des rampes pour l’accessibilité des bistros et des magasins. Tandis qu’à Lausanne, je n’ai pas eu le privilège de faire ces apprentissages-là car je n’y vais qu’occasionnellement.

Mais ne pensez-vous pas qu’une ville devrait être acces-sible au point que vous n’ayez pas à apprendre où vous pouvez vous rendre ou non ? Il y a une part où les nouvelles constructions devraient être adaptées mais l’autre part nous appartient. Il est de notre devoir de savoir gérer la difficulté de l’inaccessible, du «presque» accessi-ble ou de l’accessible. Je veux dire par là qu’après,

c’est aussi à nous de nous rendre compte que tout ne peut pas nous être rendu accessible, pour cer-tains lieux en tout cas.

Vous êtes-vous déjà rendu dans une ville qui était suffi-samment accessible pour vous ?

Oui, lors de mon voyage aux Etats-Unis. Quand nous choisissions un restaurant où aller manger, nous n’avions même plus besoin de nous poser la question: «Est-ce que ça va être accessible?». Ça l’était de toute façon. Si l’entrée principale ne m’était pas accessible, il y avait de toute manière une deuxième entrée prévue pour les personnes en fauteuil roulant.

Comment serait la ville de vos rêves au niveau toujours de l’accessibilité ?

J’ai appris à faire avec les inaccessibilités, les «presque» accessibilités et l’accessibilité. Et per-sonnellement si l’on parle toujours de Morges ou de Lausanne eh bien, je crois que je n’ai pas telle-ment besoin de plus, mis à part les abaissements de trottoirs.

Si je comprends bien, vous avez renoncé au rêve d’une ville parfaite mais pourquoi ?

Tout simplement parce que des villes parfaites, ça tient du rêve. Nous, à l’état actuel, ce qu’on peut faire, c’est tenter d’améliorer notre condi-tion de vie.

Marius Gay est un jeune homme vivant à la Cité Radieuse, à Echichens. Il a obtenu son premier «permis de conduire» de fauteuil roulant élec-trique en ��85, alors qu’il avait 8 ans et il s’agit depuis lors de son principal moyen de transport...

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La relation que nous entretenons avec notre environnement spatial relève de différents paramètres afférant à notre culture et mode de vie, à notre faculté cognitive et notre vie affec-tive, ainsi qu’à nos capacités d’orientation et de mobilité. Ces paramètres font l’objet de théories et de pratiques propres à des champs disciplinaires et professionnels distincts. Insensi-blement, cette distinction a dressé des cloisons, au figuré com-me au propre, divisant la vie quotidienne en actions fragmen-tées dans le temps et dans l’espace, actions dont nous finissons par perdre l’unicité.

Pour l’architecte animé par cette thématique, l’être humain habite et se projette dans une spatialité pouvant être définie par trois rayons d’action, traçant les cercles concentriques de ses espa-ces privé, semi-privé/public, et public. Ces espaces sont ceux : - de son intimité et de sa singularité (un coin de chambre, … le domicile) - de sa convivialité et de sa vie associative (l’immeuble et son voisinage, … le quartier)- de sa vie sociale, citoyenne et collective (la ville, la région, …).La qualité et la fréquence des rapports entre individus au sein et entre les espaces du domicile, du quartier et de la ville varient avec les moyens dont chacun dispose. Le développement ou le déclin de ces moyens augmente ou réduit le rayon d’action et l’autonomie des individus. Notre expérience nous permet de constater que, plus fortes sont les déficiences, plus déterminant sera le rôle des dispositions spatiales architecturales qui, selon l’attention conceptuelle qui leur aura été initialement portée, peuvent aggraver, réduire, voire contrer l’avan-cée ou les effets de déficiences survenant. Transposé dans une société entrée, comme la nôtre, dans une longue période de vieillissement massif de sa population, ce constat révèle les mutations en cours dans le rapport à la tempora-lité, comme à la spatialité, toutes générations confondues. Le phé-nomène induit des transformations significatives de la territorialité des individus et des collectivités. Or la production architecturale urbaine, héritière de pratiques datant des années 50 à 80, est en-core largement tributaire de besoins sélectionnés et cloisonnés par fonctions (travail, logement, consommation, loisirs, …circulation) normées pour la partie valide et active de la population, tandis que la prise en charge des personnes défaillantes ou vieillissantes, soit la partie de la population extérieure au déterminisme de la logique normative, échoit «tout naturellement» à l’Etat providence. Des institutions spécialisées accueillent ces personnes «hors normes» re-groupées par catégorie de différence. L’habitat de la personne âgée fait partie de ces institutions spécialisées. La solution a un coût difficilement supportable avec le rétrécissement actuel des budgets et ce n’est pas le cloisonnement des services administratifs qui va faciliter la survenue de solutions transversales.

La coexistence, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, de quatre (voire un jour prochain de cinq) générations est une réalité vitale qui nous incitera à être plus attentifs au partage des ressources et des territoires.

Les structures intermédiaires sont désormais fréquemment invo-quées. Comme cela arrive souvent avec un terme à la mode, le terme «intermédiaire», placé entre l’action politique, l’étude scientifique et la gestion technique, voit sa signification varier avec les valeurs et les intentions des personnes et des institutions qui l’utilisent, au risque d’en perdre son sens originel. Pour ce qui concerne l’habitat intermédiaire, c’est au niveau de sa mise en œuvre que les instru-ments font encore défaut. La récente ouverture en Suisse romande de l’offre de logements intermédiaires s’opère dans la difficulté, les projets sont encore rares. Les solutions proposées portent sur des immeubles et appartements protégés ou communautaires, sur des immeubles intergénérationnels (regroupement d’appartements dédiés aux personnes âgées, aux familles, aux étudiants, aux adultes polyhandicapés, …), sur la proximité de services (santé, garderie d’enfants, …). Les acteurs de ces opérations pionnières en Suisse romande n’en ont que plus de mérite. Citons, entre autres le Centre médico-social de Sierre, l’Espace santé d’Onex à Genève, Pro Senectute Genève et Lausanne, les Fondations Nouveau-Prieuré et Clair-Bois de Genève. Ces opérations ont en commun l’intégration, dans des immeubles de logements, d’appartements spécialisés, conçus pour personnes âgées en situation de handicap.

Une approche tierce se profile derrière la remise en question crois-sante du concept de logements spécialisés pour personnes défaillan-tes. Dans cette perspective, ne vaut-il pas mieux, au lieu d’investir dans la construction d’un habitat dédié aux personnes âgées, habi-tat minoritaire et coûteux, explorer la possibilité d’investir dans la construction d’un habitat non dédié, c’est-à-dire d’un habitat pour tous, intégrant, sans surcoût pour le m2 construit, les besoins des personnes en difficulté, parmi lesquelles les personnes âgées? Il ne s’agit pas de mettre des prothèses dans l’espace, mais d’éliminer les situations pouvant handicaper tel ou tel usager placé en condi-tion de difficulté passagère ou permanente, ainsi que de prévoir des dispositions architecturales et des équipements complémentaires adaptés à cet état. Pour trouver leur légitimité sociale, ces aména-gements doivent former une plus-value qualitative pour l’ensem-ble des habitants d’une construction. En d’autres termes, la prise en charge de la différence n’est pas une contrainte supplémentaire pour l’architecte, mais un facteur d’élévation de la valeur d’usage et de la qualité de l’habitat pour tous les habitants. A l’instar du bus urbain à plancher surbaissé, conçu à l’origine pour faciliter l’accès des personnes en chaise roulante, et qui offre aujourd’hui une plus-value qualitative à l’ensemble des usagers des transports publics. De sorte qu’il ne viendrait à plus personne l’idée de produire un bus à plancher à emmarchement.

Habiter la vie quotidienneUn défi pour les prochaines annéesCyril Mechkat, architecte, président FAAG, Fondation des aînés et aînées de Genève, Bill Bouldin, architecte

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Le plan conventionnel du logement correspond à une vision patriarcale de la société reportant sur les femmes la charge, sans contrepartie, des tâches domestiques et de soins aux personnes dépendantes (enfants, malades, parents âgés). Le surplus qualita-tif signalé plus haut peut aider à la création, au sein et autour du logement, d’infrastructures pour la libération des routines et une répartition équitable des tâches domestiques.

Le concept d’un habitat pour tous recouvre les mutations sociales en cours, dont la prolongation de l’espérance de vie, l’évolution du mode de vie (familles recomposées, célibataires vieillissants, coha-bitation prolongée de parents et jeunes adultes, …), les transforma-tions dans les rapports de genre (salarisation des femmes, partage des tâches domestiques, allègement des tâches familiales grâce aux crèches et foyers de jour), l’attention accrue portée à l’insertion des personnes fragilisées, les mutations en cours dans le monde du tra-vail (travail féminin, travail à temps partiel, à la demande, télétra-vail, auto-emploi, augmentation du chômage jeunes et actifs âgés, post-formation, départ anticipé en retraite, travail seniors, …).

L’objectif du projet proposé est d’offrir à l’ensemble des habitants une meilleure qualité spatiale enrichie par les dispositions parti-culières prises pour les moins valides d’entre eux (en matière de prévention contre les accidents, la désorientation, l’isolement, …); aux personnes fragilisées (par l’âge, mais aussi par un accident passager ou une maladie) des dispositions stimulant leur autono-mie; aux personnes arrivant en situation de handicap (physique ou psychique) des dispositions qui ménagent leur autonomie réduite et cherche à compenser leurs défaillances naissantes; aux personnes ayant perdu leur autonomie (et souhaitant rester à domicile) des dispositions qui facilitent leur accompagnement par des soignants et/ou par des proches aidants. L’objectif consiste aussi à améliorer l’habitabilité pour répondre à la longévité de vie et à l’augmentation du temps passé à domi-cile; à l’élargissement, au delà des tâches domestiques, des types d’activités exercées à domicile (loisirs de tous âges, travail, ...); à l’émergence de nouvelles sollicitations inscrites dans la perspective du cycle de vie et de la cohabitation intergénérationnelle (pour accueillir à la maison des proches, peut-être fragilisés, …); à la pra-tique de nouvelles convivialités, solidarités, proximités, de partages libres de contraintes ou de gênes; à la création d’infrastructures pour la vie quotidienne (dans l’appartement, dans l’immeuble et le quartier, … soit des locaux de rencontres, de jeux et de fêtes, de bricolage, de confection commune de repas, ... Les conditions architecturales pour répondre à l’évolution de la demande sont régies par un ensemble de dispositions optimisant la liberté d’occupation (dont la pluralité, la flexibilité d’aménage-ment, la modularité des espaces, ainsi que la possibilité d’échange de pièces entre appartements voisins. L’accessibilité et l’adaptabi-lité des aménagements et des équipements, ainsi que les réserva-

tions pour d’éventuelles installations ultérieures d’équipements auxiliaires font également partie des réponses à l’évolution de la demande.

Les enjeux du projet de l’habitat pour tous sont multiples et les échéances courtes.

Le premier de ces enjeux consiste à chercher l’adhésion des parte-naires impliqués dans une opération immobilière, soit les usagers, assurés de pouvoir adapter leur logement à l’évolution de leurs besoins au cours de leur cycle de vie; les propriétaires (publics, ins-titutionnels, privés), assurés de la stabilité de leur bien immobilier; enfin les collectivités locales, assurées de la pérennité du logement et des services offerts. Le second enjeu consiste à faciliter le financement de l’opération. Pour ce faire il faut que le projet soit réalisable sans surcoût du m2 construit. Il découle de nos travaux que la masse critique pour atteindre cette cible se situe, pour une opération pilote, autour de 70 appartements. Une étude de suivi et la comparaison avec des recherches et des exemples réalisés en Suisse allemande ou à l’étran-ger seront nécessaires pour évaluer la première opération et formu-ler des recommandations pour les suivantes. Le troisième enjeu, enfin, est celui des échéances. Les pressions exercées sont de deux ordres. L’un est poussé par l’acuité du phé-nomène baby boom, dont les premières vagues atteignent l’âge des 65 ans et dont la très forte croissance démographique va dominer les années 2020 à 2040. L’autre est caractérisé par l’envergure de la pénurie genevoise de logements, que l’Etat pense juguler par son programme de construction de 25’000 logements à l’horizon 2020. L’inertie intrinsèque du secteur de la production du cadre bâti, puisqu’il faut 10 à 15 ans entre la conception et la réalisation de projets de quelque envergure. Dans ce contexte, la recherche d’une tierce solution incluant la problématique de l’habitat des personnes âgées dans la production courante de l’habitat fait sens.

Si l’intérêt pour la thématique se confirme et vu l’échéance démographique de 2020, ainsi que le temps matériel nécessaire au montage de tout projet architectural, il devient impératif de tout mettre en œuvre pour la réalisation rapide d’une opération pionnière.

[email protected]@infomaniak.chCet article, plus détaillé, peut être téléchargé sur le site de Pages romandes: www.pagesromandes.ch

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Une autre approche de la mise en espaceEntretien avec Christophe Münster, architecte, FribourgPropos recueillis par Marie-Paule Zufferey

«Les dogmes n’ont pas leur place dans mes scenarii. Je cultive un style d’écoute et non un style d’architectu-re». Le ton est donné. Petites phrases-chocs un brin iconoclastes, idées à contre-courant et verbe imagé. Christophe Münster est un architecte atypique; d’ailleurs, il préfère se qualifier de «metteur en espace». D’architecte d’intérieur, il se mue en designer industriel, travaille du-rant près de 20 ans dans plus de 30 régions du globe, avant de revenir en terre fribourgeoise. En 2004, il développe un concept de constrution de lieux d’hébergement et de restauration, le slow design. L’auberge de la Croix-Blanche, à Posieux, est l’une de ses réalisations. Ici, tout est invitation au voyage.

Les facilités déambulatoires font partie du concept; aucun dispositif ne paraît avoir été aménagé pour satisfaire à des exigences venues de l’extérieur. La posture est simple-ment éthique, basée sur une évidence: le droit de tout être humain à l’égalité de traitement. La rampe d’accès fait partie intégrante de la bâ-tisse. Les passerelles intérieures dessinent des itinéraires dans l’espace et les couloirs qui font pas-sage entre les divers lieux (bistrot, salle à manger, jardin, étage...), deviennent des éléments du décor. Christophe Münster n’aménage pas ses espaces autour du handicap. Mais parce que son approche de l’architecture est faite d’écoute, les besoins des personnes appelées à vivre dans ses constructions se trouvent trsè naturellement intégrés à ses projets.

Le slow design, une utopie pragmatique et réaliste

Ce concept, Christophe Münster l’a élaboré à par-tir de ses expériences vécues aux quatre coins du monde. Il se décline en quelque 60 thèmes, allant de la domotique au rôle social du capital spatial, ou de la peur du vide au symbolisme des ouvertures, en passant par quelques réflexions plus pratiques concernant les lieux d’accueil et de repas. Même si le slow F & B design était prévu, à l’origine, pour la création dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration, il propose une approche qu’il serait intéressant de généraliser à la construction de tous les espaces de vie. Car le slow design c’est:- De l’écoute; beaucoup d’écoute. «Je cultive la proximité avec le lieu, les êtres et les saisons» dit Christophe Münster, qui pousse l’expérience jus-qu’à dormir sur le site de son projet, pour mieux saisir le génie du lieu;- Du temps; beaucoup de temps mis à disposition, afin d’être capable de prendre en compte le «temps vécu et senti» ;- Un dialogue soutenu avec tous les acteurs du lieu, ce qui permettra à chacun d’accéder à la compré-hension de l’espace en devenir. Car, ajoute Chris-tophe Münster «si on apprend à manger, à lire, à écrire, à conduire, jamais on ne parle d’apprendre à participer à la conception du territoire construit». Ecouter, révéler ce qui ne se voit pas immédiatement et traduire tout cela en temes d’organisation spatia-le, c’est cela, le slow design. En somme, simplement l’antithèse du vite fait …

Un espace sans barrière architecturale n’est pas un espace aseptisé, bien au contraire...

Christophe Münster

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Chritophe Münster, comment appliqueriez-vous votre concept à la construction d’une institution pour personnes handicapées ?Justement, je ne «l’appliquerais» pas! Appliquer veut dire «met-tre une chose sur une autre»: ce serait exactement l’antithèse de ma démarche. Le «copier-coller» est un scénario vide de sens et peu porteur en termes de retour d’investissement et de bien-être. Chaque projet est particulier; il a son identité propre. Je dirais donc plutôt que je le «tisse». Ce concept est un fil rouge autour duquel cohabitent étroitement mes sept «A»: attentif, at-titude, argent, atout, ambiance, animation, âme. Qui par ailleurs ne s’organisent pas de façon linéaire, mais sont en mouvance continuelle. Le contenu du slow design est lui aussi évolutif; il s’enrichit de toutes les singularités rencontrées au cours de mes expériences.

Si vous étiez appelé à construire une institution, comment vous y pren-driez-vous?Mon approche ne serait pas différente de celle qui est la mienne dans n’importe quel projet. D’abord, je me mets en résonance avec le présent, le passé et le futur. Ma modernité est l’actualisation d’attitudes anciennes qu’il s’agit de repenser après les avoir visitées en profondeur. Je pense qu’il faut oser, ouvrir tous les champs du possible et surtout ne pas perdre de vue que tout choix spatial in-duit une signification. Toute construction est la traduction spatiale d’une idée, d’un projet qu’il s’agit de faire émerger et de clarifier durant la phase «d’apprivoisement» des êtres et des lieux.

Quel regard portez-vous sur les nombreuses normes concernant les barrières architecturales? Reste-t-il encore de la place pour la créativité?Les normes disent l’art de vivre, tout simplement: «vous êtes le bienvenu dans ces lieux». En ce qui me concerne, elles sont plu-tôt des «tremplins» pour ma créativité… Concevoir à partir d’une feuille blanche est un exercice bien plus périlleux à mon sens! En fait, ces «contraintes» sont des atouts qui me permettent de donner une particularité à l’espace en devenir. Imaginer une rampe qu’il s’agira d’intégrer à une espace donné peut devenir un défi!

Dans un monde où les exigences d’efficacité, d’efficience et d’éco-nomie sont devenues primordiales, est-il possible de défen-dre l’idée de créer, dans une institution, des espaces sans fonc-tion attribuée? Des espaces laissés à l’appropriation des personnes handicapées? Efficacité, efficience et économie: pour moi ce sont trois leurres qui coûtent cher à la société. Lorsque les gens ne se sentent pas bien dans un espace, on voit grimper la courbe de l’absentéisme ou surgir des problèmes psychiatriques… Alors, l’économie qui veut dire réduire les dépenses sans tenir compte des paramètres du bien-vivre, je n’y crois pas. Lorsqu’une construction est à ce point mal pensée qu’elle rend les gens malades, cela a un coût, même s’il est caché ... (et peut-être même surtout s’il est caché!). En revanche, lors-

que les êtres se sentent bien dans un espace, ils le respectent et - voilà une vraie économie à long terme - on remarque qu’il y a alors beaucoup moins de dégradations…Personnellement, j’engage mes diagnostics et mes ana-lyses par un tout autre côté et pour répondre à votre question, je pense qu’il est vital pour l’équilibre d’une institution, de prévoir des espaces sans affectation. Je les conçois tels des vases d’expansion d’une instal-lation de chauffage; au moment où se manifeste une tension, ces zones tampons vont permettre d’éviter l’explosion… Mais par ailleurs, il est nécessaire aussi d’avoir des lieux figés, qui fassent office de repères.

Selon vous, peut-on dégager une réflexion sur la place laissée aux personnes handicapées (et/ou plus largement, aux populations marginales) en analy-sant le bâti institutionnel actuel? Bien sûr, les bâtiments parlent. Si on regarde, d’une manière géné-rale le construit actuel, ils pourraient dire à peu près ceci: «Nous ne sommes rien. Les investisseurs font. Les constructeurs empilent et coulent du béton. Et les utilisateurs subissent». Les bâtiments ne dialoguent plus; c’était le cas autrefois, il y a très longtemps… Notre société d’égoïstes cultive aujourd’hui le parcage des êtres: ici les vieux, là les étudiants; ici les religieux, là les toxicos; ici les malades, et cela recommence; ici les malades psychiatriques, etc. En Afrique, par exemple, les personnes handicapées vivent dans la société…Les espaces construits révèlent l’inculture de nos décideurs; je pen-se que le 90% d’entre eux sont des illettrés du langage spatial. Il ne faut pas s’étonner dès lors que l’agressivité soit en augmentation... A mon avis, il serait judicieux de réagir sans trop tarder.

Justement, vous avez longtemps travaillé sur d’autres continents, notam-ment l’Afrique. Quels points de comparaison pourriez-vous relever?Je dirais d’abord que dans notre société, tout est perçu uniquement en termes de coûts. Nous vivons à l’ère du «tout économique». Je consta-te aussi que plus l’individu est aisé, plus il est individualiste. Mes ex-périences africaines étaient faites de risques, de dialogue et d’imagi-nation. Toutes attitudes - et aptitudes - qu’il serait temps, je crois, de restaurer dans notre civilisation…

Puis enfin, ne mettez pas les coudes sur l’espace...

Chris

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Autisme suisse romande et les Amis des Jalons organisent une soirée de gala

vendredi 1er juin 2007au Lausanne Palace

Les fonds récoltés permettront à ces deux associations à but non lucratif de pouvoir contribuer à offrir aux enfants et adultes atteints d’autisme, ainsi qu’à

leurs familles, des perspectives d’avenir et une vie digne d’une société moderne.

Contacts des associations:Autisme Suisse romande, avenue de Rumine 2, 1005 Lausanne, tél. 021 341 93

21 - www.autisme.ch - [email protected]

Certains cantons ont créé des services d’aide pour les constructions adaptées. A Genève, le Fonds Hélios et l’Association Handicap, Architecture et Urbanisme (HAU) œuvrent au quotidien pour la construction d’un environnement bâti pour tous, l’un depuis 2004 et l’autre depuis 1967 déjà...

Le Fonds HeliosCommuniqué de la Direction générale de l’Action sociale (DSE-DGAS - Etat de Genève)

Ce fonds a été créé en juillet 2004. Il repose sur un partenariat entre le département de la solidarité et de l’emploi de l’Etat de Genève (DSE) et la Fondation Hans Wilsdorf. Le fonds vise à ap-porter une aide à l’intégration sociale des personnes handicapées grâce au financement de travaux destinés à éliminer les barrières architecturales de locaux privés ou de locaux ouverts au public.Une fiche pratique détaille les modalités d’attribution du fonds. Cette fiche est largement distribuée dans différents milieux profes-sionnels, et notamment celui des architectes, par le biais du classeur diffusé par l’association HAU (Handicap Architecture Urbanisme).Des conditions strictes d’attribution ont été définies. Ainsi, le de-mandeur doit être le propriétaire des locaux ou le locataire, respec-tivement l’utilisateur. Il doit encore couvrir au moins un tiers du coût total des travaux, la participation du Fonds Helios ne pouvant excéder les deux tiers. Il doit enfin démontrer concrètement qu’il n’a pas les moyens de supporter raisonnablement, directement ou indirectement, plus du tiers du coût des travaux. Par ailleurs, le fonds ne finance pas les aménagements qui seraient effectués dans les bâtiments occupés par les autorités cantonales ou communales, ainsi que par tout service ou institution pouvant bénéficier d’une subvention pour les travaux concernés. Parmi les travaux réalisés grâce au fonds, on peut citer à titre d’exemple: l’installation d’élé-vateurs pour personnes handicapées, la construction de rampes d’accès, l’installation d’un dispositif de boucles magnétiques à l’in-tention de personnes sourdes ou malentendantes, l’aménagement de salles de bain ou de toilettes ou encore l’adaptation de cuisines. Ces travaux ont été réalisés, de 2004 à 2007, dans des locaux asso-ciatifs, des lieux de culte, un consulat, un musée, ainsi qu’au domi-cile de plusieurs particuliers.

Des informations complémentaires peuvent être consultées sur Internet: www.geneve.ch/fonds-helios.

Association Handicap, Architecture et Urbanisme (HAU)Kurt Mäder, responsable HAU

Depuis 1967, HAU regroupe des services et organisations d’en-traide, des travailleurs sociaux, des professionnels de la santé et des architectes, afin de promouvoir un environnement bâti pour tous. Elle compte plus de soixante membres collectifs et individuels. Son secrétariat est assuré par Pro Infirmis Genève. L’architecture inadaptée crée trop souvent la différence. Dans les aménagements urbains, les bâtiments publics, les lieux de travail et l’habitation, chaque obstacle éliminé est un pas vers l’égalité.Le but de l’Association HAU est de promouvoir un environne-ment construit, favorisant l’autonomie de tous les usagers, y com-pris les personnes confrontées à des difficultés de perception ou de mobilité.L’Association HAU est à l’origine de la loi genevoise de 1971 et du «Règlement d’application concernant les mesures en faveur des personnes handicapées dans le domaine de la construction», et de leurs révisions. Elle a aussi participé à l’élaboration de la Norme SN 521 500, édition 1988 et à ses rééditions.

L’Association HAU propose :

• Des consultations en matière des lieux ouverts au public, des lo-caux de travail et immeubles de logements;• Un classeur de documentation professionnelle réunissant la loi, le règlement, la norme et des renseignements pratiques; • Un guide répertoriant l’accessibilité des lieux public à Genève et environs;• Un site Internet donnant accès à de nombreux liens et informa-tions: www.hau-ge.ch

Bon à savoir

Guide à l’intention des organisateurs de manifestations

Pro Infirmis Jura vient de publier un guide destiné aux organisateurs de manifestations ouvertes au public. Il a pour but de don-ner des informations pratiques et utiles qui permettent de rendre les manifestations accessibles à toutes et à tous.

Adresse de commande : Pro Infirmis Jura, case postale 799, 2800 Delémont 1

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Vacances et personnes en situation de handicapUne enquête de l’Institut Economie & Tourisme de la Haute Ecole valaisanne L’Institut Economie & Tourisme de la Haute Ecole Valaisanne mène une enquête sur le comportement général en matière de vacances des per-sonnes handicapées ou des familles ayant des enfants handicapés. L’opinion critique d’institutions spécialisées est très importante également. L’analyse des résultats de l’enquête servira de base de réflexion aux initiateurs de projets d’hébergements spécialisés, dont le concept prévoit de favoriser au maximum l’autonomie des personnes handicapées durant leurs vacances.

Dans ce but, nous aimerions vous soumettre des liens internet vers un questionnaire.

Lien pour les personnes handicapées et leur famille :> http://sphinx.hevs.ch/sco/handi/questionnaire.htm

Ce lien existe aussi en version allemande :> http://sphinx.hevs.ch/sco/handid/questionnaire.htm

Nous demandons également aux institutions de participer à la même enquête, mais avec un questionnaire spécifiquement adapté aux ins-titutions sous le lien suivant : > http://sphinx.hevs.ch/sco/handiass/questionnaire.htm

Ce concept existe déjà en France dans une destination privilégiée. Vous trouverez le concept de cet établissement à l’adresse suivante : > http://www.loubastidou.com/

Nous vous remercions d’avance de votre précieuse collaboration à la concrétisation de ce projet qui favorise le départ en vacances des familles confrontées au problème du handicap de leur(s) enfant(s).

Pour toute question, vous pouvez nous contacter par mail à l’adresse [email protected] ou au numéro de téléphone +41 27 606 90 10

Pension "La Forêt"Vercorin - Valais

ASA-ValaisAssociation valaisanne d'aideaux personnes handicapéesmentales

Chalet de 20 lits au centre de la station de VercorinTél. +41 27 455 08 44 - Fax +41 27 455 10 13 - www.pensionlaforet.ch - [email protected]

Au coeur des Alpes valaisannesune pension pour personnes vivant avec un handicap

Concours ARTHEMO

Donnez votre avis

jusqu’au 31 août 07

sur www.arthemo.ch