o ribunal du contentieux o administratif des nations

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Traduction non officielle, le texte en anglais étant seul faisant autorité TRIBUNAL DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF DES NATIONS UNIES Affaire n o UNDT/NY/2019/047 Jugement n o UNDT/2021/007 Date : 3 février 2021 Français Original : anglais Page 1 de 27 Juge : M me Joelle Adda Greffe : New York Greffier : Nerea Suero Fontecha LE REQUÉRANT c. LE SECRETAIRE GENERAL DE LORGANISATION DES NATIONS UNIES JUGEMENT Conseil du requérant : Omar Yousef Shehabi, OSLA Conseil du défendeur : Lucienne Pierre, Division du droit administratif, Bureau des ressources humaines, Secrétariat de lOrganisation des Nations Unies Isavella Vasilogeorgi, Division du droit administratif, Bureau des ressources humaines, Secrétariat de lOrganisation des Nations Unies

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Traduction non officielle, le texte en anglais étant seul faisant autorité

TRIBUNAL DU CONTENTIEUX

ADMINISTRATIF DES NATIONS

UNIES

Affaire no UNDT/NY/2019/047

Jugement no UNDT/2021/007

Date : 3 février 2021

Français

Original : anglais

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Juge : Mme Joelle Adda

Greffe : New York

Greffier : Nerea Suero Fontecha

LE REQUÉRANT

c.

LE SECRETAIRE GENERAL

DE

L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES

JUGEMENT

Conseil du requérant :

Omar Yousef Shehabi, OSLA

Conseil du défendeur :

Lucienne Pierre, Division du droit administratif, Bureau des ressources humaines,

Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies

Isavella Vasilogeorgi, Division du droit administratif, Bureau des ressources

humaines, Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies

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Introduction

1. Le requérant, ancien fonctionnaire du Secrétariat de l’ONU, a déposé la requête

dans laquelle il conteste « la décision de lui imposer la mesure disciplinaire de

cessation de service avec indemnité tenant lieu de préavis et indemnité de licenciement

conformément à la disposition 10.2 a) viii) du Règlement du personnel ».

2. Dans sa réponse, le défendeur soutient que la requête est sans fondement.

3. Le Tribunal rejette la requête pour les motifs exposés ci-dessous.

Faits

4. La décision contestée, prise par le Secrétaire général adjoint chargé du

Département des stratégies et politiques de gestion et de la conformité (ci-après « le

Secrétaire général adjoint »), a été communiquée au requérant par un mémorandum

interservices daté du 21 mars 2019 émanant du Sous-Secrétaire général aux ressources

humaines (ci-après « le Sous-Secrétaire général »). Dans ce mémorandum, le Sous-

Secrétaire général indiquait qu’après avoir examiné l’ensemble du dossier, y compris

les observations du requérant, le Secrétaire Général adjoint avait conclu que les faits

allégués contre celui-ci étaient établis par des preuves claires et convaincantes.

5. En ce qui concerne les circonstances de la décision attaquée, le Secrétaire

général adjoint indiquait que selon la note relative aux allégations de faute, le requérant

aurait harcelé sexuellement AA, BB et CC (noms supprimés) le 8 novembre 2017 lors

d’une fête d’adieu. Il était établi que le requérant « en particulier, en une ou plusieurs

occasions »,

a) « avait saisi le visage de [AA], l’avait serrée contre lui, s’était penché

vers elle et avait tenté de l’embrasser » ;

b) « avait forcé [AA] à baisser la tête et l’avait embrassée sur le front alors

que celle-ci refusait de se laisser embrasser par lui » ;

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c) « avait saisi le visage de [BB], l’avait serrée contre lui, s’était penché vers

elle et avait tenté de l’embrasser » ;

d) « avait essayé de se rapprocher physiquement de [AA] et [BB] tout en

dansant, malgré leurs tentatives de le tenir à distance » ;

e) « avait essayé de saisir le visage de [CC], lui avait saisi les mains et avait

tenté de les séparer alors qu’elle les avait placées devant son visage, puis s’était

effondré sur elle alors qu’elle résistait » ; et

f) « avait tiré [CC] par les mains, qu’il avait prises, pour essayer de la faire

danser, malgré sa résistance »

Examen

Norme de contrôle en matière disciplinaire

6. Le Tribunal d’appel a constamment statué que dans le cadre du contrôle

juridictionnel d’une affaire disciplinaire, il incombait au Tribunal du contentieux

administratif d’examiner les éléments de preuve recueillis et les procédures appliquées

par l’Administration au cours de l’enquête. Dans ces conditions, le Tribunal du

contentieux administratif doit examiner si les faits à l’origine de la sanction ont été

démontrés, si les faits avérés constituent une faute au sens du Statut et du Règlement

du personnel et si la sanction est à la mesure de la faute. Voir, par exemple, le

paragraphe 32 de l’arrêt Turkey 2019-UNAT-955, citant le paragraphe 18 de l’arrêt

Miyzed 2015-UNAT-550, citant le paragraphe 29 de l’arrêt Requérant 2013-UNAT-

302, citant lui-même l’arrêt Molari 2011-UNAT-164, confirmé au paragraphe 15 de

l’arrêt Ladu 2019-UNAT-956 et à nouveau confirmé dans l’arrêt Nyawa 2020-UNAT-

1024.

7. Le Tribunal d’appel a toutefois souligné qu’il n’appartenait au Tribunal du

contentieux administratif ni d’apprécier le bien-fondé du choix opéré par le Secrétaire

général parmi les différentes possibilités qui s’offraient à lui, ni de substituer sa propre

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décision à celle du Secrétaire général (voir arrêt Sanwidi 2010-UNAT-084, par. 40). Il

a rappelé à cet égard que le Tribunal du contentieux administratif ne procédait pas à

l’examen au fond mais au contrôle juridictionnel, procédure qui consiste à examiner la

manière dont le décideur est arrivé à la décision attaquée et non le fond de la décision

(voir arrêt Sanwidi, par. 42).

8. En ce qui concerne les circonstances à prendre en considération pour évaluer

l’exercice par l’Administration de son pouvoir discrétionnaire, le Tribunal d’appel a

déclaré que la liste des principes juridiques applicables en droit administratif ne saurait

être épuisée, mais qu’entre autres motifs, une décision inique, déraisonnable,

irrégulière, irrationnelle, procéduralement viciée, partiale, gratuite, arbitraire ou

disproportionnée autorisait les tribunaux à contrôler l’exercice par l’Administration de

son pouvoir discrétionnaire (voir Sanwidi, par. 38).

9. En ce qui concerne plus particulièrement les questions disciplinaires, le

Tribunal d’appel a estimé que l’Administration jouissait d’un large pouvoir à l’égard

duquel il n’intervenait pas à la légère (voir Ladu 2019-UNAT-956, par. 40). Pour

autant, le pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité. Comme l’a affirmé le Tribunal

d’appel dans l’arrêt abondamment cité qu’il a rendu en l’affaire Sanwidi, pour apprécier

si l’Administration a fait un usage régulier de son pouvoir d’appréciation, le Tribunal

du contentieux administratif doit déterminer si la décision est régulière, rationnelle,

conforme à la procédure et proportionnée. À cet égard, il peut rechercher si des

éléments utiles ont été écartés et si des éléments inutiles ont été pris en considération

et si la décision est absurde ou inique.

Les faits sur lesquels la mesure disciplinaire est fondée ont-ils été établis ?

Principaux éléments de jurisprudence concernant la charge de la preuve et la manière

d’évaluer les preuves dans les affaires d’inconduite sexuelle

10. Dans les affaires disciplinaires pouvant donner lieu à un licenciement, le

Tribunal d’appel a statué, en ce qui concerne le niveau de preuve requis, que

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l’Administration devait établir la faute alléguée par des preuves claires et

convaincantes, au vu desquelles la véracité des faits allégués est fortement probable

(voir, par exemple, Turkey, par. 32).

11. En ce qui concerne le sens de l’expression « preuves claires et convaincantes »,

le Tribunal d’appel a jugé que celle-ci comportait deux règles de preuve importantes,

à savoir a) la clarté, qui signifie que les preuves de la faute sont dénuées d’ambiguïté

et manifestes ; et b) le caractère convaincant, qui signifie que ces preuves claires sont

de nature à convaincre à un degré dont l’importance à la mesure de la gravité de

l’allégation portée contre le fonctionnaire et de la gravité des conséquences

qu’implique leur acceptation. Le Tribunal d’appel a également précisé que les preuves

claires et convaincantes peuvent être soit des « preuves directes des faits », soit des

« preuves indirectes pouvant être correctement déduites de preuves directes ». Voir

Negussie 2020-UNAT-1033, par. 45.

12. En ce qui concerne plus particulièrement l’examen des preuves d’inconduite

sexuelle, le Tribunal du contentieux administratif a déclaré dans le jugement Hallal

UNDT/2011/046, au paragraphe 55 (comme l’a confirmé le Tribunal d’appel dans

l’arrêt Hallal 2012-UNAT-207), que « dans les affaires de harcèlement sexuel, la

déposition orale crédible des victimes [pouvait] pleinement suffire à étayer une

conclusion de faute grave, sans qu’il soit nécessaire de la confirmer par d’autres

éléments », car « [d]ans ce type d’affaires, il n’arriv[ait] pas toujours que les faits

puissent être confirmés par des notes consignées dans un carnet, des courriels ou

d’autres preuves documentaires analogues, et l’absence de tels documents ne [devait]

pas automatiquement ôter toute force ou signification à la version de la victime ». Le

Tribunal du contentieux administratif a également dit que « [c]omme c’[était] toujours

le cas, toute déposition [devait] être évaluée pour établir sa crédibilité et déterminer si

elle permet[tait] bien de prouver les faits ».

13. En confirmant la conclusion du Tribunal du contentieux administratif dans

l’affaire Hallal, le Tribunal d’appel a estimé que le requérant n’avait présenté aucune

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preuve contredisant les éléments apportés par la plaignante ou montrant qu’il était

déraisonnable d’accepter son témoignage compte tenu d’autres éléments de preuve

(Hallal 2012-UNAT-2007, par. 30).

Les faits concernant les incidents impliquant AA

14. Le requérant fait valoir qu’il est incontesté que AA estimait que le

comportement qu’il avait eu à son égard ne justifiait pas une plainte officielle, que cette

affaire avait été dûment réglée de manière informelle et qu’elle avait été réglée à sa

satisfaction, comme elle l’avait confirmé dans sa lettre de soutien.

15. Le défendeur soutient, en substance, que les faits énoncés dans la décision

disciplinaire sont « clairement établis ».

16. Le Tribunal constate que le requérant ne conteste pas les faits concernant AA

exposés dans la décision disciplinaire contestée, qui sont par conséquent établis. De

même, le défendeur ne rejette pas les arguments du requérant concernant sa

réconciliation ultérieure avec AA. Tous ces faits sont donc dûment établis et il n’y a

pas lieu de les examiner plus avant.

Les faits concernant les incidents impliquant BB et l’importance de sa non comparution

en tant que témoin devant le Tribunal

17. Le requérant fait valoir que le Tribunal avait ordonné à BB de témoigner à

l’audience et que le défendeur devait obtenir d’elle des preuves directes compte tenu

de la charge incombant à l’Administration de prouver sa cause par des preuves claires

et convaincantes. Étant le témoin du défendeur, celui-ci était chargé de veiller à sa

participation, mais elle n’a pas comparu devant le Tribunal, et le requérant s’est ainsi

vu refuser la possibilité de contester sa fiabilité et la véracité de ce qu’elle avait déclaré

au Bureau des services de contrôle interne (« BSCI »).

18. Le requérant soutient que si BB avait comparu à l’audience, le défendeur aurait

pu faire de son entretien avec le BSCI son témoignage direct, que le requérant aurait

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alors pu contester ‒ et que le Tribunal aurait pu évaluer ‒ lors du contre-interrogatoire.

Comme BB n’a pas comparu à l’audience, il s’ensuit que son entretien avec le BSCI

ne peut être considéré comme son témoignage direct et ne devrait donc, selon la

jurisprudence établie, avoir aucune valeur probante. Se référant à Nadasan 2019-

UNAT-918 (par. 40), ainsi qu’à Mbaigolmem 2018-UNAT-819, le requérant ajoute

que le Tribunal, bien qu’il ait le pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre les témoins

interrogés au cours de l’enquête, peut néanmoins décider d’entendre un tel témoin,

comme BB, auquel cas cette audience donne lieu à un examen de novo, dans le cadre

duquel le Tribunal recherche et détermine si la norme de preuve applicable a été

respectée. Niant fermement les allégations portées contre lui en ce qui concerne BB, le

requérant affirme qu’en l’absence d’un témoignage de celle-ci, l’examen de novo doit

se conclure en sa faveur. Il soutient que la conclusion selon laquelle il a tenté

d’embrasser BB est manifestement infondée et fait valoir que personne ‒ pas même

BB ‒ ne prétend qu’il l’a embrassée ou a même tenté de l’embrasser.

19. Le défendeur, en substance, soutient qu’aucune conclusion défavorable ne

devrait être tirée de son incapacité à faire comparaître BB, laquelle n’a jamais répondu

à ses invitations à témoigner devant le Tribunal et n’est pas une fonctionnaire de

l’Organisation des Nations Unies.

20. Le Tribunal note que dans l’affaire Mbaigolmem (par. 29), le Tribunal d’appel

a estimé que le Tribunal du contentieux administratif devait (traduction non officielle)

« d’ordinaire entendre les témoignages ... des témoins importants, évaluer la crédibilité

et la fiabilité des déclarations faites devant lui sous serment, déterminer les faits

probables et ensuite rendre une décision sur la question de savoir si les éléments de

preuve produits sont suffisants au regard de la charge d’établir la faute par des preuves

claires et convaincantes » (non souligné dans l’original).

21. La non-comparution de BB devant le Tribunal a cependant créé une situation

qui n’était pas ordinaire. Le Tribunal avait, dans son Ordonnance no 153 (NY/2020) du

8 octobre 2020, donné au défendeur l’instruction expresse de citer BB en tant que

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témoin direct, mais celle-ci n’a pas répondu aux messages du défendeur. Or, BB, qui

n’est pas un membre du personnel de l’Organisation des Nations Unies (ce fait n’est

pas contesté par le requérant), n’était nullement tenue de participer à l’audience, et ni

le Tribunal ni le défendeur n’avaient les moyens de l’y contraindre.

22. Dans l’affaire Mbaigolmem (par. 29), le Tribunal d’appel a en outre estimé que

s’il était souvent plus sûr pour le Tribunal du contentieux administratif d’établir lui-

même les faits, il pouvait arriver « qu’un examen d’une enquête interne suffise ». Dans

le même ordre d’idées, le Tribunal d’appel a déclaré dans l’affaire Sall 2018-UNAT-

889 (par. 39) que l’exigence d’un réexamen de novo des faits ne signifiait pas que le

Tribunal du contentieux administratif devait réentendre tous les témoins de l’enquête

et que le Tribunal du contentieux administratif pouvait également fonder ses

conclusions sur le dossier de l’affaire si celui-ci contenait des éléments de preuve

suffisants et substantiels. Dans l’affaire Nadasan, la Cour d’appel a également déclaré

que le Tribunal du contentieux administratif n’était pas autorisé à enquêter sur des faits

sur lesquels la sanction disciplinaire n’était pas fondée et qu’il ne pouvait pas substituer

son propre jugement à celui du Secrétaire général, mais devait seulement rechercher si

les faits sur lesquels la sanction disciplinaire était fondée étaient suffisamment établis.

23. Le Tribunal fait également observer qu’il n’y a pas de droit absolu au contre-

interrogatoire, et que l’absence de contre-interrogatoire n’enlève pas nécessairement sa

valeur probante à la déclaration qu’a faite le témoin à un organe d’enquête (voir

également l’arrêt Mohammed Yousef abd el-Qader Abu Osba 2020-UNAT-1061,

par. 69). Si le témoin n’est pas disponible pour comparaître devant le Tribunal du

contentieux administratif, il convient d’en évaluer la raison (cette personne pourrait

même être décédée), après quoi la force probante de la déclaration qu’il a

précédemment faite au cours de l’enquête doit être déterminée.

24. Une approche similaire a été adoptée par le Tribunal d’appel dans l’affaire

Requérant 2013-UNAT-302 (formation plénière). Dans cette affaire semblable à la

présente, où l’auteur présumé des faits a été licencié (et même sans préavis) pour

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inconduite sexuelle, les plaignantes, qui avaient témoigné devant un organe d’enquête,

ne sont pas revenu témoigner devant le Tribunal du contentieux administratif parce que

l’on avait perdu leur trace et n’ont donc pas répondu à un contre-interrogatoire. Leur

témoignage initial a cependant été accepté par le Tribunal d’appel (voir, par. 33, 34,

36, 38, 39 et 40) : (traduction non officielle)

... En règle générale, l’importance de l’examen contradictoire et du

contre-interrogatoire des témoins est bien établie. Cela dit, « [l]es

affaires disciplinaires ne sont pas des affaires pénales. La liberté n’est

pas en jeu » [note de bas de page omise]. Ainsi, les garanties judiciaires

n’exigent pas toujours qu’un fonctionnaire qui conteste une mesure

disciplinaire de renvoi sans préavis puisse interroger les personnes qui

l’accusent et être confronté à elles.

... L’ancien tribunal administratif « a toujours soutenu le droit des

requérants de prendre connaissance de toutes les preuves à charge et

leur droit à interroger les témoins » [note de bas de page omise]. Dans

certaines circonstances, cependant, le refus d’accorder ce droit ne vicie

pas nécessairement l’ensemble de la procédure.

... Il y a ... des cas où il est impossible, ou déconseillé, qu’une telle

confrontation ait lieu. […]

… En l’espèce, l’Administration n’a pas pu citer les plaignantes pour

qu’elles témoignent et répondent à un contre-interrogatoire devant le

Tribunal du contentieux administratif. Cette situation, certes

regrettable, n’est pas de la faute de l’Organisation et celle-ci ne doit pas

en être tenue responsable. L’Organisation des Nations Unies opère à

l’échelle mondiale, dans des situations qui peuvent s’avérer très

transitoires ou instables. Le Tribunal d’appel admet que l’Organisation

n’a pas été en mesure de produire des témoins au Soudan du Sud près

de cinq ans après les faits incriminés.

... le Tribunal est convaincu que les éléments essentiels du droit du

requérant à une procédure régulière ont été respectés, l’intéressé ayant

été pleinement informé des accusations portées contre lui, de l’identité

des personnes qui l’ont accusé et de leur témoignage. Il a ainsi été en

mesure d’organiser sa défense et de contester la véracité des

déclarations de ces personnes. Le Tribunal est donc convaincu que les

intérêts de la justice ont été servis en l’espèce, bien que le requérant

n’est pas pu être confronté aux personnes qui avaient témoigné contre

lui lors de l’enquête initiale [note de bas de page omise].

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... Cette décision n’est pas incompatible avec celle qui a été

prononcée dans l’affaire Liyanarachchige [2010-UNAT-087], dans

laquelle le Tribunal a conclu qu’une mesure disciplinaire ne pouvait être

fondée uniquement sur des déclarations anonymes.

25. En l’espèce, en ce qui concerne l’absence de BB, le Tribunal note que le

défendeur indique que celle-ci n’a jamais répondu à la demande qui lui avait adressée

pour qu’elle comparaisse en qualité de témoin. À cet égard, le Tribunal prend

également note du fait que BB devait témoigner en tant que victime présumée dans une

affaire de harcèlement sexuel et que cette affaire a fait l’objet d’un article sur un blog

privé, dans lequel les noms des témoins en l’espèce étaient cités.

26. Au lieu d’entendre BB en qualité de témoin, le Tribunal, n’ayant pas d’autre

possibilité, vérifiera donc si le contenu des différents témoignages donnés au BSCI au

sujet des faits concernant le requérant et BB a été correctement pris en compte dans la

décision disciplinaire contestée, et si le témoignage de BB est corroboré par les autres

éléments de preuve. Pour évaluer la valeur probante à accorder au témoignage de BB

devant le BSCI, le Tribunal tiendra dûment compte du fait que le requérant n’a pas eu

la possibilité d’interroger cette personne, tout en notant qu’il a au moins pu présenter,

dans ses conclusions, des observations sur la déclaration que celle-ci avait faite au

BSCI. À cet égard, le Tribunal note également que BB a témoigné sous serment et

conformément à toutes les autres garanties procédurales du BSCI.

Moyens des parties relatifs aux faits impliquant BB

27. Le requérant affirme que même si la déposition de BB pouvait être versée au

dossier en tant que témoignage direct, elle manquerait totalement de crédibilité et serait

contredite par les déclarations d’autres témoins. BB a dit aux enquêteurs qu’il avait

saisi son visage si brusquement et si ostensiblement (sans toutefois tenter de

l’embrasser) que cela lui avait donné l’impression d’une expérience extracorporelle.

Elle leur a déclaré que peu de temps après, elle avait accepté de danser avec lui pour

« désamorcer » la situation, puis qu’il s’était mis à danser en la serrant de près, situation

inconfortable dont elle s’était à nouveau sortie avec humour. Personne n’avait déclaré

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vu quelque chose d’inhabituel dans leur danse ou avoir été témoin des faits relatés par

BB. Si BB avait été traumatisée par cette expérience, elle l’aurait probablement évité

par la suite, mais selon une autre personne, BB avait ensuite eu une conversation avec

lui, s’amusait bien et trouvait tout cela très drôle. Cette conversation était bien plus

qu’il n’en fallait s’il s’était seulement agi de désamorcer une situation tendue, et BB a

également reconnu avoir eu de plus nombreux échanges professionnels avec le

requérant après la fête, sans aucun incident. Selon le réquérant, étant donné que les

allégations de BB ne peuvent être versées au dossier en tant que preuves directes, elles

ne sauraient davantage établir la preuve d’un mode de comportement de sa part à

l’égard de ses collègues féminines.

28. Le défendeur soutient, en substance, que les faits concernant BB sont

clairement établis par le procès-verbal des entretiens que le BSCI a eus avec elle.

29. Le Tribunal note que dans son témoignage devant le BSCI, BB a indiqué qu’elle

était présente à la fête d’adieu du 8 novembre 2017 parce qu’elle collaborait à un projet

de l’Organisation des Nations Unies en tant que consultante venue d’une société privée.

BB a relaté les faits pertinents aux enquêteurs du BSCI comme suit (tous les

changements effectués par rapport au transcriptions initiales des entretiens ont été

acceptés dans les citations ci-dessous) :

… J’étais avec deux de nos collègues de la société [nom de la société

supprimé], [l’un d’entre eux était EE, nom supprimé], en train de

bavarder avec eux à l’écart, c’était une ambiance très joyeuse et

festive ...

… (...) J’étais là, debout, à prendre de leurs nouvelles, à parler de

mon travail quotidien et de ce genre de choses, quand [le requérant] est

arrivé et a saisi mon visage devant tout le monde, mettant ses deux

mains sur mes joues et me tenant comme s’il allait m’embrasser devant

tout le monde, et à ce moment-là, je me suis instinctivement figée, je ne

sais pas, c’était juste... C’était presque, enfin c’était un peu comme une

expérience extracorporelle quand vous êtes là debout là que vous

regardez au-dessous et que vous voyez que cette personne vous attrape

le visage, prête à vous embrasser en public ; je ne suis pas la seule à

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avoir eu cette réaction, mes deux collègues étaient également sous le

choc parce c’est arrivé sans crier gare, il n’était même pas dans mon

champ de vision à ce moment-là, lorsque j’avais cette conversation à

l’écart, je pense que le choc s’est imprimé sur mon visage, je pense

seulement... Je ne sais pas, je pense qu’il a remarqué à quel point j’étais

choquée et mal à l’aise et à quel point je me suis figée... eh bien, il a

lâché prise et s’est éloigné et ensuite j’ai juste essayé de faire comme si

de rien n’était, car c’est différent quand on est du côté des consultants

et non de [l’Organisation des Nations Unies] parce qu’en fin de compte

ce sont mes clients et si je dois respecter les protocoles de l’ONU, je

dois aussi appliquer les politiques de l’entreprise, donc... et il nous faut

toujours, plus ou moins, en cas de situation difficile, faire preuve de tact

et calmer le jeu, alors j’ai en quelque sorte mis cela de côté, nous étions

au beau milieu de cette grande fête et je ne voulais pas attirer l’attention

sur moi ou causer un quelconque dommage à la réputation de la société

qui m’emploie, alors j’ai en quelque sorte fait comme si de rien n’était

et il est vraiment resté très entreprenant tout le reste de la soirée et ce

n’était pas seulement avec moi, il y a eu d’autres collègues, à la fois des

membres du personnel de l’ONU et d’autres personnes, avec lesquelles

il a tout simplement dépassé les bornes de la bienséance, oui, alors...

30. En réponse à la demande de précision suivante : « lorsque [le requérant] vous a

attrapé, il vous a bien saisie au visage ? », BB a déclaré :

… Il me tient [sic] le visage entre ses deux mains ‒ je sais que c’est

un enregistrement audio mais il avait ses deux mains sur mes joues et il

me tenait le visage extrêmement près ... et je sais qu’il y a parfois des

différences culturelles quant à la distance convenable, mais là, c’était

obscènement près et j’ai vraiment pensé qu’il allait m’embrasser en

public.

31. EE, qui selon BB était l’un des deux collègues qui avaient été témoins des faits,

a lui aussi déposé sous serment auprès du BSCI. Le Tribunal relève que le requérant

n’a pas demandé sa comparution à l’audience pour un examen direct ou un contre-

interrogatoire, et n’a pas davantage tenté de contester sa crédibilité. Il observe en outre

qu’au moment des faits et de son entretien avec le Bureau, BB était employé par la

même société privée que EE, dont ils étaient tous deux détachés dans le cadre d’une

mission à l’Organisation des Nations Unies. EE n’avait avec BB qu’une relation de

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travail et se trouvait aux États-Unis pour une mission à l’ONU de trois mois seulement,

étant par ailleurs basé dans un autre pays.

32. EE a déclaré aux enquêteurs du BSCI qu’à la fête d’adieu, le requérant était

ivre, qu’il n’était pas dans son état normal, comme s’il avait beaucoup bu. Pour ce qui

est des faits concernant BB, EE a essentiellement confirmé le récit de cette dernière et

notamment déclaré qu’alors qu’une autre collègue et lui-même étaient en train de

bavarder avec BB, le requérant « [était] venu et [avait] essayé ... il [avait] saisi la

bouche de [BB] et il [avait] fait un geste comme pour l’embrasser », la tenant « par le

cou des deux mains ». EE a en outre indiqué que le requérant « tenait [BB] par le cou

comme s’il voulait le serrer ... Comme s’il essayait de l’étrangler ». En ce qui concerne

la façon dont BB avait réagi à cela, EE a indiqué qu’elle avait tout d’abord été choquée,

puis lui avait reproché de ne pas lui être venu en aide.

33. Parmi les autres témoignages recueillis par le BSCI, trois différents témoins ont

qualifié l’apparence du requérant à la fête d’adieu respectivement, comme suit : « ivre

... certainement en état d’ébriété ... peut-être pourriez-vous ... le classer comme

probablement hors de contrôle » ; « en état d’ébriété ... [le requérant] est normalement

une personne calme, il accomplit son travail et il était beaucoup plus énergique ce soir-

là ... il y a différents degrés d’ébriété, d’intoxication et lui, il était clairement heureux,

mais je ne dirais pas qu’il était hors de contrôle ou qu’il ne savait plus ce qu’il faisait à

ce moment-là » ; et « pompette ». DD, qui présente le demandeur comme un « bon

ami », a dit que celui-ci était une personne « extravertie » et « aimant s’amuser », et a

déclaré : « [J]e ne dirais pas qu’il était complètement bourré et j’étais avec lui jusqu’à

la fin de la soirée ».

34. Un témoin a déclaré que pendant la fête d’adieu, BB était venue le voir pour lui

dire qu’elle était « vraiment contrariée par la conversation » qu’elle avait eue avec le

requérant, que cela l’avait « un peu inquiété » et qu’il s’était mis à « prêter un peu plus

attention au comportement [du requérant] ». Ce même témoin a également déclaré :

« [BB] voulait être un peu entourée et nous sommes donc restés un peu longtemps ...

Je suis resté un peu plus longtemps et nous avons en quelque sorte accepté le fait qu’elle

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était avec nous pour nous assurer qu’elle était à l’aise, car elle était encore un peu

contrariée, comme je l’ai dit plus tôt ».

35. Le lendemain de la fête d’adieu, BB et CC ont rapporté le comportement du

requérant à deux membres du personnel de l’Organisation des Nations Unies, qui ont

eux-mêmes ainsi rapporté ce qu’ils leur ont dit :

a) L’une de ces personnes a rapporté leurs propos comme suit : « ‘‘Hé,

nous [BB et CC] étions à la fête hier soir. [Le requérant] est devenu très agressif

sur la piste de danse en attrapant ou en touchant les gens, et je crois qu’elles

avaient toutes deux indiqué qu’il était venu vers elles et avait essayé de les

embrasser, mais qu’elles l’avaient repoussé et que... Il n’arrêtait pas, c’était ...

il m’a semblé que... Ce n’était pas vraiment acceptable, désolée, il continuait

vraiment d’essayer et d’essayer et alors je pense que... Je ne sais même pas si

quelqu’un est intervenu, je crois que [nom supprimé] m’a dit qu’elle avait parlé

à [nom supprimé] de ce type, et lui avait dit qu’il dépassait un peu les bornes’’ ».

b) L’autre membre du personnel a indiqué que lorsque BB et CC lui

avaient rapporté les faits allégués, BB « [était] visiblement secouée, visiblement

et elles [lui avaient] parlé de harcèlement, [elle] ne [se souvenait] pas des mots

qu’elles [avaient] utilisés mais elles [avaient] certainement eu le sentiment

d’avoir été agressées d’une certaine manière ». Cette personne a ajouté que

l’une des deux (BB ou CC) lui avait dit que le requérant avait essayé de

l’embrasser, ou que peut-être toutes les deux lui avaient dit cela.

36. Le requérant n’a pas souhaité témoigner devant le Tribunal. Dans son entretien

avec le BSCI, il a déclaré qu’il avait bu « deux ou trois bières », « un peu de whisky »,

et qu’il s’était senti « surexcité » à cette fête d’adieu car c’était une occasion spéciale.

Il a toutefois nié avoir touché ou tenté d’embrasser BB. Il a cependant admis avoir

embrassé AA et une autre femme et a indiqué que cela n’était pas inhabituel pour lui

de le faire lorsqu’il dansait.

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37. Sur la base de ce qui précède, le Tribunal conclut que le défendeur a établi par

des preuves claires et convaincantes que la constatation ayant motivé la décision

contestée, selon laquelle le requérant avait « saisi le visage de [BB], l’avait serrée

contre lui, s’était penché vers elle et avait tenté de l’embrasser » était correcte. Pour

parvenir à cette conclusion, le Tribunal a notamment pris en considération les éléments

suivants :

a) Le témoignage de BB devant le BSCI, notant à cet égard que celle-ci,

en tant que consultante non membre du personnel de l’Organisation des Nations

Unies, n’avait d’autre intérêt dans cette affaire que la justice ;

b) Le témoignage donné au BSCI par EE, qui avait assisté aux faits de prêt,

confirmant en substance celui de BB ;

c) Les différents témoignages donnés par AA, BB et CC au sujet du

comportement du requérant à leur égard lors de la fête d’adieu, qui font tous

état d’un mode de comportement similaire ;

d) Les témoignages concordants selon lesquels le requérant était très agité

lors de la fête et également, au moins dans une certaine mesure, sous l’emprise

de l’alcool ;

e) Les exposés similaires donnés par deux hauts fonctionnaires de l’ONU

sur les rapports que BB et CC leur ont faits le lendemain de la fête.

38. Le Tribunal a également pris en considération les exposés des faits donnés par

le requérant, mais les a jugés peu convaincants parce qu’ils contredisent les autres

éléments de preuve. De même, il estime que le témoignage de DD n’entame d’aucune

manière possible la crédibilité de la constatation ayant motivé la décision contestée,

selon laquelle le requérant avait essayé d’embrasser BB. Compte tenu de ce qui

précède, le Tribunal conclut que la quantité appréciable de preuves corroborantes étaye

le témoignage donné par BB au BSCI, même en l’absence de son témoignage à

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l’audience. Pour cette raison, le Tribunal n’accordera aucune importance au fait que le

requérant n’a pas eu la possibilité de soumettre BB à un contre-interrogatoire.

39. En ce qui concerne plus particulièrement l’autre constatation selon laquelle le

requérant « [avait] essayé de se rapprocher physiquement de ... et de [BB] tout en

dansant, malgré [ses] tentatives de le tenir à distance », BB a indiqué au BSCI que, plus

tard au cours de cette fête d’adieu, le requérant lui avait demandé de danser en « [la]

tirant à lui devant un groupe d’autres collègues » et que, pour « désamorcer » la

situation, elle lui avait demandé à deux reprises « quelque chose comme ‘‘Allez-vous

être sage ?’’ ». La deuxième fois, le requérant avait répondu « oui ». En ce qui concerne

les faits ultérieurs, BB a indiqué ce qui suit :

... Il y avait là tout un groupe de personnes, donc j’essayais juste de

garder mes distances discrètement mais il n’arrêtait pas ... Il continuait

d’essayer de se rapprocher et moi je disais des choses comme « non,

non » comme « laisse-moi de la place » mais il n’en faisait rien ... et

puis il s’est mis à piquer une crise de colère, disant « je suis l’homme,

je mène la danse », ce sur quoi et je lui ai répondu quelque chose du

genre : « je suis la femme, je mène » ... juste pour calmer le jeu parce

qu’il y avait tout un groupe de personnes, jusqu’à ce que quelqu’un ...

l’un(e) de ses collègues, je suppose, intervienne et l’attire à lui(elle) ...

40. Le requérant a admis qu’il avait dansé avec BB dans le style « Latino

Americano, ce genre de danse des Caraïbes » et que BB l’avait « peut-être » repoussé.

Il a en outre présenté la situation comme suit :

... [N]ous étions sur la piste de danse, vous voyez, il y avait beaucoup

de couples qui dansaient. J’étais [sic] l’un de ces couples, je dansais le

Latino Americano, et c’est en quelque sorte ... ce qu’il faut faire.

L’homme doit mener, n’est-ce pas ? C’est comme ça qu’on danse.

L’homme doit prendre leurs mains comme ça, la femme est là et ensuite

elle doit suivre ce que l’homme fait. C’est le b.a-ba de cette danse, c’est

comme ça que ça marche ce n’est pas comme si je m’imposais, si

j’imposais ma présence ou si j’abusais d’elle ... c’est comme ça que ça

fonctionne.

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41. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime que le défendeur a établi de

manière claire et convaincante la deuxième constatation concernant BB. Il est

manifeste que quand bien même BB refusait ostensiblement d’adopter le style de danse

« Latino Americano » du requérant, celui-ci n’en a pas tenu compte et s’est obstiné à

poursuivre la danse à sa manière. À cet égard, le Tribunal prend acte du fait que dans

de nombreuses danses d’inspiration latino-américaine, les partenaires évoluent en se

tenant généralement très proches l’un de l’autre, ce que le requérant tentait précisément

de faire avec BB, alors que celle-ci ne le voulait pas.

Conclusions des parties relatives aux faits impliquant CC

42. Le requérant soutient qu’il « reconnaît avoir touché la main de [CC] alors

qu’elle était encore au travail pour l’encourager à rejoindre la fête, et l’avait touchée

de nouveau lorsqu’elle avait rejoint la fête, en guise d’invitation à participer à une

farandole (plus précisément une ‘‘Conga line’’) », mais rejette « l’allégation plus grave

selon laquelle il aurait pressé de force son corps contre le sien, de sorte qu’il se serait

effondré sur elle ». CC a confirmé que le premier incident l’impliquant s’était produit

« alors qu’elle se tenait juste devant le bureau d’[une autre personne], qui était au centre

de la fête et bordait la piste de danse », et elle a décrit les « gestes du requérant

l’obligeant à se pencher en arrière sur le bureau de [l’autre personne] et à réunir toutes

ses forces pour se dégager de lui ». Pourtant, l’enquête « n’a pas déterminé, et même

l’audience n’a pas permis d’expliquer pourquoi aucune des personnes que le BSCI a

interrogées n’a été témoin de cette rencontre physique, presque violente (qui, si elle

s’était produite comme [CC] l’a relaté, aurait dû les faire tomber tous deux – elle et le

requérant – par terre) ». CC, en outre, « n’a informé personne de cet incident, ce qui

semble mal s’accorder avec sa déclaration selon laquelle après cela, elle craignait pour

sa sécurité ».

43. Le requérant fait valoir que le défendeur avait conclu que « la faute présumée

[qu’il avait commise] à la fête pouvait être établie, par des preuves claires et

convaincantes, même en l’absence de témoins ». L’administration a estimé que « pour

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que la méconnaissance du comportement du requérant par les témoins soit

déterminante, il aurait fallu que ces derniers aient un intérêt beaucoup plus vif envers

les parties concernées et qu’ils aient pu les observer de façon plus continue », ce qui

n’était pas le cas, comme l’ont confirmé les témoignages entendus. Il est

« incontestable, compte tenu de la disposition de la fête, telle qu’elle a été confirmée à

l’audience, que presque toute personne sur la piste de danse et toute personne présente

dans l’espace des cubicules avait une vue directe sur le bureau de l’[autre personne] ».

Si le « contact physique gratuit » du requérant avec CC et la résistance que celle-ci lui

a opposée se sont produits comme CC l’a indiqué dans son témoignage, alors « cela

défie l’entendement que parmi les douzaines de personnes qui pouvaient voir

directement les faits, aucune n’avait un ‘‘intérêt suffisamment vif’’ pour faire ou dire

quelque chose à ce sujet ». Tout fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies

témoin de tels faits « aurait été tenu de signaler une éventuelle faute ; Or, aucun de

ceux qui étaient présents n’a signalé d’actes d’inconduite de la part du requérant ».

44. Le requérant fait valoir que CC a désigné un seul témoin des faits allégués

contre lui, à savoir [FF (nom supprimé)], qui, selon elle, l’a vue s’enfuir paniquée après

lesdits faits et lui a dit qu’elle avait l’air « paniquée ». Or, FF a déclaré aux enquêteurs

qu’il « n’a[vait] pas rencontré, et encore moins parlé à » CC ce soir-là. Personne

d’autre, « à aucun moment » de cette procédure, pas même les autres victimes

présumées, n’a corroboré le récit de » CC. La « seule explication raisonnable de

l’absence de témoins » de l’incident est que « cela ne s’est tout simplement pas

produit ». En ce qui concerne les faits, CC a affirmé dans son témoignage à l’audience

et pendant son entretien avec le BSCI que « toutes les interactions du requérant avec

elle étaient motivées par un désir sexuel, de sorte que l’acte de lui saisir la main et de

l’entraîner dans une farandole a[vait] pris un caractère sexuel, et constituait donc un

acte de harcèlement sexuel ». Or, « des témoignages non réfutés ont établi que le

requérant dansait des danses individuelles et collectives et interagissait de manière

enjouée avec d’autres collègues, hommes et femmes, sans distinction ».

L’Administration n’a donc pas réussi à établir, par des preuves claires et convaincantes,

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« un élément clé du harcèlement sexuel au sens du paragraphe 3 de la section 1 de la

circulaire ST/SGB/2018/5, à savoir que le comportement verbal ou physique ou tout

autre comportement du requérant était ‘‘à connotation sexuell’’ », en référence à

Nadasan 2019-UNAT-918, Bagot 2017-UNAT-718 et Requérant 2013-UNAT-280.

45. Le requérant a reconnu que « comme la farandole [était] passée devant [CC] à

plusieurs reprises, il l’a[vait] sans doute invitée deux ou trois fois à entrer dans la danse,

comme le faisaient d’ailleurs tous les participants, et ce en lui touchant la main »,

affirmant toutefois que tout contact physique s’était limité à ce geste. Selon le propre

témoignage de CC, lorsque celle-ci a demandé au requérant de cesser de l’inviter à

entrer dans la danse, c’est-à-dire lorsque le requérant a été averti du caractère importun

de ses actions, il y a immédiatement mis fin (voir, en comparaison, l’affaire Bagot).

46. Le requérant affirme que la thèse du défendeur selon laquelle le Tribunal doit

accorder plus de poids au témoignage de CC qu’à celui des autres témoins, y compris

FF, défie le bon sens, lequel voudrait qu’une telle situation extrêmement physique, se

produisant au beau milieu d’une fête nombreuse, fût remarquée. CC « a déclaré que,

bien que la piste de danse fût bondée lorsque le requérant avait tenté de l’entraîner de

force (et qu’elle était parvenue à l’éloigner), elle ne se rappelait pas qui était présent à

ce moment-là, et qu’elle n’avait ensuite dit à personne, à la fête, ce qui s’était passé.

La question n’est « pas de savoir si CC ‘‘pensait à noter qui était présent et qui pourrait

servir de témoin plus tard dans une enquête’’, comme le soutient le défendeur, mais si

les faits auraient pu se dérouler ainsi que l’indique [CC]. »

47. Le requérant soutient que les autres faits allégués relatifs à son comportement

à l’égard de CC ne sont pas constitutifs de harcèlement sexuel. Il a reconnu avoir touché

la main de CC, sans doute à plusieurs reprises, pour l’inviter à rejoindre la farandole,

comme le faisaient les autres participants à la danse, et fait valoir que le défendeur ne

conteste pas qu’il ait cessé de le faire dès lors que CC lui avait clairement fait savoir

que cela la mettait mal à l’aise.

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48. Le défendeur fait quant à lui valoir, en substance, que les constatations

concernant CC ayant motivé la décision contestée sont établies par des preuves claires

et convaincantes et que le témoignage de CC devant le Tribunal concorde avec celui

que celle-ci a donné au BSCI.

49. Le Tribunal relève que personne d’autre, en effet, n’a été témoin de la présumée

tentative du requérant d’embrasser CC. La version des faits présentée par CC est

toutefois correctement reflétée dans la transcription de son témoignage devant le BSCI

et dans ses déclarations à l’audience devant le Tribunal, où elle a exposé la situation de

manière crédible, tant lors de la présentation des preuves directes que lors du contre-

interrogatoire. En outre, le Tribunal note que CC n’aurait aucune raison d’essayer

d’impliquer à tort le requérant ; au contraire, cela ne ferait que compliquer sa situation

professionnelle puisqu’elle a été engagée par l’ONU en tant que consultante privée et

se trouve donc dans une position plus précaire que celle d’un fonctionnaire de

l’Organisation, n’ayant pas qualité pour contester devant la justice interne toute

décision liée à son emploi. Les témoignages de CC révèlent également un mode de

comportement du requérant, lors de la fête d’adieu, qui correspond à celui dont AA et

BB ont fait l’expérience et que d’autres témoins ont confirmé.

50. Le Tribunal note que les faits proprement dits n’ont pas donné lieu à une

interaction prolongée entre le requérant et CC, mais se sont produits en un instant. En

outre, il ressort de tous les témoignages et des photos prises à la fête d’adieu que

l’ambiance y était effectivement très festive, que des gens animés y dansaient au son

d’une musique forte et qu’il y avait beaucoup de monde. L’incident peut donc

facilement avoir échappé à l’attention de tous. En conséquence, l’affirmation du

requérant selon laquelle les faits allégués ne se sont pas produits parce que personne

d’autre n’en a été témoin n’est pas crédible.

51. Par conséquent, le Tribunal estime que le défendeur a démontré par des preuves

claires et convaincantes que le requérant « [a]vait essayé de saisir le visage de [CC],

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lui a[vait] saisi les mains et a[vait] tenté de les séparer alors qu’elle les [a]vait placées

devant son visage, puis [s’était] effondré sur elle alors qu’elle résistait ».

52. En ce qui concerne l’autre épisode impliquant CC, le Tribunal note que le

requérant nie seulement avoir essayé d’entraîner CC dans la farandole contre son gré.

Compte tenu des autres éléments de preuve versés au dossier de l’affaire, y compris le

propre témoignage du requérant devant le BSCI, au cours duquel il a déclaré que CC

« n’était pas contente qu’[il] l’invite à danser », le Tribunal estime que le défendeur a

montré de manière claire et convaincante que le requérant « avait tiré [CC] par les

mains, qu’il avait prises, pour essayer de la faire danser, malgré sa résistance ».

Les faits établis sont-ils constitutifs de faute professionnelle et la mesure disciplinaire

était-elle proportionnée à la faute ?

Moyens des parties

53. Le requérant fait valoir que, puisque les seuls faits qu’il reconnaisse sont ceux

qui impliquent AA, son licenciement était une sanction « gravement

disproportionnée ». Il précise à cet égard, que AA « a clairement indiqué dans son

entretien avec le BSCI qu’elle ne considérait pas que [son] comportement, pris dans

son contexte manifeste d’ambiance festive, avait des motivations sexuelles, et qu’il ne

l’avait ni choquée ni humiliée ; elle avait pensé qu’ils pourraient régler cela entre eux,

et c’est ce qui [s’était] passé ». Selon le requérant, « l’expérience subjective de [CC] a

été différente » et le fait de l’entraîner dans une farandole contre son gré « ne

constitu[ait] objectivement pas un acte de harcèlement sexuel ». Il ajoute que le

défendeur ne conteste pas que AA « estimait que [son] comportement ne justifiait pas

une plainte officielle, que cette affaire avait été dûment réglée de manière informelle

et qu’elle avait été réglée à sa satisfaction, comme elle l’avait confirmé dans sa lettre

de soutien ».

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54. Le défendeur soutient, en substance, que les faits établis constituent une faute

et que la sanction, à savoir le licenciement avec indemnité tenant lieu de préavis et

indemnité de licenciement, était proportionnée.

Le comportement du requérant est-il constitutif d’une faute ?

55. Le Tribunal note que la circulaire du Secrétaire général applicable au moment

de la fête d’adieu est la circulaire ST/SGB/2008/5 (Interdiction de la discrimination,

du harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, et de l’abus de pouvoir) dans laquelle

le « harcèlement sexuel » est défini comme suit (voir par. 3 de la sect. 1) :

… Le harcèlement sexuel s’entend de toute avance sexuelle

importune, de toute demande de faveurs sexuelles ou de tout autre

comportement verbal ou physique à connotation sexuelle

raisonnablement propre ou de nature à choquer ou humilier, lorsqu’il

entrave la bonne marche du service, est présenté comme une condition

d’emploi ou crée au lieu de travail un climat d’intimidation, d’hostilité

ou de vexation. S’il procède généralement d’un mode de comportement,

le harcèlement sexuel peut résulter d’un acte isolé. Il peut mettre en

présence des personnes de sexe opposé ou du même sexe, et homme et

femme peuvent en être la victime ou l’auteur.

56. Le Tribunal estime que, de prime abord, le fait d’embrasser ou de tenter

d’embrasser quelqu’un sur le lieu de travail à l’ONU est généralement constitutif de

harcèlement sexuel. Le principal élément subjectif est de savoir si la victime présumée

a consenti au baiser et, dans le cas où elle ne l’aurait pas fait explicitement, si ses

paroles et ses gestes pouvaient répondre raisonnablement laisser croire au requérant

qu’elle ferait bon accueil à son baiser. Le contexte est également important, notamment

l’occasion et l’environnement culturel ‒ en principe, personne ne devrait s’attendre à

être embrassé sur le lieu de travail, et si cela se produit, il convient de prendre aussi en

considération la dynamique du pouvoir entre l’auteur présumé des faits et la victime.

57. Le Tribunal constate que le défendeur a établi de manière claire et convaincante

que le requérant avait embrassé ou tenté d’embrasser AA, BB et CC à la fête d’adieu

et qu’aucune des trois n’y avait consenti ou donné la moindre indication qu’un tel geste

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serait acceptable. En outre, même si les faits n’ont pas eu lieu pendant les heures de

travail, les circonstances étaient toujours celles du travail, puisqu’il s’agissait d’une

fête d’adieu organisée au bureau pour un membre du personnel. Personne ne devrait

s’attendre à ce que l’on tente de l’embrasser dans ces circonstances.

58. Dans le cas d’AA, peu importe qu’il fût normal pour le requérant d’embrasser

sa partenaire après une danse ‒ ce qui compte, c’est la façon dont AA a perçu le baiser

et il est manifeste qu’elle ne l’a pas apprécié. BB et CC, quant à elles, étaient à cent

lieues de s’attendre à cette tentative de les embrasser et aucune des deux n’avait laissé

entendre de quelque manière qu’un baiser du requérant serait le bienvenu. En outre,

toutes deux étaient des consultantes du secteur privé travaillant pour l’ONU et donc

dans une position délicate vis-à-vis d’un cadre de l’Organisation de la classe P-5 tel

que le requérant.

59. En ce qui concerne la danse avec AA et BB et les tentatives d’entraîner CC

dans une farandole, ces actes sont certes moins importuns que le baiser ou la tentative

de baiser, mais ils ne font qu’ajouter à la gravité générale des agissements du requérant

dans ces circonstances.

60. Le Tribunal estime en conséquence que le Secrétaire général adjoint avait toute

latitude pour décider que les faits établis constituaient une faute.

La sanction est-elle proportionnée ?

61. Le principe de proportionnalité en matière disciplinaire est énoncé dans la

disposition 10.3b) du Règlement du personnel, qui prévoit que « toute mesure

disciplinaire prise à l’encontre du fonctionnaire en cause doit être proportionnelle à la

nature et à la gravité de la faute commise ».

62. En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l’Administration en matière

de sanction pour faute, le Tribunal d’appel a dit que la question de la sévérité de la

sanction était généralement du ressort de l’Administration, qui a le pouvoir

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discrétionnaire de prendre la mesure qu’elle juge appropriée compte tenu des

circonstances de l’affaire et des agissements et du comportement du fonctionnaire

concerné, et que le Tribunal ne devait pas empiéter sur ce pouvoir, à moins que la

sanction prise soit manifestement illégale ou arbitraire, qu’elle dépasse les limites

définies par les normes applicables, ou qu’elle soit excessive, abusive, discriminatoire

ou d’une sévérité absurde (Portillo Moya 2015-UNAT-523, par. 19-21 ; voir aussi Sall

2018-UNAT-889, Nyawa 2020-UNAT-1024).

63. Le Tribunal d’appel a en outre déclaré que la déférence requise ne valait pas un

acquiescement sans réserve, et que si le Tribunal du contentieux devait s’abstenir

d’imposer ses préférences et laisser une marge d’appréciation au Secrétaire général, il

n’en restait pas moins que toute décision administrative devait être régulière,

raisonnable et inscrite dans une procédure équitable. Le Tribunal d’appel a précisé que

cela signifiait que le Tribunal du contentieux administratif devait évaluer

objectivement le fondement, l’objet et les effets de toute décision administrative

pertinente (Samandarov 2018-UNAT-859, par 24).

64. À la lumière de ces faits établis et de la constatation de faute, les six épisodes

mentionnés dans la décision disciplinaire attaquée peuvent essentiellement être

résumés comme suit : le requérant a commis des actes de harcèlement sexuel lorsqu’en

tant que cadre de la classe P-5, il a embrassé ou tenté d’embrasser trois femmes, dont

au moins deux étaient dans une situation subalterne au travail, et a par ailleurs agi de

manière importune à l’égard d’elles trois lors d’une fête sur le lieu de travail.

65. Il ressort de la pratique passée de l’Organisation que les mesures disciplinaires

les plus sévères ont été imposées dans les affaires de harcèlement sexuel, à savoir la

cessation de service ou le licenciement conformément à la disposition 10.2 a) du

Règlement du personnel; ces mesures ont été confirmées par le Tribunal d’appel dans

divers arrêts, comme, par exemple, Requérant 2013-UNAT-280, Requérant 2013-

UNAT-302, Khan 2014-UNAT-486 et Nadasan 2019-UNAT-918. Le Tribunal d’appel

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a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Mbaigolmem (2018-UNAT-819) : (traduction non

officielle)

… Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est un fléau qui sape

le moral et le bien-être des fonctionnaires qui en sont victimes. Il a ainsi

des effets néfastes sur l’efficacité de l’Organisation, qu’il empêche de

maintenir en son sein des conditions de travail sûres, saines et

productives. Celle-ci a le droit et l’obligation de faire alors preuve de

sévérité. Il doit donc être clairement signifié que les membres du

personnel qui harcèlent sexuellement leurs collègues doivent s’attendre

à perdre leur emploi.

66. En conséquence, le Tribunal conclut que le licenciement avec indemnité tenant

lieu de préavis et indemnité de licenciement était une sanction qui relevait du pouvoir

discrétionnaire du Secrétaire général adjoint.

Anonymat

67. Par l’Ordonnance no 178 (NY/2020) en date du 9 novembre 2020, le Tribunal

a ordonné que les noms du requérant et de toutes les autres personnes mentionnées dans

le présent jugement ne soient pas publiés. Cela résultait de la situation dans laquelle

divers documents confidentiels et, par implication, également les noms de certains

témoins en l’espèce et de l’entreprise dans laquelle BB et CC travaillaient avaient été

révélés sur un blog privé sans relation avec l’ONU. Afin de protéger la vie privée de

ces témoins, le Tribunal a donc ordonné que toutes ses ordonnances antérieures soient

retirées de son site Web et que soit maintenu l’anonymat de tou(te)s les intéressé(e)s.

68. Dans ses conclusions finales, le défendeur fait valoir que cet anonymat doit être

levé car, « au nom de la transparence et du principe de responsabilité », le nom du

requérant devrait être indiqué dans le présent jugement conformément à la pratique

habituelle du Tribunal du contentieux administratif, et que « les actions non autorisées

et indépendantes du tiers que le Tribunal a déclaré coupable d’outrage ne devraient pas

modifier cette pratique habituelle ». Le défendeur fait en outre valoir que le Tribunal

d’appel a déclaré que la confidentialité avait pour but de protéger les victimes de fautes,

que « ce n’est pas le cas du requérant, bien au contraire », et que « l’embarras et le

Page 27: o RIBUNAL DU CONTENTIEUX o ADMINISTRATIF DES NATIONS

Affaire no: UNDT/NY/2019/047

Jugement no UNDT/2021/007

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désagrément personnels [n’étant pas] des motifs suffisants pour accorder la

confidentialité, le requérant ne devrait pas être traité différemment de toute autre

personne nommée dans les décisions publiées du Tribunal qui deviennent de notoriété

publique ».

69. Le Tribunal note que le maintien de l’anonymat de tou(te)s les intéressé(e)s

dans la présente affaire vise précisément à protéger les victimes des fautes commises,

ainsi que l’identité des témoins et la confidentialité des dossiers disciplinaires de

l’Administration. L’ordonnance no 178 (NY/2020) concernant l’anonymat demeure en

conséquence applicable.

Dispositif

70. La requête est rejetée.

(Signé)

Mme Joelle Adda, juge

Ainsi jugé le 3 février 2021

Enregistré au Greffe le 3 février 2021

(Signé)

Nerea Suero Fontecha, greffière, New York