mutus liber

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1 Mutus Liber revu le 4 août 2006 Plan : I. introduction [journal des Savants, 1677 - frontispice du ML - les versets du Pentateuque : Gen 28, 11 , 12 - Gen 27, 28 , 39 - Deut 33, 13 , 28 - le sel végétal fixe - l'esprit volatil sulfureux - quaternité - l'esprit nitro-aérien - le sacrifice d'Abraham - la Philosophie - putrefactio - la Discorde - la source vive - planche quatrième : la fixation - Nemrod ou la parabole sur la cohobation - la tunique de Nessus - les cinq formes de renaissance ] - tableau des planches - II. Explication des opérations - III. Mutus Liber : planches I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV - IV. Epilogue : Soulat des Maretz - bibliographie sommaire - figures du Rosarium Philosophorum commentées : I - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - XI - XVII - XXI - Abréviations : Myst. : Mystère des Cathédrales [Fulcanelli] ; DM I ou II : Demeures Philosophales [Fulcanelli et Eugène Canseliet] - BCC : Bibliotheca Chemica Curiosa [Manget] - TC : Theatrum Chemicum [Zetzner] - ML : Mutus Liber - Ros. Phil. : Rosarium Philosophorum - Ancien Testament : Gen (Genèse) ; Deut (Deutéronome) - | SH : Serge Hutin - Turba XXXV, 1 [Tourbe des philosophes, sermon 35, version 1] - I. Introduction Le 16, d'août 1677 paraît un article dans le Journal des Sçavants [pp. 193-196] JOURNAL DES SAVANTS Du Lundi 16 Aout M. DC. LXXVII. MUTUS LIBER, IN QUO TATEM TOTA Philosophia Hermetica figuris hieroglyphicis depingitur, Aurore cujus nomen est Altus. In fol. Rupellae apud Petrum Savouret 1677. Et se trouve à Paris chez Pierre le Petit et Estienne Michaller. Tout le monde sait qu’Hermès est le premier qui a eu la Science de la Transmutation des Métaux, après laquelle on voit encore tant de gens inutilement occupés. L’Auteur de ce livre prétend

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Mutus Liber

revu le 4 août 2006

Plan : I. introduction [journal des Savants, 1677 - frontispice du ML - les versets du Pentateuque : Gen 28, 11, 12 - Gen 27, 28, 39 - Deut 33, 13, 28 -le sel végétal fixe - l'esprit volatil sulfureux - quaternité - l'esprit nitro-aérien - le sacrifice d'Abraham - la Philosophie - putrefactio - la Discorde - la sourcevive - planche quatrième : la fixation - Nemrod ou la parabole sur lacohobation - la tunique de Nessus - les cinq formes de renaissance] - tableau des planches - II. Explication des opérations - III. Mutus Liber :planches I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV -IV. Epilogue : Soulat des Maretz - bibliographie sommaire -

figures du Rosarium Philosophorum commentées : I - III - IV - V - VI - VII -VIII - IX - XI - XVII - XXI -

Abréviations : Myst. : Mystère des Cathédrales [Fulcanelli] ; DM I ou II :Demeures Philosophales [Fulcanelli et Eugène Canseliet] - BCC : Bibliotheca Chemica Curiosa [Manget] - TC : Theatrum Chemicum [Zetzner]- ML : Mutus Liber - Ros. Phil. : Rosarium Philosophorum - AncienTestament : Gen (Genèse) ; Deut (Deutéronome) - | SH : Serge Hutin - Turba XXXV, 1 [Tourbe des philosophes, sermon 35, version 1] -

I. Introduction

Le 16, d'août 1677 paraît un article dans le Journal des Sçavants [pp. 193-196]

JOURNAL DES SAVANTS

Du Lundi 16 Aout M. DC. LXXVII.

MUTUS LIBER, IN QUO TATEM TOTA

Philosophia Hermetica figuris hieroglyphicis depingitur, Aurore cujusnomen est Altus. In fol. Rupellae apud Petrum Savouret 1677.

Et se trouve à Paris chez Pierre le Petit et Estienne Michaller.

Tout le monde sait qu’Hermès est le premier qui a eu la Sciencede la Transmutation des Métaux, après laquelle on voit encoretant de gens inutilement occupés. L’Auteur de ce livre prétend

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montrer ici tout le mystère de cette haute Philosophie & tout leprogrès de cet Art, par de seules figures hiéroglyphiques, sansaucun discours & sans nulle explication. C’est ce qui le faitappeler le Livre Muet, ne disant pas même le nom de celui à qui ildoit le jour. Ceux qui se plaisent à se ruiner à la recherche dugrand œuvre ne seraient peut-être pas fâchés qu’on donnât icil’âme & la parole à tant de figures muettes qui composent ceLivre. Je me contenterai d’en déchiffrer quelques- une, laissant àl’Auteur la liberté de leur donner tel autre sens qu’il lui plaira. Unpeu au-dessus du milieu de la deuxième planche on voit uneVessie de verre ou Œuf des Philosophes, dans lequel il paraît unNeptune, qui s’élève sur un Dauphin ayant sous ses bras deuxfigures humaines avec les caractères de l’or & de l’argent sur latête. Il semble que l’Auteur veuille montrer par-là qu’il faut mettreces deux nobles Métaux dans l’œuf des Philosophes pour s’yfermenter & s’ouvrir par le sel volatil du Nitre tiré du sel communqui est très fixe, représenté par un Dauphin, duquel ce Neptunes’élève. Ce sel volatil nitreux qui est l’agent universel desPhilosophes, et qui contient leur sel, leur soufre & leur mercureest excité par la douce & humide chaleur du Bain vaporeux à feude lampe, comme on voit au bas de cette même Planche. Maisparce que ce sel nitre doit être parfaitement purifié, & tel qu’il setrouve partout dans l’air, séparé des soufres étrangers, de l’alun,& d’un sel fixe commun, la quatrième Planche semble montrer quelorsque le Soleil est dans le Signe du Bélier ou du Taureau, il fautramasser sur des linges bien nets la Rosée céleste imprégnée dece feu fixe, & sel solaire, que l’air condensé par la fraîcheur de lanuit laisse tomber sur la terre, ainsi qu’une éponge pressée rendl’eau qu’elle contenait dans ses pores. Lorsque ce sel Solaire quin’est autre chose qu’un Nitre très purifié est concentré & pétrifiépar une adroite préparation, il imbibe la lumière & devient un petitSoleil artificiel. Peut-être est-ce ce feu perpétuel des Urnes desanciens si célèbre dans l’Antiquité, & si recherché par lesmodernes : & peut-être aussi les nouveaux Phosphores de M.Krafft [p. 190 : Liqueur de Terre Seiche de sa composition qui jettentcontinuellement de grands éclats de lumière] dont nous avons parlédans le journal précédent, ne sont-ils autre chose qu’unepréparation de ce même Nitre. Ce même sel étant dûment réduiten liqueur devient l’alcaest, ou dissolvant universel tant caché parles Maître de l’art : aussi l’expérience fait voir que le sel volatil dela Rosée de Mai dissout l’or aussi facilement que l’eau chaudedissout la glace. On voit dans la huitième Planche ce mercure desPhilosophes qui est le soleil & l’âme des plantes employé à ouvrirces deux nobles Métaux à l’aide de la chaleur du Bain vaporeux,& par le moyen de deux substances qu’il contient, dont l’une estblanche & l’autre rouge. La blanche est la Lune des philosophes,& la rouge ou l’intérieure est leur Soleil ; & c’est de cette dernièreque les Maîtres de l’Art tirent avec de l’esprit de vin une teinturequi est le véritable Or Potable des Philosophes, après que le Nitreétant refroidi a pris une couleur bleue en quittant la verte, qu’ilavait acquise dans le Creuset par deux heures de cuisson. C’est

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aussi cette partie intérieure du Nitre, qui est le soufre homogène àcelui de l’or, puisqu’il acquiert sa couleur par degrés, & qu’étantpréparé d’une façon il donne un très belle teinture d’or au Réguled’antimoine. Dans les quatre Planches qui suivent ce Sel Nitre oumenstrue universel est employé à disposer le mercure commun.La treizième Planche contient la Projection, & la quatorzièmesemble enseigner la façon d’une minière artificielle & perpétuelle,dans laquelle l’or & l’argent croissent comme les Plantes sur laTerre : Puisque l’expérience fait voir qu’une once d’argent decoupelle dissout dans l’esprit de Nitre croît dans une fiole enarbre Métallique, si on y ajoute demi-livre d’eau de fontaine, &environ deux onces de bon Mercure commun. Enfin la quinzième& dernière Planche semble montrer que le Mercure commun quiétait autrefois indomptable comme un Hercule, sous la figureduquel cet Auteur le représente, est enfin terrassé, & qu’après samort il s’en forme le Soleil & la Lune, c’est-à-dire l’or & l’argentartificiel des véritables philosophes Hermétiques.

L'analyse du ML est pour le moins sommaire mais l'auteur dégagel'importance du Nitre [appelé sel volatil nitreux] ainsi que de la roséecéleste. Autant dire la substance et la forme du feu secret desalchimistes, autrement appelée Mercure .

Le 9, de mai 1686, Limojon de saint Didier, l'un des Français lesmieux éclairés sur l'Art sacré écrit une Lettre d'un Philosophe Sur le fecret du grand Oeuvre écrite au fujet des Inftructions qu'Ariftée alaiffées à fon Fils, touchant le Magiftere Philofophique. Des passages de cette Lettre pourraient presque servir de sous titre àbien des planches du ML.

Pifcis pifce capitur, volucrifque avi,Aer quoque capitur aere fùavi.

Remarquez bien ces paroles, elles renferment tout le fecret de l'air desPhilosophes que le Cosmopolite nous expofe fous le nom de l'aiman Philofophique ; lorsqu'il dit, aer generat magnetem, magnes verogenerat, vel facit apparere aerem noftrum ; c'eft-là ( dit-il ) l'eau denoftre rofée, de laquelle fe tire le falpetre des Philofophes, qui nourrit,& qui fait croître toutes chofes ;

On voit que la rosée est le processus dynamique qui conduit,progressivement, à l'obtention du dissolvant des métaux oualkaest de Glauber. Rosée et salpêtre sont à l'identique de rose etcroix, c'est-à-dire en langue hermétique, fleur et étoile. Nous yreviendrons dans le § II touchant aux explications de certainesplanches.

Le Mutus Liber ou Livre Muet est l'un des fleurons de l'iconographie

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alchimique. Eugène Canseliet en a établi une édition critique en1958 [L'Alchimie et son Livre muet (Mutus Liber). Réimpressionpremière et intégrale de l'édition originale de La Rochelle - 1677 -Introduction et commentaires par Eugène Canseliet, F.C.H., disciple deFulcanelli. A Paris, chez Jean-Jacques Pauvert - cité in l'Alchimieexpliquée sur ses Textes classiques, Pauvert, 1972, 1980, p. 37]. Il y revient dans l'Introduction de son Alchimie quand il évoque lacomposition gravée qui abrite le titre :

Le livre Muet, dans lequel cependant toute la Philosophie hermétiqueest représentée en figures hiéroglyphiques, consacré au Dieu

miséricordieux, trois fois très bon et très grand, et dédié aux seuls fils del'art, par l'auteur de qui le nom est Altus.

Mutus Liber, in quo tamen tota Philosophia hermetica, figurishieroglyphisis depingitur, ter optimo maximo Deo misericordi

consecratus, solisque filiis artis dedicatus, authore cuius nomen estAltus.

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planche inaugurale du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa,Mangetus, 1702 [cliquez sur les nombres associés aux chapitres du

Pentateuque pour accéder au verset correspondant]

Ce texte est suivi de nombres en chiffres arabes qui indiquent despassages du Pentateuque :

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21. 11. 82. Neg. - 93. 82. 72. Neg. - 82. 31. 33. Tued. dont le rétablissementconduit à : Gen(esis) - Genèse - chap. 28, 11 et 12 - Gen(esis) - Genèse -chap. 27, 28 et 39 - Deut(eronomium) - Deutéronome - chap. 33, 13 et 28.

[certaines sources donnent Deut 33, 18 au lieu de 33, 13 mais la graphieindique bien 33, 13. Du reste, à prendre le verset Deut 33, 18 on se rendraitcompte que le sens serait perdu].

La Bible a donné lieu à des interprétations très variées en dehorsde son sens premier. On a voulu y voir, entre autre, des intentionsoccultes. Ce n'est pas là le message professé par des hermétistescomme Fulcanelli ou E. Canseliet qui ont su dégager l'alchimie dela gangue d'obscurantisme théosophique dans laquelle, vers la findu XIXe siècle, des cercles de sectateurs égarés voulaient fairechoir l'Art sacré. Le passage de la Bible qui a les rapportspeut-être les plus immédiats avec l'alchimie est le suivant, reprismaintes fois :

« C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudraisqu'il soit déjà allumé. » [Lc 12, 49]

Le verset se rapporte à la raison de la présence du Christ parminous; d'un autre point de vue, l'Artiste y voit une parabole sur lefeu secret dont sa doit être mondée. Ce feu, c'est évidemment

son Mercure dont l'obscurité radiante est la marque du sol niger

qui, d'abord, marque l'oeuvre du sceau de la ténèbre. Sceauou plutôt scel que la cabale autorise à rapprocher du vocable SEL. Mais déjà, l'égarement guette l'impétrant car les Adeptes ontdissimulé le fait suivant : il y a deux « S(C)ELS » dans l'oeuvredont l'un sert de moyen - d'objet - alors que l'autre est la fin - et lesujet - des Sages. Comment démêler l'écheveau ? Le feu secretdes alchimistes se présente comme une substance poudreusevoire porphyrisée, devant être tenue à l'abri de et depréférence, en dehors des rayons du . Cyliani s'exprime ainsilà-dessus :

« Je vis alors deux superbes vases en cristal reposant chacun sur unpiédestal du plus beau marbre de Carrara. L'un de ces vases était en formed'urne, surmonté d'une couronne en or à quatre fleurons; on avait écrit enlettres gravées dessus: Matière contenant les deux natures métalliques.L'autre vase en cristal était un grand bocal bouché à l'émeri, d'une forteépaisseur, on avait gravé pareillement dessus ce qui suit: Esprit astral ouesprit ardent, qui est une déjection de l'étoile polaire. Ce vase était surmontéd'une couronne d'argent ornée de neuf étoiles brillantes. » [HermèsDévoilé, Introduction]

L'étude de nombreux textes du corpus permet de montrer que lepremier vase contenant la nature métallique ressortit de la fleurou ανθος αµµονος. La forme d'urne [qui est aussi celle du noeudascendant du dragon ou ingrès ] atteste qu'il s'agit d'un tertretumulaire où il n'est pas difficile de voir le tombeau récurrent des

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gravures du Ros. Phil. En d'autres termes, il s'agit de l'antimoinesaturnin d'Artephius et de Tollius. Et les deux natures métalliquessont les corps du et de . Quant à l'autre vase, il s'agit duvase de nature qui est formé d'une substance d'origine ou plutôtd'essence céleste: les Adeptes la nomment crachat de Lune ousuc de la Lunaire : c'est la déjection de l'étoile polaire ou Aimantdes métaux. Ce second vase est surmonté d'une couronned'argent, dont le symbole n'est pas mais . Voilà qui permetde distinguer le SCEL de l'oeuvre du principe SEL dontl'idéogramme est . Nous avons ainsi trois principes qui sont, entoute virtualité, vifs : les corps mêlés sont réduits sous troisgenres principaux, savoir le végétal, l'animal et le minéral. Leminéral joue un rôle particulier par sa relation aux terres et auxpierres : il forme donc la matrice du lapis [la résine ou toyson de l'oralchimique que certains appellent encore terra alba foliata]. Le végétalcorrespond au principe de multiplication du lapis et et permet dejeter quelque lumière sur l'obscurité des chiffres que l'on observeà la planche 13 du ML [100 - 1000 - 10 000, etc.] où, manifestement,un processus d'accroissement est à l'oeuvre, après que l'oeufphilosophique a été introduit dans l'athanor.

Baro Urbigerus, Besondere Chymische Schriften, Hamburg, 1705 - lesdeux natures métalliques et la matière minérale

À gauche, l'esprit astral dans la vision d'Urbigerus. À droite, lesnatures métalliques. L'esprit astral ou esprit ardent permet despiritualiser les corps en les rendant glorieux, ce qu'atteste la forme stellaire prise par les métaux, de même que la couronne.De l'autre côté, le personnage affecte la même pose que le rêveur

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de la planche I du ML. Les Soufres des métaux dorment dans leurgîte, ce qu'on reconnaît à l'amande dans laquelle chacun setrouve reclus. Amande où là encore on devine sans effort celledes branches d'églantier ou de rosier qui ornent le frontispice duML. Il n'est pas jusqu'au Monde, la lame XXI du tarot, qui ne puisse être évoquée [voir Antoine Court de Gébelin : Monde primitif,analysé et comparé avec le monde moderne vol. 8, tome 1, Paris 1781,pp. 365- 410] mais nous ne pouvons, dans le cadre de cettesection, développer une amplification là-dessus [voir tarotalchimique]. Quoi qu'il en soit, l'artifice mystérieux qui fait l'un desgrands secrets des alchimistes permet de transformer unesubstance - ou un ensemble de substances - en sorte d'opérer satransmutation [transfert] d'un état inanimé [état amorphe] à un étatoù l'âme a été infusée [état cristallin] où survient une circulation.Urbigerus [alias Borghese ou C. de Siebenb] a consacré sonCirculatum minus Urbigeranum [London, 1690] au sujet. Il n'estpeut-être pas inutile de donner un extrait de la Circulation MineureUrbigurienne :

VI. La troisième manière commune consiste seulement en laconjonction d’un Sel Végétal fixe avec son propre Esprit volatilsulfureux, choses qui peuvent être aisément trouvées toutes préparéespar tout vulgaire chimiste ; et puisque dans leur préparation le soufrele plus pur, contenant l’esprit, a souffert par leur manipulation nonphilosophique, ils ne peuvent être inséparablement liés sans un médiumsulfureux, par lequel l’Ame étant renforcée, le Corps et l’Esprit sontaussi à travers lui rendus capables de la plus parfaite union.

C'est évidemment au mariage de et de que nous sommes

invités. Le sel végétal fixe est évoqué dans la planche 4 du ML. Est-il besoin d'ajouter que l'encadrement de la scène par le Bélier[lieu d'exaltation traditionnelle du ] et le Taureau [exaltation de la ]abonde dans le sens de cette interprétation ? Il faudrait revoir laplanche qui débute le Triomphe hermétique [Limojon de saint Didier].L'esprit volatil sulfureux [il s'agit de l'esprit sulfureux volatile vitrioliquede Stahl, obtenu dans la distillation du vitriol : l'exposition à l'air libre le rendà la qualité d'acide vitriolique - voir planches du Dictionnaire de Pernety, n°166] se rapporte sans doute à celui qui est évoqué par BasileValentin dans son Dernier Testament [voir Christophle Glaser, Traitéde la Chymie, Paris, 1663, pp. 242-246 in http://pwp.netcabo.pt/r.petrinus/calc-destvitr-f.htm]. Le renforcement del'Âme passe, on l'a vu, par un agent intermédiaire qui prend diversnoms dont celui de rosée. Il s'agit là d'une partie du feu secret,véritable aqua viva ou fontaine de jouvence. Cette aurifontina estdécrite dans l'une des gravures du Ros. Phil. et elle forme lechapitre I de Jung, Psychologie du Transfert [trad. Albin Michel 1980]. Des rapports nets s'établissent entre quatre planches [1, 4, 9, 12] du ML et cette première gravure. La fontaine est tripartite : laplanche 1 du ML possède aussi ce caractère, quoique moins

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évident : le rêveur dont la tête repose sur le rocher est comme untrait d'union entre la Terre et l'air [entendu comme spiritus]. Ils'agit presque de la représentation d'un tableau dans un autretableau puisque nous voyons ce que voit le personnage : un songe. C'est donc, d'une certaine manière, une réalité psychique.Peut-on en dire autant de la croyance en Dieu qui est l'expressionnumineuse d'une représentation éidétique ? Nous ne saurionsaller jusque là, mais Jung, dans sa Réponse à Job [trad. BuchetChastel, 1959] semble formel. C'est un point d'importance :

« La controverse est née du préjugé singulier selon lequel rien n'est vrai quece qui se présente ou s'est présenté sous la forme d'une donnée physique. »[Réponse à Job, Lectori Benevolo, p. 13]

Si un rêve possède le statut de réalité tangible, ce qu'on nesaurait assurément lui refuser - et il s'agit du produit inconscientde notre psyché - prêterait-on un caractère moins réel à la partiede notre esprit accessible à la conscience en état d'éveil ? Nepeut-on point y voir les traits d'une réalité catégorielle ?

« Car le critère d'une vérité n'est pas seulement son caractère "physique" : ilest aussi des vérités psychiques, vérités de l'âme qui, dans la perspectivephysique, ne sauraient pas plus être expliquées que récusées oudémontrées. » [idem, p. 14]

Il nous semble important d'insister sur cet aspect du rêveur et dusonge quasi matérialisé qui nous est donné sur cette planche defrontispice du ML. On peut même aller plus loin si l'on tient compteque le feuillage de la roseraie [un clin d'oeil possible au Ros. Phil., i.e. la Roseraie des Philosophes] prend l'allure d'un opercule, d'unesorte d'oeilleton d'où la scène est vue non par accident mais demanière consciente. On pourrait croire qu'il s'agit là d'un jeu demiroir voulu du graveur et du commanditaire. Si nous avonsévoqué la Foi, c'est que, le lecteur l'aura remarqué, la spiritualitéest omni présente dans les quinze planches du ML. C'est aussi lecas pour certaines des gravures du Ros. Phil. et de toute manière,le parallèle est aisé à établir - on le verra bientôt - entre le ML et des versets de l'Ancien Testament. Le second point trinitaire est àétablir entre le ciel firmamental [que le Philalèthe nomme l'Air desSages, voir Introïtus, VI] et la Terre , via un système complexe oùpas moins de trois éléments participent.

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fig. 1 du Ros. Phil. - auri fontina

La figure de l'ange d'abord qui exprime la liaison entre le spirituel[versant humain] et le divin ; l'échelle visualise la liaison et, à sontour, représente une graduation [voir infra Michelspacher]. Le son, enfin, donne comme une troisième dimension à l'ensemble : lesanges portent des buccins et l'on sait l'importance de la musiquedans l'Art sacré [voir Atalanta fugiens]. Espace et temps sont ainsireprésentés en une scène qui, certainement, est unique dansl'histoire de l'alchimie. Il manque un autre élément qui permette detransformer cette trinité en quaternité : on le trouve dans lephénomène de transformation intérieure, psychique. Cet élémentn'est pas immédiatement perceptible et nécessite de résoudre unrébus très facile qu'Altus a fait inscrire sur la planche I. Ce rébusconduit à la lecture des versets bibliques inscrits à gauche durêveur. Il s'agit de six extraits du Pentateuque, Gen (1, 2, 3, 4) et Deut (1, 2). Ce n'est pas un hasard si le nombre d'extraits est desix [d'autres versets évoquent en effet la rosée] mais il s'agit là d'unartifice pour signaler l'entrelacement du et de qui aboutit àl'étoile de Salomon ou digamma qui est l'image même dulapis. Cette lecture permet de comprendre qu'une transformationradicale s'opère dans la psyché de Jacob et qu'à la tripartitionAER - TERRA - COELUM vient s'ajouter le transfert psychique dontle rêve forme la précipitation. Ainsi, d'un état corrompu etamorphe, Jacob passe-t-il d'un état dépuré à un état pour ainsidire limpide, clair comme du cristal de roche. Désormais, il seraen paix avec sa conscience. Nous l'avons dit, c'est la rosée quiforme la trame ou le continuo des versets. L'intérêt d'un lien «externe » en direction du Pentateuque procède d'un double but :imposer la relation, exotérique, entre la Bible et la planche

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inaugurale du ML. Exposer une autre relation, ésotérique, entre lelecteur ainsi prévenu et l'ensemble des quinze planches, via laméditation des six versets. C'est là une entreprise ardue que seul,à ce sommet d'expression, saura égaler sans la dépasser, MichelMaier en son Scrutinium Chymicum [alias Atalanta fugiens, version datant de 1687]. Sur ce que nous disions de l'Hermès Dévoilé, nousrelevons des points de convergence avec la fig.1 du Ros. Phil.dont l'exotérisme est suffisant pour que nous puissions y trouverla contre partie ésotérique dans la planche 1 du ML. Les quatre fleurons évoqués par Cyliani sont à trouver dans la

« quaternité carrée délimitée aux quatre coins par les quatre étoiles. Cesquatre sont les quatre éléments. En haut et au centre du bord supérieur setrouve une cinquième étoile... la quinta essentia. » [Jung, Psychologie et Alchimie, op. cit., p. 61]

La quaternité sera plus difficile à trouver dans la planche defrontispice du ML, même si l'on possède une lanterne et que l'onest chaussé de bonnes lunettes.

Chartier, le Plomb sacré des Sages, p. 59, d'après Hans von Osten, Einegrosse Herzstärkung für die Chymisten, 1771 [cliquez pour une autre

version]

... & fi apres ces raifons & ces experiences confirmées par l'authorité defi grands Philofophes & Chemiftes vous n'eftes affez illuminé, vouspouvez prendre les Lunetes, les Torches, & les Flambeaux du Hibou deKhunrath, pour vous conduire, puifque au recit d'Ariftote, la plusgrande partie des Hommes eft de la nature des Chats-Huans, & nepeut voir clair en pleine lumiere; mefme aux chfes qui naturellement &vifiblement tombent d'elles-mefme en leur cognoiffance.

Nous allons examiner ce point . On connaît au moins deuxversions de la planche 1 du ML : l'une dans laquelle le fond de lascène est représenté par la mer comme c'est le cas pour laversion que donne Mangetus, dans sa Bibliotheca Chemica Curiosa. L'autre qu'E. Canseliet a présenté dans son Alchimie [Etudes de symbolisme, Pauvert, 1978] et où l'on voit un champ s'étendre jusqu'àl'horizon. Cette seconde version semble originale puisqu'on peut

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lire, au bas de la planche :

RVPELLAE apud PETRVM SAVOURET . cum Privilegio Regis M . DC . LXXVII .

Il suit donc de cette observation, qu'il y a deux versions, dont l'une- originale - ne rend pas compte de la richesse conceptuellevéhiculée par cette parabole du songe de Jacob. Aussiavons-nous donné les deux versions, celle utilisée par Mangetus,sur laquelle porte l'analyse liminaire que nous voyons ici. L'autre[voir infra] a servi à une amplification antérieure. Pour en revenir àla quaternité de la planche posée en frontispice, on voit qu'elle nese dévoile évidemment que si l'on a sous les yeux les planches duML exposées dans la Bibliotheca Chemica Curiosa [elle est accessible sur le serveur de la bibliothèque Complutense madrilène]. Des quatreEléments, deux sont immédiatement perçus : qui prend d'ailleurs des aspects variés : rochers [dont celui sur lequel est poséela tête du rêveur], sable [sel d'Ammon], et au loin, à droite, terre fertilecomme en témoigne un bosquet de pins. tranquille, mer étalerenfermant les sels dont l'Artiste a besoin, concentrés dans lessalicornia. Baro Urbigerus est disert sur ce chapitre [Circulatumminus Urbigeranum] :

V - Notre seconde façon de préparer notre élixir végétal consiste en unemanipulation exacte d’une plante du plus noble degré, se tenant à part,ou soutenue par d’autres : après la préparation de laquelle, saputréfaction, réduction en une huile, séparation des trois Principesavec leur purification, union et spiritualisation, l’ensemble doit êtretransformé en une Fontaine spirituelle éternelle, renouvelant touteplante qui sera plongée en elle.

C'est de la préparation du dissolvant - alkali fixe - qu'il estquestion. Cet alkali peut être obtenu à partir de borith ou denatron [dans le cas des salicornia]. Urbigerus ajoute que de cetteplante peut être extrait une substance bitumineuse et Fulcanelli[Myst.] précise une préférence pour le bitume de Judée, trait decabale qui n'a nul rapport avec le lac Asphaltite voisin de la MerMorte [voir Niepce et Chevreul]. Non. C'est du signe , du que

l'Adepte entend nous parler, et de la façon d'incorporer un rayonigné qu'il prend à la matière sulfureuse, tirée de la vitreuseprovision du . Cette façon nécessite l'emploi du lut

philosophique par quoi il faut entendre le vase de nature. Dureste, l'asphalte ou bitume de Judée est une substance quipartage quelques traits externes avec la matière saline du : elle

est solide, cassante, noire, sulfureuse, inflammable, exhalant enbrûlant une odeur fort désagréable. Ne peut-on pas voir làquelques-uns des caractères du premier Mercure des alchimistes

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quand il ressemble au dragon babylonien ? Ce dragon qu'il fautque l'Artiste choisisse d'un beau noir, luisant, compact, plus durque la poix. Ce n'est certes pas la vulgaire substance venduedans le commerce qui fera son affaire : il est presque toujours lecaput mortuum de la rectification de l'huile de succin. LesHollandais ont en Hongrie des mines de succin dont ils retirent àpart le sel et l'esprit [animus ] et qu'ils dépurent; quant à

l'huile [anima ], ils en obtiennent l'huile d'ambre [l'ambre jaune

évoquée par Michel Maier dans l'Atalanta fugiens, emblème XXXII] dont se servent les maréchaux et cette substance, vendue presque pourrien, et nommée bitume de Judée. Le pouvoir remarquable qu'ellepossède d'attirer à elle les corps légers était de nature àentretenir dans l'esprit l'idée d'une sorte d'action vitale, qu'ellepartageait avec la pierre d'aimant. Ce n'est d'ailleurs pas unhasard si la magnétite a souvent était confondue, par les rusésalchimistes, avec l'Aimant des Sages. On a aussi confondul'ambre jaune avec la murrhe [voir idée alchimique, VI] mais il s'agitlà d'une distinction déjà assez subtile [au vrai, de ses nombreuxnoms, myrritha ou même ambar pourraient prêter à confusion; il ne semblepas y avoir de rapport entre ambar et cambar, cf. Artephius, Turba etSenior, De chemia]. Lemery a, dans son Cours de Chymie, traité dusuccin en l'appelant karabé [chap. XXI, pp. 458-486]. Sous ce rapport, l'ambre végétal était l'objet de recherches dont on a puaffirmer qu'elles revêtaient, chez certains peintres [notamment lesfrères Van Eyck] un caractère quasi alchimique. En effet, on neconnaît pas de dissolvant adéquat à l'ambre, à l'instar du

alchimique. Mais pour en revenir à la susbtance sulfureuse qui faittout l'intérêt du Mercure, il s'agit du Souphre principe que Jungnomme sulphur . Ce principe se retrouve dans les Mixtes et

affecte une forme sensiblement huileuse, à ce qu'en rapporteHomberg [Du Souphre principe, article troisième, Histoire de l'Académieroyale des sciences avec les mémoires de mathématique et de physiquetirés des registres de cette Académie, 1705, pp. 88-96]. Il n'y amanifestement que le qui puisse conserver, sinon intact, du

moins sous forme vive, cette huile. Cette matière sulphureuse estmêlée ou enchassée dans le chaos de la prima materia et elleparaît alors sous une apparence protéiforme [voir Typus Mundi]. Leprincipe actif ne peut être dégagé que dépuré de tout élémentétranger et nous arrivons alors au paradoxe, relevé par Homberg,que :

Tous les mixtes qui paffent par une Analyfe rigoureufe ou très-exacte,perdent, comme nous avons dit, le Souphre principe qui avoit compoféce smixtes; en forte que plus l'Artifte fe met en epine de le débrouiller,moins il le trouve. Nous n'avons donc aucune connoiffance pofitive duSouphre principe par le moyen de nos Analyfes, ou par ladécompofition des mixtes...

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Le lecteur peut se demander pourquoi nous parlons du Souphre alors que le sujet du ML est le , à n'en point douter. La

lecture des quinze planches lui aura fait voir qu'un élément estprésent qui, jusqu'à présent, n'a pas été étudié pour ce qu'il était :la lumière. Voyez ces rais aux planches 4, 9 et 12, décomposéesà la façon d'un prisme.

Robert Fludd (1574-1637) - Philosophia moysaica, Gouda, 1638

La décomposition des mixtes donnent des indices permettant demontrer que c'est la matière même de la lumière qui est notreSouphre principe et, du reste, le seul principe actif de tous lesmixtes. L'univers est rempli de la matière de la lumière [que les Modernes nomment photons] et le point crucial est que cette matièreextrêmement ténue, peut pourtant faire augmenter de poids et devolume les autres principes. Voici, à cet égard, une expérienceproposée par Homberg :

Le Mercure commun ayant été purifié fuffifamment par le fer & parl'antimoine, devient plus vif & plus liquide qu'il n'étoit avant cettepurification : cependant en le mettant en digeftion à une chaleur quilui convient, il arrive que ce Mercure, fans y ajouter aucune autrematière fenfible, s'arrête peu à peu & ne coule plus, contre le naturel dece mineral , fe changeant en une poudre noire, blanche ou rouge, felonqu'il plaît à l'Artifte ; cet-te poudre devient plus pefante que n'étoit leMercure quand on l'a mis en digeftion, & enfin de très-volatile qu'étoit

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ce Mercure, jufqu'à fe fublimer par un petit feu de lampe, il devient parune longue cuiffon fi pareffeux au feu, qu'il en fouffre la rougeurpendant plus de vingt- quatre heures, & en le pouffant vivement aufeu nud, la plus grande partie s'en va à la vérité en fumée , mais il refteun petit grain de métail dur, qui s'eft formée dans ce Mercure.

Homberg considère à juste titre qu'il s'est introduit quelque chosedans ce mercure et qu'il y a eu transformation de la substancemême du , attendu qu'il ne coule plus et devient - à l'instar

d'une certaine variété de verre - malléable. Enfin, en dépit du4ème degré de feu, il reste un bouton métallique irréductible.L'erreur de Homberg, le lecteur l'aura deviné, tient à ce qu'ilconfond la matière de la lumière et l'effet de la combustion. Erreurconceptuelle que seul Lavoisier saura rectifier pour faire sortir lascience des ornières occultes [précédé par Mayow (1669), Boyle(1668) et Priestley (1774), cf. Chevreul - le ML, rappelons-le était sorti dansson édition rochelaise en 1677]. Mais il est possible, via la cabalehermétique, de poursuivre cette voie qui, en toute autrecirconstance, conduirait à une impasse. Homberg ajoute :

Cependant en toute cette opération il n y a eu que le feu feul qui aittouché le Mercure, non pas immédiatement, mais au travers d'unvaiffeau de verre. Nous avons dit ci-deffus que le feu ou la flame n'eftautre chofe qu'un mélange de la matière de la lumière & de l'huile ducharbon , ou de quelqu'autre corps qui brûle ; on ne pourra pas dire icique c'eft l'huile de ce charbon qui a échauffé le fourneau, qui fe foitintroduit & refté dans le Mercure pour le rendre plus pefant, puifquel'huile ne fçauroit paffer par les pores du verre : c'eft donc la partie dufeu qui s'eft feparée de l'huile du charbon ; c'eft-à-dire, la matière de lalumière qui compofoit avec l'huile du charbon la flame qui a échauffé lefourneau, & cela doit ne-ceffairement être ainfi ; parce qu'aucuneautre matière que celle de la lumière n'a pu paffer au travers despores-du. verre pour fe joindre au Mercure.

Il est bien évident qu'un autre principe actif est présent dans leballon de verre utilisé par Homberg, l'air atmosphérique, quicontient le gaz oxygène. Seul avant Lavoisier, John Mayow (1640 -1679) avait eu la prescience de ce fait :

« En effet, il prouve expérimentalement qu'il n'y a qu'une portion de l'air,pour un volume donné, qui entretient la combustion et la respiration, et quecette portion est l'esprit nitro-aérien. C'est encore à ce principe qu'est due larouille du fer exposé à l'air. Toutes ces vues sont parfaitement justes ; mais,après avoir fait remarquer que l'esprit nitro-aérien diffère de l'esprit acide denitre (l'acide azotique hydraté) en ce que celui-ci éteint la flamme et agit surles animaux comme corrosif, il n'explique pas en quoi consiste la différence.Ainsi, en traduisant la manière de voir de Mayow en langage moderne, il

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avait vu deux gaz également élastiques dans l'air, l'oxygène et l'azote. »[Chevreul, critique de Hoefer, III]

Nous voilà au coeur du problème puisque c'est précisément cetesprit nitro-aérien que le couple alchimique du ML tente des'approprier grâce aux toiles tendues [planche 4]. Les anciens chimistes supposaient qu'il y avait dans l'air un sel universel ouesprit subtil d'action incessante, tenant de la nature de et ,nommé par eux nitre aérien ou nitre volatil ou enfin, esprituniversel. Philalèthe le nomme Air des Sages [voir Introïtus, VI]. La , dans cette philosophie de la nature, serait formée d'un mixte desel fixe et de souphre , attirant cet esprit universel; l'ayant

reçu en son sein, il s'y forme un corps appelé Nitre et dontl'hiéroglyphe est [il ne s'agit pas de la stibine qui n'en forme que

l'enveloppe et pour ainsi dire, la coque]. Cet esprit nitre aérien estnécessaire à l'Artiste qui souhaite entretenir la flamme invisible deson feu secret et animer le sulphur en sorte d'en préparer un

rayon igné qui teigne en masse sa terra alba foliata. Cetteexpérience fera voir une curieuse propriété de notre Nitre aérien[à propos du Tractatus Quinque Medico Physici aut. Io. Mayovv. etc. Varennes, Paris, Journal des Sçavants, 1665, pp. 30-34] :

D'où vient que fi l'on enfonce dans l'eau une chandelle allumée, dunetelle manière que le lumignon refte élevé d'un ou de deux doigts audeffus de la fuperficic de l'eau ,& qu'au deffus de la chandelle on metteune ventoufe qui s'enfonce auffi un peu dans l'eau , on voit d'abordl'eau s'élever dans la ventoufe ; parce que les parties nitreufes de cet airenfermé étant confumées par la flamme, laiffent le refte de. l'airaffoibly & bcaucoup fort. Et de là vient encore que l'air qui eft le plusvoifin de la flamme, fe trouvant plus foiblc par la perte de ces partiesfolides, ne fçauroit refifter à la preffion de l'air voifin. Ainfi il vientinceffamment de l'air nouveau auprès de la flamme.

Résumons :

Au XVe siècle, Eck de Sulzbach ayant chauffé six livres de mercure etd'argent amalgamés, dans quatre vases différents, pendant huit jours,constata que le poids de l'amalgame avait augmenté de trois livres.Cette expérience, fut répétée au mois de novembre 1489, Mais quelleest la cause de cette augmentation de poids? Cette augmentationvient, dit Eck de Sulzbach, de ce qu'un esprit s'unit au corps du métal; et, ce qui le prouve, c'est que le cinabre artificiel (oxyde rouge demercure), soumis à la distillation, dégage un esprit, (Hœfer, Histoirede la chimie).J. Rey, en 1630, expliquait cette augmentation de poids par la fixationd'une certaine quantité d'air. A cette demande, pourquoi l'étain et leplomb augmentent de poids quand on les calcine,

« il respond et soutient glorieusement que ce surcroît de poids vient

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de l'air, qui dans le vase a été espessi, appesanti, et renduaucunement adhésif par la véhémente et longuement continue chaleurdu fourneau ; lequel air se mesle avec la chaux et s'attache a ses plusmenues parties. »

frontispice du Tractatus Quinque Medico-Physici de Johannes Mayow

En 1669, Jean Mayow, médecin anglais, publia à Oxford un ouvrageintitulé Tractatus quinque medico-physici, quorum primus agit desale nitro et spiritu nitro-aero ; secundus de respiratione, etc. Dans sa première dissertation, Mayow cherche à expliquer lacomposition du nitre, sa production spontanée dans la nature,l'analogie de son acide avec l'air, l'existence d'un principe dansl'atmosphère de la même nature que celui du nitre, qui entretient lacombustion, la flamme et la vie.

« Il est d'observation, dit-il, que les sels fixes et les sels volatils, etmôme les vitriols, ayant été calcinés jusqu'à expulsion totale de leursesprits acides, absorbent, par une longue exposition à l'air, unecertaine acidité. De plus, la limaille de fer, exposée à l'air humide, estcorrodée comme si elle était attaquée par des acides, et se convertiten safran de mars apéritif. II semble donc qu'il existe dans l'air uncertain esprit acide et nitreux. Cependant en examinant la chose plusattentivement, on trouve que l'esprit acide de nitre est trop pesantproportionnellement à l'air dont il se compose ; et puis, l'esprit,nitro-aérien, quel qu'il soit, sert d'aliment au feu et entretient larespiration des animaux, comme nous le démontrerons plus bas ;tandis que l'esprit acide du nitre est éminemment corrosif, et, loind'entretenir la vie et la flamme, il n'est propre qu'à les éteindre. Bienque l'esprit de nitre ne provienne pas en totalité de l'air, il fautcependant admettre qu'une partie en tire son origine. D'abord, onm'accordera qu'il existe, quel que soit ce corps, quelque chosed'aérien, nécessaire a l'alimentation de la flamme. Car l'expériencedémontre qu'une flamme exactement emprisonnée sous une clochene tarde pas à s'éteindre, non pas, comme on le croit communémentpar l'action de la suie qui se produit, mais par privation d'un alimentaérien. Dans un verre où on a fait le vide, il est impossible de fairebrûler, à l'aide d'une lentille, les substances mêmes les pluscombustibles, telles que le soufre et le charbon. Mais il ne faut pass'imaginer que l'aliment igno-aérien soit tout l'air lui-même; non, il n'en

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constitue qu'une partie, mais la partie la plus active. Il faut admettreque les particules igno-aériennes, nécessaires à l'entretien de laflamme, se trouvent également engagées dans le sel de nitre, etqu'elles en constituent la partie la plus active, celle qui alimente le feu.Car un mélange de nitre et de soufre peut être très bien enflammésous une cloche vide d'air, par conséquent d'où on a extrait cettepartie de l'air qui sert à alimenter la flamme. Et ce sont alors ici lesparticules igno aériennes du nitre qui font brûler le soufre. Donc lenitre renferme en lui-même les particules igno-aériennes nécessairesà l'alimentation de la flamme. Dans la déflagration du nitre, lesparticules igno-aériennes deviennent libres par l'action du. feu,qu'elles alimentent puissamment. »

Mayow dit encore plus loin :

« Dans la combustion produite par l'action des rayons solaires (àl'aide d'une lentille), ce sont les particules igno-aériennes quiinterviennent exclusivement. Car l'antimoine calciné a l'aide d'unelentille se convertit en antimoine diaphorétique, entièrement semblableà celui qu'on obtient en traitant l'antimoine par l'esprit acide de nitre.L'antimoine, ainsi traité par l'une ou par l'autre méthode, augmente depoids d'une manière à peu près constante. Et il est à peineconcevable que cette augmentation de poids puisse provenir d'autrechose que des particules igno- aériennes, fixées pendant lacalcination. » (Traduction du Dr Hoefer.)

Mayow dit positivement que le sang absorbe une partie de l'air, etque le changement du sang veineux en sang artériel est uneconséquence du contact de l'air atmosphérique avec ce liquide. Ainsidonc, d'après Mayow, la respiration, la combustion dans l'air et lepouvoir comburant du salpêtre sont produits par un seul et mêmeprincipe. Boyle entreprit, de 1668 à 1678, une série d'expériences surla respiration, et en conclut qu'il y a quelque substance vitale,disséminée dans l'atmosphère, qui intervient dans la combustion et larespiration,

« Il est suprenant, dit-il, qu'il y ait quelque chose dans l'air qui soitseule propre à entretenir la flamme, et qu'une fois cette matièreconsommée, la flamme s'éteigne aussitôt; et pourtant l'air qui reste afort peu perdu de son élasticité. »

Boyle pense, sans cependant oser se prononcer d'une manière biennette, qu'une portion de l'air seulement est capable d'entretenir larespiration. Avec une grande sagacité, il prévit qu'en déterminant lacomposition de la rouille des métaux, on arriverait à connaître celle del'air. Priestley découvrit l'oxygène, en cherchant, à l'aide d'une lentille,quelle espèce d'air pouvaient fournir différentes substances ; à ceteffet, il mettait celles-ci dans un matras rempli de mercure etrenversé sur la cuve à mercure.

« Le 1er août 1774, dit-il, je tâchai de tirer de l'air du mercure calcinéper se (oxyde rouge de mercure), et je trouvai sur-le-champ que par lemoyen de ma lentille j'en chassais l'air très promptement. Ayantramassé de cet air environ trois ou quatre fois le volume de mesmatériaux, j'y admis de l'eau, et je trouvai qu'elle ne l'absorbait point ;mais ce qui me surprit plus que je ne puis l'exprimer, c'est qu'unechandelle brûla dans cet air avec une flamme d'une vigueurremarquable. En même temps que je fis l'expérience que je viens derapporter, je tirai du précipité rouge ordinaire une quantité d'air qui

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avait la même propriété ; et cette substance étant produite par unedissolution de mercure dans l'esprit de nitre, je conclus que cettepropriété particulière dépendait de quelque chose qui lui étaitcommuniqué par l'acide nitreux ; et puisqu'on fait le mercure calciné,en exposant du mercure à un certain degré de chaleur, de manièreque l'air commun ait un libre accès autour de lui, je concluspareillement que cette substance, à ce degré de chaleur, avait reçuquelque chose de nitreux de l'atmosphère. Trouvant cependant ce faitbeaucoup plus extraordinaire qu'il n'aurait dû me le paraître, jeconservai quelque soupçon que le mercure calciné, sur lequel j'avaisfait mes expériences, ayant été acheté a une boutique ordinaire,pouvait dans le fait n'être rien de plus que le précipité rouge ; quoiquepour peu que j'eusse été praticien en chymie, je n'eusse pu concevoirun pareil soupçon. Mais je fis part de mon doute à M. Warltïre, et il mefournit du mercure calciné qu'il avait gardé pour modèle de cettepréparation, et dont il m'assura qu'il pouvait garantir la composition. Jetraitai celui-ci comme le premier, et en continuant seulement pluslongtemps l'application de la chaleur, j'en tirai beaucoup plus d'air quede l'autre. Cette expérience aurait pu satisfaire un sceptique modéré.Mais cependant me trouvant à Paris au mois d'octobre suivant, etsachant qu'il y a de très habiles chimistes en cette ville, je ne manquaipas l'occasion de me procurer, par le moyen de mon ami M. Magellan,une once de mercure calciné préparé par M. Cadet, et dont il n'étaitpas possible de suspecter la bonté. Dans le même temps, je fis partplusieurs fois de la surprise que me causait l'air que j'avais tiré decette préparation à MM. Lavoisier, Leroi, et autres physiciens quim'honorèrent de leur attention dans cette ville, et qui, j'ose dire, nepeuvent manquer de se rappeler cette circonstance. »

Priestley pensait que ce gaz était le même que celui qu'il avaitobtenu,une année auparavant, en maintenant, pendant longtemps,l'air nitreux (bioxyde d'azote) sur de la limaille de fer humide,c'est-à-dire qu'il confondit tout d'abord l'oxygène avec le protoxyded'azote.

« Dans le même temps où j'avais obtenu l'air en question du mercurecalciné et du précipité rouge, j'avais tiré la même espèce d'air duminium. Dans cette expérience, la partie du minium sur laquelle je fistomber le foyer de la lentille devint jaune. Un tiers de l'air futpromptement absorbé par l'eau; mais une chandelle brûla trèsfortement et avec pétillement dans le résidu...... Cette expérience avecle minium me confirma davantage dans mon idée, que le mercurecalciné doit emprunter de l'atmosphère la propriété de fournir cetteespèce d'air; le procédé de cette préparation étant semblable à celuipar lequel on fait le minium. Comme je ne fais jamais un secretd'aucune de mes observations, je fis part de cette expérience, aussibien que de celles sur le mercure calciné et sur le précipité rouge, àtoutes mes connaissances de Paris et ailleurs. Je ne soupçonnais pasalors où devaient me conduire ces faits remarquables...... Je restai dans l'ignorance de la nature réelle de cette espèce d'air, depuis cetemps (en novembre) jusqu'au 1er mars de l'année suivante......Jusqu'à ce 1er mars 1775, j'avais si peu de soupçon que l'air tiré dumercure calciné fut salubre, que je n'avais pas même pensé a yappliquer l'épreuve de l'air nitreux. Mais réfléchissant (comme monlecteur s'imaginera sans doute que je dois avoir fait souvent) sur lafaculté qu'avait encore cet air d'entretenir la flamme d'une chandelle,après avoir été longtemps agité dans l'eau, il me vint enfin en idéed'en faire l'expérience; et ayant mis une partie d'air nitreux (bioxyded'azote) dans deux de cet air, je trouvai non seulement qu'il était

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diminué, mais qu'il l'était tout-à-fait autant que l'air commun, et que larougeur du mélange était égale à celle d'un semblable mélange d'airnitreux. et d'air commun.»

Raoul Jagnaux, Histoire de la chimie, tome I, Paris, 1892

Le décors est planté pour une étude entièrement rationnelle,quoique s'appuyant sur des principes obéissant à la plus pureorthodoxie hermétique, des arcanes du ML. Trois séries deplanches permettent de dégager les idées phare suivantes :

a)- allégorie de la préparation d'un sel, de vertu céleste, auxépoques où le - la par projection - traverse les signes du

Bélier et du Taureau, envisagés dans le zodiaque tropical ; ils'agit d'un sel formé d'une terre où abonde le foie de soufre et levitriol vert. [planches 5, 6, 7, 10, 13]b)- allégorie sur l'esprit nitro aérien présidant à l'animation deschoses vivantes ; permet d'expliquer en quoi le feu secret desalchimistes brûle d'une flamme invisible et transforme les corpsmorts des métaux en un esprit corrompu dont l'idéogramme est . Le processus de transformation est expliqué en susbtance dansla Tabula Smaragdina. [planches 1, 4, 9, 12]c)- allégorie des opérations hermétiques. [planches 2, 3, 8, 11, 14, 15] Nous les détaillons infra.

Homberg (1705) était sur le bon chemin mais n'avait pas tenucompte de ce que son verre contenait de l'air et il attribuait donc àl'imprégnation de la lumière l'excès de poids mesuré après lacalcination. Peut-être était-il imbus, comme tant d'autres, d'idéesoccultes... ? Mais c'est à John Mayow (1669) que devait revenir legénie d'avoir pu, d'un seul tour, à la fois résoudre la question del'esprit nitro aérien et du sel nitre; par là découvrait-il, peut-êtresans le savoir, ce que les alchimistes avaient caché depuis milleans ? Il serait téméraire de l'affirmer.

Voyons à présent le premier extrait de la Genèse dont Altus a faitdisposer la référence dans la planche de frontispice :

Gen, 28, 11 : Il atteignit un certain lieu et s'y arrêta pour la nuit, car le soleilétait couché. Prenant une des pierres du lieu, il en fit son chevet et secoucha en ce lieu.

Il s'agit de l'épisode du songe de Jacob. Naturellement,l'hermétiste ne verra pas dans ce texte ce qu'y voit le prêtre. Pourl'alchimiste, Jacob s'assimile à la matière même du Mercurius

et le couchant est pour lui l'aurore de l'oeuvre puisqu'il s'agit dela mise au tombeau des matières [voir Aurora consurgens et RipleyScrowle]. La pierre que prend Jacob, dont il fait son chevet, n'estautre que la prima materia que l'Artiste doit élire au début del'opus. On sait que Jacob lutte avec l'ange de Yahvé au gué deJaabok. Jung insiste sur le fait suivant :

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« L'agression de la violence pulsionnelle est un événement divin lorsquel'homme ne succombe pas à cette surpuissance, autrement dit ne la suit pasaveuglément, mais défend au contraire avec succès sa nature d'hommecontre le caractère animal de la force divine. » [Métamorphoses de l'Âmeet ses Symboles, trad. Georg, Pochothèque, p. 560]

Chose étrange ! Ne voit-on pas là une contradiction intrinsèqueentre Yahvé, posé en « caractère animal », c'est-à-dire en formepulsionnelle et instinctive pure, et l'homme doué de raison? Aulieu que la logique voudrait que Dieu ne soit pas habité par laColère! C'est un thème récurrent chez Jung et il trouvera sonépilogue dans sa Réponse à Job, bien plus tard... Mais nousaurons l'occasion d'observer que si Dieu peut être aimé, en toutcas, il doit être craint. D'une certaine manière, il s'agit là d'untruisme puisque Dieu, en toute hypothèse, n'est que lamanifestation élémentaire de l'anthropos [envisagé bien entendu dansle contexte exclusif du petit monde des alchimistes, i.e. l'unus mundus ; voirRipley Scrowle]. Jacob [Ya-Aqob] signifie protégé de Dieu c'est-à-direde l'Esprit ; il y a une autre relation entre le nom de Jacob et lemot hébreu 'aqeb, qui signifie talon. On a encore rapproché cenom du verbe 'aqab qui signifie supplanter. Ce jeu de mot a biensûr pour origine la scène de l'usurpation de la bénédictionpromise à Esaü par Isaac [Gen, 27]. Voici qui nous amènera tout àl'heure à Gen 27, 28. Pour l'heure, il convient de rappeler que -dans Gen 28, 11 - Jacob vient d'arriver de Béer Shéva [Gen 11, 1 : 5]. Béer Shéva signifie le puits des sept [Gen 21, 25 : 32], expressiondans laquelle - par cabale - il est difficile de ne pas imaginer lesplanètes, c'est-à-dire les métaux, assimilables à des brebis dontla toison représente l'écorce métallique. Expression dont sesouviendra Valentin Andreae, quand il rédigera le premierchapitre des Noces Chymiques non moins que le compilateur du Musaeum hermeticum, dans cette gravure :

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Musaeum hermeticum, p. 2

Béer Shéva prend le sens, tout autant, de puits du serment : enliaison avec la première acception, le doute ne semble pluspossible : c'est de fusion qu'il est ici question. En effet, le sermentrenvoie en alchimie renvoie à la † [crux] : nous pourrons noter aupassage qu'il s'agit là de l'hiéroglyphe grâce auquel, sans doute,Jacob a combattu l'ange. Dès lors, si l'on se reporte à Gen 32,25-33 et Gen 18, on remarquera sans doute ce qui lie, d'unentrelacs à la fois brûlant et incombustible, cette légende deJacob à celle de Job [Jung, Réponse à Job] : le combat spirituel.

...et Jacob resta seul.Et un homme lutta avec lui jusqu'à l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait levaincre, ll le frappa à l'articulation de la hanche et l'articulation de lahanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui.

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Il dit alors "Laisse-moi partir, car voici l'aurore", mais Jacob répondit :"Je ne te laisserai pas partir avant que tu ne m'aies béni".Il lui demanda : "Quel est ton nom ? - Jacob". Il reprit : "On net'appellera plus Jacob mais Israël, car tu as été fort contre Dieu, et tul'emporteras aussi contre les hommes".Jacob demanda : "Révèle-moi ton nom, je te prie", mais il répondit"Pourquoi me demandes-tu mon nom ?" et, là même, il le bénit.Jacob donna à cet endroit le nom de Phenuel, "car, dit-il, j'ai vu Dieuface à face et je ne suis pas mort". Au lever du soleil, il avait passéPhenuel... mais il boitait de la hanche.Gen 32, 25-32

L'ange de Jacob est un messager, un envoyé - du moins peut-ona priori le supputer - du spiritus sanctus, de Dieu en un mot.L'hermétiste verra ici la marque du . Jacob prend ainsi le sens

de prima materia : c'est une véritable transmutation spirituelle qu'ilsubit puisque l'ange, le combat ayant pris fin et l'onction ayant étéadministrée, lui assure qu'il ne sera plus appelé Jacob mais Israël[allusion à un jeu de mots entre le nom d'Israël et l'expression traduite par «tu as lutté avec Dieu » - le nouveau nom donné à Jacob marque unchangement profond dans son existence]. L'image de la Forces'impose, plusieurs fois illustrée dans l'iconographie.

la Force, bas-relief de Notre Dame de Paris, portail central

Jung ajoute :

« Il est "terrible de tomber aux mains du Dieu vivant" et "qui est près de luiest près du feu, et qui est loin de lui est loin du royaume" car "Dieu est unfeu dévorant", le Messie est "un lion qui est de la race de Juda". »[Métamorphoses de l'Âme et ses symboles, trad. Georg, Pochothèque,pp. 560-561]

C'est ce Juda qui est incrusté dans le bouclier tenu par la Force. Ils'agit d'une véritable offrande à Dieu [comprenez : il s'agit du moyen

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pour l'alchimiste d'allumer le feu, interne à sa materia prima. Il y a, dans la Vulgate, un jeu de mots entre Juda et l'expression : « je louerai le Seigneur», voir Gen 29, 35 ; 49, 9]. L'artifice permettant de pratiquerl'opération est représenté par le glaive de feu tenu en dextre parla Vertu. Glaive qui n'est pas sans rapport avec le sulphur : le

combat de Jacob contre l'ange [Peniël] s'achève à l'auro hora [voir Aurora consurgens] : Jacob souffre de sa hanche [ισχιον] que sonadversaire lui a luxée. Par cabale, il n'est pas absolumentimpossible de voir un coup d'arrêt mis à la mobilité naturelle duMercurius [ισχνος, en proche assonance phonétique de ισχιον, a

le sens de dessécher, rendre sec : les alchimisent traduisent cela par fixer levolatil]. Cette luxation de hanche est donc l'équivalent - si l'on nousentend bien - du grappin ou loup hermétique [lequel n'a alors plusrien, on le voit bien, de rapport avec le loup « ravisseur » des métaux, dumoins à ce stade de l'oeuvre] qui est le symbole de la coagulation du Mercure en Soufre. Quelques mots sur Juda : le passage cité parJung trouve son origine de Gen 49, 9-10 :

« Tu es un lionceau, ô Juda, ô mon fils, tu es revenu du carnage ! Il a fléchile genou et s'est couché tel un lion et telle une lionne, qui le fera lever ? Lesceptre ne s'écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d'entre sespieds jusqu'à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui les peuplesdoivent obéissance. »

Nous pouvons y voir une allusion au Lion vert [lionceau], premierétat de l'aqua permanens. L'eau permanente ou fons mercurialisreprésente l'animus rector dans lequel il n'est, là encore, pasinterdit de voir le bâton de commandement ou la droite ligne àpartir de laquelle l'oeuvre, à en croire les Adeptes, n'est plusqu'un jeu d'enfants [ludus pueorum] ou un travail de femme. Quoiqu'il en soit, par le biais du lion [d'abord assimilé à Juda puis à Dan], nous sommes en droite de rattacher Juda à Jean : de là, transitionfacile avec saint Jean l'Evangéliste et surtout Jean le Baptiste ouPrécurseur. Quant à la correspondance entre le Christ et le lion,on la trouve dans Ap 5, 5 :

« Et l'un des vieillards me dit : Ne pleure point ; voici, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David, a vaincu pour ouvrir le livre et ses sept sceaux. »

Verset qui renvoie à Ap 3, 7 et Es. 22, 22 où l'on apprend que celuiqui détient la clef de la maison de David est investi d'une missionde confiance et des pleins pouvoirs pour la remplir [dans Ac. 2, 30 il est par ailleurs précisé que le Christ descend du roi David]. La maison deDavid pour l'alchimiste est l'athanor, celui-là même que l'onaperçoit aux planches 2 et 11 [moitié inférieure, côté laboratoire] du Mutus Liber. Est-il besoin d'insister, enfin, sur l'ouverture du livresacré [conçu en tant que materia prima] et les sept sceaux [les âmesmétalliques, c'est-à-dire l'humide radical du métal, sa chaux vive] ? David fait de Jérusalem sa capitale et achète une colline : le mont Moria.C'est là que Jacob rêve d'une échelle s'élevant vers le ciel, ce quinous ramène à notre planche.

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Gen 28, 12 : Il eut un songe : voici qu'était dressée sur terre une échelledont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient et ydescendaient.

En ce lieu s'élève le dôme du rocher dont le sens musulmans'éloigne fort peu de la symbolique alchimique : il s'agit en effet dela « pierre de boisson » ou de « l'eau vivante ». Voilà qui rappelle lafons mercurialis, aqua vitae ou aqua permanens des vieux textes. C'estle temple d'où la présence du spiritus sanctus peut être le mieuxperçue; on ne saurait le comparer qu'à l'omphalos de Delphes[voir blasons alchimiques] : c'est la porte du ciel chymique [Gen, 28, 17 et voir Tollius]. Comment donc ne pas évoquer ici la figure del'olivier [µορια : olivier sacré] à propos de ce verset coranique :

« [la lumière de Dieu] ... est une niche où se trouve une lampe, la lampedans un verre, le verre comme un astre de grand éclat; elle tient sa lumièred'un arbre béni, l'olivier... dont l'huile éclaire, ou peu s'en faut, sans mêmeque le feu y touche. » [24, 35]

qui, là encore, rejoint de manière surprenante la symbolique del'athanor ou feu de lampe... Le Mercurius n'est-il pas un vitri

oleum [huile de verre] et sa nature sulfureuse, enfouie, n'est-ellepas évoquée par l'olivier ? Du reste, Jacob, lorsqu'il se réveille,prend la pierre dont il avait fait son chevet, l'érige en stèle etverse de l'huile à son sommet [Gen 28, 18 : en versant cette huile,Jacob la consacre et fait de l'endroit un lieu de culte]. Dans la mêmeveine, nous devons évoquer Abraham : c'est aussi au mont Moriaqu'il reçoit l'ordre d'immoler Isaac. Un bas-relief de Notre-Damede Paris restitue cette scène :

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le sacrifice d'Abraham, Notre-Dame de Paris, portail central [cliché AlainMauranne]

Au dernier moment, un ange intervient qui substitue un bélier aufils du patriarche.

« Le bélier est... comme le serpent du paradis qui aurait été le Christ selonl'interprétation des Manichéens. Meliton de Sardes aurait enseigné que leChrist était un agneau comparable au bélier qu'Abraham sacrifia à la placede son fils. » [Jung, Métamorphoses de l'Âme, op. cit., p. 698, note 208]

Jung renvoie à l'Homélie sur la Pâque de Méliton de Sardes.Rappelons que ce fut Méliton qui employa pour la première fois,vers 180 ap. J.-C. l'expression de Livre de l'Ancien Testament etque l'assimilation du Christ à l'agneau renvoie à l'Apocalypse, ouvrage rédigé vers 95 ap. J.-C., dans lequel le Christ estcomparé à l'agneau céleste ou à un enfant divin échappant aupouvoir d'un dragon [voir Ripley Scrowle]. Les anges du rêve deJacob, par leur mouvement de va-et-vient, évoquent lacohobation, opération par laquelle le ciel entier devient le pélicande l'Artiste :

« Il monte de la terre au ciel, & derechef il descend en terre, & il reçoit laforce des choses supérieures & inférieures. Tu auras par ce moyen la gloirede tout le monde ; & pour cela toute obscurité s'enfuira de toi. » [TabulaSmaragdina, verset VIII]

On peut encore voir dans cette échelle de Jacob un escaliermonumental dont les alchimistes ont donné plusieurs variationsiconographiques, tels Libavius [Alchemia, Tractatus quartus De Lapide

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Philosophorum, p. 56], Lambsprinck [De Lapide Philosophorum, planche IX] ou encore Michelspacher [Cabala, Spiegel der Kunst und Natur: in Alchymia]. D'autres en ont donné des variationssymboliques sur des idéogrammes; ainsi dans l'Aurea Catena Homeri, chaque anneau de la chaîne d'Hermès forme l'une desmarches qui conduit l'Artiste de la massa confusa du chaos au faîtede l'oeuvre [voir Aurora consurgens, II]. Enfin, maints bas-reliefs se ressentent à l'évidence d'une semblable symbolique, telle laPhilosophie du portail central de Notre-Dame de Paris [voir Gobineau].

Vices et Vertus - la Philosophie

La Philosophie, de son air hiératique, nous présente les deuxlivres de la philosophie hermétique, l'un ouvert [exotérique] dont le sens est connu de tous et l'autre fermé [notre ML] dont l'expressionésotérique n'est reconnue que des Amoureux de science pourlesquels Limojon a écrit sa Lettre aux vrais disciples d'Hermès. Latête de la Vertu est panachée des nuées du flos coeli, en quoi il faut imaginer les étoiles et la qui encadrent le haut de laplanche I du ML. L'échelle est posée des pieds à sa tête,exprimant la liaison entre et . Quant au sceptre, attribut de la Force mais aussi de l'Harmonie, il exprime assez qu'à la fin deson travail opiniâtre, toute obscurité s'enfuira de l'Artiste,c'est-à-dire que le sulphur sera dépuré de ses souillures et

impuretés, héritées du Soufre comburant.

Gen 27, 28 : Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de gras terroirs, dufroment et du vin nouveau en abondance.

Ce passage est encore tiré de Jacob : celui-ci usurpe l'identitéd'Esaü et Isaac, devenu vieux et aveugle, donne sa bénédiction à

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son fils cadet alors qu'il croit la donner à son aîné... Ce sont lesquatre principes de philosophie qu'Isaac accorde ainsi à l'Artiste :la rosée du ciel représente le [voir Verba Aristei]; les gras

terroirs forment la constellation du corps adamique [Adam pris comme prima materia, voir Splendor solis, planche VIII]. Le froment est l'or enté qui peut, par analogie, être rapporté à l'entrée royale deJésus à Jérusalem :

«... si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul; si aucontraire il meurt, il porte du fruit en abondance. » [Jn 12, 24]

Les grains de froment étaient le symbole de la vie, et, parextension, le symbole de la résurrection et de la vie éternelle, nonpas tant parce qu'ils servaient de principale nourriture à l'homme,mais plutôt parce qu'ils étaient employés pour ressusciter etrevivifier les métaux morts ou réduits en cendre. D'aprèsLouis-Claude de Saint-Martin [Tableau naturel des rapports quiexistent entre Dieu, l'homme et l'univers, Chamuel, Paris, 1900], le froment est la substance passive, de base, c'est-à-dire le Mercuredu grand oeuvre; il ajoute que le froment est désigné par un mothébreu qui signifie pureté, tout de même qu'alliance etbénédiction. L'épi de blé est très anciennement connu comme lesymbole de résurrection et il désigne l'or alchimique dans lestextes. Quant au vin nouveau, c'est la représentation classique dusecond Mercure qu'il faut se garder de confondre avec le vinaigredécrit dans la Turba et d'autres anciens écrits [voir Artephius, Senior, etc.] L'explication hermétique de la parabole du grain de blé setrouve dans le passage suivant, à propos du corps desressuscités :

«... Ce que tu sèmes, ce n'est pas le corps à venir, mais un grain tout nu, dublé par exemple… et Dieu lui donne un corps à son gré… on sème de lafaiblesse, il ressuscite de la force ; on sème un corps animal, il ressusciteun corps spirituel. » [1 Co, 15, 35-44]

Pour celui qui a étudié les textes alchimiques, il ne peut faireaucun doute que Dieu est assimilé à l'esprit Mercure [pour reprendre un titre extrait de Jung, Essais sur la symbolique de l'Esprit,

trad. Albin Michel] en tant que rotundum et crux †. Quant aucorps, il renvoie à Adam kadmon [voir Ripley Scrowle] comme Jungen parle dans ses Paracelsica. La faiblesse vaut pour µαλακια[semé dans la mort, analogue de la nigredo] et le corps animal peut renvoyer au spiritus abscondus [voir Aurora consurgens, II] en tant qu'il est dépourvu d'âme [anima ]. Cette image se retrouve dans le

Ros. Phil. : corruptio unius generatio est alterius [Aurora consurgens, Artis Auriferae, I, XII, d'après Jn 12, 24].

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fig. 7 du Ros. phil. - putrefactio

«... le premier homme Adam fut un être animal doué de vie, le dernier Adamest un être spirituel donnant la vie... Le premier homme tiré de la terre estterrestre. Le second homme, lui, vient du ciel. » [1 Co, 15, 45-47]

C'est en substance ce que montre la planche de frontispice du ML: le rêveur, Jacob, se repose sur une lourde pierre : c'est l'Adamprimordial. L'Adam kadmon [au sens jungien] est l'homme éveillé ou,si l'on préfère, individualisé [ce qui est manifesté par le processus despiritualisation ou échelle de Jacob].

Gen 27, 39 : Alors Isaac prit la parole et dit : "Vois, hors du gras terroir seraton habitat et loin de la rosée qui est au ciel..."

Il s'agit des versets qui terminent la bénédiction d'Isaac à Esaü. Ilest clair que ces versets ne peuvent s'entendre pour l'alchimisteque tirés hors de leur contexte. Cet extrait n'a, du reste, plus lemême sens que Gen 27, 28 où l'on peut déceler un sens numineux.Car, loin du sens d'onction que revêt la bénédiction d'Isaac àEsaü [Jacob], c'est presque un bannissement que celle,dramatique, que le patriarche accorde à Jacob [Esaü]. Onremarquera le phénomène de miroir qui se produit dans cetteintersection : dans la première partie de Gen 27, Jacob joue unrôle actif [agens] en usurpant l'identité d'Esaü et, dans cettemesure, il adopte la position du sulphur en face du mercurius

senex [Isaac]. Tel n'est plus le cas dans la deuxième période deGen 27 où Esaü en est réduit au rôle passif [patiens] de premier Mercure par lequel se signale le Soufre blanc ou Sel . Mais l'histoire montre que, progressivement, les rôles vont s'inverser :

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Jacob s'enfuit et prend alors le masque du Mercurius alors

qu'Esaü prend les traits d'Ares . C'est ensuite que survient

l'épisode du songe de Jacob [Gen 27, 10-22, voir supra] suivi, avantsa rencontre avec Esaü, de l'autre épisode de sa lutte contre Dieu[Gen 32, 23-33, voir supra]. C'est ainsi que, juste avant de rencontrerson frère, Jacob subit une conversion, une véritabletransmutation, puisque désormais on le nomme Israël. La Genèses'achève par la mort de Jacob [Gen 50].

La Discorde - Notre-Dame de Paris, portail central

Nous avons eu plusieurs fois l'occasion d'évoquer et decommenter ce chef d'oeuvre de cabale hermétique. Comment nepas à nouveau le convoquer ici, en un moment de l'oeuvre oùl'Artiste, de toute urgence, a besoin de son sel harmoniac,c'est-à-dire de son ανθος αµµονος : c'est nommer l'antimoine saturnin. C'est par son entremise que les Artistes parviennent àextraire la racine métallique du corps des métaux. C'est cettescience d'Égypte qui vient de CHAM comme l'écrit justementChartier dans son Plomb sacré des Sages [Senlicque et François LeCointe, 1551, Paris]. La racine arabe CHAMMON signifie en effet lefeu ; ce feu a cette particularité qu'il est dit « de repos » car ilconserve les métaux comme les hommes [il faut comprendre uncertain principe vital qui est semblable au mondes minéral et animal : chezl'animal il s'agit de l'αρχη de nature dont notre moderne ADN est la contrepartie. Dans le monde minéral, c'est l'orientation moléculaire des cristauxqui détermine la forme du minéral et le fait désigner par son nom]. La planche I du ML donne donc à voir les deux principes dephilosophie sans lesquels il est impossible de préparer le : la

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pierre, tout d'abord, celle-là même qui est évoquée dans Gen 28,11et plus tard dans Gen 29, 2 :

«... Une grande pierre fermait l'orifice du puits. Quand tous les troupeaux yétaient rassemblés, on roulait la pierre de dessus l'orifice du puits, on faisaitboire le petit bétail et l'on remettait la pierre en place sur l'orifice du puits. »[Gen 29, 2-3]

Le puits a une grande importance dans la cabale hermétique [voir Mylius, Philosophia Reformata]. Ici, l'intérêt est redoublé en ce sensqu'il faut attendre que les circonstances soient favorables pourétancher la soif des brebis. Dans l'iconographie, nous avons vuque les Adeptes insistent sur le danger d'hydropisie qui doitprémunir l'Artiste contre l'excès d'eau [qu'il faut comprendre comme ledissolvant]. Dans Gen 29, 7 on lit :

« Voyez ! Il fait encore grand jour; ce n'est pas le moment de rassembler lebétail... Nous ne pouvons pas [faire boire le bétail] tant que les troupeaux nesont pas tous rassemblés; alors on roule la pierre de dessus l'orifice du puitset nous abreuvons les moutons. » [Gen 29, 7-8]

C'est au crépuscule que paraît Hesperus : elle signale l'aurore

de l'oeuvre et représente l'hiéroglyphe de la stibine ou plombsacré. Celui-ci est considéré comme étant le fils naturel de et il

est passionément aimé de que l'on aperçoit, à l'opposé, au

Levant. De cet antimoine se forme l'alliage que les Sages ontappelé leur airain ou laiton; on sait que l'étain et le n'ont

pas de subsistance assez forte pour servir aux ouvrages deshommes et résister à la violence du feu † [Héphaistos] s'ils n'ont,au préalable, été alliés à l'antimoine. Éclat, dureté et lustre sontles qualités que l'on reconnaît communément à cet airain qui lefont signaler comme l'Acier des Sages, ainsi que le fait observerPernety [Fables Egyptiennes et Grecques, tome I]. E. Canseliet a assez parlé des rapports que la musique entretenait avec l'Artsacré pour que l'on ne soit pas surpris d'apprendre que les orguesqui servent à la musique n'auraient pas l'harmonie et ladélicatesse du ton que l'on sait et ne seraient pas assez justespour résonner telles si le forgeron divin n'avait par son mélangemodéré l'aigreur de . Eh bien ! Le verset de Gen 29, 7 nous

apprend qu'il faut attendre la nuit noire et sereine pour que l'influxastral descende, en forme de rosée, amenée par les anges etannoncée par la Clangor Buccinae [un des classiques du corpus, voirbibliographie]. Cette rosée est d'essence mercurielle : le mystérieuxAdepte qui fit une transmutation sous les yeux d'Helvetius lui en aparlé ; il s'agissait d'Élie l'Artiste qui se présenta à son domicile le27 décembre 1666 [voir Husson, Transmutations métalliques, J'ai Lu,1974]. Helvetius fit une recension de cet épisode dans son Vitulus aureus. Cependant, la rosée est un ingrédient qui, s'il estindispensable, n'est pas le seul qui soit nécessaire. L'Artiste doit

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encore s'occuper à trouver les éléments du Lait de Vierge sanslesquels le Rebis, forme évoluée de l'Airain et du laiton, ne sauraits'épanouir. Précisément, ces éléments doivent être cherchés dansla Discorde qui oppose, si l'on nous entend bien, Jacob à Esaü.Fulcanelli a suffisamment insisté sur les deux ingrédients pourqu'il nous soit permis, ici, de passer outre. Nous ferons toutefoisremarquer que Basile Valentin a noté que l'Artiste, pour peu qu'iltrouve la prima materia, trouvera toujours un pot pour la cuire. Et que cette première matière est réputée être dans le même tempspierre et non pierre : son expression consacrée, par cabale, estdonc l'hexagramme de Salomon qui signe l'alliance du etde la . Or, si l'on reprend les possibilités de nature, onremarque qu'une pierre ne peut être trouvée volant dans l'air quesi elle y a été projetée de terre, expulsée du cratère de quelquevolcan [où elle est donc, en ce cas, littéralement, à la fois pierre et nonpierre, puisqu'à l'état pâteux] ou si elle a franchi les bornes de notreatmosphère, en forme de météorite et reliquat de quelque comète[voir nos symboles et le chapitre 9 consacré à la pierre noire]. Là encore,c'est l'état igné qui domine. Dans les deux cas, nous avons affaireà une pierre qui chute [cado, cassito : dégoutter] dont la masse decabale rend, pour ainsi dire, le poids négligeable compte tenuqu'il s'agit là d'un poids de nature, mais non point de l'Art. SeulDieu connaît, à ce qu'en disent les plus grands Adeptes, ce poidsde nature. Nous terminerons ce bref exposé en faisant remarquerque la partie métallique, nécessairement l'étoile, est à chercherdans la pierre tandis que la partie minérale, la fleur, doit êtrerecherchée dans le pot.

Deut 33, 13 : Pour Joseph, il dit : son pays soit béni du Seigneur ! Que lemeilleur don du ciel, la rosée, et l'abîme qui gît en bas...

Il s'agit d'un extrait du Deutéronome où Moïse bénit les douzetribus d'Israël. Le don du ciel est, bien sûr, le don de Dieu,c'est-à-dire du soufre [assonance θειον - θειος]. Rappelons queles alchimistes admettent la présence de deux Soufres parmi lesmétaux : l'un est combustible tandis que l'autre résiste au feu etpréserve le métal contre toute élévation de degré du feu de fonte.L'antimoine, à ce qu'en dit Chartier [voir supra], gouverne ainsi lesforges métalliques et par son Soufre incombustible, se joint auxmétaux et purifie une partie de leur soufre impur et combustible :telle est l'oeuvre de la rosée de mai. C'est pourquoi les Sagesl'ont appelée l'Aimant des métaux :

Prenez, ont-ils dit, du Lyon noir qui ait les yeuxétincelants comme Opalles.

Voici la clef minérale pour ouvrir les corps métalliques et faire voirles teintures. Chartier ajoute que les Hébreux appellent une pierreprécieuse que nous nommons émeraude Nophech qui se tire de

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l'antimoine, selon ce que nous en avons dit. Ce mot veut que cesoit le même que les Arabes ont entendu par Atmadon : Nophechet Atmadon signifient Antimoine ou ανθος αµµονος. On peut, par cet artifice, extraire de la substance antimoniale des teintureset coloris divers pour les pierres précieuses, rubis, émeraudes,opales, etc. De ses entrailles, se tire des teintures différentes tantpour colorer les pierreries que pour conserver et embellir lesyeux. La rosée est ainsi assimilable au porte flambeau[christophore] des métaux. En les spiritualisant, c'est-à-dire en lessublimant, elle permet de chasser la ténèbre du sang minéral etde faire ainsi sortir des cendres de ce phénix la vertu cachée dumétal. C'est ce qu'exprime ces versets :

« Leur vigne sont des vignes de Sodome, des plantations de Gomorrhe;leurs raisins sont des raisins vénéneux, leurs grappes sont amères. Leur vin,c'est du venin de dragon, un cruel venin de cobra. » [Deut 32, 32-33]

Les alchimistes peuvent reprendre à leur compte ces paroles duCantique de Moïse : le venin de dragon représente, en effet, leMercurius senex de Jung ou, si l'on préfère, le vinaigre d'Artephius.D'où ce rappel à l'abîme [Deut 33, 13] où se devine une allusion auTartare.

Deut 33, 28 : Confiant, Israël se repose; elle coule à l'écart, la source deJacob, vers un pays de blé et de vin nouveau, et le ciel même y répand larosée.

Cette dernière citation de l'Ancien Testament se situe à la fin duCantique de Moïse. On a supputé que la source de Jacob pouvaitêtre le peuple issu du frère d'Esaü. Mais l'hermétiste y verra plutôtla fontaine de vie qui sourd du pied de l'Arbor solari.

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la sourve vive de Cadmos - Notre-Dame de Paris [cliché Alain Mauranne]

La source de Jacob est cette fontaine décrite par Bernard LeTrévisan où se viennent baigner et . Le corps dissous desmétaux doit être imprégné en cette eau de rose que les Adeptesnomment encore le Lac virginis. Ses vertus que l'on remarque dansce vinaigre antimonié sont en rapport avec ses écailles feuilletéeset brillantes où l'on peut deviner les poissons argentés et sulfurésde D'Espagnet [voir Oeuvre secret d'Hermès]. Basile Valentin parleen son Char Triomphal de l'Antimoine de ce baume de la vie qu'il appelle Balsanum vitae & medentem Mumiam. Fulcanelli a insisté surl'aspect feuilleté que devait avoir cette prima materia, qui doitposséder un aspect éclatant et nacré, semblable en cela aux yeuxde poissons [voir Ripley Scrowle]. Notre matière première, quandelle a été dépurée de ses ordures, est mise en forme carrée ouτετραγωνον par quoi on insiste sur le fait qu'elle possède,principiés, les quatre Éléments. C'est également insister sur sonbrillant par lequel on reconnaît qu'elle est chargée de régule étoiléou sulphur , premier état de l'âme en voie de dépuration au sein

du spiritus. L'obtention de l'anima se fait au prix de la destructionprogressive de cet antimoine saturnin, d'où vient que le pseudoGeber affirme :

Eft generalis caufa inventionis calcinationis corporum aterreitate depuratio.

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Il est donc de toute nécessité que l'Artiste fasse calciner lesparties hétérogènes des Soufres imparfaits et combustibles, qu'ilélimine les fèces et que la vertu corroborative de ses parties plusdéliées que sont les brillants de soient communiqués et

transférés au avant qu'il soit déchargé de sa †. On conçoit

donc que la soit une terre façonnée en un Mixte puisqu'elle est

le soutien du corps mêlé [airain, laiton] ; les parties contenues sontles trois autres éléments enfermés dans la terre du Mixte : on lesa comparés aux sucs de la rose et scindés en Sel, Soufre etMercure. Le Sel est pris comme la lie de vin ; la seconde estaqueuse ou moyenne substance [Mercure]. La troisième est aérée,volatile et comparée à la fleur du vin [sulphur]. Cette source estencore nommée toison de Gédéon par les Adeptes et il faut ydeviner l'origine, probable, de la planche 4 du ML. La légende deGédéon fait partie du livre des Juges et met en scène, là encore,la visitation d'un ange du seigneur. Cet ange voulut lui donnercomme preuve de l'existence et de la force de Dieu cetteexpérience de la toison :

« ...voici, je mettrai une toison de laine sur l'aire: si la toison seule se couvrede rosée, et que tout le sol alentour reste sec, je connaîtrai que vousdélivrerez Israël par ma main, comme vous l'avez dit. » [Jg, 6, 37]

La vocation de Gédéon a donné lieu à un article qu'E. Canseliet afait paraître dans la revue Atlantis puis dans ses Études desymbolisme alchimique [Pauvert, 1978]. Il y évoque bien sûr le mythede la Toison d'or et le bélier magique Chrysomelle [voir Trismosin, Splendor solis]. Sans vouloir raconter à nouveau la légende qui serattache à Hellè et Phryxos, il semble utile de rappeler que leprincipe volatil ou mercuriel [la lune à l'aurore] se rattache à Hellè: elle fait une chute vertigineuse dans la mer qui portera son nom,l'Hellespont [mer noire - nigredo]. Hellè [voir Atalante II] correspondau principe qui permettra à l'Adepte de faire circuler l'aquapermanens [et on peut la rattacher à l'allégorie des épisodes du voyagedes Argonautes]. Quant à Phryxos, il correspond au point fixe emporté par le bélier magique. Selon les mythographes, Hellè eutde Neptune Paeon ou Edon [voir zodiaque alchimique, cité inCharles Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle. vol. 6, Paris : E. Babeuf, 1822]. Paeon est connu pour être un dieu de lamédecine [Paeoniae herbae : herbes médicinales] et par cabale, on peut y voir un principe de purification, lié au sulphur [de

Παιηων, Paian ou Péan, le dieu médecin, surnom d'Apollon] dont on afait la figure du secours [παιων] ce qui peut paraître surréalistequand on connaît la perfidie d'Apollon... Quoi qu'il en soit, il s'agitd'un indice sur le processus de rubigo puisque παιωνια [les fêtesde Paeon] désigne notre pivoine. Remarquons qu'en chinois, le motpivoine contient le mot tan [meoutan] ou cinabre, ce qui renvoie au

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dragon rouge des vieux alchimistes [le cambar - κινναβαρις - d'Artephius et de la Turba]. Basile Valentin l'a transcrit en IAMSUPHsur sa Clef X [voir Douze Clefs]. Selon Pline, Paeon découvrit lespropriétés médicinales de la pivoine et s'en servit pour guérir lesblessures d'Hercule [voir Fontenay]. On préconisait de cueillir lapivoine à la lune décroissante [par cabale lors de la chute d'Hellè] ainsi que le recommande Thessalus dans sa Lettre à Néron. Detout ce que nous venons d'écrire, il suit que la pivoine contractedes rapports avec le phénix, symbole suprême de l'individuation.Voyons à présent Edon. Nous pouvons le rapprocher de Ηδωνοιdont la racine signifie réjouir ou charmer. La transition est facile àfaire avec Orphée et sa lyre dont nous savons quel est le senshermétique : il s'agit du lien du Mercure. C'est l'artifice dontl'Artiste a besoin afin que l'aqua permanens reste stable au feu du4ème degré et que les éléments du Rebis évoluent vers le lapis.Cette fixation a donné le nom d'Aimant des sages à la matièrecapable, telle la lyre sur les animaux sauvages, de susciter del'ordre dans le chaos primordial. C'est ce qui fait dire à Senior :

Je suis la lune, croissant humide et froide, et toi, soleil, tu es chaud etsec. Quand nous nous épousons dans la justice de notre état dansune maison qui n’est faite que d’un feu léger portant en lui ce qui estlourd, nous sommes là de loisir, comme sont de loisir une femme etun homme de noble naissance. Cette image est vraie. Et quand lesoleil et moi aurons été unis pour demeurer en loisir dans le ventre dela maison fermée, je recevrai de toi l’âme avec tes caresses. Si tuôtes ma beauté et mon aspect charmant en t’approchant de moi,nous nous réjouirons et l’esprit en nous s’exaltera quand nous seronsmontés dans l’ordre des vieillards. Alors la lampe de ta lumièreversera ses rayons dans ma lampe. Il se fera de toi et de moi unmélange de vin et d’eau douce après que j’aurai recouvert ma couleurde la noirceur semblable à de l’encre après ma dissolution et macoagulation. Quand nous serons entrés dans la maison d’amour, mon

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Ros. Phil., fig. 17 - Revificatio

corps se coagulera et je serai dans ma vacuité. Le soleil répond à lalune : Si tu fais cela, si tu ne me causes pas de dommage, ô lune,mon corps reviendra et ensuite je te donnerai une nouvelle force depénétration par laquelle tu seras puissante dans le combat du feu deliquéfaction et de purgation. Tu sortiras de ces épreuves sansdiminution, et sans ténèbres, comme l’airain et le plomb, et tu nelutteras pas, car tu ne seras pas rebelle.

Ros. Phil., Réponse de la Reine Lune, Artis Auriferae, t. II, pp.133-253

Ce passage pourrait être tiré de l'Aurora consurgens, Septièmeparabole : conversation du bien-aimé et de la bien-aimée [voir M.L. vonFranz, trad. la Fontaine de Pierre, 1982, p. 141]. Rappelons quel'Aurora consurgens, en bien des passages, est librementtranscrite du Cantique des cantiques [certains comme M.L. vonFranz ont été à deux doigts de l'attribuer à saint Thomas d'Aquin, voirAC] et le texte que nous avons cité fait partie des morceaux à lafois les plus beaux et les plus profonds de l'art d'Hermès. Avantde commenter ce passage du Ros. Phil., il paraît nécessaire devoir en quoi il se rapporte au ML. Nous avons vu que la planchede frontispice du ML formait comme une sorte de compendiumconcernant l'idée que l'on pouvait se faire quant au contenuinconscient véhiculé par les images des textes; c'est d'ailleursl'une des raisons qui font que le ML est unique en son genre. Il esten effet possible, en se livrant à ce que Jung formule commel'imagination active, de se livrer, dans l'examen des quinzeplanches du ML, à une introspection poétique permettant desaisir, en un processus d'interrelation archétypale, l'expressionraisonnable tout autant que l'impression sensible. Ce fait a son

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importance, de l'interrelation archétypale, puisqu'il permetd'étendre notablement la signifiance sémiotique d'une figure quine passe pas seulement qu'en image. Voilà que se dégage lavéritable richesse conceptuelle de l'alchimie, déjà relevée parSimon Diner [Louis de Broglie que nous avons connu, FondationLouis de Broglie, Paris, 1988, pp. 59-64] : la pensée alchimiqueoscille sans cesse entre la corruption de la matière et lapurification de l'esprit; elle s'exprime de manière lapidaire par lacélèbre formule : SOLVE ET COAGULA. Cette oscillation trouve sacorrespondance dans le phénomène de l'imbibition oumondification : il fait l'objet, pour certains, des détails que l'on voità la planche IV. En voici la belle version dans l'édition de Manget :

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planche quatrième du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa, Mangetus,1702

Voici les commentaires de SH :

Tendue sur des piquets, cinq draps reçoivent la rosée céleste (flos

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coeli) à la partie inférieure nous voyons l’alchimiste et son épouserecueillir cette rosée en tordant l’étoffe pour l’en exprimer : la divineliqueur tombe dans le récipient disposé à cet effet. Sur le sol, enremarquera des formations végétales d’allure curieuse. Or, flos coeliest le nom volontiers donné par les « fils de sciences » à une alguebleue, le nostoc, qui apparaît soudain - comme mystérieusementtombée du ciel (d’où son nom populaire lui-même aux résonancesalchimiques : crachat de la lune) - dans les près ou les jardins aprèsla pluie. Des alchimistes traditionnels ont effectivement employé lenostoc pour préparer la matière première de l’Œuvre. Mais la roséeproprement dite soigneusement recueillie (et d’ordinaire auprintemps) de la manière bien indiquée sur la figure, est d’usage trèscourant en alchimie opératique; d’où le nom de « Frères de la roséecuite » quelquefois donné aux alchimistes rosicruciens du XVIIesiècle. On remarquera la partie supérieure de la planche, où - entre leSoleil et la Lune - nous voyons descendre l’éventail des influencescélestes (de deux polarités complémentaires). Le flos coeli peutégalement, en effet, désigner un mystérieux agent céleste de naturemagnétique. L’alchimie opératique suppose en fait la connaissanceprécise des forces magnétiques: magnétisme solaire, magnétismelunaire, magnétisme terrestre et même (semble-t-il) ce que lesastronomes modernes nomment rayons cosmiques. D’autre part, il nefaut pas oublier que les alchimistes semblent (comme jadis lesfulguratores étrusques) aussi avoir eu la maîtrise d’une sourcecolossale d’énergie : celle provenant de la captation directe du « feudu ciel », c’est- à-dire de la foudre. Quant à la possibilité de capterdirectement cet autre « feu du ciel » que sont les rayons solaires, ilsemble bien que les adeptes en aient également eu la maîtrise. Voici,à ce propos, ce qu’écrit Magophon dans son commentaire à laplanche précédente (car il se demande comment il doit être possibled’allumer la lanterne magique portée par la compagne de l’alchimiste): Certains auteurs, et non des moindres, ont prétendu que le plusgrand artifice opératoire consiste à capter un rayon de soleil, et àl’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès. Ce miracle,le photographe l’accomplit en quelque sorte, en se servant d’uneplaque sensible qu’on prépare de différentes manières.

Sur le nostoc, voir infra [on trouvera de plus amples renseignementssur cette algue terrestre dans Atalanta XXXVII]. Il participeassurément des influences extérieures mais c'est en vain, commel'affirme avec raison Pierre Dujols, qu'on y chercherait l'arcanemercuriel. C'est cet agent magnétique, l'Aimant des Sages, quipermet en effet de rassembler les restes épars de la primamateria, après qu'elle a été démembrée par le serpent Python[Typhon] à l'instar d'Osiris. La planche X du Splendor solis en donne une belle représentation. De fait, trois influences,principalement, se manifestent à l'Artiste dont il lui faut accorderles poids s'il veut éviter de « brûler les fleurs » : le rayon, l'ombreet l'étai. C'est ce que Fulcanelli a essayé de faire voir avec l'undes bas-reliefs du portail central de Notre-Dame où un chevalierdéfend son athanor - son vitri oleum - qu'un rayon cosmique vavenir percuter. C'est à Nemrod que l'Adepte a fait appel.

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Nemrod, Notre-Dame de Paris

Il n'est pas inutile de rappeler la légende de Nemrod, dont laGenèse fait le robuste chasseur devant l'Éternel. Fils de Chus etpetit-fils de Cham : Cham était autrefois l'ancien nom de l'Égyptedont Kircher fait dériver le nom d'alchimie.[voir supra] Mais Cham, c'est aussi le petit fils de Noé et le neveu de Miçraïm dont Franckfait le premier roi d'Egypte [voir Paracelse].

« Koush engendra Nemrod. Il fut le premier héros sur la terre, lui qui fut unchasseur héroïque devant le Seigneur. D'où le dicton : "Tel Nemrod, être unchasseur héroïque devant le Seigneur." [Gen, 10, 8-9]

On traduit parfois « contre le seigneur » et non « devant le seigneur »pour affirmer le caractère d'orgueil et d'impiété accusé deNemrod. La figure de Nemrod se profile comme l'ombre de Job.L'orgueil est lié par cabale à la cohobation, c'est-à-dire à ladépuration du par le , objet des laveures de Flamel qu'on

appelle encore Aigles. Cette inflation de la matière spiritualisée,Nemrod ou ses semblables la transpose en bâtissant la tour deBabel [de la racine Bll : confondre] qui nous renvoie d'ailleurs àl'échelle céleste de Jacob [planche 1], en ce qu'il faut y voir l'artifice de la communication entre firmamental et . La construction de la tour de Babel apparaît ainsi comme un rêveéveillé, c'est-à-dire une illusion. Celle de l'adoration des valeursmatérielles. Sur le plan psychologique, il s'agit de l'inflation duMOI - anima, équivalent du sulphur - tout à fait préjudiciable à

l'évolution de la psyché vers l'individuation puisqu'il résulte decette inflation - dont le miroir terrestre est la tour de Babel - unecarence des rapports entretenus normalement entre le MOI et le ÇA [voir Ripley Scrowle et Aurora consurgens]. On trouve dans le

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tarot l'arcane XVI ou Maison Dieu qui résume à merveille lesymbolisme véhiculé par la ziggourat biblique [voir notre tarot alchimique]. La tour de Babel était un avertissement pour Dieu :

« Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendentplus la langue, les uns des autres. - Et l'Éternel les dispersa loin de là sur laface de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville. - C'est pourquoi onl'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage detoute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute laterre. » [Gen, 11, 8-9]

Il y a dans cette action une ventilation, un essaimage aux quatrevents d'où l'hermétiste tire sa cohobation; le moyen d'éviter unefixation trop précoce de sa matière dissoute. Le premier signe dela fixation - coagulation du - est l'irisation, marque des couleurs

de la queue de paon. Mais ici, victime de son inflation, c'est uncoup de foudre qui guette l'impétrant par trop impatient, autrementdit l'explosion pure et simple de son creuset. Le rayon igné dont l'Artiste a besoin doit être mesuré en sorte qu'il puissel'imprimer - γραϕη - dans sa matière grave [voir héliographie]. Cerayon est équivalent au phénomène psychique de la projection etdépendant de [voir Aurora consurgens, II]. C'est ce rayon

victorieux, cette gloire divine largement étalée, que nousapercevons à la planche 4 du ML. Nous donnons infra les correspondances planétaires et zodiacales des rais del'arc-en-ciel. SH poursuit son analyse :

« L’un des édifices figurés juste au bord de l’horizon (la construction coniqueà droite) est surmonté de la Croix de Lorraine : ce n’est pas seulementl’emblème d’une grande province française mais c’est un symbole ésotériquetraditionnel. »

Rappelons que la croix d'Anjou ou de Lorraine, initialement,n'avait aucun sens ésotérique : il s'agissait d'un reliquairecontenant une parcelle de la vraie croix, vénéré par les ducsd’Anjou, depuis Louis Ier (1339 -1384) qui le fit broder sur sabannière. Ce reliquaire, conservé à Baugé, avait un doublecroisillon. La croix d'Anjou à double traverse en bois de la vraiecroix du Christ fut rapportée en 1241 de Crête par Jean d'Alluyequi la cèda en 1244 aux moines de la Boissière. Cachée à Angerspendant la guerre de Cent Ans, elle devint le symbole du Duchéd'Anjou. Après le mariage du roi René avec Isabelle de Lorraine,la croix d'Anjou devint la croix de Lorraine. Ce n'est que de façondétournée que certains hermétistes ont utilisé à des finsésotériques la croix d'Anjou si l'on se souvient qu'elle passa dansle cou des aigles, support des armes. Et l'Aigle, en alchimie, est lesymbole majeur de la sublimation. Quoi qu'il en soit, il noussemble bien difficile de distinguer une croix de Lorraine dans laconstruction conique signalée par SH. Manifestement, la draperie de l'arc-en-ciel constitue un temple,

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érigé en partant de la jusqu'à la sphère du . Et le récipientapte à recueillir les effluves célestes est représenté par les toilestendues entre le Bélier et le Taureau. Le faîte de ce temple est leciel firmamental et son toit est tendu de cet arc-en-ciel zodiacal -ésotérique pour le coup - où se devine l'influence du symbolismede la rota. Le centre de cette roue ou rose cosmique se situe endehors du plan de la gravure : ce point central n'en a qu'unevaleur plus virtuelle car nous ne savons pas, au vrai, faire la partde ce qui monte et de ce qui descend dans ces flux entrelacés entre terre et ciel. Les commentateurs ont, en effet, raisonné surcette planche en considérant que les rayons descendaientforcément. La Tabula Smaragdina, toutefois, est formelle :

« Il monte de la terre au ciel, & derechef il descend en terre, & il reçoit laforce des choses supérieures & inférieures. »

La fig. 8 du Ros. Phil., par ailleurs, montre clairement que c'est unspiritus abscondus [esprit caché] et corruptus qui monte, c'est-à-dire

qui est sublimé [sur le sens à donner à cet « esprit Mercure » ,

voir Jung, Essais sur la symbolique de l'esprit, op. cit.]. D'où vient cetesprit ? Si nous regardons la planche 4 de façon élémentaire, ilressort clairement que cet esprit ne peut provenir que de la . Il ne saurait évidemment provenir du qu'il ne fût, au préalable,émané d'une production chthonienne. Il faut donc, en mêmetemps que nous évoquons des effluves célestes, ne pas oublierles efflorescences salines [voir là-dessus l'arcanum duplicatum ; son caput mortuum ainsi que le caput corvii du Donum Dei]. Elles seulessemblent capables de produire l'esprit - au sens d'animus - dontles alchimistes ont besoin, et pour préparer leur , et pour

préparer leur . C'est ce qu'assure Batsdorff :

« Or la sublimation présuppose toujours la dissolution du corps , et toutcorps est dissout par l'esprit avec lequel il est mêlé, et par lui il est faitspirituel ; et lorsque le corps est dissout, l'esprit se coagule par la mêmeopération, qui est divine, surnaturelle et incompréhensible » [Filetd'Ariadne]

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fig. 9 du Ros. Phil. Mundificatio

Cette ascension spirituelle - prélude à la dépuration - ne vautdonc pour autant, que le corps [i.e. la materia prima] ait été dissout[corrompu] dans et par l'esprit. On voit le paradoxe : l'accès àl'anima [MOI] purifiée passe essentiellement par une corruption ducorps médiée par l'animus [SOI]. Le problème du Bien et du Malparaît contenu - sous réserve des limites de notre analyse - danscette antinomie, chose déjà relevée dans l'Aurora consurgens et le Ripley Scrowle. Nous terminerons cet examen sommaire avecune troisième planche, la quatorzième.

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planche quatorzième du Mutus Liber, Bibliotheca Chemica Curiosa,Mangetus, 1702

Cette planche est bien connue des disciples d'Hermès par la maximefinale :

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Ora Lege Lege Lege Relege labora

et Invenies.

Le panneau supérieur de la planche donne à voir trois tours. Comme onle dit dans l'analyse de l'ensemble des planches, il est plausible, sinonprobable, que les trois tours soient mises pour les signes zodiacauxsignalés au deuxième panneau. Ces tours sont du reste à l'image deces Mont- Joie que Fulcanelli évoque dans son Myst. Cath. [p. 68]. Nousavons indiqué ailleurs qu'il s'agissait d'une allégorie dont le sujet est larosée qui s'élève jusqu'au mont de la Magnésie [par cabale, les sept boeufs de labour]. L'occasion nous est donnée de citer Appolonios deTyane, également évoqué par Fulcanelli dans l'un de ses calembours,

Tableau des planches

Voici les quinze planches du Mutus Liber en grandes vignettesqu'accompagnent la gravure initiale et l'Incipit :

AU LECTEUR

Quoy-que celuy qui a fait les frais de l'Impreffion de ce Livre, n'aitvoulu mettre à la telle ni Lettre dédicatoire, ni Préface, pour desraifons qu'il a par devers luy; j'ay cru, pourtant, qu'il ne trouveroit pasmauvais qu'il foit intitulé, Livre Muēt ; néanmoins toutes les Nationsdu monde, les Hébreux, les Grecs, les Latins, les François, les Italiens,les Efpagnols, les Allemans, &c. peuvent le lire & l'entendre. Auffieft-ce le plus beau Livre qui ait jamais efté imprimé fur ce fujet, à ceque difent les Savans, y ayant-là des chofes qui n'ont jamais efté ditespar perfonne. Il ne faut qu'eftre un véritable Enfant de l'Art, pour leconnoître d'abord. Voilà (cher Lecteur) ce que j'ay cru devoir vous dire. En 1677, apparut un ouvrage ne comportant aucun texte. Il futédité à La Rochelle par Pierre Savouret. Une autre édition parut

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vers 1725 à Paris. C'est Eugène Canseliet qui en retrouva la tracedans le catalogue distribué en 1937 par un libraire parisien,Thiebaud, successeur de Nourry [les planches sont celles présentéesdans l'édition de La Rochelle]. On connait aussi des planchesdépareillées qui sont conservées dans la collection alchimique del'université de St Andrews. Plus tard, vers 1702, le médecingenevois Jean-Jacques Manget inclut les planches dans saBibliotheca chemica curiosa ; il semble que la version de Manget soitla plus soignée. On suppose que l'auteur se serait dissimulé sousl'anagramme d'Altus, qu'en décodant, l'on peut transformer enSulat : il s'agirait de Jacob Saulat, sieur des Marez. Celui-cidéclara en effet avoir découvert le manuscrit lorsqu'il sollicita leprivilège de l'éditer à son compte. Il fut accordé par Louis XIV àSaint-Germain, le 23 novembre 1676. J. Van Lennep ajoute dansson Alchimie (p. 231) qu'un argument de poids fut ajouté parSerge Hutin quand il découvrit que les armoiries figurant sur laquinzième planche étaient celles du sieur Saulat des Marez. Nouscommentons les planches du Mutus Liber en y ajoutant descommentaires de Magophon, alias Pierre Dujols, tirés deson Hypotypose. On verra que plusieurs passages de ce texte ontété repris à peu intacts dans le Myst., ce qui, de notre avis, laissepeu de doute quant à l'auteur présumé du Ier tome de la trilogie.Voici les commentaires de Magophon, avant qu'il entamel'examen des quinze planches :

"Il s’est formé autour du Mutus Liber une légende absurde. UneEcole - qui n’a d’hermétique que le nom - a fait à cet ouvrage uneréputation d’obscurité impénétrable et, de ce chef, le vénère commeun sacrement, sans le comprendre. C’est une erreur; de même quetraduire Mutus Liber par le Livre muet, sans paroles, est uncontresens philosophique. Tous les signes adoptés par l’industriehumaine pour manifester la pensée sont des verbes. Les Latins - cemot entendu congrûment appellent le dessin, la peinture, la sculptureet l’architecture, au moyen desquels les Hiérogrammates réserventaux élus les arcanes de la Science, mutae artes, c’est-à-dire les artssymboliques.

Qu’est-ce qu’un symbole? Συµβολη est une convention, un signede reconnaissance. Un symbole est donc ce que nous nommonsaujourd’hui un " Code ", un système tacite d’écriture adopté pour lacorrespondance diplomatique, voire commerciale, lescommunications télégraphiques, sémaphoriques, etc. Pour unhomme illettré, tout livre est mutus. Un volume en hébreu, sanscrit,chinois, est un mutus liber, un libre muet, pour le plus grand nombre,encore qu’ils soient instruits dans leur propre langue. Il faut donc sefaire à cette idée, toute simple, que le Mutus Liber est un libre commeles autres et qu’il peut se lire en clair, si l’on en possède la grille.

D’ailleurs, les ouvrages d’alchimie, en vers, en prose, en latin, enfrançais ou tout autre idiome, ne sont eux-mêmes que descryptogrammes. Bien qu’écrits avec les lettres banales de l’alphabetet le vocabulaire commun, ils n’en demeurent pas moinsindéchiffrables pour quiconque en ignore la clef. A dire vrai, entre lesdeux procédés sténographiques, celui du Mutus Liber est encore leplus transparent, car l’image objective est certainement plus parlante

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que les tropes littéraires et les figures de rhétorique, surtout en unematière aussi expérimentale que celle de la chimie.

En épinglant ces quelques pages de commentaires aux planchesallégoriques du Mutus Liber, nous nous sommes proposé, sansquitter le manteau du philosophe, d’en faciliter la lecture, par uneinterprétation sincère, aux véritables inquisiteurs de science, probes,patients, laborieux comme les diligentes abeilles, et non aux curieux,désœuvrés et frivoles, qui passent leur vie à papillonner inutilementde livre en livre, sans jamais s’arrêter à aucun pour en extraire lamellifique substance.

Eh quoi ! La grammaire, la géographie, l’histoire, les mathématiques,la physique, la chimie et le reste ne deviennent accessibles qu’aprèsde longs et pénibles efforts, et l’on voudrait entrer au débotté dans le "Palais du Roi " sans observer les convenances et se soumettre auxlois de l’étiquette ! Une lecture hâtive et superficielle ne sauraitremplacer l’étude austère et grave. Les sciences profaneselles-mêmes ne sont pénétrables et assimilables qu’à la suite d’untravail soutenu et prolongé.

On peut nous objecter que l’Université compte d’illustresgrammairiens, géographes, historiens, mathématiciens, physiciens etchimistes, mais qu’on n’y signala jamais le moindre alchimiste. Et sil’agrégé d’alchimie est inconnu, c’est que l’alchimie est une chimère.Cet argument ad hominem n’est pas sans réplique : une chosecachée n’est point pour cela inexistante, et l’alchimie est une scienceocculte ; nous dirons mieux : elle est la science occulte tout entière,l’arcane universel, le sceau de l’absolu, le ressort magique desreligions, et c’est pourquoi on l’a appelée l’Art Sacerdotal ou Sacré.

Il y a dans toutes les croyances imposées au vulgaire au moyen d’unemythologie appropriée: Bible, Védas, Avesta, Kings, etc., unsubstratum positif qui est l’assise des sanctuaires de tous les cultesrépandus sur le globe. Ce mystère, reconnu dans le catéchismecomme l’apanage des Pontifes - qui ne sont pas les Dignitairespublics - est l’alchimie sur tous les plans: physique et métaphysique.La possession exclusive du sacrarium fait la force des Eglises; aussiveillent-elles sur le " secret maçonnique " avec un soin inquiet etjaloux, secondées par une police et une censure ombrageuse.

Nous n’avançons rien au hasard, et cependant ces allégationspeuvent sembler gratuites, parce qu’invraisemblables, attendu que,depuis l’invention de l’imprimerie, les livres hermétiques ont toujoursété publiés librement avec la licence des autorités civiles etreligieuses. Et rien, en effet, ne s’opposait à la diffusion de ceslibellés écrits en langues connues, mais en dedans; à telle enseigneque les plus grands chimistes de L’Ecole de Lavoisier à Berthelot- s’ysont brisé le front sans résultat. N’est ce pas ici le lieu de rappeler laméprisante apostrophe d’Artéphius et les avertissements hautainsdes Adeptes qui déclarent, sans ambages, n’écrire que pour ceux quisavent et leurrer les autres ! Ainsi fait-on parler le " Christ " dans lesEvangiles, et les disciples se modèlent sur le " Maître ".

Mais, pour être une science cachée, l’alchimie n’en est pas moins unescience réelle, exacte, conforme à la raison et, de plus, rationaliste.De tous temps, il y eut des " faiseurs d’or "; les " gentilshommesverriers ", même de nos jours, la transmutation opère encore desmiracles. A la suite de débats sensationnels et peu distants [Cetteintroduction a été écrite avant la première guerre mondiale. (N. de

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l’Ed.)] on a laissé dire - et au milieu de quelle stupeur quel’Administration de la Monnaie aurait saisi, sans autre forme deprocès - et pour cause ! - la production d’un alchimiste contemporain:- " Vous ne devez pas savoir pouvoir faire de l’or ! " Lui dit-on d’un aircomminatoire, en le renvoyant les mains libres, mais vides. Est-ildonc défendu d’être savant ou alors l’alchimie serait-elle un secretd’Etat ? Cela n’emporterait point cette conclusion naïve les ministresqui se succèdent soient au fait de la Kabbale. Les rois règnent, maisne gouvernent pas, suivant un aphorisme célèbre. Et il semble bien,par moment, qu’il y ait encore, dans la coulisse, quelque éminencegrise qui tire les ficelles! Le fameux " Galetas du Temple " n’estpeut-être pas si aboli qu’on le suppose, et il y aurait un livresurprenant à écrire sur les filigranes des billets de banque et lessigles des pièces de monnaie.

Mais dans ce cas, dira-t-on, pourquoi l’or est-il devenu si rare que lavie sociale en est comme paralysée ? Les espèces ne se sont pasvolatilisées, elles se sont déplacées, et il faut attendre qu’ellesreviennent à leur point de départ par un mouvement économiqueinverse. Seulement, une trop grande lenteur dans ce retour peut avoirdes conséquences incalculables.

La politique des peuples est réglée par un pacte métallique secret quine peut être violé sans entraîner les plus graves complicationsinternationales. On tirera donc des billets à tour de bras, mais on nefrappera plus de pièces d’or. Et pourtant, ce n’est point que l’ormanque : il s’étale ostensiblement, et avec quel faste, surd’innombrables épaules, autour de poignets, de doigts et même dejambes dont d’élégance et l’esthétique laissent parfois à désirer. Rienne serait, partant, plus facile pour l’Etat que d’échanger son papiercontre de la matière précieuse et de mettre les " coins " à l’œuvre.C’est paradoxal, mais c’est la vérité. Il y a donc à cette éclipsemomentanée du numéraire or une raison profonde fondée sur lasagesse. " Or est qui or vaut ", dit un adage. Si la frappe en était liciteaux nations qui ont épuisé leurs réserves normales, la surabondanceen entraînerait l’avilissement. L’étalon fiduciaire n’offrirait plus aucunegarantie et équivaudrait à de la fausse monnaie. L’équilibre financierserait rompu; ce serait la mort des affaires, la ruine mondiale. C’estpourquoi la production " naturelle " de l’or est elle-même limitée, sibien qu’on refuse la concession de nouvelles mines et jusqu’à sonextraction à pauvre rendement des sables fluviatiles et autres.

Cependant, l’heure est proche où la science réclamera intégralementtous ses droits, et ou l’occulte redeviendra manifeste comme il le futjadis. Le savant Girtaner l’a annoncé en basant son opinion sur deslois ignorées, mais certaines: " Au XXème siècle, la Chrysopée seradans le domaine public ". Cet événement considérable estsubordonné, évidemment, à un statu social tout différent de celui quinous régit; mais nous allons fort, le monde tourne vite, et qui peutprévoir la charte de demain !

Toutefois, si l’alchimie se bornait uniquement à la transmutation desmétaux, ce serait une science inappréciable sans doute au point devue industriel, mais assez médiocre au sens philosophique. Enréalité, il n’en est pas ainsi. L’alchimie est la clef de toutes lesconnaissances, et sa divulgation complète est appelée à bouleverserde fond en comble les institutions humaines, qui reposent sur lemensonge, pour les rétablir dans la vérité.

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Ces considérations préliminaires nous ont paru opportunes, avant deprendre charitablement le lecteur par la main pour le conduire dansles inextricables méandres du labyrinthe.

Comme notre désir est d’être utile aux chercheurs, mais que nous nepouvons, en quelques pages, écrire un traité technique, nous devons,avant d’entrer en matière, orienter le disciple vers l’ouvrage quisemble le mieux correspondre aux figures du Mutus Liber. La plupartdes manipulations indiquées dans ce recueil de symboles se trouventassez bien décrites par le plus notoire des philosophes, dans L‘Entrée Ouverte au Palais Fermé du Roy d’Eyrénée Philalèthe.

Ce n’est pas qu’il n’y ait plus rien à y ajouter. Loin de là, au contraire.La pratique de Philalèthe, qui nous est présentée sous des dehorsaimables et persuasifs, compte parmi les fictions les plus subtiles etles plus perfides de la littérature hermétique. Elle renferme cependantla vérité, mais comme le poison recèle quelquefois son antidote, si onsait l’isoler de ses alcaloïdes pernicieux. Le cas échéant, noussignalerons les traquenards à mesure qu’ils se présenteront sous nospas.

Le Mutus Liber se compose de quinze planches d’emblèmes, lesunes véridiques, les autres sophistiques, et disposés dans un de cesbeaux désordres qui, suivant le précepte de Boileau, est un effet del’art."

Nous sommes dans l'ensemble d'accord avec ce qu'écrivait PierreDujols, même si nous ne pouvons pas partager ses vues quant àla possibilité même des transmutations. Ce n'est pas que nous nele souhaitons pas, mais la raison a ses bornes là même oùcommence la poésie. Et même encore plus loin, si l'on veut bienentendre que la cabale hermétique a pour base une forme rare depoésie, celle qui dit par les mots du coeur et de la finesse d'espritce que d'aucuns voudraient ne prendre qu'à la lettre. Auquel cas,inutile qu'ils s'attardent sur l'alchimie, car, comme le ditMagophon, la " Philosophie ne leur est pas idoine ". Voici ce qu'écrivaitE. Canseliet, en introduction à l'analyse de la Porte alchimique dela villa Palombara :

"Magophon, c'est la voie du mage : µαγου, magou, du mage et ϕωνη,phoné, voix, parole. Le pseudonyme dissimulait Pierre Dujols de Valois quirédigea, pour la première fois, une excellente explication des planches duLivre muet - Mutus Liber.cette édition, la troisème depuis 1677, après cellede Jean-Jacques Manget, en 1702, qui fut achevée d'imprimer le 23 juin1914, donna la naissance à 285 exemplaires, numérotés et paraphés parEmile Nourry. Parmi ceux-ci, nous possédons le numéro 22 dont PierreDujols fit hommage à notre Maître et dont nous donnons, en fac-similé,l'envoi manuscrit sur la page de faux titre. Cela sans commentaire, si cen'est que nous traduisons ces petits vers latins, simplement pour détromperceux qui veulent que le libraire-érudit, mort en 1926, ait été Fulcanelli :

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Ouverte aux ingénieux, - Et scellée pour les sots, - Je t'offre cette lecture -Pour nous élucidée." [Deux Logis Alchimiques, Pauvert, 1979]

Pierre Dujols de Valois (1862-1926)

Pierre Dujols était persuadé que l'alchimie spéculative étaitincomplète et trompeuse et que les textes, de même que lesimages, revêtaient des significations plus profondes, non pas parleur ésotérisme avoué mais par leur exotérisme caché. Il réponditun jour à son ami Paul le Cour, qui voyait l’alchimie comme uneascèse intérieure :

« qu’il était complètement dans l’erreur et qu’il ne pouvait pas comprendrel’intellectualisme hermétique sans travailler sur la matière, que laterminologie hermétique ne pouvait être remplacée par une terminologiescientifique »

Le 19 avril 1926, peu après qu'il eût terminé de lire Le Mystère desCathédrales, Pierre Dujols devait décéder, âgé de 64 ans.

"Je l'ai salué quelquefois, déclare Canseliet, entr'aperçu sur son grabat, où ilgisait perclus, souffrant d'une arthrose - comme Scarron. Il ne pouvait pasplier les genoux ni, par conséquent, quitter la position assise. Alors, le soir,quand il s'étendait, ses genoux restaient en angle et lui servaient de pupitre."

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Nous ne saurions passer sous silence le travail de Serge Hutin[SH] sur le ML, publié aux éditions Le Lien, à Maizière-lès-Metz en1966. Rappelons que S. Hutin (1927-1997) fut un hermétiste dehaut vol et qu'on lui doit plusieurs ouvrages d'importance sur l'Artsacré dont un Que Sais-je sur l'Alchimie, récemment réédité.

Serge Hutin

Il était tentant de reprendre le travail de Hutin à propos du ML, enmiroir de celui que propose Dujols dans son Hypotypose ; aprèstout, le hasard a voulu que M. Hutin soit né l'année qui a suivicelle de la mort de Dujols. Nous avons donc amplifié l'analyseconsacrée à chaque planche, en remployant les notes de Hutin,non pas in extenso car il y aurait eu de nombreuses redites, auregard de nos commentaires propres, mais en faisant ressortirl'acuité de ses remarques concernant tel point qui aurait pu nouséchapper ou tel autre qui aurait dû mériter un développementspécial. Le texte de Hutin peut être trouvé dans ce site :

http://perso.wanadoo.fr/pensee.sauvage/telechrg/mutus.pdf.

[pour la commodité de la consultation, vous trouverez d'abord les planchesen vignettes, à agrandir en cliquant dessus. Chaque planche est ensuitecommentée, et peut être agrandie de même. Nous donnons d'autresplanches, en couleur, dans la section des gravures.].

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planche 1 planche 2 planche 3 planche 4

planche 6 planche 7 planche 8 planche 9

planche 11 planche 12 planche 13 planche 14

II. Explications concernant les opérations qui sedéroulent aux planches 4, 5, 6, 7 et 10 -

Pour un livre muet, le Mutus Liber [ML] peut être disert à unétudiant qui a lu ses textes. Posons d'abord que le ML estconstitué d'une série de planches formant l'oratoire et d'une autresérie formant le laboratoire. La planche 1 sert de portique etmontre que c'est du Mercure qu'il sera question ici. La relation àl'airain ne fait aucun doute là-dessus. La planche 4 montrecomment on obtient la première matière, celle qui donne accès auMercure commun. Cette matière est formée de deux substances,

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l'une voilée par la figure d'Arès et l'autre par celle deVénus-Aphrodite. La réunion des deux fournit une substanceliquide [ou plus exactement pâteuse, objet de la sublimationphilosophique], idéalisée par la rosée de mai, que le couplerecueille dans de larges bassines. Ce sel fait l'objet d'unepremière calcination à la planche 5. On recueille un premier Caput

mortuum, qui correspond à un sel en forme de ∆ et sans doute denature mercurielle, là encore purement idéalisé : il s'agit duMercure commun. L'esprit, qui s'est condensé dans le gros ballonqui correspond au récipient est ensuite mis au fourneau au bainde sable. La planche 6 montre le recueil de la substance aprèsqu'elle a été mise en digestion au bain de sable. Le matras ouvertest disposé au fourneau à réverbère et va donner, là encore deuxproduits, l'un sous forme d'un résidu qui correspond au Soufre,figuré par une | et l'autre sous forme d'un autre esprit qui va secondenser dans le récipient. A la fin de la planche 6, le Mercure

∆ est mis à calciner au fourneau dans un pot. Vient la planche 7.Dans un premier temps, on mêle l'esprit obtenu précédemment etle Mercure commun qui a été calciné. Le tout est mis encalcination et on recueille un troisième sel, sous forme d'une ¯qui correspond au double Mercure. C'est ce qu'exprime la scènede l'oratoire du bas de la gravure où l'on voit Saturne dévorer sonpropre enfant. Enfin, vient la planche 10. On prend le Soufre quicorrespond à la | que l'on joint à ¯ qui correspond au doubleMercure. Le tout {|¯} est pesé selon les proportions requiseset mis dans un matras qui est scellé au feu de lampe : ce serait lefameux sceau d'Hermès. C'est manifestement la voie humide quiest ici exposée, celle que nous n'avons pu, jusqu'à présent,malgré une section entière, dévoiler autant que nous l'aurionsvoulu... Le matras est disposé ensuite dans l'athanorphilosophique et la Grande coction démarre. On doit passer,selon la tradition, par trois couleurs, en débutant par le noir, puisle blanc et enfin le rouge. L'opération entière semble pluscomplexe que celle qui a été décrite, parce qu'il faut passer pardes réitérations de la même technique, ainsi que semblent lemontrer les planches intercalées, notamment les deux couples 8 -9 et 11- 12. Les planches 8 et 11 ont un rapport évident avec laplanche 2. C'est la partie supérieure qui diffère en ce que, à laplanche 2, les acteurs hermétiques nous sont en quelque sorteprésentés, de part et d'autre de Jupiter, tandis qu'aux planches 8et 11, nous apercevons le Mercure philosophique et les aigles quiindiquent une sublimation. La planche 13 ne diffère de la planche10 que par les chiffres qui apparaissent en bas et à droite. Ilsindiqueraient le pouvoir de multiplication de la teinture... Laplanche 14 semble être comme un mode d'emploi. La partiesupérieure montre trois tours qui correespondent à l'athanor. Il y atrois coctions. La vignette au-dessous montre les trois chiffresromains : VI - II - X qui correspondent au triangle de feu des

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astrologues, avec respectivement : Lion - Bélier - Sagittaire [cf. zodiaque alchimique]. Si l'on fait l'hypothèse qu'il y a concordanceentre les tours et les 3 séries, la quenouille serait peut-êtrel'indice d'un feu qui doit être dosé en sorte que le contenu soitdans un état filant, mais alors on ne comprend plus pourquoi c'estla voie humide qui est exposée, car la température s'élève bienau-delà de 500 °C et le matras volerait en éclat. En résumé, ilserait excessif d'observer dans ces gravures allégoriques letravail réel pour la voie humide. Mais il y a d'importantesindications à retenir concernant les questions de la séparation, dela conjonction et de la sublimation.

III. Mutus Liber

planche 1

L'échelle des philosophes sépare en deux parties cette image,encadrée par des branches de rosier ; deux anges sonnent de latrompette ; un dormeur est étendu, allongé sur le côté droit surune roche ; en haut, la lune en son dernier quartier.

L'échelle se retrouve à la planche II du Myst. et Fulcanelli lacommente ainsi :

"Maintenue entre ses genoux et appuyée contre sa poitrine se dressel'échelle aux neuf degrés - scala philosophorum - hiéroglyphe de la patienceque doivent posséder ses fidèles, au cours des neuf opérations successivesdu labeur hermétique..."

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L'Adepte commente ici l'échelle de la Philosophie, au grand portailcentral de Notre-Dame de Paris. Et d'ajouter :

"La patience est l'eschelle des Philosophes, nous dit Valois [Oeuvres de Nicolas Grosparmy et Nicolas Valois, Mss. biblioth. de l'Arsenal, n° 2516(166 S.A.F.)], et l'humilité est la porte de leur jardin ; car quiconquepersévérera sans orgueil et sans envie, Dieu lui fera miséricorde."

Essayons de décrypter les mots-clefs ; la patience renvoie à patio[souffrir, supporter] qui est une indication sur l'un des deuxprincipaux corps dont est composée la pierre : le patient d'abord,qui est le Corps ou Sel, dont l'animal fétiche est le cerf. L'agentensuite, qui est le Soufre rouge et dont l'animal symbolique est lalicorne. Nous avons identifié ailleurs le patient à une Terre etl'agent à une chaux métallique qui est la teinture de la Pierre. L'humilité [humilis] de humus [sol, terre] nous indique qu'unesubstance ne s'élève pas du fond de la cuve lorsqu'elle estmaintenue en solution : autrement dit, elle précipite. C'est laclassique allégorie de l'état « humble et modeste » ou du caractère «boueux, limoneux » que les Adeptes emploient pour désigner lapierre des philosophes. Lorsque Nicolas de Valois dit quel'humilité est la porte du jardin, il s'agit de la stricte vérité puisque,sous l'humilité, se cache le dissolvant universel à son stadepremier - Lion vert -, appelé aussi Mercure commun. Sonanimation, par infusion des Soufres, le transformera en Lionrouge. L'orgueil ou la fierté [ferus] traduit un caractère sauvage, noncultivé mais aussi grossier, cruel et se rapproche par assonancede ferrum [le fer, au sens de glaive ou d'épée mais aussi au sens de

rouilleà ferre] ; il s'agit là d'une indication sur le travail du 3ème

oeuvre, en son début, là où le chevalier doit combattre le dragonécailleux qui figure le Mercure [on peut trouver dans l'emblème XLI deM. Maier en son Atalanta fugiens, une bonne analogie avec le sanglier deCalydon]. Ce dragon, d'ailleurs, est un symbole ubiquitaire. Ilsignifie dans une première acception l'une des matières premièresqui se trouve dans un état feuilleté, friable et qui présente parfoisdes points colorés qui signalent une partie vitriolique. Dans uneseconde acception, le dragon écailleux est le symbole duMercure, comparable à Cronos ; c'est alors l'équivalent de la terrefeuillée des Sages qui doit être ouverte avant que l'or puisse yêtre « enté ». L'une des gravures du De Lapide Philosophorum deLambspinck [gravure 2] illustre parfaitement le devenir de cedragon, à une phase avancée de la Grande coction. L'envie doit être comprise dans le sens de désir [regretter, déplorerune perte] qui nous renvoie aux pleurs des mères du massacre desInnocents de N. Flamel, c'est-à-dire à l'époque de l'introduction duCorps et de l'Âme dans l'Esprit [comprenez la dissolution du Sel et duSoufre dans le Mercure]. Les neuf opérations, enfin, représentent le temps hermétique dela Grande Coction

[Léto souffre pendant neuf jours et neuf nuits les douleurs de l'enfantement,

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i.e. avant le début de la coagulation. Léto ou Latone fut assez heureuse pouraborder l'île de Délos, où elle accoucha d'Apollon et d'Artémis, autre nom deDiane aux cornes lunaires]

et les Anges, qui selon le pseudo-Denys, sont hiérarchisés entrois triades. Ces anges, nous les voyons, qui s'apprêtent àéveiller le dormeur, c'est-à-dire à animer le Mercure. Car cettescène n'est qu'une allégorie de l'animation du Mercure et nousdonne le sujet du ML. cette scène se rapporte évidemment au Lionvert, la grande inconnue du problème ; cette allégorie se rapporteaussi à la dissolution des deux principes dans le Mercurephilosophique et au laiton que certains auteurs ont appelé l’airain.Ce dormeur est sur le point d'être réveillé au son de l'airain. C'estl'opération de la transformation du Lion vert en Lion rouge qui estsymbolisée. Les roses doivent être rapprochées de « nitri flore »qui désigne la fleur de nitre. On en récoltait jadis en Egypte et enMacédoine. Il s'agit probablemant d'un sel alcalin. Un doutesubsiste dans l'interprétation du quartier lunaire dans la mesureoù certains critiquent ont indiqué que la lune devrait plutôt être àson premier quartier ; nous nous rangeons à cette vision dans lamesure où le travail va commencer. La Lune en son premierquartier, nous l'avons montré dans la section de l'OlympeHermétique, désigne le Mercure philosophique, alors que la Lunedans son dernier quartier désigne le Sel des philosophes. Onconnait une autre version de cette planche où l'on voit, d'après E.Canseliet, que :

"...l'alchimiste sommeille, paresseusement étendu, une énorme roche luiservant d'oreiller, non loin d'une nappe profonde qui alimente, en chute vive,le ruisseau coulant à ses pieds."

On ne saurait en vérité mieux parler du Mercure philosphique. Le cielétoilé et serein renvoie évidemment à Jupiter, arbitre suprèmedont le rapport avec Thémis est des plus étroits. Ce ciel serein estaussi celui de la rosée de mai, qui symbolise le dissolvant. De cettepremière planche, Magophon nous a donné l'interprétationsuivante :

"La première, qui sert de frontispice, est vraiment capitale. De sacompréhension dépend tout le succès de l’Œuvre. On y voit, dans uncartouche formé de deux rosiers entrelacés, un homme endormi surun roc où végètent des kermès rabougris. Une eau limpide s’enépanche avec des reflets métalliques. A côté du dormeur, sur uneéchelle - l’Escalier des Sages - deux anges sonnent de la trompettepour le réveiller. Au-dessus, un ciel nocturne propice au repos : lesétoiles brillent et la lune découpe sa corne d’abondance.

Cette page initiale comporterait une critique non imputable à l’auteurinstruit, mais à l’artiste profane qui, dans la reproduction des figures,a commis, sans s’en douter, un lourd contresens. Et c’est déjà ungrand point que de le signaler, sans qu’il soit nécessaire d’insisterdavantage. Les gloses hermétiques en avertiront le disciple qui nejugera pas inutile de s’informer.

L’Homme endormi est le sujet de l’Œuvre. Quel est ce sujet ? Les uns

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disent que c’est un corps ; d’autres affirment que c’est une eau. Lesuns et les autres sont dans le vrai, car une eau, dénommée " la belled’argent ", jailli de ce corps que les Sages appellent la Fontaine desAmoureux de Science. C’est le mystérieux selage des Druides, lamatière qui donne le sel ( de sel pour sal et agere produire ). Lesecret du magistère est d’en dégager encore le soufre et d’en utiliserle mercure, car tout est dans tout. Certains artistes prétendents’adresser ailleurs pour cet effet, et nous ne nierons pas quel’hydrargyre de cinabre puisse être de quelque secours dans letravail, si on sait dûment le préparer soi-même ; mais on ne doitl’employer qu’à bon escient et à propos. Pour nous, celui qui parvientà ouvrir le rocher avec la verge de Moïse, et ce n’est pas une minceconfidence, a trouvé la première clef opératoire. Alors, sur cettepierre abrupte fleuriront les deux roses qui pendent aux branches del’églantier, l’une blanche et l’autre rouge.

On nous demandera, et non sans raison, quel verbe magique estcapable d’arracher aux bras de Morphée notre Epiménide, quisemble vraiment sourd aux clameurs des buccins. Ce Verbe vient deDieu, porté par les anges, les messagers de feu. C’est un souffledivin qui agit de manière invisible, mais certaine, et ce n’est pas unehyperbole. Sans le concours du ciel, le travail de l’homme est inutile.On ne greffe les arbres ni on ne sème le grain en toutes saisons,chaque chose a son temps. L’Œuvre philosophale est appelél’Agriculture Céleste, ce n’est pas pour rien ; un des plus grandsauteurs a signé ses écrits du nom d’Agricola, et deux autresexcellents adeptes sont connus sous les noms de Grand Paysan etde Petit Paysan.

Le disciple devra donc méditer longuement sur cette premièreplanche, la confronter avec les apologues en langue vulgaire.Puisse-t-il être assez heureux pour entendre lui-même la voix du ciel ;mais qu’il sache, auparavant, qu’il y prêtera l’oreille en vain, s’il n’estnourri lui-même des Saint Lettres." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Pierre Dujols, alias Magophon, manie la cabale hermétique avecune dextérité consommée. Certains prétendent que Dujols, lelibraire-érudit, aurait pu être Fulcanelli... Il est certain que l'ontrouve dans son Hypotypose des passages qui évoquent fortementMyst. et que le style de Dujols se rapproche étrangement de celuide Fulcanelli. Quoi qu'il en soit, il est facile de voir que ses proposse rapportent à la préparation du Mercure. Et qu'un sulfate [ou unsulfure] est nécessaire à l'oeuvre, sans lequel l'hydrargyrephilosophique ne peut se manifester. Cette hydrargyre vient-il ducinabre ? Voilà une grave question à laquelle beaucoupd'apprentis alchimistes, et encore de nos jours, semblent avoirrépondu de manière positive, puisqu'ils oeuvrent avec le « Dragonrouge », du cinabre, et d'autres avec le sublimé corrosif. Cetteplanche 1 représente l'allégorie du réveil du Mercure. L'évocationdu kermès [voir ce terme en recherche] n'est pas innocente et ceuxqui savent l'analogie qui existe entre le kermès, la noix de galle etl'étain grenaillé, en savent déjà assez sur le moyen de préparer leLaiton. Cette première figure a aussi été commentée par ArmandBarbault dans son Or du Millième matin [J'ai Lu, 1969] :

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"...vous y verrez un personnage curieux, endormi au creux d'une petitecolline, tandis qu'en songe il perçoit le son de la trompette d'un ange qui luiapporte l'Annonciation. Cet ange, placé sur l'échelle de Jacob, reçoit l'échod'un autre ange, situé lui, au sommet de l'échelle et qui, dans sa trompette,produit également le son que l'autre ange doit faire entendre à l'Adepte.Cette figure, placée à l'intérieur d'une couronne de roses, doit être méditéepar quiconque désire entrer dans la citadelle alchimique..."

A. Barbault n'évoque pas le kermès. C'est donc une indicationprécise que nous donne Dujols : ceux qui ont lu Myst. saurontl'apprécier à sa juste valeur. L'Escalier des Sages, outre qu'ils'agit de l'échelle de Jacob, constitue un clin d'oeil aux Amoureuxde science qui y reconnaîtront deux ouvrages majeurs : la ScalaPhilosophorum [Guido de Montanor, BCC, II, pp. 134-147; Artis Auriferae,vol. II, pp. 71-111 ; De Alchimia opuscula..., I, f. 101-135] et l'Escalier desSages de Barent Coenders van Helpen [voir gravures]. Quant auson de la trompette, c'est évidemment une allusion au Clangor Buccinae [parfois attribué à Guido de Montanor, BCC, II, pp. 147-165; ArtisAuriferae, vol. I, pp. 289-349; De Alchimia opuscula..., I, f. 19-69]. Notons encore une allusion à la Cassette du Petit paysan, attribuée àGrasseus [l'Arche ouverte ou Arca arcani in Bibliothèque desphilosophes chymiques, IV, 186-234 ; BCC, II, 585-619 ; TC, VI, 294-323]. Quant à l'Artiste qui signait ses oeuvres Agricola, il ne peut s'agirque de Daniel Agricola. Voici ce qu'en dit Ferguson.

AGRICOLA (Daniel), Philopistius.

Galerazeya. Siue Revelator Secretorum. I. De Lapide Philosophorum.II. De Arabico Elyzir. III. De Auro potabili, & Pomis Paradisi. AuthoreAgricola Philopistio Germano Coloniae. Apud Petrvm Metternich,prope Augustinianos Anno M.DC.XXXI. 24°. pp. 109, 173 [8, 1 blank).This volume contains: title, pp. 2 ; Printer to the reader (explaining thedeceptive title), pp. 3-8; origin and occasion of the book, pp. 9-14.Part I. consisting of the contents, pp. 15.17; first dialogue of Danieland Joachimus, pp. 18-92: Contents, pp. 93.102; first part of theGalerazeya, called Lapis Philosophorum, subdivided into sevensections, pp. 1-173; Index and Errata, pp, [8] The remaining two parts(with their introductory dialogues) are not contained in this volume.Were they ever printed? In the first edition of the first part theintroductory dialogue was somehow left out; but now in the secondedition It has been put in its right place (p. 16),

This is considered an alchemical book, and is ascribed to "G. AgricolaPhilopistius" by Borel (Bibl. Chemica, 1654, p. 4), who gives "LapisPhilosophorum" as an alternative title and the date, Coloniae, 1531,24°. Borel is copied by Dufresnoy (Hist. de la Phil. Hermétique,1742. iii p. 82, who identifies the author with G. Agricola themetallurgist, adding the date 1534. Schmieder [Gesch. d. Alchemie1832, p. 269) copies from these writers, but makes additional difficultyby ascribing the Rechler Gebrauch d' Alchimei, Köln, 1531 (q.v.), alsoto Agricola the metallurgist. None of these writers mentions the 1631edition, and if it were not that reference is made in itself (p. 16) to aprevious edition, I should incline to the belief that Borel had made amistake in the date, which was copied by subsequent writers. Theascription of the book to George Agricola, and the statement bySchmieder that Agricola had pursued Alchemy in his youth, but thathis books though printed then did not attract notice till after he had

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become otherwise distinguished, will not stand investigation. 1. The Rechler Gebrauch d' Alchimei is a book of miscellaneous receipts andtreats very slightly of transmutation, and, although its date be 1531,the place of printing is not given; most likely it was printed byEgenolph at Frankfurt 2. The Galeraseya does not treat of Alchemy atall, but is a book of Roman Catholic controversy and beliefs, and itwas recommended to be used for converting heretics. The LapisPhilosophorum spoken of is entirely symbolical, and signifies faith inthe Roman Catholic church. 3. The nominal author is Daniel — not G.or Georg — Agricola Philopistius, 'lover of the faith,' — notPhilopeusles, ' lover of enquiry or research,' as Schmieder gives it 4.The author or editor confesses frankly that the title is an ingeniousone, a bait to catch readers, "esca in hamo, quo pisces capiuntur," ashe says, so that those who buy or read the book in the hope that theywill learn now to make gold, the gold that perisheth, will find that theyhave acquired instead a pearl of priceless value. 5. The origin of thebook is described in the introduction and first dialogue. The author(Daniel Agricola), who was living in Germany some 50 years beforethe date of the book, after long study and making great acquirements,at the age of 30 travelled over all the world and learned all he could.After an absence of 60 years, he returned to Germany. A young men,called Joachimus. who had wasted his substance in searching for thephilosopher's stone, and was forsaken of his kinsfolk andacquaintance, came to the town where Daniel was, and as luck wouldhave it met him and told him his sorrows. Daniel consoled him andpromised that he would reveal to him the true stone. After Daniel andJoachimus had lived together for so years, Daniel died calmly at thenot immature age of one hundred and ten years. Joachimus thencommitted his teaching to writing, both for the guidance of others, andin memory of Daniel himself. This work came into the hands of thewriter of the preface, whoever he was, who had it printed. 6. Thedates now given will not suit George Agricola under anycircumstances. If Daniel flourished 50 years prior to 1631, say in1580, then he was alive twenty-five years after George Agricola wasdead. If the book was published in 1531 and Daniel was alive 50years before that time, say in 1480, he must have been ten years oldat least, possibly fourteen, before George Agricola was born.The whole story seems to be fictitious. The book is not by GeorgeAgricola, it is not about Alchemy, so that Schmieder's derivation of thename from γαλερος and αζο meaning the'' fortunate " or "joyfulblackness," and referring to that product of "putrefaction" which thealchemists called "caput corvi," is mere nonsense. If the Galeraseyabe the result of a hundred and ten years' study, travel, meditation,instruction, it is very small for its age. If Schmieder's statements aboutAgricola's youthful alchemical studies and publications were correct,and the Galeraseya were one of these printed in 1531, Agricola at thattime was thirty-seven (possibly forty-one) years of age; not a youth,therefore, and he had already published the Bermannus, was settledat Chemnitz, and was a man of distinction for scholarship. The bookhardly merits so much notice, but it has been so persistently ascribedto G. Agricola that it is as well that the account it gives of itself shouldbe known, and the current errors rectified. Kopp, however, says (Die Alchemie, 1886, i, p, 41) that these works are erroneously ascribed tohim, though he is not correct in saying that the Galeraseya is by a G.Agricola; but he quotes Schmieder as to the meaning of the word(Ibid, ii. p. 339), and does not seem to have been alware that the bookdoes not deal with Alchemy at all.

Revenons un instant sur la planche 1 : SH rappelle

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opportunément cet ouvrage de Bernard Le Trévisan, le Songe Verd. Ce petit écrit fait partie de ces textes où le héros estendormi et fait l'objet de ses songes; citons d'autres exemples comme l'Hermès Dévoilé de l'Adepte Cyliani ou encore la Fontaine des Amoureux de science de Jean de Meun. Quand ce ne sont pasdes rêves, ce sont des visions : celle de Zozime que Jung aanalysée dans ses Racines de la Conscience [trad. Buchet Chastel] ou celles de Ripley [voir Ashmole, Theatrum Chemicum Britannicum ainsique : Compound of Alchemy et Ripley Scrowle]. Zosime voit un prêtreblanc [Berthelot, Alchimistes Grecs, III, t. 2] dont le nom Ιων peut, àce qu'en rapporte Jung [Psychologie du Transfert, trad. Albin Michel, p. 129, n. 13] être l'une des formes du Mercure, par le biais de laforme Merqûlius ou Marqûlius [il s'agirait d'un Sabéen].

« La conception primitive de l'alchimie apparaît sous une forme dramatiséedans la vision de Zosime, à peu près comme elle pourrait se présenter dansun rêve réel. » [Jung, Racines de la Conscience, op. cit., les visions de Zosime, p. 189, Pochothèque]

Jung ajoute que dans la première version de la Vision, le prêtre sesoumet volontairement au sacrifice qui se trouve accompli par lehiérourgos [celui qui opère l'action sacrée] : il transperce Ιων de sonépée. L'un des passage des Visions de Zosime peut être mis enrelation avec la planche I du ML :

Avec peine, je fus pris du désir de gravir les sept degrés et decontempler les sept châtiments : et, comme il convient, en un seuldes jours, je parcourus le chemin de l'ascension. En m'y reprenant àplusieurs fois, je me trouvai enfin sur la route. Au retour, je perdiscomplètement mon chemin et, plongé dans un grand découragement,ne voyant pas par où sortir, je tombai dans le sommeil.Berthelot, III, V, 1

Ces degrés doivent être rapprochés de ceux de plusieursplanches, à commencer évidemment par l'échelle de Jacob.Citons l'une des gravures de l'Alchemia de Libavius [Tractatus quartus De Lapide Philosophorum, p. 56]. L'attention est attirée par ladroite ligne de l'aller, l'ascension ne posant guère de problèmetandis que le retour est marqué par l'installation de la confusion.Voilà qui nous rappelle la parabole du labyrinthe de Salomon dontFulcanelli assure qu'il faut non seulement savoir accéder à lachambre centrale [le sel fixe ou sulphur ] mais encore trouver la

sortie, c'est-à-dire le degré de coction permettant d'éviter debrûler les fleurs [autrement dit d'éviter que l'Esprit ne parte en fuméeavec le qui y est infusé]. Ce morcellement de la conscience qui

consiste en une progressive domination de l'inconscient sur leconscient trouve évidemment sa résultante dans le sommeil,éclipse du MOI. C'est là que le prêtre Ιων apparaît à Zosime. Iljoue le rôle de psychopompe c'est-à-dire de transporteur d'âme.Pour l'alchimiste, c'est le véhicule du ou spiritus corruptus. C'est ce que l'on aperçoit sur la gravure 8 du Ros. Phil. : l'esprit sortant

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du corps correspond à l'entrée du labyrinthe. Le sommet de lamontagne est à mettre en relation avec la dépuration du ;

De Lapide Philosophorum, duodecima figura, Musaeum Hermeticum, 1678,p. 365

Voyons les rapports entre la planche I du ML et la figure 12 du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck. Le rêveur trouve sa forme

projetée dans le couple { } du sommet de la montagne là où le

ciel se fait couleur d'azur [ιος]. C'est le cas du ciel étoilé du MLque l'on retrouve à droite, encadrant la . Dans le coupled'idéogrammes notés entre {}, nous avons fait figurer l'animusavec, en exposant, le Mercurius. Il faut nous attarder un peu surun point, que nous avons déjà relevé dans l'analyse desaquarelles de l'Aurora consurgens et qui trouve ici un intérêtrenouvelé. C'est à propos de l'ambiguité entre animus et anima

. Ambiguité que l'on retrouve par exemple chez Jung, depuis

ses premiers écrits [Introduction au Yi-King, in Synchronicité etParacelsica, trad. Albin Michel, 1990] jusque dans ses dernièresoeuvres en relation avec l'Art sacré. Non pas que les conceptsd'esprit et d'âme soient confondus; mais en tout cas, ils ne sontpas indépendants [voir Ripley Scrowle].

« La noirceur rougeâtre apparaît, et elle tombe en maladie et en rouille, puismeurt par la putréfaction. Normalement, elle n'est plus soumise à la fuite,puis quand elle est libre, elle se rassemble avec son conjoint et fait desprières sincères pour prendre sa couleur et pas seulement un ornement.Mais, avec une monnaie qu'on leur donne, ils deviennent de l'or. Cet espritet âme, les philosophes l'appelèrent vapeur. Ils dirent aussi que ce noirhumide était exempt de souillure, comme dans l'homme, il n'y a pas del’humidité et de la sécheresse. Ainsi, notre œuvre que les envieux ont cachén'est que vapeur et eau » [Turba, sermon XXXV, version 1]

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Il est difficile de tirer le grain de l'ivraie de cette versionabominable de la Turba [BCC, I, pp. 445-465] qui, malheureusement,est encore la seule disponible en français [in Salmon, Bibliothèquedes Philosophes Chymiques, vol. II, pp. 1-55]. Du moins, l'essentielpeut-il être retrouvé « vapeur et eau » ou si l'on préfère « spiritus & vapor ». Dans cette partie de l'opus correspondant à la fin de lanigredo , l'Esprit est encore maître des lieux [vas naturae : vase

de nature, i.e. V.I.T.R.I.O.L.E.U.M. ou oelum vitri, alias huile de verre],sous forme visqueuse et encore corrompue - ce qu'exprime levocable spirituel -. Il est d'habitude signalé aux impétrantscomme un aigle, ainsi que Zosime le tire de la bouche d'Ostanès :

« Va vers le courant du Nil, tu trouveras là une pierre ayant un esprit;prends-la, coupe-la en deux, mets ta main dans l'intérieur et tires-en lecœur, car son âme est dans son cœur. »

(MS. 2327 fol. 169 v° et 170. Voir Berthelot, DES ORIGINES DEL'ALCHIMIE ET DES OEUVRES ATTRIBUÉES À DÉMOCRITE D'ABDÈRE.JOURNAL DES SAVANTS. -- SEPTEMBRE 1884 - in Idée alchimique, I)

Il s'agit d'une allégorie sur le mystère de la sublimation. Diodorede Sicile [Histoire Universelle] en parle comme des crues du Nilpour visualiser cette vague déferlante qui apporte la terre noire,limoneuse et fertile, qui ensemence la terra alba foliata. La TurbaXXXV,1 est un commentaire sur l'or alchimique car la noirceurrougeâtre annonce l'horo aura [voir Aurora consurgens] et la rouille n'est autre que l'ιος, qui renvoie par effet de miroir l'imagecorrompue du prêtre blanc Ιων. L'iconographie nous montre aumoins deux représentations du hiérourgos, que nous avonsévoqué supra. L'une, dans Petrus Bonus [Pretiosa MargaritaNovella], l'autre dans le Speculum veritatis [XVIIe siècle, BibliothèqueApostolique du Vatican, Cod. Lat. 7286].

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Speculum veritatis, Anonyme, XVIIe

Là encore, les symboles se rapprochent de ceux développés surla planche I du ML. Le hiérourgos est représenté par l'élément :

il transperce de son épée le Mercurius senex contre le chêne.

Rappelons que cet arbre, pour beaucoup, à cause de l'allusion autrisulfure d'antimoine, est une projection de la prima materia; nous sommes d'un autre point de vue [voir Symboles et Introïtus, VI]. Lechêne - aesculus - paraît se rapporter à la préparation de l'Airaindes Sages, c'est-à-dire au Rebis. Fulcanelli a brodé là-dessusune allégorie sur la coagulation du . C'est nommer la noix de

galle, d'où l'allusion au coq [gallus] que l'on voit si curieusementen train de couver [sic] dans un nid... À droite, c'est le serpent quiest fixé, à l'instar de celui des figures du Livre d'Abraham Juif [voirgravures]. Cette gravure du Speculum veritatis a le mérite deprésenter une monade si l'on tient compte des deux couples {

} et { }. Par aes [cuivre, laiton], il est clair que le chêne se

rapporte à l'airain ou hermaphrodite. Aes prend aussi le sens desolde [aes militare par exemple] expliquant d'ailleurs l'une des planches de la Philosophia Reformata de Mylius [gravure 28] : d'oùl'allusion à la monnaie dans le sermon de la Turba, 1, XXXV. Ce n'est pas tout :

« Que Diane ici te soit propice, qui sait dompter les bêtes sauvages et dontles deux colombes (qui ont été trouvées volant sans ailes dans les bois de laNymphe Vénus) tempéreront de leurs plumes la malignité de l'air... »[Introïtus, VI]

Telle est la bénédiction du Philalèthe. Si l'on observesoigneusement les branches de rosier de la planche I, il est assez

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facile d'y trouver l'idéogramme de l'acide muriatique . Toutefois,

la présence dans l'angle supérieur droit de la [qui devrait êtrecomme le signale Canseliet en son premier quartier] donne à l'ensemblel'apparence de l'aes ustum. Sur le Speculum veritatis, nous en trouvons l'allégorie dans le serpent cloué au chêne, c'est-à-dire [sur l'arbre envisagé comme rotundum, voir Aurora consurgens, I]. C'est la galle de notre kermès :

« Prends le feu ou la chaux vive dont les philosophes disent qu'elle poussesur les arbres... Dieu lui a accordé une force et une efficacité si grandes quela divinité elle-même est mêlée à ce feu. Et ce feu purifie tant au purgatoireque dans les enfers. » [Gloria Mundi seu Tabula Paradisi, Musaeum Hermeticum, 1678, pp. 203-305]

Sur le symbolisme de la galle, nous renvoyons à nos symboles. Il ne fait aucun doute que, pour les Adeptes, notre feu est celui dusaint Esprit qui unit au en sorte d'en faire l'anima mundi . De

cette rouille [ιος] du chêne, l'Artiste va tâcher de faire naître etprospérer le gui [ιξος], remède universel. C'est là ce Lion Verdque signalent tant d'auteurs comme Georg Ripley ou BasileValentin. Les druides le cueillaient en hiver quand l'arbre estdépouillé, ce qu'atteste ce nid dans lequel trône le coq [gallus] du Speculum veritatis. Ce gui représente le véritable élixir del'alchimiste, en ce qu'il est sa résine ou son humeur visqueuse[ιξος] dans lesquelles on reconnaît le Mercure philosophique. Etc'est en droite ligne [ιξις] que nous sommes conduits au sulphur

et à sa réincrudation. Mais c'est là un terme encore lointain et

nébuleux, que nous ne verrons se dévoiler qu'à la planche 15 : patience et humilité ! Poursuivons. SH décrit ensuite les couleurs- qu'il faut comprendre par l'entendement - des deux roses quel'on aperçoit à l'extérieur du mandala formé par les branchesentre-croisées :

« On remarquera aussi les deux fleurs qui pendent en bas du la figure; laplanche est en noir, mais leurs couleurs respectives ne font pas de doutepour l’Hermétiste; celle qui correspond à la polarité féminine est blanche, celle qui correspond à la polarité masculine est rouge. » [Vingt-cinq Commentaires sur le Mutus Liber, op. cit.]

La fleur de gauche pointe vers la ; celle de droite nousprésente ses pétales et étamines. Elle rappelle la rose de RobertFludd [Summum Bonum, 1629, voir Aurora consurgens, I] qui esttournée vers l'air et le et dont la forme suit celle de . La

logique hermétique veut que la fleur blanche soit liée à la et la fleur rouge, à . La rose blanche est l'image du SEL tandis que la rose rouge est liée au sulphur [voir Fontenay pour plus

d'explications]. Mais nous n'avons pas épuisé la symbolique du gui :

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« Au moment de la mort hivernale, les tiges verts [du gui] se parent deboules blanches brillantes; la vie, l'âme du chêne... semble s'être réfugiéedans l'humble parasite qu'il supporte. » [A.-L. Mercier, la flore populaire de l'Île-de-France, Paris, 1954-1963]

Ces boules brillantes sont identiques aux yeux de poissons dontl'aspect de nacre, selon les alchimistes, signalent que la surfacede la matière est bien disposée [voir Ripley Scrowle]. Certains Artistes y ont vu le :

«... C'est avec surprise que j'ai constaté que la partie de matière récupéréese présentait bien comme une masse noire mais constellée de petits cristauxformant à sa surface et dans sa masse de multiples points étoilés. Latradition me laisse penser qu'il s'agit là du Mercure prêt à sortir de son lit. »[Armand Barbault, L'Or du millième matin, J'ai Lu, 1969, Introduction auxpréparations du second ordre, p. 161]

arbre alchimique et serpent Ouroboros

Il n'est pas question ici de discuter du point de savoir si cettemassa confusa dont parle Barbault est ou non la prima materia.En revanche, il est presque assuré que cet aspect cristallinévoque ce que les Adeptes nomment le suc de la Lunaire dontl'idéogramme est [aspect, rappelons-le, que devrait avoir selonCanseliet la Lune dans la planche 1]. Or, ce suc de la Lunaire selon laTradition, est le SEL. Quoi qu'il en soit, nous voilà au moment del'horo aura selon ce qu'en dit l'antique formule celtique « Au gui, l'anneuf ! » C'est là le Golden Bough de Frazer ou rameau d'or; voilàl'alexipharmacon des Gaulois [omnia sanitatem]. En breton, onl'appelle encore deur derhue ou eau de chêne : il s'agit bien del'eau du chêne creux [cava ilex] de Nicolas Flamel par laquelle on rejoint la légende du roi qui meurt de la main du hiérourgos. On

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assiste là au phénomène de transfert et de projection dontl'hiéroglyphe - sur la planche 1 du ML - est l'échelle de Jacob. Cemoyen de jonction entre et nous est offert par l'arbrephilosophique de l'image précédente. Sans vouloir revenir demanière approfondie sur l'arbor vitae [voir Aurora consurgens, I], ilsemble important de faire voir que la liaison entre et est

obtenue via l'artifice de la corruption ou putrefactio [ιος]. C'est ce que la graveur a voulu représenter par le mandala qui occupele milieu de l'arbre, mandala formé par l'Ouroboros, dans lequelune scène récurrente est inscrite : celle du pélican s'offrantlui-même en pâture à sa couvée [voir Aurora consurgens, II - figure 22]. De part et d'autre du mandala, le tronc et les racines, quis'épuisent dans la terre et constituent le reflet chthonien de lapsyché [le ÇA - voir Jung, l'Arbre philosophique in Racines de la conscience]; et aussi le faîte de l'arbre qui en forme la partiespirituelle [le SOI]. Il est clair que le processus de transformation[qui tend vers l'individuation] est ce mandala où nous devonsimaginer que réside le MOI. Les transpositions alchimiques sontles suivantes :

SOI = - MOI = - ÇA =

Ces réflexions permettent d'amplifier ce que nous avons déjàposé en conjecture dans l'Aurora consurgens et le Ripley Scrowle. Si nous reconsidérons, de ce point de vue, la planche 1 du ML,nous pouvons y voir également un mandala où l'idéogramme dumuriate [issu du nitrum ] sert d'enveloppe spirituelle et d'image

du SOI.

« L’une des clefs opératoires de l’alchimie est ainsi qualifiée : "ouvrir le rocher avec la verge de Moïse". Car, outre son sens initiatique, la figure a unsens très précis dans le domaine des manipulations de laboratoire. » [SH, op. cit.]

SH reprend le commentaire de Pierre Dujols. La verge de Moïseest un symbole de l'airain puisqu'elle se transforme, par le pouvoirspirituel de son possesseur, en serpent. Elle passe donc d'uneforme solide et droite - sulphur - à une forme visqueuse et

curviligne - mercurius . Cet objet présente les caractères décrits

par Fulcanelli pour définir l'eau mercurielle, alternativementétoilée ou métallique. Quant au « sens initiatique », il nous paraîtplus conforme à la cabale d'y voir un sens hermétique : lamanipulation de laboratoire consiste à dissoudre dans le bainmercuriel [la fontaine du Trévisan] les natures métallique etminérale . Elles sont disposées de part et d'autre de l'arbre etcaractérisent les deux polarités élémentaires de la psyché :animus et anima . L'ouverture du rocher est une figure de

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style puisque l'Artiste doit préparer ses matières à l'état de poudreou même porphyrisées; l'idée demeure, toutefois, pour signalerque l'effet du dissolvant agit jusqu'au tréfonds de la materia primaen sorte d'y puiser la matière sulfureuse. Dans l'Exode, Dieurévèle sa puissance à Moïse et lui indique trois signes quitémoignent de la manifestation des prodiges. Nous venonsd'évoquer le premier, la transformation du bâton en serpent. Cettemétamorphose ressortit de la nigredo . Le deuxième prodigeconsiste en une modification de la main de Moïse qui devientlépreuse et couverte de neige. Quant au troisième prodige, ilrenoue plus directement avec le symbolisme alchimique :

« Alors, s'ils ne croient pas plus à ces deux signes et n'entendent pas tavoix, tu prendras de l'eau du Fleuve [du Nil] et la répandras à terre; l'eauque tu auras prise au Fleuve, sur la terre deviendra du sang. » [Ex, 4, 9]

Le Nil, on s'en souvient, est le symbole mercuriel qui a trait auxsublimations [voir Diodore de Sicile, Histoire Universelle] et les Aiglesreprésentent les crues du fleuve. À ce qu'en rapporte Philalèthe, chaque Aigle est une sublimation. L'allégorie hermétique exprimel'effet de l'aqua permanens sur la vile ou materia prima : lapréparation du . Il reste à évoquer les trompettes qui

représentent - par le son émis - l'un des éléments dynamiques decet ensemble. D'abord, leur nombre. Elles sont deux comme leséléments que l'Artiste doit traiter et ce n'est sans doute pas unhasard si le graveur a fait figurer l'un des anges au milieu del'amande mystique [αµυγδαλος] et l'autre dont les ailesapparaissent en dehors de ce mandala. Nous l'avons déjà dit, ils'agit là d'un rêve, ni plus ni moins. Le rêve du moins - c'est untruisme - a sa propre logique et lorsque celle-ci est mise auservice de l'alchimie, tous les espoirs sont possibles... Eh bien !Nous devons croire qu'en 1677, l'auteur du ML appliquait lespréceptes de Gerhard Dorneus quand, en 1570, il publiait sonLapis metaphysicus aut philosophicus [voir Jung, Synchronicité etParacelsica]. Ceci pour rappeler que nous trouvons dans le ML - et sa première planche - l'un des derniers fleurons dans l'artsymbolique appliqué à Hermès.

planche 2

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Cette planche se compose de deux parties ; la partie supérieureoù le soleil brille en plein ; au-dessous sont deux anges quitiennent un matras ventru ; dans le matras un personnage quenous identifions comme Neptune, flanqué de Diane et d'Apollon :une étoile surmonte celui de gauche tandis qu'une fleur surmontecelui de droite. Cette partie supérieure est une évocationallégorique, en gloire. La partie inférieure nous montre un athanorauprès duquel est agenouillé le couple alchimique dans uneattitude de prière. On notera que la femme a la main droite levée[indication possible pour une identification à Minerve ou à Junon] ; notezqu'elle semble tenir de la main gauche un objet invisible : on diraitd'une déesse à laquelle on aurait ôté ses attributs.

Cette planche a trait à la préparation du Mercure. Les deuxprincipes en sont figurés par l'étoile et la fleur. L'attitude de prièreet de louange se rapporte à l'action d'honorer [percolo = honorer,mais aussi filtrer, mettre en digestion]. Les deux anges sont identiques- dans leur symbolique - à ceux qu'évoque N. Flamel dans sesFigures Hiéroglyphiques [voir le commentaire que nous donnons de lafigure VI, notes 151 à 156]. Ils sont semblables aux deux gnomes (1)de la cheminée alchimique du château de Fontenay-Le-Comte, auchien de Corascène et à la chienne d'Arménie d'Artephius, au loupet au chien de Lambsprinck. Ce sont encore Gabricius et Beia,Artémis et Apollon, les deux colombes de Diane. La femme aquelque rapport avec Minerve [associée à Junon et à Jupiter] :Minerve tient le globe [analogue en cabale hermétique au cerclecrucifère] du monde de la main gauche et le bâton du pouvoir de lamain droite [le bourdon du pélerin]. L'athanor montre un oeuf dont lecontenu est symbolisé par la partie supérieure de la planche. Lesanges qui tiennent l'oeuf philosophal expriment avec netteté ladissolution de la matière à cette époque de l'oeuvre; nous lesavons déjà vus dans la planche I : le rêveur poursuit son songe.

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Les Soufres sont sublimés dans l'aqua permanens et ne sont pasencore réincrudés. La réincrudation est l'opération qui consiste enle retour à un état antérieur de substances, ici des sels à l'étatd'oxydes, conjoints. Cette opération, en cabale hermétique,contracte d'étroits rapports avec la chute de l'Ange [voir sectionréincrudation]. Voici ce que pense Magophon de cette planche :

"La seconde planche n’est pas dans l’ordre des opérations. Ellereprésente l’œuf des philosophes, et pourtant rien, jusqu’ici, n’a pufaire connaître les éléments qui doivent le composer. Pour en donnerune idée, nous devons enjamber délibérément un certain nombre desymboles.

Tout œuf comprend un germe - la vésicule de Purkinje qui est notresel ; la jaune, qui est notre soufre, et l’albumine, qui est notremercure. Le tout est enfermé dans un matras qui correspond à lacoquille. Les trois produits sont personnifiés ici par Apollon, Diane etNeptune, le Dieu des eaux pontiques.

La tradition veut que ce matras soit - contenu dans un second, etcelui-ci renfermé dans un troisième fait du bois d’un vieux chêne.Flamel dit expressément: " Note ce chêne ", et Vico, le chapelain desseigneurs de Grosparmy et de Valois, le recommande avec nonmoins d’intérêt. Cette insistance est significative, et nous rappelleronsqu’à la première planche, sur le rocher des Sages pousse le chêneKermès, l’Hermès des Adeptes, car, dans la langue hébraïque K et Hne sont qu’une même lettre, prises alternativement l’une pour l’autre.Mais qu’on y ait garde, le kermès minéral mène au piège tendu parPhilalèthe. Artéphius, Basile Valentin et tant d’autres, et l’on ne doitpas perdre de vue que les philosophes se complaisent dans certainescollusions verbales. Ερµης est le mercure artificiel qui amalgame lecompost.

La grandeur de l’œuf importe. Dans la nature, l’œuf varie de celui duroitelet à celui de l’autruche ; mais, dit la Sagesse, in medio virtus. Ilnous faut dire aussi quelque chose du verre philosophique. Lesauteurs en parlent peu, et encore avec réserve. Mais nous savons,par expérience, que le meilleur est celui de Venise. Il le faut de bonneépaisseur, limpide, sans bulles. On employait encore, autrefois, legros verre de Lorraine fabriqué par les gentilshommes souffleurs ;mais un bon praticien doit apprendre à faire ses matras lui-même.

La figure inférieure de cette seconde planche représente un athanorentre un homme et une femme à genoux, comme s’ils étaient enoraison, ce qui a porté certains esprits faibles à croire que la prièreintervient dans le travail comme un élément pondérable. C’est ici unfacteur inopérant. Le principal, c’est d’employer les matériauxexpédients ; mais l’élan de la créature vers le créateur peut influerfavorablement sur les directives, puisque la lumière vient de Dieu.Qu’on s’affranchisse néanmoins de ces suggestions peu efficacesdans la pratique. La prière de l’artiste, c’est plus encore le travail,travail opiniâtre, souvent dur, dangereux et incompatible avec lesmains trop blanches. Comptez donc surtout sur l’improbus labor." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Magophon est au moins d'accord avec Fulcanelli sur un point :c'est que la stibine commune ne trouve point sa place dansl'oeuvre. C'est l'albâtre des Sages qui doit être utilisé ici, ou le

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véritable stibium de Tollius, pareil à l'antimoine saturnind'Artéphius. Pour tous les alchimistes, à ce point du travail, lesilence s'impose [« chut » en latin se dit st, premières lettres de stibium etstannum]. Mais l'étain, dans l'oeuvre, n'est pas non plus ce métallépreux qui est utilisé dans les dissolutions auriques par la voiehumide. Il s'apparente encore à l'Airain des sages, c'est-à-dire auRebis. Voici ce qu'en dit A. Barbault :

"La gravure suivante [planche 2] du Mutus Liber représente ce que l'Adepteva percevoir : l'oeuvre complète sur la terre (en bas) à l'image de sonarchétype céleste (en haut). C'est pourquoi il faudra se cultiver sur tous lesplans pour trouver la véritable porte d'entrée car, une fois engagé, on estseul sur le sentier et la route est longue et pénible." [l'Or du Millième matin, p. 58]

La planche 2 est bi partite comme sept autres de l'ensemble. Cette bi partition, Armand Barbault y voit comme l'oratoire et lelaboratoire, ce que rappelle la Tabula Smaragdina. On peut encore y deviner la trace de la dichotomie archétypale entre animus et

anima . À ce titre, il est clair que la partie inférieure de la

planche 2 n'est pas exactement une représentation factuelle dulaboratoire mais comme une exhortation à l'oratoire, dont lefourneau alchimique, le fameux athanor, ne constitue que lemedium, l'intercesseur. L'athanor - que l'on retrouve sur six autresplanches - est bien plus qu'un simple fourneau : il s'agit tout à lafois du vase de nature, du carburant et du comburant.

« On remarquera, tout en bas de l’athanor, le foyer -- alimenté non par ducharbon ou du bois mais par une lampe à huile, pourvue de mèchesd’amiante (en augmentant le nombre de celles-ci, en peut faire croître lachaleur à un rythme égal). À l’intérieur se trouve enclose la cornue de verreou de cristal, fermement obturée (par le « sceau d’Hermes »), qui est l’oeuf philosophique; nous sommes ici devant le procédé alchimique dit de la "voiehumide" pour l’accomplissement du Grand-oeuvre. (la "voie sèche", elle, seréalisant au creuset). » [SH, op. cit.]

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Nicolas Valois, la Clef du Secret des Secrets

Le fourneau philosophique a été particulièrement bien décrit parBatsdorff [pseudo] dans le Filet d'Ariadne. Sur la figure ci-dessus, c'est l'athanor des Sages que l'on voit en coupe. Le matrasreprésente l'oeuf des alchimistes. On trouvera un traité entier surce matras dans le Donum Dei. Observez que les éléments signaléspar les lettres A - C et D sont disposés autour du matrasexactement comme les éléments suivants : FEU - EAU et AIR. D'ailleurs, les lettres C et D sont disposées en croissant de Lune,ce qui lève toute équivoque sur leur sens. Le vaisseau de boisreprésente les cendres, c'est-à-dire l'alkali fixe. Seule la partieinférieure du fourneau paraît plus conventionnelle. L'intérieur dufourneau est organisé exactement comme un mandala et l'oeuf enoccupe le centre. On se doute qu'un pareil fourneau n'existe quedans l'esprit de l'Artiste et c'est en vain qu'on irait lui demander decuire la matière des alchimistes. Ceux-ci insistent, en général, surl'importance qu'il y a de suivre la Nature en tout : aussi le feu dufourneau doit-il être bien proportionné [d'où l'allusion, fréquente, à lamusique et aux tons, voir Atalanta fugiens, prolégomène et introduction], tel qu'en la minière on l'aura aperçu, à la trace qu'il aura laissésur la materia prima.Neptune, enfermé dans ce que Magophon nomme « la vésicule dePurkinje » a un signification multiple [voir humide radical métallique].

planche 3

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C'est un compendium du 3ème oeuvre. En arrière-plan, Jupitertient de la main droite un sceptre couronné ; à gauche le Soleil, àdroite la Lune. Au centre, trois cercles circonscrits ; le cercleextérieur est lui-même séparé en trois parties : une premièrepartie, la plus importante, est formée de trois séries de ligneshorizontales, multipliées par deux, à chaque fois (2 - 4 - 6) ; unpaon faisant la roue est en sommité, accompagnant une déesse.La partie inférieure montre une sirène ; la partie gauche dixoiseaux blancs qui sont peut-être des colombes. Le cercle moyenmontre à sa partie supérieure des symboles du printemps et de lafloraison ; la partie moyenne semble comme en arrière plan etreprésente le Bélier et le Taureau que l'on voit sur la planche 4. Lapartie inférieure nous montre le couple alchimique, avec à gauchela femme tenant une lanterne et à droite, l'homme tenant une canneà pêche qui tombe dans le cercle extérieur. Le cercle intérieurreprésente des bateaux évoluant dans la mer ; au premier plan,Neptune dans son char armé de son trident qui dépasse le cercleet se termine entre le couple alchimique ; plus loin, un bateau oùl'on voit évoluer le couple alchimique.

Le paon est une image de la vanité [cf. Donum Dei] ; c'est l'oiseaud'Héra (Junon) et de Jupiter : c'est un symbole solaire. N. Flamelcite le paon toujours au chapitre consacré à la sixième figure (lesAnges) :

"En cette Opération du Rubisiement, encore que tu imbibes, tu n'auras guèrede noir, mais bien du violet, bleu, et de la couleur de la queue du Paon : carnotre Pierre est si triomphante en siccité qu'incontinent que ton Mercure latouche, la Nature, s'éjouissant de sa nature, se joint à elle et la boitavidement..." [Fig. Hier.]

ce qui indique bien que nous sommes au 3ème oeuvre. La queue

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du paon indique évidemment les couleurs de l'arc-en-ciel ; cetarc-en-ciel a le sens de voûte ou arc et renvoie à Mercure par letruchement d'Arcas. Arcas est le fils de Jupiter et de Callisto, qui ad'étroits rapports avec l'étoile pôlaire et l'ours. À ce sujet, E.Canseliet s'est exprimé dans ses Deux Logis alchimiques, auchapitre de l'Ourse et les deux Singes :

"Aussi Messire du Plessis avait-il connaissance du rôle considérable jouépar le magnétisme, dans l'élaboration philosophale, selon qu'en fait foi sonblason qu'il inscrivit sur la dépouille du bélier...Dans le langage des poètes,qui est aussi celui des Dieux, l'ourse désigne le pôle, l'étoile pôlaire, surlaquelle l'artiste doit régler sa route..."

L'Ourse et les deux Singes, Deux Logis Alchimiques, Eugène Canseliet

La référence au magnétisme s'explique ainsi : autrefois, parmagnésie étaient désignées des terres calcaires comportant ducarbonate de calcium ; par ailleurs l'étoile pôlaire renvoie à celle quidésigne l'antimoine, autrefois appelé albaster [pour album astrum,c'est-à-dire astre blanc], que l'on peut - par la cabale phonétique -rapprocher d'alabaster [albâtre, variété de carbonate de calcium]. Lesoleil est la lune indiquent les deux principes mâle et femelle, oule Soufre et le Mercure ou enfin le fixe et l'humide. La séparationtrinitaire s'explique d'elle-même par une référence implicite auxsymboles sacrés véhiculés par le Christianisme ; on ne saitpeut-être pas que les trois signes du zodiaque, qui constituentdonc le quart du zodiaque - voyez l'emblème de Limojon de St-Didier- sont désignés en latin par tetartemorion, renvoyant parassonance à la musique en quart de ton (tetartemoria), au nombre4 (tetartaeum) ou même, à la limite, à la colombe (teta)... La sirèneest le symbole de la coagulation du compost. De même, le dauphin représente le principe humide et froid de l’œuvre,c’est-à-dire le Mercure qui se coagule au contact du Soufre. Cedernier est souvent symbolisé par une ancre marine. Nous avons

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un commentaire précis de ce qui se produit dans cette partie del’œuvre, aux DM, II, p.187 :

"La longue opération qui permet de réaliser l’empâtement progressif et lafixation finale du Mercure, offre une grande analogie avec les traverséesmaritimes... Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cetteagitation dure jusqu’à ce que le rémora... arrête enfin, comme une ancrepuissante, le navire allant à la dérive."

Fulcanelli nous dépeint un processus de cristallisation progressif.Le Bélier symbolise Mars, qui fait référence à Arès et parconséquent à un vitriol ; la préparation du dissolvant peut se fairede différentes façons, en employant soit du vitriol vert [sulfate de ferou couperose], soit du vitriol bleu [sulfate de cuivre], soit du vitriolblanc [sulfate de zinc]. On peut aussi utiliser des terres vitrioliques,c'est-à-dire des argiles ou encore des schistes alumineux etpyriteux. Ces derniers peuvent être décomposés par l'eau qui faitpasser la pyrite à l'état de vitriol. C'est sans doute le véritabledragon écailleux, du moins dans l'acception sous laquelle il fautl'entendre, quand on désigne l'une des prima materia [dans uneautre acception, le dragon écailleux est le Mercure commun ou 1er

Mercure]. Quant au Taureau, c'est un symbole double qui peutaussi bien désigner Vénus-Aphrodite que, renversé, une terre

siliceuse ou alumineuse qui contient le Sel des Sages . A

l'endroit, Vénus est l'hiéroglyphe consacré à un sel contenant descendres de végétaux. On peut obtenir ce sel de bien desmanières différentes et c'est, en partie, cela qui abuse lesétudiants, trop pressés de résultat que de véritablecompréhension de l'Art sacré. A l'envers, Vénus symbolise laTerre : il peut s'agir de terre vitrifiable, de terre argileuse [et dansce cas, le kaolin se signale par sa pureté]. Ce peut être l'albâtre, enfin,qui désigne la terre de Jésus, semblable à la pointe de la flèchedu Sagittaire. Voyons le commentaire de Magophon :

"La planche trois n’est pas davantage à sa place. Elle nous conduitdans l’empire de Neptune. On voit s’ébattre dans ses ondes ledauphin cher à Apollon, et des pêcheurs sur une barque qui tendentleurs engins. Dans une autre nef, un homme est allongé dans unepose nonchalante. Dans le second cercle, un paysage, avec, d’uncôté, un bélier; de l’autre, un taureau, que nous retrouverons plus loinet étudierons en un moment plus opportun. Dans le bas, à gauche,une femme tenant un panier qui est le symbole de la lanternegrillagée des philosophes ; à droite, un homme jetant sa ligne dans lamer qui se trouve dans le troisième cercle (celui qui renferme lesdeux autres). Le troisième cercle est animé par un vol d’oiseaux àgauche ; une sirène au bas, et Amphitrite dans le haut. En marge, lesoleil et la lune, et planant sur cette scène nautique, Jupiter porté parson aigle. Toute cette figuration a pour but de démontrer quel’opérateur doit déployer toutes ses facultés et mettre en œuvretoutes les ressources de l’art pour capturer le poisson mystique, dontparle d’Espagnet.

L’auteur aurait dû nous enseigner d’abord à tramer le filet nécessaireà cette Pêche miraculeuse. Réparons son oubli : le guideau doit être

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incombustible et demeurer inaltérable. L’appareil bien disposé dansles eaux profondes, on se munira d’une lanterne dont l’éclat attirera laproie dans les rets. On peut, suivant d’autres symboles, employer laligne ; mais l’arcane est dans la préparation de la bourse, et le motest de circonstance, car il ne s’agit rien moins que de prendre lepoisson d’or.

On trouvera le secret de cette opération dans un ouvrage classiqueintitulé le Filet d’Ariadne, car nous ne pouvons résumer le procédé enquelques lignes dans ce cadre restreint. Quant à la manière d’allumerla lanterne magique indiquée par le panier, elle n’est décrite qu’endes ouvrages très rares et de manière confuse. Il nous faut donc endire quelques mots.

Certains auteurs, et non des moindres, ont prétendu que le plus grandartifice opératoire consiste à capter un rayon de soleil, et àl’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès. Cette imagegrossière a fait rejeter l’opération comme une chose ridicule etimpossible. Et pourtant, elle est vraie à la lettre, à tel point quel’image fait corps avec la réalité. II est plutôt incroyable qu’on ne s’ensoit pas encore avisé. Ce miracle, le photographe l’accomplit enquelque sorte en se servant d’une plaque sensible qu’on prépare dedifférentes manières. [voir héliographie]

Dans le Typus Mundi, édité au XVIIème siècle par les PP. de laCompagnie de Jésus, on voit un appareil, décrit encore par Tiphainede Laroque, [sic. Tiphaigne de La Roche dont les écrits sontvisibles sur le serveur Gallica de la bnf] au moyen duquel on peutdérober le feu du Ciel et le fixer. Le procédé est on ne peut plusscientifique, et nous déclarons candidement que nous révélons icisinon un grand mystère, du moins son application à la pratiquephilosophale.

Les aigles qui volent à gauche, dans le grand cercle, désignent lessublimations du mercure. II en faut de trois à sept pour la Lune, et desept à dix pour le Soleil. Elles sont indiquées par le vol d’oiseaux etindispensables, car elles préparent la robe nuptiale d’Apollon et deDiane, sans laquelle leur union mystique serait impossible. C’estpourquoi Jupiter, le Dieu qui gouverne l’aigle, préside à cesopérations." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Ce qu'exprime Dujols, c'est le moyen de capter le Soufre avant del'infuser dans le Corps de la Pierre. C'est cela qui est « capter unrayon de soleil, et à l’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès». Le rayon de soleil est le Soufre rouge qui doit d'abord êtredissous dans l'eau-vive prime de Limojon. On peut en trouver lasource dans un animal mythique : la licorne dont le symbolismeexprime très bien l'opération. C'est par pure analogie qu'il faut yvoir un rapport avec la photographie mais l'image - si l'on peutdire - est semblable. Simplement dans le premier cas, c'est unechaux métallique qui est capturée avant que d'être injectée dansle corps de la Pierre, alors que dans le second cas, ce sont desphotons qui viennent modifier des sels d'argent. A propos,s'est-on jamais avisé que c'est le même Marc-Antoine Gaudin [voir héliographie], qui a proposé l'emploi de la gélatine pour préparerles premières émulsions au gélatino-bromure d'argent. Lalanterne grillagée voile l'une des substances du dissolvant, par la

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combinaison de la lumière et du trémis qui signale à l'attention ducabaliste la structure en X, dont Fulcanelli nous dit qu'elle estcelle qui apparaît à la surface du Mercure quand il a étécanoniquement préparé. Quant aux sublimations du Mercure, ils'agit de l'un des plus hauts secrets de l'oeuvre au point que nousdoutons que des alchimistes aient osé dévoilé l'arcane, tant il serévèle constituer le pivot de l'Oeuvre. De cette planche, A.Barbault a donné ce lumineux commentaire :

"La planche III du Mutus Liber complète l'enseignement traditionnel destiné àfournir à l'Adepte la connaissance de tous les éléments, de toutes les forces,de tous les secrets de la nature nécessaires à l'accomplissement de sonOEuvre et à l'affirmation de sa puissance. Il est dit par ailleurs dans la Tabled'Emeraude :

« Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde. Et pour ce, touteobscurité s'enfuira d'avecques toy. Et cecy est la force de toute force. Carelle vaincra toute chose subtile et toute chose solide pénétrera.»

Ainsi l'Adepte rayonnera-t-il en puissance sur le monde ainsi qu'il estsymbolisé par le Père trônant au sommet de cette troisième planche ettenant entre ses mains le sceptre de la puissance et de la connaissance. Ildispose des deux polarités essentielles représentées par le soleil et par lalune situés de part et d'autre de cercles concentriques dont l'intérieur évoquetous les éléments de la nature, la Matière première qui entre dans laconfection de l'oeuvre, l'irradiation d'en haut et d'en bas, les deux signes duZodiaque - Bélier et Taureau - caractérisant l'époque où l'Adepte recueille larosée, les perles d'émeraude qui entrent dans toutes les préparations, etc.

Ce qu'il faut retenir de ces indications symboliques qui sont de toutepremière importance, c'est que l'Adepte doit se préparer très longtemps àl'avance et qu'il serait insensé de croire qu'il suffit de jeter un coup d'oeilrapide sur les ouvrages d'alchimie pour aussitôt passer à l'action et partir enquête de la Matière première. Celle-ci ne contient au départ aucune desparticules invisibles qui tôt ou tard devront s'y fixer pour que se produise samétamorphose. [...] La plupart des auteurs qui se sont intéressés à l'alchimieont totalement négligé les trois premières planches du Mutus Liber pouraborder directement la quatrième où l'on voit l'Adepte et sa compagne occupés àtordre des toiles préalablement exposées au-dessus de l'herbe verte desprairies afin qu'elles s'imbibent peu à peu des perles de rosée ; cesdernières, on le sait, ne cessent de monter le long des tiges vertes aumoment où la nature se trouve en pleine exaltation, au printemps, sous lessignes du Bélier et du Taureau symbolisés par les deux animaux figurant surcette quatrième planche. L'irradiation des forces vives est, elle, symboliséepar les faisceaux qui rayonnent du.sommet de la figure et qui contiennent lesdeux polarités solaire et lunaire dessinées à leur tour dans les coinssupérieurs de la figure. Les nombreuses toiles étendues sur la prairieévoquent l'importance de l'opération ainsi que l'abondance de la roséematinale qu'il faudra recueillir " [l'Or du Millième matin, pp. 125-126]

planche 4

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C'est assurément la planche la plus connue du ML. Nous yretrouvons le Bélier et le Taureau, le couple alchimique tordantune toile afin d'en extraire de la rosée de mai et des toilesétendues plus loin ; au dernier plan se projettent un prismelumineux et les deux symboles du Soleil et de la Lune. Nousavons évoqué ailleurs cette allégorie qui se rattache àl'acquisition progressive du sel de la rosée de mai qui fait partiedu Mercure préparé ou dissolvant universel [le Lion vert de Ripley] :

"Les Métaux, comme affirmé précédemment, contiennent un sel, duquel lefeu et la sagacité de l'artiste peuvent extraire une eau que les Sagesnomment eau Mercurielle, lait de la Vierge, Lunaire, rosée de Mai, le LionVert, le Dragon, le Feu des Sages. Cette eau Mercurielle, ils l'ont comparéeà la corrosive eau-forte, car de même que ces eaux à base d'atrament,d'alun, de cuivre, d'arménite, etc, corrodent les métaux et les dissolvent,ainsi cetesprit Mercuriel, ou eau, dissout son corps et en sépare la Teinture."[E. Kelly, Théâtre de l'Astronomie Terrestre, chapitre IV : préparation dela Terre Mercurielle]

La rosée de mai est un des composés particuliers du dissolvantuniversel ; ce que l'on sait moins, c'est que cette rosée est ni plusni moins - par cabale - que de l'urine d'ange et que sa formationimplique qu'une substance se trouvant dans l'atmosphère, monted'abord de la terre jusque dans le ciel, avant de redescendre sousune forme légèrement différente : il s'agit donc d'une tentatived'expliciter par l'image une opération relevant de l'oratoire [l'échellede Jacob et les anges, voir planche inaugurale] par une opération delaboratoire [le recueil d'un sel dans une large bassine]. E. Canselietrevient sur cette rosée de mai au chapitre de l'Inscription extérieurede la villa Palombara (Deux Logis alchimiques, p. 53) :

"Les ondes sont ces eaux que Moïse, en son premier livre ou la Genèse,qualifia de supérieures et qui génèrent le météore infiniment précieuxau-dessus de tous les autres, dénommé la rosée, elle-même véhiculantl'esprit ou le sel harmoniac du ciel. Celui-ci est isomère du nitre ou isotope si

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l'on veut, pour parler le langage qu'utilisent les spagyristes actuels. La sériedes opérations se montre interminable autant que laborieuse, qui futdépeinte, en ses moindres détails, par l'anonyme Altus."

Les ondes que Canseliet évoque sont directement palpables dansle faisceau lumineux qui jaillit de la voûte du ciel. Imaginonsl'éther des Anciens, vibrant régulièrement à l'instar d'une harpecéleste, sous l'influence du vent . C'est ce vent, devenu visiblepar la magie de la gravure, que donne à voir Altus. Il l'adécomposé en un prisme où deux ensembles sont disitngués :l'un est en rapport avec les astres errants; il s'agit des septbandes claires. L'autre, fait de douze bandes plus sombres,réunies en paires, ressortit des signes du zodiaque. Si l'on tientcompte du fait que chaque planète, selon les Chaldéens, exerceune maîtrise sur deux signes [maîtrise diurne et nocturne], il est possible d'avancer que les bandes claires externes correspondentaux planètes qui n'ont qu'une seule maîtrise : et dont lesidéogrammes sont disposés aux coins supérieurs de la planche.Selon le schéma ci-dessous, on peut donner un sens et un nom àchacun des rais de l'arc-en-ciel :

mandala des maîtrises planétaires

En effet, l'éventail se déploie en « lisant » chaque rai et sacorrespondance dans le mandala, dans l'ordre des aiguilles d'unemontre, à partir du . La signifiance hermétique de ces arcanesest étudiée dans notre zodiaque alchimique et la section humideradical analyse l'apport des planètes au grand oeuvre. Lesplanètes et les signes se complètent, l'une étant le spiritus rector del'autre. Il faut entendre par là que les planètes en corpsreprésentent les chaux des métaux, ouverts par le dissolvant desalchimistes. L'ouverture du métal est symbolisée par l'hiéroglyphe

, la sublimation suivant cette ouverture ou « mort » du métal. Lapsychanalyse nomme transfert ce processus de sublimation : ilconsiste en l'abandon par l'animus des défroques, vieux

sequins, vieilles cuirasses en vue de l'animation [passage animus -

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anima] du spiritus qui passe par sa dépuration. Dans l'introduction,nous avons vu que la planche 4 devait être comparée à la fig. 9du Ros. Phil., allégorie de la mondification [purification]. Ce termede technique alchimique signifie nettoyer, blanchir et recouvrel'opération des laveures de Flamel. [on notera que les termes net,propre (mundus) et le monde, l'univers (mundus) sont homonymes enlatin. Ceci est un trait de cabale qui explique pourquoi les Adeptesassurent qu'il existe un miroir d'où l'on peut contempler le monde, cf.blasons alchimiques ; d'autres écrivent qu'il faut blanchir Latone, laverle laiton, i.e. l'airain] L'allégorie est reprise dans l'épisode desécuries d'Augias qui forme l'un des Douze travaux d'Hercule [voir Fontenay]. À ce sujet, il convient de citer Pernety :

Tous les Philosophes parlent de la matière du grand œuvre ou de lamédecine dorée, comme d’une matière extrêmement vile, méprisée,& souvent mêlée avec le fumier, ils disent même qu’elle se trouve surle fumier, parce quelle a beaucoup d’ordures & de superfluités, dont ilfaut la purger. Il n’est donc pas surprenant que ce travail ait étéimposé par Eurysthée à Hercule, qui est l’Artiste. Les témoignagesdes Philosophes le prouveront mieux que le raisonnement, Morien dit(Entretien du Roi Calid.) : « Les Sages nos prédécesseurs disent, quesi vous trouvez dans le fumier la matière que vous cherchez, vousdevez l’y prendre ; & que si vous ne l’y trouvez pas, vous devez vousdonner de garde de tirer de l’argent de votre poche pour l’acheter,parce que toute matière qui s’achète à grand prix, est fausse & inutiledans notre œuvre. » Avicenne (De Animâ, dict. I. c. 2.) ; « Noustrouvons dans les Livres qu’Aristote a écrits sur les pierres, qu’on entrouve deux dans le fumier, l’une de bonne odeur, l’autre de mauvaise,toutes deux méprisées, & de peu de valeur aux yeux des hommes ; sil’on savait leurs vertus & leurs propriétés, on en ferait un grand cas ;mais parce qu’on les ignore, on les méprise, on les laisse sur le fumier& dans des lieux puants ; mais celui qui saurait en faire l’union,trouverait le magistère. » Gratien, cité par Zachaire, dit comme Morien : « Si vous la trouvez dans le fumier, & qu’elle vous plaise,prenez-la. » L’Auteur du Rosaire cite Merculinus, qui dit : « Il y a unepierre cachée & ensevelie dans une fontaine. Elle est vile, méprisée,jetée sur le fumier, & couverte d’ordures. » Arnaud de Villeneuve(Novum lumen, c. I.) « Elle se vend à vil prix ; elle ne coûte mêmerien. » Bernard Trévisan (Philos. des Métaux.) : « Cette matière estdevant les yeux de tout le monde & le monde ne la connaît pas, parcequ’elle est méprisée & foulée aux pieds. » Morien (Cap. 9.) : « Avantsa confection & sa parfaite préparation, elle a une odeur puante &fétide ; mais après qu’elle est préparée, elle en a une bonne.... Sonodeur est mauvaise, & ressemble à celle des sépulcres. » Calid (Loc.cit.) : « Cette pierre est vile, noire, puante, & ne s’achète point. »[Fables Égyptiennes et Grecques, tome II, Livre V, chap. 8]

L'opinion d'Avicenne [pseudo] est notable : il parle de deux pierres

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dont l'une est odorante et l'autre puante. Voyons cela. La pierrede bonne odeur rappelle le baume de vie évoqué supra [Balsanumvitae] et la pierre fétide, le sulphur en son premier état,

c'est-à-dire ce spiritus abscondus que nous voyons à la fig. 8 duRos. Phil.

fig. 8, Ros. Phil.

Par fumier, il ne faut pas entendre le commun, celui que l'onrencontre dans les fermes - encore qu'il ait un intérêt certain [voir Alexandre Sethon] - , mais bien plutôt la matière des Sages pourautant qu'elle renferme la proportion adéquate d'escarboucle[obtenue par distillation des urines selon ce qu'en rapporte Alchild Bechil],c'est-à-dire de sang de Nessus [voir Atalanta XXV], sorte de spath visqueux auquel on adjoint du foie de soufre et de l'air

phlogistiqué [ = air corrompu dont le nom vulgaire est homonyme

d'un traité que Fulcanelli attribue à Senior, voir Libavius]. Les Amoureuxde science auront reconnu le vase de nature composé d'engrais[Lac virginis], de l'humide radical des métaux et de la déjection del'étoile polaire appellée sputum lunae. Nous ne saurions mieux dire.Dans le Rosaire, Senior ajoute :

« L’eau que j’ai mentionnée est une chose qui descend du ciel ; la terre avecson humidité la reçoit et l’eau du ciel est retenue par l’eau de la terre, etl’eau de la terre la retient grâce à sa soumission et à son sable et l’eauretiendra l’eau et Albira sera blanchi par Astuna. » [Ros. Phil., premier blanchissement de la première pierre]

Jung indique [Psychologie du transfert, op. cit., p. 139, note 4] que le texte du De Chemia est différent de celui du Ros. Phil. Albira est

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remplacé par Alkia et Astuna par Astuam. Alkia serait mis poural-kiyan, principe vital, où l'on peut voir le sulphur . Quoi qu'il en

soit, Albira et Astuna forment les opposés dont l'Artiste doit faireson airain. Notons qu'Albira est mis pour Albaras ou arsenic [quicaractérise le Sel ou corps de la pierre]. Un autre extrait du Rosaire, de Merculinus, permet de mieux comprendre le processus dedépuration :

« La conception transforme en sang ce qui était semblable au lait. Si lafemme blanche est donnée en mariage à l’époux rouge tous deux bientôts’embrassent et s’accouplent. Ils se dissolvent eux-mêmes ets’accomplissent aussi eux-mêmes afin qu’après avoir été deux, ilsdeviennent en quelque sorte un seul corps. » [Ros. Phil., La conjonction oule coït]

On pourra revoir la gravure qui orne l'emblème XLI de l'Atalanta fugiens, sur la transformation des roses blanches en roses rouges,en liaison avec le mythe d'Adonis. C'est de Prudence [c'est-à-direde Sagesse, voir Gobineau] et de feu que l'alchimiste doit être munidans cette phase d'albification.

De cette planche 4, nous avons ainsi complété l'interprétation : Ilest clair que l'on peut imaginer la scène suivante : le couplealchimique est en train de tordre un linge dans une bassine ; certains critiques ont cru qu'il s'agissait de la rosée de mai ourosée céleste. En arrière plan, nous voyons d'autres linges tendus: ils s'imprègnent peu à peu du sel précieux [que Dujols appelleselage, cf. supra] ; à gauche le Bélier et à droite le Taureau : quel'on se rapporte à notre schéma de préparation du dissolvant. On yverra que le Bélier [Ariès] voile Arès, qui est cet acide soi-disantvitriolique [en fait il s'agit de l'acide carbonique, nous le savons de nosjours] ; le Taureau voile le complexe Vénus-Aphrodite qui cache lecomposé K H dont la nature peut varier selon le mode depréparation : huile de tartre faite par défaillance [alkali fixedesséché], alkali fixe, nitre aérien, foie de soufre. Ces linges quel'on aperçoit, nous l'affirmons, ont été enduits au préalable d'alkalifixe et on les a laissés seulement alors s'imprégner de rosée, toutsimplement parce qu'il s'agit d'eau distillée. Le couple alchimiquerecueille donc le tartre vitriolé dissous dans une bassine avant desoumettre le liquide à l'évaporation a siccite. C'est le principalcomposant du Mercure philosophique qui est ici exposé au vu detous. Veuillez croire que ce ne sont pas les oligo-éléments de larosée de mai qui pourront contribuer à préparer le Mercure desSages... Magophon sera-t-il d'accord avec nous ?

"La quatrième planche montre comment s’opère la collection du floscoeli. Des draps sont tendus sur des piquets pour recevoir la roséecéleste. Au-dessous, un homme et une femme en opèrent la torsionpour en exprimer la divine liqueur, qui tombe dans un grand vasedisposé à cette fin. A gauche, on voit le Bélier; à droite, le Taureau.

Le flos coeli a mis à la torture l’esprit des mauvais souffleurs. Les unsy ont vu une sorte d’influx magique, car pour ceux-là, la magie est

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une puissance surnaturelle acquise par le concours des esprits, bonsou mauvais. Les autres, plus réalistes et plus rapprochés du vrai, yont reconnu la rosée matinale. Le flos coeli est appelé, en effet, l’eaudes deux équinoxes, d’où l’on a déduit qu’il s’obtient au printemps età l’automne et est un mélange des deux fluides. Certains, se croyantplus avisés, allaient recueillir ce mystérieux produit dans une sorted’algue ou de lichénoïde dont le nom vulgaire est le nostoc. Dans lesSept Nuances de L’Œuvre philosophique, Etteilla, qui valait peut-êtremieux que sa réputation, semble avoir obtenu quelque résultatsatisfaisant d’une mousse analogue; mais il faut lire son opusculeavec de bonnes lunettes. [Etteilla alias Alliette (1750-1810), cf.Tarot alchimique]

Les Rose-Croix s’appelaient les Frères de la Rosée cuite, autémoignage de Thomas Corneille, bon hermétiste ainsi que son frère,le grand tragique. Néanmoins, Philalèthe raille dédaigneusement lescollecteurs de rosée et d’eaux de pluie, dans lesquelles, nonobstant,l’abbé de Valmont reconnaît quelque vertu.

Au disciple de se faire une opinion d’après son propre jugement. Maisil est hors de doute qu’un agent tenu secret, dit " Manne Céleste ",joue un rôle important dans le travail.

Nous devons déclarer, de bonne foi, que le Bélier et le Taureau de laplanche, qu’on prend toujours pour les signes du Zodiaque souslesquels on doit recueillir le flos coeli, n’ont aucun rapport avec lessymboles astrologiques. Le Bélier est l’Hermès Criophore, qui est lemême que Jupiter Ammon; et le Taureau, dont les cornes dessinentle croissant, attribut de Diane et d’Isis, qui s’identifient avec la vachel’amante de Jupiter, est la Lune des philosophes. Ces deux animauxpersonnifient les deux natures de la Pierre. Leur union forme l’Azimdes Egyptiens. L’Asimah de la Bible, monstre hybride désignantl’orichalque, l’oryx de laiton ou d’airain, le taureau de Phalaris ou debronze, le veau d’or ou de chrysocale [Il n’est pas hors de propos derappeler ici que Helvetius a écrit un traité d’alchimie sous le titre deVitulus aureus (le Veau d’Or).] qui diffère, certes, du similor deMannheim et tient en quelque sorte du mechior. Enfin, pour tout dire,c’est l’électrum des poètes; mais il faut bien entendre ce mot quirenferme l’arcane magique. Philalèthe enseigne que l’or deshermétistes est, en certain point, semblable à l’or vulgaire. Nousajouterons encore que, suivant la Mythologie, la pierre dévorée parSaturne s’appelait betulus, qui est, en somme, le même mot quevitelus, nom latin du veau, et que vitellus, est le jaune de l’œuf. Lapâte des azymes en était l’hiéroglyphe. Les prêtres des bords du Nilne touchaient jamais aux pains du sacrifice avec un instrumenttranchant d’acier ou de fer: Ils en faisaient un cas de sacrilège. De làcette ancienne coutume, encore en usage, de rompre le pain. Demême, dans le rite catholique, l’officiant sectionne l’hostie avec lapatène de vermeil. Toute cette logomachie cache le vermillon desSages ou l’amalgame philosophique du mercure, de l’or et de l’argentde l’art, rendu indissoluble par le flos coeli.

On apprendra, non sans surprise, que les courses de taureaux sontune figuration dramatique du Grand Œuvre. Tous les jeux ont uneorigine hermétique. La cocarde rouge que porte l’animal, et à laquelleest attachée une prime accordée au vainqueur, est l’image de la Rosedes philosophes. La grosse affaire, c’est d’être un bon Matador.Aussi, d’après la tradition espagnole, " pour accéder auGouvernement, il faut triompher du taureau " - le taureau mystique,

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évidemment. Cette victoire conférait la " chevalerie ", la vraienoblesse, celle de la Science, et par conséquent le sceptre. C’estpourquoi, sous Louis XIII, les chefs de la Kabbale d’Etat étaientsurnommés les " Matadors ". L’espèce n’est pas éteinte, bienqu’effacée et inapparente." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Là encore, on remarque des analogies avec le texte du Myst. :Etteilla est évoquée deux fois, p. 91 et p. 111 lorsque Fulcanellinous parle des couleurs de l'Oeuvre [À propos d'Alliette, Le Denierdu Pauvre ou la Perfection des métaux, Paris, c. 1785. Voir aussi le Psautier d'Hermophile]. Que le Bélier et le Taureau ne soient pas làcomme signes zodiacaux exotériques, nous le savons depuislongtemps. En revanche, ce que l'on sait moins, c'est que le Béliercache un vitriol et le Taureau, de la cendre... Pour la « mannecéleste », voici ce que Pernety nous en dit :

"Manna Chymicorum ou Manna Mercurialis . C'est un précipité blanc demercure, qu'on fait ensuite passer par l'alambic sous forme blanche commela neige. On lui donne aussi le nom d'Aquila cœlestis . Blancard . Béguin dit,dans sa Chymie, que cette manne se fait en dissolvant le mercure dans del'eau forte, qu'il faut ensuite le précipiter avec l'eau de mer, ou salée, et puisdistiller ce précipité d'abord à petit feu.

Manne. Mercure des Philosophes. Ils l'ont aussi appelé Manne divine , parcequ'ils disent que le secret de l'extraire de sa minière est un don de Dieu,comme la matière même de ce mercure." [Dictionnaire]

L'électrum des poètes est le Laiton « non net qu'il faut blanchir »,c'est-à-dire l'Airain qui est cette mystérieuse matière qui fait l'objetde la dissolution au début du 3ème oeuvre. A. Barbault s'estbeaucoup étendu sur ce travail dans les champs :

"...Il vaut mieux rechercher des petites plantes très saines que des plantesplus belles, plus grosses mais cependant trop riches en éléments chimiquesnon assimilés. Il faut attacher une importance particulière aux plantes quirestent vertes longtemps, aux bourgeons de sapin, à certaines fleurs commecelles des genêts qui restent verts toute leur vie durant. Parallèlement, quand le temps était clair et serein, en l'absence de vent,nous poursuivions la récolte de la rosée matinale. On le verra; nous neprocédions pas tout à fait comme il est indiqué dans le Mutus Liber (plancheIV): nous faisions glisser une toile très fine mais très spongieuse sur l'herbeverte et en même temps suffisamment rigide des champs de blés ; la toiles'imprégnait des gouttes de rosée perlant à la pointe de l'herbe et, tous lesvingt mètres environ, nous nous arrêtions pour éponger la toile que noustordions à cet effet au dessus d'un récipient où nous recueillions à chaquefois quelques verres de rosée fraîche. La méthode indiquée par le MutusLiber (des toiles fixes tendues sur l'herbe) est certainement préférable car larosée recueillie de cette façon est plus pure et constituée par les gouttes lesplus éthérisées. Notre méthode a toutefois l'avantage de fournir une quantitéplus volumineuse. Après avoir filtré et purifié cette rosée fraîche, nous yfaisions baigner les petites plantes et les bourgeons que nous avionsramassés. Ceci dura du début du printemps jusqu'à la Saint-Jean d'été,c'est-à-dire du 21 mars au 24 juin, période la plus propice à leur récolte.Cette récolte débutait parfois deux heures avant le lever du soleil, maisdevait au plus tard être terminée une heure après. Depuis, nous procédâmesde même chaque année. Mais ce travail est délicat. Certaines années,durant toute une saison printanière, je n'ai pas trouvé plus de 10 à 15 jours

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où le temps fût vraiment serein, sans nuage et sans vent, et où la rosée fûtabondante et fortifiée par un bon aspect de lune. Les plantes, poussesvertes, bourgeons, petites fleurs et autres éléments végétaux dynamiques etparfaits ainsi recueillis furent introduits dans des vases de terrepréalablement remplis de rosée que nous scellâmes hermétiquement et quenous conservâmes au frais. Nous avons utilisé le contenu de ces vases, aufur et à mesure de nos besoins, de la manière suivante: le vase choisi étaitporté pendant quarante jours à la température de quarante degrés afin quese préparent la fermentation ainsi que le mélange de sève et de rosée.Après refroidissement, le contenu du vase était introduit dans la nacellecontenant la Terre sacrée ; puis cette dernière était placée dans un alambicafin que s'effectuent les premières digestions, processus ainsi nommé parceque plantes, sève et rosée servent d'aliments à la Matière." [l'Or duMillième matin, p. 69-70]

planche 5

Cette planche semble faire suivre directement à l'opérationdésignée à la planche 4. Nous avons vu que cette opérationconsistait à recueillir du tartre vitriolé ou de l'alkali fixe. Mais ilpeut s'agir aussi d'une allégorie touchant à la captation de l'Esprituniversel, et alors l'opération désignerait le salpêtre ou sel nitre.Dans la planche 6, les cristaux sont mis à distiller avec le liquide[eau distillée] dans une bassine [en haut à gauche]. En haut à àdroite, le feu va faire distiller le phlegme, que l'on recueille dansl'alambic puis dans le récipient. L'opération terminée, l'épouserecueille avec une cuiller le résidu, figuré par des cristaux enforme de triangle. A droite, l'homme nu, désigné par le croissantlunaire et tenant un nourrisson avec son bras gauche, montre quele produit désigne la part mercurielle. Il faut manifestementremployer le « phlegme » qui s'est dégagé dans le récipient et le

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mettre à chauffer dans un bain de sable, ce qui est désigné dansla partie inférieure de la planche. On peut sans peine imaginerquelle est la matière recueillie à la cuiller. Par contre, on ne saittrop à quoi sert ce qui est contenu dans le récipient. S'agit-il dephlegme ? S'agit-il d'acide nitrique ? Alors, ce serait lapréparation de tartre vitriolé...

"La cinquième planche initie le disciple aux opérations de laboratoire.On y assiste à une suite de manipulations variées. Il est visible qu’ils’agit de la coction de la liqueur récoltée dans la planche précédente.Un homme et une femme la versent ostensiblement dans un pot missur le feu. Dans la figure au dessous, l‘homme y ajoute un produitvisqueux et tient, de l’autre main, une substance qu’il n’est pasdifficile de découvrir, si l’on songe que l’œuf d’Hermogène estanalogue aux autres. Sur le même plan à côté, un personnage nu,décoré d’une demi-lune et accolé à un enfant, reçoit un flacon où seremarquent quatre petits triangles. Ils représentent les proportionsdes éléments mis en œuvre, à savoir un de soufre pour trois demercure. Le corps lunaire intervient dans cette opération ; il estindiqué par un écu portant une lune d’argent sur champ de gueules.

La Lune des philosophes n’est pas toujours l’argent, encore que cemétal convienne au travail à un certain moment. Pour dérouter leprofane, les Adeptes donnent ce nom au mercure et à son sel, dont lapréparation présente les plus grandes difficultés. Pour que le mercuresoit propre aux opérations, il est indispensable de l’animer. Cetteanimation se fait au moyen du soufre préparé à cet effet. On trouveradans Philalèthe des indications pratiques qui, néanmoins, ne doiventpas être toujours suivies mot à mot. II est exact, cependant, qu’il faillepurger le mercure de ses éléments hétérogènes en séparant le purde l’impur, le subtil de l’épais. On voit, dans cette planche, la femmequi se dispose à écumer le compost. C’est une présentation changéedu travail, mais exacte au fond. Dans l’Œuvre, c’est l’élément féminin,en effet, qui opère la sélection par ses vertus constitutives; maisl’artiste doit y prêter la main et seconder la nature avec prudence.

Les autres figures représentent les digestions et distillations. Nousn’apprendrons rien de nouveau au lecteur sensé en lui disant qu’unhomme bourré de formules chimiques et aptes à résoudre sur lepapier tous les problèmes d’école n’a aucun titre à se dire chimiste. IIfaut donc que la pratique accompagne la théorie, l’une est laconséquence de l’autre. La pratique du laboratoire seule donne lamaîtrise, car qu’est-ce que la pratique, sinon le contrôle de la théorie.La rigueur de la première redresse les errements de la seconde. Ledisciple devra donc s’efforcer de réaliser tous ses concepts."[Hypotypose, Pierre Dujols]

Nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'écrit Dujols. Certes, lavignette supérieure de la planche semble montrer que c'est le floscoeli, recueilli à la planche 4, qui fait l'objet des opérations delaboratoire. Mais nous ne voyons pas que l'Artiste ajoute unproduit visqueux sur la vignette centrale. Il enlève tout simplementle chapiteau de sa main gauche tandis que sa main droite tient lerécipient qui contient, soit du phlegme, soit un acide. La femmerecueille le produit qui s'est accumulé à la base de la bassine etqui correspond à un sel fixe et c'est ce même produit qui estsymbolisé par l'homme nu avec l'emblème de la Lune. Il s'agit

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d'une matière qui a rapport avec le Mercure commun ou avec leSel, ce qui paraît plus douteux. Quant à la vignette inférieure, il nes'agit pas d'une distillation mais d'un chauffage au bain de sable,alimenté par le fourneau et c'est une coupe du dispositif que nousvoyons. Le mystère réside dans le contenu du récipient.

planche 6

Nous voyons la suite des travaux exposés sur la planche 5. Nousétions restés sur le mystérieux contenu du récipient, qu'on metdans des vases au bain de sable. Ici, la vignette supérieuremontre l'Artiste en train de recueillir le contenu de ces vasesdans un ballon [on dirait presque un dessin animé car on voit lesbouchons de ces vases en l'air, à droite, ce qui exprime l'idée qu'ils ont étévidés]. Le ballon est mis au feu de réverbère et un chapiteau avecson récipient sont adaptés et lutés. L'opération va consister àchauffer la substance, le résultat étant figuré par une fleur. Lerésidu obtenu après calcination est recueilli et figuré par une fleurde marguerite. Cette fois-ci, c'est un personnage ayant lesattributs du Soleil, donc du Soufre, à qui est donnésymboliquement le vase contenant la substance figurée par cettemarguerite. On démarre ensuite une autre opération, figurée parla partie droite de la vignette du bas, où l'on met au four àréverbère l'autre substance, tenant du Mercure, vue à la planche 5.

"La planche six est la continuation de la cinquième. On remarqueraque les opérations y sont toujours effectuées par un homme et parune femme symbolisant les deux natures. L’action extérieure de ces

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agents indique le travail intérieur des corps réagissant l’un sur l’autre.Dans la première figure, l’agent féminin joue un rôle passif, et l’agentmasculin un rôle actif. Celui-ci est le soufre; celle-là, la lune.

On désirera savoir, sans doute, quel est ce soufre mystérieux dontparlent toujours les philosophes, sans autrement le désigner. C’est lesoufre des métaux. Le secret de l’art consiste à l’extraire des corpsmâles pour l’unir aux corps femelles, ce qui suppose leurdécomposition préalable. La science actuelle semble considérer cefait comme une impossibilité absolue. De grands chimistes du XVIIIesiècle ont démontré, dans des communications adressées aux corpsacadémiques, que l’opération est réalisable et qu’ils l’avaient réalisée.[Dujols fait peut-être référence à Geoffroy L'Ainé qui prétendaitpréparer du fer à partir d'argile et de lin ; Nicolas Lemerydémontra que le fer obtenu par Geoffroy provenait bien sûr del'argile ; Geoffroy se rendit aux arguments de Lemery, cf. infra etFontenay] Nous avons en mains un magnifique soufre d’argentobtenu par un moyen analogue et qui se rapproche beaucoup de lateinture des Sages. Mais, pour arriver à ce résultat, il faut unecertaine pratique et une connaissance approfondie du règne minéral.

Défiez-vous des auteurs qui parlent de broyages, de décantations, deséparations obtenues par ce qu’ils appellent des " tours de mains ".L’action manuelle ne concourt aux résultats qu’à la façon d’unecuisinière préparant son pot-au-feu. Lorsque les ingrédients sont dansla marmite, l’eau cuit le compost, portée à la température requise parle feu extérieur. La coction achevée, il n’y a plus qu’à extraire lesproduits et à les employer suivant la formule. Mais toute interventionintempestive est préjudiciable et nuit à l’Œuvre.

Nous devons signaler tout particulièrement la figure représentant larose hermétique obtenue par les sublimations précédentes. Il y auraitici beaucoup de choses à dire. Tous les traités d’alchimie ne sont quedes " Romans de la Rose ", au propre comme au figuré. Le premiersoin de l’artiste consiste à y faire la part du vrai et du faux. Celui-cidomine et constitue la littérature hermétique.

Qu’est-ce que la Rosée ? C’est la fleur de l’arbre philosophique quiprésage le fruit. Or, l’arbre des philosophes est le mercure végétal ; laRose est donc l’efflorescence de la sève métallique mise enmouvement par le feu extérieur, qui excite le feu interne des corps.Mais les Sages parlent de deux feux différents dévolus à cettefonction. Le disciple doit donc penser qu’il existe, en dehors du feunaturel, un autre agent ainsi dénommé, et ce feu secret est le fermentdes métaux, qui joue dans le travail un rôle analogue à celui du levaindans la pâte du boulanger. Mais que l’adjonction de ce nouvelélément ne trouble pas la pensée du fils de science. De même que lelevain est fait de farine et d’eau acidifiés, le ferment des métaux estun produit du soufre et du mercure, amenés par l’art à l’étatconvenable. Les proportions sont analogues à celles employées pourla panification. [cf. Chevreul - Résumé de l'Histoire de la Matière - sur l'analogie du levain et de la préparation de l'or alchimique]

Notre planche nous montre une seconde rose plus petite, et unetroisième encore moindre. Y aurait-il plusieurs roses ? Oui et non. Il ya deux roses en principe, suivant qu’on opère pour l’or ou l’argent; et,au fond, il n’y en a qu’une. Cependant, le Mutus Liber en présentetrois, bien déterminées. C’est exact; mais elles sont filles l’une del’autre, c’est-à-dire à trois puissances différentes. Dans le régime de

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la coction, Philalèthe enseigne qu’on obtient d’abord la rose blanche,qu’il nomme la lune; la rose jaune ou safran; la rose rouge ouparfaite. Nous n’employons pas la terminologie exacte de cet auteur;mais nous parlons assez clairement pour nous bien faire entendre. [ils'agit là des régimes de planètes : la rose blanche correspond aurégime de la Lune et au Soufre blanc ; le safran est la couleur del'Aurora consurgens ; la rose rouge correspond au régime deMars, lié au Soufre rouge...]

L’obtention des roses est subordonnée à la putréfaction. Laputréfaction donne lieu à une succession de couleurs. La première estla noire; elle est la clef des autres. Pas de noir, point de putréfaction ;et sans putréfaction, nulle transformation. Si semblable accidentvenait à se produire, c’est que les matériaux mis en contact n’ont pasles qualités voulues ou sont mal préparés. Voir Philalèthe pour lereste et n’en prendre que la fin." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Le Soufre des métaux les chimistes croyaient encore le tenir auXVIIIe siècle, ainsi qu'en témoignent des articles parus dans lesMémoires de l'Académie royale des sciences. Nous avons sousles yeux deux articles : Du Souphre Principe, par M. Homberg [22avril 1705] dans lequel l'auteur croit que le Soufre n'est autre que lalumière et Sur la production artificielle du Fer, et sur la compositiondes autres métaux, par M. Geoffroy [11 mai 1707] où l'auteur croitque le Soufre des métaux n'est autre que la partie qui s'échappedu métal quand on le calcine. Il semble que Geoffroy ait confondula teinture des métaux avec un métal dans un grand état dedivision. Mais jamais, on n'a pu obtenir le « Soufre » des métaux,comme croit l'entendre Magophon. Voici l'article Soufre quecommente ainsi Pernety :

"Soufre. Nom que l'on donne en général à toutes les matières inflammablesdont on se sert dans la Chymie, telles que sont le soufre commun, lesbitumes, les huiles, etc. Quelquefois les Chimistes donnent ce même nom àdes matières nullement inflammables, mais seulement colorées sans aucuneautre raison, particulièrement dans les matières minérales, en sorte que l'onvoit le mot de soufre attribué à bien des matières même très opposées entreelles. On donne le nom de soufre en particulier au soufre commun, qui paraîtcomposé de quatre différentes matières ; savoir, de terre, de sel, d'unematière purement grasse ou inflammable, et d'un peu de métal. Les troispremières matières y sont à peu près en portions égales, et font presque toutle corps du soufre commun, quand on le suppose épuré par la sublimationde sa terre superflue; et c'est alors de la fleur de soufre. Mém. de l'Acad. de1703, p. 32.

Les Chymistes admettent trois sortes de soufre, qui ne sont que le même,modifié différemment; le soufre volatil ou mercuriel, le soufre moyen, et lesoufre fixe. Voyez MATIERE , SEL .

SOUFRE . (Sc. herm.} Lorsque les Philosophes parlent de leur soufre, il nefaut pas s'imaginer qu'ils parlent du soufre commun dont on fait la poudre àcanon et les allumettes, ni aucun autre soufre séparé et distinct de leurmercure. Quoi qu'ils disent qu'il faut prendre un soufre, un sel et un mercure,ces trois choses se trouvent à la vérité dans leur matière, mais elles n'y sontpas sensiblement distinctes. Leur soufre est artificiel, leur mercure l'estaussi, et l'art manifeste leur sel. Mais tout cela ne fait qu'une chose qui lesrenferme toutes trois. Philalèthe.

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Lorsqu'ils disent en général notre soufre, on doit les entendre de leur pierreau blanc ou au rouge ; dans ce cas ils les distinguent par la couleur. Leurrouge est leur minière du feu céleste, dit d'Espagnet, leur ferment, le principeactif de l'œuvre, dont le mercure est le principe passif. Ce n'est pas que lemercure n'agisse aussi, puisqu'il a un feu interne, et que partout où il y a feu,il y a action; mais on le compare à la femelle, qui dans la génération estcensée passive.

Les Philosophes ont donné à ce soufre une infinité de noms, qui conviennenttous à ce qui est mâle, ou fait l'office de mâle dans la génération naturelle.C'est leur or, qui n'est point actuellement or, mais qui l'est en puissance.

SOUFRE BLANC . Corps composé de la pure essence de métaux, quequelques-uns appellent un argent-vif conduit de puissance en acte, et extrait,par les opérations du magistère, de tous les principes de la Médecine dupremier ordre. Philalèthe.

SOUFRE ROUGE . Plusieurs Chymistes ont travaillé sur le soufre naturel, etde mine, appelé sulphur nativum par les Latins, comme étant la vraie matièredes Philosophes ; mais quand ceux-ci lui ont donné ce nom, c'est dans letemps qu'elle est parfaite au rouge ou au blanc. Elle est alors proprement lesoufre philosophique; car Raymond Lulle entre autres nous assure que lesoufre des Sages n'est point distingué sensiblement de leur mercure, et leurmercure ne se fait point avec le soufre commun, naturel ou factice.

SOUFRE VIF . (Sc. herm.) C'est le même que soufre rouge. Rullandusdonne le nom de soufre rouge à l'arsenic.

SOUFRE DE VITRIOL . C'est l'âme de ce minéral.

SOUFRE NOIR . Antimoine. Planiscampi.

SOUFRE ONCTUEUX . Soufre des Philosophes.

SOUFRE NARCOTIQUE du vitriol. Extrait du vitriol dont on trouve leprocédé dans la Chymie de Béguin. Paracelse regardait ce soufre commeun excellent anodin, et le préférait à tous les autres.

SOUFRE AMBROSIEN est un soufre naturel rouge, beaucoup transparent,et ressemblant au grenat, mais formé en gros morceaux.

SOUFRE VERT . Huile de cinabre. Dict. Herm.

SOUFRE INCOMBUSTIBLE . C'est celui des Sages.

SOUFRE VRAI DES PHILOSOPHES . C'est le grain fixe de la matière, levéritable agent interne, qui agit, digère, cuit sa propre matière mercurielle,dans lequel il se trouve renfermé.

SOUFRE ZARNET . Soufre philosophique.

SOUFRE OCCULTE . Le même que celui de l'article précédent.

SOUFRE DE NATURE . C'est encore le même. Quelques-uns cependantdonnent ce nom à la matière parvenue à la couleur blanche. L'Auteur duDictionnaire Hermétique pourrait s'être trompé, lorsqu'il dit que le soufre denature est le menstrue essentiel fait avec le mercure et l'esprit de vin septfois rectifié, qui dissout la chaux du soleil et de la lune, ou du moins qui entire la teinture, laquelle par des opérations faciles et occultes, on redonne à

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l'or. Le soufre universel est, selon le même Auteur, la lumière [Pernety cite l'article de Homberg évoqué supra] de laquelle procèdent tous les soufresparticuliers." [Dictionnaire mytho-hermétique]

planche 7

Cette planche semble se rapporter à la fabrication de l'une desparties du Mercure philosophique. Les quatre tableaux du haut seréfèrent aux opérations « réelles », les trois scènes du basreprésentent les allégories correspondantes. L'allégorie nousmontre à gauche un personnage que l'on pense être Saturne,s'apprêtant à dévorer l'un de ses enfants. La scène se fait sous unfeu soutenu ou du moins une chaleur certaine semble émaner dupersonnage - serait-ce une indication sur la chaux vive ? Aucentre, le bain de Saturne - s'agit-il du « blanchiment » du laiton ?À droite, le produit obtenu ; notons que Saturne est à présentarmé d'un glaive... En haut, dans les quatre tableaux, nousobservons d'abord que l'on remplit une bassine de liquide. Celiquide est ensuite mis au feu et des cristaux paraissent êtrerécupérés à la cuiller et mis dans un flacon contenant des *.

"La septième planche est très importante, mais elle est difficile àcomprendre. Nous retrouvons ici les quatre petits triangles quiindiquent les rapports déjà expliqués; mais nous arrivons à uneopération délicate, car c’est ici que Saturne dévore son enfant.

On connaît la fable de Saturne et de Jupiter. Qu’est-ce que Saturne etqu’est-ce que Jupiter ? La nomenclature chimique, qu’on trouve chezles auteurs, vous fera connaître à quels métaux conviennent ces deuxnoms. Mais nous ferons remarquer, en toute conscience, que le

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Saturne et le Jupiter des Sages ne sont pas les mêmes que ceux deschimistes profanes. Qu’on y prenne garde, et que l’on n’aille pas fairede la soudure de plombier ou de ferblantier. Nous ne travaillons passur des produits bruts, et encore qu’ils soient tous empruntés à lafamille des métaux, ils ne sont propres à l’œuvre qu’après avoir subiune préparation qui les rend " philosophiques ".

Si l’on adopte la voie humide, on procédera selon l’art en mettant encontact nos deux éléments, de telle sorte que l’un absorbe l’autre, cequi donnera un produit nouveau qui tiendra des deux, sans qu’il soitpossible désormais d’en faire l’analyse de manière chimique. La voiesèche suppose, évidemment, une combinaison obtenue par unprocédé adapté à la nature des corps. Mais qu’on ne mélange pas lesdeux voies: les liquides s’unissent aux liquides, et les solides, auxsolides. [Fulcanelli reconnaît pourtant à la voie sèche deuxphases : la phase humide qui correspond à la dissolution et vajusqu'à la fermentation du Rebis ; la phase d'assation qui est ledébut de la coagulation de l'eau mercurielle, cf. Myst., p. 160 :

« la seconde période [...] commence alors, par un second tour deroue, se parfait et s'achève lorsque le contenu de l'oeuf [...] apparaîtgranuleux ou pulvérulent, en forme de cristaux, de sablon ou decendre. »

Il y aurait là bien à dire puisque Fulcanelli nomme à la fois le liendu Mercure, cite la teinture et caractérise l'aspect de la Pierre]

Dans cette opération, le feu joue un certain rôle. Une des figuresreprésente Saturne croquant son fils au milieu d’un brasier. II fautprêter ici la plus grande attention aux discours des philosophes.Celui-ci assure que le feu élémentaire est le destructeur des corps, etque leur fusion en volatilise l’âme; celui-là déclare que les Sagesbrûlent avec l’eau, mais prohibent en même temps les liqueurscorrosives, telles que les acides.

Le disciple se trouve donc enfermé dans un cercle vicieux, dont il luiest fort difficile de sortir à son avantage. Il faut prendre la moyennedes deux doctrines pour les accorder ensemble. Il est une eau quirenferme le feu du Ciel; c’est la rosée ou flos coeli, que nous avonsvu étreindre dans une planche précédente. On sait que la roséerenferme un principe acide qui brûle à la lettre. Les objets soumis àson action ne tardent pas à tomber en poussière. Nous devons faireobserver, cependant, que la rosée philosophale diffère, en réalité, dela rosée commune. Elle est, néanmoins, formée des véritables pleursde l’Aurore unis à une substance terrestre, qui est le sujet de l’Œuvre.[on se reportera ici à Senior, De Chemia qui indique que : « Lesoleil est la clé de toute porte... », voit Bibliotheca Chemicacuriosa, II, pp. 216-235]

Lorsque Saturne a accompli son horrible festin, on doit, dit Philalèthe,faire passer sur lui toutes les eaux du déluge, non pas de manière àle noyer, mais à corriger les effets d’une digestion laborieuse enéliminant les toxines résultant de la fermentation. C’est ce qu’onappelle " blanchir le nègre ". L’opération est rude, mais efficace, sil’on y persévère, car il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Ce lavage àgrande eau dépouille le corps de ses impuretés, en corrige leshumeurs et le rend dispos pour les opérations subséquentes. On ledistille alors hermétiquement afin de n’en rien perdre; on en précipitele sel qui se présente en petits cristaux très hygrométriques, et qu’on

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doit soustraire aussitôt aux influences de l’air. C’est pourquoi onl’enferme, comme le montre une autre figure, dans un flacon bouchéà l’émeri et qu’on tiendra, en réserve." [Hypotypose, Pierre Dujols]

De ce commentaire, on retiendra ces cristaux qu'il faut tenir àl'abri de l'air. Voyez ce qu'il faut en penser aux sections salpêtreet tartre vitriolé. Voyez également la section laboratoire 1 où l'ondiscute de la voie des carbonates. On ne sait au juste, ici ce qu'ilfaut entendre par « blanchir le nègre », car il ne peut s'agir, danscette phase de l'oeuvre, du laiton, auquel cas nous serions au 3ème oeuvre. Pourtant nous sommes au 2ème oeuvre, au stade dela préparation du Mercure commun. Dans cette planche, le couplealchimique utilise le sel de Mercure dans une large bassine, qu'il faut soumettre à la calcination. Le produit de ce sel, représentépar des étoiles, est ensuite donné symboliquement à une femmequi porte à son front l'empreinte du croissant lunaire. Il s'agit doncd'un sel servant à préparer le Mercure. Revenons un instant sur lecommentaire de Pierre Dujols et admirons à la fois le tond'humour combiné à celui de l'érudition, où l'auteur fait preuve devirtuosité cabalistique. Voyons, par exemple, ce flacon bouché àl'émeri, qu'il faut tenir en réserve. Cyliani, dans son HermèsDévoilé, parle aussi d'un tel flacon, formé d'ailleurs du meilleurmarbre de Carrare. E. Canseliet écrit qu'il faut, à une certaineépoque de l'oeuvre, se servir du bouton de retour issu de lavitreuse provision. On est en droit de se demander si les Adeptesne parlent pas, ici, de la même chose. C'est-à-dire d'unesubstance cachée [αποθετος : mis en réserve, mystérieux] ou quis'est déposée [αποθεσις : action de déposer].

planche 8

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Cette planche se rapproche de la n° 2 mais nous sommes ici à unstade ultérieur. Dans le matras, nous voyons le Mercure,désormais animé. Des colombes volent aux pieds des anges ; lesoleil et la lune sont aux pieds de Mercure. Dans cette image estsymbolisée la dissolution radicale des composés que nous avonsmaintes fois envisagée (1, 2, 3, 4).

"La huitième planche nous fait voir le mercure des philosophesréalisé, tandis que la planche deux n’en présentait que les élémentsconstitutifs. Il est le produit du Soleil et de la Lune qui sont à sespieds. Les aigles volent autour de lui parce qu’on lui fait subir dans lematras les sublimations nécessaires, ce qui est indiqué au bas de laplanche par l’athanor ou l’on a mis l’œuf à incuber.

Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doitcirculer longtemps dans le vase avant de produire les heureux effetsqu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, etPhilalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom delait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ilssoient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autresvont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun. Basile Valentin, aucontraire, le bannit avec malédiction. Certains ont cru que le lait devierge pouvait être obtenu par une combinaison des deux. Nousconnaissons un artiste qui a réalisé ce tour de force pour le plaisir devaincre la difficulté, sans prétendre en tirer d’autre conséquence.Nous sommes donc en mesure de certifier l’opération commeréalisable, ce qui n’implique pas que nous adhérions à son emploidans la pratique. II faut accueillir avec la plus grande réserve tous lesnoms bizarres imposés par les philosophes à certains ingrédients.Ces différentes épithètes ne servent qu’à déguiser la suite desopérations. De telle sorte que le même produit, suivant qu’il est oun’est pas exalté, porte tel nom ou tel autre. Et il est vrai, après tout,que l’alcool, bien qu’extrait du vin, en diffère et par le nom, et parl’aspect, et par la puissance, et par les effets, de même que le vin

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diffère du raisin, d’ou il est tiré..." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Dujols aborde ici un important point de science : les deuxMercure. Mais sans donner d'explications outre mesure. Noussommes en mesure de pouvoir afirmer que le Mercure commun ou1er Mercure correspond à l'eau-vive prime de Limojon [1, 2, 3].C'est le véritable Lion vert de Ripley, le Mercure non encoreanimé, avant le stade du bain des astres. Ramon Lull l'appelle,dans sa Clavicule le Mercure vulgaire - ce qui égare le sentimentvers le vif-argent vulgaire -. L'autre Mercure est celui dont lesalchimistes ont le plus parlé : le second Mercure, appelé aussidouble Mercure ou enfin, le Mercure philosophique. Ils l'appellentaussi le compost [mélange Mercure commun et Rebis], le Rebis,chose double, étant l'homme double igné de Basile Valentin,habituellement désigné par les alchimistes comme une substancehermaphrodite [voilée par quantités d'allégories : Apollon et Diane ; lesdeux chiens du Corascène et d'Arménie ; les gnomes de la cheminéealchimique ; le patient et l'agent, Gabricius et Béia, etc.]

planche 9

Variation sur le thème de la rosée de mai ; on observera que desbassines se sont substituées aux toiles. La scène du bas montre àgauche le couple alchimique recueillant la rosée de mai et à droitel'allégorie correspondante : Mercure. On voit dans le lointain deschamps labourés, indice que la terre est prête à acceuillir leSoufre.

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"La neuvième planche nous ramène au flos coeli. Pourquoi ce retour,et à quoi bon y recourir de nouveau, puisque nous nous en étionsapprovisionnés ? Ce n’est pas que l’auteur du Mutus Liber veuillenous renvoyer à la campagne pour en avoir d’autre ; mais il était bienobligé d’en répéter le symbole, du moment que cet agent céleste doitentrer dans une nouvelle combinaison.

Nous voyons, dans une des figures de cette planche, Mercure en traind’acheter un pot de cette eau divine à une paysanne. C’est donc qu’ilen a besoin pour quelque usage. Philalèthe prescrit, effectivement, delaver le mercure à plusieurs reprises, de façon à lui faire perdre unepartie de sa nature huileuse. [cette étrange opération est décritepar plusieurs auteurs : il s'agit de guérir le Roi de sonhydropisie. Michel Maier y consacre l'emblème XLVIII de l'Atalanta fugiens] Il décrit soigneusement cette opération, quis’accomplit avec l’eau céleste portée à une certaine température,modérée néanmoins, car il faut un rien de trop de chaleur pour que lapartie ignée du flos coeli reprenne le chemin des Astres. Philalètheest un grand maître, sa parole fait autorité et il présente le travail avecune ingénuité si convaincante qu’aucun soupçon de fraude ne sauraitvous effleurer. Mais nous devons éventer ici une ruse: cet auteur aconfondu à dessein, dans son ouvrage, la voie sèche et la voiehumide. [Dujols souligne ici un point de cabale absolumentfondamental, car de nombreux alchimistes ont joué sur les deuxvoies pour égarer les impétrants ; c'est la raison pour laquelle Fulcanelli conseille à l'étudiant, avant d'entrer dans le labyrinthede Salomon, de se munir d'un fil d'Ariane, qu'il appelle Arachnè]Ce serait donc un tort d’appliquer à une technique ce qui convient àl’autre. Mais, cette remarque faite, nous reconnaissons que l’espritastral joue un rôle permanent dans les opérations.

Et puisque nous employons la locution de Cyliani, arrêtons-nous auxinterprétations invraisemblables auxquelles ce terme assez récent adonné lieu. Des écrivains d’hier ont vu dans cet esprit astral uneémanation magnétique de l’opérateur. D’après eux, il faudrait,pendant une période déterminée, subir un entraînement physique etmoral, pour pratiquer avec succès cette sorte de fakirisme ou deyoga. [sans aller jusque là, reconnaissons que la vision que Jungavait de l'alchimie, par la projection de la psyché qu'il y voit, àjuste titre, abonde dans cette vue] La force du produit doit êtreproportionnelle à la puissance du fluide, de telle sorte que la poudrede projection obtenue multiplie à 100, 1.000 ou 10.000, etc., suivant lepotentiel de l’artiste. Ces fantaisistes prétendent ainsi imprégner lamatière d’esprit astral comme on charge un accumulateurd’électricité. Voilà ou mène l’analogie mal entendue et appliquée àtort et à travers. Nous ne nommerons pas ces théoriciens singuliersdont la sincérité est respectable; mais nous devions signaler le faitpour mettre en garde le disciple studieux, et trop confiant, contre leslectures hasardeuses d’auteurs sans mandat et sans consécration,qui n’ont jamais produit que des livres, mais passent dès lors pourdes Maîtres." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Nous sommes bien d'accord avec Dujols pour admettre lafourberie de Philalèthe. Fulcanelli, d'ailleurs, nous prévient surl'outrance des allégories du mystérieux Adepte. quant au flos coeli,voyez l'article de Pernety :

"FLEUR DU CIEL, Flos Coeli. C’est une espèce de manne, que l’on trouveramassée sur l’herbe au mois de mai particulièrement ; elle diffère de la

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manne, en ce que celle-ci est douce, et se recueille sur les feuilles desarbres en forme de grains; le Flos Cœli, au contraire se trouve sur l’herbe etn’a presque point de saveur. On tire par l’art chymique une liqueur du FlosCœli, dont les propriétés sont admirables. Quelques Chymistes se sontimagines que c’était la matière dont se servent les Philosophes Hermétiquespour le grand œuvre, mais mal-à-propos." [Dictionnaire]

Quant aux propriétés magnétiques dont il faudrait que l'Artiste soitimprégné, elles nous font penser à la préparation spéciale dontArmand Barbault [l'Or du millième matin, J'ai Lu, 1969] préconisel'usage sans que l'on sache au juste s'il l'entend au sens propredu terme ou par cabale. Mais il convient de se méfier deMagophon comme des autres, et sous des airs méfiants etentendus, il se pourrait qu'il dise le vrai pour le faux... En tout cas,ce qu'il faut observer ici, c'est la largeur des bassines de laplanche 9. Or, des bassines de cette largeur ne sont employéesque lorsqu'on a en vue de faire cristalliser un sel, et la préparationdu nitre relève de cette technique. Un dernier mot : sur cetteaccumulation d'électricité dont parle Dujols, on ferait bien de jeterun coup d'oeil sur la cage de Faraday de la tour Rivalland - cf. Fontenay- et de son aspect étrangement cristallin afin de mesurer de quellenature peut être ce mystérieux ambre utilisé par les Adeptes.

planche 10

Cette planche capitale nous montre sans doute la préparation duRebis . Considérons les quatre tableaux du haut, la scène du basétant l'allégorie correspondante. En haut à gauche, préparationdes deux matières de base : la chaux métallique à gauche est

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symbolisée par l'étoile ; à droite, la fleur [flos = sel très blanc] symbolise le soufre blanc, qui est absolument pur. On notera queces deux substances ont été mises sur les deux plateaux d'unebalance - symbole de Thémis - dont on aperçoit le fléau couché.Cela constitue une indication sur la période de l'oeuvre où l'Artisteessaye ses matières et espère que dame Nature veillera à établirles poids de façon canonique. Ces substances sont mises dansun matras puis le matras est scellé au feu de lampe ; il s'agit dusceau vitreux d'Hermès qui est apposé au vase de nature. Lematras est ensuite disposé dans l'athanor. L'allégorie du bassemble représenter l'alliance des deux principes ; la présence del'arc peut être une indication sur Diane chasseresse, c'est-à-direArtémis [lune cornée]. On distingue d'ailleurs un croissant de lunedans la partie supérieure, un peu à droite, du soleil.

"La dixième planche représente la conjonction. La première figureexpose, dans les plateaux d’une balance, d’un côté, le sel indiqué parl’étoile, de l’autre le soufre désigné par une fleur qui, avec le cœur,forme sept pétales. [on peut se demander si Dujols n'est pasenvieux : les textes sont unanimes à considérer que la part desoufre est beaucoup plus faible que celle du sel; mais septressortit du nombre des métaux connus par les Anciens. Il y a làun rapport à l'arbre solaire] Ce sont les proportions du rapport. Unhomme verse sur cette fleur un liquide enfermé dan un flacon. C’estle mercure. II tient, de l’autre main, un autre récipient plein d’espritastral pour l’utiliser selon le cas. La femme place tous ces produitsdans un matras à long col; mais qu’on se rappelle ici ce que nousavons dit du rôle de la femme dans l’Œuvre: les deux agentspersonnifiés de la sorte sont les matières elles-mêmes, et les diversaccessoires qui les accompagnent déclarent leur état d’exaltation.

À la seconde rangée, l’artiste scelle le matras au sceau d’Hermès. Ilen présente le col à la flamme d’une lampe, de manière à ramener leverre à un état pâteux et ductile. Il doit l’étirer ensuite avec précautionde manière à l’amenuiser au point voulu, tout en s’assurant qu’il ne seproduit aucune capillarité par ou pourrait s’échapper l’esprit ducompost. Les choses en étant là, après avoir sectionné le verre, il enrenverse sur elle-même la partie adhérente au matras pour en formerun épais bourrelet. Aujourd’hui, cette opération s’exécute trèsfacilement au gaz, à l’aide du chalumeau. Quelques praticiens, d’unehabileté consommée, emploient un procédé automatique d’une plusgrande perfection. Enfin, quel que soit le moyen adopté, l’on placeensuite l’œuf dans l’athanor et la coction commence. [c'est lapréparation du vase de nature, autrement nommé maison deverre ou poulet d'Hermogène]

Nous ne dirons rien de l’athanor. Le Mutus Liber en présente la formeet les dispositions intérieures. Philalèthe le décrit soigneusement.Nous n’ajouterons aux dits de cet auteur qu’une remarque importante:la construction du fourneau est en partie, allégorique, et il a beaucoupà y apprendre au point de vue de la conduite du feu et du régime del’Œuvre.

En dernier lieu, l’Ouvrage secret de la Philosophie d’Hermès, attribuéà d’Espagnet et cité avantageusement, sera utile à suivre, car on ytrouve le Zodiaque des Philosophes. [voir cap. 116-120]

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La dernière figure de cette planche démontre que la conjonction estopérée: le Soleil et la Lune sont unis. Le travail a donné les couleursrequises. Elles sont ici synthétisées dans un cercle d’abord noir, puisblanc et enfin jaune et rouge. Le produit obtenu multiplie par dix,comme l’énoncent les chiffres." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Nos premiers commentaires n'étaient pas satisfaisants. D'uncertain côté, ils n'étaient pas complètement absurdes. Voicipourquoi : la chaux, telle que nous en parlons, n'est pas la chauxvulgaire mais une chaux métallique dont l'hiéroglyphe est . Maisplutôt que la préparation du Nitre de la sapience, c'est de lapréparation du Rebis qu'il s'agit. L'étoile symbolise le Sel oucorps, c'est-à-dire une terre [de la nature du kaolin ou une terrevitrifiable]. Le Soufre rouge est indiqué de façon indirecte par lafleur à sept pétales : le rapport est en effet de sept parts de Selpour une de Soufre. Dans un temps ultérieur, le Mercure s'anime[on voit l'Artiste verser le Mercure commun dans un matras à long col quicontient les natures métalliques]. La voie empruntée semble ici la voiehumide, sans que l'on sache bien ce qui pourra résulter de cetteCoction, à cause des conditions de température, et surtout depression, qui règnent dans le matras. Voyez ici le Filet d'Ariadnede Batsdorff... Il est ici clairement évident qu'Apollon et Dianesymbolisent les natures métalliques en réincrudation. Il faut doncvoir, d'un côté de la balance, le sel en forme d'étoile, obtenu à laplanche 9 et de l'autre côté, la fleur, symbolisant le Soufre, obtenuà la planche 6. Les deux substances mises en présence sont doncune chaux métallique et le salpêtre des philosophes. C'est alorsque débute la Grande coction, mais par voie humide, après que lematras ait été scellé au feu de lampe.

planche 11

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Cette planche n'est qu'un reflet de la 8.

"La planche onze proclame que l’opérateur est entré dans le régimedu Soleil c’est-à-dire qu’il a obtenu l’or des philosophes, qui n’est pasl’or vulgaire. Nous avons déjà parlé de cet or mystérieux. Bien queJupiter joue un rôle nominal dans le processus opératoire, il ne s’agitpoint du bisulfure d’étain, mais du véritable " or mussif " ou secret.[cf. les expériences alchimiques d'August Strindberg et lesrelations épistolaires entre Strindberg et Jollivet-Castelot] Nousconfesserons cependant, en toute vérité, que ce n’est pas un produitde la nature, mais de l’art. Des chimistes contemporains qui se sontindûment pris pour compétents, ont cru le rencontrer dans le vitriolcommun, qu’ils se flattaient de rendre philosophique. Ils ont malentendu Basile Valentin. Le stroma de la dissolution de ce sel,considéré par eux comme un " or naissant ", n’est qu’un miragefugace et ne laisse, à l’analyse, que déception. [trait de cabalerésultant d'un jeu de mot entre ϕεναξ et ϕοινιξ, le phénix del'oeuvre, c'est-à-dire le sulphur en voie de réincrudation ; par

ϕαινω, on peut y deviner l'aurore de l'oeuvre puisque

annonce , exactement comme dans la fable de Latone oùDiane paraît avant Apollon]

Un auteur, célèbre à d’autres titres et qui a joui, dans certains milieux,de quelque prestige - il nous faut nommer Strindberg [cf. supra.Ajoutons qu'avant d'entreprendre ce travail, nous ignorions queDujols connaissait les expériences de Strindberg] pour prévenircontre ses égarements - s’est échoué dans une technique puérile etridicule. Son Livre d’Or est une aberration qu’appelait un charitablesilence. Philalèthe et d’autres conseillent, à qui ignore l’or artificiel, dele chercher dans l’or vulgaire, en signalant toutefois ce travail commelong et ardu. Il faut, dans ce cas, lui faire subir des manipulationsdifficiles et dangereuses, car on peut transformer ce métal en

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fulminate [cf. voie humide] et les Mémoires du XVIIIe sièclerapportent plusieurs accidentes mortels consécutifs à cettepréparation. Mais, si le disciple est instruit à la bonne école, il éviteracette embûche sophistique et opérera hermétiquement; il écarteraainsi ce péril redoutable. Les maîtres savent atteindre le but suivantpar d’autres voies, qu’ils se gardent bien d’indiquer, mais qui ne sontpas introuvables, si l’on raisonne avec sa raison plutôt qu’avec leslivres trompeurs des Sages. " Il faut de l’or pour faire de l’or ", ditl’axiome classique; c’est juste, encore qu’il y ait deux Or différentspour mener l’Œuvre à bonne fin. Cette planche fait voir qu’onrecommence ici toutes les opérations précédentes. Il faut élever lemercure à un plus haut degré de sublimation au moyen des aigles, leredistiller pour lui donner une animation plus grande." [Hypotypose,Pierre Dujols]

Nous renvoyons le lecteur à la section sur la voie humide où estabordée la question des fulminates d'or et de la préparation desdissolutions auriques.

planche 12

Là encore, cette planche est analogue à la 9.

"La planche douze nous enseigne comment on peut porter cemercure à une échelle supérieure. Il faut, à cette fin, recommencerles imbibitions de flos coeli jusqu’à ce que le mercure, qui en estavide, en soit imprégné à saturation." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Et comme on le voit, elle n'a pas inspiré Magophon outre mesure.Pour lui, il faut voir dans ces redites des réitérations d'une même

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technique, afin de concentrer davantage le produit. Mais il estpossible que ces images identiques aient résulté de la confusionentre des éditions différentes du ML. ainsi, comme nous le dit J.van Lennep :

"La comparaison entre les planches reproduites par Laplace [Jean Laplace,avec des planches en couleurs d'un soi-disant manuscrit du Mutus,découvert à la bibliothèque du Congrès, à Washington in Altus, Mutus Liber(intr. et commentaires par J. Laplace, Archè, Milan, 1979] et celles del'édition princeps ou de Manget, révèle des différences notables au niveaude tous les détails. La couleur a été appliquée grossièrement sur desplanches vierges dont les sixième et septième sont identiques à celles quifurent découvertes par Elie Charles Flamand et qui furent attribuées parCanseliet à l'édition de 1725. Comme il le fut signalé pour celle-ci, cetexemplaire de Washington comporte des textes ajoutés à la série desplanches : descriptions d'athanors et procédés de transmutation. ils sont enoutre accompagnés par deux gravures." [in Alchimie, p. 233]

planche 13

Comme on le voit, la différence entre la planche 10 et la planche 13,tient aux nombres indiqués en bas, entre Apollon et Diane, quitémoignent de la multiplication accordée lors des réitérations de latechnique de concentration.

"La treizième planche est une répétition de la dixième, car dansl’œuvre, toutes les opérations se suivent et se ressemblent; maiscette nouvelle conjonction, qui s’opère avec des matières sublimées àl’extrême, n’est autre que le commencement des multiplications. Letravail est le même que celui de la planche dix et, dans la coction, onverra reparaître des couleurs. La durée de celle-ci décroît à mesure

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que la puissance multiplicative augmente, de telle manière qu’il nefaut, à la fin, qu’un jour pour obtenir le résultat qui, au début,demandait des moins. Les chiffres de cette planche donnent lespuissances des transmutations obtenues par les coctionssubséquentes." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Ces conjonctions successives ont été décrites dans les planchesdu Rosaire des Philosophes [à ne pas confondre avec le Rosariusminor parfois attribué à Arnaud de Villeneuve, voir Alchemia de 1541, p. 309 ; Theatrum Chemicum, 1659, ii, p. 466 et aussi Verae Alchimiaede Gratarole, 1561, i, p. 222 ]. Voyez d'abord les Douze Portes deRipley pour une vue générale sur la Conjonction. Ce n'est pasmoins de quatre conjonctions dont parle le Rosaire, chacune étantillustrée par une gravure. Jung a consacré un ouvrage entier auRos. Phil. : la Pyschologie du Transfert [trad. Albin Michel, 1980]. Iln'entre pas dans nos vues de décrire ici par le menu les planchesdu Ros. Phil. ni de disséquer l'ouvrage de Jung. Toutefois, il nousa paru intéressant de donner un aperçu des quatre stades de laconjonction des principes.

fig. 3 du Ros. Phil.

Voici le couple alchimique, le roi et la reine surmontant chacunleur symbole. Une colombe crée le lien d'union entre eux,surmontée d'une étoile. Voici ce que pense Pernety de la colombe:

"Colombe. D’Espagnet et Philalethe ont employé l’allégorie de la Colombe,pour désigner la partie volatile de la matiere de l’œuvre des Sages. Lepremier a emprunté de Virgile (Eneid. Liv 6.) ce qu’il dit de celle de Vénus,pour le temps de la génération du fils du Soleil ou regne de Vénusphilosophique. Le second a dit que les colombes de Diane sont les seulesqui soient capables d’adoucir la férocité du dragon ; c’est pour le temps de la

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volatilisation, où les parties de la matiere sont dans un grand mouvement,qui cesse à mesure que la couleur blanche, ou la Diane Hermétique seperfectionne. Les Souffleurs doivent bien faire attention à cela, s’ils neveulent pas perdre leur argent à faire des mélanges fous d’argent vulgaireavec d’autres matieres pour parvenir au magistere des Philosophes."[Dictionnaire]

Dans cette première conjonction, les époux royaux conserventleurs vêtements, signe que les éléments sont seulement mis enprésence, avant la dissolution. Ils tiennent en leur main des tigesvégétales, qui expriment le phénomène d'une croissance minéralequi ne peut être le fait que de cristaux. Cette phase peut êtreillustrée par le texte suivant :

"Et si vous connaissiez mon secret, vous sauriez que je suis le grain semédans la terre pure qui, en naissant, croît et se multiplie et apporte du fruit ausemeur." [Parabole du soleil par le Philosophe Belin, in Ros.Philoosphorum]

Lors de la 2ème phase de la conjonction, les époux royaux sontmis à nu. On voit trois phylactères [qui ont eux-mêmes par l'étymologieune portée hermétique, voir en recherche] sur lesquels on lit :

"Ô Lune, donne-moi de devenir ton époux. Ô Soleil, il est juste que te soisobéissante. C'est l'esprit qui vivifie." [Ros. Phil., Francfort, 1550]

fig. 4 du Ros. Phil.

C'est alors la phase de dissolution et on peut compléter la figurede ce commentaire :

"C'est pourquoi Geber dit : Ce sont des fumées subtiles, et elles ont besoin

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d'une cuisson tempérée pour être épaissies en elles-mêmes d'une façonégale. Seule, en effet, la chaleur tempérée peut épaissir l'humidité et parfairele mélange, mais elle ne doit pas dépasser la mesure. Car les générations etles procréations des choses naturelles ne se font qu'au moyen d'une chaleurtrès tempérée et égale, comme est le fumier de cheval humide et chaud."[Ros. phil., Francfort, 1550]

Vient alors la 3ème phase de Conjonction qui correspond au baindes astres. La colombe sert toujours de médiateur entre les deuxPrincipes et on remarque que les tiges végétales s'entrecroisent àla façon d'un X, sans doute pour donner raison à Fulcanelli, quivoit dans cet X la surface du dissolvant quand il a étécanoniquement préparé. La gravure est complétée de cecomentaire :

fig. 5 du Ros. Phil.

"Hermès : là s'effectue la conjonction des deux corps, et elle estindispensable dans notre magistère. Et si l'un des deux corps seulementmanquait à notre pierre, elle ne fournirait de teinture en aucune manière.C'est pourquoi un philosophe dit : le vent l'a porté danss on ventre. Il estdonc clair que le vent est l'air, et l'air est la vie, et la vie est l'âme, c'est-à-direl'huile et l'eau." [Ros. phil., Francfort, 1550]

Par cette phrase sybilline, le pseudo-Hermès exprime simplementl'idée de la sublimation du soufre rouge dans le Mercure commun,par laquelle il devient le Mercure animé ou Mercurephilosophique. L'âme est ici le symbole du soufre sublimé. Vientalors la 4ème phase de conjonction qui est le coït proprement dit :il correspond à l'accrétion du soufre rouge à la toyson d'or ourésine de l'or. Une légende commente ainsi cette scène :

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"Ô lune, mon étreinte et mon suave amour - Te rendent, comme moi, forte etbelle à ton tour. - Ô soleil, lumineux par-dessus tous les êtres. - Je temanque pourtant, comme la poule au coq son maître."

fig. 6 du Ros. Phil.

que l'on peut compléter de ce dernier commentaire :

"Arislée dans la vision. Unis donc ton fils Gabricus, qui t'est plus cher quetous tes autres fils, avec sa soeur Beya qui est une enfant radieuse, douceet tendre. Gabricus est mâle et Beya est femme, et elle lui donne tout ce quivient d'elle [...] Car l'union de Gabricus avec Beya a provoqué la mort sur lechamp. Beya monta en effet sur Gabricus, l'enferma dans son ventre, si bienque l'on ne put rien voir de lui. Et elle étreignit Gabricus avec un amour sigrand qu'elle le conçut tout entier dans sa nature et le divisa en partiesindivisibles. [...] C'est pourquoi Marie, soeur de Moïse, dit : Unis la gomme àla gomme en un vrai mariage, et transforme-les en une sorte d'eau brûlante."[Ros. phil., Francfort, 1550]

On remarquera que les textes de la Turba et du Ros. Phil. sontcongénères.

planche 14

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Quatre tableaux sont représentés ; le tableau supérieur montretrois tours qui peuvent symboliser les trois oeuvres traditionnelles[noir, blanc et rouge] ou la même réitération d'une techniqueparticulière. Il est tout à fait possible aussi que les tourssymbolisent les signes du zodiaque qui sont expressémentnommés au panneau inférieur [tornus, faire le tour, la circonférence] en forme de trinité . Le second tableau montre le travail d'unefileuse ; nous connaissons l'importance du symbolisme de lafileuse ou de la pelote ; au milieu du tableau, un tamis. Leschiffres VI - II - X sont énigmatiques. Si nous établisssons unecorrespondance avec les signes du zodiaque, [cf. zodiaquealchimique] nous avons : Vierge - Taureau - Capricorne ; avec lesmois : Cancer - Poissons - Scorpion ; avec les mois correspondantau début traditionnel de l'oeuvre (mars-avril) : Lion - Bélier -Sagittaire : nous obtenons les équivalents alchimiques suivants :le Lion est le lieu de la dissolution correspondant au Lion Vert deRipley mais c'est sans doute le Lion rouge qu'il faut considérer. LeBélier est le lieu d'exaltation du Soleil, celui où se tient le bélierChrysomelle ou encore de la Toyson d'or ou Christophore, quiporte en son ventre l'Acier magique. Enfin, le Sagittaire est le lieude la réincrudation. Ces trois signes nous indiquent que tout icidoit être fait, en sorte que l'or simplement enté, c'est-à-dire l'ormussif hermétique, devienne si l'on nous suit bien, le véritable oralchimique, celui qui correspond aux belles pousses de blé, quel'on peut moissoner aux époques propices. [le triangle de Feu seretrouve dans une aquarelle du Codex Vossianus, annexé à une version del'Aurora consurgens]

Le troisième tableau nous donne à voir, à gauche, le principevolatil, correspondant à la Lune [Mercure], au centre, la balance,symbole de Thémis et du poids de nature, un mortier, un pilon et

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une spatule ou une cuiller de fer ; à droite, le principe fixe,correspondant au Soleil [Soufre]. Le quatrième tableau nousmontre un récipient plus grand pour contenir le Mercure que pourcontenir le Soufre, ce qui est conforme aux données que nousavons.

"La quatorzième planche est principalement consacrée àl’instrumentation. On y voit le matras scellé hermétiquement avec sonbourrelet, tel que nous l’avons décrit; le mortier et le pilon pour lesbroyages; la cuillère à écrémer; les balances pour déterminer lesjustes poids; le fourneau des premières opérations avant l’emploi del’athanor.

Nous rappelons qu’il faut entendre les broyages, la décantation,l´écrémage et tout le reste d’une manière philosophique, encorequ’une trituration, un décantage et écrémage soient positivementnécessaires pour rendre les matériaux propres au travail ; mais, parsuite, ces opérations se font d’elles-mêmes et, pour ainsi dire,automatiquement par la réaction des corps les uns sur les autres. Ledisciple devra méditer profondément sur la femme à la quenouille, etla suivre avec sagacité dans ses manipulations; elles ne sont pasindifférentes et tout y parle au vrai fils de science. Nous ne pouvonsici transgresser les volontés de l’auteur, qui témoigne de son desseinbien arrêté de laisser le symbole exprimer seul toute sa pensée. Sices lignes tombent sous les yeux d’un Adepte, il approuvera notreréserve, qui frise pourtant l’indiscrétion. Mais, pour le surplus, quipotest capere capiat." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Dujols ne nous parle pas du symbolisme des chiffres romains : VI- II - X. Ils correspondent tout simplment au triangle de feu duzodiaque des astrologues. Voyez la section prima materia. Le Lioncorrespond au Lion vert... qu'il faut comprendre là dans le sens deson évolution, celle qui le conduit à l'état de Lion rouge ; le Bélierà Ariès, toyson d'or [et non pas Arès, le sens du symbolisme ici estdifférent] et désigne le Sel que l'on a vu conjoint avec le Soufre, àla planche 10. Quant au Sagittaire, il est l'exact homonyme spirituelde la licorne [cf. Fontenay sur un examen hermétique complet sur lalicorne] et symbolise la pénétration du Soufre rouge dans le Sel.Ces opérations doivent se réaliser au fourneau, à hautetempérature. Le Mercure doit être à l'état filant, ce qui peutexpliquer le travail de la quenouille. Ce n'est pas tout : la cabaleautorise à deviner dans la quenouille [ηλακατη] le fuseau grâceauquel on prépare la salaison du Rebis. Le sel des Sages, nul nel'ignore, est le Mercurius dont Fulcanelli assure qu'il constitue

le fou de l'oeuvre [ηλαινω] : c'est un vagabond, un charlatan etun imposteur ; c'est le fameux larron dont parle Philalèthe[Introïtus, VI]. Il erre ça et là, sombre [αλαοµαι], tel une nuéeobscure. Aussi le compare-t-on à un mauvais génie [αλαστος] et les souffleurs ont-ils toute raison de craindre les foudres de cevengeur, comme l'enseignent les Adeptes. C'est assurément unefable qui ne manque pas de sel [αλας]...

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planche 15

C'est une apothéose. Les travaux d'Hercule sont passés, l'échelleest mise littéralement au rancard. Les conjoints tiennent les boutsd'un cordon présenté par Hercule, en gloire, que Jupiter enlèvedans le ciel. Ce cordon et les bras du couple forment un carré. Lesoleil et la lune ont été conquis. En bas de la gravure, se voit unblason de sable au chevron abaissé, accompagné en chef de troiscoquilles et de trois besants, qui serait celui de Jacob Sulat, aliasSaulat des Marez, à qui est attribué le ML.

"La quinzième et dernière planche représente l’apothéose de Saturne,victorieux de son fils Jupiter qui l’avait détrôné, et gît, inerte, sur lesol. C’est la solarisation du plus vil des métaux, sa résurrection et saglorification dans la lumière. Les deux branches d’églantier dufrontispice sont chargées de baies rouges et de baies blanchesremplies de semences actives dont chacune a le pouvoir de muer enor ou en argent tous les métaux impurs. De soi-disant mystiques - quinient la possibilité de l’œuvre métallique et n’ont trouvé dans lesallégories des philosophes qu’un traité d’ascèse dont ils seraient fortembarrassés d’expliquer chaque symbole - ces pseudo-mystiquesvoient dans cette planche une image de la résurrection de l’homme etde son retour dans la patrie céleste, et ils s’extasient béatement surcette découverte qu’ils ne sont pas loin de considérer commegéniale." [Hypotypose, Pierre Dujols]

Cette interprétation ne nous convainc pas. Pourquoi Saturneserait-il vainqueur de de combat hermétique, alors qu'en toutelogique, c'est Jupiter qui doit l'emporter ? Si nous considérons lesrégimes planétaires, il est hors de doute que le 1er régime est

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celui de Mercure, ce qui est conforme aux données de la tradition.S'ensuit Saturne, puis Jupiter et la Lune. J. van Lennep, quant àlui, voit dans l'homme couché, non pas Saturne, mais Hercule,image de l'Artiste épuisé par les Douze travaux qu'il a dû accomplir.Le cordon et les bras du couple forment un carré où l'on peut voirsoit les Quatre Eléments, soit la Terre. Nous ajouteronsqu'Hercule terrassé symbolise le vaincu et sublimé : la pierre

herculéenne était, en effet, une représentation du mercure chezles Anciens. La planche 15 montre Hercule portant la tunique deNessus. Nous rappellerons la légende du centaure Nessus en empruntant le texte suivant à Pernety :

Hercule ayant vaincu Achéloüs, n’eut plus de compétiteurs. Ilemmenait Déjanire avec lui, lorsqu’il fut arrêté dans son cheminpar les eaux débordées & impétueuses, d’un fleuve. Ne sachantcomment le traverser, il eut recours au Centaure Nessus, quisavait les gués, & le pria de passer Déjanire de l’autre côté.Nessus y consentit, prit Déjanire sur son dos, & la porta à l’autrerive ; mais en traversant la rivière, la beauté de Déjanire fitimpression sur Nessus, au point de l’engager à vouloir lui faireviolence, dès qu’il eut abordé le rivage. Déjanire se mit à crier,Hercule l’entendit, & se doutant du dessein de Nessus, il luidécocha une flèche empoisonnée du venin de l’hydre de Lerne, &le tua. Nessus en mourant donna sa robe, teinte de son sang, àDéjanire, qui en fit l’usage que nous verrons dans la suite.Nous avons déjà parlé de ce Centaure, à l’occasion de Junonchangée en nuée, il naquit d’Ixion & de cette nuée. Son nomindique ce qu’il était, c’est-à-dire, le mercure au rouge pourpré,puisque Νεσος, veut dire une robe bordée de pourpre ce quimarque le temps où la couleur rouge commence à se manifestersur la matière, temps auquel Hercule lui décoche une flèche,après qu’il a passé le fleuve, c’est-à-dire, après que l’eaumercurielle ne peut plus se volatiliser, & l’emporter parl’impétuosité de ces flots. Hercule, dit-on, le tua, parce que lamatière est alors fixe. Il donna sa robe, teinte de son sang, àDéjanire ; c’est la matière au blanc, signifiée par Déjanire, quireçoit la couleur rouge, par l’action du mercure philosophique.Elle la fit porter à Hercule par Lichas, pour ravoir son amour, carelle le soupçonnait de l’avoir abandonnée, pour aimer Iolé, filled’Euryte. Hercule la vêtit à mais au lieu d’amour, elle lui imprimade la fureur : il tua Lichas, & fit ce que nous dirons, lorsque nousparlerons de sa mort. Lichas domestique, porteur de la robe deNessus, est le mercure philosophique. Les Philosophes, Trévisanentre autres (Philosoph. des Métaux.), lui donnent le nom de serviteur rouge, & Basile Valentin, avec plusieurs autres, lenomment loup, à cause de sa voracité & de sa propriétérésolutive, ce qui convient très bien à Lychas, qui vient de λυωdissoudre, & de χεω fondre, se répandre. On dit que Déjaniredevint jalouse d’Iolé, parce que cette Iolé signifie la couleur derouille qui prend la place de la blanche, d’Ιος, rouille des métaux,

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& de λαως, jouir ; c’est pour cela qu’on a suppose qu’elle avaitsupplanté Déjanire. On dit Iolé, fille d’Euryte, parce qu’il vientd’Ευρος, nourriture, corruption, & que la rouille vient de lacorruption. Déjanire se tua avec la massue de son amant ;c’est-à-dire, que la matière volatile, représentée par Déjanire, futalors fixée par la partie fixe : Lychas fut changé en rocher par lamême raison.

Fables Égyptiennes et Grecques, tome 2, livre IV, chap. XIX, pp. 451-453

Des points de cette fable s'accordent avec celle d'Atalante etd'Hippoménès, pour ce qui concerne la lutte du fixe et du volatil

. Nessus, dans cette affaire, joue le rôle de transporteur àl'instar du saint Christophe ou Offerus [voir tarot alchimique]. Il esten outre marqué du signe de la corruption ιος ou . Cettecorruption, il la porte jusque dans sa robe, tachée de son sang,c'est-à-dire du , qu'il donne à Déjanire au moment de mourir.

Dans son explication de cabale, Pernety semble un peu confus :ce n'est qu'une partie de l'aqua permanens qui ne se volatilisepas, qui est fixée. Cette partie ressortit bien évidemment du par

accrétion au Sel , l'ensemble formant le lapis naissant - qui est aussi le Rebis. La différence essentielle réside dans la forme dela matière : le Rebis dont on connaît plusieurs variétés [airain,laiton, cuivre, etc.] se présente sous un aspect visqueux [où noustrouvons l'équivalent de Lychas] tandis que la naissance du lapis estmarquée d'un événement majeur dans le cours du grand oeuvre :la sursaturation de la solution, précipitant au sens propre duterme la coagulation de l'aqua permanens; Jung, par analogie,nomme ce phénomène individuation. Lychas [Λιχας] se rapportepar ailleurs au système mésotonique si l'on veut bien voir queλιχανος indique la note située au-dessus de la mèse [µεση];c'est aussi la corde de la lyre donnant cette note et que l'ontouche avec l'index: c'est avec cette note clef, s'il en est,qu'Orphée instaure le charme dans la nature et dompte lesanimaux sauvages. En d'autres termes, c'est la clef du selharmoniac des Sages. Nous savons - les alchimistes mêmeenvieux ne peuvent taire cela - que le forme le milieu [µεσος]

de l'oeuvre et que son symbole, de fait, pourrait tout aussi bienêtre ^ que l'idéogramme habituel. L'accent circonflexe -

circumflexus pour « fléchi autour » - résume à merveille l'α et l'ωdu Mercure, comme nous l'avons montré dans l'Auroraconsurgens, II.

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Notons que dans cette fable, Déjanire ne joue pas tant le rôle dematière volatile que, plutôt, celui de Sel; nous avons déjàlargement insisté dans nos sections sur l'ambiguité existant entrele Sel et le Mercure. Sur la massue d'Hercule, voir Atalanta XXV. Il s'agit de l'arc d'argent d'Apollon qui symbolise la conjonctionradicale du sulphur et du principe salin ou toyson d'or. En somme,si l'on revient à l'interprétation que donne P. Dujols de la planche15, si l'on considère les règles de la cabale hermétique, on peutadmettre que c'est bien de la glorification d'un Saturne rénovéqu'il s'agit. Il suffit d'ailleurs de se rappeler du titre d'un desclassiques de l'Art sacré : Huginus a Barma ou le Règne de Saturnetransformé en siècle d'or. Eh bien ! Ne voit-on pas, de la planche defrontispice à la planche finale, ce processus dynamique detransformation spirituelle, en quoi consiste l'individuation ? Latransformation de la materia prima consiste, dans la tête del'Artiste, à y consommer la projection d'éléments en partieinconscients de sa psyché. En l'occurrence, la fable d'Hercule etde Déjanire offre un exemple dramatique où la sublimation setermine en un feu dévorant qui n'a rien à voir avec celui, mesuréet prolongé, de la Grande coction. SH ajoute :

« On aura noté que la lune est figurée à droite de l’homme, le soleil àgauche de la femme : cette apparente discordance symbolique nous rappelleen fait que l’accomplissement des noces chimiques, du mariage des deuxnatures hermétiques opposées suppose toujours une phase où les deuxpolarités s’inversent, l’époux devient passif et sa compagne active »

Comme le montre Jung, il n'y a là nulle discordance: l'animus

de la femme trouve sa contre partie dans l'anima de

l'homme . Cette inversion de polarité survient, dans leprocessus alchimique, à l'époque de la dissolution : les Soufressont dissous et seul le Soufre blanc, c'est-à-dire la salamandre ouSel, résiste au pouvoir dissolvant du .

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paon sortant d'une cornue - Ms. XVIIIe - Dr. C. Rusch,

Nous pouvons tenter de rendre compte de cette apparenteantinomie par l'image. Ainsi, de ce paon qui figure dans le Psychologie et Alchimie [Jung, trad. Buchet Chastel, 1970]. Le paon,rappelons-le, apparaît à la planche 3 du ML. Son symbolisme estlié à la manifestation de l'albedo, lorsque les alchimistes affirmentque leur matière ressemble aux yeux de poissons [voir Auroraconsurgens, II]. Ainsi, la cornue est une représentation du vase denature dans lequel le processus évolue; en témoignent l'entrelacsdes idéogrammes où l'on reconnaît le , , et . Notez le

signe z disposé à gauche de la flèche d'Ares qui signalel'animation du Mercure.

« La corde triple désigne tout d'abord le lien intime unissant la sapientia etson adepte... elle désigne aussi les trois parties du processus qui unit lecorps, l'âme et l'esprit... de la substance de transformation en un accordimpérissable... Ce composé est le résultat de l'opus, le filius philosophorumou lapis, comparable eun sens au corpus mysticum de l'Eglise. » [Jung, Psychologie et alchimie, § 478]

La sapientia, il faut le rappeler expressément, désigne l'arcanesecret du Mercurius . Nous l'avons dit, la corde triple dessine un

quadratum qui est l'image du lapis. Quant au filiusphilosophorum, allégorisé dans les traits de l'Hercule porté engloire, on le retrouve - selon Jung [voir Psychologie du Transfert,chap. 10, la Nouvelle naissance] - dans la figure 11 du Ros. Phil.

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Chose étrange ! La fig. 11 choisie par Jung ne correspond pas àla nouvelle naissance, c'est-à-dire au lapis, mais à celle du Rebis.Il est tout à fait notable que Jung ait choisi non pas tant la figurede la renaissance [voir Psychologie du Transfert, p. 178] comme symbole de l'individuation que celle de la transformation. Ontrouve dans l'Âme et le Soi, Renaissance et individuation [trad. Albin Michel, 1990] le chapitre À propos de la renaissance [extrait du T. XI 1,pp. 125-162, Gesammelte Werke, 1976] avec un exposé sur lesformes possibles de la « renaissance ». Jung distingue cinqformes possibles : la métempsychose, la réincarnation, larésurrection, la renaissance (renovatio) et la transformation. Il nous paraît assez évident que les deux premiers types derenaissance renvoient au transfert [métempsychose] et à laprojection [réincarnation] dans un sens d'ailleurs assezsuperposable à celui que leur donnent les alchimistes. Letransfert [voir Aurora consurgens, II] est lié - selon notre lecture destextes - à ; la métempsychose est indissociable d'un concept

que les Occidentaux ont des difficultés - en bons cartésiens qu'ilssont souvent - : le karma. Il n'entre nullement dans nos vues denous livrer ici à une exégèse du samsara. Néanmoins,l'étymologie nous indique que ce terme sanscrit [dérivé de Sam-S R: couler avec] est lié à l'image occidentale du Mercurius et au flux

de ce que l'on appelle la « roue du karma », là où les alchimistesévoquent la cohobation [Fulcanelli l'associe à un bas-relief du portailcentral de Notre-Dame, représentant l'Orgueil, voir Gobineau]. Une autre représentation vient d'instinct à l'esprit : celle de la roue oùIxion est enchaîné. La symbolique est superposable car ellevéhicule des mythologèmes saturniens en rapport avec le temps[voir Mynsicht, Aureum Seculum redivivum et aussi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,]. Ixion est tenu en résidence aux Enfers où le vent faittourner sa roue pour l'éternité. On rattache l'ensemble de sonmythe au ; sa carrière fait voir des opérations conflictuelles : ilassassine son beau-père puis, libéré par Zeus, tente de séduireHéra [pseudo Héra d'ailleurs puisque Néphélé en avait pris la forme].

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fig. 21 du Ros. Phil.

Il semble qu'Ixion soit le symbole de l'entité psychique se perdantdans le dédale de l'espace intercepté entre la circonférence et

le point solaire; entité dont le sulphur représente l'hiéroglyphe

probable. C'est un spiritus qui finit mal, qui n'a pas trouvé lechemin du ciel firmamental de Philalèthe [l'eau étoilée et métalliqueest la quinta essentia au sens d'eau germinative, voir Mylius, Philosophia Reformata]. Ajoutons que c'est Hermès qui reçutmission d'appliquer à l'ingrat Ixion le châtiment : il le lia au moyende serpents à la roue qui tourne sans relâche au fond du Tartare.Voyons à présent la deuxième forem possible de renaissance : laréincarnation. Elle correspond manifestement à une projection [eneffet, la métempsychose ou transmigration, correspond à une conceptioncyclique où nous voyons l'action saturnienne] où se trouve engagé

[voir là encore Aurora consurgens, II]. On voit que ces deuxpremières formes de renaissance sont liées et que leurformulation est primitive - au sens d'élémentaire. Mais il faut noterle progrès réalisé entre les deux, dans la mesure où laréincarnation envisage un temps davantage linéaire : il y a uneschizogénie réalisée par l'incarnation de l'âme dans le corps maiselle ne constitue pas un événement singulier [il y a transfert deconscience où un être, parfaitement éveillé, peut revenir sur Terre enéchappant au cycle du Samsara ou se fondre dans le Nirvana]. Il y manque un facteur qui n'apparaît qu'avec la troisième forme derenaissance : la résurrection.

« Ici vient s'ajouter une autre nuance : celle de transformation, de latransmutation de l'être... À un niveau supérieur, ce processus est uneélévation du corpus glorificationis, du subtle body, à l'état d'incorruptibilité. »

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[Jung, l'Âme et le Soi, À propos de la renaissance, §203, op. cit.]

On pourrait penser que la différence est mince entre réincarnationet résurrection; tel n'est pas le cas puisqu'ici, on envisage que laréincarnation s'effectue in proprio corpore. La césure est donc netted'avec la structure cyclique correspondant à la dialectiquemétempsychose - réincarnation. La flèche temporelle est senséemais l'état de corps glorieux échappe totalement au principe deraison. En alchimie, cet état correspond au sulphur dépuré,

prêt à être réincrudé dans un corps rénové [voir Mundificatio in Ros. Phil.] Le quatrième type est la renaissance (renovatio) quicorrespond à un renouvellement - dans le sens d'unenrichissement - de la psyché où participent des facteurs derenforcement, d'amélioration ou de guérison; ici, le mot detransmutation peut être prononcé dans le sens de projectionradicale. Nous n'en sommes plus, là, au stade du lapis, mais de laprojection de poudre philosophale, assurant la guérison des corpset l'évolution des métaux en argent (argyropée) ou en or(chrysopée). Il faut toutefois comprendre que cette renovatio -stricto sensu - met en branle un processus de projectionextérieure [la projection dont nous avons parlé jusqu'alors étant localiséedans le vase de nature de l'alchimiste; nous avons d'ailleurs attiré àplusieurs reprises l'attention sur la méprise des auteurs quant au sens dumot élixir, a fortiori de celui de projection]. Or, la projection extérieure anom : mythes, oeuvres artistiques, etc., bref de tout ce quiressortit de la part imaginaire de la psyché, c'est-à-dire de notreombre [voir un essai sur le chef d'orchestre Sergiu Celibidachelà-dessus]. La renaissance paraît indissociable de la cure, dutraitement et l'on ne saurait en trouver meilleur équivalentalchimique que le rajeunissement subi par le roi dans la fonsmercurialis. Là encore, la renovatio procède de la réincrudation etconstitue une forme plus évoluée de résurrection au sens où ellepeut être étudiée par les psychologues et les psychiatres [voir tout particulièrement Jung, la Vie symbolique et les Essais sur la symbolique de l'Esprit, 1er et 3ème volets d'une trilogie sur les rapportsentre la psychologie analytique et le Christianisme; l'Âme et le Soi - 2ème volet - constituent une sorte de point d'orgue dans cette trilogie]. Le cinquième élément de la renaissance est constitué par latransformation rituelle telle qu'elle s'opère dans la messe [mystèrede la transsubstantiation] ou les mystères d'Eleusis [illusion del'immortalité] comme Jung le rapporte :

« En vérité, c'est un beau mystère que les dieux bienheureux proclament !Pour les mortels, la mort n'est pas une malédiction, mais une bénédiction ! »[l'Âme et le Soi, note 2, À propos de la renaissance, épitaphe d'Eleusis]

C'est à peu près en ces termes que s'exprimait Cyliani :

« J'aperçus un effroyable dragon qui avait un énorme dard à trois pointesqui cherchait à me lancer son haleine mortelle. Je m'élançai sur lui en criant:"Lorsqu'on a tout perdu, que l'on a plus d'espoir - La vie est un opprobre et lamort un devoir". » [Hermès Dévoilé, ca. 1831]

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fig. 11 du Ros. Phil.

En bref, il apparaît logique qu'en lieu et place de la fig. 21 du Ros.Phil., Jung ait proposé la fig. 11 en ce qu'elle illustre parfaitementbien la 4ème forme de la renaissance, qui est la rénovation outransformation intérieure, dont le but est l'individuation.

planche finale

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"Mais si nous redevenons pur esprit, c’est donc que notre corps enrenfermait l’essence sous sa forme grossière et, dans ces conditionson ne saurait refuser aux métaux les mêmes propriétés. L’esprit ou lefeu est partout si froid en apparence, dans les métaux qu’ontransforme en fulminates inflammables et détonants au moindrechoc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce,du plan inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel,véritable semence nommée poudre de projection. Ce produitmerveilleux s’obtient par la mort et la putréfaction réelle d’unesubstance métallique, laquelle, transfigurée, à la propriété de modifierà son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son action, subissentde même une mort et une résurrection promptes, qui les élèvent àleur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cettetransformation à celle du blé. [voir Chevreul et l'alchimie : 1, 2, 3, 4]Le grain se corrompt dans la terre, assimile les éléments grossiers dusol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en pur rometdans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moinsactivée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu troismois après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelquechose de presque instantanée. Il est donc tout à fait rationnel qu’unferment doué d’une grande puissance et projeté dans les corpssoumis à une température élevée, puisse les faire évoluer avec unerapidité qui tient du prodige.

L’évolution est la loi de la vie : le minéral devient végétal et le végétalanimal, par voie d’intrussusception; mais ce transit est subordonné àla médiation [terme repris de la Table d'Emeraude bien traduite.Rappelons que de nombreux textes font circuler la TabulaSmaragdina avec le mot « méditation » au lieu du mot «médiation », ce qui fausse le sens. Hortulain a rédigé sonCommentaire sur la mauvaise traduction, de même qu'EugèneChevreul. En revanche, Fulcanelli et Ferdinand Hoefer donnentla bonne traduction; notons que les versions traduites outreManche donnent aussi une version exacte] d’un agent extérieur,plante ou bétail. Si donc les métaux sont admis de la sorte à passerd’un règne dans l’autre, avec l’aide d’un élément approprié, il est pluslogique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à sonétat radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir enlui-même ses homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain,en gestation, assume et transforme la substance des être d’uneorigine moins noble ? La nutrition est une métamorphose continue.De même que, dans les trois règnes, tout converge vers l’homme,dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut pointdéduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle abesoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du fermentmagique qui en opère la transmutation.

L’or est appelé le soleil, car en grec, aur est la lumière [αυριον : demain, vers le matin, c'est-à-dire du côté de l'Orient] ; il est leciel des métaux, la spiritualisation de l’espèce [αυρα : souffle d'air]. Les métaux deviennent donc or comme, à certains égard, notrecorps devient esprit par le travail de la fermentation posthume.[lesmétaux sont transformés en chaux ] La putréfaction,nauséabonde et hideuse, est pourtant la prestigieuse fée qui opèretous les miracles du monde. C’est une grossière erreur de croire que,chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elleest elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de

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l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeureet plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Sciencenie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elledéshonore son nom. [Jung n'a pas dit autre chose, en substance]Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Unevie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexessensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus oumoins long combat - qui est le Purgatoire des Religions - que lamatière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action duSoleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’airjusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où toutfinit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau.

Nous croyons avoir accompli notre tâche avec toute la probitérequise, et fait luire quelques clartés nouvelles dans un domaineobscur. Au disciple, maintenant, de parachever l’Œuvre. Quant àceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et seulement dequelque obole vile et méprisable, nous leur disons, comme le saintJérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus: " La Philosophiene vous est pas idoine ".

Pour vous, fils de science, souvenez-vous du signe éloquent quevous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, etde la glose qui clôt le Mutus Liber: Si vous avez compris, travaillezdans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur leMystère." [Hypotypose, Pierre Dujols]

La fin de l'Hypotypose de Pierre Dujols ne reprend pas, bien sûr,la dernière planche de texte du ML, mais représente uneRécapitulation de l'oeuvre. Nous ne commenterons pas ces lignesqui s'apparentent davantage à la pure cabale qu'à son applicationà l'alchimie « opératique ».

IV. Epilogue

On l'a vu, l'auteur du ML s'est caché derrière le pseudonymed'Altus qui ne serait que l'anagramme de Saulat ou mieux deSoulat. Et le nom de guerre de notre Altus serait donc Soulat des Maretz. Voilà qui ne nous avance guère. Si nous reprenons laLettre d'un Philosophe de Limojon de saint Didier, ainsi que notreanalyse spécifique de la planche 4 du ML, nous sommes parvenusà ce passage où nous discutons du sel, évoqué ostensiblementpar Altus :

Dans cette optique, nous sommes en droit si l'on rapporte la roséeau sens particulier que lui ont attribué les alchimistes, dereconnaître à notre menstrue des qualités que ne lui ont jamaisconnues ou reconnues les universités. Quel est l'usage réservéque l'Artiste fait de la rosée ? Nous l'avons dit, elle le sert commedissolvant des métaux et des minéraux. On doit recueillir - voir laplanche 4 du ML - ce fruit non encore mûr alors que le -comprenez la dont n'est pour ainsi dire que le miroir - tient

le milieu entre et . Il s'agit donc d'un sel et il faut se garder

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de prendre cette matière saline pour le SEL des Sages dontl'hiéroglyphe, rappelons-le, est . Ce sel Nitre, curieusement, est apparu à La Rochelle, presque en même temps qu'était édité leML : E. Canseliet l'appelle sel isotope de l'arcanum duplicatum : il a été découvert par Seignette, apothicaire, vers 1672 [l'éditionoriginale du ML date de 1677].

Né à La Rochelle, le 4 décembre 1660, Pierre Seignette est mortdans la même ville le 11 mars 1719. Il était pharmacien dans saville natale, mais en 1686 il se convertit au catholicisme et, pourprit de son abjuration, fut admis au Collège des médecins de LaRochelle. II n'est connu que par la découverte du tartrate depotasse et de soude, découverte tout accidentelle, qu'il fit vers1672. Il exploita longtemps, sous le nom de sel polychreste, cecomposé dont il tint la préparation secrète; depuis lors le tartratede potasse et de soudee est connu en chimie et en médecinesous le nom de sel de Seignette. On a de Seignette plusieursbrochures, où il exalte les propriétés merveilleuses de son arcane:

I. Ies principales utilités et l'usage le plus familier du véritable selpolychreste. La Rochelle, 16..., in-4". — II. La nature, les effets et les usagesdu sel alcali nitreux de Seignette..., in-4°. — III. Le faux sel polychreste, lesutilités de la poudre polychreste, etc. La Rochelle, 1675, in-8° [L. Hv. Extrait du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.Troisième série. Tome huitième, Scl-Sep, M. A. Dechambre, Paris, G.Masson, P. Asselin, 1880] Le tartrate double de potasse et de soude est un sel congénèredu tartre vitriolé. Un rapport de Boulduc, datant de 1731, quiexaminait la nature de ce sel dont l'analyse s'était jusqu'alorsdérobée aux regards des chymistes, permet de préparer cettesusbtance. Nous avions alors ajouté :

Peut-on, en vérité, penser qu'il y ait quelque liaison entre PierreSeignette et l'édition du ML ? Rien ne le fait supposer ni dans lalittérature spécialisée, ni dans les supputations des historiens del'Art sacré. Toutefois, il est impossible de ne pas remarquer quetrois planches, au moins, du ML, se rapportent expressément à lapréparation d'un sel : il s'agit des planches 5, 6 et 7. Nous en avons discuté dans l'introduction à l'étude du ML et prions donc le lecteur de s'y reporter.

Et à présent ? Eh bien ! Pierre Seignette peut avoir quelque rapportavec Soulat des Maretz. Voici pourquoi. Seignette a pour origine sagne, seigne et saigne : le mot sagne est encore utilisé commenom commun pour désigner une zone marécageuse ou humide oùne poussent que des herbes de marais que l'on utilisait autrefoispour faire de la litière, [du gaulois sagna, terre marécageuse]. Il s'agitlà de toponymes jurassiens [voir http://home.worldcom.ch/pdelacre/toponymie_jurassienne.html]. Voyons à

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présent Soulat. On peut y voir le latin Sol ou soleil ou le latin

solus, seul [en grec ιον proche de ιος, rouille]. Quant au mot Maretz, il vient en droite ligne de Maret ou marais. Ainsi, par cabale, peut-on voir en Soulat des Maretz l'anagrammespirituel du Soleil du marais, de la fange ou de la boue. Ce quinous renvoie à la figure d'Adamas sortant de la boue dans laplanche VIII du Splendor Solis [voir Ripley Scrowle pour une étude surl'Adam primordial et l'Adam kadmon]. Ce n'est pas tout : en grec,marais se dit ελος tandis que s'épelle ηλιος. On mesure lepoids de cabale qu'Altus a insufflé à son pseudo patronyme. Il y aplus : en latin, marais se dit stagnum, qui n'est point éloigné destannum [plomb argentifère ou ] que l'on peut rapprocher de

σταγων [liquide coulant goutte à goutte ou eau de mer]. Voilà qui nousramène à la planche I où l'on a déjà parlé de cette mer étale,encalminée qui contient en son sein le natron dont l'Artiste abesoin pour son . Il existe une autre piste sur l'origine d'Altus :

Ferguson [Bibliotheca Chemica, II] écrit que :

« L'auteur anonyme, dit Arcere dans son Histoire de la ville de laRochelle, 1757, in-4, t. 2, p. 384, pourrait être Jacob SAULAT, sieur DESMAREZ, lequel demanda un privilége pour ce manuscrit. Je crois que le vraiauteur est TOLLÉ médecin de la Rochelle, grand chimiste ; le nom empruntéAltus le désigne assez. Quérard (Les Supercheries Littéraires Dévoilées, 1869, i. 282d) enters this book under Altus and agrees with Barbier inascribing it to Tollé. Brunet (i. 203) also enters it under Altus, but prefersascribing it to Saulat. May Altus not be meant for a kind or anagram of Saulat? »

Tollé, « grand médecin de La Rochelle. » Ce nom rappelle auxAmoureux de science celui de Jacques Toll [voir le Chemin du Ciel Chymique] ou Jacobus Tollius mais il s'agit là d'une fausse pistepuisque Tollius, s'il voyagea beaucoup, ne s'arrêta pas à LaRochelle. En revanche, on a peine à croire que Tollé neconnaissait pas Pierre Seignette... Récemment, on a pourtantrisqué l'hypothèse suivante :

Mutus Liber

Das „stumme Buch“ ist ein alchemistisches Werk, das von einemgewissen Altus verfasst wurde und mit dem Holländer JacobusTollius oder dem Franzosen Joseph du Chesne (Duchêne) identifiziertwird. Die Estausgabe erschien im Jahre 1677 unter dem Titel Mutusliber in quo tamen tota Philosophia hermetica figuris hieroglyphicisdepingitur ... solisque filiis artis dedicatus, authore cuius nomen etAltus. Das Werk besteht ausschließlich aus Darstellungen, die dieHerstellung des Steines der Weisen angeben.

http://www.ringbote.de/rollenspiele/spielhilfen/vermischtes/alchemie/alchemie_schriften.html

mais il semble bien s'agir là d'une confusion entre le médecinrochelais Tollé et Tollius. Quant à Joseph du Chesne, aliasQuercetanus, il n'a jamais, à notre connaissance été pressenti

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comme l'auteur supposé - le commanditaire - du ML.

Bibliographie sommaire

1. Mutus Liber, La Rochelle, 1677, (Ferguson I, 29-30) 2. L'alchimie et son livre muet, Paris, 1967 3. Bibliotheca chemica curiosa, Genève, 1702 4. Histoire de la ville de La Rochelle et du pays d'Aulnis, La Rochelle,1757 5. Commentaires sur le Mutus Liber, S. Hutin, Maizières-lez-Metz,1966