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MODÈLE DE LA PULSION, MODÈLE DU RÊVE DANS LA THÉORIE DE W. R. BION Elsa Schmid-Kitsikis P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2006/5 - Vol. 70 pages 1577 à 1584 ISSN 0035-2942 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2006-5-page-1577.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Schmid-Kitsikis Elsa, « Modèle de la pulsion, modèle du rêve dans la théorie de W. R. Bion », Revue française de psychanalyse, 2006/5 Vol. 70, p. 1577-1584. DOI : 10.3917/rfp.705.1577 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.16.102 - 02/07/2013 05h14. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.16.102 - 02/07/2013 05h14. © P.U.F.

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Page 1: Modèle de la pulsion, modèle du rêve dans la théorie de W. R. Bion

MODÈLE DE LA PULSION, MODÈLE DU RÊVE DANS LA THÉORIE DEW. R. BION Elsa Schmid-Kitsikis P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2006/5 - Vol. 70pages 1577 à 1584

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Schmid-Kitsikis Elsa, « Modèle de la pulsion, modèle du rêve dans la théorie de W. R. Bion »,

Revue française de psychanalyse, 2006/5 Vol. 70, p. 1577-1584. DOI : 10.3917/rfp.705.1577

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Modèle de la pulsion, modèle du rêvedans la théorie de W. R. Bion

Elsa SCHMID-KITSIKIS

« L’appareil sensoriel utilisé pour l’éjectiona un rapport avec la distance à laquelle lesobjets fragmentés sont propulsés. L’appareilvisuel est utilisé pour une éjection lointaine ;le sens du toucher ne mène dans une direc-tion pas plus loin que la peau (...). Du fait duconflit entre les pulsions réparatrices et lespulsions créatrices, ce processus d’évacuationpeut ne pas atteindre les extrêmes représentéspar les hallucinations visuelles invisibles résul-tats de la transformation en images figurées,d’une fragmentation extrêmement fine et del’éjection à grande distance par les yeux. »

W. R. Bion, Cogitations1.

Le très riche rapport de B. Brusset suscite un ensemble d’interrogationsouvrant sur des échanges qui s’annoncent passionnants. Dans le chapitre qu’ilconsacre aux rapports qu’entretient le modèle de la pulsion avec celui des rela-tions à l’objet dans la théorie bionienne, il souligne la difficulté que l’on ren-contre à trouver « une alternative pertinente » au modèle freudien, dans lamesure où il fonde « la position épistémologique spécifique de la psychanalysecomme métapsychologie, “position méta” en rupture avec les psychologies dela conscience, la phénoménologie, l’herméneutique, le narratif, les théories dudéveloppement de l’enfant ».

La pulsion, note-t-il, comme la répulsion, l’expulsion, la propulsion, lacompulsion, exprime l’idée de contrainte, de force, de mouvement, etc. Elle est« un modèle explicatif du déterminisme psychique inconscient référé à la trans-formation de l’excitation endogène et exogène et par là au corps biologique et à

1. W. R. Bion (1992), Cogitations, London, Karnac Books ; trad. franç. par J. Poulain-Colombier, Cogitations, Paris, In Press, 2005, 373 p., p. 83.

Rev. franç. Psychanal., 5/2006

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la sexualité ». Dans un tel contexte, la théorisation, aussi bien de Winnicott quede Bion, « modifie la place de la pulsion comme fondement de la métapsycho-logie, mais elle donne une position centrale aux notions freudiennes de liai-son et de déliaison ». Il y aurait ainsi, plus particulièrement chez Bion, une« topique du lien » qui « redéfinit les pulsions et les pensées dans leurs rapportsaux émotions et aux expériences corporelles primaires (et non au somatiquebiologique) ». Cette position, selon Brusset, indique l’existence, au départ, d’unétat d’indifférenciation1 individu/environnement, le modèle de la pulsion étant« redéfini par les conditions relationnelles de sa genèse », elle devient, ainsi,« secondaire2 à des étapes antérieures référées à la sensori-motricité, à l’émotionconfondue avec les sensations et les impressions sensorielles dans les liens pri-maires d’amour, de haine et de connaissance ».

J’aimerais reprendre ces quelques propos en proposant ma propre compré-hension de la place et de la fonction qu’assume la pulsion dans le modèle théo-rique et clinique de Bion.

Il est vrai que Bion ne propose pas une réflexion métapsychologique spéci-fique de la notion de pulsion et n’aborde pas le fameux débat biologique/psy-chique. Son intérêt portant sur la psychose et les fonctionnements limites, ilmodifie les rapports plaisir/déplaisir en remplaçant le plaisir dans la placedominante qu’il occupe dans le modèle freudien par la gestion du déplaisir.

Le modèle bionien ne suggère pas, à mon avis, un état d’indifférenciationoriginaire individu/environnement, ni un fonctionnement pulsionnel unique-ment au service d’un travail en liaison/déliaison, lui conférant ainsi une posi-tion seconde. L’impression d’une indifférenciation originaire peut s’imposerlorsque l’on ne tient pas compte de la distinction entre un fonctionnement cor-porel qui se situe d’emblée dans un lien psyché-soma et un fonctionnement cor-porel à la recherche d’un tel lien (le mouvement pulsionnel qui anime « le seinpsychosomatique »), et cela dès la césure de la naissance, avec le vécu catastro-phique à la pulsionnalité chaotique, où l’infans suit une mouvance pulsionnelleà la recherche de moyens de survie, source de futures transformations ou defuite. L’émotionnel, dans la théorie bionienne, n’est pas l’affect avec ses quali-tés de représentance. P. Aulagnier3 l’a très bien montré en soulignant cet étatdiffus d’un corps dont le vécu émotionnel est en voie de psychisation.

Dans une note du 25 octobre 19594, Bion souligne la « lutte entre les pul-sions de vie et les pulsions de mort <qui> modèle le fonctionnement de tous les

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1. C’est moi qui souligne.2. C’est moi qui souligne.3. Conférence « Naissance d’un corps, origine d’une histoire », donnée en juillet 1985 à Aix-en-

Provence.4. Op. cit., p. 101.

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mécanismes complexes démontrés au cours de l’analyse du patient psycho-tique ». Il ajoute que cette lutte contribue au besoin du patient de « conserversa psychose ». Ce sont ces « impulsions » qui seront « frustrées », alors qu’ilcherche à se soustraire à la prise de conscience de la frustration.

L’importance de la position originaire se retrouve dans la matrice quereprésente le trépied pulsionnel : Amour, Haine et Connaissance, que l’on atrop tendance à représenter selon un seul « vertex », celui de la relation objecta-lisante ou désobjectalisante.

Ma compréhension de la théorie topique bionienne1, que Brusset qualifiede « topique du lien », renvoie aux intérêts théoriques que Bion semble privilé-gier et qui concernent très directement l’étude du préconscient et de l’activitéonirique comme lieu de rassemblement des parties pulsionnelles éclatées duMoi. Ils prennent en compte les liens qu’entretiennent la première topique et lesparties pulsionnelles et inconscientes des instances Moi/Surmoi de la deuxièmetopique ainsi que les mouvements de va-et-vient entre Ics et Pcs, Ça et Moi. Onpeut considérer que ces liens entre topiques participent à la fois au renforce-ment du pouvoir de la pulsion, des qualités inconscientes et préconscientes del’activité psychique, et à l’élargissement de la notion de conscience, cette der-nière participant plus activement au travail du préconscient. Elle se révèle,grâce à sa mouvance pulsionnelle, sensible et « s’attache » aux impressions desens2. Bion élabore ainsi, à partir de la notion de fonction alpha, une théorieélargie du préconscient qui aurait pour point nodal sa participation active à lafois aux processus pulsionnels et aux processus inconscients de l’activité psy-chique. En d’autres termes, il cherche à préciser, dans le cadre de la premièretopique, les rapports qu’entretiennent les mouvements intégratifs des activitésinconscientes de l’instance du Moi (que l’on retrouve dans la notion bioniennede Self) et du Surmoi de la deuxième topique, en se centrant plus particulière-ment sur les liens pulsionnels et objectaux qui donnent lieu à un sentiment deconscience.

Alors que Freud traite d’emblée avec ce qui donne accès chez le sujet à uneactivité de représentation, Bion ancre les premiers vagissements de la penséedans le corporel et plus particulièrement dans le traitement pulsionnel de ladigestion et de sa métabolisation en digestion psychique. Bion semble trèspréoccupé par le désir de décrire ce processus, en sachant, dit-il, que les motsne sont qu’une approximation. Le bébé « a conscience » de l’existence « au-

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1. E. Schmid-Kitsikis, W. R. Bion, Paris, PUF, 1999, 128 p.2. On peut penser que Bion est influencé dans sa lecture de Freud par la démonstration que fait

Kant du concept d’ « entendement » et plus spécifiquement de sa notion d’ « intuition sensible » ou de« perception par les sens ».

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dedans » de lui d’un mauvais sein, un sein qui n’est « pas là ». Cet objet est res-senti comme étant « expulsé » par le système respiratoire ou par le processusqui consiste à « avaler » un sein satisfaisant. Dans certains cas, « le processusde la succion et les sensations qui l’accompagnent sont mis en équation avecl’expulsion d’un mauvais sein. Un nourrisson, rempli de cette impression d’unsein mauvais, peut l’expulser en tétant le sein. S’il ne trouve pas de sein dispo-nible dans la réalité, le “non-sein” sera ressenti non seulement comme “mauvaisen soi”, mais encore comme plus mauvais, parce qu’il apporte la preuve con-crète que ce mauvais sein a bel et bien été expulsé.

Le mécanisme qui, selon Bion, permet de décharger la psyché d’un accrois-sement d’excitations, est l’identification projective. À la suite de ses premierstravaux sur la pensée du schizophrène et sur les phénomènes de groupe, Bionexploitera le modèle de la relation mère-enfant, toujours en lien étroit avec celuide la pulsion. C’est dans un tel contexte qu’il se pose la question de l’adé-quation de l’insertion de l’identification projective dans la réalité de la relationdu nourrisson avec sa mère, selon que celui-ci a la possibilité ou non de passerpar des expériences sensorielles de sécurité, de chaleur, de bien-être, d’amour.Car, si nous savons par où passe le lait, nous ne savons pas par où passel’amour. Ce n’est qu’à travers la fonction de la mère que nous pourrions enavoir une certaine idée, d’où l’intérêt de considérer que, si la mère disposed’ « un sein psychosomatique », le nourrisson, de son côté, dispose d’ « uncanal alimentaire psychosomatique ». Le bébé a « besoin » de ce sein pours’approvisionner en lait et en bons objets internes, ce qui, en cas de défaillance,l’amènera à développer une sorte de « conscience d’un besoin non satisfait », desorte que pour Bion le bébé n’éprouve pas le désir d’un bon sein, mais celuid’en expulser un mauvais.

LE MODÈLE DU RÊVE

Le modèle du rêve est central dans la théorie bionienne. Il prend appui surson intérêt pour les manifestations du délire, de l’hallucinose, de la « figurabi-lité » supposée du psychotique, de cet état qui n’est ni la vie ni la mort, étatqu’il qualifie de ni éveillé ni endormi. L’échec du travail du rêve et l’absence dedisponibilité pour l’expérience psychique externe et interne donnent lieu à unétat particulier chez le psychotique. Alors qu’il semble avoir un contact avec laréalité, il en fait très peu usage aussi bien dans l’immédiat que lorsqu’il s’agitd’apprendre par l’expérience. Dans cet esprit, le rêve, soumis au travail de la

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pulsion, semble jouer le même rôle dans la vie mentale du sujet que le processusdigestif, d’expulsion ou de rétention, renvoyant à son activité alimentaire.

Bion cherche à étendre le terme de rêve afin qu’il puisse englober les« sortes de phénomènes qui apparaissent dans les analyses de psychotiques » etqui méritent selon lui une telle appellation, puisqu’ils donnent lieu à une acti-vité qui a été « rêvée » (dreamed).

Dans une note1, Bion rapporte le rêve d’un de ses patients, convaincu queles propos de ce dernier lors de cette séance sont le résultat d’une de ses inter-prétations transformées en rêve. Le patient évoque un tunnel avec un train quis’arrête. Il enchaîne, en disant : « Serai pas capable de guérir. Trop tôt etcomme je viens de le manquer, il ne va pas y en avoir un d’ici longtemps. Desfragments en menus morceaux comme des fèces... deux chaises et l’ensembletrois-pièces ; un siège de toilettes. Je ne peux pas parler comme il faut. »

Mise à part la différence entre le patient psychotique qui pense que les évé-nements d’une séance font partie d’un rêve, et l’analyste qui pense qu’ils fontpartie de la réalité, Bion-analyste considère que ces événements « sont en traind’être rêvés » par le patient (are being dreamed) dans la mesure où le mêmeévénement qui a été « perçu » (perceived), dans le sens plutôt de « saisir », à lafois par l’analyste et par le patient, est traité et engagé par ce dernier dans unprocessus, celui du rêve.

Bion veut souligner par là que, malgré l’échec du travail du rêve, un travailmental a tout de même lieu, traitant ces événements comme matière à rêver. Ilajoute que, dans le cas du rêve du tunnel, il était clair que le patient introduisaitune différence entre « parler comme il faut » et une sorte de parler par « imagesvisuelles ».

Avec le « vertex » choisi par Bion, l’activité onirique a pour fonction derassembler et de synthétiser une activité psychique soumise à un éclatementpulsionnel en de multiples fragments disparates. Ce qui est important, souligne-t-il, ce n’est pas le contenu du rêve, mais l’avoir droit ou encore l’avoir besoin de« rêver » (his having to dream), ce qui renvoie à un acte transitif qui nécessiteun verbe transitif.

Les mouvements pulsionnels omnipotents du psychotique sont si puissantsqu’ils agissent comme si l’appareil perceptif pouvait être clivé en fragments infi-mes et projeté dans les objets internes. Cette fragmentation va entraîner desreprésentations terrifiantes dès lors que la fonction persécutoire du Surmoi serenforce en raison du clivage qu’il subit. Chaque morceau clivé agit comme unSurmoi total, entraînant à sa suite d’autres clivages à la fragmentation de plus

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1. Op. cit., p. 42.

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en plus infime. La configuration et les limites du rêve, selon une appellationparticulièrement figurative de Bion, sont rendues « invisibles » et « mouillées »(wet), alors que l’état d’éveil est « sec » (dry).

Mais si les élaborations en voie de théorisation de Bion offrent une nou-velle appréhension de la discontinuité, de l’incohérence, du mécanisme délirantde la pensée psychotique, elles enrichissent également au moyen de ce nouveléclairage les interprétations de Freud. Avec son art de la description animiqueet animée de la vie psychique, Bion nous met en contact avec la paranoïa dumonde interne du sujet, son envahissement pulsionnel par les particules expul-sées du Moi lors de la fragmentation de l’appareil perceptif du sujet, qui romptles limites de manière à ce qu’il ne soit plus possible de savoir si ces particulessont contenues dans les objets externes ou si elles les contiennent.

Bion écrit, dans Cogitations :

« X a des sentiments de persécution à propos de diverses impressions sensorielles qu’ilreçoit. Toutes ces impressions des sens sont-elles des indications d’un processus dedigestion mentale ? Lorsqu’il entend un coup violent, est-ce parce qu’il doit entrerdans un état d’esprit lui permettant d’être à l’intérieur de la mère afin d’espionner sesprocessus digestifs – une sorte de rapport sexuel dans lequel elle (moi, dans l’analyse)le digère en le cognant jusqu’à le mettre en morceaux, en le claquant avec un bruit sec(dont il se plaint fréquemment), jusqu’à le mettre en morceaux, ne faisant que letransformer non pas en une personne mais en un conglomérat de fèces, en une selle ?En ce cas, sa tentative de pénétrer l’analyste est émotionnellement identique au faitd’entrer “profondément” dans le rapport sexuel parental – la digestion d’un parentpar l’autre. (“Profondément” veut dire ici une multidimensionnalité extrême – dansl’espace, dans le temps, dans le caractère “à fond” dans l’implication émotionnelle...)Il faut qu’il voie le rapport sexuel parental dans ses infimes détails et jusqu’au bout.Mais, ce faisant, il perd le contact avec sa “base”. »1

BION, FREUD ET LE PRÉSIDENT SCHREBER

Dans « Le Président Schreber... », Freud souligne l’importance du lienémotionnel entre la personne du délire et le patient. L’émotion que ce dernieréprouve est « projetée au-dehors sous forme de pouvoir venant de l’extérieur »,provoquant un changement de sa qualité en son contraire. « La persécutionque postule le délire sert avant tout à justifier le changement d’attitude émo-tionnelle de la part du patient. »

L’analyse que Freud propose du délire de Schreber fait penser aux puis-sants mouvements pulsionnels omnipotents du psychotique qui agissent, selonBion, comme si l’appareil perceptif pouvait être clivé en fragments infimes etprojeté dans les objets internes.

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1. Op. cit., p. 84.

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Je pense au passage décrit par Freud du fractionnement des âmes1, éton-namment proche de ce que Bion décrit lorsqu’il évoque les attaques et les pro-cédés de fragmentation psychique de ses patients. Dans son texte, Freudévoque les rapports de Schreber avec son premier médecin, le Pr Flechsig, deLeipzig. Il note que l’auteur de toutes les persécutions de Schreber est Flechsiget s’appuie, pour mieux saisir le travail psychique qui préside à « l’élaborationdu délire », « sur l’exemple bien mieux connu du rêve », ce qui est également lecas chez Bion.

Flechsig aurait assassiné l’âme du malade ou tenté de le faire. L’âme deFlechsig, associée par la suite à une nouvelle âme, celle de l’infirmier en chef,commence à pratiquer le système du fractionnement d’âme ou fractionnementd’une âme, qui acquiert bientôt une grande envergure. À certains moments,apparaissent 40 à 60 de ces fractions de l’âme de Flechsig ; deux de cesfractions, les plus grandes, vont recevoir les noms de Flechsig supérieur et deFlechsig moyen. Puis l’âme de l’infirmier se comportera de la même façon. Cesdeux âmes, de Flechsig et de l’infirmier, guerroient, malgré l’alliance qu’ellesconcluent.

Lors du séjour de Schreber à la maison de santé de Sonnenstein, celui-cifait également entrer en action l’âme de son nouveau médecin, le Dr Weber.Vers la fin de son séjour, il se produit un revirement, une razzia sur les âmes,lesquelles s’étaient multipliées au point de devenir un fléau. L’infirmier n’engarde plus qu’une seule et Flechsig qu’une ou deux formes qui peu à peu per-dent leur intelligence comme leur pouvoir. Elles reçoivent les noms de Flechsigpostérieur et de parti du eh bien.

À quoi renvoie le concept d’âme ? Au vécu sensoriel, à une activité men-tale, à un fantasme, à sa chosification à force d’être placée sous l’emprise d’unfantasme omnipotent ? Il est également difficile de savoir si ce quelque chosequi représente l’âme est contenu dans Schreber ou le contient, ce qui amèneprobablement Freud à le présenter comme une pensée de rêve. Il n’en demeurepas moins que dans cette idée de fractionnement on retrouve celle de Bion, lors-qu’il se réfère aux particules expulsées du Moi qui mènent « une vie indépen-dante et incontrôlée », qu’elles « soient contenues par les objets externes ouqu’elles les contiennent »2.

Bion, à cette époque, s’intéresse essentiellement au fonctionnement pul-sionnel, sensoriel et émotionnel de ce monde interne éclaté. Il figure le sort dechaque particule qui, aux yeux du patient, est constituée par un objet réel

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1. S. Freud (1911), Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa(Dementia paranoides), le Président Schreber, Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, pp. 287-288.

2. W. R. Bion (1967), Réflexion faite, Paris, PUF, 1983.

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encapsulé dans un morceau de personnalité qui l’a englouti. La nature de la par-ticule dépend en partie de l’objet réel. On peut citer l’exemple connu du mor-ceau de personnalité ayant trait à la vue. Le Gramophone qui joue est ressenticomme un objet qui épie le patient. On retrouve dans l’exemple de l’âme duPrésident Schreber cet envahissement, cet enflement, cet engloutissement psy-chique, ressenti comme une attaque qui entraîne comme défense le fractionne-ment décrit par Bion. « L’objet, écrit ce dernier, furieux d’être englouti, s’enflepour ainsi dire, se diffuse au sein de ce morceau de personnalité qui l’engloutitet en prend le contrôle : dans cette mesure la particule de la personnalité estdevenue une chose. »1 Ces particules, le patient tend à les utiliser comme desprototypes d’idées qui formeront la matrice d’où sortiront les mots. On pense àFlechsig supérieur, à Flechsig moyen, à Flechsig postérieur, etc. Le patient estalors amené à penser que « les mots sont les choses mêmes qu’ils désignent ». Ilmet « en équation » au lieu de symboliser.

La relation analytique reproduit une situation de lien, qui réactive un mou-vement pulsionnel de haine ou d’amour. Les attaques pulsionnelles destructri-ces se dirigent contre tout ce qui a pour fonction, pour le patient, de lier unobjet à un autre objet. Ces attaques menacent la curiosité, la capacité d’ap-prendre, la pensée – en d’autres termes, ce qui permet au sujet d’être vu, d’êtrequelqu’un.

Elsa Schmid-Kitsikis30, chemin de Conches1231 Conches/Genève

Suisse

1584 Elsa Schmid-Kitsikis

1. Op. cit., p. 56.

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