manuel pratique illustré par vingt séquences vidéo pour
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Pédagogie martiale
Manuel pratique illustré par vingt séquences vidéo
pour découvrir, au Dojo ou chez soi,
maîtrise, confiance et respect mutuel
Yves Thelen
Du même auteur
« L’esprit du karaté », Liège, P. Lesire, 1977
« Ninja, les samouraïs de l’ombre », Paris, G. Trédaniel, 1987
« Karate-do, shotokan… shotokaï », Paris, G. Trédaniel, 1989
« Ninjutsu, progression technique », Paris, G. Trédaniel, 1991
« Budo, retour aux sources », Paris, G. Trédaniel, 1992
« La Voie Suprême », Paris, G. Trédaniel, 1994
« Aïki-karaté-do, de la lutte à mort à l’art de vivre », Paris, G.
Trédaniel, 1994
« Art martial, une nouvelle approche », Liège, M. Pietteur, 2004
« Éveil à l’esprit philosophique, une approche actualisée des
problèmes existentiels », Paris, l’Harmattan, 2009
« Le Titre du Livre », Paris, l’Harmattan, 2010
« Aïkido et karaté, synergie », Paris, Th. Plée, 2012
« Contes à (ne) pâlir debout », Paris, Mon Petit Editeur, 2012
« L’Ère d’Ève », Publibook, 2015
« De l’idée à l’écrit », wordpress.com, 2016
« Ex Tenebris, dialogue intérieur avec Lucifer », Edilivre, 2018
Pédagogie martiale
Le présent travail est le fruit d’une progression qui s’est étalée sur plus
de trente ans et à laquelle tous les membres de l’Académie Aïki
Shudokan de Liège ont été associés.
Je remercie en particulier mon épouse, Michelle, pour son soutien
indéfectible, Aline, Caroline et Sébastien pour leur patiente
collaboration et les Anciens qui sont les piliers de notre école.
Introduction 7
Illustration et courte démonstration 9
Les principes à mettre en œuvre 13
Séquence 1 « Se couper la tête » à droite, à gauche – Dégagement
du poignet – Entrer dans le cercle 17
Séquence 2 L’échauffement – « Se couper la tête » en se croisant
– La Spirale – Devenir l’ombre de l’autre 23
Séquence 3 L’attitude de base – Retour sur la Spirale – Torsion
du poignet – Dégagement sur double saisie – Une application 27
Séquence 4 Droite-droite-Gauche-gauche – Amener au sol sur
le ventre ou sur le dos – Dynamiser la Spirale – Dégagement du
poignet en vis-à-vis – Ne faire qu’un avec le partenaire 33
Séquence 5 La grande attaque du poing – Esquiver « en ouvrant
la porte » – Retourner le poignet – Corps accord 37
Séquence 6 Se croiser ou reculer sur grandes attaques
réciproques – Esquiver « en entrant » – La roulade arrière – Les
yeux clos 43
Séquence 7 « Un coup, une vie ! » – Le grand coup de pied de
face –Renverser « en entrant » 49
Séquence 8 Le mouvement de défense – le kata de l’esquive – Le
coup de pied circulaire – La roulade avant 53
Séquence 9 Reculer – « Entrer pour retourner l’énergie » –
« Retourner l’énergie en pivotant » – Fluide comme l’eau 61
Séquence 10 Vers l’assaut libre – Esquives sur attaques
maximales – Des yeux dans le dos – L’esquive « arrière » 65
Séquence 11 Projeter « en ouvrant la porte » – Esquive entre
deux attaquants – Projeter les deux attaquants 71
Séquence 12 Esquive et défense avec deux attaquants – Double
projection « en ouvrant la porte » 75
Séquence 13 Projection « la roue sur la main » – « La porte
ouverte à deux battants » – Le brise-chute 79
Séquence 14 Attaque, défense, projection… un même esprit –
« Retourner l’énergie » du premier attaquant – « Retourner
l’énergie » du premier en pivotant – La Voie du sabre 83
Séquence 15 « Le retournement du coude » – À genoux, dos à
l’attaquant : la Spirale – Le regard 87
Séquence 16 Amener au sol « en passant sous le bras » –
Projection « la roue sur les épaules » – Projeter le partenaire
arrière : la Spirale – Entre deux attaquants 91
Séquence 17 Esquiver quatre attaquants – Esquiver et projeter
quatre attaquants – Alterner les rôles 95
Séquence 18 Aïki kata, le « Kata à cinq » 97
Structurer un cours 101
Séquence 19 Thème : la parade « de l’extérieur » 105
Esprit critique 109
Âgé de septante-deux ans, Yves Thelen
enseigne, quasi quotidiennement depuis
cinquante ans, la Voie martiale,
essentiellement le karate-do shotokaï et
l’aïkido. Il s’est également essayé aux
autres disciplines martiales japonaises,
a fréquenté les stages des plus grands
maîtres et publié huit ouvrages dont
« Aïkido et karaté, synergie » (Éd. de
l’Éveil, 2012).
Professeur de morale laïque, il est
également l’auteur, chez L’Harmattan,
du livre « Éveil à l’esprit philosophique ».
Laissons-lui la parole pour préciser l’esprit de ce « manuel pratique ».
Introduction
La confusion entre art martial et sport de combat demeure et profite
d’un discours basé sur les notions floues de « maîtrise » et
d’« efficacité ». Nous pouvons, ainsi, rechercher uniquement les
réflexes efficaces en cas d’agression physique ou développer une façon
d’être qui nous rende plus efficace face à tous les défis de la vie.
Précisons donc que l’approche proposée ici s’adresse à des personnes
qui croient encore aux valeurs du Budo, les voies martiales japonaises,
et qui ne s’inscriraient certainement pas dans un club de full contact !
Bien évidemment rien ne vaut la pratique effective avec un bon
professeur et des partenaires multiples. Mais il m’a finalement
semblé préférable d’offrir l’opportunité de découvrir chez soi, avec son
conjoint ou des amis, une progression bien structurée, développant les
vertus d’une voie de développement personnel, plutôt que de se
résoudre à pratiquer un sport de combat dans le premier club venu.
Dans les pages qui suivent, il ne sera nullement question de grades,
d’écoles particulières ou de fédérations sportives. Encore moins de
compétition ou d’auto-défense, mais bien d’esprit de paix,
d’ouverture à autrui, de sincérité et d’humilité, valeurs distillées
au-travers de techniques et d’exercices accessibles à tous.
Mes prétentions se limitent donc à faire œuvre de pédagogue et à croire
que nombre de jeunes professeurs, plus forts et peut-être plus doués,
auraient intérêt à s’inspirer du cours proposé.
Honnêtement, si vous m’aviez parlé, il y a quelques années, d’un cours
d’initiation sur le net ou d’une méthode à découvrir à domicile, je vous
aurais souri avec condescendance. Je comprends donc parfaitement que
vous éprouviez une certaine perplexité. En fait, mes ouvrages
précédents s’adressaient principalement aux adeptes et aux
responsables de clubs. J’espérais multiplier les contacts et les échanges.
C’était illusoire. J’imagine pourtant qu’ingénieurs ou chirurgiens sont
avides de nouvelles techniques et d’outils plus performants. Mais dans
le monde des arts martiaux, l’évolution est paradoxale : d’une part nous
assistons à une multiplication des disciplines, des écoles et des
fédérations ; d’autre part, chaque « expert » ou instructeur se montre
généralement plus soucieux de son grade et de sa reconnaissance au
sein d’un groupement que de sa progression réelle si celle-ci risque de
remettre en question son statut et ses acquis.
Si d’aucuns me détrompent, j’en serai heureux. Quant au lecteur
seulement armé de son bon sens, curieux mais dubitatif lorsqu’il assiste
à une « Nuit des arts martiaux » ou surfe sur youtube, j’espère que les
pages qui suivent et notre première séquence vidéo le persuaderont de
la conformité entre l’idéal affiché et les exercices proposés, et qu’elles
l’encourageront à poursuivre en toute confiance.
Nos cours et les vidéos peuvent être téléchargés
GRATUITEMENT. Notre seul but est de promouvoir des valeurs
humanistes au-travers d’un apprentissage des techniques
martiales.
Je vous demanderai seulement, si vous trouvez la démarche digne
d’intérêt, de partager cette information avec vos contacts, sans la
moindre forme d’engagement de quiconque.
Illustration
Prenons sans tarder un exemple concret pour illustrer la spécificité de
cette approche : si nous voulons d’emblée encourager un esprit libéré
de toute agressivité, nous proposerons aux débutants des exercices
« réciproques » : les deux partenaires réalisent simultanément la même
technique. Il n’y a pas un attaquant et un défenseur, un « bon » et un
« méchant » ; chacun doit découvrir l’harmonie avec l’autre et la
complémentarité entre les déplacements. Cette volonté ne devra jamais
être sacrifiée même lors d’assauts très dynamiques.
Visualisez ensuite une courte démonstration de la pratique à laquelle
vous pourriez aboutir après un ou deux ans d’entraînement régulier.
Si cela vous apparaît hors de votre portée, refusez de vous poser la
question : vous ne pouvez que progresser. Il est d’ailleurs possible de
se limiter à des mouvements lents et l’essentiel est de se maintenir en
forme quel que soit l’âge.
Et si ces assauts vous semblent manquer de réalisme, rappelez-vous
qu’il ne s’agit pas de mimer une bagarre mais de développer un état
d’esprit. De même, nous ne confondons pas le gamin qui se défoule au
volant d’une auto-tamponneuse (auto-scooter) et l’adulte qui opte pour
la conduite défensive et apprend patiemment à maîtriser le dérapage !
La Voie est une idéalisation du combat. Celui-ci n’est pas le but
mais un moyen pour apprendre à dominer ses émotions, améliorer
sa décontraction et son ouverture envers autrui quand bien même
nous serions menacés.
À chacun de voir maintenant s’il est intéressé par la dimension plus
mentale ou s’il souhaite simplement s’affirmer face aux autres en
exacerbant son agressivité et en « jouant à la guerre ».
Ne nous leurrons pas : pratiquer et progresser durant des mois, sans la
présence d’un guide ni la sanction d’un grade, n’est pas à portée de tous.
Il faut une sérieuse dose d’application et de persévérance pour tirer tout
le profit d’un travail sur soi à long terme. Mais si parcourir un temps la
Voie proposée aide à clarifier ce qui fait l’originalité et l’authenticité de
l’art martial, le lecteur et l’auteur se trouveront déjà récompensés de
leurs efforts. Et si des pratiquants enthousiastes pouvaient attester de
l’acquisition des principales techniques proposées, je me ferai une joie
et un devoir de les recevoir pour un stage dans notre Dojo et je me
déplacerai gracieusement pour tout groupe m’assurant d’un intérêt
sincère.
Une porte s’ouvre. À vous de la franchir et de cheminer, pas à pas, sur
une Voie ancestrale menant des champs de bataille à une école de paix
et d’harmonie, sans souci de la performance. Il n’y a, en fin de compte,
rien à gagner. Perdre quelque peu ses inhibitions, les illusions qui
troublent notre perception juste des choses, un ego envahissant, voilà
de quoi nourrir une recherche à la fois physique et spirituelle jamais
achevée.
Pour bien débuter
Je crois sincèrement que si vous êtes capable d’appliquer les consignes
que je vous propose, votre progression sera rapide. Mais cela postule
d’avoir préalablement des qualités d’autodidacte, la capacité de
s’imposer une discipline stricte, ce qui n’est pas particulièrement dans
l’air du temps. Un stratagème pour y parvenir : partager cette
découverte avec votre conjoint, votre ado, un couple d’amis… qui
seront heureux de profiter de votre motivation. La collaboration d’au
moins un partenaire assidu est indispensable.
Je dois avouer avoir été un étudiant plutôt médiocre, rechignant à l’idée
de mémoriser une matière fastidieuse ; je me suis révélé meilleur élève
lorsque j’ai dû accompagner et stimuler mes propres étudiants…
Définissez, si possible, le jour et l’heure de votre entraînement en vous
efforçant de ne jamais vous y soustraire, même si la fatigue de la journée
vous pèse ou qu’une autre activité vous sollicite.
Imposez-vous également un mode de fonctionnement auquel vous ne
dérogerez pas. Par exemple : lire posément, à haute voix, un paragraphe.
Si celui-ci vous propose un exercice précis, regardez la séquence vidéo
éventuellement plusieurs fois, puis reproduisez la technique avec votre
partenaire autant que nécessaire avant de vous autoriser à découvrir le
mouvement suivant…
Revenez régulièrement en arrière : le but ne se trouve pas en fin
d’ouvrage mais dans la façon de s’en approprier le contenu.
L’avantage d’une méthode très structurée est de permettre une
progression rapide, comme si vous bénéficiez de cours particuliers.
Une remarque s’impose cependant : comprendre intellectuellement les
techniques de base, les exécuter correctement avec un partenaire
familier n’est qu’une étape. Avoir la réponse juste face à une situation
inédite nécessite un entraînement de plusieurs années… et cette
dernière affirmation n’est même pas assortie de la moindre garantie.
Aucun expert, quels que soient son niveau et son expérience, ne peut
être assuré d’une quelconque invincibilité. L’important est de cheminer
sans se préoccuper d’un aboutissement. L’illumination zen, c’est peut-
être cette acceptation d’un effort permanent qui est seulement payé du
plaisir de l’effort, de l’indifférence au résultat…
Ne négligez pas de lire attentivement ce qui accompagne chaque
séquence : ce qui est écrit est souvent plus complet que les
explications enregistrées en filmant.
Signalons, enfin, que les vidéos proposées n’ont pas été filmées dans le
but d’impressionner, de « faire du spectacle » : les pratiquants varieront
et auront parfois, comme vous-mêmes peut-être, peu d’expérience.
Lorsqu’un moniteur inscrit un jeune sportif dans un club, il se demande
si celui-ci est « à sa place », s’il est doué. Une « Voie » est à l’image de
la vie : chacun est invité à s’épanouir en fonction de ses possibilités,
pour sa propre satisfaction et pour participer à l’harmonisation de son
entourage.
Les principes à mettre en œuvre
Le but premier de la progression proposée est d’établir une relation
directe entre un principe propre à la Voie martiale et un exercice
concret, une exigence pratique particulière.
Liste des principes illustrés (à lire ou à découvrir au fur et à mesure des
chapitres) :
Séquence 1
« La voie martiale doit conduire à mieux se connaître soi-même et à
s’ouvrir à autrui. »
« Le corps entier participe à l’action. »
« Qui peut le plus peut le moins ! »
« Pratiquer lentement pour progresser vite ! »
« Par principe, nous considérerons toujours que le partenaire est plus
puissant que soi et, aussi, qu’il convient de se déplacer comme si nous
étions également menacés par derrière. »
Séquence 2
« Une attaque réelle traverse le point visé et ne se bloque pas à
l’instant de l’impact. »
« Le principe le plus original propre aux arts martiaux extrême-
orientaux : l’art d’utiliser l’énergie du partenaire. Il conviendra
toujours d’unir vos forces pour exécuter un mouvement correct. »
Séquence 3
« Communiquer de l’énergie au partenaire en sachant que celle-ci va
se retourner contre soi, c’est agir contre notre nature première. Il vous
faut transcender votre réflexe d’autoprotection pour installer un climat
de confiance et accepter de subir le mouvement de votre partenaire. »
« Notre ambition n’est pas de dominer quiconque mais de nous ouvrir
à autrui sans nous soumettre à une quelconque domination. »
« Il est plus facile d’évoluer vers des techniques fulgurantes en
exécutant des mouvements lents et décontractés. Débuter par une
pratique sportive aux frappes dures et syncopées hypothèque la
découverte de l’essentiel. »
Séquence 4
« Comme dans la vie conjugale : si l’un gagne, tous deux perdent ! »
Séquence 5
« Bien comprendre la différence entre un geste agressif, visant à « faire
mal », et un don d’énergie destiné à un partenaire apte à y faire face ! »
« Le but est de devenir maître de soi. Le Maître authentique ne maîtrise
pas les autres ; il éveille le Maître en l’autre ! »
Séquence 6
« Lorsque frappes, esquives et projections fusionneront, lorsque les
rôles s’échangeront spontanément, il n’y aura plus d’attaquant et de
défenseur, de gagnant ou de perdant. »
« Il est essentiel de chercher à anticiper l’attaque. Reculer en se
protégeant est illusoire si l’assaut est sincère et que le partenaire
enchaîne ses frappes ; davantage encore si une autre attaquant nous
menace par derrière ! »
« L’art est un miroir, il révèle nos velléités et nos craintes plus ou moins
conscientes. »
« Ne jamais faire face à l’attaque, mais toujours faire face à
l’attaquant ! »
Séquence 7
« Notre volonté est d’acquérir une technique rigoureuse, d’éliminer
tout geste et déplacement inutiles. »
« L’assaut commence à l’instant où nous percevons le regard de notre
partenaire ; il s’achèvera seulement quand les pratiquants se
stabiliseront en vue d’un salut final. »
Séquence 8
« Il nous faut maîtriser nos réactions, transcender nos réflexes pour
exécuter le bon geste de façon posée et mesurée. »
« Le pratiquant d’art martial considère que la vie est son champ de
bataille : chaque geste se doit d’être « juste ». Dans un véritable
combat, tout est dit dès l’ébauche du moindre mouvement.
« Un coup, une vie ! » disaient les Maîtres du sabre. »
« Qu’il s’agisse d’attaquer ou de se défendre, notre esprit doit être
« égal » : notre ambition est d’éliminer toute idée d’agressivité comme
toute crainte face à l’agression. »
« Attaque, défense, contre-attaque : un même mouvement ! »
« Il est hors de question de miser sur une erreur de l’autre pour
l’emporter. Nous avons besoin de partenaires qui travaillent
correctement pour progresser sur la Voie. »
Séquence 9
« Lors d’un combat sportif, chaque protagoniste cherche à surprendre
l’autre pour le vaincre. Les pratiquants d’une voie martiale, lorsqu’ils
arrivent à se ressentir parfaitement, agissent sans frein avec une
véritable jubilation. »
« Comme en amour, vous ne pouvez réussir seul ! Cherchez chacun à
parcourir les deux-tiers du chemin. »
« Notre ambition est d’éliminer toute idée d’agressivité comme toute
crainte face à l’agression. »
Séquence 10
« Il vaut cent fois mieux exécuter lentement le geste juste que de tomber
dans un pugilat informe ! »
« Conserver la distance en adaptant spontanément ses mouvements de
défense aux mouvements d’attaques du partenaire, c’est véritablement
« ne faire plus qu’un avec lui ». Comment pourrait-il, dès lors, vous
toucher ? »
Séquence 11
« Refuser l’esprit de compétition afin de progresser conjointement, cela
implique aussi, lorsque vous jouez le rôle de l’attaquant, d’encourager
votre partenaire à réaliser franchement sa défense. »
« Développer sa présence d’esprit, sa capacité d’esquiver et de se
donner sans réserve dans une action subite constituent la meilleure
école pour apprendre à se protéger d’une agression… ou d’un réflexe
malheureux ! »
Séquence 12
« Une fois l’harmonie acquise, il conviendra d’évoluer vers plus de
pugnacité sans jamais sacrifier l’état d’esprit que nous voulons
développer. »
Séquence 14
« Lors d’un combat sportif, chaque protagoniste cherche à surprendre
l’autre pour le vaincre. Les pratiquants d’une voie martiale, lorsqu’ils
arrivent à se ressentir parfaitement, agissent sans frein avec une
véritable jubilation. »
« Dans un véritable combat, tout se joue avant l’assaut. À peine la
première action se déclenche-t-elle que tout est déjà dit ! »
Séquence 15
« Trop tôt, ce n’est pas grave. Mais un petit peu trop tard et c’est déjà
trop tard ! »
Séquence 16
« La fulgurance d’une technique ne résulte pas de l’enchaînement
rapide de multiples mouvements, mais de la réalisation d’un geste
juste… juste au bon moment ! »
Séquence 1
« Se couper la tête » à droite, à gauche
Je vous proposerai quelques mouvements d’échauffement au début de
la séquence 2. Mais si vous êtes quelque peu impatient – preuve
d’enthousiasme ou du moins de curiosité – nous pouvons entrer
directement en matière.
Cette première séquence sera un peu plus longue car il nous faudra
préciser attitudes de base et disposition de l’esprit.
Reprenons un des exercices qui ont illustré notre introduction : se
couper réciproquement la tête. Vous verrez que cette première approche
est déjà riche d’enseignements.
Saluez posément votre partenaire. Ce simple geste contribue à créer une
relation basée sur le respect mutuel et la confiance. Ne l’exécutez pas
mécaniquement avec la rigidité d’un militaire, mais avec la même
cordialité qu’une bonne poignée de mains.
Debout, face à face, à un mètre de distance, épaules décontractées,
paumes ouvertes et doigts écartés, frappez tous les deux
alternativement, dans le vide, du tranchant de la main droite puis
gauche, comme pour couper la tête de votre vis-à-vis.
Très vite, vous serez tentés de prendre un rythme ; efforcez-vous alors
de ménager une pause attentive avant l’action suivante. À chacun de
constater s’il attend son partenaire – attitude trop passive – ou s’il tente
chaque fois de prendre l’initiative – attitude trop impulsive.
La voie martiale doit conduire à mieux se connaître soi-même et à
s’ouvrir à autrui.
Si vous regardez notre séquence vidéo, ne soyez pas spectateur passif.
Prenez le temps de mettre sur pause et de reproduire l’exercice, aussi
modeste soit-il, cinq minutes ; relisez les consignes, visionnez à
nouveau la séquence et reprenez encore quelques fois le mouvement.
Votre propre progression est à ce prix !
Écartez-vous ensuite de quelques mètres : vous allez réaliser ce
mouvement offensif l’un vers l’autre, sans vous toucher, en lançant tous
deux la même main avec un grand pas du pied correspondant, en
fléchissant le genou avant sans vous figer dans votre attitude.
Revenez lentement en arrière et concentrez-vous avant de propulser
l’autre main…
Un principe fondamental doit se dégager de cet exercice :
Le corps entier participe à l’action.
Le bras propulse la main, la hanche enfonce le bras, et le pied arrière
exerce une vigoureuse poussée.
Dans beaucoup d’écoles, le pied arrière doit rester à plat et la stabilité
est privilégiée au détriment du dynamisme de l’action. Restez, au
contraire, disponibles, le buste légèrement en avant, prêts à enchaîner
le mouvement suivant.
Exagérez, lorsque vous pratiquez au ralenti, le déséquilibre qui serait
engendré par un mouvement fulgurant sans, pour autant, basculer des
épaules vers l’avant.
Ne frappez pas avec le bras raide : l’extension est explosive, la main
doit aboutir avant le pied et « tirer » tout le corps vers le partenaire.
Ne vous stabilisez pas en frappant le sol du pied après un seul pas, mais
conservez votre attitude en prolongeant votre action d’un ou deux pas
glissés.
Il s’agit, ainsi, d’apprendre à se pressentir mutuellement, à fusionner
l’un avec l’autre de façon à bannir tout réflexe pour agir en parfaite
simultanéité. Cette recherche devra imprégner toute technique et la
réussite commune ne sanctionnera pas toujours vos efforts ! Mais
enchaînons…
Après vous être salués, toujours debout et posément, l’un prend
l’initiative d’avancer le pied gauche. L’autre, en parfait synchronisme
si possible, a reculé le pied droit. Chacun porte le poids du corps sur la
jambe avant, genou fléchi à la verticale des orteils, talon arrière décollé
dans l’esprit d’un départ de course. Les épaules demeurent
décontractées et les bras, fléchis, sont en garde naturelle.
L’attitude ne doit jamais être bloquée et, insensiblement, celui qui s’est
porté en avant, « grignote » la distance vers son partenaire tandis que
celui-ci la maintient en reculant sans à-coups. Les déplacements sont
infimes et n’affectent pas la position aussi « fendue » que possible.
Celui qui a pris l’initiative d’avancer va « trancher la tête » de la main
droite, en propulsant le pied droit, tandis que son partenaire recule
amplement le gauche pour conserver une distance de sécurité.
Concentration et nouveau glissement des pieds... puis le déplacement
conjoint est reproduit de l’autre côté, sur frappe de la main gauche donc.
Les rôles vont ensuite s’inverser.
L’idée de celui qui tranche en avançant est de frapper au-delà du point
visé, de « traverser la cible »… mais seulement dans la mesure où il
perçoit que son partenaire est attentif et prêt à effectuer son grand pas
en arrière ! Celui-ci ne doit pas réagir au mouvement offensif ; il peut
même le provoquer. Son recul n’est pas une fuite : tout en se mettant
hors de portée, il invite l’attaquant à se donner entièrement dans
l’assaut. Notre apprentissage est basé sur la confiance, en soi et envers
son partenaire. Idéalement, ni l’un ni l’autre ne devrait, en fait, avoir le
sentiment de prendre l’initiative : la tension croît tandis que les genoux
avant se fléchissent au maximum pour propulser simultanément l’un
vers l’avant et l’autre vers l’arrière.
Chacun est invité à pratiquer en fonction de son âge et de ses
possibilités, mais soyez exigeant vis-à-vis de vous-mêmes :
Qui peut le plus peut le moins !
La communication subtile que nous chercherons à développer tout au
long de notre apprentissage peut, ici, être concrétisée simplement :
l’exercice « deux grands pas en avant puis deux en arrière » est
reproduit sans frappe, mais les deux mains en vis-à-vis – droite pour
l’un, gauche pour l’autre – tiennent un bâton : les bras sont décontractés
et chaque mouvement est ainsi directement perçu par le partenaire, le
but n’étant pas, bien évidemment, de toucher celui qui recule avec le
bâton.
Bouger simultanément en maintenant une attitude correcte n’est pas
aisé. Vous en prendrez conscience si, au lieu de tenir le bâton, vous
communiquez par son intermédiaire « de ventre à ventre » : l’extrémité
est placée au niveau de la ceinture et les deux pratiquants exercent une
légère poussée à partir du centre de gravité de leur corps. Conserver le
bâton en équilibre lors de grands déplacements requiert de
l’entraînement… !
Ne croisez pas les pieds ! Lorsque nous marchons, nous évoluons sur
deux rails écartés plus ou moins de la largeur de nos hanches. Tout
débutant qui se fend largement, en portant le poids de son corps sur la
jambe avant, a tendance à positionner son bassin de profil, pieds alignés
voire croisés. Veillez à conserver le bassin face à votre partenaire, vos
pieds et les siens évoluant quasi sur les deux mêmes axes parallèles, ce
qui vous permettra de poursuivre naturellement votre déplacement sans
osciller d’un côté à l’autre et facilitera, par la suite, l’exécution du grand
coup de pied de face, d’autant que vous conserverez le pied arrière
tourné vers l’avant, en poussée sur la pointe fléchie.
Pour améliorer votre attitude et vous imbriquer correctement face à
votre partenaire, chacun peut, lors d’un exercice préalable, peser sur les
épaules de l’autre, sans chercher à le bousculer : quelques allers-retours
sont ainsi effectués, bustes droits, en conservant son centre de gravité à
hauteur constante.
Notons que la position de base que je préconise est critiquée par
certaines écoles qui préfèrent adopter une position moins fendue et
répartir le poids du corps sur les deux pieds. Le compétiteur sautille
souvent d’un pied sur l’autre et objectera qu’il pourrait « balayer » notre
pied avant. Non seulement cette technique assez brutale ne correspond
pas à notre démarche basée sur la complémentarité entre mouvement
d’attaque et technique de défense, mais si nous sommes effectivement
positionnés dans l’esprit de nous propulser instantanément vers l’avant
ou vers l’arrière, nous serons forcément plus rapide qu’un adversaire
lançant son pied arrière en un large cercle pour tenter de crocheter notre
pied avant ! Quoi qu’il en soit, notre objectif n’est pas de gagner lors
d’un combat réglementé, mais de développer concentration,
disponibilité et harmonie avec autrui.
Dégagement du poignet
Alternons étude technique et pratique dynamique. Voyons d’abord sur
soi-même comment échapper à une simple saisie du poignet.
Une main, paume vers le haut, enserre le poignet de l’autre ; celle-ci
pivote, doigts tendus, pouce dans le prolongement du pouce
« agresseur » de façon à ne pas retirer la main mais à la pousser hors de
l’étreinte. Le mouvement est reproduit quelques fois, d’un côté puis de
l’autre.
Rapprochez-vous maintenant de votre partenaire, pied droit en avant.
La main droite de l’un saisit le poignet droit de l’autre. L’attaquant
menace du poing arrière pour encourager son partenaire à esquiver vers
son dos.
Pour sortir de la saisie, il faut « entrer » avec un léger déplacement du
pied avant et amener le coude dans le creux de la hanche afin que tout
le corps participe à nouveau au mouvement d’échappement. Les deux
paumes, vers le haut, s’écartent : les deux pratiquants ont pivoté en
changeant de pied et le partenaire vient prendre de sa main gauche le
poignet gauche.
Pratiquer lentement pour progresser vite !
Enchaînez ces déplacements très progressivement, sans heurts, dans
l’idée d’aller l’un vers l’autre harmonieusement. Un réflexe de défense
nous paralyse souvent dans une attitude de retrait. Le boxeur débutant
se replie sur lui-même alors que l’art martial nous invite à nous
ouvrir à l’intention de l’autre. Veillez donc à conserver une attitude
noble, le corps droit et les épaules décontractées.
Prenez le temps de vous interrompre, d’analyser chaque conseil…
c’est souvent ce que l’on croit avoir compris qui limite une
compréhension plus profonde !
Entrer dans le cercle
Terminons cette première approche avec un exercice plus ludique que
je considère primordial : entrer dans le cercle de l’attaque.
Vous allez, à vitesse progressive bien sûr, sabrer votre partenaire en
effectuant quelques pas qui vous amèneront au-delà de sa position de
départ.
Vous tranchez avec votre main arrière s’abattant loin devant – pourquoi
pas avec le sabre laser de votre enfant ? – en un large cercle.
Votre partenaire ne doit pas reculer ni se protéger d’un bras qui
s’exposerait à la coupe, mais se déplacer en allant à votre rencontre, de
telle sorte qu’il puisse vous effleurer d’une main en vous croisant tandis
que le « sabre » s’abat derrière lui.
Mettez votre partenaire en confiance en l’invitant à vous toucher dès
que vous levez le(s) bras et frappez derrière lui sans le quitter des yeux.
Exagérez le cercle de votre attaque et votre déplacement pour être aussi
lisible, prévisible que possible. Pivotez ensuite l’un vers l’autre.
Le débutant est tenté soit de se baisser en passant sous l’attaque
(montrez-lui alors doucement qu’il met sa tête sur le billot !), soit de
fuir en vous tournant le dos (stratégie « de l’autruche » qui croit
supprimer le danger en refusant de le voir), soit encore de tourner autour
de vous (en pivotant au centre du cercle vous le rattraperiez).
Encouragez-le à venir « dans l’œil du cyclone » : plus il sera proche de
l’attaquant lorsque la frappe s’abattra, moins il sera exposé ! Reprenez
ensuite votre distance. Après quelques passes au ralenti, les frappes
vont s’enchaîner… avec prudence !
Vous avez déjà intégré une des principales caractéristiques de notre
pratique : il ne s’agit pas de demeurer face l’un à l’autre en sautillant,
de feinter, de se surexciter, de bloquer ses frappes au moment de
l’impact ou de se heurter plus ou moins violemment.
Chaque technique devra vous porter l’un au-delà de l’autre dans
l’idée de vous traverser littéralement. Simultanément, vous
apprendrez à esquiver et à pivoter.
Par principe, nous considérerons toujours que le partenaire est plus
puissant que soi (il vaut mieux esquiver une voiture que de tenter de la
stopper du bras !) et, aussi, qu’il convient de se déplacer comme si
nous étions également menacés par derrière.
De cette façon, vous serez assez vite en mesure d’envisager l’assaut
avec deux ou davantage de partenaires vous encerclant.
Mais ne brûlons pas les étapes : avoir compris ce qui précède ne suffit
aucunement. Répétez régulièrement ces premiers exercices sans vous
crisper, en restant aussi naturel que possible, épaules et visage détendus.
Vous êtes volontaire et persévérant ? Peut-être avez-vous également
l’âme d’un pédagogue. Pourquoi ne pas réunir d’autres personnes et
alterner les partenaires ? Mon premier Maître, Georges Schiffelers, fut
le promoteur des arts martiaux en Wallonie. Professeur de judo, il se
rendit à Paris pour prendre des cours particuliers de karaté auprès de
Maître Murakami et ouvrit immédiatement une section dans son propre
dojo. Il transmit ainsi ce qu’il recevait au fur et à mesure de sa
progression.
Notez d’ailleurs que, à partir de la séquence 12, nous envisagerons aussi
la pratique avec deux partenaires attaquant simultanément et, enfin,
avec plusieurs nous encerclant. Ce sera l’occasion de partager
davantage…
Séquence 2
L’échauffement
Tout échauffement préalable à votre séance d’entraînement ne peut
qu’être bénéfique. Mais si nous ambitionnons de développer
essentiellement un état d’esprit, il n’est pas nécessaire de multiplier les
flexions de bras et de faire le grand écart facial ! Par contre, reproduire
systématiquement les exercices qui auront précédé avant de poursuivre
sera tout indiqué. Une heure ou deux d’entraînement hebdomadaire
doivent vous permettre de progresser rapidement, mais c’est un
minimum. Soyez assidu !
Je vous propose donc, sur notre séquence vidéo, quelques mouvements
classiques pour améliorer votre condition physique et assouplir vos
articulations. Cette étape n’est pas indispensable. Peut-être pratiquez-
vous régulièrement l’une ou l’autre activité sportive… Pas de problème
donc si vous voulez poursuivre sans tarder à condition de commencer
posément, en toute décontraction.
« Se couper la tête » en se croisant
Après avoir reproduit quelques fois les exercices de la séquence 1,
rapprochez-vous de votre partenaire à distance de combat. Avancez
simultanément, calmement, le pied gauche et portez le poids du corps
sur cette jambe, genou fléchi à la verticale des orteils. Vous allez
maintenant vous « traverser » réciproquement. Décalez-vous de façon
à ce que la frappe conjointe vous porte au-delà l’un de l’autre en
effectuant un grand pas, éventuellement prolongé d’un pas glissé.
Une attaque réelle traverse le point visé et ne se bloque pas à
l’instant de l’impact.
Les bustes se sont croisés, face à face, et s’imbriquent ; les têtes ont
tourné de façon à ne pas quitter le partenaire du regard.
Pivotez sur le pied avant – mais pas trop vite, « achevez » chaque
mouvement le plus loin possible de façon à reprendre votre distance –
et disposez-vous à lancer l’autre main.
Les attaques vont se multiplier avec de plus en plus d’amplitude ;
veillez à conserver tous deux mêmes pied et main en avant…
Le mécanisme est vite acquis ; l’essentiel est à travailler ! Trop souvent,
les katas de karaté sont répétés machinalement : il n’y a pas de
partenaires sur lesquels se concentrer. Ici, comme précédemment, ne
prenez pas un rythme : parfois, chacun guette l’autre et se rapproche
imperceptiblement du moment où son attaque va jaillir ; parfois, deux
frappes s’enchaînent sans temps mort ; si l’un recule, l’autre le suit…
et quand l’un frappe, l’autre aussi a frappé !
Notons sans tarder que ce premier exercice risque de générer un défaut :
comme il s’agit de se croiser sans se heurter, il n’est pas possible de
frapper franchement, bassin de face, droit devant soi. Tout
naturellement, nous trichons quelque peu et esquivons le partenaire tout
en frappant. Ce défaut sera corrigé lorsque l’un sera invité à attaquer
plus sincèrement et que le défenseur esquivera en effectuant une
défense. En attendant, veillez à ne pas « valser » en tournant l’un autour
de l’autre : décalez-vous légèrement de façon à frapper sur un axe
parallèle à celui de votre partenaire, frôlez-vous et ne pivotez que
lorsque vous l’aurez dépassé…
J’en conviens d’emblée, semblable pratique, répétée longuement, est
exigeante ; l’effort doit être autant mental que physique.
La Spirale
Aujourd’hui, nous allons entamer l’étude d’une première amenée au
sol : la Spirale. Cette technique est réellement efficace sur les frappes
dynamiques. Elle ne nécessite pas que le partenaire maîtrise l’art de
chuter comme un judoka ou un aïkidoka.
Visualisez d’abord sans complexe son exécution dans diverses
situations : rappelez-vous qu’il sera possible de vous limiter à une
pratique lente. Je vous propose ensuite quelques étapes pour aborder
graduellement ce mouvement.
Premier exercice : debout, pieds légèrement écartés, portez tout le poids
de votre corps sur votre pied gauche et effectuez un grand cercle de plus
de 180 degrés avec le pied droit, dans le sens des aiguilles d’une montre,
en conservant le buste droit. C’est, ensuite, le pied droit qui devient la
pointe du compas et le cercle s’effectue dans l’autre sens. Ne vous
crispez pas sur les orteils du pied d’appui de façon à ménager le genou
qui supporte la rotation.
Étape suivante : tout en pivotant, fléchissez progressivement les
genoux ; après un cercle presque complet, déposez au sol le genou
arrière – celui correspondant à la pointe du compas – en ouvrant
largement le bassin, en écartant donc l’autre genou. Le buste est resté
droit et chaque main accompagne naturellement le genou
correspondant.
Troisième étape : vous êtes face à votre partenaire, tous deux « pied
gauche en avant ». L’un étend son bras droit latéralement ; l’autre
exerce de ses deux mains une poussée légère mais continue sur ce bras.
Celui-ci, étant en porte-à-faux, est incapable de renverser le partenaire
qui domine en le contrant. Mais en pivotant comme ci-dessus, dans le
sens des aiguilles d’une montre, le défenseur va accepter la poussée,
saisir de sa main droite le poignet gauche de l’assaillant et peser de la
gauche sur l’épaule pour amener le partenaire, en un mouvement
spiralé, au sol, sur le dos.
Vous avez appliqué ainsi le principe le plus original propre aux arts
martiaux extrême-orientaux : l’art d’utiliser l’énergie du
partenaire. Il conviendra toujours d’unir vos forces pour exécuter
un mouvement correct.
Attention :
- Exécutez le mouvement lentement pour que celui qui pousse poursuive
son action en effectuant quelques pas et puisse également prendre le
temps de déposer au sol son propre genou avant de pivoter sur le dos.
- Le défenseur se redresse tandis que l’attaquant arrive au sol ; il ne
déplace pas la « pointe de son compas » mais avance le genou dans le
creux de l’aisselle du partenaire (tous les débutants reculent le pied pour
s’agenouiller ou déposent le genou opposé !)
- L’attaquant peut se retenir à l’épaule du défenseur ; rappelez-vous qu’il
s’agit de collaborer pour progresser conjointement, en aucun cas de
lutter l’un contre l’autre.
- Effectuez la Spirale sur l’autre bras, en tournant dans l’autre sens.
Enfin, reproduisez l’exercice « se couper réciproquement la tête ».
Mais, au lieu de frapper lui aussi, l’un des deux partenaires joue le rôle
de défenseur et absorbe de ses deux mains le bras de l’autre. Il a glissé
le pied avant de façon à « prendre le centre » de l’action et se retrouve
le tronc complétement tordu ; il effectue alors un changement de pied
et pivote comme ci-dessus pour amener l’attaquant au sol, aisselle de
celui-ci contre son propre genou.
Après quelques frappes portant les partenaires l’un au-delà de l’autre,
la Spirale sera réalisée sans que cela n’engendre de crispation.
Ceci est une autre spécificité de notre méthode :
Si une projection est exécutée après quelques esquives, nous
améliorerons notre capacité de « faire le vide » et le mouvement
interviendra plus spontanément
… sans que le partenaire ne s’y prête avec trop de complaisance ou ne
soit tenté de le contrer.
J’insiste : il est préférable de pratiquer d’abord très calmement,
sans à-coups, ni temps d’arrêt. La vitesse d’exécution viendra très
graduellement. Un moteur doit être bien équilibré et capable de tourner
au ralenti pour monter à très haut régime ! Il est primordial d’évacuer
toute crispation et, donc, d’avoir l’intelligence de dire « Plus
lentement, s’il te plaît !» si nécessaire.
Devenir l’ombre de l’autre…
Je vous propose un exercice très simple pour clôturer cette séquence et
développer la capacité de fusionner avec votre partenaire, quels que
soient ses déplacements.
Le premier saisit fermement les poignets de l’autre tout en conservant
épaules et bras très décontractés. Il doit suivre, et même amplifier, les
déplacements de son partenaire comme s’il était son ombre, en
s’efforçant de les anticiper. Celui qui insuffle le mouvement ne devrait
donc pas avoir la sensation de tirer ou de pousser ; il ne ressent pas de
résistance. Tous deux doivent évoluer harmonieusement, comme de
parfaits danseurs, bien qu’il n’y ait ni rythme, ni musique.
Celui qui « guide » doit d’abord se limiter à d’infimes déplacements :
bouger un bras, fléchir un rien les jambes, repousser, peut-être pivoter
avec plus de vélocité… à condition de ne pas larguer son partenaire ! À
lui de ressentir également quelles variations il peut imposer sans que
l’harmonie ne soit perdue.
Après quelques minutes, les rôles s’inversent…
Séquence 3
L’attitude de base
Je vous suggère de vous imposer systématiquement, en début de séance,
dix minutes d’échauffement, mais ce n’est pas une obligation.
Deux exercices pour comprendre et travailler votre position de base :
- Marchez naturellement, bras tendus vers l’avant, paumes face à face ;
ceci vous aidera à conserver épaules et bassin de face. Effectuez des
pas de plus en plus grands, sans « monter et descendre », en
maintenant la tête au même niveau.
- Prenez des départs de sprinter ; imaginez vos pieds dans les « starting
blocks » et déboulez sur quelques mètres.
Reprenez quelques fois l’exercice « se couper réciproquement la tête »
avant de reproduire la Spirale. Mais, surtout, prenez le temps de vous
corriger, point par point :
- position largement fendue vers l’avant
- buste droit sans rigidité
- les pieds ne sont pas alignés mais écartés de la largeur des hanches
- le genou avant reste largement fléchi, à la verticale des orteils
- le talon arrière est soulevé, le pied en poussée
- ne pas reculer, ni croiser les pieds ou porter le poids du corps sur la
jambe arrière en fin de pivot
- amener le partenaire au sol sous soi en déposant le genou dans le creux
de l’aisselle…
Si vous avez été capable de ne pas sauter cette étape et d’analyser
chaque point proposé, je vous félicite ! C’est d’excellent augure
pour la suite.
Retour sur la Spirale
Si vous disposez d’une surface pas trop dure (tapis épais, tatami) ou de
genouillères, et si vos genoux le supportent, il est intéressant de
découvrir la Spirale au départ de l’attitude « genoux au sol ». Sur une
même attaque, vous pourrez pivoter dans un sens ou l’autre et amener
ainsi votre partenaire soit sur le dos, soit sur le ventre.
Après vous être salués, fléchissez les genoux et déposez-les au sol, bien
écartés, pointes des pieds qui se touchent. Dès le salut, soyez concentrés
et agissez en parfait synchronisme.
En avançant un pied entre vos deux genoux, le partenaire étend le bras
correspondant et est en mesure de vous bousculer sur le dos. Il devra
déposer au sol le genou avant afin de porter son attaque le plus loin
possible.
Commencez lentement. Dès que l’attaque du poing s’ébauche,
fléchissez tous deux les orteils. Le défenseur « ouvre la porte » en
pivotant vers l’arrière, tout le poids du corps sur le genou qui devient la
pointe du compas. Il se protège de ses deux mains et absorbe la frappe
en un mouvement spiralé qui amène l’attaquant sur le dos ou sur le
ventre. Dans ce dernier cas, la clé d’épaule, effectuée en douceur,
immobilisera le partenaire qui aura tourné la tête de l’autre côté.
Deux remarques :
- Le défenseur ne doit pas hésiter à prendre l’initiative pour « appeler »
la frappe en pivotant : l’attaquant « entrera » plus franchement.
- Celui-ci doit se propulser (progressivement) au-delà de son partenaire
et déposer au sol le genou avant plus loin que le genou « pointe du
compas » du défenseur.
Par la suite, l’attaquant ne sachant de quel côté son partenaire pivotera,
la technique gagnera en vitesse et en réalisme.
Torsion du poignet
Découvrez d’abord cette technique en l’effectuant sur vous-mêmes :
votre main gauche saisit la droite, paume vers le dos de la main, pouce
à la base du petit doigt, les autres doigts positionnés à l’intérieur de la
paume. En descendant les mains, la gauche force la flexion du poignet
droit, les doigts s’enroulant vers le pli du coude. Relâchez les épaules
et reproduisez le mouvement huit ou dix fois.
Les mains s’inversent et c’est au tour du poignet gauche de subir la
torsion.
Réalisez doucement la technique sur votre partenaire, debout face à lui :
votre pouce gauche est à la base du petit doigt de sa main droite.
La vôtre enveloppe ses doigts en un mouvement spiralé qui l’oblige à
fléchir les genoux tout en conservant le buste droit. Proscrivez tout geste
brusque qui serait trop douloureux pour le partenaire
Les quatre poignets subissent ainsi la technique et s’échauffent.
Nous avons vu, dans notre première séquence, comment s’échapper
d’une saisie du poignet « du même côté », l’attaquant menaçant du
poing arrière pour encourager son partenaire à esquiver vers son dos.
Vous devez donc « entrer » avec un léger déplacement latéral du pied
arrière et amener votre coude dans le creux de la hanche pour que tout
le corps participe au pivot qui suivra.
Sur saisie du poignet droit par la main droite, alors que votre poignet
glisse entre ses doigts, amenez votre main gauche dans le creux de sa
paume, votre pouce à la base de son petit doigt.
Analysez posément votre déplacement respectif : votre partenaire se
dispose à avancer son pied arrière, le gauche, pour frapper lentement de
son poing gauche. Simultanément, vous devez effectuer un pas glissé
de votre pied droit derrière lui en fléchissant les doigts de sa main droite
vers son coude.
La complémentarité de vos déplacements accentue la torsion du
poignet, un mouvement spiralé qui replie les doigts vers le sol et oblige
l’attaquant à fléchir les jambes et à déposer le genou droit au sol. Un
nouveau pas glissé l’amènera en douceur dos au sol.
Répétez quelques fois, au ralenti, votre déplacement réciproque et
découvrez que plus l’ébauche d’une frappe gauche sera ample, plus la
torsion du poignet s’accentuera, l’énergie du partenaire se retournant
contre lui.
Évitez de réagir brutalement au détriment de son articulation ;
décontractez vos épaules et ne remontez pas les mains : le coude se
fléchit sans problème, or c’est la flexion du poignet qu’il faut accentuer
en descendant les mains sous le niveau de la ceinture pour déséquilibrer
l’attaquant.
Le débutant se crispe et pratique d’une façon saccadée. Nous sommes
naturellement tentés, lorsque nous ressentons un « refus », une
opposition du partenaire, de forcer davantage. Arrêtez-vous, respirez,
laissez le temps à celui qui subit la technique d’accepter une légère
douleur afin de vous permettre d’améliorer votre placement.
Communiquer de l’énergie au partenaire en sachant que celle-ci va
se retourner contre soi, c’est agir contre notre nature première.
Il vous faut transcender votre réflexe d’autoprotection pour
installer un climat de confiance et accepter de subir le mouvement
de votre partenaire.
Non seulement un pratiquant agréable accepte d’être ainsi dominé, mais
il peut induire, encourager le contre-mouvement du défenseur pour
l’aider à le réaliser. Celui-ci n’abusera pas de sa complaisance, il lui en
saura gré.
Une fois l’harmonie du déplacement acquise, contentez-vous de libérer
votre poignet, comme vu dans la première séquence, pour pivoter et
changer quelques fois de côté avant d’exécuter la torsion et l’amenée
au sol. La technique va ainsi gagner en spontanéité. Le défenseur ne
doit toutefois pas chercher à surprendre brutalement l’attaquant : celui-
ci se raidirait et l’harmonie indispensable serait perdue !
Notons encore qu’une nouvelle torsion dans l’autre sens, forçant le
coude du partenaire vers son oreille, peut obliger celui-ci à se retourner
face au sol où il sera immobilisé par la clé d’épaule.
Je ne vous invite pas à vous focaliser sur ces « immobilisations » qui
figent aussi bien l’un que l’autre, ni sur ces clés subies par un partenaire
qui n’est plus en situation de communiquer son énergie et donc de
participer au mouvement. Certains instructeurs abusent de ces
techniques et font preuve d’un réel sadisme vis-à-vis d’assistants qui se
prêtent avec résignation à la volonté du « Maître » d’afficher sa
supériorité !
Notre ambition, faut-il le rappeler, n’est pas de dominer quiconque
mais de nous ouvrir à autrui sans nous soumettre à une quelconque
domination.
Dégagement sur double saisie
Votre partenaire vous maintient fermement un poignet, disons le
gauche, de ses deux mains. À forces sensiblement égales, il ne vous sera
pas aisé de dégager votre bras en le retirant. Cependant si vous
fléchissez les jambes de façon à amener votre coude sous la double
saisie, dans le creux de votre hanche, vous serez alors en mesure
d’utiliser vos quadriceps, vos muscles les plus puissants, pour pousser
votre bras verticalement et le libérer.
Deux bras sont plus forts qu’un seul, mais plus faibles
que deux jambes !
Ne forcez pas exagérément ni l’un ni l’autre : le but n’est pas de voir
qui va « l’emporter », seulement d’apprendre à mieux utiliser vos
jambes en « centrant » votre bras.
Comme lors de la saisie par une seule main, vous serez alors en mesure,
tout en vous libérant, de pivoter en changeant de pied. Le partenaire
pivotera également pour venir saisir de ses deux mains – ou seulement
de la droite – votre poignet droit.
N’oubliez pas, si vous voulez progresser vers une pratique dynamique,
qu’il est plus important de bouger avec fluidité, sans vous stabiliser à
tout moment, que de pratiquer « en force », défaut que génère souvent
le souci de bien faire !
Il est plus facile d’évoluer vers des techniques fulgurantes en
exécutant des mouvements lents et décontractés. Débuter par une
pratique sportive aux frappes dures et syncopées hypothèque la
découverte de l’essentiel.
Nous pouvons appliquer cette technique sur une attaque avec arme tout
en restant, bien évidemment, conscient qu’il y a un monde de différence
entre l’étude calme avec un partenaire conciliant et la réalité d’une
attaque brutale qui nous prendrait au dépourvu !
L’attaquant tranche de haut en bas avec un bâton qu’il tient de ses deux
mains. La main avant du défenseur entre et exerce une poussée
verticale, comme ci-dessus, tandis que sa main arrière utilise le bâton
comme un puissant levier. Le partenaire sera obligé de lâcher celui-ci
d’autant qu’il sera bousculé par le pivot effectué par le défenseur sur
son pied avant.
Soyez particulièrement prudent si l’attaque est portée par un sabre, un
katana… non aiguisé ! La main arrière du défenseur ne se referme pas
sur la lame : la paume pèse sur le plat de celle-ci et dévie la frappe…
Ne cherchez pas la performance en pratiquant exagérément vite : un
simple katana de décoration tombant sur votre pied pourrait le blesser.
Enfin, soyez rigoureux et exigeant vis-à-vis de vous-mêmes. Obligez-
vous à reproduire systématiquement, dix ou vingt fois, chaque
technique, reprenez régulièrement les exercices précédents, relisez les
consignes et soyez critique quant à votre attitude !
Séquence 4
Droite-droite-Gauche-gauche
Nous avons un côté droit et un côté gauche. Nous pouvons frapper « de
l’extérieur » (crochet de boxe ; gifle ; « couper la tête ») ou du revers,
« de l’intérieur » (comme pour dégainer un sabre), soit deux attaques
avec la main droite et deux avec la main gauche.
Systématisons ces quatre possibilités :
Première étape : restez debout et liez souplement vos quatre frappes
fondamentales. Les poings peuvent être fermés ou vous tranchez du
sabre de la main, paume tournée vers le haut lorsque vous frappez « de
l’extérieur », vers le bas au retour.
L’enchaînement doit rester fluide – vous ne heurtez pas d’obstacle – et
la vitesse d’exécution vient naturellement.
Placez-vous ensuite face à votre partenaire et harmonisez vos
mouvements sans vous toucher comme lors du tout premier exercice de
la première séquence.
Reprenez maintenant votre attitude de base – celle du sprinter prêt à
s’élancer, mais buste redressé, pied gauche devant – pour reproduire
votre première frappe, à droite, en avançant largement le pied droit ;
pivoter ensuite sur celui-ci dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre (le pivot prolonge le mouvement du bras).
Votre seconde attaque, du revers droit, s’effectue donc avec la main
avant ; c’est, dès lors, le pied avant qu’il convient de propulser vers
l’avant. Votre second pivot, sur ce pied, cette fois dans le sens des
aiguilles d’une montre, vous amènera pied droit devant et vous serez en
mesure d’exécuter les deux attaques gauches…
Pas de stress si ceci vous semble compliqué : à deux, lentement, la
logique de l’enchaînement va vous apparaître. Votre grande attaque de
la main arrière, en avançant le pied arrière, va croiser celle de votre
partenaire, face à face. Après le pivot, la frappe de la main avant qui
suit, en propulsant le pied avant, doit vous amener dos à dos, vos genoux
avant « ouverts », tournés l’un vers l’autre.
Quelques recommandations :
- Oubliez, dans un premier temps, qu’il s’agit de frappes : imbriquez-
vous souplement en « collant » votre partenaire, genou avant en flexion
maximale, et en alternant « face à face » et « dos à dos ».
- Lorsque vous pivotez, conservez le poids du corps sur la jambe avant
de façon à repartir vers l’avant, lentement peut-être, mais sans osciller
d’arrière en avant. Ne posez donc pas le talon arrière au sol.
- Chaque mouvement doit traverser le point où se trouvait le partenaire
avant son propre déplacement ; ne pas se quitter des yeux aide à pivoter
correctement.
- Attention : comme dans l’exercice simple « se couper la tête », celui-ci
ne vous autorise pas à frapper réellement droit devant soi. Vous vous
éviterez naturellement tout en portant votre attaque au-delà du point
visé.
Ce défaut sera corrigé, ai-je déjà souligné, lorsque l’un sera invité à
frapper plus sincèrement et que le défenseur esquivera en effectuant une
défense… Mais chaque chose en son temps !
Inspirez-vous des consignes du premier exercice (Droite-Gauche) : « Ne
prenez pas un rythme : parfois, chacun guette l’autre et se rapproche
insensiblement du moment où son attaque va jaillir ; parfois, deux
frappes s’enchaînent sans temps mort ; parfois l’un recule, l’autre le
suit… et quand l’un frappe, l’autre aussi a frappé ! »
Et rappelez-vous qu’il vous faut bannir tout esprit de compétition : la
progression ne peut être que commune.
Comme dans la vie conjugale : si l’un gagne, tous deux perdent !
Amener au sol sur le ventre ou sur le dos
Après quelques frappes réciproques, un des deux partenaires va effectuer
la Spirale. Si celle-ci intervient sur une grande attaque de la main arrière,
le partenaire arrivera au sol sur le dos ; si la technique est réalisée alors
que l’attaquant frappe du revers de la main avant, la Spirale l’amènera
sur le ventre ainsi que vous l’avez découvert lors de la pratique à genoux.
Attention à ne pas luxer l’épaule : le mouvement est découvert
lentement ; l’attaquant dépose les genoux et accepte de se coucher à plat
ventre tout en tournant la tête dans la direction opposée au défenseur.
Dynamiser la Spirale
Notre Spirale ne se déroule pas seulement dans un plan horizontal : elle
doit amener le partenaire au sol. L’esprit de cette technique ne consiste
pas à tirer le partenaire pour l’amener à ses pieds, mais à l’aspirer dans
le vide en amplifiant son mouvement et en le centrant sous soi.
Si le défenseur, tout en pivotant, se propulse vers le haut, c’est tout le
poids de son corps qui va peser sur le bras de l’attaquant. Et si la frappe
est vive, ce bras est en porte-à-faux : le partenaire, aussi puissant soit-
il, ne pourra qu’accepter le déséquilibre.
Notons que cette étape n’est pas indispensable. Je rappelle que si vous
manquez de souplesse, si vous êtes plus âgé ou en excès de poids, il est
préférable de pratiquer à votre rythme et en fonction de vos possibilités
plutôt que de renoncer. Nous savons pertinemment que, à un moment
de notre vie, nous commencerons à régresser. Le champion est tenté
d’abandonner lorsqu’il est systématiquement dépassé ; le Maître est
heureux de former des élèves qui le dépasseront !
Deux exercices préliminaires :
- Posez, par derrière, vos deux mains sur les épaules du partenaire. Il
peut, si nécessaire, fléchir les jambes et se tenir au dos d’une chaise.
Sautez en appui tendu pour transférer tout votre poids sur ses épaules.
- Face à face, même pied en avant : propulsez-vous sur votre partenaire
immobile en passant de son épaule avant à son épaule arrière, en vous
efforçant de tendre les bras. Vous arrivez au sol derrière lui, pieds
contraires, et le mouvement s’inverse.
Après quelques esquives sur de grandes attaques, la Spirale va profiter
de l’énergie accumulée par le saut et le partenaire aura bien besoin de
se retenir à l’épaule du défenseur pour ne pas être plaqué trop
violemment au sol.
Dégagement du poignet en vis-à-vis
Poursuivons par une étude plus statique. Nous avons vu, dans notre
première leçon, comment sortir d’une saisie du poignet « du même
côté ».
Le partenaire prend maintenant « en vis-à-vis », soit le poignet gauche
avec sa main droite. Le défenseur ne retire pas son bras, mais entre en
fléchissant le bras, comme pour porter une frappe du coude
correspondant au poignet enserré. Celui-ci a pivoté, paume vers le bas,
dans le sens de la saisie tandis que, de l’autre main, le défenseur
repousse le poignet de l’attaquant.
Les deux pratiquants pivotent en changeant de pied et le mouvement se
reproduit de l’autre côté, la main gauche de l’attaquant se refermant sur
le poignet droit du défenseur.
Ne faire qu’un avec le partenaire
Retravaillez également l’exercice clôturant la séquence 2 – « devenir
l’ombre de l’autre » – en ajoutant une difficulté : le partenaire qui doit
suivre ne tient pas les poignets de celui qui guide ; tous deux présentent
leurs paumes ouvertes, l’un s’appuyant mentalement sur l’autre. La
communication doit passer sans contact physique…
Séquence 5
La grande attaque de la main
Confronté à une situation dramatique, l’être humain se retrouve parfois
totalement paralysé, tétanisé ou, au contraire, capable de mobiliser une
énergie qu’il ne soupçonnait aucunement.
Notre premier adversaire, c’est soi-même ! Lorsqu’un débutant est
invité à donner un grand coup de poing, seul, dans le vide, on constate
généralement combien ce simple mouvement, sans le moindre risque,
est inhibé. La vie ordinaire, exempte de dangers soudains, a émoussé
notre réactivité. Seules certaines activités sportives exigent
régulièrement de « tout donner en un instant ».
La Voie martiale, en nous confrontant – modestement et à un certain
niveau – à la lutte à mort, nous invite à maîtriser tout notre
potentiel.
Recherchons des exercices qui nous amèneront à nous investir
franchement dans un assaut.
Debout, bras relâchés, lancez vigoureusement la main comme pour
porter un coup de couteau loin devant soi. Si un tel mouvement est, par
nature, violent, veillez à demeurer serein : les cris sauvages et les rictus
haineux sont étrangers à notre démarche. Mais il est vrai qu’une grande
expiration sonore – le kiaï – peut aider à se désinhiber.
Bien comprendre la différence entre un geste agressif, visant à
« faire mal », et un don d’énergie destiné à un partenaire apte à y
faire face !
Le débutant a tendance à se figer en bloquant au sol son pied avant. Si
vous êtes dynamiques, il est normal que votre action vous porte au-delà
d’un simple pas.
Avant d’adopter l’attitude de base, imprégnez-vous de l’esprit du
sprinter : pieds dans les starting-blocks, mains au sol, prenez à plusieurs
reprises un départ le plus rapide possible pour vous stabiliser après
quelques mètres. Chaque partenaire donne le départ. Toujours
reproduire exercices et techniques d’un côté puis de l’autre.
Redressez-vous maintenant, jambe avant fléchie au maximum, genou
au-dessus de la pointe du pied, talon arrière décollé. Les deux pieds sont
parallèles, tournés vers l’avant. Les poings sont serrés, pouce par-
dessus l’index. Ne pas fléchir bras et poignets comme un boxeur, dans
une attitude de repli et d’autoprotection, mais développer la sensation
de vous ouvrir, épaules décontractées, bras disponibles comme des
antennes. Mobilisez la musculature du bras arrière en vous préparant
mentalement à le propulser droit devant. Trop de pratiquants, en effet,
sont contractés et tireront même parfois le coude vers l’arrière avant de
lancer le bras vers l’avant, ce qui retarde considérablement un
mouvement qui se voudrait instantané.
Les pieds ne bougent pas lorsque le poing, libéré soudainement, tire la
hanche correspondante et amène tout le poids du corps sur le pied avant.
Le buste est alors arqué dans une tension maximale. Après quelques
répétitions portant chaque fois le poing un peu plus loin, la tension
accumulée se libère : un grand déplacement vers l’avant va
accompagner, dans un second temps, le bras. Le poing, qui a jailli
comme une flèche, est alors enfoncé comme une lance.
Ces étapes préparatoires doivent développer la sensation de frapper
avec le corps entier, en vous redressant et avec toute votre énergie.
Alors seulement, la grande attaque sera inlassablement répétée, à partir
de la position de base et, aussi, de la position debout, bras décontractés.
Le poing part en premier, mais la hanche et la poussée des pieds
participent à la frappe explosive et l’amplifient, un ou deux pas
glissés prolongeant le grand déplacement.
Vous pouvez maintenant
« travailler » le mouvement
face à votre partenaire qui se
dispose à reculer pour vous
encourager à frapper le plus
loin possible : amenez le corps
dans une tension maximale
vers l’avant, grignotez
imperceptiblement la distance,
centimètre par centimètre –
vous n’êtes pas limité par une
ligne de départ – tandis que votre partenaire fait de même en arrière.
Frappez avec la volonté de le toucher, à la limite de tomber en avant
…si vous êtes assurés qu’il se mettra hors de portée !
Rappelons que l’efficacité d’une attaque est liée à sa vitesse d’exécution
et que la vitesse est un rapport entre le temps et l’espace. Plutôt que de
pratiquer « très court, très vite », il est préférable de penser d’abord
« très loin », d’autant qu’une attaque sincère doit littéralement traverser
la cible.
J’insiste sur ce point : si notre attention se focalise sur l’objectif, nous
aurons naturellement tendance à relâcher notre effort au point
d’aboutissement, or c’est à ce moment que notre vitesse devrait être
maximale. Il nous faut donc viser au-delà de l’obstacle si nous voulons
le briser.
Je ne suis guère partisan des « tests de casse » : le corps humain est
fragile et les lésions, les micros fractures, sont toujours préjudiciables.
Mais si nous voulons éclater une planche ou des tuiles, nous risquons
davantage de nous blesser en hésitant et en rebondissant sur l’obstacle
au lieu de le traverser. Que penser, dès lors, de ces compétitions qui
exigent que toute frappe soit stoppée nette juste avant le contact avec le
partenaire ? Non seulement cette pratique ne développe aucune
efficacité, mais les accidents sont nombreux et, en fin de compte, la
frustration engendrée exacerbe l’agressivité quand on prétend la
défouler sainement !
Nous verrons bientôt comment concilier notre exigence d’attaques
sincères, maximales, et notre souci de ne pas blesser le partenaire.
Les autres mouvements offensifs – « couper la tête » ; frapper de la
main avant ou du pied arrière – seront étudiés dans le même esprit et
répétés systématiquement lors de l’entraînement.
Entre débutants, l’attaque sera toujours relativement lente et
« annoncée ».
Sur une attaque directe, esquive et défense sont le plus souvent
enseignées en sortant de l’axe du côté de l’attaque, de façon à se
retrouver à l’abri, dans le dos du partenaire… mais APRES la frappe !
Ceci m’apparaît peu judicieux : parce que l’attaquant modifierait plus
aisément sa trajectoire de ce côté et, surtout, parce qu’une telle esquive
serait plus problématique en cas d’attaque circulaire, et suicidaire en
cas d’encerclement !
Exagérer le cercle qui menace la tête laissera donc au partenaire le
temps de réaliser de quel côté il conviendra d’esquiver pour « prendre
le centre » du mouvement, quelle que soit l’attaque, ou se glisser
derrière vous. Mais, à un niveau avancé, toute frappe sera aussi directe
que possible : ne pas lancer, par exemple, la main en arrière alors que
votre intention est de l’abattre vers l’avant ! Le sabre s’abat en un
mouvement circulaire, non au terme d’un aller-retour.
Trop souvent, les pratiquants n’apprennent pas à attaquer correctement :
les frappes sont « téléphonées » (sursaut préliminaire inutile) et
manquent de sincérité surtout lorsqu’ils se préparent mentalement à
subir une torsion du poignet ou une projection qui n’est pas toujours
réalisée en douceur.
Et de constater, ainsi, qu’il y a parfois plus d’agressivité chez le
partenaire censé se défendre que dans le chef de celui qui attaque !
Sortir de la Voie, retomber dans des réflexes primaires, attaquer sans
conviction, s’affirmer au détriment d’autrui… ces écueils sont sournois
et vous devez sans cesse interroger votre pratique.
Une leçon ultérieure sera consacrée à la frappe du pied. Mais revenez
régulièrement sur tout ce qui précède. Un professeur exigeant
n’hésitera jamais à reprendre les techniques de base, à corriger chaque
défaut, à répéter inlassablement : « Ne croisez pas les pieds ; conservez
la largeur des hanches comme si vous évoluiez sur deux rails ; ne vous
figez pas sur un seul pas ; gardez le bassin de face et restez prêt à
poursuivre votre assaut… »
Il est extrêmement difficile de progresser sans un guide, cependant…
Le but est de devenir maître de soi. Le Maître authentique ne
maîtrise pas les autres ; il éveille le Maître en l’autre !
Esquiver « en ouvrant la porte »
Après avoir salué posément, l’attaquant avance un pied et se prépare
progressivement à libérer son énergie au-delà de son partenaire.
L’attaque s’effectuera, bien sûr, d’abord lentement, mais sera prolongée
d’un ou deux pas « glissés » (conserver même pied et bras tendu en
avant).
Le défenseur, debout, pieds légèrement écartés et bras décontractés, se
prépare à « ouvrir la porte » en reculant un pied dans un large cercle,
comme pour effectuer la Spirale. Il a lancé sa main avant pour
accompagner l’attaque et s’en protéger sans la repousser.
Ignorant de quel côté l’esquive sera effectuée, l’attaquant est tenu de
frapper franchement, droit devant. Bien évidemment, il ne profite pas
d’un apprentissage au ralenti pour adapter sa trajectoire et chercher à
toucher à tout prix son partenaire !
L’attaquant se retrouve alors derrière celui-ci et a tourné la tête dans sa
direction ; tous deux pivotent lentement, en demeurant concentrés, sans
se quitter des yeux, et l’attaquant est en mesure de frapper de l’autre
membre.
Rappelez-vous que l’essentiel se joue AVANT l’assaut : si nous nous
exerçons au tir – à l’arc, au révolver…– appuyer sur la détente n’est
rien. Le plus difficile est de se concentrer sur l’objectif, de fusionner
avec la cible et, dans notre cas, d’ajuster la distance ! L’attaquant
« grignote » quelques centimètres en demeurant prêt à déclencher sa
frappe, le défenseur maintient imperceptiblement la distance… il ne
doit pas réagir au déclenchement du coup mais chercher à l’anticiper.
Si l’un ou l’autre est une fraction « plus tard », il doit en prendre
conscience et chercher inlassablement à améliorer sa concentration.
Je comprends parfaitement que tout ce travail est loin de l’idée que l’on
se fait d’un sport de combat. Le jeune, en particulier, aspire à bouger ;
il a besoin de se défouler et risque de se décourager si on insiste trop tôt
sur cette dimension mentale.
Dans les films de capes et d’épées, les péripéties des combats sont
rocambolesques et les mouvements les plus fantaisistes se succèdent.
Sur le ring, les conditions sont également étudiées pour « faire durer le
spectacle » et les frappes se multiplient durant les rounds.
Lors d’un assaut au sabre, tout peut être joué dès que celui-ci jaillit du
fourreau (art de l’iaïdo), d’où la maxime des anciens maîtres : « Ne pas
vaincre après avoir frappé, mais frapper après avoir vaincu ! ».
Les lutteurs de sumo, qu’ils perdent ou gagnent leur combat, conservent
leur impassibilité. A l’occasion d’un tournoi, il est arrivé que deux
Maîtres de kendo, octogénaires, s’affrontent. Ils ont dégainé lentement
leur shinaï (sabre de bambou) et s’apprêtent à se ruer l’un sur l’autre.
Leur concentration est sans faille, leurs déplacements infimes… les
secondes s’égrènent… le gong retentit et le combat a pris fin sans la
moindre tentative d’attaque ! A quoi bon si aucune ouverture n’était
décelable. Et les spectateurs d’applaudir : la maîtrise est là, dans la
présence de l’esprit et l’absence de tout geste superflu.
Vous pouvez dès lors opter pour la pratique du zen, la méditation, la
recherche de l’éveil, les yeux fermés. C’est la Voie la plus ardue. Si,
comme moi, vous ne vous en sentez pas capable, poursuivons
humblement l’étude de nos techniques.
Retourner le poing de l’attaquant
Tandis que le corps s’efface pour laisser passer l’attaque, la main
correspondant au pied « pivot » a glissé le long du bras qui s’étend et
vient se placer pouce à la base du petit doigt du poing en fin de frappe.
Le défenseur pèse sur ce « bras de levier » pour déséquilibrer
l’attaquant, pivote sur l’autre pied et retourne souplement le poignet de
son partenaire pour l’amener dos au sol.
Plus le mouvement offensif sera explosif, plus le déséquilibre de
l’assaillant sera aisé. C’est la qualité de l’attaque, du don d’énergie, qui
détermine la qualité de la défense. Chercher à tordre le poignet sur une
frappe crispée ou rebondissante serait bien plus aléatoire.
Mais vous avez compris que notre approche n’est pas basée sur une
auto-défense primaire. Les techniques de défense proposées postulent
des attaques franches et maximales.
Corps accord
Clôturons cette séquence avec un exercice plus relax. Vous allez, vous
et votre partenaire, peser l’un sur l’autre en restant aussi décontractés
que possible, non pour tenter de vous bousculer, mais pour équilibrer
vos forces respectives, pour communiquer beaucoup d’énergie sans
chercher à dominer ni vous figer.
Les bras avant entrent en contact, puis une épaule ; le dos puis l’autre
épaule si l’un des deux pivote entraînant son partenaire…
Le but est donc d’offrir à la fois une ferme résistance et une grande
mobilité. Si l’un fléchit les jambes, l’autre l’accompagne sans relâcher
sa poussée ni sacrifier son équilibre…
Séquence 6
Se croiser ou reculer sur grandes attaques réciproques
Reculer face à un attaquant qui frappe avec amplitude est risqué : s’il
enchaîne deux ou trois mouvements, nous serons vite débordés.
Cependant, si nous nous limitons toujours à nous croiser en avançant,
nous aurons tendance à anticiper le pivot qui suivra et à trop tourner
l’un autour de l’autre. Il n’est donc pas inintéressant que le défenseur
tente quelquefois un grand pas en arrière pour inciter son partenaire à
frapper loin vers l’avant, à condition de ne pas porter le poids du corps
sur la jambe arrière de façon à demeurer capable de repartir
immédiatement en avant…
Désormais, celui qui jouera le rôle de l’attaquant prendra toujours
l’initiative d’avancer lentement un pied. Il frappera toujours (« couper
la tête » ou grand coup du poing) en avançant et en alternant droite-
gauche. Le défenseur recule simultanément le pied en vis-à-vis le pied
droit en conservant le poids du corps sur la jambe avant. Il va également
frapper en croisant plusieurs fois son partenaire mais tentera parfois
d’effectuer un grand pas en arrière pour repartir immédiatement en
avant…
Entraînons-nous donc, préalablement, à réaliser quelques fois cet aller-
retour sans nous figer une seconde avant de repartir vers l’avant.
Rappelez-vous que les exercices « réciproques » génèrent un défaut :
quand il s’agit de se croiser, il n’est pas possible de frapper franchement
droit devant soi. Tout naturellement, nous évitons la collision et ne
conservons pas parfaitement notre attitude. Ce défaut sera corrigé dès
les prochaines séquences, lorsque l’un sera invité à attaquer plus
sincèrement et que le défenseur esquivera « en entrant ».
Esquiver « en entrant »
Maîtriser l’esquive est essentiel pour plusieurs raisons :
- Si nous pouvions systématiquement « faire le vide », esquiver toute
attaque, nous développerions une sorte d’indifférence paisible, le vide
de l’esprit propre au zen susceptible, idéalement, de dissuader
l’agresseur. Un Maître dans l’art de la bienséance disait qu’il nous
faudrait toujours adopter une attitude telle que le personnage le plus fou
n’envisagerait même pas de nous attaquer ! Superbe idée qui,
malheureusement, ne nous empêcherait pas d’être victime d’un attentat
aveugle !
- Plus pratiquement, si notre partenaire a confiance en notre capacité
d’éviter son attaque sans la bloquer brutalement, celle-ci sera plus
franche. Il ne s’agit donc pas d’être obnubilé par le souci de protéger sa
petite personne mais d’évoluer conjointement vers une « ouverture »
qui autorisera des assauts de plus en plus dynamiques.
- Enfin, si notre contre-attaque – l’esquisse d’un coup frappé ou, mieux,
une projection souple – intervient sans prévenir, après quelques
esquives, l’assaut gagnera en sincérité. Voici l’occasion de préciser
notre idéal martial :
Lorsque frappes, esquives et projections fusionneront, lorsque les
rôles s’échangeront spontanément, il n’y aura plus d’attaquant et
de défenseur, de gagnant ou de perdant.
… Les pratiquants chemineront alors sur la Voie.
Nous avons vu, dans la séquence précédente, comment esquiver une
attaque « en ouvrant la porte ». Cette étape est nécessaire pour débuter.
Mais il nous faut maintenant apprendre à esquiver « en entrant » de
façon à nous protéger d’un attaquant qui, derrière nous, attaquerait
simultanément à celui qui nous fait face et, donc, d’échapper ainsi à un
éventuel encerclement.
Par ailleurs, cette forme d’esquive nous amènera derrière le partenaire
qui nous attaque frontalement, comme dans les exercices
« réciproques », ce qui encouragera celui-ci à traverser sans
appréhension le point visé avant de pivoter et d’enchaîner ses frappes
avec de plus en plus d’amplitude et de célérité.
Entamons cette recherche en nous positionnant d’abord « pieds
contraires » : tandis que l’attaquant avance lentement un pied, le gauche
par exemple, le défenseur recule le même pied. Ils se positionnent donc
« en miroir ».
Tenter de se protéger avec la main arrière, en avançant le pied
correspondant, est irréaliste : la collision serait frontale, d’autant que
nous postulons que notre partenaire nous est physiquement supérieur et
qu’il cherche, lui aussi, à anticiper notre contre-mouvement !
Tenter d’esquiver en entrant du côté de la main arrière de l’attaquant
sera suicidaire si celui-ci frappe du membre arrière, a fortiori si sa
frappe était circulaire.
Le défenseur devra lancer le bras avant – parade « de l’extérieur » : le
bras droit s’étend et accompagne le déplacement de l’attaquant en se
repliant vers l’épaule gauche – et le pied avant pour se glisser côté dos
de son partenaire tel qu’il se présentait AVANT sa frappe.
Notre approche se différencie ainsi de tant de techniques qui
s’effectuent dans un second temps, alors que l’attaquant se fige dans
son mouvement et subit passivement la contre-attaque.
Il est essentiel de chercher à anticiper l’attaque. Reculer en se
protégeant est illusoire si l’assaut est sincère et que le partenaire
enchaîne ses frappes ; davantage encore si une autre attaquant nous
menace par derrière !
Ne jamais, donc, attendre le déclenchement de l’action pour réagir.
Dans la vie quotidienne, nous avons régulièrement recours à nos
réflexes naturels, mais présentement vous étudiez une voie basée sur
votre capacité de pressentir, d’anticiper le danger, de « n’être qu’un »
avec le – ou les – partenaire(s).
En combat, nul n’a le monopole de l’initiative, même si, dans une
première phase d’apprentissage, il vaut mieux inverser ce que nous
serions tentés de faire dans l’optique d’un mouvement d’auto-défense :
le défenseur va entamer son esquive et l’attaquant s’engouffre alors
immédiatement dans ce vide en frôlant son partenaire et sans le quitter
des yeux.
Par la suite…
Les pratiquants chercheront inlassablement à anticiper, à
fusionner l’un avec l’autre de telle sorte qu’on ne puisse dire lequel
aurait déclenché l’assaut.
La réussite sera rarement au rendez-vous, mais cette recherche est
indispensable et constitue l’essence même de notre travail.
Soyons sincères dans notre pratique : parvenir systématiquement à
anticiper équivaudrait à tricher, à provoquer l’action, et serait révélateur
de notre désir de dominer, de gagner. Lorsqu’un expert démontre son
savoir et projette tous ses assistants sans le moindre problème, nous
pouvons être assurés que ceux-ci ont été conditionnés et anticipent… la
technique qu’ils vont subir et la chute qu’ils devront effectuer ! Le
spectacle est peut-être superbe mais la sincérité est absente.
Il nous faudra donc, inlassablement, évoluer entre deux écueils : trop de
gentillesse, de complaisance – je frappe dans le vide en évitant mon
partenaire – ou trop d’agressivité : je cherche tout de suite à le mettre
en difficulté ; facile car je sais comment il doit esquiver… !
L’art est un miroir, il révèle nos velléités et nos craintes plus ou
moins conscientes.
Cette dimension de la pratique est trop souvent négligée et les
pratiquants se contentent d’alterner les rôles, l’attaquant se préparant à
subir une défense, une torsion du poignet ou une projection sans qu’il y
ait eu cet effort préalable de communication.
C’est « ne voir que le doigt quand celui-ci montre la lune » : lorsque la
flèche est libérée, tout est dit : l’essentiel – se vider de toute pensée
perturbatrice pour fusionner avec la cible – précède le geste et celui-ci
doit intervenir naturellement comme le fruit mûr qui se détache de la
branche.
Étape suivante : les deux pratiquants se positionnent maintenant
« même pied en avant » (attitude adoptée ci-dessus s’ils ont pivoté
conjointement sur leur pied avant après la première attaque).
Cette situation est fondamentale mais plus délicate car le pied avant du
défenseur n’est pas « côté dos » de l’attaquant. La « défense de
l’intérieur » – le bras avant s’étend et se replie vers l’épaule du même
côté – exécutée toujours en propulsant main et pied avant, doit
également permettre au défenseur de se glisser côté dos de son
partenaire tel qu’il se présente AVANT sa frappe. Il s’agit donc pour
celui-ci de sortir de l’axe de l’attaque, dans un mouvement parallèle à
celui du bras, mais aussi d’y revenir dans le même temps, derrière
l’attaquant, ce qui est plus difficile.
L’esquive n’est pas une fuite : chaque mouvement d’évitement devrait
nous ramener en direction de l’attaquant, en situation de le contrer à
l’apogée de sa frappe si nous décidions de ne pas seulement l’esquiver !
Ne jamais faire face à l’attaque, mais toujours faire face à
l’attaquant !
La roulade arrière
Nous ne pouvons, bien évidemment, contrer brutalement un partenaire
qui consent à nous communiquer en confiance toute son énergie. Nos
choix sont dès lors limités :
- Il nous est loisible, tout en esquivant, d’esquisser une contre-attaque
– une frappe de la main avant sur laquelle viendrait se « planter »
l’agresseur – et de la stopper donc avant qu’elle n’aboutisse.
Cependant avorter une technique n’est pas la meilleure façon d’en
apprendre l’exécution et, d’autre part, nous nous efforçons d’éliminer
tout blocage, toute crispation...
- La contre-attaque est réalisée « à côté » et s‘achève au-delà de
l’attaquant, en prenant soin de ne pas le blesser tout en le frôlant.
- Plus intéressant : unir nos énergies, non pour contrer la frappe mais
pour l’amplifier et déséquilibrer le partenaire. Il faut alors que celui-
ci maîtrise l’art de chuter… ce qui rebute nombre de débutants, surtout
lorsqu’on ne dispose pas de tatamis pour amortir les chutes.
Précisons que, dans notre souci d’une pratique harmonieuse, il n’est pas
question de forcer la chute d’un partenaire comme en judo ! Et si vous
n’êtes pas particulièrement souple ou si vous ne disposez pas d’une
surface adéquate, croyez bien qu’il est possible d’apprendre beaucoup
sans chuter. Le défenseur peut induire correctement la projection de
l’attaquant avec un contact léger : celui-ci accepte le déséquilibre,
trébuche, amorce peut-être la roulade pour se redresser après quelques
pas.
Sinon, l’apprentissage de la chute doit être très progressif et il est plus
judicieux de l’entamer par la roulade arrière. Trop souvent, les
débutants sont invités prématurément à se propulser en chute avant au
risque de se luxer l’épaule, voire de se fracturer la clavicule.
Notons cependant que si la roulade arrière est moins délicate, elle doit
résulter d’une projection plus rude car plus frontale… Il nous faudra
trouver des exercices intermédiaires.
Pour échauffer la nuque et découvrir le mouvement, partons de la
position assise pour rouler en arrière et toucher le sol des deux pieds.
Après quelques aller-retours, restez repliés, pieds au ras du sol : il vous
faut tourner la tête vers la droite et pivoter lentement sur l’épaule pour
déposer le genou droit derrière vous (pas sur le côté !).
Efforçez-vous, tout en décontraction, de passer ainsi d’un genou à
l’autre sans basculer latéralement.
L’exercice est repris : tandis qu’un genou se dépose derrière soi, la main
opposée se pose également sur le sol, près de l’oreille. Vous pouvez
vous limiter à cette étape durant quelques séances.
Très progressivement, votre roulade vous amènera à genoux et vous
pourrez tenter de suivre le même chemin pour revenir en avant en
prenant soin de déposer l’épaule et de tourner la tête.
Prenez le temps, ne vous jetez pas « tête baissée » : la santé et le respect
de l’intégrité physique est le premier objectif.
Essayez, enfin, au départ de la position debout. C’est possible, bien que
peu confortable, sur un sol dur : tout en fléchissant un genou, la tête se
tourne du côté opposé, le dos s’arrondit et la main se prépare à se
déposer au sol, à côté de l’oreille. La roulade arrière s’effectue sur
l’épaule, le genou correspondant se dépose au sol et le corps se redresse.
Il est bien sûr plus agréable d’apprendre ainsi la chute arrière sur un
tapis, voire un tatami, plutôt que sur un sol dur et il n’est pas nécessaire,
au début, de rouler complétement sur l’épaule. La roulade permet
seulement de se redresser immédiatement plutôt que de se stabiliser dos
au sol. Et si être capable de chuter sera intéressant, rappelons que cette
étude n’est pas indispensable.
Les yeux clos
Un exercice tout en sensation pour clore votre séance : si vous disposez
d’un peu d’espace pour vous déplacer, je vous propose de fermer les
yeux. Le partenaire va vous saisir légèrement un poignet ou les deux,
vous tirer ou vous pousser souplement, en veillant évidement à vous
éviter tout autre obstacle que lui-même.
Restez décontracté, cherchez à ressentir le dégagement et le pivot les
plus adéquats en vous efforçant de ne pas reculer mais d’ « entrer » sur
le partenaire tout en « ouvrant la porte ».
Soyez aussi fluide que l’eau : le liquide épouse sans effort la forme du
récipient…
Séquence 7
« Un coup, une vie ! »
Vous êtes déjà en mesure d’évoluer vers une forme de combat libre.
Tandis que l’attaquant se positionne, un pied en avant, prêt à lancer son
poing, le défenseur reste debout, pieds légèrement écartés.
Différentes actions sont possibles :
- Le défenseur peut fuir sur quelques pas et tester ainsi la qualité de
l’attaque : si celle-ci est correcte, les deux partenaires doivent ressentir
qu’un enchaînement serait fatal au défenseur.
- Nous avons vu lors de la séquence 5 que le défenseur peut reculer un
pied et « ouvrir la porte » en se protégeant de la main avant. Cette
esquive est possible d’un côté comme de l’autre puisque la défense
absorbe la frappe.
- Dans la séquence suivante, nous avons esquivé « en entrant ». Ce qui
ne peut se réaliser que du côté opposé à la zone d’attaque, en se
glissant donc le long du bras avant de l’attaquant, bras qui pourrait
également déclencher l’assaut. De façon à sortir plus aisément de
l’axe de l’attaque, il est possible, si nous esquivons à droite, d’amener
vivement le pied gauche derrière le droit, tout en propulsant main et
pied droits vers le dos de l’attaquant.
Rappelons que l’un comme l’autre cherche à pressentir l’action et que
la défense n’est pas une « réaction » à l’attaque.
Rappelons surtout que l’attaquant doit chercher réellement à toucher
son partenaire (au niveau du sternum, c’est moins dangereux) dans la
mesure où celui-ci n’est pas systématiquement débordé. Prudence
donc ! Il est d’ailleurs possible d’attaquer vite mais « léger », bras
décontracté si nous craignons d’être brutal.
- Enfin, le défenseur peut, simultanément à l’attaque et à sa propre
esquive, contre-attaquer en frôlant de sa main avant l’attaquant.
Les deux pratiquants peuvent ainsi répéter l’exercice une dizaine de fois
au moins en échangeant les rôles. Ne pas oublier que l’essentiel précède
le déclenchement de l’action : se saluer posément ; prendre lentement
sa distance ; l’attaquant bouge imperceptiblement vers l’avant et peut
se déplacer latéralement pour chercher « l’ouverture » tandis que le
défenseur ajuste sa position, chacun guettant le moindre relâchement de
l’autre pour agir…
Remémorez-vous ces scènes de western : les deux protagonistes
s’immobilisent, prêts à dégainer, bras décontractés à hauteur du
révolver… le moindre geste superflu sera fatal…
Nous disposons donc de deux approches complémentaires : accorder la
plus grande importance à la concentration qui précède l’assaut pour
développer notre capacité d’anticiper le danger, mais aussi multiplier
quelquefois frappes et esquives enchaînées de façon à dynamiser
l’action et pour nous préparer à l’assaut avec des attaquants multiples.
Le grand coup de pied de face
Nos membres inférieurs sont plus puissants et les coups de pied
redoutables. Ces techniques nécessitent cependant un bon sens de
l’équilibre et un minimum de souplesse. Les exécuter à hauteur du
visage d’un partenaire n’est pas à la portée de tout un chacun ; ce n’est
pas important. Rappelons que nous pratiquons en fonction de nos
possibilités, que nous ne pouvons que nous améliorer avec
l’entraînement et que le but n’est pas de fracturer un nez mais
d’apprendre à mobiliser toute notre énergie en communiquant
intelligemment avec notre partenaire.
Échauffez correctement vos jambes avant d’entreprendre cette étude :
un jogging ; dix ou vingt flexions des genoux ; pieds écartés, passez
d’un talon sur l’autre en tendant la jambe opposée…
Le grand coup de pied de face est l’attaque la plus dangereuse. Comme
pour toutes nos techniques, il faudra veiller à ne pas se déséquilibrer
vers l’arrière et à « entrer » avec tout le corps.
Quelques exercices préparatoires :
- Assis, genou tiré à l’épaule, pied et orteils relevés, tendre lentement la
jambe en la maintenant le plus près possible de l’épaule, buste vers
l’avant, cheville en extension. Ramenez le genou en conservant le pied
le plus haut possible. S’efforcer ensuite de reproduire le mouvement
sans s’aider des mains, bras en garde naturelle. Chaque série doit être
répétée cinq ou dix fois. La frappe devient progressivement explosive ;
restez une seconde jambe tendue dans l’idée de traverser la cible et non
de rebondir sur l’obstacle éventuel.
- Adoptez l’attitude de base, genou avant fléchi au maximum, pieds
parallèles. Sans vous redresser, fléchir vivement le genou arrière pour
amener le talon à la fesse.
- Même exercice que ci-dessus, mais tandis que le talon est tiré vers la
fesse, le genou vient toucher l’épaule. Le but est d’ « armer » la jambe,
de « comprimer son ressort » au maximum avant de libérer l’énergie
accumulée. Imaginez qu’il vous faut passer au-dessus d’un tabouret
placé sous le genou arrière de façon à adopter la trajectoire que suivrait
un ballon lancé du sol vers le plexus d’un partenaire…
- Si vous prenez un point d’appui pour exécuter ces exercices, veillez à
positionner la main devant vous : il ne faut pas basculer le tronc en
arrière pour garder l’équilibre : la frappe du pied « tire » tout le corps
en avant.
- Déployez maintenant votre attaque dans un seul mouvement, sans
marquer le moindre temps mort au niveau de l’épaule, pas trop haut, car
une fois la jambe tendue, il s’agit de traverser la cible, buste légèrement
en avant, en imaginant que l’énergie fournie par la poussée sur les
orteils arrière en flexion est communiquée à la base des orteils qui
portent l’attaque.
Dans un premier temps, la main, sous le mollet, contribue à la sensation
d’enfoncer une lance.
Inspirez-vous des coureurs franchissant une haie. Si tout votre corps
participe correctement au mouvement, vous devrez, comme pour une
frappe du poing, effectuer un ou deux pas glissés avant de vous
stabiliser.
- Quelques frappes successives, au ras du sol, sans temps d’arrêt, en
déposant le pied le plus loin possible, vous aideront à développer la
souplesse du mouvement. Les mouvements s’enchaînent et
s’amplifient…
Vous vous entraînerez alors à porter votre attaque du pied le plus haut
– mais surtout le plus loin – possible sans que ce mouvement n’affecte
trop les bras, en garde naturelle, ni le buste.
Vous pouvez, enfin, imaginer que, tandis que votre genou « s’arme » à
l’épaule, votre partenaire effectue un large recul. Il est alors possible de
le poursuivre en réalisant soi-même un grand pas croisé pour frapper du
pied initialement devant. Ce coup de pied pourra ensuite intervenir dans
la foulée, puis dans un pas sauté.
Renverser « en entrant »
Terminons cette séquence avec une amenée au sol encore très
accessible que nous allons découvrir en pratiquant posément.
Remémorez-vous deux exercices : l’« éducatif », utilisé dans notre
seconde leçon afin de découvrir « la Spirale », et la façon d’échapper à
une saisie du poignet par les deux mains.
Les deux partenaires sont face à face, pied gauche en avant. L’un étend
son bras droit latéralement, l’autre exerce de ses deux mains une
poussée légère sur ce bras ; il domine ainsi le défenseur.
Celui-ci va effectuer un grand pas en arrière – son partenaire le suit –
en ramenant le bras saisi sous lui, coude dans le creux du rein. Ce bras
va remonter en un large cercle pour frôler la tempe de l’attaquant et
retourner sa poussée contre lui. Simultanément, la main gauche est
descendue dans le bas du dos pour accentuer le renversement. Le pied
droit s’est propulsé derrière l’attaquant et tout le flanc du défenseur le
bouscule souplement : il va rouler en arrière, sur l’épaule gauche.
Le même mouvement peut être découvert au départ d’une attitude
similaire : les deux partenaires sont à nouveau face à face, pied gauche
en avant, mais c’est maintenant le bras avant qui est étendu
latéralement, par devant, toujours vers la droite donc. La position est
moins confortable et le défenseur s’efforce de demeurer bien de face,
sans fléchir le coude. Il va céder sous la poussée en amenant tout le
poids du corps sur le pied avant afin de pivoter dans le sens des aiguilles
d’une montre. Simultanément, il descend sa main gauche vers le sol
tandis que, de la droite, il tire le bras gauche de son partenaire vers le
bas. Le défenseur remonte sa main gauche en un grand cercle qui
retourne l’énergie de l’attaquant contre lui et le renverse en arrière
tandis que le pied gauche du défenseur glisse derrière son partenaire de
façon à le bousculer souplement d’une entrée du corps entier.
Attention :
- Exécutez ces mouvements lentement pour que celui qui pousse
maintienne sa poussée et puisse prendre le temps de déposer au sol son
genou.
- Le défenseur ne renverse pas l’attaquant en le poussant du bras ; sa main
frôle la tempe et monte très haut dans un mouvement de vague
retournant le bateau ; c’est tout le flanc qui entre en contact avec celui
de l’attaquant.
- Celui-ci peut à nouveau se retenir à l’épaule du défenseur, déposer le
genou « côté partenaire », faire « le dos rond », tourner la tête vers
l’arrière et passer très lentement sur l’épaule opposée.
N’oubliez pas d’étudier chaque technique proposée d’un côté comme
de l’autre.
Enfin, n’hésitez pas à reprendre systématiquement chaque étape déjà
explorée.
Lorsque l’on suit un cours collectif dans un Dojo, il n’est pas question
d’apprendre, à chaque cours, une nouvelle technique. L’essentiel de
l’entraînement consiste à reproduire les mouvements de base pour
améliorer justesse et vitesse d’exécution. Avec une difficulté évidente :
un combat réel, qui monopoliserait toute notre énergie, ne durerait que
quelques secondes. Il n’est pas possible de pratiquer durant une heure
ou deux en maintenant un tel état d’esprit.
Reconnaissons, par ailleurs, qu’il n’est pas rare qu’un bon pratiquant se
trouve totalement dépassé lors d’une agression brutale. L’état d’esprit
est radicalement différent. C’est pour cela que j’insiste pour que chaque
technique soit précédée d’un moment de concentration durant lequel
vous devez ressentir la volonté du partenaire. Mais celle-ci est encore
bien éloignée de l’agressivité incontrôlée qui risquerait de déstabiliser
toute personne équilibrée.
Prendre conscience de ses limites développe deux belles qualités : la
lucidité et l’humilité. Cela ne nous dispense pas de tendre, lorsqu’un
exercice est bien compris, vers plus de fougue et de détermination, à
condition que ce ne soit pas au détriment du partenaire.
Séquence 8
Le mouvement de défense
Les réflexes de protection ne sont pas toujours appropriés. Si nous
glissons sur le verglas, nous aurons spontanément tendance à jeter un
bras vers le sol pour amortir notre chute, souvent au détriment du
poignet : une fesse bleue, c’est moins grave qu’une fracture !
Si l’enfant que nous tenons par la main glisse, nous aurons le réflexe de
le retenir excessivement en remontant le bras au risque de luxer son
coude… Nous pourrions multiplier les exemples.
Il nous faut maîtriser nos réactions ou, mieux, transcender nos
réflexes, développer une vigilance et une disponibilité qui nous
permettront d’anticiper un danger et d’exécuter le bon geste de
façon posée et mesurée.
Dans le karaté classique, l’avant-bras est régulièrement utilisé pour
bloquer une frappe : imaginez un enfant effectuant le premier
mouvement du premier kata et tentant d’arrêter le coup de pied d’un
adulte en projetant son avant-bras à la rencontre de l’attaque ! Cette
technique (gedan baraï) est inadaptée et trop souvent encore enseignée.
Le karaté distingue également trois niveaux d’attaque et donc de
défense : haut, moyen et bas. Mais lorsque l’attaquant explose dans son
offensive, il n’est pas possible d’analyser s’il frappe de la main avant
ou du pied arrière, s’il vise « haut » ou « bas ». Les compétiteurs
d’ailleurs ne s’embarrassent guère de ces techniques : ils sautillent
d’avant en arrière et tentent de surprendre.
Dans notre optique, il nous faut entamer notre « entrée » à l’instant
précis où l’action se déclenche, soit pour prendre le centre du
mouvement – pour contrer l’attaquant à l’instant où il croise les pieds
ou pour le projeter souplement en prolongeant sa frappe – soit pour nous
glisser en-dehors du cercle de l’attaque.
Nos réflexes naturels nous incitent à nous protéger en bloquant la frappe
qui nous menace et le karaté traditionnel nous invite à « armer » le bras
qui va effectuer la défense en amenant préalablement la main au niveau
de la tempe ou de la hanche opposée pour ensuite la propulser à la
rencontre du membre qui nous menace afin de briser l’attaque. Et les
hématomes de se multiplier !
Notre pratique est à l’opposé puisqu’il s’agit d’encourager le partenaire
à frapper franchement, sans appréhension, tandis que le défenseur
évitera cette frappe ou en utilisera l’énergie afin de provoquer le
déséquilibre de l’attaquant.
Un premier exercice, très simple, pour saisir la complémentarité entre
le mouvement offensif et le geste défensif : les deux partenaires se
tiennent face à face ; l’un serre les poings, l’autre enserre de ses mains
les poings de son vis-à-vis.
Commencez lentement : quand l’un tend un bras, l’autre l’absorbe
souplement ; d’un côté, puis de l’autre.
Nul n’a le monopole de l’initiative ; rappelez-vous nos consignes : « Ne
prenez pas un rythme … »
En fait, la complémentarité est double : entre les deux partenaires – l’un
tend le bras que l’autre absorbe – et aussi entre les deux bras de chacun.
Avec toujours l’idée d’une parfaite simultanéité d’action quand bien
même celle-ci serait précédée de quelques secondes de concentration.
Cet exercice d’apparence si élémentaire est porteur d’un principe
primordial à mes yeux : alors que le pratiquant d’un sport de combat
évolue dans le domaine du réflexe, feinte, amorce, renonce et esquisse
de multiples mouvements avant de tenter la technique décisive qui
mettra fin à l’assaut…
Le pratiquant d’art martial considère (idéalement !) que la vie est
son champ de bataille, que chaque geste se doit d’être « juste » et
que, dans un véritable combat, tout est dit dès l’ébauche du
moindre mouvement.
« Un coup, une vie ! » disaient les Maîtres du sabre.
Plus concrètement, ce modeste exercice nous permet de découvrir que
l’attaque (le bras qui se tend), la défense (le bras qui absorbe) et la
contre-attaque (l’autre bras qui s’est étendu) ne font qu’un. Une parade
qui intervient alors que l’attaquant se fige dans sa frappe, suivie d’une
contre-attaque mimée sur le partenaire immobile relève d’un
apprentissage stérile, de type « drill militaire ».
Étape suivante : la frappe du poing vise maintenant le sternum du
partenaire. Pas trop vite ! Vous êtes débutants et la distance est trop
courte. La main du défenseur absorbe l’attaque, paume vers le haut, et
l’accompagne sans l’écarter violemment – ce qui appellerait la frappe
de l’autre poing – en pivotant comme pour saisir le poignet de
l’attaquant et le tirer à soi tandis que son autre main serait en mesure
d’exécuter simultanément un contre.
La défense « de l’intérieur» et la défense « de l’extérieur »
Focalisons-nous sur l’exécution de notre mouvement de défense. Les
deux pratiquants sont à nouveau debout, face à face. L’attaquant va
frapper lentement vers le plexus de son partenaire, alternativement du
poing droit et du gauche. Le défenseur utilisera seulement sa main
gauche pour dévier l’attaque en l’absorbant. Les rôles s’inverseront
ensuite, puis la défense sera étudiée avec la main droite…
La vieille maxime « Attaque égale défense », est souvent mécomprise :
non seulement les deux partenaires doivent tendre à une parfaite
simultanéité d’action et la défense doit être proportionnée à l’attaque,
mais…
Qu’il s’agisse d’attaquer ou de se défendre, notre esprit doit être
« égal » : notre ambition est d’éliminer toute idée d’agressivité
comme toute crainte face à l’agression.
C’est ici que l’art martial révèle qu’il s’apparente étroitement à la
philosophie zen. Quel que soit le geste de l’artiste – tracer une
calligraphie, dégainer son sabre, composer un arrangement floral ou
décocher une flèche – l’esprit doit se dépouiller de toute intention ou
appréhension inhibitrices.
Lorsque l’attaquant étend le bras droit pour frapper lentement ; le
défenseur effectue du bras gauche un mouvement elliptique de façon à
aller chercher, « de l’intérieur de son corps », le poing qui le menace
pour l’accompagner souplement vers sa propre épaule gauche. Les
bustes ont légèrement accompagné le mouvement. Le bras attaquant
n’est pas écarté brutalement, ce qui « appellerait » une frappe de l’autre
poing, mais est à peine dévié. Pour bien comprendre ce mouvement
d’absorption, le défenseur va saisir le bras qui le menace et le tirer à lui
de façon à pouvoir, simultanément, contre-attaquer de l’autre bras. La
maxime « Attaque égale défense » s’enrichit ainsi et devient :
Attaque, défense, contre-attaque : un même mouvement !
La main gauche a donc effectué une défense « de l’intérieur » et est au
niveau de l’épaule gauche. Lorsque le partenaire frappe ensuite du
poing gauche, cette main part « de l’extérieur » du corps pour aller
cueillir l’attaque et la dévier cette fois vers l’épaule droite.
L’enchaînement est très vite compris et mes consignes habituelles sont
de mise : « Ne prenez pas un rythme… ». Évitez, surtout, de tomber
dans le mouvement réflexe. Vous n’êtes pas en combat, mais dans une
phase d’apprentissage. La distance est trop courte pour frapper très vite
et l’attaquant ne doit pas chercher à toucher en contrant lui-même la
parade. Le défenseur ne doit pas non plus attendre l’attaque : en combat,
celui qui se sent menacé peut frapper préventivement ! C’est toujours à
une parfaite simultanéité que doivent tendre les deux pratiquants après
quelques secondes de subtile communication ou en enchaînant
plusieurs mouvements…
Répétez bien sûr l’exercice durant quelques minutes en vous protégeant
de la même main ou en alternant droite et gauche, puis en vous
déplaçant naturellement sans chercher à surprendre le partenaire.
Et n’oublions pas de distinguer le mouvement de défense qui nous
amène derrière l’attaquant que nous souhaitons esquiver, et le même
mouvement qui nous permet de « prendre le centre » afin de contrer le
partenaire ou de le projeter.
Le kata de l’esquive
Vous avez découvert, dans la séquence précédente, comment esquiver
« en entrant » de façon à vous retrouver derrière l’attaquant tandis que
s’achève sa frappe… de la main ou du pied.
Lorsque deux partenaires sont prêts à se ruer l’un vers l’autre – fut-ce
au ralenti – deux possibilités peuvent donc se présenter : soit ils ont tous
deux le même pied en avant, soit ils sont « pieds contraires », en miroir.
Comme il faut nous glisser dans le dos de l’attaquant pour esquiver dès
que s’ébauche sa frappe, une règle évidente s’est dégagée :
Lorsque nous serons même pied en avant : la défense « de
l’intérieur » s’impose ; pieds contraires : c’est la défense « de
l’extérieur ».
Il nous reste à systématiser cet apprentissage. L’attaquant va
successivement attaquer (circulairement, ce sera plus lisible pour son
partenaire) de la main droite – il a avancé préalablement le pied gauche
– puis gauche, comme dans notre tout premier exercice « se couper la
tête ».
Le défenseur s’est également positionné pied gauche devant en reculant
le droit. Il va réaliser une défense « de l’intérieur » avec sa main avant,
soit la gauche, en propulsant le pied gauche derrière l’attaquant lorsque
celui-ci frappe de la main droite. Après s’être croisés, tous deux
pivotent sur le pied avant sans se quitter des yeux et se retrouvent
« pieds contraires ».
Sur l’attaque portée par la main gauche, le défenseur doit réaliser une
parade « de l’extérieur », toujours de la main gauche.
De façon à changer ensuite de côté, et pour encourager son partenaire à
effectuer de grandes attaques, le défenseur recule largement sur la
troisième frappe. Tous deux sont, alors, pied droit devant, et le
défenseur va réaliser sur les deux attaques suivantes une défense « de
l’intérieur » puis « de l’extérieur » avec sa main droite avant d’effectuer
un second pas en arrière et de revenir à l’attitude initiale.
Cette approche semblera très artificielle, fastidieuse, à celui qui
revendique de bouger librement pour s’autoriser une riposte spontanée.
Notre volonté est d’acquérir une technique rigoureuse, d’éliminer
tout geste et déplacement inutiles.
C’est une telle recherche d’« économie » qui génère l’efficacité
ambitionnée.
Nous pouvons considérer cet enchaînement comme le kata (forme
imposée) le plus fondamental : six grandes attaques se sont succédées
(droite, gauche…) tandis que le défenseur a effectué les deux parades
de la main gauche suivie d’un pas en arrière, puis les deux parades de
la main droite et un second pas en arrière. Les rôles peuvent alors
s’inverser.
Travaillez sans relâche ce kata, d’abord temps par temps sans vous
rigidifier, en marquant une légère pause et en achevant au maximum
votre déplacement ; corrigez chaque fois votre attitude : genou avant en
flexion maximale, pied arrière en poussée sur la pointe, bassin de face,
pieds non croisés, tronc droit… Soyez exigeant en vérifiant tous ces
points et ne perdez pas le contact l’un avec l’autre.
Alterner les deux défenses face à un partenaire qui frappera « droite
puis gauche » est un exercice qui ne sera jamais trop répété. Il se prête
à toutes les attaques, directes ou circulaires, du poing ou du pied, et
nous conditionne à anticiper pour entrer dans le dos de l’attaquant et
prendre le centre du mouvement.
Et si maintenant notre partenaire reproduit les quatre attaques
systématisées dans la quatrième séquence (Droite – droite – Gauche –
gauche), le défenseur découvrira naturellement qu’il alternera défense
« de l’intérieur », puis deux fois « de l’extérieur » et enfin « de
l’intérieur »
Lorsque l’attaquant s’autorisera ensuite à frapper librement, à pivoter,
après une attaque, sur le pied avant ou à changer de pied, le défenseur
ressentira spontanément le sens de l’esquive et la défense appropriée.
Ce sera notre forme de combat privilégiée.
Lors des exercices d’attaques réciproques, chacun a esquivé en
frappant. Nous voyons maintenant qu’il nous faut, lorsque les attaques
seront franches et dynamiques, imposer les rôles sinon nous tomberions
dans la confrontation brutale et de sérieuses lésions seraient inévitables.
Évitez cependant de tergiverser : « Tu attaques ? Bon, c’est mon
tour… » Après vous être salués, dès qu’un des deux partenaires avance
un pied et se dispose ainsi à assumer le rôle d’attaquant, l’autre a reculé
tout en amenant le poids du corps sur sa jambe avant.
J’insiste encore sur ce point : trop souvent les élèves négligent ce
préambule. Il est toujours plus facile de travailler mécaniquement, sans
conviction. Vous devez considérer, dès l’entame de la pratique, qu’un
réel danger se précise, que vous preniez l’initiative d’avancer pour
préparer une offensive, ou de reculer en demeurant prêt à bondir
derrière le partenaire.
L’assaut commence à l’instant où nous percevons le regard de notre
partenaire ; il s’achèvera seulement quand les pratiquants se
stabiliseront en vue d’un salut final.
Les différentes amenées au sol ou projections, une fois comprises,
seront exécutées dans le cadre de cet enchaînement fondamental, après
quelques esquives pour que la technique intervienne plus naturellement.
Le coup de pied circulaire
Nous avons découvert le grand coup de pied « de face ». Si votre
partenaire est positionné latéralement ou si vous avez anticipé son
esquive, la frappe du pied sera plus circulaire.
Petite parenthèse à l’intention des karatékas : je ne préconise pas
l’apprentissage des autres formes de frappe du pied (yoko géri, mawashi
géri, ura mawashi, ushiro géri) car ces techniques, spectaculaires et
nécessitant une souplesse particulière, ne permettent pas d’ « entrer »
avec tout le corps et de poursuivre immédiatement un partenaire qui
reculerait ; elles seraient insuffisantes dans l’éventualité où un second
attaquant nous menacerait simultanément par derrière, a fortiori en cas
d’encerclement. Je suis particulièrement critique vis-à-vis de l’ura
mawashi affectionné par les compétiteurs qui tournent le dos à leur
adversaire en pivotant sur leur pied avant afin de frapper sans retenue
du talon arrière ! Cela aboutit régulièrement à un K.O lorsque le
partenaire est sur la défensive et n’entre pas dans le dos qui lui est
présenté.
C’est l’occasion de préciser – mais vous l’avez sûrement compris – que,
en l’absence de tout esprit de compétition…
Il est hors de question de miser sur une erreur de l’autre,
d’exploiter un quelconque point faible, pour l’emporter à son
détriment. Nous avons besoin de partenaires qui travaillent
correctement pour progresser sur la Voie.
Et dans un sain esprit sportif, ne vaut-il pas mieux améliorer son temps
personnel en étant « tiré » par un meilleur coureur plutôt que de profiter
de sa chute et d’arriver premier avec un temps médiocre ?
Quelques exercices préparatoires à l’exécution du coup de pied
circulaire :
- Assis, le genou est amené à l’épaule comme pour la technique
précédente mais les mains, par l’intérieur de la jambe, viennent saisir le
talon pour l’amener, avec insistance, le plus près possible du front.
- Seule la main correspondante supporte le talon et l’entraîne à venir
frapper latéralement l’autre main placée devant les yeux.
- Si on dispose d’un bon sens de l’équilibre, l’exercice est reproduit
debout.
- La frappe du pied est censée traverser latéralement le partenaire qui se
trouverait devant soi. Vous allez donc vous exercer à frapper son épaule
lorsque vous êtes tous deux « même pied en avant », positionnés à angle
droit : considérez que la cible est devant vous et que le point
d’aboutissement est l’épaule qui vous est présentée. Prudence : si le
partenaire a le réflexe de se protéger du coude, le heurt au niveau du
tibia sera douloureux. Par ailleurs, celui qui frappe doit « mesurer » sa
force : si l’épaule ou la fesse peuvent « encaisser » sans dommage, il
faut veiller à ne pas toucher au niveau des côtes flottantes ou de la tête.
Notons encore que le débutant a tendance à frapper devant lui, de bas
en haut : se rappeler le premier exercice – le talon passe près de sa
propre tête, genou fléchi vers l’extérieur – et la frappe s’effectue
latéralement dans un cercle quasi horizontal.
Vous pouvez maintenant reproduire les différentes attaques du pied ou
de la main arrière, réciproquement, en croisant votre partenaire face à
face. Grands coups de poing, « se couper la tête », frappes du pied…
vont se succéder librement à condition d’alterner droite et gauche, en
amplifiant vos déplacements et sans vous stabiliser ni porter un instant
le poids du corps sur la jambe arrière.
La roulade avant
Si nous disposons de tatamis… et d’un minimum de souplesse, il serait
temps d’aborder, très posément, la roulade avant. Dans l’apprentissage
du combat sans arme, rappelons qu’il nous faut, en effet, opter entre
différentes solutions :
- Les coups sont portés réellement et occasionnent des lésions plus ou
moins importantes en fonction des règles adoptées : par exemple, les
attaques « sous la ceinture » seront prohibées.
- Les frappes doivent être stoppées juste avant l’impact, pratique certes
plus respectueuse de l’intégrité physique du partenaire, mais frustrante
car elle ne permet pas à la technique de s’exprimer pleinement. Cette
option se révèle particulièrement paradoxale lorsque le compétiteur
assommé est déclaré vainqueur, son adversaire étant disqualifié pour
« manque de contrôle » !
- Autre possibilité : les frappes ne sont pas inhibées, mais les pratiquants
sont casqués et portent diverses protections. On assiste alors à un
déferlement de violence qui se solde malgré tout par de sérieux
traumatismes. Le corps humain est fragile et une onde de choc peut
affecter gravement le cerveau : encéphalite des pugilistes, maladie de
Parkinson, décollement de la rétine… sans parler des hématomes à
répétition. Les adeptes du football américain ont finalement dû
reconnaître les effets délétères des commotions cérébrales. Tout sport
est censé être bénéfique pour la santé ; devons-nous considérer que la
boxe est un « noble sport » ou une pratique négative, voire criminelle
quand le K.O n’est pas accidentel mais recherché ? À chacun de juger…
Il nous reste une dernière solution :
Ne frapper « à fond » qu’une fois la confiance en la capacité
d’esquive du partenaire établie ; contre-attaquer en ébauchant une
frappe mesurée ou avec une projection souple dans la mesure où
elle sera acceptable pour le partenaire maîtrisant l’art de la chute…
Les débutants aborderont l’étude des roulades avec beaucoup de
prudence et j’ai déjà signalé que cette compétence n’est pas
indispensable.
Les karatékas prennent volontiers prétexte de l’absence de tatamis pour
négliger cet apprentissage. Ils ont oublié que, dans son ouvrage
fondamental, Gichin Funakoshi décrit des projections !
Par contre, dans la majorité des cours de judo ou d’aïkido, chuter et se
relever absorbe une grande part de l’énergie des pratiquants. Or
l’essentiel n’est pas là. Il vaut mieux répéter dix fois l’entame d’un
mouvement avant de le conclure par la projection. Il est également
regrettable que de tant de seniors renoncent à poursuivre car, l’âge
venant, l’ossature se fragilise et les chutes violentes sont à proscrire.
Le plus important est de pressentir et d’amorcer une technique correcte.
Accélérer ensuite le mouvement de projection éventuel et forcer la
chute du partenaire, c’est encore se laisser dominer par son ego. Comme
le défenseur doit se contenter d’accompagner l’attaque lorsqu’il
ébauche une projection avec un partenaire qui préfère éviter la roulade,
ce dernier acceptera le déséquilibre sans se bloquer et se redressera
après quelques pas.
Nous avons déjà découvert la roulade arrière dans la séquence 6.
Reprenons celle-ci pour échauffer nuque et épaules. Le mouvement va
ensuite s’inverser très lentement et la roulade avant est réalisée en
suivant le même chemin. Ne brulez pas les étapes : épaule et clavicule
sont fortement sollicitées.
- Debout, vous avancez un pied, déposez les genoux au sol, tournez la
tête vers le genou arrière : le bras avant vient en cercle entre les genoux
et vous invite à rouler lentement sur l’épaule.
- Même départ, mais la main arrière saisit le poignet avant et la chute va
s’effectuer tout au long du bras avant ; l’épaule ne doit pas ressentir de
choc. La roulade va ainsi s’amplifier progressivement.
Après quelques semaines d’entraînement, si vous n’êtes pas
particulièrement raide, la chute avant s’effectuera dans l’instant où vous
achèverez une grande attaque : tout le corps se mue en roue et le contact
avec le sol se déroule le long du bras avant, en oblique dans le dos, de
l’épaule à la hanche opposée. Le pratiquant se redresse dans le même
mouvement et peut enchaîner une nouvelle roulade ou toute autre
technique.
Le brise-chute, propre au judo, permet d’absorber l’onde de choc mais
oblige le pratiquant à se rigidifier en frappant le sol, ce qui met fin à
l’assaut et ne se prêtera pas aux enchaînements que je vous proposerai.
Nous l’envisagerons cependant lorsque nous étudierons les projections
par-dessus la hanche.
Séquence 9
Reculer
Beaucoup de techniques d’auto-défense sont réalisées alors que
l’attaque s’achève. Le défenseur a reculé et l’attaquant se stabilise, prêt
à subir, dans un second temps, la clé, la contre-attaque voire la
projection. Une telle pratique ne correspond pas à nos principes.
Cependant, notre forme fondamentale de combat – l’un attaque sans
discontinuer, l’autre esquive en entrant – risque d’engendrer un autre
défaut : souvent l’attaquant, dans son désir de poursuivre son partenaire,
raccourcit ses frappes et pivote trop rapidement. Il est alors intéressant
que le défenseur s’autorise à effectuer ponctuellement un grand pas en
arrière pour inviter l’attaquant à enchaîner « droit devant ». Mais à peine
a-t-il déposé le pied derrière lui que le défenseur doit immédiatement
propulser le pied avant dans une nouvelle esquive : reculer et maintenir
une position de retrait seraient suicidaire face à un adversaire qui se
ruerait sans réserve sur soi !
Entraînez-vous donc à réaliser un grand pas en arrière suivi
instantanément d’une défense avant, d’un côté puis de l’autre ; ensuite
face à votre partenaire qui enchaîne deux frappes, éventuellement de la
même main s’il a « gagné la distance ». Le poids du corps doit toujours
être supporté essentiellement par la jambe avant. Evitez surtout
d’osciller d’arrière en avant.
Reproduisez enfin, à vitesse modérée mais sans temps d’arrêt, sur
attaques alternées droite-gauche, notre kata de base : parade de
l’intérieur, parade de l’extérieur, un grand pas en arrière suivi
instantanément de la parade intérieure de l’autre main…
« Entrer pour retourner l’énergie »
La contre-attaque la plus radicale est la plus simple : alors que
l’attaquant effectue un grand pas pour frapper de son poing arrière, le
défenseur se fend davantage en glissant son pied avant à sa rencontre et
les forces s’additionnent lorsque l’attaquant, tandis que ses pieds se
croisent, vient « se planter » sur le poing avant du défenseur !
Nous ne pouvons nous entraîner de la sorte. Pour ne pas se blesser, bien
sûr, mais aussi parce que l’attaquant hésitera à frapper franchement s’il
sait qu’il peut être contré durement. Le défenseur peut cependant
anticiper la grande attaque pour la contrer de la main avant en exécutant
avec celle-ci une frappe du revers qui frôlera la tête de l’attaquant.
Avec un partenaire attaquant lentement ou doué d’une grande
flexibilité, vous pourrez aussi « entrer en retournant son énergie »
contre lui, mais cette technique nécessite une grande disponibilité du
partenaire si nous ne voulons pas que le contact soit brutal au niveau de
sa gorge, du nez ou de sa nuque.
Première approche sur une simple saisie du poignet « du même côté »,
par exemple de la main droite saisissant le poignet droit du défenseur.
Tandis que la main saisie absorbe la poussée, le pied arrière se désaxe
en s’écartant légèrement sur la gauche. La main droite monte en un
large cercle pour frôler la tempe de l’attaquant et retourner sa poussée
contre lui. Simultanément, la main gauche est descendue dans le bas de
son dos et accompagne son déplacement pour accentuer le
renversement de l’attaquant. Le pied droit s’est propulsé derrière celui-
ci et tout le flanc du défenseur le bouscule souplement : il va rouler en
arrière, sur l’épaule gauche.
Effectuée de cette façon, sur une saisie relativement statique, la
projection n’est pas très convaincante. Mais si le partenaire se lance
vigoureusement dans l’assaut, avec un grand coup de poing, le
« retourner » sera efficace et violent ! La plus grande prudence s’impose
donc. Surtout ne pas forcer la tête à basculer brutalement en arrière : le
bras doit inviter l’attaquant à regarder vers le haut et le déséquilibre doit
être principalement provoqué par la poussée de la hanche. Ne jamais
surprendre un partenaire avec semblable technique, ce pourrait être au
détriment de ses vertèbres cervicales !
Lors d’un combat sportif, chaque protagoniste cherche à
surprendre l’autre pour le vaincre. Les pratiquants d’une voie
martiale, lorsqu’ils arrivent à se ressentir parfaitement, agissent
sans frein avec une véritable jubilation.
Des précautions s’imposent donc : l’attaquant a tourné son visage vers
le défenseur ; l’avant-bras de celui-ci enveloppe sa tête en évitant les
yeux et le nez ! La collision n’est pas vraiment frontale : il n’est pas
question de bloquer l’assaut en repoussant l’attaquant, mais de
retourner son énergie en un mouvement de vague qui l’enveloppe puis
le renverse.
L’attaquant aura aussi tendance à se freiner dans son assaut ; il doit
accepter le déséquilibre en prolongeant son avancée alors que son buste
bascule.
Nous avons vu qu’il peut se retenir à l’épaule de son partenaire avec la
main qui portait l’attaque, reculer le pied « côté partenaire » et déposer
le genou au sol avant de rouler sur l’épaule opposée.
Comme en amour, vous ne pouvez réussir seul ! Cherchez chacun
à parcourir les deux-tiers du chemin.
Réalisée au ralenti, cette technique ne révèle pas toute son efficacité :
le défenseur a le sentiment d’être trop loin et il doit effectuer un second
pas glissé pour que sa hanche établisse le contact. Une fois le
mouvement analysé, je vous suggère de l’exécuter après quelques
allers-retours de plus en plus rapides. Sa réussite dépend et de la
capacité du défenseur d’anticiper et d’entrer franchement sur l’attaque,
et de la sincérité de l’attaquant qui se jette sous le bras. Si son
déplacement est très dynamique, il devra effectuer un brise-chute
(séquence 13).
Soyez prudent si vous exécutez une technique aussi directe après
quelques esquives sur un partenaire qui ne s’y attend pas : il vaudra
mieux le laisser passer sous le bras en le décoiffant à peine plutôt que
de le « retourner » au détriment de son visage ou de sa nuque !
« Retourner l’énergie en pivotant »
La projection que nous venons de découvrir pourrait être moins positive
mais plus dynamique, soit que nous soyons quelque peu débordé par
l’attaque, soit que nous ressentions un autre danger derrière nous.
Tandis que notre main avant renverse la tête de l’attaquant et que notre
main arrière l’accompagne dans son assaut en le poussant sous notre
bras, nous tournons sur le pied avant et le reculons en achevant le pivot
de 180°. Le partenaire est ainsi amené dos au défenseur et chute en
arrière vers celui-ci.
Fluide comme l’eau
Si vous maîtrisez l’art de chuter et si vous disposez d’une surface
suffisante de tatamis, développez votre disponibilité et votre capacité
d’anticiper la projection en poursuivant votre partenaire sans qu’il n’y
ait de contact physique : celui-ci doit vous « capter » et induire diverses
projections sans ruptures, comme si vous étiez reliés par d’invisibles
forces…
Il s’agit d’un exercice efficace pour développer la « sensation de
l’autre », la communication. Ne nous illusionnons pas sur la
mystérieuse capacité de certains experts qui frappent ou projettent sans
toucher : ils démontrent ceci avec un partenaire parfaitement
« connecté ». Le pratiquant et l’agresseur qui ne le seraient pas
subiraient un contact physique bien réel !
Séquence 10
Vers l’assaut libre
Vous avez acquis une certaine connaissance des diverses attaques, de la
main et du pied, ainsi que le sens de l’esquive et, peut-être, l’art de
chuter. Le plus difficile, maintenant, sera de multiplier librement les
frappes à vitesse très modérée, mais en conservant l’amplitude d’une
attaque totale qui bousculerait complétement le partenaire.
Le « bon » attaquant n’est pas celui qui va réussir à « marquer » un
adversaire, mais celui qui, comme le défenseur, chercher à anticiper son
partenaire et est également capable de freiner son mouvement offensif,
sans le bloquer, si l’esquive est tentée du mauvais côté, de façon à
repousser le défenseur et à lui permettre de corriger son déplacement,
de trouver la bonne « porte » en évitant le heurt et la crispation qui
s’ensuivrait. Tout un programme !
Les personnes plus âgées, ou moins dynamiques pour quelque raison
que ce soit, peuvent sans problème partager cette recherche à un rythme
qui leur convient. Je demande d’ailleurs régulièrement à mes élèves
avancés de pratiquer lentement.
Tout un chacun a droit à l’erreur. Mais bloquer son mouvement, se
stopper dans son élan pour ensuite se corriger n’est pas la bonne
solution. Le pilote automobile ne corrige pas sa trajectoire après être
sorti de la route ! Il étudie éventuellement le circuit, cherche la vitesse
limite à ne pas franchir dans chaque tournant et ne recourt à ses réflexes
qu’en cas d’imprévu, pour le meilleur ou pour le pire ! Autrement dit,
l’exécution de chaque esquive, en particulier, doit être correcte, quitte
à se réserver un instant minimal d’analyse. La vitesse viendra
insensiblement et naturellement.
Il vaut cent fois mieux exécuter lentement le geste juste que de
tomber dans un pugilat informe !
Celui qui doit esquiver a compris qu’il ne doit pas attendre le
déclenchement de l’assaut, mais projeter la main et le pied avant dans
le dos de l’attaquant à l’instant où l’action devient inéluctable. Bien sûr,
le débutant s’autorisera à partir trop tôt, à prendre ainsi confiance tandis
que l’attaquant le poursuivra légèrement, développant la sensation de
traverser le point visé.
Jusqu’à présent, je vous ai imposé une pratique assez artificielle, le
moindre geste étant prescrit. Ces répétitions multiples et codifiées
doivent, en fait, être libératrices : une fois ces mécanismes de base
acquis, l’attaquant va pouvoir attaquer librement, de la main ou du pied,
du membre avant ou arrière, en alternant droite-gauche ou en
enchaînant du même côté. Si, après une grande attaque, il pivote sur les
deux pieds, il pourra, en effet, frapper à nouveau du même membre.
Et si, de surcroît, l’attaquant s‘autorise éventuellement à lancer une
attaque circulaire du membre arrière en pivotant de 360°, toutes les
situations possibles vont se présenter et obliger le défenseur à s’adapter
dans l’instant pour prendre le centre de l’action.
Les déplacements seront généralement très amples, puis, parfois,
l’attaquant frappera « plus court »… Parfois le défenseur, en pivotant,
changera de pied de façon à ne pas toujours forcer sur le même genou,
ou il se risquera à effectuer un large pas vers l’arrière pour,
immédiatement, entrer à nouveau dans le dos de l’attaquant qui aura
enchaîné plus rapidement une nouvelle frappe…
Si votre condition physique vous le permet, il vous faudra envisager de
pratiquer ainsi durant de longues minutes, avec de plus en plus de
pugnacité, jusqu’à ce que la fatigue soit telle que l’esprit ne puisse plus
analyser et que l’assaut se poursuive dans une sorte d’état second,
comme le marathonien qui arrive en fin de parcours, sans plus trop
penser ni réaliser, laissant à son corps le soin d’effectuer des
mouvements qui ne dépendent plus vraiment de soi.
Esquiver inlassablement sur une succession d’attaques sincères, ce fut
la forme d’assaut – très dur, car il y avait vraiment la volonté de toucher
– développée par le Maître Tesuji Murakami qui refusait les combats
propres au karaté de compétition. Les stages qu’il dirigea à Sérignan,
au Portugal, en Italie… sont restés dans les annales du karaté européen.
À l’époque, l’attaquant ne pouvait exécuter que de grandes attaques
directes du poing arrière. Si vous avez patiemment assimilé les diverses
leçons qui précèdent, vous devrez progressivement être en mesure de
maîtriser la même forme de combat, mais sur des attaques libres,
directes ou circulaires.
Enfin, de façon à conserver la même équanimité mentale, que l’on
attaque ou esquive, il sera important de parvenir à alterner les rôles sans
que cela n’affecte votre disposition d’esprit ni n’engendre le moindre
temps mort. Soit que le professeur le commande (Changez !), soit que
le défenseur, achevant une esquive, annonce lui-même : « J’attaque ! ».
Les diverses projections s’inscriront ensuite dans ce cadre. Notez que
la Spirale, en bloquant le partenaire au sol, met fin à l’assaut et ne se
prête pas à l’échange des rôles sans rupture. Par contre, cette technique
est réaliste, que l’attaquant frappe du membre arrière ou de la main
avant.
Les projections plus amples ne seront effectuées que sur les grandes
attaques invitant le partenaire à se donner dans un grand pas du pied
arrière. Il sera alors intéressant d’inviter le défenseur à ne pas se
stabiliser tandis que l’attaquant chutera : il le poursuivra de façon à
pouvoir attaquer à son tour tandis que son partenaire se redressera.
Pratiquer ainsi sans temps mort transmue le combat en un ballet
harmonieux, ce qui ne dispense pas de chercher à évoluer vers des
frappes de plus en plus sincères et des assauts sans concession.
Esquives sur attaques maximales
Nous avons beau penser, lorsque nous exécutons nos mouvements
offensifs, à « communiquer l’énergie maximale », c’est assez rarement
le cas pour des raisons évidentes : nous ne sommes pas en situation
d’une lutte à mort (heureusement) et nous ne pouvons pas, durant une
heure ou même seulement dix minutes, « tout donner » !
Il nous faudrait pourtant, même lorsque nous pratiquons « relax » ou au
ralenti, nous déplacer comme si les attaques étaient foudroyantes,
destinées à traverser le point visé et, donc, prolonger notre grand pas
d’un ou deux pas glissés.
Vous avez dû, jusqu’ici, esquiver des centaines de fois votre partenaire.
Après quelques pivots vous l’avez projeté en utilisant différentes
techniques. Quelquefois, vous avez poursuivi l’assaut en attaquant à
votre tour…
Reprenons l’exercice le plus simple : votre partenaire effectue une
grande attaque et vous reculez largement, puis vous revenez tous deux
à votre point de départ pour reproduire l’aller-retour avec de plus en
plus de pugnacité et d’amplitude (Vas-y, essaye vraiment de me
toucher !)
Si, à un moment donné, vous esquivez en entrant pour pivoter et vous
stabiliser tous deux après avoir achevé votre mouvement, vous allez
constater que vous avez « perdu la distance » : votre partenaire est un
mètre trop éloigné et vous n’avez plus le contact nécessaire pour
poursuivre l’assaut sans temps mort !
Une solution : dès que le défenseur pivote – et tandis que l’attaquant
achève son grand déplacement – il effectue un grand pas pour aller
« chercher » l’attaquant, qui pivote à son tour, et enchaîner avec un pas
glissé du même pied et une nouvelle esquive !
L’intérêt de cet apprentissage est d’inviter l’attaquant à ressentir
jusqu’où devrait le porter une frappe totale… ou une chute vers l’avant
qui suivrait son attaque ; le défenseur, quant à lui, aura plus facile
d’anticiper l’attaque suivante et d’entrer franchement sur celle-ci s’il
« colle » à son partenaire et avance vers lui…
(L’utilité d’aussi grands déplacements se révélera aussi lorsque le
défenseur esquivera ou projettera quatre attaquants, mais n’anticipons
pas trop !)
Une nouvelle dimension s’ouvre ainsi et j’espère qu’un nombre
croissant de pratiquants franchiront ce cap : toute attaque doit amener
son auteur au-delà du défenseur. Si celle-ci est relativement courte, tous
deux pivotent simultanément ; si l’attaquant, imitant un agresseur
« enragé » qui jouerait son va-tout, explose davantage et prolonge sa
frappe sur deux ou trois pas, alors le défenseur doit l’accompagner pour
entrer instantanément sur l’attaque suivante…
Conserver la distance en adaptant spontanément ses mouvements
de défense aux mouvements d’attaques, ses déplacements à ceux du
partenaire, c’est alors véritablement « ne faire plus qu’un avec
lui ». Comment pourrait-il, dès lors, vous toucher ?
Des étapes intermédiaires s’imposent :
- au départ de l’attitude « même pied en avant », l’attaquant va alterner
de grandes attaques droites et gauches, en prolongeant chacune de deux
pas avant de pivoter. Le défenseur effectue sa parade « de l’intérieur »,
pivote et poursuit son partenaire d’un large pas pour enchaîner son
esquive de l’autre côté…
- de même, au départ de l’attitude « pied contraire en avant », l’attaquant
alterne ses grandes attaques tandis que le défenseur effectue la parade
« de l’extérieur », pivote et poursuit son partenaire d’un large pas pour
enchaîner son esquive de l’autre côté…
Pour améliorer la capacité d’adaptation du défenseur à la profondeur de
l’assaut, nous pouvons ensuite demander à l’attaquant d’alterner deux
attaques plus courtes suivies d’une grande attaque…
Ces diverses étapes doivent être travaillées au ralenti, sans temps
d’arrêt, toujours avec des mouvements amples et fluides, avant
d’autoriser l’attaquant à frapper librement tandis que le défenseur
anticipera, poursuivra éventuellement son partenaire, se risquera
parfois à un large recul avant d’esquiver immédiatement l’attaque
suivante.
Des yeux dans le dos
Un exercice simple pour améliorer, à deux, votre capacité de ressentir
le partenaire qui se trouve derrière vous : après vous être salués face à
face, adoptez lentement l’attitude de base tout en pivotant, dos à
l’attaquant, pied gauche devant comme lui, sans le perdre complétement
de vue, en mobilisant votre vision périphérique de façon à percevoir
tout mouvement de votre partenaire tout en regardant devant vous.
Si votre position est largement fendue vers l’avant, vous constaterez
qu’il est bien plus confortable de tourner la tête vers la jambe arrière
plutôt que de l’autre côté. Vous allez fuir la frappe en effectuant un
grand pas en avant et en tournant instantanément la tête pour
« récupérer » le contact avec votre partenaire. Ici également, nul n’a le
monopole de l’initiative du déclenchement de l’action. Après quelques
déplacements à vitesse variable, tous deux pivotent lentement et les
attitudes s’inversent…
L’esquive « arrière »
À un niveau supérieur, lorsque nous sommes attaqués par derrière ou
encerclés par plusieurs partenaires, il est intéressant de se réserver la
possibilité d’entrer sur une attaque se déclenchant dans notre dos pour
esquiver son auteur, voire le projeter.
Présentez le dos à votre partenaire. Après un ou deux déplacements
maintenant la distance comme ci-dessus, propulsez votre pied arrière en
pivotant pour entrer en esquivant. Cela sera aisé, avec une défense « de
l’intérieur », si vous étiez tous deux « pieds contraires ».
Si, au départ, vous avez le même pied en avant, le gauche par exemple,
pivoter vous exposerait à la frappe. Il vous faut pousser sur ce pied afin
d’amener le pied droit dans le dos de l’attaquant avant de reculer le
gauche pour vous retrouver face à lui lorsqu’il pivotera.
Un exercice – un peu spécieux, je vous l’accorde – consiste à esquiver
une série de frappes libres en restant dos au partenaire afin d’améliorer
votre capacité d’ « entrer » vers l’arrière.
Avec un partenaire devant vous et un autre attaquant derrière vous, il
vous sera alors loisible d’esquiver l’un ou l’autre, celui-ci reculant
ensuite pour que vous soyez à nouveau entre les deux…
Séquence 11
Projeter « en ouvrant la porte »
Cette projection est plus aisée à exécuter lorsqu’une grande attaque se
déclenche alors que les deux partenaires sont « pied contraires ». Si
l’attaquant propulse son poing droit, le défenseur effectue une parade
« de l’extérieur » de sa main droite, pivote sur son pied avant et
accompagne la frappe de son partenaire qui le dépasse légèrement.
Il suffira que le défenseur dévie l’attaque vers le bas, alors que son
partenaire n’a pas encore déposé son pied droit au sol, et pousse
légèrement de sa hanche le bassin de son partenaire pour déséquilibrer
celui-ci et induire sa chute avant.
Si la technique intervient au départ de l’attitude « même pied en avant »,
le pivot sera un peu plus complexe mais plus dynamique.
Exercice préliminaire : adoptez la position de base, pied gauche en
avant, poids du corps sur ce pied. Il s’agit de pivoter de 180° en
changeant de pied – le droit prend la place du gauche – tout en
conservant le poids du corps sur le pied avant. Se propulser vers le haut
constituerait une perte d’énergie ; il faut demeurer à la limite du
déséquilibre vers l’avant tout en changeant de direction. Le pivot est
reproduit quelques fois dans un sens puis l’autre.
Efforcez-vous ensuite de réaliser simultanément la grande attaque du
poing. Si vous êtes pied gauche devant, tout en pivotant, vous propulsez
le poing droit à l’opposé de votre position initiale, comme si le poing
vous traversait pour frapper « loin derrière ».
Les deux partenaires sont maintenant face à face, même pied gauche en
avant. L’attaquant va effectuer une grande attaque du poing droit avec
un grand pas du pied correspondant. Simultanément son partenaire a
pivoté en un saut et se retrouve à son côté, comme son ombre,
légèrement en arrière : tous les deux ont donc frappé conjointement
dans la même direction.
Une fois l’harmonie acquise, le défenseur, en pivotant, enfonce quelque
peu de sa hanche le bassin de son partenaire et prolonge la frappe de
celui-ci vers l’avant en une courbe descendante qui devrait induire la
chute en avant de l’attaquant si celui-ci est en plein mouvement…et
capable de chuter !
Attention donc :
- La main droite du défenseur accompagne la frappe et la dévie
souplement. Pas question de « casser la trajectoire » de celle-ci et de
forcer la chute !
- L’attaquant ne doit pas se figer et bloquer son propre mouvement ; s’il
n’est pas à l’aise pour rouler sur le bras et l’épaule, il retrouvera son
équilibre après quelques pas.
- Si la projection intervient après quelques esquives, l’attaquant ne doit
pas pivoter trop vite mais frapper comme si son partenaire reculait
largement (ce que celui-ci pourrait faire, comme fin de la séquence
précédente, pour vérifier la sincérité des attaques !) ; lui aussi doit
anticiper l’intention de son partenaire, accepter la projection et la chute
éventuelle.
Cette dernière réflexion nous permet de généraliser un principe que
vous avez sans doute déjà perçu :
Refuser l’esprit de compétition afin de progresser conjointement,
cela implique aussi, lorsque vous jouez le rôle de l’attaquant,
d’encourager votre partenaire à réaliser franchement sa défense.
Si je ressens son appréhension, je dois ralentir mon assaut, l’inciter à
bien entrer sur celui-ci et, si nécessaire, chuter de moi-même pour qu’il
perçoive mieux, en m’accompagnant, le mouvement de projection qu’il
doit réaliser.
Cette projection serait-elle efficace en cas de rixe, par exemple sur les
gradins d’un stade de football, au milieu d’une foule déchaînée ?
Vraisemblablement pas ! Nous étudions des techniques qui invitent le
partenaire à se donner totalement dans l’assaut : si l’attaque, la
projection et la roulade sont correctes, la réussite est commune. Ceci se
reflète lors des passages de grades : si le pratiquant invité à présenter
son travail ne dispose pas d’un partenaire ayant le niveau suffisant,
l’examen ne pourra être satisfaisant. À l’inverse, dans les fédérations
axées sur la compétition, le postulant sera heureux si ses concurrents
n’ont pas le même niveau et lui permettent d’accumuler les points !
Et si les techniques étudiées ne sont pas totalement transposables dans
le domaine de l’auto-défense, il est évident que…
Développer sa présence d’esprit, son ouverture envers autrui, sa
capacité d’esquiver et de se donner sans réserve dans une action
subite constituent, à plus long terme, la meilleure école pour
apprendre à se protéger d’une agression… ou d’un réflexe
malheureux !
Rappelons encore qu’une projection ne clôture pas nécessairement
l’assaut : il est particulièrement intéressant, alors même que l’on chute,
de chercher à demeurer en communication avec le partenaire. Celui-ci
ne se fige pas après la projection ; il se déplace, poursuit l’attaquant et
frappe à son tour dès que ce dernier se redresse…
Esquive entre deux attaquants
Abordons maintenant l’étude à trois. Il vous faut donc un second
partenaire jouant également le rôle d’attaquant. Si vous vous êtes limité
jusqu’à présent à pratiquer avec votre conjoint ou votre ado, il vous
faudra « former » une tierce personne : ce sera l’occasion de reprendre
tout ce qui précède et vous verrez que c’est parfois en tentant de bien
expliquer qu’on améliore sa propre compréhension ! Plus vous
partagerez, plus vous serez motivé ; je ne fonctionne pas différemment.
Si nous nous entraînons avec deux partenaires, ce n’est pas pour qu’ils
attaquent à tour de rôle, cela n’apporterait pas un intérêt
supplémentaire. Nous ne misons jamais sur une erreur ou une faiblesse
de l’autre : nos deux attaquants doivent donc se positionner et se
concentrer pour agir toujours simultanément.
Ne négligez pas le salut rituel. Le défenseur (désignons-le ainsi même
si, pour l’instant, il va « trancher la tête » de son vis-à-vis comme ses
partenaires) a, donc, un attaquant à sa droite et un à sa gauche ; il salue
devant lui en s’efforçant de les percevoir tous deux. La pratique vous
invite à « ouvrir votre horizon », à ne pas être obnubilé par un adversaire
particulier mais à demeurer disponible pour toute éventualité.
Le mécanisme de base sera plus facile à aborder si les trois pratiquants
frappent réciproquement comme pour notre toute première séquence. Je
dis « mécanisme » car il s’agit d’une systématisation des déplacements
qui nous permettra ensuite de nous libérer de telles conventions ; mais
restez concentrés et ne pratiquez pas mécaniquement ! Il nous faudra
examiner, une à une, toutes les situations possibles – les deux attaquants
frappent de la même main ou sont en position inverse ; ils vous
« encadrent » ou seront côte à côte – avant de lever progressivement
toute convention et de voir les assauts évoluer vers plus de spontanéité.
Trouver instantanément la réponse adéquate nécessite un long travail et
le mouvement parfait n’interviendra peut-être qu’une fois sur dix…
Tous trois se positionnent pied gauche devant ; le défenseur est alors
face à l’un et dos à l’autre (il n’a pas complètement perdu des yeux
celui qui est derrière lui : le regard du conducteur qui entame un
dépassement saute ainsi d’un rétroviseur à l’autre tout en gardant le
contact avec les véhicules qui le précèdent). Tous trois frappent
simultanément de la main droite en avançant. Le défenseur et
l’attaquant avant vont se croiser et pivoter : les deux attaquants se
retrouvent alors côte à côte, face au défenseur.
L’attaquant qui a été esquivé effectue un grand pas en arrière avec un
déplacement latéral de façon à se placer à son tour derrière le défenseur
lorsque celui-ci croise l’autre attaquant. Il nous faut bien adopter, dans
un premier temps, cette convention : les trois pratiquants se
retrouvent ainsi dans l’attitude de départ, mais les deux attaquants ont
inversé leur position…
Remémorez-vous ensuite l’esquive et la défense à deux : l’attaquant
alterne de grandes frappes droites et gauches. Le défenseur se propulse
derrière son partenaire en lançant main et pied avant et alterne défense
« de l’intérieur » et « de l’extérieur » ; il peut éventuellement, tout en
pivotant, changer de pied pour effectuer ses esquives en se protégeant
de l’autre main.
Reprenez maintenant à trois. Les frappes coordonnées vont être plus
franches et vont forcer le défenseur à esquiver correctement.
La règle « celui qui a été esquivé doit reculer » est nécessaire : si les
deux attaquants étaient libres de poursuivre leurs attaques ou de reculer,
il arriverait que tous deux décident de reculer, ce qui romprait l’assaut.
Après une série d’enchaînements fluides, les rôles s’échangeront pour
que chacun se retrouve entre les deux autres.
Sans doute serez-vous encore rebutés par la difficulté de mise en œuvre
du schéma proposé et tentés de le juger comme étant très artificiel
comparé à l’agression, dans une ruelle, par plusieurs malandrins.
Certes ! Notez seulement que ceux-ci ne coordonneront jamais
parfaitement leur action. Généralement l’attaque sera déclenchée par le
plus vindicatif tandis que ses comparses demeureront en retrait. Ceci se
vérifie aussi souvent lors des randoris d’aïkido : si les attaquants sont
multiples, ils n’attaquent jamais simultanément mais attendent plus ou
moins leur tour ou une ouverture dans leur direction. Notre étude
postule, au contraire, que les deux, trois ou quatre attaquants se
positionnent tous à bonne distance et frappent simultanément de façon
à ce qu’un même mouvement anime le cercle des attaquants et le
défenseur.
Notons encore que, une fois les deux attaquants positionnés côte à côte,
ils pourront par la suite attaquer conjointement quelques fois avant que
le premier esquivé ne décide de reculer largement pour « encercler » à
nouveau le défenseur, le but étant de développer la capacité
d’adaptation de celui-ci.
Projeter les deux attaquants
Lorsque les deux attaquants poursuivent ainsi l’assaut en restant côte à
côte, tous deux doivent chercher à toucher le défenseur. Celui situé à
l’extérieur du cercle de la double attaque devra alors revenir à
l’intérieur, quitte à bousculer légèrement son partenaire comme s’il
voulait l’évincer, de telle sorte que si la Spirale ou la projection étudiée
ci-dessus intervenaient sur le premier, le second serait semblablement
déséquilibré… A nouveau, c’est la qualité de l’attaque qui permet la
réalisation d’une belle défense, une double projection en l’occurrence.
Prudence seulement : il ne faudrait pas que l’un chute sur l’autre !
La double projection sera approfondie dans la séquence suivante.
Séquence 12
Esquive et défense avec deux attaquants
Vous devez évoluer au départ de mouvements très codifiés,
inlassablement répétés, vers une pratique libérée de toute convention.
Mais ceci doit se faire très progressivement et nécessite patience et
persévérance.
Une fois la synchronisation des déplacements acquise dans les exercices
qui précèdent, le défenseur va jouer pleinement son rôle en adaptant son
mouvement de défense et son esquive exactement comme réalisé
lorsque vous étiez face à un seul attaquant libre de frapper d’une main
ou de l’autre. En effet, les attaquants s’autoriseront à se positionner
« pieds contraires », à changer de pied lorsqu’ils pivoteront ou
reculeront, ou à conserver le même pied en avant. Le défenseur devra
donc ressentir, quasi instantanément, la direction de l’esquive suivante
et la défense correspondante.
Seconde possibilité : une fois revenus côte à côte, les deux attaquants
attaqueront conjointement une ou plusieurs fois avant que celui qui fut
esquivé décide de reculer pour « cerner » à nouveau le défenseur.
Lorsque les deux attaquants se retrouvent « même pied en avant » et
frappent côte à côte, celui qui est à l’extérieur de l’esquive doit, lui
aussi, chercher à toucher le défenseur même si son déplacement est plus
ample. À quoi bon avoir l’opportunité d’être attaqué par deux ou
plusieurs partenaires si ceux-ci ne cherchent pas à frapper sincèrement
et simultanément ! Et, bien sûr, cette situation, plus délicate, n’autorise
nullement le défenseur à pratiquer avec plus de fougue ou de vélocité
que ses partenaires. L’harmonie de l’ensemble ne doit jamais être
sacrifiée au profit de l’affirmation d’un seul.
Enfin, si les deux partenaires, côte à côte, se préparent à attaquer
ensemble et qu’ils ont tous les deux le pied intérieur en avant, le
défenseur ne pourra esquiver ni d’un côté, ni de l’autre : il devra se
frayer une porte de sortie en « entrant » entre les deux attaquants. Il
propulse toujours son pied avant vers le dos de ceux-ci et lance
simultanément ses deux bras, paumes vers le haut, pour écarter les
mains avant qui le menacent.
Double projection « en ouvrant la porte »
Avant d’appliquer sur deux attaques simultanées, par devant et par
derrière, notre projection « en ouvrant la porte », étudions posément un
« éducatif », un exercice préparatoire :
Les trois pratiquants sont à nouveau même pied en avant, disons le
gauche. Les deux attaquants se rapprochent et exercent une légère
poussée de la main arrière, la droite, sur l’épaule en vis-à-vis du
défenseur. Leur pied arrière peut être décollé du sol comme lors du
déclenchement d’une frappe. Le défenseur cède à cette double action
qui l’oblige à tordre le tronc ; il va alors, en un saut léger, pivoter de
plus de 180°, pied droit en avant, tandis que la main droite prolonge la
poussée du partenaire qui lui faisait face et que la main gauche tire le
second vers l’arrière. Les deux attaquants contribuent au mouvement et
chutent sur l’épaule droite.
Cette double projection est très difficile à réaliser après quelques
esquives, sur de grandes attaques. Mes recommandations :
- Il est impératif d’étudier, dans ce cas particulièrement, au ralenti, en
restant quelques secondes dans le mouvement, à la limite du
déséquilibre. Les attaquants pourront se retenir de l’autre main à
l’épaule du défenseur.
- Il est plus aisé de s’entraîner sur de grandes frappes s’abattant
simultanément de haut en bas.
- Les attaques doivent être correctes : si elles visent souplement la tête du
défenseur alors qu’il entame son pivot, les attaquants accepteront de se
déséquilibrer quelque peu latéralement et chuteront sur un axe oblique
par rapport à l’axe de départ.
Cette double projection n’est possible que si les deux attaquants sont
parfaitement synchrones et que, la distance entre eux étant courte, ils
arrivent ensemble au point d’impact. Mais si le défenseur entre
largement sur le partenaire avant et le projette en reculant le pied
opposé, il aura fui l’attaque du second qui enchaînera alors avec une
seconde frappe et sera projeté à son tour dans un second temps.
Nous voyons que les possibilités se multiplient : selon la disposition des
protagonistes, le défenseur pivotera deux fois dans le même sens, son
bras effectuant une rotation complète pour enchaîner les deux
projections « en ouvrant la porte » du même côté. Si le premier
attaquant a frappé d’un côté et que le second poursuit de l’autre côté, le
défenseur pivotera dans un sens puis l’autre sans le moindre temps
d’arrêt.
Les adeptes du sport de combat souligneront à nouveau le manque de
réalisme d’une telle pratique. Et nous leur rappellerons que l’art martial
est une idéalisation du combat : notre recherche postule une volonté
d’harmonisation des mouvements de chaque pratiquant. La dimension
esthétique de l’ensemble doit refléter la justesse d’exécution.
Répétez donc lentement jusqu’à ce que chaque geste éclose
naturellement, comme lors d’une course bien équilibrée.
Une fois l’harmonie acquise, il conviendra, alors seulement,
d’évoluer vers plus de pugnacité, sans jamais sacrifier l’état
d’esprit que nous voulons développer.
Séquence 13
Projection « la roue sur la main »
Les quatre techniques de projection étudiées jusqu’à présent – « la
spirale », « en retournant l’énergie », « en ouvrant la porte » et « en
passant sous le bras » – sont les plus fondamentales car elles nous
protégeraient d’une attaque arrière simultanée ou nous inviteraient à
sortir d’un cercle d’assaillants. Mais il est également intéressant
d’examiner des techniques moins positives qui vont enrichir votre
pratique et se combiner avec les premières.
Reprenons avec un seul partenaire exerçant une poussée de la main
arrière sur votre épaule avant. Simplement reculer le mettrait en
situation d’avancer et de vous dominer. Alors qu’il se dispose à faire un
grand pas du pied arrière, vous allez simultanément effectuer deux
petits déplacements : ramener votre pied arrière à côté du pied avant et
reculer celui-ci en oblique pour déposer le genou au sol. Ceci pourra se
réaliser en un pas sauté. Vos deux bras sont partis en cercle : la main
correspondante au pied qui recule déséquilibre l’attaquant comme dans
la projection précédente. Le partenaire a prolongé sa poussée en
avançant. L’autre main du défenseur accentue ce déséquilibre en
soulevant le genou arrière de l’attaquant (ne pas le jeter brutalement
mais l’accompagner dans sa chute en conservant le corps vers l’avant
de façon à se redresser alors qu’il arrive
au sol, comme pour poursuivre
paisiblement sa route).
La projection sera ensuite étudiée sur une
grande attaque, puis après quelques
allers-retours qui dynamiseront la
pratique. Même si la technique est moins
positive, veillez toujours à anticiper la
frappe et à « entrer », à « prendre le
centre » sous le partenaire en ramenant le
pied arrière avant d’écarter l’autre pied.
Projeter deux attaquants
Avec deux attaquants entourant le défenseur, au départ tous les trois de
l’attitude « pied gauche en avant », celui-ci pourra, en pivotant, projeter
de la main droite le partenaire avant tandis que celui-ci attaque de la
même main, et enchaîner comme ci-dessus en déposant le genou droit
au sol pour projeter le second attaquant qui aura poursuivi en frappant
de la main gauche.
Enfin, cet enchaînement gagnera en dynamisme si les deux projections
sont précédées de deux esquives pour enclencher l’action, le défenseur
effectuant sans discontinuer défense sur l’un, défense sur l’autre,
projeter le premier, projeter le second…
« La porte ouverte à deux battants »
Dans l’éventualité où les deux attaquants poursuivent l’assaut en
demeurant côte à côte, il est également possible de les projeter
simultanément en déposant le genou au sol. Exercez-vous d’abord sur
une poussée conjointe : le partenaire qui est à votre gauche est pied droit
en avant et pèse sur votre épaule de sa main gauche ; celui qui est à
votre droite se positionne inversement (ceci pour qu’ils risquent moins
de se heurter en chutant ; par la suite, cette double projection pourra être
réalisée sur toute attaque des deux partenaires à condition qu’ils soient
synchrones…et à l’aise pour chuter)
Le défenseur « entre » avec son pied arrière tout en reculant l’autre,
genou au sol, tandis que ses deux mains déséquilibrent les attaquants en
un mouvement circulaire descendant. Ceux-ci chutent le long du bras
exerçant la poussée.
Sur de grandes attaques, la
technique sera plus facile à
réaliser si les partenaires
frappent de haut en bas : le
défenseur fléchit au
maximum son genou avant
en ramenant le pied arrière.
Il lance ses deux mains
paumes vers le haut pour
aller cueillir les frappes et
les prolonger en les déviant
vers l’extérieur tout en reculant le pied (attention au talon des
attaquants si ceux-ci chutent trop latéralement !)
Une projection similaire peut être réalisée lorsque les deux attaquants
sont positionnés inversement : au lieu de se présenter « pied extérieur
devant » (celui qui était à votre gauche avait le pied droit en avant, celui
à votre droite, le pied gauche), ils sont « pied intérieur en avant » (dos
à dos) : le défenseur « entre » avec son pied arrière tout en reculant
l’autre, genou au sol, tandis que ses deux mains déséquilibrent les
attaquants en un mouvement circulaire soulevant le tibia des attaquants.
Il est relativement aisé d’effectuer une double projection lorsque les
deux frappes sont rigoureusement synchrones et que les deux bras du
défenseur réalisent un mouvement symétrique. La technique est
beaucoup plus difficile à réaliser si les deux attaques ne sont pas
parfaitement simultanées et identiques, a fortiori si les deux attaquants,
côte à côte, se présentent « même pied en avant » et frappent, donc, tous
deux du même bras !
Le brise-chute
Lorsqu’une projection est subie, une roulade souple nous permet de
nous redresser dans le mouvement et de poursuivre éventuellement
l’assaut, soit en enchaînant une nouvelle frappe sitôt sur pieds, soit, les
rôles s’inversant, en esquivant immédiatement l’attaque du partenaire.
Mais lorsque la chute est plus violente, il nous faut recourir au brise-
chute.
Cette étude n’est pas indispensable et nécessite de disposer d’un tatami
ou, à tout le moins, d’un tapis sur plancher.
Il s’agit d’amortir le heurt subi au sol en provoquant une onde de choc
suivant le principe de l’action-réaction. L’efficacité d’un atémi, d’un
coup frappé, résulte de la concentration d’une énergie maximale – tout
le corps explose dans l’action – sur une surface minimale – le poing
fermé, la base des orteils… Rappelons qu’une frappe semblable, portée
sans frein sur un point vital, pourrait peut-être causer la mort, mais aussi
handicaper à vie le membre assénant le coup !
Le brise-chute, au contraire, renvoie l’onde de choc générée par la
projection, le plat de la main frappant sèchement le sol tandis que le
pratiquant évite de solliciter les zones plus fragiles – la tête, le coude,
le poignet, le genou – en présentant la plus large surface possible, de
l’omoplate à l’extrémité de la jambe qui se raidit lors du contact avec le
tatami.
Première étape : allongez-vous sur le flanc droit, menton ramené sur la
poitrine, jambes non croisées ; frappez le sol une dizaine de fois, du plat
de la paume droite, en rebondissant, bras tendu écarté de votre hanche
d’une vingtaine de centimètres. Reproduisez-ceci à gauche.
Seconde étape : accroupis, bras en cercle, roulez le long d’un bras pour
frapper de l’autre le sol dès que l’omoplate se dépose. Ne frappez pas
trop tôt, ce serait au détriment de votre épaule.
Troisième étape : debout, pieds légèrement écartés, balancez
latéralement votre jambe et votre bras gauches tout en fléchissant de
plus en plus la jambe droite. Vous allez chuter sur le flanc gauche en
frappant le sol de la paume gauche. Ne posez pas la main pour vous
retenir – aïe, le poignet ! – et ne tombez pas sur le coude. La frappe de
la paume doit intervenir en même temps que l’arrivée au sol de
l’épaule ; et il vaut mieux frapper un peu trop tard que trop tôt !
L’exercice peut être reproduit avec le soutien d’un partenaire : si vous
empoignez son revers de la main droite, votre jambe gauche devra
progressivement monter plus haut que votre tête avant de frapper le sol
du bras gauche.
Avec un partenaire frappant du tranchant de la main, saisissez ce bras
en pivotant comme pour la Spirale et redressez-vous lorsque son autre
bras réalise le brise-chute.
Enfin, lorsque vous effectuerez votre roulade le long du bras avant, vous
pourrez de même vous raidir en arrivant au sol sur le flanc et exécuter
votre brise-chute de l’autre bras.
Si vous ressentez une gêne au niveau de l’épaule ou une écorchure du
coude, n’insistez pas, vous reprendrez ultérieurement. Il est nécessaire
de s’échauffer préalablement, de découvrir progressivement la
technique et, lorsque vous débutez, de ne pas vous propulser mais de
déposer genou arrière puis genou avant afin de rouler le plus lentement
possible de l’épaule à la hanche opposée.
Le brise-chute sera seulement utile lorsque vous subirez une projection
« de hanche », technique plus spectaculaire mais moins réaliste.
Séquence 14
Attaque, défense, projection… un même esprit
Vous avez découvert – et beaucoup répété j’espère – les techniques de
projections les plus réalistes, celles qui peuvent intervenir sur toute
grande attaque. Négligeons ici la Spirale, qui est une amenée au sol et
se clôt par une immobilisation, pour alterner « ouvrir la porte », « la
roue sur la main » et « retourner l’énergie ».
Efforcez-vous régulièrement à enchaîner attaques, esquives et
projections en alternant les rôles et en bannissant tout temps d’arrêt. Le
plus difficile est de ne pas se stabiliser après avoir projeté le partenaire,
mais de le poursuivre, de se déplacer de façon à l’attaquer à son tour
alors qu’il se relève et a dû, tout en chutant, conserver le contact, avec
vous.
Dans un véritable combat, nous avons souligné à suffisance que tout se
joue avant le premier mouvement et que celui-ci se veut décisif : « Un
coup, une vie ! ». Enchaîner les techniques durant quelques minutes
permet d’acquérir plus d’endurance et, surtout, d’éliminer toutes les
tensions qui précèdent l’assaut. C’est parfois à la limite de l’épuisement
que le geste le plus juste intervient, lorsqu’il n’est vraiment plus
question d’analyser, de prévoir ou de réagir. Le pratiquant est alors dans
un état second et peut être heureusement surpris du déroulement de
l’action, avec ce curieux sentiment d’être spectateur et non acteur :
l’ego s’est effacé et le geste juste a pu se réaliser. Ces instants magiques
entrevus, vous aurez perçu l’essence même de la Voie, le « lâcher
prise » propre à tous les arts imprégnés de l’esprit du zen.
« Retourner l’énergie » du premier attaquant
Nous avons vu, dans la séquence 8, qu’entrer sur l’attaque en
l’anticipant pour retourner immédiatement l’énergie du partenaire
contre lui est la technique la plus simple et la plus efficace, mais elle
nécessite une grande disponibilité du partenaire.
Appliquons cette technique avec deux attaquants. Il est toujours plus
simple de débuter au départ de l’attitude « tous trois pied gauche
devant », les deux partenaires se disposant à frapper de la main droite
et le défenseur se protégeant avec une parade intérieure gauche.
Cette main gauche va projeter le partenaire de face en le retournant en
un mouvement de vague, sa main droite le tirant hanche contre hanche.
Tandis que ce premier attaquant chute en arrière, le défenseur a tourné
la tête à droite, vers le second attaquant qui enchaîne avec une frappe
de la main gauche. Le défenseur ramène son pied avant en direction de
celui-ci pour immédiatement reculer le pied droit et projeter ce
partenaire en absorbant son bras ou sa nuque tout en reculant le genou
droit au sol.
« Retourner l’énergie » du premier attaquant en pivotant
Le défenseur peut également, en un pivot sauté, accompagner le
premier attaquant qui chute en arrière en le poussant de la main droite
pour projeter ensuite le second dans le même cercle.
Bien assimiler ces diverses formes au départ de la même attitude ; les
réaliser ensuite après quelques esquives pour améliorer dynamisme et
spontanéité, cela correspond à l’apprentissage du solfège. Trouver la
technique adéquate sur des attaques libres et foudroyantes, sans qu’il y
ait de heurt, équivaut à écrire une symphonie ! Il faut reprendre
l’exercice cent fois pour réussir peut-être une fois… et se dire encore
que la chance était sans doute au rendez-vous et que ce modeste succès
ne garantit aucunement que le mouvement suivant sera tout aussi
réussi ! Mais nous ne bouderons pas pour autant notre plaisir : une
pratique saine doit être source de joie et d’épanouissement. Lors des
compétitions sportives, pour un élu, les déçus se comptent parfois par
dizaines !
Lors d’un combat sportif, chaque protagoniste cherche à
surprendre l’autre pour le vaincre. Les pratiquants d’une voie
martiale, lorsqu’ils arrivent à se ressentir parfaitement, agissent
sans frein avec une véritable jubilation.
La Voie du sabre
Je vous propose maintenant un exercice pour effleurer modestement la
« voie du sabre », privilégiée au Japon, et mieux cerner la notion de « se
mettre en garde » avant l’action.
Prenez, votre partenaire et vous, un bâton quelconque, un manche de
brosse conviendra. Saisissez une extrémité à deux mains et, lentement,
amener simultanément votre arme au niveau de la gorge, à distance de
combat, pied avant du même côté que votre main du dessus : les deux
bâtons se croisent à une dizaine de centimètres de leur pointe. Réalisez
cette prise de garde très lentement et recommencez jusqu’à une parfaite
synchronisation.
Les deux armes s’appuyant l’une sur l’autre, chacun exerce ainsi une
très légère pesée latérale. Après quelques secondes, si l’un relâche
légèrement cette pression, l’autre n’a plus qu’à entrer avec son « sabre »
en un pas glissé pour toucher le poignet adverse et menacer la gorge de
son partenaire. Evitez, bien sûr, tout geste brusque en direction du
visage. Le but n’est certes pas de toucher l’autre mais de voir si l’action
offensive a suivi instantanément l’ouverture involontaire ou provoquée.
Et rappelez-vous que les sabres d’autrefois coupaient comme une lame
de rasoir : le moindre contact se soldait par une blessure et ouvrait la
porte à l’enchaînement mortel : « Un coup, une vie ! ».
Votre entrée est-elle naturelle ou le résultat d’une action réflexe ? Pour
bien comprendre, déposez votre bâton et prenez appui, d’un bras, sur
l’épaule de votre partenaire. Pesez franchement sur lui et décontractez-
vous. S’il recule alors de deux centimètres, votre corps le suit
immédiatement sans que vous ayez dû intervenir. C’est à la même
simultanéité, sans que cela n’affecte votre état d’esprit, qu’il vous faut
parvenir. Reprenez l’exercice…
Dans une seconde étape, l’un des deux va, au contraire, accentuer
imperceptiblement sa pesée latérale : son partenaire résiste puis,
soudain, relève vivement son bâton pour laisser passer la pointe de
l’autre et, dans le même temps, revient à son attitude initiale et touche
le poignet adverse comme pour le trancher …
Enfin, les deux partenaires vont rester « neutres » quelques instants ; ils
peuvent se déplacer lentement sans se quitter des yeux. Dès que l’un
relâche ou exagère la poussée qui maintient les deux pointes en contact,
l’autre doit entrer…
Dans un véritable combat, tout se joue avant l’assaut. À peine la
première action se déclenche-t-elle que tout est déjà dit !
Le jeu se complique si l’exercice n’impose pas les rôles : le partenaire
peut, par exemple, avoir le sentiment que votre pesée est trop forte : il
redresse sa pointe pour passer de l’autre côté et sabrer votre poignet…
mais à peine a-t-il relevé sa garde que c’est vous qui touchez son
poignet !
Et très vite vous prenez conscience du but de l’exercice : vous êtes
vraisemblablement retombé dans le piège de la compétition et du
réflexe, ou l’un a toujours voulu prendre le pas sur l’autre…
Découvrir que l’esprit doit se vider de toute intention, de toute
stratégie, qu’il vous faut évacuer toute émotion pour laisser le geste
« juste » éclore…
Vous n’y arriverez sans doute pas aisément, mais vous aurez saisi
l’essence de la Voie.
Séquence 15
« Le retournement du coude »
Les techniques négatives, effectuées donc en absorbant l’attaque, ne
conviennent pas en cas d’attaques multiples, mais elles sont
intéressantes face à un seul partenaire qui ne sera pas, dès lors,
conditionné à vous voir toujours « entrer » sur son mouvement et devra
demeurer face au défenseur qui aurait reculé.
Deux exercices préparatoires :
- Debout, face à votre partenaire, saisissez ses poignets et balancez les
bras de droite à gauche pour l’encourager à décontracter ses épaules et
à suivre votre mouvement. Effectuez ensemble, tandis que les bras
montent à la verticale, un grand pas latéral qui vous amène dos à dos.
Poursuivez avec un second pas dans la même direction en descendant
les mains de façon à revenir à votre position initiale. Reproduisez
quelques fois le déplacement avant d’inverser direction puis rôles.
- Votre premier déplacement vous ayant amenés dos à dos, celui qui a
saisi les poignets va charger, lentement, son partenaire sur son dos (si
la différence de poids n’est pas trop importante). Il doit tendre les bras
en fléchissant les genoux, pieds resserrés, genoux écartés, de façon à
descendre son postérieur sous celui du partenaire avant de se pencher et
de le tirer sur soi, tout en douceur pour voir si les épaules de celui-ci
supporte l’exercice. Soyez prudent pour votre dos respectif.
Vous avez tous deux repris l’attitude fondamentale, pied gauche devant.
L’attaquant va reproduire la grande frappe « couper la tête » de la main
droite, en avançant donc le pied droit. Le défenseur se protège toujours
de la main avant : celle-ci va « cueillir » l’attaque tandis que son pied
arrière se désaxe latéralement. Il recule largement en oblique son pied
gauche ; simultanément, sa main gauche accompagne la main droite de
l’attaquant qui se retrouve saisie par les deux mains du défenseur, les
pouces de celui-ci en opposition. Il s’agit d’absorber la frappe en
tordant le bras de l’attaquant dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre. Cette torsion oblige le partenaire à présenter son dos, dans
l’incapacité de poursuivre avec une frappe de l’autre main. La torsion
du poignet est accentuée par une entrée du coude sur le coude adverse.
Le défenseur ramène son pied arrière et pivote pour venir dos à
l’attaquant. Son mouvement se déroule ainsi en passant du poignet au
coude, puis à l’épaule, dos à dos comme dans l’exercice précédent,
l’autre épaule enfin : le défenseur tient alors le bras de l’attaquant
comme un sabre. En tranchant largement devant lui, il va retourner
l’énergie de l’attaquant contre lui et le forcer (gentiment) à déposer son
genou droit pour effectuer une roulade arrière.
Cette technique particulièrement doit être étudiée tout en décontraction,
en utilisant le minimum de force. Si l’attaquant n’est pas franchement
déséquilibré en arrière lorsque le défenseur passe sous son bras, il lui
serait loisible de pivoter également pour revenir au point de départ. Il
doit, au contraire, se prêter au mouvement, ne pas quitter des yeux celui
qu’il est censé agresser, d’autant que le défenseur pourrait durcir sa
technique…
Bien prendre conscience qu’il s’agit de collaborer pour que le
mouvement soit correctement réalisé et efficace sans tomber dans une
opposition quelconque : si l’attaquant tente d’échapper à la clé d’épaule,
le défenseur pourrait réagir en raccourcissant le cercle de la projection
au risque de causer une luxation !
Enfin, tout comme la « Spirale », le « retournement du coude » peut être
réalisé avec deux attaquants à condition que leurs attaques, parfaitement
synchrones, s’effectuent du même côté et que le partenaire situé à
l’extérieur accepte de se déséquilibrer en cherchant à toucher le
défenseur. Ici également, il faut veiller à éviter toute brutalité en
projetant l’un sur l’autre les attaquants.
À genoux, dos à l’attaquant : la Spirale
Dès notre seconde séquence, nous avons réalisé la Spirale à genoux,
face au partenaire. L’attaquant lance le poing et le pied du même côté
de manière à bousculer le défenseur si celui-ci esquive trop tardivement.
Si les deux pratiquants sont face à face, le défenseur pivote simplement
sur un genou et amène l’attaquant sur le dos ou sur le ventre.
Mais si le défenseur présente le dos et tourne légèrement la tête pour
deviner le déclenchement de la frappe, son déplacement sera plus
complexe. Supposons qu’il pivote vers la droite sur le genou gauche :
son épaule droite va à la rencontre de l’attaque qu’il ne peut esquiver.
Il lui faut donc pivoter dans le sens inverse des aiguilles d’une montre
pour déposer son genou droit à côté de l’assaillant. C’est, alors, ce
genou qui devient la « pointe du compas » et permet l’exécution de la
Spirale.
Une fois le mouvement décomposé, le défenseur s’efforcera d’effectuer
les deux pivots en un seul temps.
Le regard
Prenez le temps d’analyser votre regard. Il vous faut donc, lorsque vous
portez une attaque, visualiser un point au-delà de votre partenaire de
façon à atteindre celui-ci à l’apogée de votre mouvement. Cependant,
alors qu’il esquive, il convient de ne pas le perdre de vue au risque de
pivoter ensuite en lui tournant le dos. Souvent, le débutant frappe « droit
devant », comme s’il portait des œillères, en négligeant son objectif.
Mais chercher à toucher à tout prix, en retenant son attaque dans
l’attente du déplacement de l’autre, ne serait ni efficace – en combat,
l’adversaire aurait alors l’opportunité de frapper préalablement – ni
correct vis-à-vis du partenaire, d’autant que je suggère au débutant de
ne pas hésiter à prendre l’initiative de son esquive et de sa défense pour
être en confiance ; l’attaquant frappe alors franchement dans le vide
laissé par celui-ci.
Top tôt, ce n’est pas grave. Mais un petit peu trop tard et c’est
déjà trop tard !
Le regard est révélateur de la concentration, de la présence d’esprit. Ne
négligez pas l’exercice suivant : placez-vous à quelques mètres l’un de
l’autre et tenez votre index relevé au niveau de vos yeux. Si vous fixez
celui-ci, l’image de votre partenaire vous apparaîtra floue et dédoublée ;
inversement si vous portez votre attention au-delà de votre doigt, c’est
lui qui se dédouble.
À distance de combat, regardez le mur, deux ou trois mètres derrière
votre partenaire en portant le regard d’un côté à l’autre de celui-ci, puis
en le fixant. Votre vis-à-vis doit percevoir le mouvement des pupilles
et le moment où c’est lui qui est votre point de mire, lorsque vous passez
d’une vision périphérique à une vision centrée.
Regardez maintenant votre partenaire : dès que vos yeux se portent
ailleurs, il doit le déceler et ébaucher un mouvement vers vous avec la
même simultanéité que lorsqu’il pesait sur votre épaule et que vous
l’absorbiez. Il s’appuie sur vous mentalement et son mouvement suit
instantanément votre dérobade.
Plus difficile : lorsque vous fixez votre partenaire, laissez, après
quelques secondes, votre regard « errer » au-delà de lui, sans tourner les
yeux à droite ou à gauche, ce qui n’est pas facile. Il doit également
percevoir ce « flottement » de l’attention et le sanctionner
immédiatement d’un simple geste.
Seule une pratique assidue, avec des partenaires multiples, vous
permettra de tirer spontanément parti d’un tel exercice.
L’important est de prendre conscience des limites de ses propres
compétences et de découvrir comment les améliorer. Là est la vraie
victoire.
Séquence 16
Amener au sol « en passant sous le bras »
Découvrons cette technique en reprenant notre simple saisie du poignet
« du même côté », par exemple de la main gauche saisissant votre
poignet gauche tandis que la main arrière du partenaire vous menace.
Votre entrée du pied avant induit toujours l’esquive vers le dos de
l’attaquant. Simultanément, votre main droite s’est refermée sur le
poignet gauche du partenaire et vos deux bras effectuent une large
poussée vers le haut de façon à vous permettre d’avancer sous son bras.
L’attaquant vous poursuit pour frapper du poing droit en pivotant autour
de vous d’autant que la torsion subie par son poignet le force à venir à
votre droite. En accentuant cette torsion et en sabrant largement tandis
que le pied droit effectue un grand pas en avant, vous allez projeter votre
partenaire qui chutera sur l’épaule droite.
Il est également possible, tandis que l’attaquant revient vers vous, de
pivoter sur votre pied avant, face à lui, et de l’amener ventre au sol en
maintenant la torsion de son poignet et l’extension de son bras gauche.
Bien évidemment, lorsqu’il y a projection ou torsion d’une articulation,
il est indispensable d’étudier la technique très posément, sans crispation
ni mouvement réflexe qui risqueraient de blesser le partenaire.
A nouveau, effectuée de cette façon sur une saisie relativement statique,
la projection ou l’amenée au sol n’apparaîtront pas très réalistes. Mais
lorsque ces techniques seront réalisées après quelques allers-retours
invitant le partenaire à se lancer de plus en plus vivement dans l’assaut,
elles se révéleront douloureuses pour le poignet de l’attaquant. Il
conviendra donc d’effectuer une entrée franche en anticipant la frappe
suivante pour veiller ensuite à doser la clé subie par le partenaire et
ralentir la technique afin de l’achever harmonieusement.
Notez, enfin, que l’entrée que vous avez réalisée en passant sous le bras
de l’attaquant va vous permettre de découvrir une projection « de
hanche » plus spectaculaire qui obligera le partenaire à effectuer un
« brise-chute ». Tandis qu’il entame son pivot autour du défenseur,
celui-ci se cambre et l’amène dans le bas de son dos, le long de sa
ceinture. Le but n’est pas de le porter sur son dos mais de le faire
basculer par-dessus les hanches. Attention cependant : le défenseur a
saisi de ses deux mains le bras gauche de l’attaquant or celui-ci, en
basculant, doit chuter sur l’épaule gauche ! Il faudra donc lui laisser le
temps de présenter le bras droit que le défenseur supportera, après avoir
libéré le gauche, de façon à amortir la chute de son partenaire.
Prudence donc ! Les projections « de hanche », caractéristiques du judo,
obligent le défenseur à tourner le dos à l’attaquant. La technique décrite
ci-dessus est, au contraire, très positive, mais elle nécessite une bonne
anticipation du premier et un assaut dynamique du second qui devra
maîtriser le brise-chute.
La fulgurance d’une technique ne résulte pas de l’enchaînement
rapide de multiples mouvements, mais de la réalisation d’un geste
juste… juste au bon moment !
Les techniques les plus efficaces sont les plus sobres. Pour découvrir le
dénominateur commun à tous les arts japonais – pas seulement martiaux
– pratiquer le zen suffit : s’assoir en tailleur, le corps droit et se vider
l’esprit… Bien plus facile à exprimer qu’à réaliser ! Cette voie est la
plus ardue. Et même si « le zen et les arts martiaux ont la même
saveur » (Taisen Deshimaru) notre ambition est également, au-delà de
la dimension sportive, de mieux maîtriser nos potentialités physiques
et, donc, d’apprendre à bouger imperceptiblement ou à monopoliser
instantanément toute notre énergie lors d’un mouvement explosif.
Les techniques décortiquées jusqu’ici sont les plus fondamentales et, la
dernière exceptée, ne nécessitent pas de supporter de violentes
projections. Elles tolèrent d’être étudiées au ralenti et sont à la portée
d’un enfant de huit ans comme de l’octogénaire en bonne forme.
Nous pouvons cependant, pour ceux qui en ont la capacité, étoffer nos
projections avec l’aide d’un partenaire suffisamment souple et
expérimenté, ainsi pour « projeter par-dessus les hanches » qui
nécessite de saisir l’autre bras de l’attaquant pour qu’il puisse exécuter
son brise-chute.
Projection « la roue sur les épaules »
Remémorez-vous « la roue sur la main » : tandis que l’attaquant se
lance dans une grande attaque droite, vous avez ramené votre pied
arrière, le droit, à côté du gauche pour reculer celui-ci en oblique et
déposer le genou au sol. Vos deux bras sont partis en cercle : la main
correspondante au pied qui recule déséquilibre l’attaquant tandis que
l’autre main accentue ce déséquilibre en soulevant son genou arrière.
Si, maintenant, la tête du défenseur se glisse sous son partenaire, la
nuque prend le relais de la main : la chute de l’attaquant s’effectue dès
lors par-dessus les épaules du défenseur qui redresse le tronc.
Attention : comme dans le
mouvement précédent, celui
qui projette doit libérer le bras
qui porte l’attaque et saisir
dans le creux de son coude
arrière celui du bras gauche de
son partenaire afin de lui
permettre, tout en le
soutenant, de réaliser son
brise-chute du bras droit.
Il est nécessaire d’étudier cette
technique particulièrement en
marquant un temps d’arrêt une
fois le partenaire chargé sur les épaules pour bien réaliser le crochetage
des coudes, ce qui serait plus raisonnable avec un attaquant
sensiblement plus léger. Enfin, je conseille au défenseur de positionner
son pied arrière à plat dans l’éventualité où son partenaire, chutant trop
latéralement, atterrirait dessus !
Projeter le partenaire arrière : la Spirale
Reprenons d’abord avec un seul partenaire, dans le dos, qui exerce une
légère poussée sur les épaules. Si le défenseur avance largement un
pied, l’attaquant suit naturellement du même côté. Après quelques
déplacements synchronisés, le défenseur, s’il avance le pied droit,
pivote largement sur le gauche, dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre, en levant les bras au ciel, pose le pied droit (la pointe du
compas) à côté de l’attaquant et poursuit en effectuant une Spirale qui
amène cette fois l’attaquant sur le ventre, contre le genou droit du
défenseur. Lui laisser le temps de venir au sol et de tourner la tête vers
sa droite avant de subir une légère clé d’épaule.
Si l’attaquant, derrière, et son partenaire se positionnent maintenant
« pieds contraires », la Spirale s’effectuera de même très naturellement
sur une grande attaque : le défenseur a la tête tournée vers sa jambe
arrière ; il pivote dans cette direction et ramène le pied avant – ce sera
la pointe de son compas – à côté de l’autre pied tandis que sa main
arrière va cueillir l’attaque.
Ce sera plus complexe si les deux partenaires ont tous deux le même
pied en avant soit, par exemple, le gauche, l’attaquant préparant une
frappe du poing droit. Le défenseur va devoir se tordre en tournant la
tête dans l’autre sens et sauter en pivotant de façon à se retrouver face
à son partenaire, dans le cercle de son attaque ; c’est le pied arrière au
départ qui sera la pointe de son compas…
Dans tous les cas de figure, il convient d’anticiper l’attaque et d’aller à
sa rencontre pour la canaliser alors qu’elle se déploie ; jamais de la fuir.
Entre deux attaquants
Les recommandations précédentes s’appliquent, bien sûr, aux autres
formes de projection. Vous devez vous y exercer systématiquement en
effectuant d’abord deux ou trois aller-retour, dos à l’attaquant, avant de
pivoter vers lui.
Nous avons déjà noté que les quatre premières techniques de projection
étudiées – « la Spirale », « en retournant l’énergie », « en ouvrant la
porte » et « en passant sous le bras » – sont les plus fondamentales car
elles nous protégeraient d’une attaque arrière simultanée ou nous
inviteraient à sortir d’un cercle d’assaillants.
Si nous demandons à deux partenaires de nous attaquer simultanément,
un par devant, l’autre par derrière, la Spirale sera efficace car l’amenée
au sol d’un attaquant gênera l’autre et retardera sa seconde frappe. Cette
idée est souvent exploitée lors des randoris d’aïkido. Mais dans l’esprit
de notre démarche, l’intérêt de disposer de deux attaquants – voire trois
ou quatre – est de leur permettre d’attaquer franchement et de nous
mouvoir harmonieusement afin de canaliser leur énergie. Négligeons
donc la Spirale ainsi que les projections plus négatives qui ne nous
éloigneraient pas du second attaquant tandis que nous projetterions le
premier.
Entraînons-nous donc, avec deux attaquants, en entrant d’abord, vers
l’avant ou vers l’arrière, pour projeter un premier attaquant « en
retournant l’énergie », « en ouvrant la porte » ou « en passant sous le
bras ». Il nous sera alors loisible d’user d’une technique moins directe
pour projeter le second.
Séquence 17
Esquiver quatre attaquants
Deux attaquants, côte à côte, se présentent à la droite du défenseur et
deux à sa gauche. Après le salut commun, ils se positionnent pied droit
ou pied gauche devant. Le défenseur fait face d’un côté sans perdre
complètement de vue les deux attaquants auxquels il présente le dos. Il
doit anticiper comment esquiver soit vers l’avant, soit vers l’arrière.
Après cette première esquive, le défenseur se retrouve face aux quatre
attaquants et poursuit avec une nouvelle esquive, soit en passant à
l’extérieur du groupe des assaillants, soit en se glissant entre deux qui
seraient « pied contraire en avant » (revoir la séquence 13, p. 79)
Les attaquants enchaînent leurs frappes, mais l’un ou l’autre peut
décider d’effectuer un grand pas en arrière pour, à nouveau,
« encercler » le défenseur. Si, par hasard, tous les quatre devaient
reculer, l’harmonie serait rompue. Les attaques vont se succéder,
chaque protagoniste s’efforçant de conserver une distance correcte vis-
à-vis du défenseur…
Esquiver et projeter quatre attaquants
Nous avons découvert, au début de la séquence 13, sur deux attaques
simultanées, le bel enchaînement projeter l’un « en ouvrant la porte »,
puis l’autre en déposant le genou au sol, voyons toutes les étapes
possibles avant d’agir spontanément avec quatre partenaires.
Je précise bien l’objectif de ce travail : s’il s’agissait de se protéger
d’agresseurs nous encerclant, je préconiserais d’anticiper la première
frappe en entrant dans le dos de l’un pour fuir ou, à tout le moins, pour
sortir de l’encerclement. Mais le but de notre pratique est de développer
notre capacité d’adaptation instantanée et, donc, de parvenir pendant
une ou deux minutes à ce qu’un même mouvement nous anime tous
les cinq tandis que des attaques libres se succèderont sans discontinuer.
- Améliorez tout d’abord la décontraction de l’épaule en effectuant,
debout, des aller-retour, d’un côté puis de l’autre : votre bras décrit un
cercle vers l’avant puis revient en cercle vers l’arrière en un seul
mouvement.
- Le mouvement du bras est ensuite amplifié par le déplacement des
pieds : tandis que le bras projette vers l’avant, le pied opposé est
largement reculé ; lorsque le bras revient vers l’arrière, un pas croisé
amène le genou correspondant au sol.
- Après avoir projeté l’attaquant qui serait devant et son vis-à-vis, il
vous faudra entrer sur l’autre axe. Exercez-vous donc, au départ de
l’attitude pied gauche devant, à propulser votre pied droit vers le
partenaire qui vous menacerait sur votre flanc droit afin de le projeter
en reculant le pied gauche. Vous avez ainsi pivoté de 90°. Vous
ramenez le pied gauche pour reculer le genou droit au sol tandis que
votre bras droit repart vers l’arrière.
Cet enchaînement va se reproduire quatre fois. Vous aurez alors
réalisé un tour complet et serez revenu à votre point de départ.
Inversez votre attitude et reproduisez les huit mouvements de
projection en effectuant un tour dans l’autre sens.
- Exercez-vous ensuite à pivoter correctement quel que soit l’attitude
des deux attaquants. Vous acquerrez ainsi la liberté de projeter
d’abord l’un OU l’autre. Ceux-ci, suivant le cas, chuteront sur la
première ou la seconde attaque. (J’imagine que tout ceci est
relativement complexe à décrypter ; je suppose que les vidéos seront
davantage exploitables que l’écrit !)
- Vous êtes maintenant en mesure d’appliquer cette systématisation
avec quatre partenaires se positionnant à bonne distance de vous, aux
quatre points cardinaux. Dans un premier temps, commencez tous les
cinq « même pied en avant », disons le gauche : l’attaquant de droite
attaquera de sa main droite ; son vis-à-vis poursuivra d’une frappe
gauche. Chacun effectue un grand déplacement avant de pivoter afin
de libérer le centre pour permettre aux deux autres de se croiser à leur
tour, et chacun reproduit la même frappe après s’être déplacé pour
rester à hauteur du défenseur. L’action sera lente au départ puis les
assauts s’accéléreront jusqu’à ce que l’harmonie soit perdue, ce qui
arrive généralement assez vite ! Vous aurez ainsi tourné dans le sens
inverse des aiguilles d’une montre en passant quatre fois d’un axe à
l’autre pour effectuer un tour complet. L’exercice s’inversera au
départ « pied droit devant ».
Une fois ceci relativement maîtrisé, les attaquants seront libres
d’attaquer droite ou gauche ; le défenseur sera libre d’aller chercher
celui qui sera latéralement tourné vers lui ou celui qui sera dans son
dos, ce qui obligera les attaquants à s’adapter également à chaque
nouvelle situation…
Alterner les rôles
Rappelez-vous notre désir de conserver un esprit « indifférent », que
nous soyons attaquant ou défenseur, et d’appliquer ainsi le principe
« attaque égale défense ». Si le partenaire qui subit une attaque esquive
celle-ci (ou projette l’attaquant) pour immédiatement reculer, c’est le
second attaquant qui se retrouve encerclé et qui doit, instantanément,
renoncer à poursuivre son assaut afin d’esquiver lui-même sur l’autre
axe. Il pourra, alors, jouer un temps le rôle de défenseur pour, à son
tour, reculer après une dernière action de défense, laissant la place de
défenseur à un troisième…
Séquence 18
Aïki kata, le « Kata à cinq »
L’intérêt de cette étude est d’apprendre à esquiver et projeter quatre
attaquants qui, cette fois, se lancent simultanément à l’assaut. Y
parvenir sur des attaques libres est extrêmement difficile. Faites l’effort
de décortiquer les schémas de base qui suivent.
Les katas supérieurs de karaté sont bien plus abstraits et comportent des
mouvements ésotériques dont l’application échappe aux pratiquants,
d’autant plus que les attaquants sont imaginaires et que l’exécutant
réalise blocages et frappes sans l’indispensable communication avec
ceux qui le menaceraient. Les karatékas persévèrent pourtant, par
respect pour la Tradition de l’Ecole, à mémoriser des enchaînements
qu’ils ne reproduiront jamais lors d’assauts libres avec partenaire(s).
Le « Kata à cinq » est le kata par excellence, pour plusieurs raisons :
- Il permet de reproduire une forme déterminée, un assaut
conventionnel, autant de fois que nécessaire afin de maîtriser
l’enchaînement des techniques aussi parfaitement que possible.
- Il nécessite la participation de quatre partenaires jouant effectivement
le rôle d’attaquants.
- Ceux-ci doivent exécuter leurs frappes en parfaite simultanéité et,
donc, conserver une distance correcte, le partenaire plus grand ou plus
vif se positionnant plus loin de façon à ce que les attaques aboutissent
conjointement.
- A partir de l’attitude de base, le défenseur étant encerclé, toutes les
situations possibles pourront être méthodiquement étudiées, les
attaquants poursuivant correctement le défenseur ayant choisi la
direction de son esquive ou d’une projection.
- Si toutes ces possibilités étaient maîtrisées, le combat deviendrait
« libre » : seule l’exigence de maintenir la simultanéité des frappes
successives serait maintenue.
La progression que nous vous proposons doit vous apparaître cohérente
et libératrice ; elle mérite d’être analysée temps par temps et que vous
acceptiez les contraintes liées à toute démarche pédagogique. Si vous
avez persévéré jusqu’ici, cela ne vous posera pas de problème. Le
positionnement des attaquants est notamment justifié par le souci de
limiter le risque de se heurter lorsque deux chuteront simultanément.
Le défenseur est « encerclé » par quatre partenaires. Après le salut
commun, il recule le pied droit. Simultanément, sur son avant gauche
et son arrière droit, les deux attaquants ont avancé le pied gauche tandis
que sur l’autre axe, soit sur son avant droit et son arrière gauche, les
deux autres attaquants avancent le pied droit.
Pour coordonner leur premier mouvement et vérifier leur distance par
rapport au défenseur, les attaquants peuvent s’exercer à frapper
souplement une ou deux fois, tandis que le défenseur se contente de
s’accroupir et que les frappes se croisent au-dessus de sa tête. Ils
devront ensuite, conjointement, alterner leurs attaques, changer donc, à
chaque temps, de côté.
Durant l’instant qui précède l’assaut, le défenseur jette un regard
circulaire et visualise les quatre portes de sortie possibles. Il devra
s’entraîner dans ces diverses directions :
- Il lui est loisible d’esquiver vers l’avant droit en réalisant une parade de
l’extérieur de sa main gauche avant de pivoter de 180°sur ce pied et de
faire face aux quatre attaquants qui auront effectué une première frappe.
- Il peut esquiver vers l’avant gauche en réalisant une parade de
l’intérieur…
- … ou pivoter vers l’arrière en lançant pied droit et main droite pour se
glisser derrière le partenaire qui était sur son arrière gauche en réalisant
une défense de l’intérieur suivie d’un second pivot de 180°.
- Enfin, il peut se propulser en arrière en glissant son pied droit dans le
dos de l’attaquant qui est sur son arrière droit et reculer le pied gauche
pour se retrouver également face aux quatre attaquants qui auront
effectué leur première frappe.
Quelle que soit la direction choisie, après cette première esquive le
défenseur fait face à ses quatre partenaires. De gauche à droite, le
premier est alors pied droit devant ; le second, pied gauche ; le
troisième, pied droit et le quatrième pied gauche.
Cette disposition offre trois possibilités pour projeter simultanément
deux attaquants :
- Le défenseur va cueillir la seconde attaque des deux partenaires
centraux et les projette en reculant au sol son genou droit.
- Mais il peut également entrer pour accompagner le pied arrière des deux
attaquants extérieurs, soit à gauche ou à droite.
- S’il opte pour cette dernière solution, il se retrouvera ensuite face aux
deux derniers qui auront avancé côte à côte et qui seront projetés quand
le défenseur accompagnera leur quatrième attaque en déposant le genou
au sol.
Dans le cas contraire, après avoir projeté semblablement les deux du
milieu, il se retrouvera avec un attaquant à sa droite et un à sa gauche,
situation déjà envisagée…
Cette étude sera approfondie, à force de multiples répétitions, en jouant
sur diverses variables avant de se risquer à inviter les partenaires à
attaquer librement :
- Le défenseur reproduira quelques fois tout ce qui précède au départ
« pied droit en avant ».
- Les attaquants pourront, eux aussi, changer de pied, les deux en vis-à-
vis conservant le même pied en avant.
- Lorsque le défenseur, après une double projection, se retrouve entre les
deux autres attaquants, ceux-ci peuvent se positionner librement. Au
défenseur d’adapter sa stratégie, d’en projeter un pour, peut-être,
esquiver le dernier avant de tenter une projection plus sophistiquée…
Structurer un cours
La pédagogie orientale se base traditionnellement sur l’intuition et
l’imprégnation. L’essentiel n’est pas d’additionner des connaissances
de plus en plus élaborées, mais de « laisser le geste juste éclore
naturellement ».
Cependant les temps changent, oh combien rapidement !, et la mentalité
occidentale n’est plus ouverte à la relation Maître-disciple, à cette lente
osmose qui postule une confiance aveugle de l’élève. Avant de devenir,
pour quelques-uns, un art de vivre, la pratique d’un art martial est
d’abord assimilée à un divertissement, un sport voire une méthode de
défense. Le professeur qui inviterait les postulants à patienter
longuement à sa porte avant de pouvoir seulement accéder au Dojo et
solliciter son enseignement risquerait fort de ne recueillir aucun adepte !
Dans une première approche – et ceci ne concerne probablement pas
que les occidentaux prétendument plus « cartésiens » – il me semble
indispensable de conforter la confiance du débutant en lui proposant des
exercices accessibles à tout un chacun et qui vont s’articuler les uns aux
autres en révélant la cohérence de la discipline.
Cela devrait déjà dispenser le néophyte des questions superflues : « Et
si je fais ceci… ou s’il m’attaque comme cela… ? » et l’encourager à
persévérer. Nos jeunes souffrent de « zapping » – tout, tout de suite ! –
et, sans se résigner à participer à cette boulimie consumériste, le
professeur se doit d’accorder sa bienveillance et de ne pas freiner les
bonnes volontés tout en ne minimisant pas les difficultés de son art et
les exigences de son enseignement.
Le bébé-nageur reproduira spontanément les mouvements induits par la
monitrice qui le tient à bout de bras. Sa technique sera élémentaire et
plus inspirée par l’instinct de survie que par des recommandations qu’il
n’entend pas. L’adulte se pose des questions, analyse, réfléchit, et sa
pensée le paralyse. Le Maître zen pourrait alors lui asséner une gifle
pour lui démontrer l’inanité de l’intellect. Gageons que peu de
personnes accepteraient encore la leçon : les uns tourneront les talons
(et déposeront plainte !) les autres répliqueront en usant de réflexes bien
ancrés dans notre atavisme !
Le pédagogue doit donc naviguer entre deux écueils : additionner des
techniques sans le moindre lien entre elles – estimant qu’il convient de
développer, à long terme, un sens, une réponse naturelle à des
circonstances qui ne seront jamais parfaitement identiques – au risque
de décourager le disciple qui aura le sentiment de ne jamais rien faire
de bon ! Ou répéter systématiquement les mêmes techniques que les
élèves finiront par reproduire mécaniquement sans plus éprouver le
besoin de communiquer avec le partenaire.
Aux débuts du karaté, en Europe, le même schéma de cours se répétait.
Les élèves, alignés, effectuaient sur un pas toutes les techniques de
base : le coup de poing, la parade basse, moyenne, haute… Puis chaque
parade était suivie d’un « contre » dans des positions figées, muscles
contractés. Suivaient les frappes de la jambe : le coup de pied de face,
de côté, arrière… Ces techniques étaient alors réalisées avec un
partenaire : l’attaquant avançait d’un pas, le défenseur reculait en
frappant le membre qui ne risquait pas de le toucher, la distance étant
conservée. Les hématomes étaient nombreux et l’attaquant
appréhendait le blocage.
Toute cette gestuelle semblait totalement oubliée par les compétiteurs
qui s’exerçaient ensuite au combat libre, en additionnant des
mouvements syncopés, tandis que ceux qui estimaient inutiles d’abîmer
davantage leurs avant-bras et leurs tibias répétaient les katas
traditionnels qui mixent les techniques de base contre des attaquants
imaginaires et quelques mouvements ésotériques que nul ne se risquait
à expliquer !
Ce paradoxe est encore trop d’actualité : il n’y a rien de commun entre
le kihon, la répétition des techniques figées dans le vide, et le kumité, le
combat libre des compétiteurs.
Un pionnier de l’aïkido en Belgique m’exposa aimablement sa
méthode : durant un cours, il démontrait la même technique
successivement sur toutes les formes de saisies et d’attaques. Le cours
suivant, il optait pour une attaque particulière et examinait toutes les
techniques pour projeter ou immobiliser le partenaire sur celle-ci…
D’autres instructeurs, assimilant l’approche orientale à une absence de
pédagogie, multiplient les techniques en les exécutant rapidement avec
l’assistant qui s’y prête le mieux pour ensuite laisser les élèves patauger
allègrement !
Personnellement, je cherche le plus souvent un fil conducteur pour
passer du simple au complexe, quitte à terminer sur du basique avec
l’exigence d’une plus grande vélocité. Mais je ne suis jamais esclave
d’un schéma préétabli. Lorsque le professeur constate qu’une erreur se
répète ou qu’il demande trop à ses élèves, il doit être capable de faire
marche arrière, d’exiger que chacun se corrige en travaillant plus
lentement, de décomposer un mouvement, de trouver l’ « éducatif » qui
éclairera la technique étudiée.
Il y a aussi un temps pour que les débutants profitent des conseils de
leurs aînés, et un temps pour que chacun étudie avec un partenaire de
son niveau.
Les experts doués de la pratique la plus impressionnante sont parfois
les moins bons pédagogues. Et des ceintures noires d’avouer à la sortie
d’un stage : « C’était trop rapide, je n’ai rien compris ! »
Que dire de ces Maîtres qui démontrent d’incroyables techniques –
frapper et bousculer sans toucher, paralyser sans contact… – qu’eux
seuls réalisent avec leur assistant ? Fumisterie ou don intransmissible ?
Je ne suis pas sensible à de tels spectacles alors qu’il est question de
vaincre son ego et de progresser ensemble. Je puis admirer un
calculateur de génie qui regrette de ne pouvoir expliquer par quel
chemin le résultat lui est apparu. Mais si mon enfant a besoin de leçons
particulières de mathématiques, ce n’est pas à lui que je m’adresserai !
À titre d’illustration, je vous propose, pour terminer, un schéma de
cours organisé suivant un fil conducteur. À chacun, bien sûr, d’élaborer
son enseignement en fonction de son expérience et du niveau des
participants.
Séquence 19
Thème : la parade « de l’extérieur »
Rappel : la parade « de l’extérieur » est plus aisée à réaliser car elle ne
nous oblige pas à croiser l’axe de l’attaque avant de revenir sur celui-
ci. Malheureusement, la main revenant vers l’épaule opposée tend à
replier le défenseur sur lui-même alors qu’il convient de s’« ouvrir » à
l’action de l’attaquant !
Un échauffement « sérieux », destiné à des pratiquants réguliers, doit
durer au moins une vingtaine de minutes.
Les élèves se positionnent ensuite deux par deux, face à face. Ils doivent
se saluer parfaitement ensemble ; ne pas hésiter à exiger que cela soit
recommencé posément.
Dès que l’un avance le pied gauche, il signifie ainsi son rôle d’attaquant
tandis que son partenaire a reculé le droit et assumera la fonction de
défenseur. Le professeur corrige l’attitude : buste droit ; bassin de face ;
genou avant en flexion maximale ; pied arrière en poussée, talon
soulevé…
Quelques déplacements synchrones vont se succéder, chacun guettant
son partenaire. Tous deux évoluent sur les deux mêmes rails, sans
croiser les pieds ni se redresser. Aucun n’a le monopole de l’initiative.
Le professeur insiste pour que les participants ne se déplacent pas
comme des automates : leurs pieds « grignotent » imperceptiblement,
l’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière, sans que l’attitude ne se modifie.
Les bras sont en garde naturelle, décontractés, et le buste n’oscille pas
tandis que les pieds glissent. Le grand pas n’intervient pas à rythme
régulier, chacun s’efforçant d’anticiper l’action de son vis-à-vis.
Les rôles s’inversent sans qu’il y ait de rupture : celui qui avance est
responsable de tout obstacle se trouvant derrière son partenaire. S’il
décide de reculer, son partenaire le suit instantanément.
Rester concentré, ne pas quitter l’autre des yeux est mentalement
fatiguant. Après quelques minutes, le professeur invite les élèves à
s’aligner et rappelle les exigences d’un grand coup de poing : ne jamais
se figer ; propulser le poing arrière en l’accompagnant de la hanche et
d’un grand pas suivi d’un ou deux pas glissés ; le bras doit arriver tendu
avant que le pied correspondant ne touche le sol…
Il est important que les pratiquants ne réagissent pas au commandement
(un ! deux ! trois ! ou ich’ ! ni ! san !…) mais cherchent à le pressentir.
Il n’est pas évident pour l’instructeur de « capter » l’attention de tous.
Il doit « tenir » ses élèves : « conservez le poids du corps sur la jambe
avant… ne vous stabilisez pas… ». Parfois l’ordre est lent (i-i-i…tch !)
et la frappe, lente, se prolonge ; parfois trois attaques doivent
s’enchaîner…
Les pratiquants reprennent l’exercice précédent : celui qui avance va
exécuter le grand coup de poing tandis que son partenaire recule
largement pour maintenir une distance de sécurité.
Étape suivante : le défenseur, tout en reculant, lance la main arrière pour
aller cueillir l’attaque et la dévier en fléchissant le bras. Tous deux
demeurent ainsi mêmes pied et main en avant. La confiance venant, le
défenseur accepte de diminuer la distance, mais il ne doit pas être
débordé par l’attaque et n’hésite à anticiper celle-ci. À chacun de jauger
s’il n’est pas régulièrement en retard sur l’action de l’autre…
Le professeur invite les élèves à se placer derrière lui, debout, jambes
légèrement écartées : un pied, puis l’autre, va effectuer un cercle,
entraînant le corps dans un pivot de 180°. La main correspondant à la
« pointe du compas » exécute la parade « de l’extérieur ».
L’esquive est alors reproduite face à un attaquant qui se positionne prêt
à s’élancer. Le défenseur peut « ouvrir la porte » d’un côté ou de l’autre,
obligeant l’attaquant à frapper sincèrement. Celui-ci se retrouve
derrière son partenaire, pivote sur le pied avant et se prépare à attaquer
de l’autre poing.
Avant d’envisager la possibilité d’une projection, il est nécessaire
d’inviter les pratiquants à rouler quelquefois en arrière, sur une épaule,
revenir en avant, repartir sur l’autre épaule ; amplifier progressivement
les chutes dans la mesure des possibilités de chacun.
Une fois revenus face à face, attaquant et défenseur se positionnent
lentement : ce dernier peut reculer en effectuant la parade « de
l’extérieur » ou pivoter en sautant pour « ouvrir la porte ».
Le coup de pied circulaire peut ensuite être étudié dans l’esprit de la
parade « de l’extérieur ». Assis, les élèves travaillent leur souplesse en
amenant le talon le plus près possible du front, genou écarté vers
l’extérieur. Ils reviennent ensuite deux par deux, à plus grande distance.
L’attaquant va exécuter le grand coup de pied de face ; son partenaire
doit dévier celui-ci avec le coup de pied circulaire. Tous deux frappent
simultanément du pied arrière. La plante du pied du défenseur
accompagne souplement la jambe qui s’étend vers lui. Tous deux
prolongent leur frappe, se croisent et se disposent à reproduire leur
mouvement de l’autre côté.
Enfin, la projection « en ouvrant la porte » va être exécutée sur deux
partenaires attaquants simultanément. Ceux-ci se sont positionnés
« pieds contraires », un devant, l’autre derrière le défenseur. La
projection est d’abord réalisée sur le partenaire avant dès sa première
frappe ; ce faisant le défenseur, en pivotant, a échappé à l’attaque
simultanée de l’attaquant arrière qui poursuit en frappant de l’autre
main : le défenseur reproduit la projection de la même main…
Comme toujours, il vaut mieux pratiquer relativement lentement et sans
temps d’arrêt que vite et « haché » !
Si les deux attaquants ont, au départ, le même pied en avant, le
défenseur projettera le premier en pivotant dans un sens et le second en
pivotant dans l’autre sens…
Les variantes sont multiples et viendront enrichir une progression
jamais achevée.
Esprit critique
Je vous ai présenté une progression technique qui me semble
particulièrement propice pour approcher les valeurs que devrait
développer une saine pratique des arts martiaux. Bien évidemment, de
multiples voies mènent au même sommet et nul n’a le monopole des
bonnes idées.
J’ai souligné l’importance, à mes yeux, de l’humilité – trancher son ego
– et de l’harmonie avec autrui. Mais il faut bon sens garder et « ne pas
avoir l’esprit ouvert au point que le cerveau ne tombe par terre ! ». La
confiance envers un Maître ou une méthode ne dispense pas chacun
d’utiliser sa réflexion et son esprit critique. Je vous suggère donc de ne
pas manquer d’exercer celui-ci à l’occasion d’éventuelles visites de
Dojos ou de surf sur internet.
D’emblée, la correction du salut rituel et l’atmosphère du lieu
d’entraînement peuvent déjà être révélatrices du niveau de la pratique.
Au risque de heurter certaines susceptibilités, examinons quelques
techniques et pratiques, parfois très répandues, qui ne répondent pas à
un minimum d’exigences logiques.
- Le premier principe d’aïkido est souvent enseigné sur frappe de haut
en bas de la main avant. Alors que celle-ci s’abat, le défenseur doit
lancer ses mains à la rencontre de la frappe, fléchir le coude de son
partenaire et le forcer à basculer vers l’arrière. Quelquefois, c’est le
défenseur qui doit prendre l’initiative d’une frappe préventive afin de
réaliser ensuite la clé de coude !
Exécuter ainsi, la technique est irréaliste si l’attaquant est plus grand ou
plus puissant que son partenaire. L’action s’exerce force contre force et
aucune harmonie ne se dégage du mouvement. Par contre, au départ de
l’attitude « bras décontractés », il est intéressant de demander au
défenseur d’anticiper, d’entrer sur l’attaque et d’exécuter cette
technique très positive alors que le bras qui devrait s’abattre s’élève en
arrière.
- L’attaquant « coupe la tête » en lançant main et pied droits. Le
défenseur bloque de sa main gauche la frappe, croise celle-ci, par en-
dessous, avec sa main droite et amène son partenaire au sol en
effectuant la clé de coude.
Stopper un mouvement pour ensuite prétendre le prolonger est un non-
sens. Mais si nous esquivons l’attaque avec un déplacement latéral, le
croisement des bras est tout indiqué pour se protéger sans bloquer la
frappe mais, au contraire, pour l’accompagner et retourner contre le
partenaire son énergie avant de le projeter en entrant franchement, flanc
contre flanc.
- Une technique très élégante : sur saisie de la main en vis-à-vis, le
défenseur pivote vers l’arrière et invite l’attaquant à passer sous son
bras pour l’amener dos à lui avant de le basculer en arrière.
Nous ne pratiquons pas le rock and roll ! Pivoter de cette façon, c’est
s’ouvrir à l’attaque de l’autre main. La technique est plus judicieuse sur
saisie « du même côté », la main coupant le poignet adverse en un
mouvement circulaire, car elle canalise alors le déplacement du
partenaire et prépare une esquive négative sur une grande frappe.
- Le partenaire exécute une grande attaque haute en avançant. Le
défenseur absorbe celle-ci avec un pas glissé vers l’arrière puis
renvoie l’attaquant d’où il vient en l’obligeant à pivoter d’un grand
cercle du bras pour le projeter avec un grand pas vers l’avant.
L’attaquant manifeste à nouveau beaucoup de complaisance car il
pourrait poursuivre son assaut en frappant immédiatement de l’autre
main au lieu de pivoter et de chuter.
- Sur une attaque au couteau s’abattant de haut en bas, le défenseur
exécute un blocage de la main avant, glisse son autre bras sous celui
de l’assaillant. La clé oblige celui-ci à basculer un arrière d’autant
que le défenseur fauche sa jambe avant.
Il serait particulièrement dangereux de lancer son bras à la rencontre du
couteau, en opposition, alors qu’il est tellement plus simple de contrer
en évitant l’attaque (revers de la main avant ou coup du pied arrière).
Tout ceci relève de l’auto-défense. Plus harmonieux mais moins
réaliste : la main arrière du défenseur accompagne la frappe,
déséquilibre l’attaquant vers l’avant et le projette lorsqu’il se redresse.
Les exemples pourraient être multipliés.
Nous pouvons, bien évidemment, étudier des techniques irréalistes en
combat parce que nous sommes sensibles à leur beauté, à l’esthétique
du mouvement. Il est seulement important de demeurer lucide et de ne
pas s’illusionner alors sur notre efficacité en cas d’affrontement violent.
La technique d’aïkido kaïten nagé, par exemple, sur saisie du poignet,
est superbe mais exige que l’attaquant poursuive souplement son assaut
en conservant le contact de la main et en se déséquilibrant
exagérément…
J’ai déjà relevé le paradoxe, en karaté, entre les attitudes figées
imposées aux pratiquants quand ils s’exercent dans le vide et le
sautillement de boxeurs qu’ils adoptent en compétition. Méfions-nous
des contre-arguments de principe – du style : « Il faut acquérir une base
stable avant de se mouvoir naturellement ! » – qui ne justifient rien.
À l’occasion d’un stage international, je signalais l’irréalisme d’un
enchaînement et un collègue m’a rétorqué : « C’est justement parce que
c’est difficile qu’il faut nous y entraîner ! » Autant, dès lors, exiger que
chaque technique soit précédée d’un salto arrière, ce sera encore plus
difficile !
Esquiver en entrant du côté de l’attaque avec un grand pas du pied
arrière n’est possible que si le partenaire frappe en ligne droite et que
nous précédons son mouvement. Bien sûr, si nous sommes plus rapide,
plus fort, plus intelligent… tout est possible. Ce n’est pas une raison
pour enseigner des mouvements aberrants !
Plus sérieusement, le karaté importé d’Okinawa, repose essentiellement
sur la répétition inlassable de katas, enchaînements imposés sans
partenaire. Je les pratique depuis 55 ans – respect de la tradition oblige
– tout en étant de moins en moins convaincu de leur intérêt
pédagogique.
Je terminerai en reproduisant, à ce propos, l’analyse qui figure pp. 274-
276 dans « Aïkido et karaté, synergie », Éditions de l’Éveil, Paris, 2012.
« Rappelons tout d’abord que ces katas négligent l’essentiel : la
présence réelle de partenaires nous attaquant ! Il est bien sûr demandé
de travailler avec sincérité, « comme si » notre vie était menacée…
Il y a eu alors la mode des « bunkaï », l’application pratique, avec
partenaire(s) d’enchaînements extraits d’un kata. Dans les katas
supérieurs, certains mouvements ésotériques, qui font parfois appel à
un symbolisme archaïque échappant même à bon nombre de Japonais,
se prêtent à des interprétations plus farfelues les unes que les autres. Ne
nous attardons pas. Exerçons simplement notre esprit critique sur les
katas les plus fondamentaux, les cinq « Heian », à la description
desquels tant de livres ont été consacrés.
Heian shodan : considérons d’abord les trois premiers temps communs
à Taikyoku shodan et au premier Heian. Il s’agit de l’enchaînement le
plus étudié dans le monde du karaté traditionnel.
La première parade (gedan baraï – blocage au niveau bas), vers
l’attaquant qui serait à notre gauche, s’effectue frontalement, avec donc
le risque évident de heurter le pied ou le genou de l’assaillant. (Quid si
le partenaire est plus puissant ? Or ce mouvement est enseigné à
combien d’enfants !)
La contre-attaque consiste en un grand coup de poing, alors que
l’assaillant est très proche s’il n’a pas été renversé sur le côté par le
blocage !
Le deuxième attaquant a dû nous poursuivre et se ruer derrière nous, or
le kata nous impose de pivoter de 180° vers la droite en lançant le pied
avant à sa rencontre, en exposant donc totalement notre dos !
Pour réaliser cela avec deux partenaires, il faut nécessairement que le
premier recule après une première attaque courte et que le second
attende avec complaisance que le défenseur revienne face à lui…
Sur l’axe principal, il s’agit d’enchaîner trois parades hautes en
avançant (l’attaquant nous menace en reculant ?) avec un kiai au
troisième jodan age uke, comme si la parade s’était alors muée en
contre-attaque décisive !
Heian nidan débute avec une double parade haute en position de repli
– irréaliste si l’attaquant enchaîne ses deux frappes – suivie d’un tetsui
destiné à briser le bras de l’assaillant ! Comment concilier ceci avec la
volonté d’union des énergies propre au style développé par maître
Egami ?
Le troisième Heian débute par une parade moyenne suivie de deux
autres parades, debout, une main montant tandis que l’autre descend,
puis inversement ! Mettre cela au point avec un partenaire demande
beaucoup d’application et de statisme… Rien à voir avec le dynamisme
et le souci de sincérité ambitionnés.
Quant au dernier enchaînement de la série Heian, celui qui termine
godan : il s’agit, ni plus ni moins, d’un côté puis de l’autre (?),
d’arracher les testicules de l’attaquant !
Je connais les arguments des inconditionnels : il s’agit d’une tradition
martiale… toutes ces techniques doivent être interprétées… ce sont des
schémas de base… ce travail forme le corps, forge un mental…
Essayez de convaincre un médecin ou un psychologue qui ne soient pas
pratiquants ! Peut-on décemment présenter cette étude comme
essentielle pour les débutants alors que nous plaçons au premier plan la
volonté de communiquer, de pressentir le partenaire et d’utiliser son
énergie ?
Il n’y a strictement rien de commun entre ces déplacements rectilignes,
ces pivots à angle droit, ces enchaînements absconds et la réalité d’un
kumite ou d’un midare (combats libres).
Mais il est très difficile, lorsqu’on a été drillé pendant des années et
conditionné à considérer comme sacré l’héritage du passé, de conserver
un minimum d’esprit critique. Par contre, il est très facile d’enseigner
des mouvements mécaniques, d’exiger de fastidieuses répétitions et de
corriger des gestes stéréotypés.
Développer la disponibilité, la concentration, l’harmonie avec un ou
plusieurs partenaires exige d’autres qualités pédagogiques. Beaucoup
d’experts se considèrent tels parce qu’ils connaissent un « nouveau »
kata et vont enseigner durant tout un stage des mouvements alambiqués
qu’aucun ne reproduira jamais lors d’un assaut réaliste.
Comprenons-nous bien : je suis personnellement convaincu que la
répétition inlassable de katas, d’enchaînements codifiés, est
fondamentale pour progresser… à condition que les katas étudiés
constituent des enchaînements logiques reproductibles lors de l’assaut
avec partenaire(s). Ainsi conçu, le kata doit être le maillon
indispensable entre l’étude dans le vide des techniques fondamentales
et le combat libre. Étudié avec partenaire(s), il doit nous permettre
d’entrevoir le « combat parfait », la succession la plus naturelle des
déplacements, défenses, projections… nous permettant d’évoluer
progressivement vers l’idéal de fusion avec le(s) partenaire(s) et de
complémentarité entre les mouvements d’attaque et de défense.
Il n’empêche, penserez-vous peut-être, la plupart des experts n’ont pas
renié les katas traditionnels. C’est vrai. Mais quand l’humilité est
partout, la sincérité n’est nulle part. Se pose alors la question cruciale
de la fidélité et du respect : le rôle des Anciens, héritiers du merveilleux
message de leurs Maîtres, consiste-t-il à reproduire aveuglément
l’enseignement de ceux-ci, lequel ne cessa d’évoluer, ou de poursuivre,
modestement mais sans tabou, leur recherche ?
Bien difficile de trouver la juste voie entre la stagnation et la sclérose
de ceux qui ne peuvent que reproduire des gestes sans réflexion et ceux
qui sont tentés par le désir d’innover à tout prix afin de créer leur propre
style… »