maggie cox - un cottage au bout du monde

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1.

Les flocons continuaient à tomber inlassablement du ciel, comme déversés

 par une immense cuve divine sans fond. Ailsa aurait apprécié chaque se-

conde de ce spectacle magique si son ex-mari n’avait dû lui faire ramener 

leur fille aujourd’

hui. Or les conditions de circulation rendaient le retour de Saskia fort improbable. Vivre dans la campagne anglaise avait son char-

me, sauf quand les chutes de neige rendaient les routes d’accès quasi im-

 praticables.

Le bruit étouffé d’un moteur de voiture en approche se fit soudain enten-

dre. Ailsa courut à la fenêtre. La Mercedes gris argent de Jake s’arrêta de-

vant son perron. Aussitôt, un fin manteau blanc commença à la recouvrir.

Elle ouvrit la porte et resta debout dans l’embrasure. Bientôt, Alain, l’élé-

gant et très policé chauffeur de son ex-mari, descendrait de voiture et se di-

rigerait vers elle, suivi par Saskia.

La portière s’ouvrit et Ailsa, les yeux agrandis de stupeur, porta les mains

à son cœur. L’homme qui émergeait de la puissante berline n’était pas

Alain !

Depuis leur divorce, quatre ans auparavant, c’était toujours le chauffeur 

français qui lui ramenait Saskia après un séjour passé chez son père, à Lon-

dres ou à Copenhague. Quand, à travers les flocons de neige, son regard

croisa celui de l’arrivant, d’un bleu qui rappelait les glaces de l’Arctique,

elle frémit de tout son être.

 — Bonjour, Ailsa ! — Bon…  bonjour, Jake ! balbutia-t-elle en retour.

Seigneur … Cela faisait si longtemps qu’elle ne s’était pas retrouvée face à

celui qui avait été son mari. Hélas, à l’évidence, l’impact produit sur elle

 par Jake ne s’était en rien amenuisé ! Il possédait ce charme indéniable

qui, où qu’il aille, mettait toutes les femmes à ses pieds. Et ce, en dépit de

la terrible cicatrice qui zébrait désormais l’une de ses pommettes.

Selon Ailsa, elle rendait son visage plus inoubliable encore. Pourtant, lavue de cette cicatrice était infiniment perturbante. Elle lui rappelait le tragi-

que accident qui avait failli leur coûter la vie. Son estomac se révulsa à ce

souvenir. L’espace d’un instant, elle resta sans bouger, emmurée dans ses

souvenirs, avant de se reprendre. — Quelle surprise ! Cela fait si longtemps…

Soudain, elle s’aperçut qu’il manquait quelque chose dans le décor, ou plu-

tôt quelqu’un…

 — Où est Saskia ? demanda-t-elle, folle d’inquiétude. — J’ai essayé de te joindre toute la journée sans y parvenir, répondit Jake.

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La neige doit avoir interrompu les communications. Pourquoi diable avoir 

choisi de vivre dans ce trou perdu ?

Choisissant de ne pas se laisser déstabiliser par l’évidente irritation de son

ton, Ailsa s’efforça au calme. Comme pour se protéger, elle croisa les bras

sur sa poitrine. Debout dans l’

embrasure de la porte, elle sentit le froid gla-cial l’envahir. Il faisait un temps à ne pas mettre un chien de traîneau de-

hors.

 —  Il est arrivé quelque chose ? Pourquoi n’est-elle pas avec toi ?

Regardant par-dessus l’épaule de Jake, elle espéra encore voir le visage de

la fillette apparaître derrière une des vitres de la voiture. En vain : la Mer-

cedes était vide. Ses jambes flageolèrent. — J’ai voulu t’avertir, répéta Jake, de plus en plus irrité. Saskia a exprimé

le désir de rester avec sa grand-mère à Copenhague jusqu’à Noël et j’ai ac-

cepté. J’ai préféré venir te l’annoncer en personne. Les médias prévoyaient

d’importantes chutes de neige, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elles

soient de cette ampleur.

D’un geste impatient de la main, il balaya la neige qui s’amoncelait sur ses

cheveux blonds ; de nouveaux flocons rendirent bien vite son geste inutile.

Durant d’interminables secondes, Ailsa ne trouva pas les mots pour répon-

dre. Assommée, choquée, le cœur en miettes, elle se remémora tous les

 plans élaborés pour passer les prochains jours avec sa fille à préparer Noël.

Des plans qui ne se réaliseraient pas.

Elle avait prévu de se rendre à Londres en compagnie de Saskia pour faire

du shopping, prendre une chambre à l’hôtel et passer la soirée au restau-

rant et au théâtre. La veille, un imposant sapin lui avait été livré. Il se te-

nait, royal, dans le salon, attendant les décorations que mère et fille lui au-

raient accrochées, tout en écoutant des chants de Noël.

Que sa fille adorée ne soit pas à ses côtés jusqu’à Noël lui apparut comme

une terrible punition. Pour elle qui n’en avait pas eu dans son enfance,

c’était une fête qui se préparait en famille. Elle n’avait plus de vrai foyer depuis son divorce, il ne lui restait que Saskia. Jake n’avait pas le droit de

l’en priver.

 — Comment peux-tu me faire ça ? C’est inhumain ! Ta mère et toi avez eu

Saskia toute cette semaine. Tu sais combien j’attendais son retour ! Tu le

sais !

Il haussa ses épaules couvertes de neige. — Serais-tu vraiment prête à enlever sa petite-fille à une vieille dame qui

vient de perdre son mari ? La présence de Saskia lui est d’un grand récon-fort.

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Connaissant la nature spontanément enjouée et chaleureuse de leur fille,

Ailsa ne douta pas une seconde de la véracité de cette affirmation. Mais ce-

la ne la consolait pas, bien au contraire. Le fait que le père de Jake soit

mort ne faisait qu’ajouter encore à sa peine. Terriblement imposant et auto-

ritaire, Jacob Larsen l’

avait toutefois toujours traitée avec le plus grandrespect. A la naissance de Saskia, n’avait-il pas laissé, pour une fois, trans-

 paraître son bonheur ? N’avait-il pas déclaré, haut et fort, que sa petite-fille

était le plus beau bébé du monde ?

La relation entre Jake et son père avait été bien souvent orageuse, mais,

Ailsa en était certaine, Jake lui vouait une sorte de vénération. Sa mort de-

vait l’avoir grandement attristé. — Je compatis à ton chagrin concernant la mort de ton père, Jake. C’était

un homme admirable. Mais avoir ma fille à mes côtés à l’approche de Noël

est très important pour moi. Elle m’a terriblement manqué durant toute cet-

te semaine. J’avais planifié des préparatifs avec elle et…

 — Je suis désolé, Ailsa. Mais, dans la vie, il faut savoir s’adapter aux cir-

constances. Notre fille est parfaitement en sécurité auprès de ma mère et tu

l’auras auprès de toi le jour de Noël. Pour l’instant…

Il marqua une pause et tendit le doigt vers le bout de la route bordée d’ar-

 bres, qui ployaient sous le poids de la neige.

 — La police a établi un barrage, là-bas. Les automobilistes ont l’interdic-

tion de s’aventurer plus loin. Ils m’ont laissé passer uniquement parce que

 je leur ai dit que tu mourrais d’inquiétude si je ne te rassurais pas de vive

voix au sujet de ta fille. Dieu merci, la Mercedes est équipée de pneus ne-

ige. J’ai réussi à arriver jusqu’ici, mais je ne crois pas pouvoir faire le

voyage en sens inverse ce soir.

D’un geste impatient de la main, il balaya la neige qui continuait à s’amon-

celer sur son manteau et ses cheveux. Ailsa prit enfin conscience qu’il

semblait frigorifié. Où était donc passé son sens de l’hospitalité ? Elle

s’écarta pour le laisser passer. — Tu ferais bien de venir te mettre au chaud ! — Quelque chose me dit que je ne suis pas vraiment le bienvenu !

Ailsa se tendit, agacée par le ton ironique de Jake. Sa présence inattendue

faisait remonter à la surface pléthore de souvenirs douloureux. Après le

terrible accident qui les avait privés de leur deuxième enfant, leur mariage

s’était peu à peu distendu, effiloché. Des mots avaient fusé, corrosifs,

amers, des mots qui pénètrent le cœur comme des coups de poignard. Sa-

skia venait d’avoir cinq ans. « Pourquoi vous vous disputez tout le temps, papa et toi ? » La poignante et récurrente question posée par sa fille obsé-

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dait Ailsa jour et nuit. Et, à peine un an après le drame, elle avait accepté

le divorce. Bien qu’à l’amiable, il n’en avait pas moins été sans heurts.

Ensuite, terrassée par le chagrin, comme une huître trop longtemps et trop

violemment secouée par la tempête, Ailsa s’était recroquevillée dans sa co-

quille. Pourtant, durant ces quatre longues et difficiles années, elle avaitréussi à vivre sans Jake.

 — Désolée, je manque à tous mes devoirs. C’est que…  je ne m’attendais

 pas à te voir ! Entre, je vais te préparer une boisson chaude.

Il passa devant elle, et une bouffée de son eau de toilette vint titiller ses na-

rines, faisant s’accélérer les battements de son cœur. Elle s’empressa de re-

fermer la porte sur le froid polaire qui sévissait toujours au-dehors.

* * *

Jake regarda autour de lui avec curiosité. Il n’était encore jamais entré

dans ce cottage, qui datait à vue de nez du XVIe siècle. Il lui parut extraor-

dinairement douillet. Partout sur les murs se trouvaient des photos enca-

drées de Saskia. Saskia bébé. Saskia tenant à peine sur ses jambes. Saskia

devenue une ravissante fillette de neuf ans. Près de l’escalier de bois qui

devait mener à l’étage, une horloge égrenait le temps dans une quiétude et

une sérénité qui l’avaient personnellement déserté.

Le lieu lui parut mille fois plus chaleureux que le luxueux appartement en

terrasse qu’il possédait près de Westminster, où il habitait désormais

quand il se trouvait à Londres pour ses affaires. Seul. Même sa demeure de

Copenhague, pourtant pleine de charme, lui sembla moins accueillante. La

douillette maison de sa mère, à la lisière de la forêt, à quelques kilomètres

de la capitale danoise, pouvait éventuellement souffrir la comparaison.

Quand, quelque temps après leur divorce, Ailsa avait acheté ce cottage, il

avait été furieux du refus obstiné opposé à son offre de lui acheter une de-

meure plus grande et plus luxueuse, dans laquelle elle aurait pu vivre con-

fortablement avec leur fille. « Je ne veux pas un palace mais un endroit où je me sente vraiment chez moi ! » avait-elle affirmé avec force. — Donne-moi ton manteau ! ordonna-t-elle en tendant les mains vers lui.

Il s’exécuta, ne pouvant s’empêcher de fixer son regard sur ses extraordi-

naires yeux noisette. Ils l’avaient toujours fasciné. Ils le fascinaient encore

aujourd’hui. Embarrassée, Ailsa détourna prestement son regard.

 — Allons dans le salon. J’ai fait un feu dans la cheminée. Tu vas pouvoir 

te réchauffer.

Jake la suivit, luttant désespérément contre la vague d’émotions qui le sub-mergeait. Comme il aurait aimé enfouir les mains dans son abondante che-

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velure auburn, douce comme la soie  —  il s’en souvenait parfaitement. Il

les plongea dans ses poches afin de juguler ce désir pour le moins intempe-

stif et malvenu.

Le salon était un havre de paix, seulement troublé par le crépitement du

feu. Sur les poutres du plafond se reflétait la danse joyeuse des flammes.Un divan avec des coussins chatoyants, un tapis de laine rouge et or sur le

 parquet de bois patiné par le temps, un fauteuil près de la cheminée, une

 bibliothèque remplie de livres, tel était le décor qui se présenta à ses yeux.

Une harmonie de couleurs agréables à l’œil. Au centre trônait un sapin en

attente de ses décorations de Noël. — Assieds-toi. Je vais te préparer une boisson chaude. A moins que tu ne

 préfères un whisky.

 —  Non, je ne bois plus d’alcool. Une tasse de café me ferait plaisir.

Il lut la surprise dans ses yeux, mais elle se garda de faire le moindre com-

mentaire et se dirigea vers ce qui devait être la cuisine.

Prenant place sur le divan et ses coussins moelleux, Jake put alors se dé-

tendre. Durant quelques instants, il tint son regard fixé sur la fenêtre et les

flocons de neige qui continuaient à tomber. Puis, sans qu’il puisse rien fai-

re pour les arrêter, les souvenirs envahirent son esprit. Il revit sa fille

 jouant au milieu de ce même tapis de salon avec ses poupées. Elle avait

alors l’habitude de babiller sans arrêt, sans jamais manquer d’imagination,

s’inventant des mondes fantastiques. Sa vie était paisible et heureuse alors

; jusqu’au jour où ses parents avaient décidé de divorcer. Alors, ballottée

entre ses deux parents, elle avait totalement changé.

Il ne prit conscience du retour d’Ailsa que lorsqu’elle lui tendit une tasse

de café fumant et odorant. Il la saisit avec avidité et réussit à esquisser un

sourire.

 — Comment va ta mère depuis la mort de ton père ? demanda-t-elle.

Il la regarda se déplacer avec cette grâce naturelle qui était la sienne. Il

avait toujours admiré sa silhouette, et le jean qu’elle portait mettait en va-leur sa taille fine et ses jambes fuselées. Tandis qu’elle prenait place dans

le fauteuil, il eut du mal à maîtriser sa déception qu’elle n’ait pas choisi de

s’asseoir sur le divan, à son côté. Ses doigts sans bijoux se refermèrent sur 

la tasse de café qu’elle s’était également servie. Ainsi, elle avait retiré son

alliance ! Une autre preuve  — s’il en fallait une  — que leur union était

morte. — Face au regard des autres, ma mère semble parfaitement assumer la ter-

rible perte ; mais qu’en est-il exactement ? Nul ne le sait.Ailsa nota qu’il aurait pu être en train de parler de lui-même et de leur di-

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vorce. Elle hocha la tête.

 — C’est bien que Saskia lui tienne compagnie un peu plus longtemps.

En ne poursuivant pas ses récriminations quant à l’absence de sa fille, Ail-

sa semblait vouloir faire la paix. Qu’en était-il de lui-même ? se demanda-

t-il. Un constat le rendait amer : de toute évidence, Ailsa se débrouillait parfaitement bien sans lui !

 — Et toi ? interrogea-t-elle.

 — Et moi, quoi ? — Comment vis-tu l’absence de ton père ?

Il haussa les épaules, fataliste. — Je suis un homme d’affaires constamment sollicité. Je n’ai guère le

temps de me préoccuper d’autre chose que de mon travail et de ma fille.

Elle ouvrit de grands yeux. — Que veux-tu dire ? s’exclama-t-elle. Que tu n’as pas le temps de faire le

deuil de celui à qui tu dois d’exister ?

Jake se raidit. Ailsa avait pour habitude de constamment plonger au cœur 

des choses, des sentiments. Lui n’en éprouvait nulle envie. Il avait ses pro-

 pres blessures qu’il tentait d’oublier. Ressasser indéfiniment sa peine ne

servait à rien.

 — Je sais que, souvent, vous vous êtes affrontés l’un l’autre, poursuivit

Ailsa. Mais il est mort, Jake, et le moment est peut-être venu de te raccroc-

her aux bons moments que vous avez partagés.

 — Comme je te l’ai déjà dit, je suis très occupé. Mon père est mort et c’est

triste. Mais il m’aura au moins appris deux choses : regarder en arrière est

une perte de temps et s’embarrasser de ses émotions est déstabilisant. Aller 

sans cesse de l’avant, se construire un futur, voilà ce qui doit mobiliser nos

 pensées et notre énergie. Si tu n’es pas d’accord avec cette façon d’envisa-

ger la vie, j’en suis désolé.

Il n’avait pu empêcher la colère d’envahir sa voix. Il n’était pas venu pour 

s’entendre donner des leçons ! Il avait eu sa part de désillusions, de souf-frances, et ne désirait pas en parler. Mais il lut une telle tristesse dans les

yeux d’Ailsa que son cœur s’en émut aussitôt.

Durant ces quatre années passées loin de lui, elle avait perdu du poids ; de

fines ridules marquaient désormais le coin de ses yeux. Peut-être, après

tout, ne se débrouillait-elle pas aussi bien qu’elle le prétendait dans sa nou-

velle vie. Il aurait donné cher pour savoir réellement comment elle s’en

sortait. Saskia lui avait dit que sa mère passait de nombreuses heures à des

travaux d’art et d’artisanat, travaillant même parfois le week-end. Pour-quoi diable se fatiguait-elle ainsi ? Elle n’avait nul besoin de travailler ! La

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 pension alimentaire attribuée, au moment du divorce, était substantielle. Il

l’avait voulu ainsi.

 — Pourquoi travailles-tu si dur ?

Les mots étaient tombés de sa bouche sans qu’il l’ait voulu.

 — 

Qui t’

a dit ça ? — Saskia m’a parlé de tes créations…

 — J’ai, en effet, monté une petite entreprise qui les commercialise. Elle

marche très bien. Cela m’occupe. Tu t’attendais à quoi ? Que je reste assi-

se dans un fauteuil à me tourner les pouces toute la journée ? Que je dépen-

se l’argent de ma pension en shopping ? Que je m’achète des voitures tou-

tes plus onéreuses les unes que les autres ? Que je dirige une équipe de dé-

corateurs qui relooke chaque pièce de ma maison tous les mois ?

Jake se passa une main nerveuse dans les cheveux. Quand il avait épousé

Ailsa, pas une seconde il n’avait envisagé qu’elle devienne une femme

chef d’entreprise, aussi petite soit-elle.

 — Je suis heureux que tes activités marchent et que cela t’occupe. Quant à

la pension qui t’est versée, tu as l’entière liberté de son usage. Aussi long-

temps que tu prends soin de Saskia, je n’ai rien à redire. J’ai seulement

constaté que tu avais perdu du poids et que tu semblais fatiguée, ce qui a

motivé ma question.

 — Si je suis fatiguée, c’est parce que j’ai du mal à dormir, la nuit. C’est

comme ça depuis l’accident.

Il aurait reçu un uppercut dans l’estomac qu’il n’aurait pas été plus secoué.

Il fallut un certain temps pour que les mots formés dans son esprit atteig-

nent ses lèvres.

 —  Il y a quelques années déjà, je t’avais conseillé de consulter un médecin

afin qu’il te prescrive des somnifères. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

 — J’ai consulté assez de médecins pour ne plus vouloir en voir un seul. Et

 je refuse de prendre des somnifères qui me transforment en zombi le lende-

main matin. Ce sont les souvenirs douloureux qui m’empêchent de dormir ; donc, à moins que le corps médical n’ait découvert un remède contre eux,

 je vais devoir faire avec. N’est-ce pas d’ailleurs ce que tu préconises ?

Jake en resta sans voix. Seigneur … Comment ne pas être sensible à la

souffrance qui sourdait dans sa voix ? Une souffrance qu’il avait lui-même

engendrée. Cette nuit de décembre, leur voiture avait été percutée par un

chauffard ivre mort. Il n’avait pas su l’éviter. Il aurait dû pouvoir le faire.

Souvent, la nuit, dans ses cauchemars, il entendait les cris de douleur de sa

femme, sérieusement blessée à son côté. Dieu merci, Saskia était restée àla maison, sous la garde d’une baby-sitter.

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Il prit une grande inspiration. Il devait être masochiste pour être venu an-

noncer lui-même à Ailsa la prolongation du séjour de leur fille chez sa

grand-mère. Alain aurait pu s’en charger. N’était-ce pas ce qu’il lui laissait

faire depuis quatre ans, afin de ne pas se retrouver face à cette femme,

qu’

il avait aimée au-delà du raisonnable ?Il se leva subitement, peu désireux de laisser la nostalgie l’envahir. La ne-

ige l’obligeait à rester plus longtemps qu’il ne l’avait envisagé, mais il ne

s’agissait que d’une seule nuit. Dès les routes dégagées, il rejoindrait

l’aéroport et Copenhague. Après deux jours passés en compagnie de sa

mère et de sa fille, il rejoindrait les luxueux bureaux de son entreprise, Lar-

sen Real Estate, spécialisée dans la vente de biens immobiliers au niveau

mondial.

 — J’ai mon sac de voyage dans la voiture, énonça-t-il. Je vais le chercher.

La main sur la poignée de la porte, il se retourna.

 —  Ne t’inquiète pas, je n’abuserai pas de ton hospitalité. Dès que l’état des

routes le permettra, je partirai.

Sans attendre sa réponse, il sortit dans le blizzard.

* * *

Ailsa sentit les larmes lui piquer les yeux. Elle maudit le destin de lui jouer 

ce sale tour, de lui envoyer Jake détruire ce qu’elle avait patiemment re-

construit  — une vie sans lui…

Elle se leva pour rejoindre la chambre d’amis et préparer un lit. En che-

min, elle éprouva le besoin d’ouvrir la porte de celle de Saskia. Des po-

sters ornaient les murs : héros de dessins animés, chatons et chiots, poupée

Barbie. Mais, depuis quelque temps, d’autres images étaient venues s’ajou-

ter, de chanteurs et acteurs masculins principalement. Sa fille grandissait-

elle trop vite ? En tant que mère, se montrerait-elle capable de la guider 

dans sa vie ? Avait-elle fait le bon choix en créant sa propre entreprise,

afin de ne pas dépendre de son ex-mari ? Ne s’était-elle pas comportéed’une manière terriblement égoïste en se renfermant sur elle-même, ne

supportant plus qu’il la touche, l’obligeant à demander le divorce ?

Ailsa ferma les yeux, soûlée par ce flot de questions qui l’assaillait. Oui,

elle aurait dû parler à Jake à l’époque. Elle ne l’avait pas fait et leurs rela-

tions s’étaient si gravement détériorées qu’à la fin, ils n’arrivaient même

 plus à se regarder en face.

Comme elle entendait la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer, elle regagna

la chambre d’amis. L’élégant lit en fer forgé était recouvert de ses créa-tions. Elle les rassembla et les déposa sur le bureau  — elle n’avait pas le

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temps de les trier. Demain, elle les porterait dans le chalet de bois construit

au fond du jardin, qui lui servait de lieu de travail.

Quand elle déplia les draps, ses mains tremblèrent. Cela faisait si long-

temps que Jake et elle n’avaient pas partagé le même toit ! Où s’était envo-

lé le temps de leur relation fusionnelle ? Après avoir fait l’

amour, elle s’

en-dormait alors dans ses bras, lovée contre lui. Plus jamais, hélas, cela ne se

 produirait.

A cette pensée, la frustration lui tordit douloureusement l’estomac.

* * *

Lorsque Jake monta à l’étage pour prendre une douche et se changer, Ailsa

en profita pour se retirer dans la cuisine. Elle réfléchit à ce qu’elle allait

faire pour le repas. Elle avait eu l’intention, pour sa fille et elle, de prépa-

rer un plat de pâtes accompagné d’une sauce maison, mais elle avait cons-

cience que ce ne serait pas suffisant pour Jake. Ce dernier était un fin gour-

met, doté d’un vrai talent derrière les fourneaux. Avoir à cuisiner de nou-

veau pour lui la rendait terriblement nerveuse.

Elle n’avait rien de la parfaite femme au foyer. Durant leur mariage, Jake

avait accepté sans rechigner de manger des plats préparés. Même si, sou-

vent, il préférait l’inviter dans son restaurant préféré. Plusieurs fois, il avait

 proposé d’engager un cuisinier à demeure. Ailsa avait toujours énergique-

ment refusé. Elle avait grandi dans un orphelinat, et son désir le plus cher 

était de vivre une vraie vie de famille. Voilà pourquoi elle s’était évertuée

à faire la cuisine pour son mari et pour sa fille, un acte très important pour 

elle.

Un paquet de neige tomba du toit avec un bruit sourd, la tirant de sa rêve-

rie. Elle décrocha le téléphone de la cuisine, espérant entendre la tonalité

indiquant que la connexion était rétablie. Hélas, la ligne était toujours cou-

 pée. Son impatience d’entendre la voix de sa fille au bout du fil grandit.

Connaissant la nature chaleureuse et affectueuse de Tilda Larsen, elle nenourrissait aucune inquiétude, mais sa fille, désormais sa seule famille, lui

manquait terriblement.

Elle noua son tablier de cuisine et se mit en devoir de préparer un chili con

carne, une recette qu’elle maîtrisait parfaitement et qui ne risquait pas de

tourner au désastre.

 — Tu sembles très occupée !

La voix aux accents si sensuels la fit sursauter. Elle se retourna et se ret-

rouva confrontée à la paire d’yeux d’un bleu spécial qu’elle connaissait si bien.

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 — Je…  je nous prépare un repas, balbutia-t-elle.

 —  Ne fais rien de spécial pour moi ! Je ne veux surtout pas te déranger.

 — Tu ne me déranges pas. Manger est une nécessité, non ? — As-tu besoin de mon aide ?

 — 

 Non !Elle lui tourna le dos et commença à éplucher des oignons. Mais se con-

centrer sur la tâche lui était devenu difficile. La vue de Jake en chemise et

 jean, les cheveux encore humides de sa douche, l’avait totalement déstabi-

lisée.

 — Quand nous étions mariés, ma cuisine n’était pas excellente, lança-t-elle

afin de se donner une contenance. Mais je me suis améliorée : tu vas être

surpris.

Jake ne répondit pas immédiatement. Elle l’entendit pousser un soupir. — Pourquoi penses-tu que ta cuisine n’était pas excellente ?

 — Tu proposais souvent de m’emmener au restaurant. C’est un signe qui

ne trompe pas, non ?

Il lui ôta le couteau des mains et l’obligea à lui faire face.

 — Je ne me souviens pas avoir suggéré que nous allions au restaurant alors

que tu venais de passer des heures à cuisiner un repas. Tu nous as souvent

 préparé de très bons petits plats, Ailsa. La preuve, c’est que j’ai survécu !

Elle frémit. Quels pouvoirs magiques possédait donc cet homme pour,

d’un simple regard, d’un simple sourire, lui ôter tous ses moyens ?

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2.

Jake s’écarta de son ex-femme et s’appuya au plan de travail. Ainsi, durant

toutes ces années de vie commune, Ailsa avait cru qu’il n’appréciait pas sa

cuisine… Cela le peinait. Certes, il avait parfois taquiné sa jeune épouse

quand le plat préparé n’

était pas à la hauteur des efforts fournis, mais il es- pérait l’avoir suffisamment félicitée pour qu’elle ne doute pas de ses ta-

lents culinaires. A présent, il était prêt à manger des plats totalement brûlés

en échange de la possibilité de remonter le temps, jusqu’à cette époque bé-

nie de leur entente fusionnelle.

Avant l’accident…

Leurs regards se croisèrent et une tension palpable s’installa entre eux. — Oui, en effet, malgré mes piètres talents de cuisinière, tu as survécu !

lança-t-elle, tentant désespérément d’esquisser un sourire et de détendre

l’atmosphère.

 — Mort de peur, mais toujours vivant !

Le sourire d’Ailsa s’évanouit. — S’il te plaît, ne plaisante pas avec ça, le supplia-t-elle.

D’un geste gracieux de la main, elle repoussa la mèche de cheveux qui

avait tendance à tomber sans cesse sur ses yeux. Son regard se posa sur la

 balafre qui zébrait sa joue.

 — Est-ce que ta cicatrice te fait souffrir ?

Comme chaque fois que l’on mentionnait sa blessure, Jake se raidit.

 — Que désires-tu savoir ? Si j’ai peur qu’elle soit une offense à mon char-

me naturel ? Comme tu le sais, cela fait désormais quatre ans que je vis

avec. J’ai eu le temps de m’y habituer. Elle me donne un air de pirate qui

semble plaire aux femmes. C’est du moins ce qu’elles affirment. — Tu… tu as des femmes dans ta vie ?

 —  Nous sommes divorcés depuis quatre ans, Ailsa. Crois-tu qu’un homme

 puisse mener une vie de moine durant tout ce temps-là ?

 — Arrête, Jake, je t’en supplie ! — De faire quoi ? — De te montrer cruel. Je ne le mérite pas. Je te demandais seulement si ta

cicatrice te faisait souffrir.

 — Aujourd’hui, la seule souffrance qu’elle m’occasionne est qu’elle me

rappelle le drame qui l’a causée, et ce que nous avons perdu ce jour-là.

Les épaules d’Ailsa s’affaissèrent. Jake put alors lire la détresse au fond

des magnifiques yeux noisette, et il ne fut pas fier de l’avoir causée. La

 jeune femme se reprit bien vite. — Si nous voulons dîner ce soir, j’ai intérêt à me remettre au travail ! lan-

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ça-t-elle. Pourquoi ne pas aller m’attendre dans le salon, au coin du feu ?

 — C’est ce que je vais faire.

Heureux de la diversion proposée, il quitta la pièce. Remuer le couteau

dans la plaie et lui faire mal inutilement ne faisait pas partie de ses plans.

* * *

La salle à manger rustique avait des tommettes rouges au sol, des poutres

au plafond, et, posés sur la table en chêne, deux chandeliers aux multiples

 bougies diffusaient une lumière douce et chaleureuse. Les volets n’étaient

 pas fermés et, à travers les vitres, on pouvait apercevoir les flocons de ne-

ige continuer inlassablement à tomber. S’ils avaient encore été mariés et

amoureux, Jake aurait pu penser qu’Ailsa avait tout mis en œuvre pour 

créer une atmosphère intime. Hélas, ce n’était pas le cas. Son ex-femme

avait toujours adoré dîner aux chandelles, quelles que soient les circonstan-

ces. Elle aimait la beauté et l’harmonie.

Un jour, elle lui en avait avoué la raison : l’orphelinat dans lequel elle

avait grandi était froid et laid. Depuis, elle avait une soif inextinguible de

 beauté. Il repoussa les souvenirs qui lui venaient à l’esprit, regrettant de ne

 pas l’avoir interrogée plus souvent, quand ils étaient mariés, sur ce qu’elle

avait vécu dans son enfance.

Elle l’invita à prendre place à table, puis déposa entre eux le plat préparé.

Jake nota aussitôt qu’elle s’était appliquée afin que sa présentation soit at-

trayante. Son délicieux fumet lui fit prendre conscience combien sa faim

était grande. Elle le servit et prit place en face de lui, sans le quitter un ins-

tant du regard. Son abondante chevelure prenait couleurs et brillance à la

lumière des chandelles. Elle était plus belle que jamais.

Comme il savourait la première bouchée de son chili con carne, elle de-

manda, anxieuse : — Qu’en penses-tu ?

 — C’est absolument délicieux ! Et je l’apprécie tout particulièrement aprèsmon parcours difficile de cet après-midi, dans la tempête. — J’en suis heureuse, dit-elle, un sourire fleurissant enfin sur ses lèvres.

Désires-tu de l’eau ou un jus de fruits ?

 — Un peu d’eau.

Le repas se déroula sans heurt, comme s’ils avaient passé un accord tacite :

ne pas parler durant le dîner. Ailsa fut ravie de constater que Jake n’avait

 pas laissé une seule miette dans le plat.

 —  Neigeait-il également à Copenhague ? finit-elle par demander. —  Nous avons eu quelques chutes de neige ces derniers jours, mais rien

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d’équivalent à ce qui se passe ici !

 — Saskia doit être heureuse. Elle désirait si fort avoir un Noël enneigé !

 — Tu sais, je suis désolé de ne pas l’avoir amenée avec moi.

Ailsa laissa échapper un soupir.

 — 

J’

avais fait tellement de projets pour cette semaine ! J’

avais demandé àmes clients de passer leurs commandes en avance car mon intention était

de me consacrer entièrement aux préparatifs de Noël avec Saskia. Certes,

ta mère a perdu son mari, mais elle n’est pas la seule à vivre un deuil.

Jake fronça les sourcils.

 — En ce qui nous concerne, c’était il y a longtemps, non ? — Aurais-tu oublié quel jour nous sommes ?

En un mouvement involontaire, sa main se crispa sur la serviette de table.

 — Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de notre bébé. L’anniversai-

re du jour de cet horrible accident ! C’est pourquoi j’aurais tellement aimé

avoir Saskia avec moi. En sa compagnie, j’aurais pu focaliser mon esprit

sur la fête et non sur mon inconsolable souffrance.

Pour la deuxième fois de la soirée, Jake eut l’impression de recevoir un up-

 percut dans l’estomac. Il suffoquait, sa propre peine ravivée, avec l’impres-

sion de revivre le terrible cauchemar.

 — Je…  j’ai volontairement effacé cette date fatidique de ma mémoire,

avoua-t-il, la gorge nouée par l’émotion. Probablement parce que je

n’avais nulle envie de me souvenir de ce triste anniversaire.

Il se leva et alla se planter devant la fenêtre ; le rideau de neige tombait

toujours du ciel, tel un linceul. Il entendit vaguement le bruit d’une chaise

repoussée, dans son dos.

 — Jamais nous n’avons reparlé de cette perte tragique, depuis notre divor-

ce, constata Ailsa, venue se placer derrière lui.

 — Et tu penses qu’il est approprié de le faire aujourd’hui ?

Il se retourna. Elle le fixait de ses grands yeux brillants de larmes conte-

nues. — Oui. La mort de Thomas a été…

 — Lui donner un prénom est absurde ! s’emporta Jake. Notre fils n’était

 pas né lorsqu’il est mort !

Les mots étaient sortis en rafales de sa bouche. Sans qu’il puisse rien faire

 pour l’empêcher, il tremblait désormais de tout son corps. Ensemble, dans

la joie et le bonheur d’attendre un garçon, ils avaient choisi son prénom.

Après le drame, il l’avait rayé de son esprit, afin de ne pas conférer à cet

enfant une existence réelle. La bile lui monta à la gorge. Qu’avait-il espéré? Que cela rendrait la perte moins cruelle ?

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 ponsable de la tragédie.

 — Crois-tu vraiment que je puisse oublier ce qui nous est arrivé ? Il suffit

que je regarde mon visage dans un miroir pour m’en souvenir.

Pourtant, la cicatrice zébrant à jamais sa pommette avait été facile à sup-

 porter, au contraire de l’

horrible souffrance, tant physique que morale, en-durée par sa femme vénérée. Sérieusement blessée au ventre, inconsciente,

Ailsa avait été transportée aux urgences. Hélas, la césarienne pratiquée

aussitôt n’avait pu sauver le bébé qu’elle portait. Son utérus avait subi des

dégâts irréparables. Jamais plus elle ne pourrait être mère. Comment se re-

met-on d’un pareil traumatisme ?

Chassant ces pensées d’un geste impatient de la main, il se dirigea vers la

 porte.

 — J’ai apporté des dossiers à traiter en urgence, lança-t-il en s’apprêtant à

sortir. Merci encore de ton accueil. Ton chili con carne était un régal. Bon-

soir et à demain.

Il lança une prière au ciel afin qu’elle n’interprète pas son départ comme

une fuite ou une lâcheté. Il avait réellement des dossiers à étudier.

 — Si tu as besoin d’une couverture supplémentaire, dit Ailsa, tu en trouve-

ras une dans le coffre, au pied du lit.

Elle parlait avec calme et pondération. Il admira la force qu’elle semblait

avoir acquise. — Je te souhaite une bonne nuit, Jake, poursuivit-elle. Surtout, ne travaille

 pas trop tard. Tu as effectué un long voyage dans des conditions difficiles.

Tu as besoin de repos.

Sur ces mots, elle disparut dans la cuisine, le laissant seul avec ses pen-

sées. Il n’aurait pas dû venir. Ainsi la scène qui venait d’avoir lieu aurait

été évitée, et il ne se serait pas rendu compte que le passé était loin d’être

oublié. Pour elle comme pour lui.

Il regagna la charmante chambre qui lui avait été attribuée. Sans plus atten-

dre, il sortit les dossiers en instance et se mit au travail, pour lui la meilleu-re des échappatoires.

* * *

Assise au coin du feu, occupée à fabriquer une écharpe commandée par 

une cliente, Ailsa puisa un peu de réconfort dans le cliquetis des aiguilles

et le crépitement du bois. Après l’altercation qu’elle venait d’avoir avec Ja-

ke, son corps était tellement tendu qu’il en était douloureux. Elle s’atten-

dait désormais à une nouvelle nuit sans sommeil. Souvent, il lui arrivait dene pas regagner son lit avant les premières lueurs de l’aube. Pourquoi se

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coucher si c’était pour ne pas fermer l’œil de la nuit ?

Elle se demandait souvent comment elle parvenait à survivre avec si peu

de sommeil, et surtout comment faire pour s’occuper de Saskia sans qu’el-

le se rende compte de sa détresse. Heureusement, les ressources de la natu-

re humaine semblaient infinies. Mais la réapparition de Jake, tellementinattendue, n’avait pas manqué de la déstabiliser de nouveau. Et il dormait

dans la chambre d’amis ! Se retrouver en face de lui avait été son rêve, tout

en sachant la chose impossible. Et voilà qu’il se réalisait…

La cicatrice qui désormais barrait son visage ne lui avait rien ôté de son

charisme, bien au contraire. Que ce constat soit également fait par les fem-

mes qu’il fréquentait la rendait malade de jalousie. Ainsi, il avait oublié

l’amour fou qui les avait unis dans le passé et il s’offrait du bon temps !

Ailsa secoua doucement la tête, se morigénant intérieurement. Il avait le

droit de profiter de la vie, et il ne la trompait pas puisqu’ils avaient divor-

cé. Par contre, il lui était impossible de son côté d’avoir quelque aventure

amoureuse que ce soit. Jake était l’homme de sa vie et le serait jusqu’à son

dernier souffle.

Elle l’avait su dès leur toute première rencontre. A l’époque, elle effectuait

un stage comme réceptionniste chez Larsen Real Estate. A dix-neuf ans,

dotée d’un enthousiasme à toute épreuve, elle était bien décidée à faire

quelque chose de sa vie. Elle n’avait aucune qualification mais travaillait

dur et prenait des cours du soir pour y remédier.

Quand, ce jour-là, un homme sublime avait pénétré dans le hall où elle of-

ficiait, elle avait eu l’impression de se retrouver face au prince charmant

des contes de fées qu’elle lisait enfant, et dans lesquels les princes épou-

sent les bergères. Elle en avait oublié de respirer !

Il s’était approché du comptoir, et sa collègue lui avait glissé à l’oreille :

 — C’est Jake Larsen, le fils du patron. Il arrive de Copenhague.

Peu lui importait qui il était et d’où il venait, elle était tombée éperdument

amoureuse de lui ! Son cœur s’était emballé comme un pur-sang et ellen’avait plus eu d’yeux que pour lui. Jamais jusqu’alors, elle n’avait été en

contact avec un homme tel que lui. Ils n’étaient vraiment pas du même

monde et, pourtant, il s’était adressé à elle avec la même déférence que si

elle avait été une princesse. Le sourire dont il l’avait gratifiée avait marqué

son cœur à jamais.

« Zut ! » Immergée dans ses souvenirs, elle venait de laisser échapper une

maille. Elle la rattrapa et poursuivit son ouvrage. Le feu pétillait toujours

dans la cheminée. Ses yeux se posèrent sur le sapin. Autrefois, dans uneautre vie, Jake l’aidait à le décorer, chantant, faux mais à tue-tête, des

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chants de Noël.

Parler de Thomas était tabou. Jamais ils n’avaient pu avoir une véritable

discussion à propos de leur fils. Le mal-être s’était amplifié jusqu’au divor-

ce. La souffrance, la culpabilité qu’ils se rejetaient l’un l’autre avaient eu

raison de leur amour. Ce soir, Ailsa avait espéré qu’

en parler l’

aiderait àfaire son deuil ou, tout au moins, à retrouver le sommeil.

Elle refoula la tristesse qui l’avait envahie. Tout n’allait pas si mal, après

tout. Elle avait Saskia, et son travail. Après le départ de Jake, les choses re-

 prendraient leur cours normal. Et, puisque sa fille n’était pas là pour déco-

rer le sapin, elle le ferait seule. Si elle en croyait ses clientes et son carnet

de commandes, la fabrication d’objets de décoration était son domaine

d’excellence.

Ragaillardie par cette pensée, elle déposa son tricot. Et, au lieu de rester 

dans son fauteuil comme elle le faisait habituellement, elle regagna sa

chambre bien avant que l’aube ne blanchisse la campagne, pour la premiè-

re fois depuis longtemps.

** *

Jake chercha le réveil sur la table de nuit et, étonné, vit l’heure affichée. Il

avait dormi comme un loir. Cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps.

Depuis l’accident, il était devenu insomniaque. Comme il calait son dos

contre l’oreiller moelleux, il entendit le bruit de la chaudière qui se mettait

en marche.

Ainsi, Ailsa faisait des économies : le chauffage ne fonctionnait pas la

nuit. Le comportement de son ex-femme l’irritait au plus haut point. Elle

aurait pu vivre dans le luxe et le confort ; or, têtue, elle avait choisi de vi-

vre dans ce cottage isolé au milieu de la nature. Certes, il ne manquait pas

de charme, mais il n’était pas l’environnement dont il avait rêvé pour y fai-

re grandir sa fille.

Il frotta ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer et repoussa les pensées négatives qui lui venaient à l’esprit. Il ne devait se préoccuper que

d’une seule chose : quand allait-il pouvoir rejoindre Copenhague ? Simple-

ment vêtu du bas de son pyjama, il se leva et s’approcha de la fenêtre, dont

il ouvrit les volets. Un spectacle ahurissant s’offrit alors à sa vue.

Aussi loin que portait son regard, tout était recouvert d’un linceul d’un

 blanc immaculé. Un vent glacial soufflait en bourrasques, entraînant dans

une valse folle les flocons qui continuaient à tomber. A moins qu’il ne lui

 pousse subitement des ailes, il ne pourrait pas quitter les lieux ce matin ;de toute façon, tous les avions devaient être cloués au sol.

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Il contint un juron. L’espace d’un instant, il pensa appeler à la rescousse le

 pilote de son hélicoptère, avant de se rappeler qu’il n’y avait plus aucun

réseau téléphonique en fonctionnement et que, par ce temps, l’hélicoptère

n’était sans doute pas le moyen de transport le plus sûr.

On frappa à la porte. — Jake, tu es réveillé ? Le thé est prêt. Tu en veux ?

Au lieu de répondre, il se précipita pour ouvrir la porte. Vêtue d’un kimo-

no de soie rose, Ailsa se tenait sur le seuil. Avec ses cernes sous les yeux,

elle semblait si fragile, si vulnérable ! En fait, elle ressemblait plus à une

adolescente qu’à la mère d’une fillette de neuf ans. L’instinct de protection

qu’il avait toujours nourri à son égard revint en force. — Bonjour. Le chauffage ne marche pas la nuit ? Il fait terriblement froid.

 — J’ai, en effet, réglé le chauffage à l’économie. C’est très sain. Mais il

n’est pas étonnant que tu aies froid : tu es à moitié nu !

Il sourit.

 —  Il m’est impossible de dormir autrement. L’aurais-tu oublié ? — Tu ne m’as pas répondu au sujet du thé.

Elle avait rougi ! Jake en éprouva une intense satisfaction. C’était bon de

savoir qu’il pouvait toujours déclencher ce type de réaction chez elle.

 — Comme résister à une telle offre ? Accorde-moi seulement quelques mi-

nutes, le temps de prendre une douche et de m’habiller. — Dois-je te préparer un petit déjeuner dans la foulée ?

 — Je ne veux pas être une charge pour toi.

Un sourire fleurit sur ces lèvres qu’il avait tellement adoré embrasser. A

l’idée de ce qu’ils avaient perdu, une grande tristesse l’envahit.

 — Ce n’est pas une corvée, Jake. J’ai toujours aimé te préparer à manger.

Sur ces mots, sans attendre sa réponse, elle s’éloigna et disparut au bout du

couloir.

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3.

Ailsa sortit du salon, où elle venait de refaire du feu dans la cheminée. Elle

s’essuya les mains sur son jean et, relevant la tête, vit Jake qui descendait

l’escalier. Sa simple présence, aujourd’hui encore, la mettait en transe. Il

était vêtu d’

une manière plus décontractée que la veille, en pantalon et che-mise en denim. Il lui sourit et son cœur se mit à battre la chamade. Une

fois encore, elle était totalement sous le charme.

 — Je suis désolée, le petit déjeuner n’est pas prêt, s’excusa-t-elle. J’ai dû

rallumer le feu. Ton lit était-il confortable ?

 — Très confortable ! — Etant donné que la moitié de notre temps se passe au lit, sa qualité est

d’une importance capitale.

Elle s’interrompit en se rendant compte qu’elle disait n’importe quoi pour 

meubler le silence. Et surtout, le confort d’un lit n’était pas vraiment le

sujet idéal de conversation à entretenir avec son trop séduisant ex-mari !

Jake sourit de nouveau, sans faire de commentaire, comme s’il devinait

son embarras. Elle détourna prestement son regard et se dirigea vers la cui-

sine. Il la suivit. Elle prit deux mugs dans le placard. Il s’installa à table,

suivant du regard chacun de ses mouvements. Ailsa se dit qu’il lui fallait

impérativement trouver un nouveau sujet de conversation. Elle lança un re-

gard vers la fenêtre. — Si tu avais l’intention de te rendre à l’aéroport ce matin, je crains que ce

ne soit impossible. — Je le crains aussi. As-tu vérifié si les lignes téléphoniques sont rétablies

?

 — Oui. J’ai essayé de joindre Saskia, en vain. — C’est ce que je craignais…

Elle nota qu’à l’évidence, la perspective d’avoir à rester plus longtemps en

sa compagnie lui déplaisait.

 —  Ne pas pouvoir joindre Saskia est un supplice, fit-elle en remplissant lesmugs de thé. Que désires-tu pour ton petit déjeuner ? Des œufs au bacon ? — Oui. Vas-tu te joindre à moi ?

 —  Non. Je mange très peu, le matin. Un toast me suffira.

 — Un toast ! s’exclama-t-il. C’est tout ? — Oui.

 — Je comprends désormais pourquoi tu as maigri ! — C’est tout ce que tu as remarqué de différent chez moi ?

Elle se mordit la lèvre. Ils n’étaient plus ensemble. Que lui importait l’opi-nion de Jake sur son apparence ? Pourtant, l’idée qu’elle ait perdu tout at-

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trait à ses yeux lui était insupportable. Avant l’accident, il affirmait adorer 

les courbes de sa poitrine et de ses hanches. Quand elle avait été enceinte

de Saskia, puis de Thomas, il avait semblé apprécier les rondeurs liées à la

maternité. Vénérait-il les courbes d’autres femmes, aujourd’hui ?

 — 

Tu es plus belle que jamais, Ailsa ! lança-t-il, une étrange lueur au fonddes yeux.

C’était si inattendu qu’Ailsa croisa les mains sur sa poitrine comme pour 

se protéger. —  Non. Les aléas de la vie m’ont fait vieillir avant l’âge. Je suis trop min-

ce et j’ai toujours l’air fatiguée. J’ai vingt-huit ans, mais j’ai l’impression

d’être centenaire. — Tu dis n’importe quoi !

Elle haussa les épaules, fataliste. — Peu m’importe mon look tant que j’ai l’énergie pour m’occuper de Sa-

skia et de mon travail.

Jake se leva et vint vers elle. Posant un doigt sur son menton, il la contraig-

nit à lever les yeux vers lui. Seigneur … Son cœur battait si fort qu’elle de-

vait l’entendre. — Tu as peut-être l’air fatiguée, mais ta silhouette est toujours parfaite. Tu

ne fais pas plus vieille que ton âge, bien au contraire. Hier, quand je t’ai

vue, j’ai été stupéfait de ton incroyable jeunesse. Peut-être t’ai-je épousée

alors que tu étais trop jeune.

Il était si follement amoureux d’elle qu’il n’avait pu attendre. D’un geste

de la main, il repoussa la mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux et,

comme ses doigts effleuraient sa joue, Ailsa frémit de tout son être. Elle re-

cula d’un pas. — Que veux-tu dire ? Que tu regrettes de m’avoir épousée ?

 — Pas du tout ! Pourquoi es-tu sans cesse sur la défensive ? Pourquoi in-

terprètes-tu toujours mes paroles négativement ?

Elle affronta son regard sans ciller. — Parce que, certains jours, il m’est très difficile de rester positive ! — Cela me chagrine. Nous avons eu de bons moments, l’aurais-tu oublié ?

 —  Non. Mais nous avons eu la naïveté de penser que cela durerait

toujours.

Jake tressaillit. Pourquoi parlait-elle ainsi ? La détresse dans ses yeux lui

faisait mal. Ses mots s’enfonçaient dans son cœur comme autant de coups

de poignard, comme s’étaient enfoncés dans son visage les éclats de pare-

 brise lorsqu’il avait tenté de la protéger au moment de l’accident. Il avaitdéjà dû supporter l’insupportable. Quelle autre épreuve encore allait-il de-

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voir endurer ?

Il ferma les yeux pour échapper au cauchemar qu’il vivait : la souffrance

toujours présente d’Ailsa. Quand il les rouvrit, elle lui tournait le dos. Un

dos voûté, qui témoignait du poids qui pesait toujours sur ses épaules. Il

dut lutter contre l’

envie irrépressible de la prendre dans ses bras et de laserrer fort contre lui. Mais elle l’aurait repoussé. Malade de frustration, il

se contenta de jeter un nouveau regard vers la fenêtre et la neige qui, im-

 perturbablement, continuait à tomber. — Y a-t-il un espoir pour que cette satanée neige s’arrête un jour ?

 — Etre prisonnier ici avec moi t’est insupportable, n’est-ce pas ? lança Ail-

sa, amère. Tout comme l’a été pour moi l’annonce que ma fille ne pourrait

 pas me rejoindre pour préparer Noël !

 — Ainsi, tu cherches désespérément à me rendre encore plus malheureux

que je ne le suis déjà ! Ma mère et ma fille ont désiré rester un peu plus

longtemps ensemble et j’ai accepté. J’ai pensé que tu comprendrais. Mais,

 pour toi, je suis toujours coupable de tous les maux. — Jake, je…

On frappa à la porte ; ils sursautèrent tous deux. — Qui diable peut sortir par ce temps ? s’exclama Jake.

Une seule personne, songea Ailsa en s’essuyant les mains sur son tablier.

Elle se précipita pour ouvrir la porte. Comme elle s’y attendait, il s’agissait

du fils aîné de son voisin fermier. Il tentait de débarrasser ses bottes, sa

 parka et son bonnet de la neige qui les recouvrait. — Bonjour, Ailsa. — Linus ! Que fais-tu dehors par ce temps ?

 — Je t’apporte des œufs, du lait et du pain. Ça te permettra de te nourrir 

 jusqu’à ce qu’on ouvre la route. Par ce temps, seuls les tracteurs peuvent

rouler. J’en ai profité pour voir si Saskia et toi alliez bien. — Je vais très bien, merci. Saskia est restée à Copenhague auprès de sa

grand-mère. C’est vraiment très gentil à toi d’être passé nous voir. — A quoi servent les voisins si ce n’est à s’entraider ?

Il lui montra le panier qu’il tenait à la main.

 — Puis-je le déposer dans ta cuisine ?

 — Bien sûr ! Entre !

Ailsa dessina un sourire sur ses lèvres, même si elle appréhendait le mo-

ment où Jake allait se retrouver face à son charmant voisin. Il ne manque-

rait pas d’en tirer les mauvaises conclusions. Pourtant, il n’y avait rien

d’autre qu’une franche amitié entre Linus et elle. Et puis, comment ne pasaccueillir un homme qui, par un temps exécrable, venait lui apporter de la

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nourriture ? Le moins qu’elle pouvait faire était de lui offrir une tasse de

thé avant qu’il ne reparte dans le froid et la neige.

Dès leur arrivée dans la cuisine, l’expression du visage de Jake ne laissa

aucun doute sur ses sentiments. A l’évidence, il n’appréciait pas l’intru-

sion. — Jake, je te présente mon voisin, Linus, qui m’a gentiment apporté des

victuailles. Linus, je te présente Jake Larsen, le père de Saskia. Il est venu

m’informer qu’elle restait une semaine de plus chez sa grand-mère à Co-

 penhague et s’est retrouvé piégé par la neige.

 — Oh…  j’ai un peu l’impression de vous connaître, fit Linus en déposant

le panier sur la table. Grâce à Saskia, bien sûr. Elle n’arrête pas de parler 

de vous !

 — Vraiment ?

Poli, Jake serra la main tendue, mais son attitude était aussi glaciale que le

vent qui soufflait dehors.

 — Oui. Apparemment, elle vous adore.

L’accueil de Jake avait quelque peu douché l’enthousiasme de Linus qui,

embarrassé, ne savait quelle attitude adopter. — Assieds-toi, Linus, proposa Ailsa. Je vais te préparer une tasse de thé.

 —  Non, merci. Je préfère rentrer, j’ai du travail à la ferme.

 — Tu es sûr de ne pas vouloir une boisson chaude ? Il fait un froid polaire,

dehors.

Il sourit. — J’ai l’habitude de travailler par n’importe quel temps et j’ai pris un co-

 pieux petit déjeuner juste avant de venir.

 — Comme tu veux. Merci beaucoup d’avoir pensé à moi, Linus. J’appré-

cie grandement ton geste.

 —  Ne me remercie pas, tout le plaisir est pour moi. A vrai dire, j’étais heu-

reux d’avoir un prétexte pour te rendre visite. Je n’ai pas toujours le temps

de passer vous voir toutes les deux et je le regrette.Linus avait visiblement pris de l’assurance, et un large sourire éclairait dé-

sormais son visage. Ailsa trouva réconfortant qu’il se montre aussi atten-

tionné. Que Jake en prenne ombrage l’amusait. L’idée qu’il soit jaloux ne

manquait pas d’intérêt.

Linus se tourna vers Jake.

 — J’ai été heureux de faire votre connaissance, monsieur Larsen. — Moi de même, grommela-t-il.

 — Si nous ne nous revoyons pas, je vous souhaite un bon voyage de re-tour.

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Si les yeux de Jake avaient été des revolvers, Linus serait mort sur-le-

champ. Ailsa raccompagna son visiteur jusqu’à la porte puis revint dans la

cuisine, furieuse après son ex-mari. — Comment oses-tu te comporter ainsi envers un homme qui prenait la

 peine de venir voir si nous avions besoin d’

aide ? — Que veux-tu dire ? Que vous avez besoin d’un homme qui s’occupe de

vous ?

Elle crispa ses poings de rage. — Je n’ai besoin de personne ! Je m’assume entièrement. Linus est seule-

ment un ami. —  Ne sois donc pas aussi naïve, Ailsa. A l’évidence, ton charmant voisin

veut beaucoup plus que ton amitié.

 — Et alors ? Si c’est vrai, cela ne te regarde en aucune façon. Je te rappelle

que nous sommes divorcés.

 — Je sais.

Soudain, à sa totale surprise, Ailsa lut de la tristesse dans les yeux bleus de

Jake, jusque-là de glace. Sa colère fit aussitôt place à de la compassion.

Tous deux avaient été gravement blessés dans l’accident qui avait coûté la

vie à leur bébé, puis par leur divorce. Se revoir était un choc, sans compter 

que Jake venait de perdre son père. Sa petite scène de jalousie n’avait-elle

 pas simplement été un moyen de cacher sa souffrance ? — Ton thé doit être froid, dit-elle. Je t’en prépare un autre.

Il laissa échapper un profond soupir. — Comment fais-tu pour te montrer si amicale alors que je viens de me

comporter comme un crétin ?

 — Les choses iraient-elles mieux si je me montrais désagréable ?

Il esquissa un sourire.

 —  Non, pas vraiment…

 — Alors je vais te préparer ton petit déjeuner.

Elle se pencha sur le panier et en retira deux œufs. — Ces œufs sont extraordinaires, tu vas voir ! Mille fois meilleurs que

ceux du supermarché.

 — Quelle chance d’avoir ce bon Linus comme voisin, lança Jake, cynique.

 — Linus est un ami ! se révolta-t-elle, ulcérée par le comportement incom-

 préhensible de Jake. Je ne te mentirais pas sur un point aussi important. Ce

qui m’importe le plus, c’est le bonheur de Saskia. Je ne suis pas disponible

 pour une romance.

Elle marqua une pause et plongea son regard dans le sien. — Et toi ? Y a-t-il dans ta vie un changement dont tu souhaiterais me par-

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ler ?

Le simple fait de poser cette question lui vrilla le cœur. Et s’il répondait

 par l’affirmative ? A son grand soulagement, il secoua négativement la tê-

te.

 — 

 Non. Je n’

ai pas l’

intention de construire quoi que ce soit de sentimen-tal avant que notre fille soit prête à quitter la maison. Mais cela ne veut pas

dire que je rentre dans les ordres ! Je suis un homme comme les autres,

dont les besoins basiques doivent être satisfaits.

Ailsa baissa la tête. L’idée de Jake faisant l’amour à une autre femme la

rendait malade. Cela faisait désormais quatre ans qu’ils étaient divorcés ;

ce n’était donc pas la première fois que cette pensée lui venait à l’esprit.

La plupart du temps, elle la repoussait, horrifiée. Mais elle était bien pla-

cée pour connaître l’appétit sexuel de son ex-mari… Jake avait été un

amant merveilleux. Durant leur mariage, il l’avait comblée.

 — Et qu’en est-il de mes propres besoins ? demanda-t-elle, s’efforçant de

maîtriser les trémolos de sa voix. Ai-je la même liberté que toi ? Ou pen-

ses-tu que, parce que jamais plus je n’aurai d’enfants, je ne suis plus une

vraie femme ? —  Non ! Ne parle pas ainsi, je t’en supplie !

Il repoussa brutalement sa chaise et se leva, le souffle court. Il s’approcha

d’elle et prit son visage en coupe dans ses mains. — Saskia a l’habitude de dire qu’elle a la plus belle maman du monde ; je

suis d’accord avec elle. — Saskia dit cela parce qu’elle est ma fille. Elle n’est pas objective. —  Ne m’as-tu pas entendu ? J’ai dit que j’étais d’accord avec elle.

Elle aurait tellement voulu qu’il en dise plus encore ! De cette voix qui po-

uvait être dure mais aussi tellement douce à l’occasion. S’il l’embrassait,

elle…

« Arrête de te faire des illusions ! » se sermonna-t-elle mentalement. Ces

temps-là étaient définitivement révolus.Mais, si elle avait accepté de briser leur alliance, elle n’en avait pas moins

souffert le martyre d’avoir à se séparer de l’homme qu’elle aimait à en

mourir. Elle avait accepté le divorce afin qu’il puisse retrouver une vie nor-

male, avec une femme qui accepterait ses caresses, et qu’il puisse être père

de nouveau. Pourquoi n’avait-il pas reconstruit sa vie avec une autre ? Si

tel avait été le cas, elle n’en serait pas là, à devoir repousser les larmes qui

lui venaient aux yeux.

Elle se dégagea de son étreinte. — Combien d’œufs avec ton bacon ? demanda-t-elle en espérant pouvoir 

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affermir sa voix. Un ou deux ?

 — Je n’ai plus faim.

 — Je…  je suis désolée, Jake. — Désolée de quoi ?

 — 

Que nous n’

ayons pas pu nous parler à cœ

ur ouvert après l’

accident.Dans les heures à venir, nous allons devoir cohabiter. Pourquoi ne pas en

 profiter pour le faire ? Cela me semble terriblement nécessaire. Qu’en pen-

ses-tu ?

Il fit la grimace avant de lancer :

 — Tu as une pelle ? — Pardon ? — Ton allée doit être déneigée. Je suis prêt à le faire. Peut-être cela me

rendra-t-il l’appétit. — Mais il continue à neiger !

 — Si tu glisses et tombes dans cette allée, je ne veux pas l’avoir sur la

conscience. Où est la pelle ? — Dans l’abri de jardin, à l’arrière de la maison.

 — Tu as intérêt à mettre trois œufs avec mon bacon. Il se pourrait que j’aie

un appétit d’ogre à mon retour !

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4.

Tandis que le vent et la neige agressaient sauvagement son visage, Jake dé-

gagea l’allée avec une énergie farouche, particulièrement heureux de cette

 possibilité d’exercice physique qui lui permettait de se concentrer sur autre

chose que le beau visage d’

Ailsa et…

le trop attentionné voisin !Rencontrer ce dernier avait été un choc. A l’évidence, il avait des vues sur 

son ex-femme. Mais quel homme aurait pu rester insensible au charme et à

la beauté d’Ailsa ? L’inquiétant était qu’elle n’avait nullement conscience

des raisons pour lesquelles ce Linus lui rendait visite et lui apportait des

cadeaux. Cela la rendait terriblement vulnérable.

Pourquoi Saskia ne lui avait-elle jamais parlé de ce voisin ? Ce n’était pas

faute de l’avoir questionnée. « Ta mère a-t-elle des amis qui viennent la

voir ? » avait-il l’habitude de demander. Sans doute les visites de Linus

étaient-elles trop espacées pour que Saskia juge utile de les mentionner. A

moins qu’elles n’aient lieu quand sa fille n’était pas là !

L’espace d’un instant, il s’arrêta de pelleter la neige pour mieux observer 

le cottage. Il avait vraiment un charme fou, semblant tout droit sorti d’un

conte pour enfants, surtout avec cette épaisse couche de neige qui le recou-

vrait désormais. Il était aux antipodes des demeures luxueuses dans les-

quelles il était né et avait grandi, aux antipodes de celles que ses agences

immobilières s’évertuaient à vendre aux riches de ce monde.

Ailsa avait clairement indiqué qu’elle désirait désormais vivre sa vie sans

aucune interférence et, même si cela l’irritait, il devait s’incliner.

Quand, ce triste jour de décembre, un conducteur ivre les avait percutés, il

n’avait pas su protéger ce qu’il avait de plus précieux au monde. Person-

nellement, il n’avait récolté qu’une cicatrice. Ailsa avait perdu le bébé

qu’elle portait et l’espoir de pouvoir en avoir un autre un jour. Venue du

fond de son cœur, une bouffée de désespoir le submergea. Pourquoi lui

avait-elle révélé se rendre sur la tombe du bébé ? Il n’avait nul besoin

qu’on lui rappelle qu’il n’avait pas survécu.Si Ailsa était capable d’extérioriser sa souffrance, il n’en allait pas de mê-

me pour lui. Son père lui avait appris à maîtriser ses émotions. Pour lui, ce-

lui qui montrait ses sentiments n’était pas un homme mais une mauviette.

Parfois, il lui arrivait de regretter d’avoir adopté, bien malgré lui, le modè-

le hérité de son père. Il gardait ses émotions secrètes, ne montrait jamais

son cœur  — surtout si celui-ci était brisé  — et faisait toujours semblant

que tout allait bien.

Ailsa souhaitait parler. Croyait-elle vraiment qu’ils pourraient ce faisantsurmonter la tragédie qui s’était soldée par leur divorce ? Jake avait une

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telle habitude d’enfouir sa souffrance tout au fond de lui-même afin que

 personne ne la devine qu’il en doutait.

Un goût de sel lui vint soudain à la bouche. Il réalisa alors que les larmes

lui étaient venues aux yeux et coulaient sur ses joues. D’un geste rageur de

la main, il les essuya, effrayé que quelqu’

un puisse le surprendre dans cetincroyable moment de faiblesse. Il pelleta la neige avec plus d’énergie en-

core.

* * *

 — Veux-tu encore un peu de bacon ? demanda Ailsa. — Tu plaisantes ! Je suis tellement repu que je me demande si je vais po-

uvoir me lever de table. Et si tu venais t’asseoir avec moi…

Ailsa hésita. Accepter son invitation revenait à acheter une tablette de cho-

colat quand on s’était juré d’arrêter les sucreries. Jake lui sourit et ses dé-

fenses s’effondrèrent. Elle prit place en face de lui.

 — Juste une minute…

 — Je suis très honoré !

 — Merci d’avoir dégagé l’allée, Jake. Hélas, je crains qu’il faille le refaire

encore et encore !

 — L’exercice physique est plus sain que de rester assis devant son écran

d’ordinateur. Est-ce que tu as toujours autant de plaisir à fabriquer des obj-

ets de toutes sortes ?

 — Oui. J’en ai même fait une affaire rentable. Je n’ai pas eu besoin de fai-

re de la publicité : le bouche à oreille a bien fonctionné. Tout récemment,

un magazine de décoration d’intérieur est venu m’interviewer.

 — Bravo ! Cela semble signifier beaucoup pour toi. — Beaucoup, en effet. Quand je me rappelle d’où je viens… C’est un vrai

miracle ! Jamais je n’aurais imaginé réussir de la sorte. — Pourquoi ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

 — Cela vient de ma petite enfance, je suppose. Savoir que j’ai été un bébéabandonné ne m’a pas aidée à prendre confiance en moi. Je n’étais pas dé-

sirée…, donc je ne valais rien.

 — Jamais tu ne m’as parlé de ça !

Rougissant de s’être laissée aller à ces confidences, Ailsa réussit à soutenir 

le regard soudain perçant fixé sur elle.

 — Tu ne m’as jamais interrogée sur mon enfance. J’avais l’impression que

le fait que je ne sois pas de ton monde t’embarrassait. C’est pourquoi je

n’ai pas abordé ce sujet.Jake secoua la tête, abasourdi.

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 — Je suis désolé, vraiment désolé ! Si je t’ai donné à penser cela, alors je

suis le roi des imbéciles ! Tu es tellement talentueuse, Ailsa ! J’ai toujours

eu une grande admiration pour toi, sans avoir été, à l’évidence, capable de

l’exprimer.

Elle sentit son cœ

ur battre plus fort. Enfin, ils se parlaient ! Elle appréciaitchaque seconde de cet instant magique.

 — Merci pour ces mots réconfortants. Aujourd’hui, j’ai beaucoup évolué.

Le fait d’avoir réussi à créer mon entreprise, à la faire prospérer, m’a don-

né cette confiance en moi qui me manquait. Je suis si heureuse de pouvoir 

m’assumer financièrement ! — Pourquoi tiens-tu tant à pouvoir t’assumer financièrement ? demanda

Jake, contrarié. La pension que je te verse te permet de vivre confortable-

ment sans avoir à travailler !

Choquée qu’il ne puisse concevoir son besoin d’indépendance, elle reposa

son toast, l’appétit coupé.

 — Ta pension va bien au-delà de mes besoins et de ceux de Saskia et,

crois-moi, je t’en suis infiniment reconnaissante. Elle me donne un senti-

ment de sécurité. Mais il était important que je puisse me prouver à moi-

même que j’étais capable de gagner ma vie par mes propres moyens. Tu

 peux comprendre ça, non ?

 —  Non. Cet argent devrait suffire à t’apporter l’indépendance que tu sou-

haites. Est-ce que ton ami, le fils du fermier, sait que tu es riche ?

Ailsa ouvrit de grands yeux, effarée. — Que veux-tu dire ? Que Linus me rend visite seulement parce que j’ai

de l’argent ? Merci, Jake, tu as vraiment un don pour réconforter une fem-

me qui ne croit pas en elle !

Tentant désespérément de calmer la rage qui l’habitait, elle repoussa sa

chaise et se leva pour aller prendre place dans le fauteuil, près de la chemi-

née. Il la suivit et se campa devant elle.

 — Je voulais seulement te mettre en garde. Tu fais parfois preuve d’unetrès grande naïveté et je ne voudrais pas que quelqu’un cherche à profiter 

de toi.

 — Si c’est le cas, ce n’est plus ton problème, Jake. Je te rappelle que nous

ne sommes plus mariés. — Cela ne veut pas dire que je ne doive plus chercher à te protéger.

 — Pourquoi ? Simplement parce que je suis la mère de ta fille ?

Il blêmit et chancela comme un boxeur sonné. Ailsa bondit aussitôt sur ses

 pieds et, de sa main, caressa la cicatrice sur sa joue. — Je suis désolée, Jake ! Je ne voulais pas être désagréable.

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Il encercla son poignet de ses doigts et repoussa sa main loin de la cicatri-

ce.

 — Tu n’as pas le droit de penser que je me désintéresse de toi, parce que

ce n’est pas vrai.

Dans un geste impulsif, il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Ce futcomme si un volcan entrait brusquement en éruption. La passion, qui na-

guère les consumait, se réveillait, plus sauvage et violente que jamais. Il

s’empara de ses lèvres avec fougue et elle répondit à son baiser avec la mê-

me ardeur. N’était-ce pas ce qu’elle avait attendu durant toutes ces années

? Elle savait que retomber dans cette terrible addiction, c’était ouvrir la

 porte à de nouvelles souffrances ; pourtant, elle savourait chaque seconde

de cet instant magique. Les pointes de ses seins avaient durci, le cœur de

son intimité pulsait, une onde de chaleur montait de ses reins pour l’enva-

hir tout entière. Elle était prête à se donner à lui.

Soudain, un reste de raison la fit reprendre pied dans la réalité. Elle s’arrac-

ha à son étreinte. — Je…  je crois que ce n’est pas une très bonne idée, Jake, balbutia-t-elle.

 — Je crois au contraire que c’est la meilleure qui soit ! —  Non ! Crois-tu qu’une étreinte pourra nous faire oublier le passé ?

Les yeux de Jake lancèrent des éclairs.

 — Comment peux-tu parler aussi froidement de ce qui vient de se passer ?

 jeta-t-il, furieux. Pour ma part, je n’en ai pas honte ! Ce n’était nullement

 prémédité. Sans doute avais-je besoin d’un peu de chaleur humaine, ce qui

ne semble pas être ton cas. J’ai compris le message. Je vais dans ma cham-

 bre car j’ai du travail. Appelle-moi si tu as besoin de moi, mais je doute

que ce soit le cas.

Avant de quitter la pièce, il se retourna.

 — Sans doute préféreras-tu appeler ton ami Linus. Il semble que tu ne ma-

nifestes aucune réticence à accepter ses cadeaux ou son aide.

Choquée par son ton sarcastique, Ailsa demeura un instant sans bouger au- près du sapin, comme anesthésiée. Comment à présent trouver l’énergie,

l’enthousiasme nécessaires pour décorer l’arbre de Noël ? Elle était anéan-

tie. Jake avait pensé qu’elle n’avait nul besoin de chaleur humaine. Com-

me il se trompait ! Comme elle avait aimé sentir ses bras autour d’elle, ses

lèvres sur les siennes !

Elle n’éprouvait nul désir pour Linus, aussi charmant et attentionné soit-il.

Par contre, elle éprouvait un désir violent, incontrôlable, pour Jake. Il en

avait toujours été ainsi. Il en serait toujours ainsi.Repoussant les larmes qui lui venaient aux yeux, elle plaça quelques bûc-

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hes dans le feu. Que penserait Saskia si elle voyait sa mère incapable de

décorer le sapin avec tout ce qu’elles avaient préparé ensemble tout au

long de l’année ? Elle ne pouvait décevoir sa fille ! Forte de cette idée, elle

se mit en mouvement. A son retour, Saskia trouverait le plus beau sapin de

 Noël qu’

on puisse rêver !A la porte de derrière, elle mit ses bottes, son manteau, son bonnet, et af-

fronta la tourmente de neige qui sévissait toujours afin de se rendre dans le

chalet de bois construit au fond du jardin pour y abriter ses œuvres. Elle re-

vint dans le salon avec sous le bras la boîte contenant les décorations ainsi

que des guirlandes lumineuses. Le feu crépitait dans la cheminée. Il ne lui

restait plus qu’à mettre les chants de Noël pour créer l’atmosphère de la fê-

te à venir. Elle se dirigea vers sa platine et, bientôt, la chanson  Douce Nuit ,

chantée par un chœur d’enfants accompagné d’un orchestre, s’éleva dans

les airs. Ailsa sourit. Elle pouvait désormais s’occuper de la décoration du

sapin.

* * *

Assis sur le lit, Jake ne manifestait, malgré tous ses efforts, aucun intérêt

 pour son travail. Le dossier urgent, confié par sa secrétaire juste avant qu’il

ne quitte Copenhague, allait devoir attendre. Il se fichait comme d’une

guigne des conséquences que son désintérêt pourrait avoir.

Soudain, il se figea. Les notes de son chant de Noël préféré montaient du

rez-de-chaussée. Il s’étendit de nouveau sur le lit, au milieu des coussins

moelleux. Les paroles invitaient à la quiétude et à la paix. Qu’Ailsa le re-

 pousse l’avait rendu furieux. Il n’avait pas anticipé ce baiser : le désir res-

senti en face d’elle l’avait peu à peu consumé. Il l’avait tenue, palpitante,

dans ses bras. Il avait alors perdu tout contrôle. Qui pouvait l’en blâmer ?

Elle l’avait fait.

Pourtant, le moment avait été délicieux, divin. Il aurait voulu qu’il dure

éternellement. Le seul fait de s’en souvenir lui donnait de nouveau l’enviede faire l’amour avec Ailsa. Longtemps après qu’ils se furent séparés, son

 parfum avait flotté dans la maison. Cela avait été une insupportable torture

de la sentir sans pouvoir la toucher, la caresser. Chaque jour passé loin

d’elle avait été une agonie. Aucune femme, jamais, n’avait pu la rempla-

cer.

En grommelant, il se tourna sur le côté, les yeux fixés sur la neige qui, au-

delà de la fenêtre, persistait à tomber ; puis, bercé par la musique, terrassé

 par les heures de fatigue accumulées, il sombra dans un sommeil profond.* * *

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Alors que le troisième CD de chants de Noël se finissait, Ailsa recula de

quelques pas afin de pouvoir contempler son œuvre. Les décorations réali-

sées tout au long de l’année avec Saskia conféraient au sapin un air de fête

très réussi. La guirlande lumineuse complétait l’

ensemble de façon harmo-nieuse. Dès la tombée de la nuit, l’effet serait magique.

Très heureuse, elle se mit à fredonner  Au cœur du morne hiver , pas vrai-

ment le chant le plus joyeux de son répertoire. A l’orphelinat, on avait l’ha-

 bitude de lui affirmer que ses origines irlandaises la prédisposaient à aimer 

la tragédie.

Les seules informations glanées sur sa mère étaient que cette dernière avait

seize ans au moment où elle lui avait donné naissance et qu’elle était irlan-

daise. Les recherches d’Ailsa pour retrouver sa trace s’étaient révélées vai-

nes. Ensuite, Jake avait proposé de louer les services d’un détective privé,

mais Ailsa avait refusé, jugeant inutile, maintenant qu’elle était mariée et

allait fonder un foyer, de savoir qui était sa génitrice. Cette dernière l’avait

abandonnée, elle ne l’avait pas désirée, point final.

Et puis une partie d’elle-même avait eu horriblement peur que sa mère la

rejette de nouveau. Elle ne l’aurait pas supporté.

 — Personnellement, je préfère Douce Nuit , lança une voix derrière elle.

Celle-là est un peu trop… triste !

Elle se retourna. Jake se tenait debout dans l’embrasure de la porte, les

cheveux en bataille comme s’il venait tout juste de se réveiller. —  Douce Nuit  est déjà passée. — Je sais. Elle m’a même endormi.

Ailsa nota qu’il parlait sans agressivité, comme s’il voulait faire la paix. — Tu devais être très fatigué. Qu’en penses-tu ? ajouta-t-elle en lui mon-

trant le sapin décoré.

Il le contempla un instant puis la gratifia d’un sourire chaleureux.

 —  Il est magnifique ! J’aimerais que Saskia soit là pour pouvoir l’admirer. — Elle le verra le soir de Noël. Je suppose que ta mère aura décoré son

 propre sapin, aussi bien, sinon mieux, que celui-ci.

 — Elle l’aura décoré avec sa petite-fille, c’est certain.

 — Ce sera son premier Noël sans son mari. Cela va être très dur pour elle,

non ?

 — Oui. C’est pourquoi j’ai cédé à la pression de la grand-mère et de la pe-

tite-fille, qui désiraient passer plus de temps ensemble.

Ailsa se mordit la lèvre. Penser que la douce Tilda allait se retrouver seuleà cette période de partage en famille lui déchirait le cœur.

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 — As-tu l’intention de passer Noël avec ta mère ?

 — Oui. Elle a tout particulièrement besoin de moi en ce moment. J’espère

que le temps ne contrariera pas mes projets. —  Il ne reste plus qu’une seule chose à installer au sommet du sapin, dit-

elle en montrant l’

ange qu’

elle tenait à la main. A Copenhague, il est detradition de mettre une étoile au sommet du sapin, mais les Anglais lui pré-

fèrent un ange. La tenue de celui-ci est l’œuvre de notre fille.

Elle fit la moue. — Une tenue un peu trop dorée pour un ange, non ?

 — Tu trouves que notre fille est trop attirée par le luxe ? demanda Jake,

 perplexe.

Il vit les yeux d’Ailsa se remplir de tendresse et d’indulgence.

 — Saskia est une vraie fille. Elle adore les belles robes. Elle est tout le

contraire de moi. Petite, je n’étais heureuse qu’en jean et polo, sales et déc-

hirés de préférence. Je passais mon temps à plat ventre dans le jardin à dé-

terrer les vers de terre. Je rentrais généralement couverte de boue. — Et que faisais-tu des vers ?

 — Je les ramenais à la maison, bien sûr ! —  Il ne semble pas que tu aies été une enfant facile à élever !

 — J’ai posé bien des problèmes à mes familles d’accueil, en effet. J’étais

si rebelle qu’à chaque essai en vue d’une adoption, je m’enfuyais de la

maison. En vérité, je cherchais une mère sans jamais la trouver.

 — Et tu étais en rage parce que la tienne t’avait abandonnée.

Elle poussa un soupir fataliste. — C’est du passé, désormais.

 — Oui. Désires-tu que j’installe l’ange au sommet du sapin ? — Tu veux bien ?

 — Avec grand plaisir.

Avec sa haute taille, Jake n’eut même pas besoin de se hisser sur la pointe

des pieds. — Qu’en penses-tu ? demanda-t-il. — C’est parfait. Saskia va être très heureuse de voir son œuvre mise ainsi

en valeur.

 — Y a-t-il autre chose que je puisse faire ? —  Non, tout va bien.

 — Peut-être pourrais-je installer une guirlande électrique tout autour de la

maison. Nous le faisions, avant, tu te rappelles ?

Comme les larmes lui venaient spontanément aux yeux, Ailsa lui tourna ledos afin qu’il ne puisse voir sa détresse. Autrefois, ils avaient une vraie vie

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de famille. Mais le destin avait décidé d’y mettre un terme.

 — Oui, je me souviens, dit-elle enfin. Mais il fait très froid, dehors.

 — Ce serait une belle manière d’accueillir Saskia, non ?

Ailsa pensa en effet que c’était la plus belle idée qui soit.

 — 

J’

ai des guirlandes dans le chalet, au fond du jardin. Je vais les cherc-her.

 —  Non ! Toi, tu restes ici ; moi, je vais les chercher. Dis-moi où elles sont.

Il vint se planter devant elle, avec ce sourire qui, chaque fois, lui ôtait tous

ses moyens de défense. Elle était si émue qu’elle laissa échapper la boîte

de décorations qu’elle tenait encore dans ses mains. — Oh ! je suis vraiment maladroite !

Elle se pencha pour ramasser les objets épars sur le tapis, mais Jake fut

 plus rapide. Il emprisonna ses mains dans les siennes. Dans ses yeux, elle

décela alors l’étincelle du désir.

Elle fut incapable de le repousser.

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5.

Qui, le premier, fit le geste incendiaire ? Ailsa se posa confusément la que-

stion, mais, dès que leurs lèvres se joignirent, la réponse lui importa peu.

La bataille était perdue. Un maelström de sensations la submergea, toutes

 plus délicieuses les unes que les autres. Jake prit son visage dans sesmains, et le baiser s’approfondit, leurs langues se trouvant pour un ballet

follement érotique. Il en avait toujours été ainsi. Dès qu’ils se touchaient,

la passion les dévorait. Des laves incandescentes coulaient désormais dans

les veines d’Ailsa. Elle noua ses bras autour de la taille de celui qui avait

été son mari et se pressa contre lui, percevant avec un bonheur indicible le

désir qu’il avait d’elle. Ils allaient faire l’amour ! Cela lui manquait telle-

ment…

Jake fut le premier à reprendre ses esprits. Il abandonna ses lèvres et plon-

gea son regard dans le sien.

 — Tu sais où cela va nous conduire si nous poursuivons, Ailsa ? Es-tu prê-

te pour cela ? C’est vraiment ce que tu veux ?

Elle se rembrunit. Pourquoi lui donnait-il le choix ? S’il l’avait portée jus-

qu’à un lit, elle l’aurait laissé lui faire l’amour encore et encore. C’était

son vœu le plus cher. Mais, puisqu’il lui demandait son avis, la raison lui

dicta sa conduite.

 — Je…  je suis désolée, balbutia-t-elle. Considère cela comme un moment

de faiblesse.

 — Entre nous, il n’y a jamais eu d’hésitation, seulement des certitudes.

Une même passion nous liait. Il semble qu’elle ne se soit pas éteinte com-

me nous le pensions.

 — Oui…

Il lui était impossible de le nier. Son désir pour Jake, aujourd’hui, avait été

tout aussi fulgurant que dans le passé. Les regrets l’assaillirent. Les regrets

qu’il n’ait pas prolongé leur baiser, les regrets qu’un terrible accident ait à

 jamais brisé leur rêve et leur union. Elle aurait tellement voulu oublier !Hélas, cela lui était impossible…

 — Céder au désir nous donnerait une satisfaction passagère, mais ne régle-

rait en aucune façon notre problème, reprit-elle. Souviens-toi : notre vie

était devenue un enfer. Nous séparer était la seule possibilité. Continuer à

nous déchirer comme nous le faisions n’était pas vivable. Au moins, nous

avons réussi à retrouver une certaine paix et à la transmettre à notre fille. — Une certaine paix ! Si tu l’as trouvée, alors je t’envie, car ce n’est pas

mon cas. Jour et nuit, cet accident me hante et la pensée de ce que nousavons perdu ravage mon cœur. Mais toute conversation sur le sujet est inu-

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tile. Je vais installer la guirlande dehors.

Il était sorti avant même qu’Ailsa puisse répondre.

* * *

Assise sur ses talons, Ailsa remit une bûche dans la cheminée et jeta un re-gard vers l’horloge. Cela faisait maintenant près de deux heures que Jake

était dehors, dans un froid glacial, occupé à installer les guirlandes sur les

murs du cottage. Sachant qu’il ne buvait plus d’alcool, elle lui avait appor-

té un thé bien chaud. Perché sur l’échelle posée contre le mur, il l’avait re-

merciée pour cette délicate attention, puis s’était remis au travail sans plus

tarder. De toute évidence, il était toujours fâché. Allait-il en être de même

 jusqu’à son départ ? Non, cette tension entre eux était insupportable ! Elle

devait tout mettre en œuvre afin que la paix revienne.

Elle en était là de ses réflexions quand la porte de derrière s’ouvrit.

 — J’ai fini, annonça-t-il. Tu veux venir voir ce que ça donne ?

 — Je mets un manteau et j’arrive !

Ailsa contempla, émerveillée, le cottage scintillant comme un diamant

dans son manteau neigeux. C’était féerique. Elle fut intimement persuadée

que jamais elle n’aurait pu faire aussi bien. Par une température à découra-

ger les plus intrépides, Jake avait pris son temps pour faire du cottage un

 palais des mille et une nuits.

Se tournant vers lui, elle vit ses pommettes rendues violettes par le froid.

 — C’est merveilleux. Les mots me manquent pour te dire combien j’appré-

cie ce que tu as réalisé. Grace à toi, c’est vraiment Noël. Saskia va être fol-

le de joie quand elle reviendra. Mais tu sembles frigorifié. Rentre te réc-

hauffer auprès du feu. Je vais te préparer des sandwichs. Tu les as bien mé-

rités.

 — Merci.

Jake secoua sa pelisse afin de la débarrasser des flocons qui s’y étaient acc-

rochés et racla ses bottes sur le paillasson avant d’entrer. Le froid l’avaitglacé jusqu’aux os. Il frotta ses mains l’une contre l’autre afin de réchauf-

fer ses doigts gourds. Le travail qu’il venait de réaliser nécessitait une cer-

taine précision, et les gants s’étaient révélés un handicap. Ils les avaient

très vite ôtés. Mais l’éclat de bonheur dans les yeux d’Ailsa à la vue de son

travail le récompensait grandement des morsures du froid. Saskia serait, el-

le aussi, éblouie par la féerie des lumières de Noël. Cela valait tous les sac-

rifices.

Comme sa fille lui manquait… Son plus grand plaisir, au moment de Noël,était de la voir déchirer le papier enveloppant ses cadeaux, d’entendre ses

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exclamations de joie. Ensuite, elle avait l’habitude de se lover dans ses

 bras, heureuse de constater combien le Père Noël s’était montré généreux.

Pourtant, cette année encore, il ne vivrait pas ces instants. Saskia allait pas-

ser Noël avec sa mère en Angleterre ; il le passerait avec la sienne à Co-

 penhague.Jake avait passé les derniers Noëls seul. Il avait décliné l’invitation de ses

 parents de les passer en leur compagnie car, au fil du temps, ses relations

avec son père s’étaient détériorées. Jake aurait voulu apporter une certaine

modernité dans la manière de gérer l’entreprise familiale ; or Jacob Larsen

s’y était fermement opposé, prenant les initiatives de son fils comme au-

tant de tentatives pour l’évincer. Et il n’avait cessé de dévaloriser ses réus-

sites.

Il laissa échapper un soupir. Parce qu’il se sentait coupable, il avait laissé

Saskia passer Noël en compagnie de sa mère. A défaut de la présence de sa

fille, il avait préféré rester seul.

Pénétrant dans la cuisine chaleureuse et pleine de charme, il entendit Ailsa

fredonner  Douce Nuit . Il prit alors conscience que ce n’était pas seulement

la présence de sa fille qu’il souhaitait désespérément pour Noël. Il s’em-

 pressa de chasser cette pensée  — source d’insupportables frustrations.

 — C’est moi qui prépare le café, d’accord ? proposa-t-il.

 — D’accord !

Elle le gratifia de ce sourire lumineux qui, chaque fois, mettait son cœur en

émoi. Il avait passé deux heures dans le froid glacial, mais en lui la flamme

du désir ne demandait qu’à être rallumée. Il aurait donné cher pour pouvoir 

serrer Ailsa contre lui et lui faire l’amour. Il devait avoir l’air bizarre car 

elle demanda : — Jake, tout va bien ?

 — Euh, oui… Où ranges-tu ton café ? — Je viens juste d’en acheter un nouveau paquet. Il est dans le placard,

dans cette magnifique boîte peinte offerte par ta mère pour notre premier  Noël ensemble. Tu t’en souviens ?

Jake acquiesça d’un hochement de tête. C’était au temps où ils pensaient

que leur bonheur durerait éternellement.

Il trouva la boîte et l’ouvrit. Une délicieuse odeur de café moulu lui monta

aux narines.

 —  Il sent bon, dis-moi ! Tu en prendras ou préfères-tu ton thé habituel ? — Je veux bien goûter ce nouveau café, surtout si c’est toi qui le prépares.

 — Ah ! Ainsi, tu es capable de sortir de la routine !Elle affronta son regard, ses yeux lançant des éclairs.

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 — Cela m’arrive plus souvent que tu ne sembles le croire. A t’entendre, je

refuse tout changement dans mes habitudes. En un mot, je manque de fan-

taisie !

Il sourit, amusé.

 — 

Ce n’

est pas ce que j’

ai dit ! En vérité, je dois l’

avouer, c’

est ta fantaisiequi mettait du piment dans notre mariage. Je l’adorais.

Ailsa écarquilla les yeux, abasourdie.

 — Tu… tu l’adorais ! — Oui. Cela me changeait tellement de la rigueur austère de ma famille et

de l’ambiance de travail imposée par mon père.

C’était la première fois que Jake se livrait ainsi, avouant avoir souffert de

cette rigueur paternelle. Ailsa le vivait comme un véritable miracle de

 Noël. Ainsi, être piégée avec son ex-mari dans son cottage, par un temps à

ne pas mettre un ours blanc dehors, allait finalement lui permettre de

mieux le connaître !

* * *

Elle prépara les sandwichs, et lui le café. Après quoi, ils se retrouvèrent as-

sis à table, l’un en face de l’autre. Mais, au lieu de manger ou de boire, Ja-

ke demeura immobile à contempler le charmant visage qui lui faisait face.

 — Tu sembles à des kilomètres d’ici, lui fit remarquer Ailsa. A quoi pen-

ses-tu ?

Cette question, elle la lui avait posée très souvent lorsqu’ils étaient ensem-

 ble. En général, il pensait à elle, à son incroyable beauté, à la chance qu’il

avait de l’avoir rencontrée et épousée. Quel dommage qu’il ne le lui ait ja-

mais avoué, se reprocha-t-il soudain. — Je notais combien Saskia te ressemble.

C’était la stricte vérité. Parfois, le sourire de sa fille le bouleversait, tant il

ressemblait à celui de sa mère.

 — Ses yeux ont la même couleur que les tiens, rectifia Ailsa. — Pour nous, Nordiques, les yeux bleus sont d’une grande banalité. — Mais la couleur des tiens est très spéciale, certainement pas banale.

C’est le bleu du ciel avant que la nuit ne l’obscurcisse.

Le silence s’installa entre eux tandis que leurs regards se cherchaient, se

trouvaient, restaient soudés. Un lien invisible, resté intact malgré les aléas

du passé, les unissait. Jake osait à peine respirer de peur que l’instant ma-

gique ne se dissolve pour ne plus jamais revenir. En bonne maîtresse de

maison, Ailsa servit le café. Sa main tremblait. Elle but une gorgée du breuvage.

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 — Absolument délicieux ! décréta-t-elle. Saskia a-t-elle exprimé auprès de

toi des souhaits pour Noël ? Nous avons intérêt à nous consulter sur le

sujet afin de ne pas lui offrir la même chose. — Elle m’a confié une enveloppe avec une liste, juste avant mon départ de

Copenhague. Je l’

ai dans mes bagages, dans la chambre. Je propose quenous la lisions ensemble, tout à l’heure.

 — Bonne idée ! Saskia n’est jamais très exigeante ni capricieuse, mais,

 parfois, je me demande si elle ne me cache pas un certain mal-être. As-tu

la même impression ?

Jake laissa échapper un soupir. — Oui. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai pensé utile de la laisser 

 passer quelques jours avec sa grand-mère. Si quelque chose la perturbe, il

se pourrait qu’elle trouve plus facile de se confier à elle qu’à nous. — Elever un enfant est une tâche délicate. Parfois, la nuit, il m’arrive de

me demander si j’ai pris les bonnes décisions, si je ne suis pas passée à cô-

té d’une chose vitale qui pourrait avoir un retentissement négatif sur elle,

 plus tard.

Jake se frotta la joue, embarrassé. Il lui était difficile de dialoguer sur ce

sujet. L’éducation de Saskia reposait principalement sur les épaules d’Ail-

sa, il devait le reconnaître. Comme il aurait aimé qu’il en soit autrement !

Avec force, il repoussa les idées noires qui s’insinuaient dans son esprit. — Je partage tes angoisses, Ailsa, avoua-t-il. Mais tous les parents se po-

sent la même question : est-ce que je fais ce qu’il faut pour aider mon en-

fant à bien grandir ? Il n’y a pas d’école des parents. Chacun de nous fait

ce qu’il peut. Une chose me semble néanmoins importante : si nous mani-

festons notre amour inconditionnel à notre enfant, alors, il y a une bonne

chance pour que tout se passe pour le mieux.

 — Tu as sans doute raison.

Elle poussa vers lui l’assiette de sandwichs.

 — Tu dois mourir de faim, non ? — Et toi ? Tu n’as rien mangé, ce matin ! On partage ? — Tu cherches à me faire grossir ?

Il vrilla son regard au sien.

 — Que tu sois grosse ou mince n’a aucune importance, Ailsa. La seule

chose qui m’importe est que tu sois heureuse.

Elle détourna vivement les yeux. — Je…  je ne suis pas malheureuse, Jake. C’est juste que…

 — Oui ? —  Non, rien.

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 — Parle-moi, Ailsa !

 —  Nous aurions dû le faire bien plus tôt, quand nous étions encore ensem-

 ble. Mais tu étais si absorbé par la réussite de Larsen Real Estate qu’il ne

semblait pas y avoir de place pour autre chose dans ta vie. Arrêtons de

nous quereller. Mangeons nos sandwichs et buvons notre café en paix,d’accord ?

Elle fit une pause et lança un regard vers le paysage hivernal.

 —  Nous sommes condamnés à rester bien au chaud dans une maison douil-

lette jusqu’à ce que le temps nous permette de sortir de nouveau. Alors ne

nous fâchons pas et, surtout, ne faisons rien que nous puissions regretter 

 plus tard. — Si c’est ce que tu veux…

 — Tu n’as jamais été très doué pour te relaxer, n’est-ce pas ? lança-t-elle

en souriant.

 — Et toi, tu l’es ?

 — Moi, je sais m’occuper ; en tricotant, par exemple. — Tu n’es pas en train de suggérer que je me mette au tricot, j’espère…

Sur le point d’avaler une gorgée de café, Ailsa dut reposer sa tasse, prise

d’un fou rire incoercible.

 — Ce serait vraiment le spectacle le plus hilarant qui soit !

 — Je suis heureux que nous soyons du même avis, pour une fois !

Jake avait bien du mal à ne pas éclater de rire à son tour. Voir de nouveau

les étoiles briller dans les yeux d’Ailsa était certainement le meilleur remè-

de qui soit pour chasser les idées noires. Souvent, par le passé, lorsque le

découragement le menaçait, elle sauvait la situation par sa bonne humeur 

et son humour. C’était également cette facette de sa personnalité qui lui

manquait terriblement. Aujourd’hui, sauf en compagnie de sa fille, il était

rarement gai. — Sais-tu que de plus en plus d’hommes se mettent au tricot ? lança Ailsa.

 — Tu plaisantes !Il tendit ses mains vers elle. — Regarde mes mains. Elles ne sont pas gracieuses comme les tiennes.

 — J’ai toujours adoré tes mains…

Sans réfléchir, elle les prit dans les siennes afin de les examiner. — Oh ! j’avais oublié…

Son exclamation devant ses paumes couturées de cicatrices alla droit au

cœur de Jake. Il tenta de les retirer pour les cacher, mais Ailsa l’en empêc-

ha. — Tu t’es fait ces cicatrices en protégeant mon visage le jour de l’acci-

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dent. Tu ne dois pas en avoir honte, Jake. Elles font de toi un héros.

 — Certainement pas ! J’aurais voulu faire tellement plus… Si j’étais un

héros, tu n’aurais pas perdu notre bébé. — Te sentir coupable est ridicule, Jake ! s’exclama Ailsa d’une voix horri-

fiée. Tout est arrivé tellement vite ! Tu as fait le maximum pour nous pro-téger, le bébé et moi. Tu as risqué ta vie, tu as été sérieusement blessé ; tu

n’aurais pas pu faire mieux.

Jake prit un des sandwichs et le porta à ses lèvres pour en prendre une

 bouchée. Il aurait pu tout aussi bien manger du carton tant il n’avait plus

goût à rien. Reposant le sandwich dans son assiette, il se leva. — Je suis désolé, Ailsa, mais je ne peux rester là à parler du passé. Cela

m’est impossible. J’ai l’impression d’avoir totalement raté ma vie.

 — C’est absurde ! Comment peux-tu, une seule seconde, penser une chose

 pareille ? Et ta fille ? Que crois-tu qu’elle éprouverait si elle t’entendait

 parler ainsi ? Si elle te voyait baisser les bras, si tu lui laissais entendre

qu’elle ne pourra jamais te rendre heureux ?

Jake sentit une boule lui obstruer la gorge. La seule pensée que sa fille

 puisse imaginer qu’elle ne compte pas pour lui le rendait nauséeux.

Il eut un rire sarcastique.

 — Moi, un héros ? Quelle blague !

Sur ces mots, il lui tourna le dos et sortit de la cuisine.

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6.

« Moi, un héros ? Quelle blague ! »

Après le départ de Jake, qui ressemblait fort à une fuite, les mots résonnè-

rent longtemps aux oreilles d’Ailsa, amenant des larmes dans ses yeux.

Il était un héros, cela ne faisait aucun doute ! Mais il était trop tard pour l’affirmer. Elle avait été trop dure avec lui pendant la période qui avait sui-

vi l’accident. Elle avait perdu son enfant, et jamais plus elle ne pourrait en-

fanter. La souffrance avait été inouïe, dévastatrice. Elle-même était deve-

nue insupportable, raison pour laquelle Jake avait demandé le divorce.

Qu’elle avait accepté.

Elle porta la main à son cœur. Il battait à grands coups sourds dans sa po-

itrine. En vérité, leur mariage battait déjà de l’aile bien avant l’accident. Ja-

ke était investi à cent pour cent dans son travail. Ils n’avaient que peu de

temps à consacrer à leur couple, pour parler, se découvrir, savoir ce qui

avait fait d’eux l’homme et la femme qu’ils étaient devenus.

Le seul endroit où Jake révélait sa passion était le lit conjugal. Un point

important, sans doute, mais pas suffisant pour garder leur ménage uni. Ils

n’avaient pas été à même de construire cette relation de confiance et de

respect réciproques qui permet à un couple de traverser les pires épreuves.

Alors ils avaient rompu le lien sacré qui les unissait.

Pourtant, quatre ans plus tard, à sa totale surprise, Ailsa découvrait une in-

finie tristesse dans les yeux de Jake. De toute évidence, il avait souffert et

souffrait encore. La mort de son père avait dû ajouter encore à sa détresse.

Elle releva la tête. Elle devait agir ! Elle devait impérativement le con-

vaincre de l’écouter. Désormais, elle ne voulait, pour lui, que ce qu’il y

avait de meilleur. Elle regrettait tous les mots haineux prononcés sous

l’empire de la souffrance. Il n’était en rien responsable de ce qui leur était

arrivé. Elle se devait de l’en persuader. Alors, peut-être, pourraient-ils au

moins rester amis.

Le cœur dévasté, Ailsa rangea les sandwichs dans le réfrigérateur. Pour ledîner, elle préparerait un bon repas qu’ils savoureraient ensemble, une sor-

te de rameau d’olivier symbolique offert afin de les rapprocher.

Elle se rendit tout à coup compte qu’elle ne souhaitait pas que Jake et elle

deviennent amis. Elle voulait plus, beaucoup plus !

Elle se souvenait de tout : la douceur de ses lèvres sur les siennes, leurs

deux corps enlacés qui ne faisaient plus qu’un, comme s’ils avaient été

créés l’un pour l’autre, le bébé qui grandissait en elle, la bouche de Jake

qui se posait sur son ventre rebondi pour un baiser, chaque soir, avant des’endormir.

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Et surtout, il y avait Saskia, leur fille adorée, bien vivante, elle, et qui, dans

quelques jours, serait de nouveau à ses côtés.

Elle s’empara de son livre de recettes et se concentra sur le savoureux dî-

ner qu’elle allait concocter. Sa manière à elle de conjurer le sort.

* * *

Ouvrant les yeux dans une pièce devenue sombre, Jake prit conscience

qu’il avait dû s’endormir. L’espace d’un instant, il était resté étendu, les

yeux fixés sur les poutres du plafond, le cœur brisé, puis il avait sombré

dans un sommeil profond. Sans doute l’ambiance feutrée et douillette de la

chambre y était-elle pour beaucoup. Tout, dans le cottage, grâce au talent

incontestable d’Ailsa, respirait la quiétude et la douceur de vivre.

Il y avait plus perturbant encore : dès que ses yeux s’étaient de nouveau

 posés sur elle, dès que ses lèvres avaient effleuré les siennes, il avait eu en-

vie de lui faire l’amour. Un désir violent, primitif. Il en avait toujours été

ainsi. La passion qu’il éprouvait pour son ex-femme ne s’était en rien

éteinte durant ces quatre interminables années de privation.

Si la neige ne s’arrêtait pas de tomber et qu’il restait enfermé avec Ailsa

dans ce cottage, alors il ne répondait plus de rien.

« J’ai toujours adoré tes mains…  », avait-elle dit. Pourquoi avait-elle pro-

noncé ces mots de tendresse à son égard ? Elle avait caressé les cicatrices

de ses paumes comme si elle n’éprouvait aucune répugnance à le faire.

Comme si elles étaient précieuses pour elle.

Repoussant ces pensées déstabilisantes hors de son esprit, Jake alluma la

lampe de chevet et quitta le lit. Il était temps de rejoindre Ailsa.

* * *

Elle était de nouveau en train de faire la cuisine ! Le plus délicieux des fu-

mets venait de lui chatouiller les narines alors qu’il descendait les marches

de l’escalier. Son estomac vide le titilla, lui rappelant qu’il n’avait pastouché aux sandwichs préparés pour lui. Il mourait de faim !

Quand il pénétra dans la cuisine, elle lui tournait le dos, occupée à remuer 

ce qui mijotait dans une cocotte en fonte.

 — As-tu essayé de téléphoner ? demanda-t-il. Les lignes sont-elles de nou-

veau en service ?

Ailsa déposa la cuillère de bois qu’elle tenait à la main, s’essuya les mains

sur son tablier et se retourna.

 —  Non, nous sommes toujours privés de téléphone. Je suis désolée.Elle le gratifia d’un sourire dévastateur.

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 — As-tu réussi à dormir un peu ? Tu as l’air nettement plus reposé que

tout à l’heure.

 — Quel filtre magique as-tu mis dans mon café ? Je crois n’avoir jamais

aussi bien dormi de toute ma vie.

Elle haussa gracieusement les épaules. — Sans doute ce repos t’était-il nécessaire. Je t’envie d’avoir pu dormir. Je

suis en train de te préparer un coq au vin, une de mes meilleures recettes.

J’espère que cela compensera le fait que tu te sentes retenu prisonnier ici. — Je ne veux pas que tu passes ton temps à faire la cuisine pour moi. Je

 peux tout à fait me débrouiller seul !

Le sourire d’Ailsa se fit plus crispé. Jake maudit alors son incapacité à se

montrer cordial envers elle.

 — Je n’en doute pas une seconde ! Te mijoter de bons petits plats n’est pas

une corvée pour moi. Bien au contraire. Prends cela comme une offre de

 paix. Quand tu vas partir, je veux que tu saches que si un jour l’envie te

 prenait de revenir, tu seras toujours le bienvenu.

Debout devant la fenêtre sans rideau, il regarda le paysage uniformément

 blanc. Qu’Ailsa affirme qu’il serait le bienvenu s’il voulait revenir lui réc-

hauffait le cœur. Mais, pour l’instant, il enrageait de ne pouvoir rejoindre

Copenhague afin de terminer le travail en cours et pouvoir enfin passer 

quelques jours en compagnie de sa fille. Se tenir dans la même pièce que

son ex-femme devenait un tourment qu’il n’était pas sûr de pouvoir gérer 

encore très longtemps. — Le dîner sera prêt dans une demi-heure. Cela m’aiderait beaucoup si tu

mettais la table dans la salle à manger et allumais les bougies. Tu veux

 bien ? Si tu as besoin de plus de bougies, elles sont dans le tiroir du buffet

avec la boîte d’allumettes.

Jake hocha la tête. Il était prêt à tout pour voir son sourire angélique refleu-

rir sur ses lèvres ! Même à grimper sur le toit et à hurler avec les loups !

Il s’empressa de quitter la cuisine pour la salle à manger. Encore une fois,cela ressemblait fort à une fuite. S’il avait oublié combien le charme natu-

rel d’Ailsa agissait sur lui, il venait d’en constater de nouveau les effets dé-

vastateurs. Dieu merci, elle venait de lui fournir une occupation !

Il trouva sans peine la boîte d’allumettes. Il venait d’allumer la première

 bougie sur l’un des chandeliers quand, soudain, la salle à manger se retrou-

va plongée dans l’obscurité la plus totale. Il s’empressa d’allumer les au-

tres bougies et, un chandelier à la main, il se dirigea vers la cuisine. Il fail-

lit se cogner contre Ailsa, qui venait le rejoindre. — Ce doit être une panne de secteur, expliqua-t-elle. Cela arrive parfois.

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Son désir d’elle mal contrôlé rendait Jake de fort mauvaise humeur.

 — Quelle idée de venir t’enterrer dans ce coin perdu ! grommela-t-il. As-

tu essayé d’enclencher le disjoncteur ? — Evidemment ! En vain. C’est vraiment une panne de secteur.

 — 

Bien. Revenons dans la cuisine, alors. Ta cuisine est équipée au gaz ? — En effet. Le dîner est sauvé.

Jake posa le chandelier sur la table.

 — Et le chauffage ?

Elle fit la grimace.

 — Hélas, il fonctionne à l’électricité. Dieu merci, il reste la cheminée. Je

viens juste de faire entrer du bois, nous n’en manquerons pas. — En général, ces pannes de secteur durent longtemps ?

 — Une journée, parfois deux. —  Il est à parier que cette panne est due à l’excès de neige, et qu’il faudra

un certain temps pour que le réseau soit réparé.

Jake dut faire un terrible effort pour ravaler les mots qui lui venaient aux

lèvres. Certes, Ailsa avait désormais le droit de choisir son lieu de vie.

Mais elle devait également penser au confort de Saskia. — Je n’aime guère l’idée que notre fille manque de chauffage en hiver !

Pourquoi être venue t’installer au milieu de nulle part, courant ainsi le ris-

que d’être coupée du monde pendant des jours et des jours, comme c’est le

cas aujourd’hui ?

 — Ce n’est pas si dramatique ! Il y a aussi des coupures de courant en vil-

le. Je vis ici depuis quatre ans et je ne l’ai jamais regretté. La vie à la cam-

 pagne a peut-être des inconvénients mais tellement d’avantages ! Pas de

stress. Pas de pollution. Tout comme moi, Saskia adore la nature et ne se

 priverait pour rien au monde de nos promenades en forêt.

 — Tu pourrais au moins avoir un groupe électrogène afin de pallier les

coupures de courant ! Si ce n’est guère le moment d’essayer de te con-

vaincre de déménager dans un endroit moins isolé, sois certaine que lesujet est loin d’être clos !

Ailsa crispa visiblement ses poings mais ne dit mot. A l’évidence, elle

avait choisi sciemment de ne pas argumenter. Il en fut surpris. Après l’ac-

cident, elle avait pour habitude d’exploser de rage à la moindre contrariété. — Je propose que nous dînions dans la cuisine, lança-t-elle en mettant la

table. Allumé, le four à gaz va nous tenir chaud.

* * *

Assise en face de Jake, son regard irrésistiblement attiré par la cicatrice qui

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 barrait sa pommette, Ailsa se félicita de ne pas avoir réagi négativement à

ses accusations.

Il trouvait que le cottage n’était pas assez confortable, trop isolé pour le

 bien-être de Saskia. Sans doute avait-il raison, mais elle avait pu se recon-

struire dans ce lieu. Elle y avait trouvé la sérénité dont elle avait eu besoinà la suite de l’horrible tragédie. Et, surtout, c’était là qu’elle avait pu se

 prouver à elle-même qu’elle était capable de s’assumer.

 — Je me demande ce qui t’a attiré vers moi, quand nous nous sommes ren-

contrés, lança-t-elle soudain.

Les mots lui étaient venus aux lèvres sans qu’elle en ait vraiment conscien-

ce. Jake posa sa fourchette et chercha son regard. — C’est très simple. J’ai vu une jeune fille, magnifique mais extraordinai-

rement timide et peu sûre d’elle qui, dans un environnement totalement in-

connu, cherchait à faire du mieux qu’elle pouvait.

 — « Extraordinairement timide » et « peu sûre d’elle » sont certainement

les qualificatifs qui me caractérisent le mieux. — Tu en oublies un, pourtant, très important : « magnifique ».

 — Tu exagères ! —  Non. Je l’ai dit et je le répète. Tu étais timide et peu sûre de toi mais

également d’une beauté incroyable.

Elle se tordit les mains, embarrassée. — Ce n’est pas ainsi que je me vois. J’ai toujours eu des complexes.

Qu’un homme comme toi puisse s’intéresser à moi m’a stupéfiée. — Un homme comme moi ? s’étonna-t-il. — Un homme qui a tout : le charme, l’intelligence, l’argent, une position

élevée dans l’échelle sociale. Que tu remarques même ma présence était

incompréhensible.

 — Tu ne vois donc pas les regards des hommes qui s’allument dès que tu

rentres dans une pièce ?

 —  Non. A vrai dire, cela m’est indifférent.Ailsa se retint de lui avouer que, dès qu’il était entré dans sa vie, les autres

hommes avaient cessé d’exister. Ils étaient devenus transparents.

 — Pourquoi ne pas rejoindre le salon pour finir de boire ton verre ? C’est

une soirée à passer au coin de la cheminée.

Sans même attendre sa réponse, il se leva et s’empara du chandelier. Elle

se leva à son tour, les nerfs à fleur de peau à l’idée de passer une soirée au

coin du feu en compagnie de Jake, avec pour toute lumière des bougies. El-

le prit son verre de vin rouge, dont elle avait à peine bu une gorgée. — Es-tu certain de ne pas vouloir un verre de vin pour m’accompagner, Ja-

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ke ? Tu n’as bu que de l’eau durant toute la soirée.

 — Cela me convient parfaitement.

 — Tu ne bois plus du tout d’alcool ? —  Non.

 — 

Pourquoi ? — Je ne prends plus aucun plaisir à boire ce qui peut transformer un hom-

me en meurtrier.

Ailsa reposa brutalement le verre qu’elle s’apprêtait à porter à ses lèvres. — Mais tu as parfaitement le droit de continuer à boire du vin si tu aimes

ça. — Je n’en ai plus la moindre envie. — Je suis désolée.

Ils prirent place chacun dans un fauteuil, autour de la cheminée. Comme

l’aurait fait un couple, nota Ailsa.

Les bougies offraient une lumière tamisée et les flammes dansaient dans

l’âtre, jetant des ombres fantasmagoriques sur les murs. Le moment était

terriblement romantique. Ailsa aurait voulu qu’il dure toujours. Hélas, dès

le lendemain, peut-être, Jake repartirait. Il n’aurait alors plus aucune raison

de rester …

 — Reviens vers moi, Ailsa !

Elle sursauta. Avait-elle bien entendu ? — Pardon ?

 — Tu étais partie très loin…

 — Euh…  je…  je pensais qu’il était dommage de ne pouvoir allumer les

guirlandes dehors. Tu as passé tellement de temps, dans le froid, à les in-

staller ! — Ce n’est pas très grave. Nous les allumerons demain soir.

Soudain, il fut debout devant elle. Il lui tendit les mains, l’invitant à se le-

ver.

 — Viens…

Elle n’opposa aucune résistance. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Il lui avait tellement manqué ! Il plongea son regard dans le sien comme

s’il voulait lire en son âme.

 — Je ne veux plus que tu souffres, Ailsa. Ta peine me fait trop mal. — Ce n’est en rien ta faute. C’est juste que… que je n’arrive pas à oublier.

J’entends encore le crissement des pneus sur le bitume, l’horrible bruit du

choc est encore dans mes oreilles. Un jour, avec le temps, ces monstrueux

souvenirs finiront par s’estomper. Je dois positiver. Je le dois surtout pour Saskia. Hélas, la nuit venue, malgré tous mes efforts, tout resurgit…

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Il l’entoura de ses bras et la serra contre lui. La tête nichée au creux de son

épaule, elle poursuivit :

 — J’attends le retour du printemps avec impatience car alors, je peux sor-

tir, faire de longues promenades en forêt, respirer enfin. J’ai besoin de fuir 

l’

enfermement. J’

ai surtout besoin de me fuir moi-même, je crois…

Jake ne répondit pas, se contentant de resserrer encore l’étreinte de ses

 bras autour d’elle. Qu’il était bon de sentir la chaleur de son corps contre

le sien ! Leurs deux cœurs meurtris battaient de nouveau à l’unisson. Dans

un même élan, leurs lèvres s’unirent en un baiser brûlant, passionné, déses-

 péré.

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7.

Jake étendit Ailsa sur le divan, ses lèvres toujours soudées aux siennes

dans un baiser qui ne pouvait se terminer. La faim qu’ils avaient l’un de

l’autre, leur désir trop longtemps nié ne pouvaient plus être contenus. Ils se

cramponnaient l’

un à l’

autre comme si un ouragan menaçait de les séparer à jamais.

Son corps écrasé sous celui de Jake, Ailsa enfonça les doigts dans son

épaisse chevelure, enivrée par l’odeur très caractéristique de son eau de

toilette, émerveillée de ressentir sa force et sa puissance si rassurantes.

Dans la douce lumière vacillante des bougies, les traits de son visage si

harmonieux la fascinèrent. Sa cicatrice n’avait rien de repoussant, bien au

contraire. Elle faisait désormais partie intégrante de lui. Il s’était jeté de-

vant elle, cherchant à la protéger. Cette balafre témoignait de son courage

indéfectible.

Avec une infinie tendresse, elle caressa sa joue du bout de ses doigts.

 — Jake, je…  je veux que tu me fasses l’amour. De tout mon cœur. De tou-

te mon âme. Mais il y a si longtemps que je ne l’ai pas fait. Et si je n’en

étais plus capable ?

Son désir était si violent que tout son corps en tremblait. Son cœur battait

la chamade. Son sang coulait plus vite dans ses veines. Mais elle était terri-

fiée. Terrifiée à l’idée que la douleur éprouvée dans sa chair mutilée soit

insupportable. Elle avait perdu son bébé dans l’accident. Son corps avait

subi un terrible traumatisme. Il lui avait fallu des semaines et des semaines

avant qu’elle puisse accomplir de nouveau les tâches de la vie quotidienne.

Allait-elle se montrer capable d’avoir de nouveau une relation intime, nor-

male entre un homme et une femme ?

Palpitante, alanguie et effrayée à la fois, elle attendait la réponse de Jake.

L’immense tendresse qu’elle lut dans ses yeux la rasséréna. —  Ne t’inquiète pas : nous allons prendre tout le temps qu’il faut. Ta peur 

est normale. Te faire mal est la dernière chose que je désire. Si c’est le cas,n’hésite pas à m’arrêter. Et si tu changes d’avis, si tu ne veux plus le faire,

 je le comprendrai.

Ces mots si doux, si réconfortants sonnèrent à l’oreille d’Ailsa comme la

 plus belle des symphonies. Elle se détendit alors, livrant son corps aux

mains expertes de Jake. Il avait toujours été un amant si merveilleux !

Prenant son temps, comme promis, il la déshabilla, dévoilant peu à peu son

corps, sur lequel il posait délicatement ses lèvres au fur et à mesure qu’il le

dénudait. Elle réagissait à chacune de ses caresses, au nirvana. Quand ellefut entièrement dénudée, il se dévêtit à son tour. Elle contempla alors son

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corps : il avait pris soin de se maintenir en forme, le dessin parfait des

muscles de son torse en témoignait. Il portait là aussi des cicatrices dues à

l’accident. Ainsi, il n’avait pas été blessé seulement au visage et aux

mains…

Elle n’

eut pas le temps de s’

appesantir sur cette découverte car déjà Jakeengloutissait un de ses mamelons érigés. Elle arqua alors son corps sous

l’impact du plaisir. Il gémit de satisfaction. Etaient-ils en train de retrou-

ver, intact, le plaisir qu’ils ressentaient ensemble dans l’acte sexuel ? Ces

 premières réactions semblaient un heureux présage.

Après avoir fait subir le même sort à son second mamelon, amenant Ailsa

au bord de la folie sensuelle, Jake traça de sa langue un sillon humide le

long de son estomac, jusqu’à la toison protégeant son intimité. Elle frémit

de tout son être et poussa un cri rauque lorsque Jake, après avoir délicate-

ment écarté ses cuisses, caressa du bout de la langue son clitoris palpitant.

Le plaisir était à la limite du supportable. Avec un savoir-faire consommé,

il l’amena à la lisière de l’orgasme. Alors, sa bouche remonta en d’avides

 baisers jusqu’à son cou et il la serra contre lui. Ailsa sentait son érection

entre ses jambes. Instinctivement, elle se raidit. — Je te fais mal ? demanda-t-il, inquiet. Je vais trop vite ? Tu veux que

 j’arrête ?

 —  Non ! C’est juste que…  j’ai peur de ne pas être capable de t’accueillir !

Il y a si longtemps…

 — Qu’a dit ton médecin ? Que tu aurais mal ? — Oui, mais c’était trois mois après l’accident. C’est pourquoi je me refu-

sais à toi et, depuis… depuis, je n’ai eu aucune relation sexuelle. J’ignore

donc si ce sera ou non douloureux.

Jake éprouva une étrange satisfaction à cet aveu. N’avait-il pas craint, au

fond de lui, qu’elle le remplace ? Avec le charmant Linus, par exemple…

 — C’était il y a quatre ans, Ailsa, tout va bien se passer.

 — Oui. Essaie de nouveau… — Tu es sûre ? — Oui !

Comme pour confirmer son approbation, tout son corps se détendit et elle

s’offrit à lui. Il s’enfonça alors en elle, lentement, tout en douceur, prêt à

s’arrêter à la moindre manifestation d’une réaction négative.

Ailsa vivait un rêve éveillé. Jake la pénétrait et elle n’éprouvait plus aucu-

ne répulsion ! Elle était guérie ! Qu’il était bon de sentir que, même après

tout ce temps, ils retrouvaient indemne cette fusion sexuelle qu’ils avaienttoujours connue depuis le tout début de leur histoire.

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Ses défenses et ses craintes totalement anesthésiées, elle se laissa peu à

 peu envahir par la montée du plaisir et emmener vers les sommets de la fé-

licité, qu’elle atteignit en même temps que Jake.

* * *

Tandis que Jake reposait, comblé, sur le corps moite d’Ailsa, une question

lui taraudait l’esprit. Ce n’était pas la peur de l’avoir mise enceinte qui le

 préoccupait  — hélas, jamais plus Ailsa ne pourrait enfanter  — , mais celle

de lui avoir fait mal, dans l’excitation. Il ne pourrait le supporter ! Par bon-

heur, le sourire qui s’épanouissait sur ses lèvres gonflées calma son anxié-

té. — Tu sembles heureuse…

 — Je le suis. Je me sens bien, tellement bien…

 — Tu n’as pas eu mal ?

 —  Non ! Je suis guérie ! C’est si bon de penser que je peux de nouveau

avoir du plaisir. Je suppose que la hantise de ne plus jamais en être capable

n’a pas été bonne pour mon moral.

 — Pourquoi ne pas avoir consulté un gynécologue ? — Tu sais ce que je pense des médecins…

Il sourit.

 — D’accord. Le sujet est clos.

Sur les murs, les flammes du feu et des bougies dansaient, le bois grésil-

lait, comme s’ils saluaient à leur façon l’événement qui venait de se pro-

duire. Jake remercia silencieusement les dieux pour la panne d’électricité,

un cadeau du ciel, et s’empara du plaid en laine posé sur le dossier du di-

van pour les en recouvrir. — On est bien, non ? murmura-t-il à l’oreille d’Ailsa lovée contre lui.

 — Merveilleusement bien, mais je nous trouve, tout de même, terriblement

décadents !

Jake chercha son regard et savoura la lueur malicieuse qui l’éclairait. Celafaisait longtemps qu’il ne l’avait pas vue ainsi. Il retrouvait la femme dont

il était tombé follement amoureux dès leur première rencontre.

 — Quelle est la dernière fois que tu t’es sentie aussi décadente

qu’aujourd’hui ? — Laisse-moi réfléchir … Te souviens-tu de cet après-midi passé à faire

l’amour dans un hôtel, au lieu d’être au travail ? Normalement, j’aurais dû

être renvoyée pour avoir ainsi déserté mon poste, mais comme c’était en

compagnie du fils du patron ! — Délicieusement pervers. Cela t’a-t-il permis d’avoir une promotion ?

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 — Certainement pas ! Je ne l’aurais pas acceptée.

 — Si !

 —  Non ! — Tu as raison. Tu n’es pas le genre de fille que l’on achète avec une pro-

motion.Le baiser passionné qui s’ensuivit fit définitivement taire Ailsa sur le sujet.

 —  Nous avons vraiment passé de merveilleux moments ensemble, affirma

Jake lorsque leurs bouches se séparèrent. — Oui. Tu étais si passionné !

 — Je le suis encore. — Peut-être… Pourquoi as-tu attendu si longtemps pour que nous nous

retrouvions face à face ? Pendant quatre ans, nous n’avons échangé que

des messages pour organiser l’emploi du temps de Saskia. Pendant quatre

ans, c’est ton chauffeur qui venait chercher ta fille et la raccompagner. Je

sais que tu es très occupé, mais tu n’as vraiment jamais trouvé le temps de

raccompagner toi-même ta fille ? Etait-ce si difficile ?

« Plus difficile encore que tu pourras jamais l’imaginer », faillit-il répon-

dre en toute franchise. Au lieu de quoi il se contenta de lui demander : — S’il te plaît, pourrions-nous remettre cette conversation à plus tard ?

Le moment était si délicieusement magique ! Pourquoi briser son enchan-

tement en ressassant les souvenirs du passé ? La culpabilité de n’avoir pas

su les protéger, elle et le bébé, avait fait de sa vie un enfer. Confesser s’êt-

re volontairement puni en se tenant éloigné d’elle ne serait qu’un aveu de

faiblesse. Utiliser Alain pour servir d’intermédiaire avait été si commode !

Faire de nouveau l’amour à Ailsa avait été délicieux au-delà même de ce

qu’il avait imaginé. Même si Jake devait bien s’avouer que cela ne résol-

vait rien : son sentiment de culpabilité revenait, plus fort que jamais. Car,

dans l’accident, Ailsa avait perdu toute possibilité d’enfanter ; et cela, il ne

se le pardonnerait jamais.

Poussant un soupir de contentement, elle se lova contre lui et posa sa têtesur son torse. — Tu as raison. Ne gâchons pas ce moment sublime. Nous parlerons plus

tard, parce qu’il est vraiment très important que nous puissions éclaircir 

certains points.

Jake luttait contre sa répugnance à parler de lui-même, tout en reconnais-

sant qu’il était grand temps qu’il s’ouvre enfin à Ailsa et lui avoue pour-

quoi il lui était si difficile d’exprimer ses émotions. Il prit sa main et la

 porta à ses lèvres. — Ferme les yeux et laisse-toi aller au sommeil. Tu en as besoin. Tu es fa-

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tiguée.

 — M’endormir dans tes bras… Impossible de résister à une aussi délicieu-

se proposition. Je te laisse garder le foyer : ne laisse pas le feu s’éteindre.

Jake resta un long moment immobile, les yeux fixés sur la danse des flam-

mes. Ailsa avait sombré dans un sommeil profond. Hélas, lui n’

aurait pascette chance. Trop de souffrances le tourmentaient encore.

* * *

 — Qu’est-ce que c’est ? s’écria Ailsa, réveillée en sursaut. On aurait dit les

cris d’un bébé !

Elle s’assit sur le canapé, effrayée. —  Non, ce n’est pas un bébé, la rassura Jake.

Il se tenait accroupi devant la cheminée, ravivant les flammes grâce à la

 bûche qu’il venait de déposer sur les braises. Il avait remis son jean mais

avait laissé son torse dénudé. Le cœur palpitant, Ailsa se demanda s’il ex-

istait au monde un homme aussi sexy que lui. — Je pense que c’était un renard, dit-il en se tournant vers elle.

 — Un renard !

Réalisant qu’elle était nue sous le plaid, elle le remonta jusqu’à son men-

ton. Jake sourit, amusé.

 — Tu as choisi d’habiter à la campagne, là où vivent également toutes sor-

tes d’animaux sauvages, dont les renards. Il paraît que certains viennent

 jusqu’à Londres faire les poubelles.

Elle hocha la tête. — C’est pourquoi je n’élève pas de poules ici.

 — Tu le regrettes ? — Oui.

Jake fronça les sourcils. Décidément, les aspirations de son ex-femme

n’avaient rien à voir avec la vie luxueuse qu’il lui avait offerte dans le pas-

sé. — Je suis surpris. — Vraiment ? Alors, tu me connaissais bien mal.

 — C’est vrai, admit-il.

Il jeta un regard à sa montre. —  Il est 3 heures du matin, reprit-il. Il vaudrait mieux que tu rejoignes ton

lit pour une vraie nuit de sommeil. — L’électricité n’est pas revenue ?

 — Je n’ai pas vérifié. Je savourais la lumière des bougies et la douce cha-leur du feu dans la cheminée quand tu t’es réveillée.

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Elle sourit.

 — La vraie vie, quoi !

Il se leva et appuya sur l’interrupteur sans succès. — Demain matin, si les lignes téléphoniques sont rétablies, je m’occuperai

de te faire livrer un générateur. — Tu n’es pas obligé de faire ça ! protesta-t-elle.

 —  Non, je ne suis pas obligé. Cela me fait plaisir, ce qui est très différent.

Il vint vers elle et caressa ses cheveux délicieusement ébouriffés. Elle sou-

rit de nouveau, des étoiles plein les yeux.

 — J’adore ton look au petit matin, déclara-t-elle.

Le cœur de Jake se serra. Une fois de plus, il prenait conscience de ce qu’il

avait perdu. Pourquoi le destin se montrait-il aussi cruel envers lui ? La

 perte de leur bébé et la fin de leur mariage lui avaient causé  — et lui cau-

saient encore  — une souffrance insoutenable. Quel péché lui faisait-on

 payer ?

 — Tu as l’air fatigué, Jake. — Oui. Nous ferions mieux de rejoindre chacun notre lit pour essayer de

dormir.

Il rassembla ses habits épars sur le tapis et se dirigea vers l’escalier.

 — Bonne nuit, Ailsa.

Il quitta la pièce en se demandant une fois encore quand il allait cesser de

fuir de la sorte. Et la détresse qu’il avait lue dans les yeux d’Ailsa n’allait

 pas l’aider à trouver le sommeil…

* * *

Debout dans la cuisine, Ailsa avait les yeux fixés sur le manteau neigeux

qui scintillait aux premiers rayons de soleil. Le dégel s’amorçait, cela ne

faisait aucun doute. Elle aurait dû s’en réjouir ; or ce n’était pas le cas car 

le dégel signifiait le départ de Jake. S’écoulerait-il encore quatre ans avant

qu’il revienne vers elle ?Elle avait trouvé un mot sur la table de la cuisine, disant que l’électricité

était de retour, les lignes téléphoniques rétablies et qu’il était sorti pour 

une promenade mais serait bientôt de retour. Il avait dû se lever très tôt.

Quand elle était entrée dans la cuisine, tout était rangé et le lave-vaisselle

vidé.

Elle se redressa de toute sa taille, son corps encore endolori par leurs ébats

 passionnés de la veille. Ainsi, elle n’avait pas rêvé. Ils avaient vraiment

fait l’amour, son corps en témoignait. Mais son cœur n’était pas à l’unis-son du plaisir charnel éprouvé. Jake avait rejoint son lit seul et, ce matin, il

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était parti faire une promenade sans elle.

Pourquoi ?

Avait-il eu peur qu’après ce qui s’était passé entre eux, elle lui fasse des

demandes déraisonnables ?

Afin de mettre fin à ce type de questions déstabilisantes, elle téléphona àCopenhague. La voix chaleureuse de Tilda Larsen résonna bientôt à son

oreille. Ailsa fut heureusement surprise de la bienveillance spontanée de la

mère de Jake ; elle lui renouvela ses condoléances. Tilda la remercia et ne

tarit pas d’éloges au sujet de sa petite-fille : il semblait que Saskia s’était

révélée d’un grand secours pour aider sa grand-mère à reprendre goût à la

vie.

Incapable d’attendre plus longtemps, Ailsa demanda à parler à sa fille.

 — Elle est juste à côté de moi, dit Tilda. Un petit ange très impatient de

 pouvoir vous parler.

 — Bonjour, maman ! Tu m’as manqué, tu sais !

 — Bonjour, ma fille ! Tu m’as manqué, toi aussi ! Mais la neige n’a pas

cessé de tomber et les lignes téléphoniques ont été coupées. Elles viennent

 juste d’être rétablies. Comment vas-tu ? — Très bien ! J’ai été heureuse de rester un peu avec mamie. Tu ne m’en

veux pas ?

 — Absolument pas ! Je suis sûre que tu as fait du bien à ta grand-mère en

restant auprès d’elle.

 — Papa est toujours avec toi ? — Oui, ma chérie. Il n’a pas pu te rejoindre à cause de la neige. — Vous vous êtes disputés ?

 —  Non. Pourquoi cette question ?

Elle était allée droit au cœur d’Ailsa. Il y eut une pause au bout du fil, sui-

vie d’un soupir. — Chaque fois que tu parles de papa, tu es triste et, chaque fois qu’il parle

de toi, il semble en colère. Je ne veux plus que vous vous disputiez. C’est bientôt Noël, je veux que vous soyez heureux tous les deux. — Ma chérie, je…  je ne sais que te dire. Nous essayerons de ne plus nous

disputer, je t’en fais la promesse.

Ailsa éprouvait les plus grandes difficultés à contenir ses larmes. Soudain,

la porte de derrière s’ouvrit sur Jake. Il se débarrassa de sa parka, de ses

 bottes et frotta ses mains l’une contre l’autre afin de les réchauffer. Ses

 joues étaient rosies par le froid. Il la gratifia d’un sourire désarmant.

 — Maman, tu es toujours là ? demanda Saskia au bout du fil. — Bien sûr, ma chérie. Papa vient juste de rentrer de sa promenade. Tu

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veux lui parler ?

 — Oh oui ! S’il te plaît !

Ailsa tendit le combiné au père de sa fille. — C’est Saskia. Elle veut te parler.

Jake lui arracha presque le combiné des mains. — C’est toi, ma puce ?

Elle ne put que constater l’amour qui perçait dans sa voix. A l’évidence,

Jake était terriblement ému de pouvoir parler à sa fille.

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8.

Incapable de gérer la vague d’angoisse qui l’avait envahie après sa conver-

sation avec Saskia, Ailsa éprouva le besoin d’en parler à Jake. —  Notre fille avait peur que nous nous disputions. Elle a dit que, lorsque

tu parles de moi, tu es très souvent en colère.Jake plissa le front, visiblement étonné.

 — Si elle pense cela, j’en suis vraiment désolé. Il n’a jamais été dans mes

intentions de me montrer agressif envers toi devant elle. — Saskia est une enfant très sensible. Elle n’a certainement pas inventé ce

qu’elle ressent.

D’une main qui tremblait quelque peu, elle repoussa la mèche qui lui tom-

 bait une fois de plus sur les yeux.

 — Elle m’a également dit que j’étais triste lorsque je parlais de toi.

Il sourit, ironique.

 — Tiens, tiens, quelle surprise !

 — Que veux-tu dire ? — A l’évidence, parler de moi ne te remplit pas de joie. J’en déduis que tu

regrettes de m’avoir rencontré, que je suis la pire des erreurs que tu aies pu

commettre. Un jour, tu m’as avoué que ton rêve était de fonder une famille

et j’ai brisé ce rêve.

Son ton était violent ; l’expression de son visage, tendue. Choquée, Ailsa

eut peur que la situation entre eux, une fois encore, ne se détériore inévita-

 blement. Afin de respecter la promesse faite à sa fille, elle devait impérati-

vement trouver le moyen de le rassurer. — Pas une seconde je n’ai pensé qu’être avec toi était une erreur, Jake !

Pas une seconde ! Comment peux-tu imaginer une chose pareille ? Et tu

n’as pas brisé mon rêve. Tu n’es en rien responsable de ce qui nous est ar-

rivé. Un chauffard ivre a perdu le contrôle de sa voiture et nous a percutés,

c’est tout. Ecoute, quels que soient les événements qui nous ont meurtris, il

serait peut-être temps pour nous de passer à autre chose. Notre fille nous ledemande instamment et elle a raison. Perdre notre bébé a été un terrible

traumatisme, mais il ne doit pas nous empêcher de retrouver la joie de vi-

vre.

Il fit la grimace. — La joie de vivre ! Crois-tu que ce soit possible ?

 — Oui. A condition que nous échangions. Pourquoi es-tu en colère lorsque

tu parles de moi ? Pourquoi as-tu rejoint ton lit au milieu de la nuit, me

laissant seule après m’avoir fait l’amour ? Qu’ai-je donc fait pour mériter cela ? Pourquoi me fuis-tu ?

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Jake évitait ostensiblement son regard. Il semblait si mal à l’aise qu’elle le

sentit prêt à s’enfuir de nouveau afin de ne plus être soumis à ses que-

stions. — Je t’en supplie, il est temps pour nous de discuter sans faux-fuyants.

Cette occasion qui nous est offerte est unique. Nous ne devons pas la lais-ser passer.

Il laissa échapper un profond soupir.

 — Tu n’es aucunement en faute, Ailsa. C’est moi qui le suis. C’est vrai, je

suis perpétuellement en colère, mais contre moi-même, parce que je n’ai

 pas su gérer les événements. Saskia sent cette colère en moi et en souffre.

Elle a raison : cette situation ne peut plus durer.

Un silence suivit ces paroles. Ailsa prit alors pleinement conscience de

l’immense mal-être éprouvé par son ex-mari. Elle allait devoir l’aider à

l’exprimer.

 — Jake, notre mariage se délitait bien avant l’accident. Soyons lucides et

honnêtes à ce sujet. C’est sans doute l’origine de ta colère. Nous n’avons

 jamais eu le courage d’aborder ce thème et, aujourd’hui encore, nous

n’osons le faire. L’accident n’a fait que révéler nos dissensions d’une ma-

nière dramatique et cruelle.

Il osa enfin affronter son regard.

 — Malheureusement, je connais les raisons profondes de l’échec de notre

mariage.

L’angoisse vrilla soudain l’estomac d’Ailsa. Elle n’avait pas été à la hau-

teur, voilà ce qu’il allait lui avouer. Elle n’était pas la femme qu’il lui fal-

lait.

 — Quelles… quelles sont ces raisons ? — J’ai fait passer mon travail avant ma famille. Je travaillais dur, non pas

 pour gagner plus d’argent mais parce que je recherchais éperdument l’ap-

 probation et l’amour de mon père, qui m’avaient si cruellement manqué

durant mon enfance. Jacob était un homme froid, distant, autoritaire, qui jamais ne laissait deviner ses émotions. Tu ne peux imaginer ce que j’in-

ventais pour avoir ne serait-ce qu’un sourire de sa part. Quand j’ai été en

âge de prendre des responsabilités dans l’entreprise familiale, j’ai pensé

que, pour avoir une chance d’exister à ses yeux, je devais travailler 

toujours plus.

Il laissa échapper un nouveau soupir. — Chaque fois que tu essayais de me faire parler de ce que je ressentais, je

me fermais comme une huître, imitant ainsi l’attitude de mon père. Très vi-te, évidemment, face à ce manque de communication, la tension s’est in-

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stallée entre nous. Je la devinais sans être capable d’y remédier. J’étais de-

venu un handicapé de la communication.

 — Oh ! Jake…

 — Je suis impardonnable. Je t’ai fait souffrir alors que je t’aimais à en

mourir. Même lorsque tu es tombée enceinte de notre fils, malgré mon bonheur intense, je n’ai pas su me rapprocher de toi. Je n’ai jamais su t’ex-

 primer ma passion, sauf au lit. C’est un terrible gâchis. Je suis tellement

désolé…

Ailsa était si bouleversée qu’elle ne savait que répondre. C’était la premiè-

re fois que Jake s’ouvrait ainsi à elle.

« Je t’aimais à en mourir … » Ces mots agissaient comme un baume sur 

son cœur torturé. Ainsi, il avait constamment cherché à être aimé par son

 père. En effet, Jacob Larsen n’était pas homme à manifester tendresse et

affection. Elles avaient dû cruellement manquer à Jake durant son enfance

et son adolescence. Comme elle le comprenait ! Le fait d’avoir été aban-

donnée par sa mère n’avait-il pas contribué à ce qu’elle-même n’ait aucune

confiance en elle ?

Jake n’avait donc pas compris combien elle l’aimait ! Si tel avait été le cas,

cela aurait pu l’aider ; peut-être n’avait-elle pas su lui prouver son amour.

 — Je suis désolée, moi aussi, dit Ailsa quand elle eut retrouvé l’usage de la

 parole. Si nous avions été capables de nous parler ainsi plus tôt, sans doute

aurions-nous évité bien des disputes  — car je ne suis pas totalement inno-

cente. Tu as émis l’hypothèse que je t’avais épousé trop jeune : il se pour-

rait que tu aies raison. Moi aussi, je cherchais désespérément l’amour et la

reconnaissance que je n’avais pas eus dans mon enfance. Je me suis acc-

rochée à toi comme à une bouée de sauvetage. J’ai dû te paraître un bien

lourd fardeau. Quand tu as commencé à rentrer de plus en plus tard du bu-

reau, à travailler le week-end, j’en ai déduit que j’étais en cause, que je

n’avais pas été capable de t’apporter ce que tu espérais, que je n’étais pas

la femme qu’il te fallait. Je me suis dit que je manquais des qualités néces-saires pour intéresser mon mari. Je n’avais déjà pas une haute estime de

moi-même. Que tu répugnes à rentrer à la maison m’a totalement détruite.

Elle s’interrompit pour prendre une grande inspiration, heureuse de s’allé-

ger d’un poids qu’elle portait depuis bien trop longtemps. — Mais, après notre divorce, à ma grande surprise, je me suis découverte

 bien plus solide que prévu. J’ai ainsi été capable de créer mon entreprise.

Prendre en charge l’éducation de Saskia a été un défi intéressant à relever.

Cependant, pas une seconde je n’ai regretté le temps passé avec toi, mêmedans les moments les plus difficiles.

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Sur ces paroles, elle lui tourna le dos afin de préparer un café pour Jake et

un thé pour elle. Elle était prête à trouver n’importe quelle occupation afin

de détourner son esprit d’une seule et unique obsession : qu’il la prenne

dans ses bras et lui fasse l’amour. Ce qu’elle s’était gardée d’avouer dans

sa plaidoirie enflammée…

Soudain, sans qu’elle l’ait entendu se lever, Jake se retrouva derrière elle et

l’entoura de ses bras. Avait-il lu dans ses pensées ? Relevant ses cheveux,

il posa ses lèvres sur sa nuque dénudée. Elle frémit de tout son être. — Jake…

Sa timide protestation s’étrangla dans sa gorge. Il venait de prendre ses

seins dans ses mains. — Cela ne va sans doute pas arranger les choses, mais il se trouve que je

ne peux résister à la tentation…

Une de ses mains se glissa sous ses leggings jusqu’à sa culotte de dentelle.

 — En vérité, j’ai tellement envie de toi qu’il m’est impossible de penser à

autre chose.

Il en allait de même pour Ailsa. Son corps tremblait de désir. Elle se re-

tourna et leurs bouches se trouvèrent en un baiser sauvage, primitif, torri-

de. Elle tituba, ses jambes menaçant de ne plus la porter. Jake libéra sa

 bouche.

 —  Il semble qu’un lit confortable et moelleux serait le bienvenu. Qu’en

 penses-tu ?

 — Du bien…

En signe de reddition, elle entoura son cou de ses bras et il la souleva pour 

l’emporter vers sa chambre. Quand ils l’atteignirent, il la déposa sur le

couvre-lit en patchwork  — qu’elle avait réalisé elle-même et dont elle

n’était pas peu fière. Mais une seule chose comptait à cette seconde : la

 présence de Jake à son côté, la sensualité de ses caresses, la volupté de ses

 baisers. Ils ne parlaient plus. Les mots viendraient plus tard. Leurs deux

corps n’en avaient nullement besoin pour se comprendre. Lentement, avecune sorte de vénération, ils se déshabillèrent mutuellement.

Après l’avoir débarrassée de son pull angora et de son soutien-gorge, Jake

 prit le temps de rassasier son regard du spectacle de sa merveilleuse poitri-

ne. Elle l’avait toujours ému par sa grâce et sa délicatesse. Quatre années

 plus tard, l’émotion, le ravissement étaient toujours là, intacts.

* * *

Ailsa vivait un rêve éveillé. Sans qu’elle en ait toujours pleinement cons-cience  — elle se disait fière de son indépendance  — , Jake lui manquait ter-

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riblement. Certes, elle avait reconstruit sa vie et aimait son nouvel environ-

nement ; mais, parfois, assise seule auprès de la cheminée ou allongée dans

son lit, les larmes lui venaient aux yeux. Elle avait tellement rêvé d’une fa-

mille ! L’avoir perdue la rendait inconsolable. Elle ferma les yeux, tout en-

tière tendue vers le seul homme de sa vie, dans l’

attente qu’

il la fasse sien-ne. C’était son unique préoccupation.

Les sens en alerte, Jake retrouvait soudain ce qui lui avait tellement man-

qué : l’odeur du corps d’Ailsa, si délicieusement aphrodisiaque, ses che-

veux auburn si doux, étalés sur l’oreiller, ses immenses yeux couleur noi-

sette, souvent pailletés d’or quand elle était heureuse. Jamais elle ne les

maquillait. Elle n’en avait nul besoin. Leur beauté naturelle attirait irrési-

stiblement les regards. Même le dessin parfait de ses petites oreilles met-

tait son cœur en émoi.

Il n’avait jamais vraiment fantasmé sur un type de femme en particulier,

n’avait jamais préféré les blondes aux brunes, les grandes aux petites. Mais

si un modèle de femme idéale lui avait un jour traversé l’esprit, Ailsa l’au-

rait sans conteste possible incarné.

Son désir d’elle était si grand qu’il ne put retenir plus longtemps ses pul-

sions. Dans un élan de tout son être, il s’enfonça en elle afin que leurs

deux corps ne fassent plus qu’un.

Ailsa l’accueillit en elle avec un bonheur si intense que les larmes lui vin-

rent aux yeux. Elle se sentait comme le marcheur égaré dans le désert qui

trouve enfin une oasis. Elle allait pouvoir étancher sa soif. Sentir Jake pal-

 piter en elle était si bon qu’elle ne put retenir des gémissements de plaisir.

Elle noua ses jambes autour de son bassin et, ensemble, soudés l’un à l’au-

tre, dans un même élan, ils connurent l’éblouissement final. Dehors souf-

flait le vent glacial de l’hiver, mais à l’intérieur du cottage, au creux du lit

douillet, l’instant était magique. Jake éprouvait la curieuse impression d’êt-

re rentré au foyer après une absence interminable. Faire l’amour à Ailsa,

cette sublime jeune femme, était un cadeau de la vie.Le méritait-il ?…

Elle était la mère de sa fille. Elle aurait pu être la mère de son fils si seule-

ment… Le souvenir de cette perte irréparable envahit son esprit et toucha

son cœur. Un cri jaillit de ses entrailles sans qu’il puisse rien faire pour 

l’en empêcher. Pire encore, les larmes lui vinrent aux yeux. Il détourna la

tête afin qu’Ailsa ne puisse voir sa détresse, mais il ne fut pas assez rapide. — Jake, tu pleures… Que se passe-t-il ? Parle-moi, je t’en supplie !

Incapable de trouver les mots adéquats, il roula sur le côté et attrapa son jean. Fouillant dans une de ses poches, il en sortit son portefeuille. Il l’ou-

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vrit et en retira une photo en noir et blanc, pleine de grains, à peine lisible.

Il la lui tendit.

 — Je viens juste de penser à notre fils… A Thomas. Nous l’avons conçu

 par un chaud après-midi d’été, à Copenhague, tu t’en souviens ? J’ai

toujours gardé sur moi la photo de l’

échographie que tu m’

avais donnée àla sortie de la clinique. Tu vois, jamais je ne l’ai oublié. Comment l’aurais-

 je pu ? Il était mon petit garçon… Celui, hélas, que je ne verrai pas gran-

dir. — Oh ! Jake… Jake…

 — Tu te rappelles combien nous étions ravis en apprenant qu’il s’agissait

d’un garçon ? Quelle chance nous avions d’avoir une fille et un garçon, la

famille parfaite !

 — J’ignorais que tu avais gardé ce cliché, dit Ailsa, les yeux humides de

larmes. Je suis désolée d’avoir pu penser, même un instant, que tu ne port-

ais pas dans ton cœur la perte de notre petit ange.

 — Je n’ai jamais été capable de t’en parler. Sans doute à cause de la ma-

nière dont j’ai été élevé. Pas par ma mère, mais par mon père.

Aujourd’hui, il est parti pour toujours et ne reviendra pas. Notre fils non

 plus. Alors, peut-être le temps est-il venu de clore un chapitre.

Il reprit le cliché et le rangea dans son portefeuille.

 —  Il y a autre chose que jamais je n’ai pu oublier, Ailsa. Ta souffrance.

Entendre tes pleurs me brisait le cœur.

 — Tu souffrais toi aussi ?…

Oui, il avait souffert le martyre et s’était investi dans son travail comme ja-

mais auparavant. Les bénéfices de la société avaient grimpé en flèche. Il

aurait dû être heureux. Il ne l’était pas. La culpabilité de n’avoir pas su

 protéger sa femme et leur bébé s’était faite de plus en plus pesante, jusqu’à

devenir insupportable. Cela avait assez duré ! Il ne savait pas encore com-

ment il allait s’y prendre, mais il lui fallait impérativement trouver un

moyen de construire un avenir meilleur. — Tu as raison, affirma-t-il, nous n’avons pas le droit de léguer notre souf-

france à Saskia. Nous devons tout mettre en œuvre pour ne plus laisser le

 passé endommager le présent, et encore moins l’avenir. D’accord ?

 — D’accord !

Dans les yeux noisette, il lut la lueur d’espoir allumée par ses mots et en

fut grandement réconforté. S’allongeant de nouveau sur le lit, il prit Ailsa

dans ses bras et la serra contre lui.

 — Restons quelques instants ainsi. Nous reprendrons cette conversation plus tard.

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Ailsa acquiesça. Se tenir lovée contre Jake dans un lit douillet, n’était-ce

 pas son souhait le plus cher ?

Soudain, des coups furent frappés à la porte, brisant la magie de l’instant.

Ils se séparèrent brusquement, comme pris en faute.

 — 

Qui cela peut-il bien être ? demanda Ailsa, inquiète. — Le meilleur moyen de le découvrir, c’est d’aller ouvrir. Qui que ce soit,

dis que tu es occupée. Très occupée !

Elle sourit d’entendre des notes aussi possessives dans la voix de Jake. — Le chasse-neige était-il passé, ce matin, lorsque tu es sorti pour ta pro-

menade ? demanda-t-elle tout en s’habillant prestement. Les voitures peu-

vent-elles circuler de nouveau ? — Je n’ai vu aucun véhicule, mais, de toute évidence, le dégel a commen-

cé. S’il se poursuit, il est possible que je puisse me rendre à l’aéroport dès

demain et prendre le premier avion pour Copenhague.

 — Oh…, laissa échapper Ailsa, brusquement ramenée sur terre par cette

 perspective. — Qui est à la porte, à ton avis ? J’espère que ce n’est pas ton voisin

toujours prêt à t’aider en toute circonstance ?

Tétanisée par la pensée du départ de Jake, Ailsa n’avait que faire du visi-

teur inattendu. Néanmoins, elle lança :

 — S’il s’agit de Linus, promets-moi de te montrer civilisé. Attends-moi

ici, je reviens dans deux minutes.

 — J’espère bien !

La lueur allumée dans son regard disait, plus que des mots, ce qui l’atten-

dait à son retour. Le rouge aux joues, Ailsa espéra que son visiteur ne soit

 pas Linus. Sinon, elle allait devoir l’éconduire très rapidement, au mépris

de toute politesse, Jake risquant de se manifester sans y être invité.

Elle ouvrit la porte.

* * *

Rasé de près, parfaitement peigné, Linus se tenait sur le seuil, un large sou-

rire aux lèvres. De toute évidence, il avait aussi soigné sa tenue. Les joues

d’Ailsa, déjà rouges, devinrent cramoisies, comme si elle était prise en fau-

te. Ne venait-elle pas de faire l’amour avec son ex-mari ? — Linus ! s’exclama-t-elle. Est-ce que tout va bien ?

 — C’était justement la question que je venais te poser, Ailsa. Mais je vois

que la Mercedes est toujours là. Ton ex-mari n’est donc pas rentré à Co-

 penhague. —  Non, il est resté. Avec la neige, il lui était impossible de circuler. Tu…

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tu es venu pour une raison précise ?

 — Oui. Je peux rentrer quelques instants ?

 — Euh…  je…  je suis très occupée…

 — Ah bon… Je…  je suis désolé. J’ai l’impression que je dérange.

Linus semblait complètement déstabilisé de s’

être vu opposer un refus.Tout aussi embarrassée que lui, sinon plus, Ailsa s’attendait à chaque se-

conde à voir surgir Jake derrière elle. Mais Linus méritait un accueil dé-

cent. Elle ouvrit grand la porte. — Entre, Linus, je t’en prie. Attends-moi dans la cuisine. Je monte à l’éta-

ge, mais je te rejoins dans quelques minutes.

Un instant disparu, le sourire fleurit de nouveau sur les lèvres de son voi-

sin, qui s’empressa d’accepter l’invitation. Il entra et se dirigea vers la cui-

sine. Ailsa referma la porte et grimpa les marches quatre à quatre. Dans la

chambre, Jake lui adressa un regard furibond en finissant de s’habiller.

 — Pourquoi diable l’as-tu fait entrer ? Ne devais-tu pas dire que tu étais

occupée ? A lui tout particulièrement ! —  Il se trouve que j’ai un certain savoir-vivre ! Linus est mon voisin et il

est venu me demander quelque chose. Il est normal que je l’invite à entrer 

 pour l’entendre. Je te rappelle que nous sommes en hiver et qu’il fait froid

dehors.

 — Est-il donc toujours aussi entreprenant ?

Une froide colère submergea Ailsa. De quel droit Jake se permettait-il de

vouloir régenter et juger ainsi sa vie ? — Linus n’est pas entreprenant mais un voisin des plus agréable. Je ne vo-

is pas au nom de quoi je refuserais de le recevoir. Il m’attend dans la cuisi-

ne et je vais le rejoindre. Je n’en aurai pas pour très longtemps.

Pour répondre au coup de sonnette, elle s’était habillée si prestement qu’el-

le n’avait pas pris le temps de mettre son soutien-gorge. Elle décida d’y re-

médier, afin d’avoir une tenue plus décente. Comme elle ôtait son pull-

over, Jake vint se placer derrière elle et emprisonna ses seins dans sesmains. Une onde de chaleur monta aussitôt de ses reins. — Jake, arrête, je t’en supplie. Tu ne peux pas… Linus est en bas, dans la

cuisine. Il… il m’attend.

 — Qu’il attende !

Sa voix rauque était terriblement sexy. Emprisonnant un des mamelons tur-

gescents entre son pouce et son index, il se mit en devoir de le masser.

Seigneur … la torture était délicieuse ! Un reste de raison commanda à Ail-

sa de reprendre le contrôle de la situation. Elle se retourna, mais, avantqu’elle puisse prononcer un mot, Jake s’emparait de ses lèvres avec ardeur.

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Ailsa s’accrocha désespérément à ses puissantes épaules, les jambes fla-

geolantes. Quand il libéra sa bouche, elle protesta :

 — Tu n’es pas fair-play. — L’ai-je jamais été ? Parfois, un homme doit savoir retourner la situation

à son avantage par tous les moyens. — Laisse-moi m’habiller, je t’en prie ! Plus vite je descends, plus vite il re-

 partira.

Il releva tendrement la mèche qui lui tombait sur le front et laissa échapper 

un soupir à fendre l’âme.

 — Te partager avec lui, ne serait-ce que quelques minutes, m’est insuppor-

table.

Elle sourit, immensément heureuse.

 — Je reviens vite, assura-t-elle en agrafant son soutien-gorge et en remet-

tant son pull-over.

 — Je l’espère de tout mon cœur.

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9.

 — Désolée de vous avoir fait attendre, Linus. Puis-je vous offrir une tasse

de thé ou de café ? —  Non, merci, Ailsa. Je crains de ne pouvoir rester très longtemps.

Sa réponse la soulagea, même si elle ne put s’

empêcher de se sentir coupa- ble. Son voisin se tenait debout au milieu de la cuisine, les épaules légère-

ment voûtées, comme un écolier pris en faute. Jamais elle ne l’avait vu

aussi embarrassé.

Ailsa s’approcha de la table et tendit une chaise à son visiteur afin qu’il

 prenne place en face d’elle. — Assieds-toi, je t’en prie, Linus, et dis-moi quel est l’objet de ta visite.

Il obéit à son invite mais resta étrangement silencieux tandis que les secon-

des s’égrenaient. Ailsa se demanda s’il allait enfin se décider à parler. — Je t’écoute…

 — Je… Je me demandais quels étaient vos plans, à toi et à Saskia, pour le

 jour de Noël.

Ses yeux scrutaient anxieusement les traits de son interlocutrice.

 — Si vous êtes libres, j’aimerais vous inviter toutes les deux à partager no-

tre repas. Nous serons en famille, il y aura mon père et mon oncle.

Il fit la grimace.

 — En fait, nous apprécierions beaucoup une présence féminine à nos cô-

tés. Passer ce jour-là entre hommes peut se révéler d’une tristesse infinie !

La surprise rendit Ailsa muette. Cette invitation était la dernière chose à la-

quelle elle s’attendait de la part de Linus. Comment se comporter sans le

 blesser ?

 — Cette invitation me touche beaucoup. C’est vraiment gentil de ta part de

nous inviter pour ce jour très spécial. Mais mon intention était de passer 

 Noël seule avec Saskia. Nous l’avons préparé durant toute l’année ; c’est

une occasion qui rapproche beaucoup une mère et sa fille.

 — Oui, je comprends… — Bonjour, Linus !

Jake venait d’apparaître à la porte. Linus parut plus embarrassé que jamais.

 — Oh, bonjour …

Ailsa pesta intérieurement. Pourquoi diable Jake n’était-il pas resté dans la

chambre jusqu’au départ de son voisin ? A sa grande surprise, il vint se

 placer derrière elle, une main posée sur son épaule et l’autre s’emparant de

son poignet afin de déposer un baiser au creux de sa paume. Ailsa frémit

comme si elle avait reçu une décharge électrique. — Suis-je en train d’interrompre quelque chose d’important ? demanda-t-il

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d’une voix doucereuse.

Linus secoua la tête, comme si le ciel venait de lui tomber dessus.

 — Je venais inviter Ailsa et Saskia à passer le repas de Noël dans ma fa-

mille, mais elle a décliné mon offre.

Il repoussa sa chaise et se leva, le feu aux joues. — Je la comprends. Noël est un jour spécial pour une mère et sa fille, et el-

les l’attendent depuis un an. Cela m’aurait vraiment fait plaisir de les avoir 

dans ma famille parce que je pensais…

 — Vous pensiez quoi, Linus ? fit Jake.

 — Rien.

Déjà, il se dirigeait vers la porte. Avant de l’atteindre, il se retourna. — Permettez-moi de vous dire une chose, Jake : vous avez beaucoup de

chance d’avoir une femme et une fille comme Ailsa et Saskia. Ailsa est la

 plus délicieuse des voisines que l’on puisse rêver et Saskia est une enfant

tout à fait charmante.

 — Je suis d’accord avec vous sur ces deux points ! — Vous devez être soulagé du dégel. Vous allez ainsi pouvoir rejoindre

Copenhague avant Noël. Je suppose que la ville doit être particulièrement

 belle avec ses illuminations.

 — Elle l’est, en effet.

 — Je vous souhaite de passer un joyeux Noël, là-bas. — Merci.

Ailsa se leva. — Je te raccompagne, Linus.

Elle eut quelques difficultés à tourner le bouton de la porte d’entrée tant

ses mains tremblaient. Elle réussit enfin et se retourna, avec un sourire cha-

leureux.

 — Ton invitation m’a beaucoup touchée, Linus.

Il sortit dans le froid.

 — Vraiment ? Tu ne m’as pas trouvé trop présomptueux ? J’ignorais queton ex et toi étiez en train de vous remettre ensemble. Sinon, jamais je ne

me serais permis…

Ailsa supposa qu’il était normal pour Linus de penser que Jake et elle se

remettaient ensemble. N’avait-il pas vu Jake embrasser amoureusement sa

 paume ? Affreusement gênée, elle tint son regard fixé sur le bout de sa

chaussure. Jamais elle n’avait donné le moindre espoir à Linus quant à

l’éventualité d’une aventure amoureuse entre eux, mais elle ressentait la

curieuse impression de l’avoir déçu. — Je suis vraiment désolée d’avoir dû refuser ton invitation. J’espère que

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vous passerez un bon Noël en famille.

Une goutte d’eau tomba du toit sur la chevelure si bien coiffée de son visi-

teur. Il l’essuya d’un geste de la main. — Je pense que ça ne changera guère de la routine habituelle. Je vais de-

voir me lever tôt pour nourrir les animaux, mon oncle préparera la dindecomme il le fait chaque année et mon père boira un peu plus de whisky

qu’il ne le devrait. Puis nous regarderons un spectacle de Noël à la télé.

Peu importe avec qui tu vas le passer, Ailsa, j’espère de tout mon cœur que

tu seras heureuse. Je pense que nous aurons l’occasion de nous revoir 

après les fêtes. — Prends bien soin de toi, Linus, et merci encore pour tout ce que tu as

fait pour Saskia et moi durant l’année.

 — Tout le plaisir était pour moi. Au revoir.

Le cœur serré, Ailsa le regarda se diriger vers son tracteur, les épaules voû-

tées comme si elles supportaient toute la tristesse du monde. Lorsqu’il se

retourna une dernière fois, elle lui fit un signe amical de la main puis refer-

ma la porte. Elle sursauta en découvrant Jake juste derrière elle.

 — Alors, ne t’avais-je pas prédit que son intention était de devenir plus

qu’un simple voisin ?

Il semblait avoir perdu toute envie de plaisanter. Il semblait même en colè-

re. Elle l’était, elle aussi. — Pourquoi n’es-tu pas resté m’attendre dans la chambre ?

 — Aurais-tu accepté son invitation si je n’avais pas été là ?

Ailsa ne put s’empêcher de s’emporter. — Arrête de dire n’importe quoi ! N’as-tu pas entendu Linus expliquer que

 j’avais refusé son invitation ? Que je voulais passer Noël à la maison avec

ma fille ?

Il crispa les mâchoires. — Je l’ai entendu, en effet. Mais, passer Noël seule avec ta fille, est-ce

vraiment ce que tu veux, Ailsa ? — C’est ce que je fais chaque année. — Je n’ai pas encore eu le temps de t’en parler, mais, depuis ce matin, une

idée me trotte dans la tête. Pourquoi ne viendrais-tu pas passer les fêtes de

 Noël à Copenhague avec Saskia, ma mère et moi ? Ainsi, tu serais plus vi-

te avec ta fille et vous ne resteriez pas seules pour les fêtes.

 — Que se passe-t-il, Jake ? Pourquoi cette soudaine sollicitude ? Saskia et

moi passons Noël seules depuis quatre ans. Te ferions-nous soudain pitié ?

 — Pitié ? Si, après ce qui s’est passé entre nous la nuit dernière, tu pensesque ce que j’éprouve pour toi est de la pitié, alors je suis anéanti !

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* * *

Ailsa, elle, était déboussolée. Jake venait de lui demander de l’accompag-

ner à Copenhague ! Les interrogations s’entrechoquaient dans sa tête. Tout

cela n’

allait-il pas trop vite ? Devait-elle accepter son invitation ? Pouvait-elle se rendre avec lui à Copenhague comme si tout allait pour le mieux

dans le meilleur des mondes, comme si tout, entre eux, était réglé ?

Il y avait encore tant de choses dont ils n’avaient pas parlé ! Elle n’avait

aucune idée de la situation sur laquelle pourraient déboucher les discus-

sions à venir. Elle lui avait ouvert son cœur, mais les souffrances futures

 pouvaient se révéler plus atroces encore que les souffrances passées.

D’ailleurs, peut-être une femme l’attendait-elle dans sa luxueuse maison

de Copenhague ? Si tel était le cas, cela ne faisait aucun doute qu’elle de-

vait être plus belle et plus talentueuse qu’elle. Peut-être était-elle une de

ces femmes qui affirmaient que la cicatrice sur son visage lui donnait l’air 

d’un pirate très sexy ! — Quels que soient les doutes que tu puisses avoir à ce sujet, reprit Jake

avec emphase, mes intentions sont pures. Entendre Linus t’inviter pour le

repas de Noël n’a fait que me conforter dans mes intentions. Ton voisin est

certainement quelqu’un de bien, mais il ne me volera pas le bonheur de

 passer Noël avec Saskia et toi. Je veux que tu viennes avec moi, Ailsa !

 Notre fille sera folle de joie, ainsi que ma mère. Cette dernière me deman-

de très souvent de tes nouvelles sans que je puisse lui en donner. Il faut

que cela cesse ! Je…  je suis vraiment désolé que nous n’ayons pu parler 

depuis ce qui est arrivé !

Ils étaient revenus dans la cuisine. Ailsa pouvait voir les mains de Jake se

crisper sur le rebord de la table, ses jointures blanchissant sous l’effort.

Alors, elle s’avança vers lui et prit ses mains dans les siennes. —  Nous sommes devenus si forts au petit jeu qui consiste à éviter de com-

muniquer sur ce que nous ressentons, à ne pas appeler les choses par leur nom. Nous commençons à nous parler, mais nous tournons encore autour 

des choses essentielles comme si elles étaient des bombes capables de

nous exploser au visage. Quand tu dis : « ce qui est arrivé », en réalité, tu

veux dire : « la mort de notre bébé, la mort de notre amour ».

Les yeux bleus de Jake prirent l’aspect des ciels gris d’hiver.

 — Ainsi, selon toi, appeler les choses par leur nom serait censé les rendre

 plus acceptables.

 — Au moins, cela a le mérite de les rendre réelles. Au moins, cela nousmet face à la réalité. Cela ne signifie pas qu’il faille ressasser indéfiniment.

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Pendant ces quatre ans, je n’ai pas vraiment vécu, effectuant les tâches

quotidiennes comme un robot. Je n’ose imaginer ce que Saskia a ressenti,

elle qui est si sensible et si pleine de vie ! Parfois, je pense ne pas avoir été

la mère qu’elle mériterait. Les choses doivent changer. Nous ne pouvons

rester dans le non-dit. Tu dois me dire ce que tu as ressenti alors et ce quetu ressens aujourd’hui. Sans fard, sans rien me cacher.

 — Très bien. Mais c’est toi qui commences.

Ailsa se demanda si Jake entendait les battements de son cœur, qui tam-

 bourinait dans sa poitrine.

 — Quand je me suis réveillée de l’opération et que le médecin m’a infor-

mée que je venais de perdre mon bébé, j’ai cru mourir. De tout mon cœur,

 j’ai espéré que ce ne soit pas réel. J’allais me réveiller dans notre lit, dans

tes bras. J’allais te raconter mon horrible cauchemar et tu allais me récon-

forter. Tu prendrais ma main pour la poser sur mon ventre en disant : «

Sens, Ailsa. Ton bébé est bien vivant. Il bouge. Tu vois, tout va bien ! »

La gorge nouée par l’émotion, elle fit une pause. Elle n’osait regarder Ja-

ke, de peur que l’expression de son visage ne la décourage de poursuivre.

 — Hélas, ce n’était pas un rêve ! La réalité était là, sordide, inacceptable.

Le personnel médical m’administra de la morphine, mais la douleur perdu-

rait, atroce, pire que tout ce que j’avais pu vivre jusqu’alors. Car il ne

s’agissait pas seulement d’une douleur physique. Privée de mon bébé, je

me sentais vidée de ma substance, je n’étais plus rien. On dit que l’excès

de souffrance finit par avoir un effet anesthésiant. Ce ne fut pas le cas pour 

moi : je la ressentais dans chaque fibre de mon corps car j’avais perdu une

chose essentielle à ma vie. Et en plus, je t’avais perdu, toi, Jake. Comment

aurait-il pu en être autrement puisque je n’étais plus une femme, puisque

 jamais plus je ne pourrais avoir d’enfant ?

Ailsa s’interrompit de nouveau, plus pour remettre ses idées en ordre que

 pour reprendre souffle ou courage. Elle était lancée désormais, et ferme-

ment décidée à aller jusqu’au bout de ses explications. — Très vite, j’ai réalisé que notre union ne survivrait pas à cette dramati-

que épreuve. La souffrance était trop grande. J’ai été heureuse que tu de-

mandes le divorce. Heureuse que tu puisses refaire ta vie et avoir un enfant

avec une femme dont tu serais amoureux. Mais quand tu es parti…

Sa voix s’étrangla et la force qui l’avait portée jusqu’ici la déserta brutale-

ment. D’un geste de la tête, elle fit comprendre à Jake qu’elle ne pourrait

 poursuivre.

* * *

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Il aurait tellement voulu la prendre dans ses bras et la serrer contre lui. Elle

avait l’air si jeune, si vulnérable. Mais lui-même était en état de choc, com-

me si le plus dévastateur des tsunamis venait de le frapper. Comme elle

avait souffert ! Sans doute, inconsciemment, s’était-il protégé en refusant

de réaliser combien perdre un bébé pouvait être destructeur pour une mère.Il s’était emmuré dans sa propre peine, incapable de prendre en compte

celle d’Ailsa. Elle avait alors pensé qu’il n’avait plus d’amour pour elle.

De son côté, il lui avait fallu un certain temps pour prendre conscience de

l’importance de ce qu’il avait perdu en demandant le divorce.

Il n’avait jamais vraiment réalisé la chance qui lui avait été donnée d’épou-

ser cette femme extraordinaire. Installé dans le confort, la routine de la vie

quotidienne, il avait cru qu’il en serait toujours ainsi et que rien, jamais, ne

viendrait briser cette quiétude. Avec une certaine arrogance, pas une se-

conde il n’avait envisagé que ce qu’il aimait plus que tout au monde po-

uvait, en un instant, lui être enlevé.

Pourquoi l’aurait-il fait ? Ses amis, ses collègues avaient pour habitude de

dire que tout lui réussissait, que tout ce qu’il touchait se transformait en or.

 N’était-il pas né dans une famille richissime ? N’avait-il pas réussi brillam-

ment ses études, sa carrière ? Et, surtout, n’avait-il pas eu la chance

d’épouser une femme exceptionnellement belle, qui lui avait donné la plus

délicieuse des filles ? Jusqu’à cet horrible accident, il avait cru que tout,

dans la vie, lui était naturellement dû.

Il releva la tête et affronta le regard d’Ailsa. — Je me comportais comme un somnambule, reconnut-il. Non seulement

après l’accident, quand notre vie est devenue un enfer, mais déjà bien

avant. J’étais totalement inconscient de ce qui était vraiment important po-

ur moi. J’étais si absorbé par ma vie professionnelle que je ne voyais pas la

chance de t’avoir dans ma vie. C’est difficile à admettre, mais j’avais le

sentiment vaniteux que c’était normal. Toute mon attention était focalisée

sur ma réussite au travail, afin de plaire à mon père. Je voulais lui prouver que, le moment venu, je serais capable de prendre l’entreprise familiale en

main. J’étais si totalement focalisé sur ce but que j’en oubliais ma propre

vie, notre vie. Pendant les secondes qui ont suivi l’accident, je n’ai pas vu

mon existence défiler. Non, j’ai pris conscience d’une chose terrible : ce

que j’avais de plus précieux au monde  — de plus précieux même que ma

vie  —  pouvait m’être enlevé.

Il caressa la cicatrice qui barrait sa joue. Des larmes coulaient sur les joues

d’Ailsa. Seigneur … Parler à cœur ouvert comme il venait de le faire étaitsans doute la chose la plus difficile qu’il ait eu à accomplir dans sa vie ! La

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tentation était grande de se replier sur lui-même, de s’enfermer de nouveau

dans le confort du silence, mais Ailsa lui avait demandé de parler vrai et il

ne pouvait la décevoir. — Perdre notre fils m’a anéanti. Je ne pouvais croire qu’un tel drame puis-

se m’

arriver, nous arriver. Et, parce que mon supplice était insupportable, je n’ai pu supporter le tien. Au lieu de te réconforter, je me suis éloigné de

toi comme pour me protéger. Cela a dû te paraître bien cruel. Finalement,

notre incapacité à gérer nos émotions nous a séparés. Tu m’as demandé

d’être honnête, de confesser sans rien dissimuler la manière dont j’ai vécu

les drames qui ont changé nos vies. Je pense avoir été plus honnête

aujourd’hui que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Est-ce que cela chan-

ge la donne ? J’avoue être incapable de répondre à cette question. Mais

une chose est sûre, je suis heureux d’avoir pu parler comme je l’ai fait, mê-

me si cela m’a été terriblement pénible.

 — Merci, Jake…

Ailsa avait essuyé ses larmes, et un sourire fleurissait sur ses lèvres. — Merci ? Mais de quoi ?

 — Merci d’avoir accepté de me parler franchement, sans rien dissimuler.

Les doutes et la peur qui tétanisaient Jake diminuèrent sensiblement.

 — Je suis heureux d’avoir réussi à le faire, mais… euh… en avons-nous fi-

ni ?

Elle esquissa un sourire.

 — Tu te demandes si je vais revenir une fois encore à la charge ? Non, ras-

sure-toi. Nous avons mieux à faire. Laissons le passé de côté, il nous a fait

trop souffrir. Mon désir, désormais, est d’aller de l’avant, de vivre intensé-

ment. Pourquoi ne pas prendre un nouveau départ, nous offrir une page

 blanche à écrire ? Chaque jour à venir doit être, pour nous, l’occasion de

goûter au bonheur d’exister.

Elle chercha son regard, une lueur d’espoir au fond des yeux bleu azur.

 — Sur cette page blanche, pourrions-nous, par exemple, inscrire le projetde passer Noël, en famille, à Copenhague ?

Elle rit, heureuse.

 — Ce serait un bon début, non ?

 — Un excellent début ! Saskia va être folle de joie. Et ma mère également.

Ailsa se mordit la lèvre.

 — Jake ? — Oui.

 — Le fait d’avoir été capables d’être honnêtes l’un envers l’autre ne signi-fie pas un engagement quelconque quant à notre avenir, n’est-ce pas ?

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Jake serra les dents. Ainsi, tout n’était pas résolu ; il pouvait encore la per-

dre. Mais elle avait accepté de l’accompagner. Elle ne passerait pas Noël

en compagnie de son trop prévenant voisin ! Les progrès accomplis étaient

immenses. Il réussit à esquisser un sourire.

 — 

Un engagement pour Noël, ce n’

est déjà pas si mal, non ?Elle sourit à son tour.

 — Appelons cela un miracle ! Je n’ai jamais vraiment cessé de croire au

Père Noël. A ce propos, il serait temps de penser aux cadeaux pour Saskia.

J’en ai déjà acheté quelques-uns, mais j’aimerais pouvoir en trouver d’au-

tres. — Tu auras tout le temps qu’il faut pour cela à Copenhague. Les marchés

de Noël de la ville sont très fournis. Saskia ne manquera certainement pas

de cadeaux, sa grand-mère va y veiller. — Tu m’as parlé d’une enveloppe qu’elle t’avait confiée avant ton départ

de Copenhague.

Un sentiment de culpabilité assaillit Jake. Comment avait-il pu oublier une

chose aussi importante ?

 — Elle est dans ma valise, en effet. Je propose que nous la consultions à

notre arrivée à Copenhague. De toute façon, si nous voulons partir 

aujourd’hui, nous n’aurons pas le temps de faire des achats.

 — Tu as raison. Je cours préparer ma valise. Crois-tu qu’il nous sera possi-

 ble d’obtenir des places sur un vol dans un délai aussi court ?

 — Rien n’est impossible pour le P.-D.G. de Larsen Real Estate à partir du

moment où les avions peuvent décoller d’Heathrow ! Je m’en occupe im-

médiatement.

 — Et les routes ? Crois-tu que la circulation sera rétablie ?

Il éclata de rire.

 — J’avais oublié combien tu peux t’angoisser pour un rien, parfois.

Ailsa rougit.

 — D’accord, je te fais confiance pour tout organiser. Une dernière chose :où vais-je résider à Copenhague ? Chez ta mère avec Saskia ou…

 — Chez moi ! Je vais devoir me rendre chaque jour au travail jusqu’à la

veille de Noël, mais Alain sera à ta disposition pour te conduire là où tu

voudras aller. Nous passerons certainement le jour de Noël chez ma mère.

Qu’en penses-tu ?

L’estomac contracté, la gorge sèche soudain, il attendit sa réponse. — C’est parfait. Peux-tu appeler Saskia et ta mère pour les prévenir de no-

tre arrivée ? — Je le ferai dès que j’aurai réussi à réserver nos places dans l’avion.

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 — Je cours me préparer !

* * *

Jake l’entendit grimper les escaliers quatre à quatre. Durant de longues se-

condes, il demeura immobile, les yeux fixés sur le paysage féerique, les na-rines encore frémissantes des effluves du parfum d’Ailsa, ce parfum qui

lui allait si bien. Il allait l’emmener avec lui.

Le plus merveilleux des cadeaux de Noël.

Mais, après ?

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10.

En usant certainement de cette autorité naturelle qui lui permettait d’obte-

nir à peu près tout ce qu’il voulait en un temps record, Jake réussit à réser-

ver deux places en classe affaires sur un vol pour Copenhague en fin

d’

après-midi.Alain les accueillit à leur descente d’avion et les conduisit à la somptueuse

demeure de son patron, située dans le quartier le plus huppé de la capitale

danoise, où ils arrivèrent aux environs de 23 heures.

Il était bien trop tard pour rendre visite à Saskia et à sa grand-mère. Ailsa

dut refréner son impatience, tout en remerciant mentalement Jake de lui

 permettre de retrouver sa fille plus tôt que prévu. Un très précieux cadeau

de Noël.

Durant tout le voyage, Jake était resté étrangement silencieux. Mais po-

uvait-il en être autrement ? N’avait-il pas forcé sa nature en acceptant de

lui faire part de son ressenti quant aux événements qui avaient bouleversé

leur vie ? Elle avait respecté son silence. En fait, à part quand le dîner leur 

avait été servi, elle avait somnolé durant tout le vol. A son réveil, elle

s’était gardée d’avouer à Jake qu’elle avait rêvé de lui et de leur lune de

miel dans les Caraïbes.

Bien qu’ils l’aient passée dans l’environnement le plus enchanteur de la

 planète, ils n’avaient guère quitté le somptueux lit de la villa louée pour 

l’occasion. Autour de la demeure, des fleurs tropicales poussaient à foison

; la mer turquoise était une invitation permanente à la baignade, l’endroit

était idyllique, mais ils ne pouvaient se rassasier de leurs baisers, de leurs

caresses. Seuls au monde, ils ne se quittaient pas des yeux, savourant cha-

que seconde de ce séjour magique. Neuf mois plus tard naissait Saskia. — Bienvenue chez moi, lança Jake, la ramenant brusquement à la réalité.

Ailsa ouvrit de grands yeux. Quelques jours plus tôt, son ex-mari avait, po-

ur la première fois, posé les yeux sur le cottage dans lequel elle vivait.

Aujourd’hui, c’était à son tour de découvrir la demeure achetée depuis leur divorce et qu’elle ne connaissait pas. Elle avait grandi dans l’environne-

ment sévère et dépouillé d’un orphelinat ; quand elle pénétra dans le hall

de marbre blanc, la différence entre leurs deux mondes la frappa de nou-

veau. Jake avait dû faire appel au plus talentueux des décorateurs. Tout

respirait le luxe et l’harmonie : les meubles, les tableaux fixés aux murs,

les tapis recouvrant le sol. Pourtant habituée à la richesse des Larsen, le fa-

ste de cette demeure la laissait sans voix.

 — Cette maison est vraiment très belle, finit-elle par articuler. — Je suis heureux qu’elle te plaise. C’est également la maison de notre fil-

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le.

 — Oui.

 — Désires-tu manger quelque chose ? —  Nous avons dîné dans l’avion.

 — 

C’

était il y a des heures. — Et toi, as-tu faim ?

Elle avait posé la question en toute innocence, mais elle rougit en voyant la

lueur allumée dans les yeux de Jake. — Oui, j’ai très faim. De toi !

Du bout des doigts, il caressa tendrement sa joue. —  Il en a toujours été ainsi, tu le sais mieux que personne. Il semble que,

sur ce point, après toutes ces années, rien n’ait changé.

Une onde de chaleur monta des reins d’Ailsa pour l’envahir tout entière. — Je…  j’aimerais me rafraîchir un peu, si tu n’y vois pas d’inconvénient.

Les voyages me fatiguent toujours, même en première classe.

Elle disait n’importe quoi afin de masquer son embarras. Elle s’éloigna de

Jake pour se rapprocher de sa valise et de son vanity-Case, déposés quel-

ques instants plus tôt par Alain. — J’ai demandé à Magdalena, ma gouvernante, de te préparer la chambre

d’amis. Suis-moi, je vais t’y conduire.

La chambre d’amis… Ainsi, ils allaient dormir dans des lis séparés. Ailsa

chercha le regard de Jake, qui détourna le sien. Elle nageait en pleine con-

fusion. Etait-elle soulagée ou frustrée qu’il lui propose de faire chambre à

 part ? Comme s’il lisait dans ses pensées, Jake expliqua : — Je n’ai pas voulu t’imposer de partager ma chambre. Je pense que tu as

 besoin de temps pour réfléchir à ce qui est en train de nous arriver.

Il s’empara de ses bagages.

 — Si tu veux bien me suivre…

Il la précéda sur les marches du grand escalier de marbre conduisant à

l’étage. Avait-il dit la vérité sur ses motivations quant aux deux chambresséparées ? Une pensée s’insinua dans l’esprit tourmenté d’Ailsa : et si la

raison était tout autre ? Et si une femme avait partagé le lit du maître de

maison et avait laissé dans la chambre des objets personnels ? Après l’inti-

mité partagée au cottage, cette simple idée lui donnait la nausée.

Les meubles de la chambre lambrissée dans laquelle ils pénétrèrent étaient

tous de bois clair, ce qui lui conférait l’aspect douillet et chaleureux des

chalets de montagne. Ailsa tomba immédiatement sous le charme.

Jake déposa les bagages sur le tapis de laine moelleux et ouvrit une porte. — Voici la salle de bains. Tu y trouveras les serviettes qu’il te faut.

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 — Merci.

Pourquoi était-elle si mal à l’aise ? Parce qu’il ne l’avait pas invitée à par-

tager son lit ? S’il avait faim d’elle comme il venait de l’affirmer, pourquoi

l’installer dans la chambre d’amis ?

Il lança un regard à sa montre. —  Il est tard. Je te laisse te reposer. Demain matin, au petit déjeuner, nous

déciderons quand rendre visite à Saskia.

 — Le plus tôt possible, d’accord ? — Evidemment !

 — Jake, pourrons-nous examiner la liste des cadeaux qu’elle t’a confiée

avant de la rejoindre ? — Bien entendu !

Il lui sourit et le cœur d’Ailsa se mit à battre la chamade. Elle aurait telle-

ment voulu dormir dans ses bras, lovée contre lui ! Mais il en avait décidé

autrement. A l’évidence, les fantômes du passé n’avaient pas totalement

disparu. — Bonne nuit, Ailsa, à demain.

 — Bonne nuit, Jake, fit-elle, peinée.

Elle n’était pas certaine du tout que la nuit serait bonne.

* * *

Le lendemain matin, Ailsa fut accueillie dans la cuisine par Magdalena, la

gouvernante. Grande, mince, la cinquantaine, elle affichait un sourire ave-

nant. Elle était fort différente de la gouvernante anglaise, petite et replète,

entrée à leur service quand, après leur mariage, ils s’étaient installés à Lon-

dres. — Good morgen, énonça Magdalena d’une voix chaleureuse. Vous devez

être Ailsa. Je suis si heureuse de faire enfin votre connaissance !

Elle semblait sincère et Ailsa lui rendit son sourire. Malgré ses yeux d’un

 bleu acier, Magdalena l’accueillait avec bienveillance. La jeune femme luien fut reconnaissante. Elle prit la main qu’elle lui tendait. — Je suis heureuse de faire votre connaissance, moi aussi.

 — Je vois maintenant de qui votre adorable fillette tient sa beauté. Vous

avez des cheveux magnifiques ! — Merci.

Elle avait passé un certain temps, au réveil, à les brosser longuement de-

vant le miroir, comme si elle avait éprouvé le besoin d’être particulière-

ment en beauté. A qui voulait-elle donc plaire sinon à l’homme qui avaitété son mari ? Cette prise de conscience était déstabilisante. Car, de son cô-

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té, Jake avait choisi délibérément de faire chambre à part.

 — Asseyez-vous, je vous en prie. Que désirez-vous, thé ou café ?

 — Une tasse de thé, s’il vous plaît.

Elle prit place à la table en pin faisant face à une porte-fenêtre donnant sur 

un jardin. Des flocons tombaient de nouveau du ciel. —  Il neige ! s’exclama-t-elle.

 — Oui. Nous aurons un Noël blanc. Votre fille va être folle de joie. Elle

m’a avoué que son rêve était de voir la neige recouvrir toute chose pour ce

 jour particulier. Je pense que tous les enfants ont envie de cela. C’est féeri-

que.

Ailsa sourit, aux anges. —  Il n’y a pas que les enfants qui font ce rêve ! Savez-vous si Jake… si

M. Larsen est réveillé ? —  Il s’est levé aux aurores, comme tous les matins. Votre mari est un

homme qui travaille beaucoup.

 —  Il n’est plus mon ma…

La rectification fut interrompue par une Magdalena enthousiaste :

 — Kaleb, mon mari, a une admiration sans bornes pour lui. Il est prêt à tra-

vailler jour et nuit à son service. C’est que M. Larsen lui a donné sa chance

quand tout le monde le rejetait. A la mort de son frère, qu’il adorait, Kaleb

a sombré dans l’alcoolisme. La vie n’avait plus d’intérêt pour lui. Nous

nous sommes alors séparés. Il dormait dans la rue. Un soir, à la sortie

d’une réunion, M. Larsen s’est arrêté pour lui parler. Un miracle ! Il lui a

donné du travail et redonné confiance en lui. Nous nous sommes remis en-

semble. Je travaillais dans un hôtel et M. Larsen m’a offert cette place de

gouvernante. Kaleb n’a jamais repris une seule goutte d’alcool. Mais je

 parle, je parle, et j’en oublie de vous préparer votre thé !

 —  Ne vous excusez pas, Magdalena. Je suis très touchée que vous ayez

 partagé cette histoire avec moi.

 — Merci de m’avoir écoutée. Que voulez-vous pour votre petit déjeuner ?Ailsa venait d’apercevoir le tout dernier modèle de machine à expresso.

Une idée lui vint alors à l’esprit.

 — Pourriez-vous me montrer comment marche cette machine ? J’ai envie

d’apporter une tasse de café à Jake dans son bureau. Qu’en pensez-vous ?

Un sourire lumineux fleurit sur les lèvres de la gouvernante.

 — C’est une merveilleuse idée. M. Larsen va apprécier, j’en suis persua-

dée.

* * *

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Après un énième coup de téléphone, Jake reposa le combiné sur son bu-

reau et appuya son dos fatigué contre le dossier du fauteuil. Une chose

était certaine : il avait sérieusement besoin de mettre de l’ordre dans ses

 pensées.

Ses yeux se posèrent sur la porte-fenêtre qui donnait sur le jardin. La neiges’était remise à tomber. Il espéra qu’elle ne serait pas un handicap pour 

rejoindre la maison de sa mère, où les attendait Saskia.

Il se demanda si Ailsa était levée. Avait-elle réussi à dormir ? Lui avait

 passé une nuit blanche. Comment aurait-il pu trouver le sommeil alors

qu’il savait Ailsa allongée sur un lit dans une chambre tout près de la sien-

ne ? Son corps brûlait de désir à en être douloureux. Il voulait lui faire

l’amour. Il voulait l’entendre gémir de plaisir. Il voulait l’entendre crier 

son prénom au moment de l’orgasme.

Un soupir s’échappa de ses lèvres. Avait-il vraiment lu la déception au

fond des admirables yeux noisette quand il l’avait conduite dans la cham-

 bre d’amis, ou l’avait-il rêvée ? Encore stupéfait qu’elle ait accepté de l’ac-

compagner au Danemark, il n’avait pas osé lui imposer de partager son lit,

alors qu’il en mourait d’envie.

Il ne devait surtout pas l’effrayer. Elle ne devait surtout pas se sentir pié-

gée.

La tête dans ses mains, il se frotta nerveusement les joues. Ailsa était là,

dans sa maison. Il avait peur que ce ne soit qu’un rêve. Il avait peur de se

réveiller et qu’elle soit de nouveau à des milliers de kilomètres de lui. Cela

ne faisait plus aucun doute, il avait sérieusement besoin d’une tasse de café

!

On frappa à la porte. — Entrez, Magdalena, lança-t-il. Vous avez dû lire dans mes pensées !

La porte s’ouvrit et il se redressa dans son fauteuil. Sur le seuil, telle une

apparition magique, se tenait Ailsa, un plateau à la main. Ses cheveux au-

 burn encadraient joliment son visage délicat. Elle était plus belle que ja-mais. — Ce n’est pas Magdalena, dit-elle. Ce n’est que moi.

Son sourire fit battre plus vite le cœur de Jake. Elle était délicieuse.

 — J’ai pensé que tu avais besoin d’un bon café. — J’en mourais d’envie et te voilà. C’est magique. Tu es un ange.

Elle s’avança de sa démarche gracieuse et déposa le plateau sur son bu-

reau.

 — Viens là ! ordonna-t-il en lui ouvrant les bras.Elle obéit. Il la fit asseoir sur ses genoux, et sa raison l’abandonna. Il en

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avait toujours été ainsi : dès qu’il se retrouvait en présence d’Ailsa, il ne

 pensait plus qu’à la caresser, la goûter, la savourer. Il s’empara de ses lè-

vres en un baiser si sensuel qu’il faillit la renverser sur le bureau pour lui

faire l’amour, là, sur-le-champ ! Comment avait-il pu se passer de ce corps

voluptueux pendant quatre interminables années ? Pourquoi s’

était-il puniainsi ?

Elle s’agita sur ses genoux, décuplant le désir qu’il avait d’elle. Elle réussit

à libérer ses lèvres. —  Non, Jake, nous ne devons pas…

 — As-tu la moindre idée de ce que tu provoques en moi ? — Si… si je produis tant d’effet sur toi, alors pourquoi hier soir m’as-tu

fait dormir seule, dans la chambre d’amis ? demanda-t-elle, haletante.

Le souffle court, il posa un doigt sur ses lèvres tentantes. — Que dois-je penser, petite ensorceleuse ? Que tu aurais voulu que je

t’invite à partager mon lit ?

 — Lorsque tu me regardes ainsi, je suis incapable de penser correctement !

Elle quitta ses genoux et s’éloigna de quelques pas. Jake se leva à son tour,

la frustration au ventre. — Comment est-ce que je te regarde ?

 — Comme une friandise que tu te prépares à déguster.

Tout en prononçant ces mots, elle rougit jusqu’à la racine de ses cheveux. — Et si c’était le cas, Ailsa ? Si mon désir était de te caresser partout, de

t’arracher des cris de plaisir, de te faire l’amour encore et encore, me per-

mettrais-tu de le faire ?

Elle recula de quelques pas, comme si l’attraction qu’il exerçait sur elle

était trop forte. — C’est… c’est ridicule ! Je…  je suis seulement venue t’apporter une tas-

se de café. — Pourquoi n’as-tu pas laissé Magdalena le faire ?

 — Parce que…

Ailsa inspira profondément. Seigneur, qu’il était difficile de parler ! — Parce que je désirais connaître la raison pour laquelle tu ne m’as pas in-

vitée à partager ton lit, hier soir. J’ai une hypothèse : une femme l’avait

 partagé dernièrement et j’aurais risqué de le découvrir.

Jake se planta devant elle, les bras croisés sur son torse.

 — Comme tu te trompes… La raison de ma décision est bien différente.

La journée avait été longue. Tu étais fatiguée. J’ai pensé que tu te repose-

rais mieux, seule, dans un lit. — Admettons… Mais tu m’as avoué n’avoir pas vécu comme un moine

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durant ces quatre dernières années. Tu en avais parfaitement le droit : nous

avions divorcé, tu étais libre. Mais, après ce qui s’était passé entre nous, je

 pensais…  Non, rien, peu importe. Je ne sais plus ce que je dis. C’est juste

que la situation est tellement… inattendue, surréaliste !

Rouge de confusion, elle baissa la tête, les yeux fixés sur le bout de seschaussures.

Jake s’approcha plus près encore et, un doigt sous son menton, l’obligea à

affronter son regard. — Je veux que tu saches que jamais je n’ai amené une femme dans cette

maison pour partager mon lit. Quand j’ai eu une relation, elle était pure-

ment sexuelle et toujours dans la chambre d’un hôtel discret. Et je n’ai eu

aucune relation de ce type durant ces six derniers mois. Cela te convient-il

?

 Non ! faillit hurler Ailsa. Elle aurait voulu pouvoir crier son désespoir,

marteler la poitrine de Jake de ses poings. Sa réaction était outrancière, ri-

dicule, absurde, elle le savait. Mais comment gérer la souffrance éprouvée

à l’idée qu’il ait tenu une autre femme qu’elle dans ses bras ? La jalousie

vrillait son cœur. Elle l’aimait ! Elle l’aimait et l’aimerait toujours ! Pour 

elle, il n’y aurait jamais aucun autre homme que lui dans sa vie. Il était le

 père de Saskia, sa fille adorée. Au cœur même de sa détresse, elle savait

qu’il n’était pas juste d’exiger d’un homme une totale abstinence durant

quatre longues années. Mais Dieu que cela faisait mal !

Faisant un terrible effort sur elle-même, elle réussit à esquisser un sourire. — Disons que oui. Tu as vu ? La neige s’est remise à tomber. J’espère

qu’elle ne nous bloquera pas une fois encore et que nous pourrons rendre

visite à Saskia.

Il lui rendit son sourire.

 —  Nous partirons dès que j’aurai bu ma tasse de café. D’accord ? — Dans ce cas, je remonte dans ma chambre chercher mon manteau et

mettre mes bottes.Elle se dirigea vers la porte. — Ailsa ?

 — Oui ?

 — Ce soir, si tu le veux, je peux faire transférer tes affaires dans ma cham-

 bre.

Elle se retourna. Jake était resté debout, ses yeux d’un bleu si profond fi-

xés sur elle.

 — Je le veux !* * *

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Tandis qu’Alain les conduisait chez Tilda Larsen, dans la campagne danoi-

se, Jake lui assura être désolé d’avoir à travailler sur un dossier urgent. Ail-

sa le gratifia d’un sourire. Grâce à leur discussion à cœur ouvert, elle sa-

vait désormais combien il culpabilisait de tant s’

investir dans son travail.Désormais seul à la tête de Larsen Real Estate, sa charge de travail avait

dû encore s’alourdir.

Alain conduisait la luxueuse voiture d’une main de maître, permettant ain-

si à Jake de travailler en toute quiétude, installé sur la banquette arrière

munie d’une tablette. Quant à Ailsa, elle pouvait ainsi profiter pleinement

de la majesté du paysage environnant recouvert de son manteau de neige.

Elle était très impatiente de revoir sa fille et imaginait la joie de cette der-

nière en voyant ses parents arriver ensemble.

La pensée de sa fille lui rappela qu’ils n’avaient toujours pas pris le temps

de lire la liste de sa commande au Père Noël. Elle se tourna vers Jake. Il

semblait totalement immergé dans la lecture de son dossier, pleinement

concentré. Son front était plissé comme si ce qu’il lisait ne lui donnait pas

une entière satisfaction. — Jake ?

 — Mmm…

Il ne se tourna même pas vers elle. — As-tu apporté l’enveloppe que t’a confiée Saskia ? J’aimerais consulter 

la liste de cadeaux qu’elle nous a préparée. — L’enveloppe de Saskia ? Ah, oui, bien sûr !

Il ouvrit sa mallette et en sortit une enveloppe, qu’il lui tendit avec une gri-

mace. — Je sais que je devrais la consulter avec toi, mais, ce matin, avec ce do-

ssier urgent…

 —  Ne t’inquiète pas. Continue à faire ce que tu as à faire. J’ai tout mon

temps. Je vais la lire et nous en discuterons plus tard. — Merci.

Sur le point de se replonger dans son dossier, il ajouta :

 — Je règle ce problème maintenant afin de pouvoir prendre quelques jours

de vacances avec toi et Saskia.

Une onde de chaleur parcourut Ailsa.

 — Merci de me le faire savoir, Jake.

Calée contre le dossier de la banquette, elle ouvrit l’enveloppe. A sa gran-

de surprise, elle trouva deux feuillets. A la vue de l’écriture tout à fait re-connaissable de sa fille, à l’encre bleue, ses yeux s’embuèrent.

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Elle lut la première feuille. Elle contenait effectivement la liste des ca-

deaux désirés par Saskia. Comme elle s’y attendait, celle-ci était très rai-

sonnable. Mentalement, Ailsa en ajouta quelques-uns de son choix. Mais, à

la lecture du second feuillet, son cœur s’arrêta de battre.

« Chers papa et maman,» Peu m’importe que le Père Noël ne m’apporte aucun des cadeaux de ma

liste. Le plus beau des cadeaux, le seul qui compterait vraiment pour moi,

serait que vous vous remettiez ensemble. Il est très triste que mon petit frè-

re soit mort avant que nous puissions faire connaissance, mais mon désir le

 plus cher est que nous formions de nouveau une vraie famille et que nous

habitions de nouveau tous ensemble.

» Je vous aime.

Saskia. »

Ailsa remit la liste dans l’enveloppe et subtilisa discrètement la lettre qui

l’accompagnait pour la glisser dans la poche de son manteau. — Tiens, je te la rends, fit-elle en se tournant vers Jake, toujours très ab-

sorbé par l’étude de son dossier.

Il marmonna un vague assentiment en tendant la main sans même lever les

yeux. Cachant l’émoi dans lequel l’avaient plongée les mots écrits par Sa-

skia, elle déposa l’enveloppe dans la main tendue et laissa son regard errer 

sur le paysage immaculé qui l’environnait.

Il était trop tôt pour transmettre à Jake la lettre poignante de leur fille. Elle

lui mettrait la pression et ce serait une erreur. Jake devait décider par lui-

même de l’avenir à donner à leur relation.

Cette requête avait un terrible impact sur elle. A l’approche de Noël, leur 

fille avait tenu à exprimer par écrit son vœu le plus cher. Il était également

le sien. Mais si le couple devait se reformer, il devait le faire par amour,

non par obligation.

Elle focalisa son regard sur le profil de son ex-mari. La cicatrice qui zé- brait sa pommette resterait à jamais la trace indélébile du passé. Progressi-

vement, son corps avait guéri, même s’il conservait encore les traces du

drame. En allait-il de même pour son âme ?

Elle étouffa le sanglot qui montait dans sa gorge. Jake devait réapprendre à

la connaître avant de prendre une décision engageant l’avenir de trois per-

sonnes, dont celui d’une petite fille. Elle ne lui donnerait à lire la demande

de Saskia que lorsqu’il serait prêt.

Car, si elle était sûre de ses propres sentiments, elle n’était pas certaine deceux de Jake. Par le passé, leurs ébats torrides au lit ne les avaient pas pro-

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tégés de la séparation. Pourquoi croire qu’il en irait différemment cette

fois-ci ?

Et, surtout, Jake était-il prêt à se lier de nouveau à une femme qui ne pour-

rait plus jamais lui donner d’enfant ?

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11.

L’étonnante maison blanche apparut au milieu d’une clairière, au bout

d’une route de campagne étroite et sinueuse. L’effet était magique. Baig-

nant dans cette surprenante lumière bleutée n’appartenant qu’à cette partie

de l’

Europe, sa féerie se trouvait renforcée par les milliers de flocons blancs déversés par le ciel.

Mais, aussi fantastique soit-elle, la maison n’accapara pas l’attention

d’Ailsa très longtemps car, sur le perron, à l’abri de son auvent, se tenait

une fillette portant un jean, un gros pull de laine rouge et des bottes de

fourrure. Elle jaillit de la voiture avant que le très stylé Alain vienne lui ou-

vrir la portière. — Maman ! s’exclama Saskia en se précipitant dans ses bras.

Ailsa la serra fort contre elle, couvrant son visage de baisers. — Seigneur … il semble que tu aies encore grandi ! Quelle potion magique

t’a donc donnée ta grand-mère ?

Saskia éclata de rire. — Des herbes cueillies la nuit dans la forêt au clair de lune, avec les elfes

et les lutins ! Quel bonheur de te revoir, maman !

Des étoiles brillaient dans les yeux de la fillette, au bleu si semblable à ce-

lui des yeux de son père.

 — Moi aussi, je suis heureuse de te revoir, mon ange. Tu m’as tellement

manqué !

 — Et il neige ! J’ai tellement espéré qu’il neige pour Noël ! Et voilà que

 j’ai été exaucée. — Ainsi, c’est à toi que nous devons cette abondante chute de neige ! Ces

derniers jours, il a tellement neigé sur la campagne anglaise qu’il était dif-

ficile de sortir de la maison. Il semble que tu possèdes des pouvoirs magi-

ques !

Un sourire illumina le visage de la fillette.

 — Je le crois aussi puisque tu es là, avec papa ! — Hello, mon cœur ! dit Jake qui venait de les rejoindre.

Ce fut à son tour de serrer la fillette dans ses bras. Emue aux larmes, Ailsa

se reput de ce spectacle qui lui avait tant manqué. Ces deux-là s’adoraient,

c’était évident. Jake rayonnait. Comme il était différent en présence de sa

fille ! Ailsa le retrouvait tel qu’il avait été lors de leur rencontre et au début

de leur mariage, avant que le malheur ne s’abatte sur eux. — Entrons vite nous mettre au chaud ! lança-t-il.

Il tendit la main vers Ailsa. — Viens ! Sois la bienvenue dans cette maison. Ma mère doit être dans la

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cuisine en train de préparer de quoi t’accueillir dignement. Je suis sûr 

qu’elle est impatiente de te voir.

 — Tu… tu crois ?

Les doutes la taraudaient. Quelle opinion Tilda Larsen avait-elle d’elle, à

 présent ? Durant ces quatre dernières années, Ailsa avait pratiquement cou- pé toute communication avec Jake, refusant même de lui parler au télépho-

ne. Tilda avait toutes les raisons du monde de lui en vouloir.

 — Je suis certain qu’elle va nous gronder si nous traînons encore ! Allez,

entrons, il fait froid dehors !

 — Et Alain ? demanda Ailsa en entendant le moteur de la limousine vrom-

 bir de nouveau. —  Il se rend en ville afin de faire une course pour moi. Il sera de retour po-

ur nous ramener à la maison.

Les devançant, Saskia s’était précipitée à l’intérieur de la maison, en quête

de sa grand-mère.

 — Mamie, ils sont là ! Papa et maman sont là !

Dès le seuil franchi, une délicieuse odeur de gâteau vint titiller les narines

d’Ailsa. Elle avait eu maintes fois l’occasion de rendre visite aux parents

de Jake, appréciant chaque fois le confort et l’harmonie du foyer entretenu

 par Tilda. Si son mari était un homme froid et autoritaire, elle était à l’op-

 posé.

Jake l’aida à se débarrasser de son manteau et de ses bottes, puis la condui-

sit vers la cuisine. Tilda les y attendait. Un sourire chaleureux sur les lè-

vres, elle ouvrit les bras sans une hésitation et serra Ailsa contre elle. Cel-

le-ci retrouvait son ex-belle-mère telle qu’elle avait toujours été, affectueu-

se et bienveillante. Certes, il y avait quelques mèches argentées supplé-

mentaires dans ses cheveux blonds, mais son visage n’avait pas changé,

comme si le temps et le chagrin n’avaient nulle prise sur elle. — Soyez la bienvenue ici, ma fille ! énonça-t-elle. Et merci de m’avoir 

donné cette merveilleuse petite-fille !Les larmes vinrent aux yeux d’Ailsa, qui rendit à Tilda son étreinte affec-

tueuse. Puis se fut au tour de Jake de serrer sa mère dans ses bras. Pas une

seconde on ne pouvait douter de la tendre affection qui les liait. Cela rap-

 pela à Ailsa combien un tel lien lui avait manqué dans son enfance. Guérit-

on jamais d’un tel manque ?

Voyant ses larmes, Tilda prit ses mains dans les siennes. — Ma fille, vous avez enduré la plus grande souffrance qui soit pour une

mère : la perte d’un enfant. Mon fils a grandement souffert, lui aussi. Jeveux que vous sachiez combien je compatis. Et ce, d’autant plus que je

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viens de perdre un être aimé, mon mari. Mais nos chers disparus ne repose-

ront pas en paix si nous ne sommes pas capables d’oublier notre chagrin et

de reprendre goût à la vie.

Ailsa ravala ses sanglots.

 — 

Vous avez raison. A mon tour, je veux vous dire combien je compatis pour la perte de Jacob. Je sais combien vous étiez proches.

 — Vivre sans lui m’est encore difficile. Mais je progresse chaque jour. Et

la présence de ma petite-fille chérie m’a beaucoup aidée. Je ne vous remer-

cierai jamais assez d’avoir permis qu’elle reste plus longtemps à mes cô-

tés. Jake, emmène donc Ailsa dans le salon, près de la cheminée. Saskia et

moi allons vous apporter une boisson chaude, avec quelques gâteaux faits

maison. Pour le déjeuner, je vous ai préparé un stegt flæsk .

* * *

Dans la lumière dorée de la fin de matinée, avec les reflets rouges et oran-

gés des flammes qui crépitaient dans la cheminée, le sapin décoré scintil-

lait de mille paillettes d’or. Sur son sommet trônait une étoile, et sur ses

 branches pendaient des boules multicolores.

Sa vue faisait chaud au cœur d’Ailsa. Dans son orphelinat, elle avait mille

fois imaginé une maison comme celle-ci, un foyer chaleureux dans lequel

les traditions étaient respectées. Du plafond pendait un chandelier avec

quatre bougies. Elles devaient être allumées chacune leur tour chaque di-

manche précédant la nuit de Noël. Elle avait été enchantée en apprenant ce

rituel.

Jake prit sa main et la guida jusqu’au fauteuil près de la cheminée.

 — Tout va bien ? — Oui. L’accueil que m’a réservé ta mère m’a profondément émue.

 — Pourquoi ? T’attendais-tu à autre chose ? — Elle ne m’a pas vue durant quatre ans ! Elle aurait pu être fâchée que je

n’aie pas cherché à communiquer un peu plus avec toi ! — Si tu pensais qu’elle pouvait être fâchée, c’est que tu la connais vrai-

ment très mal. Détends-toi, je t’en conjure. Nous sommes tous très heu-

reux de t’avoir avec nous.

« C’est bon que tu sois revenue ici, car c’est ta place. Sans toi, la vie est un

enfer », ajouta-t-il in petto. S’il ne prononça pas ces mots, c’était parce

qu’il craignait d’effrayer Ailsa. Il ne devait surtout pas exercer quelque

 pression que ce soit sur elle. Durant leur vie commune, il avait souvent

 perçu son désarroi. Elle était comme une petite fille perdue au sein d’unevie familiale dont elle n’avait pas l’habitude. Parfois, quand elle croyait

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que personne ne la regardait, ses yeux s’embuaient de larmes. Sans doute

les souvenirs de son passé dépourvu d’affection et de tendresse lui reve-

naient-ils à la mémoire. Lui-même avait été un enfant choyé, adoré par sa

mère. Il avait du mal à imaginer ce qu’avait pu éprouver Ailsa, élevée sans

le support de l’

amour maternel.Au premier regard, il était tombé follement amoureux d’elle et l’avait très

vite demandée en mariage. Devant sa vulnérabilité évidente, il s’était fait

la promesse que jamais elle ne manquerait d’amour. Et pourtant… Totale-

ment absorbé par son travail, n’avait-il pas oublié son serment ? A la mort

de leur enfant, avait-il été le soutien qu’il aurait dû être pour elle ?

Enfermé dans sa propre douleur, il n’avait pas su la convaincre que la vie

continuait et qu’ensemble, elle valait la peine d’être vécue. Il n’avait pas

su lui dire combien il l’aimait, qu’elle était et serait toujours la femme de

sa vie, que le fait qu’elle ne puisse plus avoir d’enfant n’était pas dramati-

que puisqu’ils avaient Saskia. Il n’avait pas su la rassurer. Il n’avait pas su

lui redonner l’espoir. — Papa, maman, regardez ! Mamie m’a aidée à préparer du café pour toi,

 papa, et du thé pour maman. Nous avons également fait des gâteaux. Mais

il ne faut pas trop en manger, sinon nous n’aurons plus faim pour le repas.

 — Miam ! Comment résister quand ils semblent si appétissants, déclara Ja-

ke en s’emparant d’une part de cake.

Saskia présenta le plateau à sa mère.

 — Veux-tu que je le tienne, ma chérie ? demanda Ailsa. Il semble très

lourd. —  Non, je peux me débrouiller toute seule. J’ai beaucoup aidé pour les tra-

vaux ménagers, ces derniers jours, n’est-ce pas, mamie ? — C’est vrai, mon ange. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Jake,

des cookies sont encore en train de cuire dans le four. Peux-tu aller les sur-

veiller avec Saskia ? Il ne faudrait pas qu’ils brûlent. Pendant ce temps, je

converserai avec Ailsa.L’espace d’un instant, Jake éprouva une sourde appréhension. Pourquoi sa

mère désirait-elle avoir un entretien privé avec Ailsa ? Comme il savait

d’expérience que rien ne pourrait l’en dissuader, il se résigna à laisser les

deux femmes seules dans le salon. — Suis-moi, Saskia, dit-il, nous devons voler au secours des pauvres coo-

kies qui risquent de se transformer en cendres ! —  Impossible, avança aussitôt Saskia. Parce que, avec mamie, nous avons

réglé le four à la température qu’il faut.Jake prit la main de sa fille et l’entraîna vers la cuisine.

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 —  Il n’en demeure pas moins que nous sommes investis d’une mission qui

doit être menée à bien !

* * *

Tilda s’

assit dans le fauteuil libéré par son fils. Elle prit la main d’

Ailsadans la sienne.

 — Aujourd’hui, mon fils semble particulièrement heureux, dit-elle. En

 paix plutôt qu’en guerre contre tout et n’importe quoi. Quelque chose me

dit que c’est à vous qu’on le doit.

Les mots réconfortèrent le cœur tourmenté d’Ailsa. Se pouvait-il que Tilda

les ait vraiment prononcés ? — Ces derniers jours passés ensemble ont fait merveille, reconnut-elle.

 Nous avons parlé  — vraiment parlé  —  pour la première fois depuis le di-

vorce.

 — Bien ! Très bien ! Mais permettez-moi de vous livrer le fond de ma pen-

sée. Vous n’auriez pas dû divorcer. Je vois que mes mots vous choquent

mais, s’il vous plaît, acceptez de m’écouter quelques instants.

Ailsa acquiesça d’un signe de tête, tendue comme un arc. — Parlez, je vous en prie, Tilda.

 — Ce qui est arrivé n’est la faute de personne. Ni la vôtre ni celle de mon

fils. Tous les deux, vous avez été brisés, anéantis. Et vous avez divorcé,

comme si vous éloigner l’un de l’autre pouvait atténuer la douleur. Les ani-

maux blessés ne se cachent-ils pas pour panser leurs plaies ? La souffrance

nous rend pudique. Nous refusons de l’étaler aux yeux des autres. J’ai l’in-

time conviction que bien avant le drame, votre mariage filait droit dans le

mur. Je voyais mon fils suivre les traces de son père et s’investir plus qu’il

ne le fallait dans le travail. Vous n’allez pas le croire, mais, sur son lit de

mort, Jacob s’est inquiété de l’avenir de son entreprise. Son fils allait-il se

montrer capable de la diriger comme il le fallait ? A maintes reprises, ils

s’étaient querellés à propos des idées novatrices de Jake. Mon mari était unconservateur ; tout changement de méthode le révulsait. Ce qui avait réussi

dans le passé devait réussir dans le futur. Il n’avait pas vu le monde chan-

ger.

Elle laissa son regard errer sur les flammes tandis qu’Ailsa retenait son

souffle dans l’attente de la suite des confidences.

 — Après l’accident, reprit enfin Tilda, surtout après votre divorce, mon

fils a changé. Tellement que je ne le reconnaissais plus. Ce n’est pas la

mort tragique du bébé ni la cicatrice qu’il porte au visage qui l’ont changé.Sans vous dans sa vie, Ailsa, il est devenu comme un bateau sans gouver-

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nail. Il s’est de plus en plus coupé du monde. Un jour, il m’a avoué que la

seule chose qui donnait encore un sens à sa vie était sa fille. C’est seule-

ment en sa compagnie qu’il retrouvait le sourire. Alors je vais me permet-

tre de vous poser une question, et je vous supplie d’y répondre en toute

honnêteté, quel que soit le mal qui peut en résulter. Ne me dites surtout pasce que vous croyez que j’aimerais entendre, d’accord ?

Les larmes aux yeux, Ailsa opina de la tête.

 — Aimez-vous encore mon fils ? — Oui.

Le mot était sorti de son cœur sans même qu’elle ait besoin de réfléchir.

Tilda dut le percevoir car elle serra plus fort encore la main qu’elle tenait

dans la sienne.

 — Alors permettez-moi de vous faire une suggestion : laissez-moi Saskia

 jusqu’à la veille de Noël et passez ces quelques jours seule avec mon fils.

Vous m’avez dit avoir parlé, mais il semble qu’il y ait encore beaucoup de

choses à dire. Je le sens. Je le devine. Puis, la veille de Noël, venez vous

 joindre à nous. Je préparerai la chambre d’amis. Vous pourrez rester aussi

longtemps que vous voudrez. — Je pensais emmener Saskia au marché de Noël. Elle a fait une liste de

cadeaux et…

 — Je sais. Je l’y conduirai moi-même. D’autant qu’elle voudra acheter des

cadeaux pour son papa et sa maman. Vous avez vu sa liste ?

 — Oui. — Donc vous avez lu la lettre qui l’accompagnait. — Oui.

 — Mon fils l’a lue également ? —  Non. Il m’avait confié l’enveloppe.

 — Ainsi, il n’a aucune idée de ce qu’elle contenait.

Ailsa remua sur son siège, embarrassée.

 —  Il lira cette lettre, c’est promis, mais lorsqu’il sera prêt. Je ne veux pasqu’elle agisse comme un revolver sur sa tempe. Il doit prendre ses déci-

sions en toute liberté. Ce n’est qu’à ce prix qu’un avenir entre nous est po-

ssible.

Tilda sourit ; elle semblait tout particulièrement apprécier sa réponse. — Comme vous avez raison ! Prenez le temps de vous retrouver tous les

deux et il sera prêt. C’est mon vœu le plus cher. Si mon Jacob était encore

de ce monde, il vous donnerait le même conseil, j’en suis certaine. Il ado-

rait son fils, même s’il ne savait pas le lui montrer. Il était très fier de lui,même s’il le lui cachait.

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Ailsa hocha la tête. Elle se garda d’ajouter que Jake avait terriblement

souffert de cette froideur, pensant à tort que son père ne l’aimait pas. Mais

ce n’était pas à elle d’en informer Tilda : cette conversation, la mère et le

fils devraient l’avoir un jour, en privé.

Curieusement, le conseil de Tilda rejoignait le souhait d’

Ailsa : passer dutemps seule avec Jake. Ils auraient tout le loisir, ensuite, de se retrouver 

tous les trois avec Saskia. Le moment était venu d’avouer à Jake ses senti-

ments, même si cela signifiait le perdre pour toujours. Il n’y aurait plus de

faux-fuyants. Elle affronterait la situation. Pour elle-même, mais aussi po-

ur sa fille. — Je vais suivre votre conseil, Tilda. A condition, bien sûr, que Jake soit

d’accord.

 — Croyez-moi, ma fille, il le sera. Passer quelques jours en tête à tête avec

vous, retrouver la délicieuse intimité qui était la vôtre autrefois, tenter de

construire un avenir heureux : qui serait assez fou pour laisser passer une

telle chance ?

* * *

Jake demeurait étrangement silencieux tandis qu’Alain les reconduisait en

ville. Ils avaient partagé tous les quatre un délicieux repas, puis fait un

 bonhomme de neige dans le jardin avec Saskia. Peu après leur arrivée, les

flocons de neige avaient cessé de tomber, laissant un épais manteau blanc

sur la campagne environnante. Une bataille de boules de neige s’était vite

déclenchée, au milieu des rires et des exclamations.

Ailsa aurait payé cher pour deviner les pensées de celui qui avait été son

mari. Regrettait-il d’avoir accepté la suggestion faite par Tilda de prendre

quelques jours pour eux ? La peur lui vrilla l’estomac.

Jake ne devait en aucune manière se sentir obligé de reprendre une vie

commune avec elle, que ce soit pour plaire à sa mère ou à leur fille. Cela

devrait se faire uniquement parce que lui-même en éprouvait l’envie, etnon parce qu’il se sentait coupable et voulait se racheter.

Mise au supplice par ce silence qui s’étirait, Ailsa, n’y tenant plus, se tour-

na vers Jake.

 — C’était un vrai bonheur de voir Saskia aussi joyeuse et épanouie. Visi-

 blement, elle se plaît beaucoup en la compagnie de sa grand-mère.

 — Oui. Etre ensemble signifie beaucoup pour l’une comme pour l’autre. — Eprouverais-tu des regrets parce que nous rentrons sans elle à la maison

? Quelque chose te tracasse ? — Attendons d’être arrivés pour en parler.

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Le silence s’établit de nouveau entre eux. Ailsa laissa son regard se perdre

tristement sur le paysage qui défilait derrière la vitre. Y avait-il vraiment

un avenir pour leur couple ? Soudain, elle en doutait de nouveau. Le voya-

ge lui parut interminable.

Quand enfin Alain se gara devant le perron de l’

imposante demeure de Ja-ke, elle le laissa venir lui ouvrir la portière.

 — Madame, dit-il, le sourire aux lèvres, je vous souhaite de passer la meil-

leure des soirées. — Merci, Alain. Excellente soirée à vous aussi.

Jake introduisit la clé dans la serrure de la porte d’entrée, ouvrit la porte et

s’effaça pour la laisser entrer. A leur arrivée dans le salon, il l’aida à se dé-

 barrasser de son manteau. Adroitement, Ailsa récupéra la lettre de Saskia

glissée dans sa poche. — Veux-tu boire quelque chose ? Une tisane peut-être ?

 — Une tasse de café, répondit-elle.

 — Alors, j’en prendrai une, moi aussi.

Il se débarrassa de son manteau et se dirigea vers la cuisine. Elle le suivit,

le cœur étreint par une terrible appréhension. Il mit en marche la machine à

expresso et s’assit en face d’elle.

Ailsa se rappela alors que, le matin même, il avait proposé que, dès leur re-

tour, elle s’installe dans sa chambre. Avait-il changé d’idée ? Elle ne po-

uvait se taire plus longtemps. Elle tenait ses doigts crispés sur la lettre de

Saskia. Le moment était venu de la lui montrer. — Jake…

Il fixa ses yeux sur elle.

 — Oui ? — A propos de la liste de cadeaux dressée par Saskia…

 — Je l’ai lue. Elle demande peu de choses. — Oui, mais… il se trouve qu’elle a fait une demande particulière.

 — Je sais.L’espace d’un instant, elle crut lire la colère dans ses yeux et la nausée lui

vint aux lèvres.

 — Mais… comment l’as-tu appris ?

 — Devine ! J’ai passé l’après-midi à jouer avec ma fille, qui n’a pas man-

qué de me poser la question. Elle voulait savoir si nous avions lu sa lettre

avant de quitter l’Angleterre. Avant même que je puisse lui répondre, elle

m’a supplié de répondre positivement à sa demande et de lui faire ce qu’el-

le considérait comme le plus beau cadeau du monde : que son papa et samaman se remettent ensemble.

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 — Seigneur …

Désormais la lettre lui brûlait les doigts. Elle la lui tendit. Il la lut et la re-

 posa sur la table. — C’est une importante demande qu’elle nous fait là, dit-il.

 — 

Oui.Le cœur d’Ailsa battait la chamade, son pouls lui bourdonnait dans les

oreilles, l’émotion lui nouait la gorge. Elle se croyait prête à se confronter 

à toutes les épreuves, mais la seule pensée qu’il puisse juger le vœu de leur 

fille impossible à réaliser la rendait physiquement malade.

 — Pourquoi ne m’as-tu pas transmis cette lettre en même temps que sa li-

ste de cadeaux, ce matin ? — J’aurais dû le faire, je le reconnais. Mais j’ai eu peur que… que tu te

sentes piégé. — Pourquoi ne pas m’avoir laissé juge de cela ?

Un terrible sentiment de culpabilité submergea Ailsa.

 — Je suis désolée. Je sais combien Saskia compte pour toi, mais je ne vou-

lais pas que tu cèdes à sa demande uniquement pour lui faire plaisir. Tu as

le droit d’être heureux, toi aussi. Ne prends pas cette décision pour faire

 plaisir aux autres. Mon objectif est que tu puisses enfin avoir la vie dont tu

rêves. Et si cela signifie pour toi ne pas être enchaîné par les liens du ma-

riage, être libre de former le couple qui te convient, alors sache que je

comprendrai ton choix.

 — Que veux-tu dire ? Que tu me laisserais te quitter de nouveau ? — Je t’ai laissé partir parce que je n’avais plus rien à t’offrir. Il valait

mieux que je m’efface, afin que tu puisses refaire ta vie. Crois-moi, cette

décision a été la plus cruelle que j’aie eu à prendre de toute ma vie. Mais

dois-je te rappeler que jamais plus je ne pourrai te donner le fils dont tu rê-

ves ?

Le silence qui suivit sa déclaration pesa sur les épaules d’Ailsa comme un

linceul de plomb. Son avenir, son bonheur se jouaient dans ces instants po-ignants.

Enfin, Jake reprit la parole.

 — Tu m’as donné la plus adorable des filles, Ailsa. Elle a le soleil dans ses

cheveux et la lumière dans ses yeux. Et tu m’as donné un fils. Thomas n’a

 pas survécu, mais il n’en a pas moins existé et il est dans mon cœur pour 

toujours. Crois-tu vraiment que la seule raison qui me faisait désirer ta

compagnie était que tu me donnes des enfants ? Non. Si je désire passer le

reste de ma vie avec toi, c’est parce que…Soudain, il se leva, vint vers elle et, lui prenant les mains, l’obligea à se le-

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ver à son tour. Il l’entoura alors de ses bras, la serrant contre lui à l’étouf-

fer.

 — Pourquoi désires-tu passer le reste de ta vie avec moi, Jake ? demanda-

t-elle dans un souffle. Dis-le-moi, je t’en supplie…

Les mots qu’

elle attendait depuis si longtemps allaient-ils enfin être pro-noncés ?

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12.

Jake s’écarta légèrement d’Ailsa. L’aveu n’était vraiment pas facile. Peut-

être étaient-ils parvenus au moment crucial de leur échange à cœur ouvert !

Alors que, pendant qu’il parlait, les immenses yeux noisette se tenaient fi-

xés sur lui avec appréhension, il ne pensait plus qu’

à une chose : prendreson ex-femme dans ses bras, la serrer à l’étouffer contre lui. Mais il lui de-

vait davantage et le moment était arrivé de le lui donner.

 — Parce que je t’aime, Ailsa. Je t’aime depuis le premier jour de notre ren-

contre. Je t’ai toujours aimée et t’aimerai toujours, jusqu’à mon dernier 

souffle. Tu as gardé la lettre de Saskia pour toi, me donnant à penser que

son appel te répugnait, que tu ne voulais pas en entendre parler. Voilà po-

urquoi j’étais si triste durant le voyage de retour.

Ailsa porta ses mains à son cœur. — Oh ! Jake… quel bonheur de t’entendre parler ainsi ! Moi non plus, ja-

mais je n’ai cessé de t’aimer. Même lorsque j’ai accepté de divorcer. De-

 puis, tu m’as tellement manqué que j’ai compris que l’amour véritable ne

meurt jamais, quels que soient les drames qui surviennent. Me séparer de

toi a été comme mourir à petit feu. J’avais perdu notre bébé et je te perdais

toi, mon seul amour !

 — Seigneur, quel gâchis ! Après le drame, j’étais fou de douleur. T’enten-

dre pleurer m’est vite devenu insupportable. J’aurais donné ma vie pour te

voir sourire de nouveau. Hélas, je n’avais même pas été capable de te pro-

téger au moment de l’accident. Trop investi dans mon travail, je n’avais

 pas été capable de t’aimer comme tu le méritais. Je devais te rendre ta li-

 berté. Je pensais que cela nous permettrait à tous deux de vivre mieux.

Comme je me trompais ! La vie sans toi a été un enfer.

Il déposa un tendre baiser dans la paume d’une de ses mains.

 — Quand je t’ai revue, j’ai très vite compris que mes sentiments pour toi

étaient toujours aussi vivaces. Peut-être même avaient-ils gagné en intensi-

té. Quand ton voisin s’est présenté chez toi, j’ai vu rouge. J’aurais pu lefrapper pour oser convoiter ce qui m’appartenait. La jalousie me vrillait le

cœur. Mon amour pour toi, mon désir de toi sont plus forts que jamais.

Epouse-moi de nouveau, Ailsa ! Je ne veux pas seulement vivre avec toi.

Je veux que tu redeviennes ma femme ! — Tu… tu es vraiment sûr ?

 — Certain ! Si tu as encore des doutes, dis-le-moi et je trouverai les mots

 pour te rassurer.

Pour toute réponse, elle noua les bras autour de son cou et posa les lèvressur les siennes. Le baiser, aussi chaste qu’il soit, mit de nouveau Jake en

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transe. Ailsa possédait l’étrange pouvoir de le faire vibrer jusqu’au plus

 profond de lui-même. Avec elle, il se sentait vivant. Intensément vivant.

 — Tu m’avais proposé de faire transférer mes affaires dans ta chambre, lui

rappela-t-elle. La proposition est-elle toujours d’actualité ?

 — 

Plus que jamais ! Mais de quoi auras-tu vraiment besoin, ma chérie ?Certainement pas de tes vêtements… tout au moins, pas avant demain ma-

tin !

 — Cela signifie-t-il que nous resterons au lit jusque-là ? — Oui !

 — Dans ce cas…  pourquoi ne pas oublier la tasse de café et y aller tout de

suite ?

Il allait lui manifester son enthousiasme quand elle posa un de ses doigts

sur ses lèvres. — Avant que tu ne dises quoi que ce soit… Tu m’as demandé de t’épouser 

de nouveau. La réponse est oui. Si j’avais encore quelques doutes, ils se

sont envolés. Je veux bien être de nouveau ta femme mais, cette fois, pour 

la vie !

* * *

Les rayons de la pleine lune éclairaient le visage de Jake et la cicatrice qui

en barrait la joue. Pour Ailsa, ce visage était le plus beau du monde et cette

cicatrice le rendait plus captivant encore. Jake était son héros. Il l’avait été

dès la première seconde où ses yeux s’étaient posés sur lui et il le resterait

 pour le restant de ses jours.

Elle releva la mèche de cheveux blonds qui tombait sur ses yeux, ravie que

la position qu’elle occupait au-dessus de lui le lui permette. Elle le che-

vauchait, dans le somptueux lit du maître de maison. Son cœur battait la

chamade. Ainsi, ils avaient progressivement retrouvé cette merveilleuse in-

timité qui avait été la leur. De sa langue, elle humecta ses lèvres enflées

 par des baisers ardents et passionnés. Tout son corps lui faisait mal aprèsles ébats torrides qui les avaient tenus éveillés toute la nuit. Avec sa scien-

ce habituelle, Jake l’avait amenée plusieurs fois au pinacle du plaisir et, à

son tour, elle souhaitait l’amener à la jouissance totale.

 — Tu es une magicienne. — Je l’espère ! Nous avons tant de temps à rattraper …

Elle se pencha et couvrit son torse de baisers, sa langue laissant une trace

humide le long de sa peau tandis que ses hanches bougeaient de plus en

 plus rapidement. Soudain, une décharge électrique la traversa : Jake venaitde s’épancher en elle, dans un ultime soubresaut.

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 — Ailsa, petite sorcière, murmura-t-il dans un soupir, sa bouche tout con-

tre son oreille. Tu vas me faire mourir de plaisir …

 — Je ne fais que te rendre la monnaie de ta pièce…

 — C’est si bon de t’avoir de nouveau près de moi. Tu m’as tellement man-

qué. —  Notre amour a résisté, Jake. C’est un cadeau que nous fait la vie.

Alors que l’aube se levait, ils s’endormirent, comblés, blottis dans les bras

l’un de l’autre.

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13.

 La veille de Noël, dans la maisonde Tilda Larsen.

Saskia aidait sa mère à dresser la table. Plusieurs membres de la famille

Larsen étaient supposés se joindre à eux pour le réveillon de Noël et lamaison étincelait de mille feux. Des bougies avaient été allumées sur le re-

 bord des fenêtres, des vases remplis de fleurs égayaient chaque pièce, une

atmosphère de fête régnait partout dans la maison. Le ciel bienveillant

avait même envoyé un nouveau manteau de neige fraîche et immaculée po-

ur parfaire le tout. C’était tout simplement magique, féerique.

Une délicieuse odeur de dinde rôtie s’échappait de la cuisine et venait flat-

ter les narines d’Ailsa, lui rappelant combien elle avait faim. Durant les

 jours passés en compagnie de Jake, ils n’avaient guère consacré de temps à

faire la cuisine. Malgré ses protestations, Magdalena avait reçu l’ordre de

 prendre quelques jours de repos. Ils prendraient leurs repas dehors, lui

avait assuré Jake.

Il avait tenu parole : ils avaient rendu visite aux meilleures tables de la ca-

 pitale danoise. Mais la plupart du temps, au lieu de s’intéresser au contenu

savoureux de leurs assiettes, ils s’étaient contentés de se regarder dans les

yeux. Le dîner à peine terminé, ils s’empressaient de regagner la maison

 pour faire l’amour.

Jamais Ailsa ne s’était sentie aussi heureuse. Son bonheur était total. Quel-

que chose de merveilleux, d’exceptionnel allait se produire en cette nuit de

 Noël. Chaque fois que son regard croisait celui de Jake, elle ne manquait

 pas de voir les étoiles dans ses yeux. Tous deux avaient une surprise dans

leur manche, mais ne la dévoileraient qu’à minuit. N’est-ce pas à ce mo-

ment-là que le Père Noël est censé apporter les cadeaux ?

 — Maman, dit Saskia, crois-tu que le Père Noël va m’apporter une surpri-

se cette année ?

Ailsa sentit la tension derrière la question. Jake vint se placer derrière safille et mit les mains sur ses épaules. — Une surprise, ma chérie ? répéta-t-il, ses sourcils en arc de cercle. Com-

me un énième poster de ton chanteur préféré ?

Les joues de Saskia s’embrasèrent. — C’est juste ses chansons que j’aime, pas lui !

 — Ton père essaie juste de te taquiner, intervint Ailsa, heureuse de la com-

 plicité des deux êtres qu’elle aimait le plus au monde. Pour ma part, je suis

certaine que le Père Noël te réserve une surprise exceptionnelle.Le visage de Saskia s’illumina.

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 — Je veux me faire belle pour ce soir, affirma-t-elle. Je vais dans ma

chambre. Mamie m’a acheté la plus belle robe rouge du monde et je vais la

 porter. — As-tu besoin de mon aide, mon ange ?

 — 

 Non ! Je suis grande, maintenant, je peux me débrouiller toute seule.Sur ces mots, elle quitta le salon en sautillant joyeusement d’un pied sur 

l’autre.

* * *

Ailsa vérifia qu’il ne manquait plus rien sur la table dressée pour le repas

et, se redressant, jeta un regard vers le miroir afin de vérifier sa tenue. Pour 

ce jour spécial entre tous, elle avait, comme sa fille, choisi la plus belle de

ses robes. Elle l’aimait particulièrement car elle mettait en valeur sa taille

fine et les rondeurs de sa poitrine. Sans qu’elle l’ait entendu arriver, Jake

se présenta derrière elle.

 — Vous êtes la plus belle femme du monde, ma future épouse ! — Vous n’êtes pas mal, non plus, mon futur époux !

 — Ma mère est dans tous ses états depuis que je lui ai appris la nouvelle.

Bien sûr, elle la garde secrète jusqu’à ce que nous l’annoncions à Saskia et

au reste de la famille. Tu l’entends chanter dans la cuisine ? Je crois que

c’est le plus beau jour de sa vie. —  N’est-ce pas le nôtre, aussi ?

 — Si, bien sûr ! Nous aurons sans doute encore des jours difficiles dans

l’avenir, mais nous avons appris à nous parler franchement et nous savons

notre amour indestructible. Il y a une chose dont j’aimerais t’entretenir 

avant l’arrivée des invités. Tu veux bien m’accorder quelques minutes ? — Quelques minutes mais pas plus ! N’oublie pas que je dois encore aider 

Tilda…

 — Ma mère ne souhaite qu’une chose : que nous passions le plus de temps

 possible ensemble après ces quatre années de séparation.Ils prirent place sur le divan. — J’ai commencé à réfléchir à l’endroit où nous pourrions habiter quand

nous serons remariés.

 — Oh…

 — Tu adores ton cottage, je sais. De mon côté, je pense sérieusement à me

réinstaller à Londres. La branche de Copenhague fonctionne désormais à

 plein régime et j’ai des collaborateurs ici tout à fait aptes à faire tourner la

 boutique. Que penserais-tu de me rejoindre dans mon penthouse de West-minster, le temps que nous trouvions une grande maison avec un jardin ?

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Tu ne peux rester dans ton cottage loin de moi ! Impossible, même pour 

une journée ! Et puis, ton Linus pourrait penser que tu es de nouveau dis-

 ponible.

Ailsa éclata de rire. C’était si bon de sentir Jake aussi atrocement jaloux !

 — 

Et ma petite entreprise ? — J’y ai pensé, bien sûr. Notre future maison devra pouvoir accueillir ton

atelier. En attendant, je pourrais louer un espace juste à côté de l’apparte-

ment. Qu’en dis-tu ?

Elle rit de nouveau.

 — Tu penses vraiment à tout. La réponse est oui, oui, oui ! — Tu… tu veux dire que tu n’as aucune réticence envers mes propositions

?

 — Aucune ! Je serais prête à te suivre au bout du monde si tu me le de-

mandais. Certes, j’aime mon travail créatif, mais il n’est nullement ma pri-

orité. Ce qui m’importe vraiment, c’est ma famille. Toi et Saskia. Où que

nous soyons, si nous sommes réunis, je serai la plus heureuse des femmes. — Alors, vraiment, mon amour, je crois que ce Noël sera exceptionnel !

* * *

Le succulent repas touchait à sa fin. Jake se sentait le roi du monde. A sa

droite se tenait la femme de sa vie, et à sa gauche, sa fille adorée, rayon-

nante dans sa magnifique robe rouge. Le moment était venu d’annoncer à

tous la nouvelle. Il se leva. Saskia utilisa alors sa cuillère pour frapper sur 

son verre et demander l’attention générale. Le silence se fit. —  Noël est un jour spécial que nous attendons tous, lança-t-il, mais celui-

ci sera plus spécial encore. Il y a six mois, j’ai perdu mon père ; toutefois,

où qu’il soit, je suis sûr que, s’il m’entend, ce que je vais annoncer le rend-

ra heureux. Ce Noël est en effet exceptionnel car Ailsa vient d’accepter de

m’épouser de nouveau.

Saskia bondit sur ses pieds et se jeta dans les bras de son père. — Oh ! merci, merci, papa ! Maman et toi, vous venez de me faire le plus

 beau des cadeaux de Noël !

Ailsa se leva afin de rejoindre son mari et sa fille dans leur étreinte. Toute

l’assemblée applaudit chaleureusement. Leur surprise était grande, mais

les sourires disaient combien tous étaient heureux de la nouvelle.

Sa future femme et sa fille à ses côtés, Jake put alors porter le toast qu’il

souhaitait.

 — A Ailsa, l’amour de ma vie, qui me rend espoir et raison d’exister. J’es- père que jamais elle ne regrettera d’avoir accepté de m’épouser de nou-

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veau. Chaque jour à venir, je jure de tout mettre en œuvre pour la persua-

der qu’elle a pris la bonne décision.

* * *

Dans le salon du cottage, Ailsa triait les photos qu’

elle emmènerait avec el-le dans l’appartement de Westminster. Elle sourit, émue, en saisissant celle

qui trônait sur le rebord de la cheminée, prise lors de leur remariage, deux

semaines plus tôt. La cérémonie avait été des plus discrète, tout l’opposé

du faste de la première. Cela avait été une journée inoubliable, parmi les

 plus belles de sa vie. Auprès de Tilda, Saskia avait difficilement contenu

son enthousiasme. Après la cérémonie, ils étaient allés dîner dans l’un des

meilleurs restaurants de la ville.

Du bout de ses doigts, elle caressa tendrement le portrait puis l’enveloppa

 précautionneusement avant de le ranger dans sa valise. Elle jeta alors un

regard à sa main gauche, désormais ornée d’une alliance en diamants.

De nouveau, elle était Mme Larsen. Elle avait encore du mal à le croire. Ja-

ke était tout d’abord venu vivre dans le cottage, avec Saskia et elle, avant

de prendre les dispositions nécessaires afin qu’ils puissent tous trois habi-

ter à Londres. Larsen Real Estate leur avait trouvé une magnifique demeu-

re au bord de la Tamise, avec un grand jardin, le rêve de Saskia. La maison

avait besoin de travaux de rénovation ; ils pourraient s’y installer dès le

 printemps venu.

Après un regard à sa montre, elle se dit qu’il était temps de préparer le re-

 pas. Dans sa chambre, Saskia mettait la dernière main à la préparation de

son propre déménagement, et Jake n’allait pas tarder à les rejoindre. Elle

sortait les ingrédients du réfrigérateur quand elle dut s’arrêter et s’asseoir,

soudain prise de nausées. Que lui arrivait-il ? Depuis quelques jours, cet

état persistait. Tout d’abord, elle avait cru à une indigestion passagère

mais… Seigneur ! Elle réalisa subitement qu’elle connaissait ces nausées

 pour les avoir déjà vécues. De plus, ses règles étaient en retard !Elle se releva et se mit à marcher de long en large dans la cuisine, affolée.

Cela ne pouvait pas lui arriver ! C’était tout simplement impossible ! Les

médecins l’avaient consigné dans son dossier.

Sans plus tarder, elle se précipita dans sa chambre. Dans le tiroir de sa

commode se trouvait une enveloppe à l’en-tête de l’hôpital : le rapport mé-

dical qui lui avait été confié à sa sortie. Elle ne l’avait lu qu’une seule fois,

son contenu résumant la terrible réalité de ce que serait désormais sa vie de

femme dans l’incapacité de procréer. Elle parcourut les feuillets à la rec-herche du diagnostic définitif.

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« Il est fortement improbable que Mme Larsen puisse procréer de nouveau

et amener l’enfant à son terme. »

« Fortement improbable » ne signifiait pas impossible !

Cette différence fondamentale lui aurait-elle échappé dans l’état de stress

où elle se trouvait à l’

époque ? Se pouvait-il que la vie, de nouveau, puissese développer en elle ?

Elle se précipita dans la chambre de Saskia.

 —  Nous devons impérativement nous rendre en ville, mon ange. Je dois

acheter quelque chose à la pharmacie.

 — Mais papa va arriver, non ? —  Nous serons de retour avant son arrivée.

* * *

Ailsa se trouvait toujours dans la salle de bains, les yeux fixés sur le test de

grossesse, quand elle entendit Jake arriver. Une boule dans la gorge, elle se

 précipita pour l’accueillir. Elle le trouva dans le hall, un bouquet de roses à

la main.

 — Elles… elles sont magnifiques, Jake ! — Pas autant que toi, ma chérie ! Est-ce mon arrivée qui met ce rose à tes

 joues et ces éclats de bonheur dans tes yeux ?

 — Peut-être…

 — Peux-tu me débarrasser de ce bouquet afin que je puisse t’embrasser ?

Quelques secondes plus tard, elle se retrouvait dans ses bras, serrée contre

lui. — Tu sens bon !

 — Un homme doit s’évertuer à toujours plaire à sa femme. — C’est réussi. Le bouquet de roses est une merveilleuse surprise. Mais el-

le n’est rien par rapport à celle que j’ai en réserve. — Une surprise ? s’exclama-t-il. J’espère qu’elle est bonne !

 — Ce sera à toi de le dire. — Je meurs d’impatience ! — Je…  j’attends un bébé.

Jake resta sans voix comme assommé par la nouvelle.

 — Tu… tu peux répéter ? — Je suis enceinte, Jake. J’attends un bébé. Notre bébé !

 — Mais… mais, comment ?…

Elle sourit.

 — A ton âge, je ne devrais pas avoir besoin de t’expliquer comment on s’y prend, si ?

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Il avait l’air tellement perdu, abasourdi, qu’Ailsa prit pitié de lui.

 — Durant toutes ces années, j’ai cru que jamais plus je ne pourrais être en-

ceinte ; je me trompais. J’ai relu le rapport du médecin. Il est écrit qu’une

nouvelle grossesse est hautement improbable. Pas impossible.

Jake la reprit dans ses bras. La tête contre son torse, Ailsa put alors enten-dre son cœur battre à grands coups désordonnés.

 — Le destin nous fait-il vraiment ce cadeau ? fit-il, d’une voix si émue

qu’elle était à peine audible.

Il s’écarta soudain d’elle, les yeux dans ses yeux.

 — J’ai besoin d’être certain que cela ne mettra pas ta vie en danger, Ailsa,

car je ne supporterai pas de te perdre. — Je ne mettrai pas ma vie en danger, je te le promets. Je vais très vite

consulter un médecin.

Devant son air toujours aussi inquiet, elle demanda :

 — Tu… tu penses peut-être que c’est trop tôt, que nous aurions dû attendre

encore un peu avant de faire un enfant ?

Il la reprit dans ses bras et la serra fort contre lui.

 — Trop tôt ? Jamais de la vie ! Ce qui nous arrive est un miracle. Le mi-

racle de l’amour. Je vais prendre contact avec le meilleur obstétricien qui

soit. Tu seras suivie chaque seconde de ta grossesse. Seigneur, Ailsa…  je

n’arrive pas à y croire ! —  Il nous reste à l’annoncer à notre fille.

 — Tu penses qu’elle va être heureuse de cette nouvelle ? — Tu en doutes ?

Ils se serrèrent l’un contre l’autre, enfin conscients que la vie renaissait po-

ur eux, magnifique, entière, et qu’après la pire des épreuves, il existait

toujours un espoir que l’amour sorte vainqueur.

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8/10/2019 Maggie Cox - Un Cottage Au Bout Du Monde

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Titre original : THE LOST WIFE

Traduction française : MONIQUE DE FONTENAY

© 2011, Maggie Cox. © 2012, Traduction française : Harlequin S.A.

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est une marque déposée par le Groupe HarlequinAzur ® est une marque déposée par Harlequin S.A.

ISBN 978-2-2802-3876-2

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