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L'évolution des comportements au travail Conflit des générations dans l'entreprise ? Bernard Vuillemenot 2004

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L'évolution des comportements au travail

Conflit des générations dans l'entreprise ?

Bernard Vuillemenot

2004

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Table

Page

1. La description du phénomène ............................................................................................ 3

Décrire le phénomène : déjà une difficulté ........................................................................................... 4

2. Les causes du phénomène ...................................................................................................... 5

Approche subjective et objective du phénomène .............................................................................. 5

2.1 Changements dans le processus de maturité,

de passage à la vie d'adulte ................................................................................................................. 5

2.2 Changements d'ordre éducatif ........................................................................................................... 6

2.3 Changements dans la représentation de la vie sociale, des rapports

de l'individu à la société ........................................................................................................................ 9

2.4 Changements dans la représentation du travail .................................................................... 11

2.5 Changements dans la perception et l’approche de l'entreprise ................................... 14

3. Les conséquences sur le management .............................................................. 18

4. Les préconisations ........................................................................................................................... 19

4.1 Changer de perspective ...................................................................................................................... 19

4.2 Faciliter l’acquisition du savoir-être indispensable à la vie dans l’entreprise ... 20

4.3 Soutenir la motivation en les aidant à construire leur identité professionnelle . 21

4.4 Investir dans les explications pour faire passer le changement .................................. 22

Rédigé en 2004

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1. La description du phénomène

Lors de nos actions de formation, les responsables d'encadrement témoignent de leur

désappointement devant l'évolution des mentalités au travail et plus spécifiquement du

comportement de nouvelles catégories de salariés, à commencer par les jeunes. Un écart d'âge

d'une dizaine d'année entre un chef d'équipe et un opérateur suffit aujourd'hui à rendre difficile la

compréhension et par conséquent la coopération.

Les responsables d'encadrement s'étonnent devant les manières d'être et de faire de certains

nouveaux embauchés. Etonnement devant le collaborateur qui prévient sans manifester le moindre

embarras qu’il sera absent le lendemain ; étonnement de ce responsable de maintenance qui frémit

de la désinvolture avec laquelle ses jeunes collaborateurs prennent en charge des réparations

complexes et finalement réalisent le travail attendu.

Les interrogations pour ne pas dire les inquiétudes qui accompagnent la description de ces

comportements donnent à penser que nous sommes en présence d’une rupture entre les

générations. Or, l’observation, même fugace de la réalité, nous montre qu’il s’agit moins d’une

rupture que d’une évolution. Que ces comportements déstabilisants soient facilement repérables

parmi les jeunes recrues, ne doit pas signifier qu’ils sont propres aux nouvelles générations. En

vingt années de formation des responsables d’encadrement, nous avons observé des changements

comparables à l’autre extrémité de la pyramide des âges. De quoi s’agit-il ? Des quinquagénaires

qui dans l'impatience de la retraite, et pour certains de la pré-retraire, se désengagent de leur

travail, deviennent comptables de leurs efforts, se dérobent aux directives de leur encadrement ?

Que l’on sache, peu de responsables le vivent comme un phénomène social digne de toutes les

attentions ! Pourquoi ces comportements observables depuis le début des années 80 n’ont pas été

considérés comme les signes annonciateurs d’un changement des rapports au travail et à

l’entreprise.

Deux explications.

Par leurs manifestations feutrées, ces comportements ont toujours paru rester dans les limites de

l'acceptable, du tolérable. Expression d'une démission intérieure plus que d'un esprit de

rébellion, ces comportements restent empreints de la traditionnelle docilité qui fait la stabilité

des organisations.

Si l'encadrement s'accommode du comportement de certains "anciens" c'est aussi parce qu'il

sait que cette situation est temporaire, qu'elle prendra fin avec le départ définitif du

collaborateur.

Qu'ils émanent de jeunes ou de moins jeunes, bien des comportements sont analogues par leurs

effets sur les résultats. Si les sentiments sont plus exacerbés vis-à-vis des jeunes que des anciens,

c'est parce que l'on prête aux comportements des uns et des autres des inspirations distinctes, et

pour tout dire, on les rapporte à des systèmes de valeurs différents. Quant un jeune ouvrier

annonce à son responsable qu'il sera absent le lendemain, ce qui fait problème c'est l'absence,

certes, mais c'est plus encore l'aplomb avec lequel il en fait l'annonce, autrement dit, ce n'est pas

tant l'absence au travail qui choque, c'est l'absence de scrupule. C'est là que se situe le véritable

changement. Ce qui fait l'étonnement, l'agacement des responsables d'encadrement d'abord, mais

pas seulement, c'est le message délivré par ce comportement. Il contiendrait la remise en cause du

paradigme qui a porté jusqu'ici la société industrielle ; paradigme où le travail sert de creuset au

développement des valeurs humaines et sociales. Le collaborateur qui dissimule sous mille

prétextes qu'il n'a pas pu faire un travail, agace, mais il ne remet pas en cause l'essentiel. Le

collaborateur qui refuse délibérément un travail supplémentaire au motif qu'il a atteint plus

rapidement ses objectifs quotidiens, porte atteinte à l'autorité hiérarchique, à l'esprit d'entreprise, à

la solidarité... Son comportement est étrange et comme tel, il inquiète. Ce qui pour beaucoup fait

l'inquiétude, c'est l'évolution rapide de ces situations incompréhensibles et donc inadmissibles. On

serait passé en l'espace de quelques années d'une collection de cas isolés – en somme, maîtrisables

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– à un phénomène social devenu difficilement contrôlable. L'inquiétude du dirigeant, du cadre en

annonce une autre plus forte encore, celle de citoyen qui s'interroge sur le devenir de la société et

la perte des valeurs repères… Si c'est ainsi que les nouvelles générations appréhendent le travail et

l'entreprise, l'avenir de la société est préoccupant !

Désarmante la jeunesse d’aujourd’hui ! « les jeunes voudraient consommer tout de suite, arriver à

des niveaux de salaire élevés (…). En même temps, ils refuseraient toutes contraintes d’horaire,

de discipline, d’engagement vis-à-vis de la société, tandis que l’argent ne serait plus d’un attrait

suffisant pour leur permettre d’accepter certaines conditions de travail ». Cette citation à la

résonance si actuelle date de 1972 , extraite d’une étude publiée en 1972 par Entreprise &

Personnel.

Décrire le phénomène : déjà une difficulté

Comment ces nouveaux comportements au travail sont-ils rapportés, décrits par ceux qui s'en

plaignent ? De quels reproches sont-ils l'objet ?

A ce stade, une première observation s'impose. Ceux-là même qui soulèvent le problème peinent

généralement à le définir. La description se limite souvent à une suite d'anecdotes ("je vais vous

raconter ce que l'un m'a fait…" quand ce n'est pas : "je vais vous dire ce qui est arrivé à un de mes

collègues").

Apparemment, décrire ce qui fait problème dans certains comportements au travail ne va pas de

soi. La difficulté de l'encadrement à décrire une réalité dérangeante constitue déjà un objet de

réflexion.

Malgré la difficulté des rapporteurs à formuler ce qui fait précisément problème, essayons une

description du phénomène.

Qu'est-ce qui fait problème ? Ou plus exactement, quelles sont les manifestations visibles du

problème ?

Vis-à-vis de l'entreprise :

Moindre attachement à l’entreprise. Manque de loyauté (non-respect de la parole donnée, vols,

dégradations…). Absence d'esprit d'entreprise. Engagement conditionnel : donnant-donnant.

Recherche de la qualité de vie au travail.

Vis-à-vis de la hiérarchie :

Facilité à transgresser les rapports hiérarchiques, à abuser des familiarités, à apostropher son

chef, voire à le menacer (menaces verbales et physiques). Des relations toujours marquées par

le rapport de force. Relations conflictuelles.

Vis-à-vis du travail :

Une approche comptable du travail et des efforts. Un défaut de conscience professionnelle. Un

détachement vis-à-vis des exigences de production, de qualité qui peut conduire jusqu'au refus

explicite de travailler. Moins occupé par le travail que préoccupé par la vie hors travail.

Vis-à-vis des règles d'organisation :

La capacité de certains à s'affranchir, sans le moindre scrupule, des règles les plus élémentaires

de l'organisation du travail : respect des horaires, présentéisme, utilisation du portable,

démission sans avoir prévenu la hiérarchie, par exemple.

Vis-à-vis des autres :

Des comportements infantiles, immatures.

Des comportements tribaux où la solidarité et l’entraide sont conditionnées par l’appartenance à

un clan, un microgroupe.

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2. Les causes du phénomène

Elles tiennent :

- au regard que les managers portent sur le phénomène.

- au phénomène lui-même.

L'approche subjective du phénomène

Une tendance à grossir, à surévaluer le phénomène.

Pour certains, il ne s'agit plus d'une évolution mais d'une révolution des comportements. Les

modèles et les valeurs sur lesquels se fonde le comportement au travail des nouvelles générations

seraient fondamentalement nouveaux, en rupture avec ce que l'on connaissait jusque là. La

conviction est faite. A quoi bon s'appesantir sur la description du phénomène, faire l'effort de

rassembler des faits alors que l'évidence s'impose. D'ailleurs, il suffit de quelques anecdotes dans

une discussion pour convaincre les membres présents qu'ils parlent bien de la même chose et

partagent la même vision.

Ce sentiment de rupture est à la mesure de l'incompréhension du changement. Moins on comprend

ce qui se passe, plus on agrandit le fossé entre l'avant et le présent, plus on dramatise l'écart :

"jamais on aurait vu ça avant !". Le vocabulaire employé pour décrire ces comportements en dit

déjà long sur l'étonnement et l'impression d'étrangeté qui s'en dégage.

L'approche objective du phénomène

Comment expliquer l'évolution des comportements au travail ?

Les réponses à cette question sont à rechercher d'abord dans les changements qui affectent la

société elle-même.

2.1 Changements dans le processus de maturité, de passage à la vie d'adulte

La période de la jeunesse s'allonge

Si l’INSEE situe la catégorie des jeunes entre 16 et 25 ans (estimation valable il y vingt ans) la

réalité des comportements place aujourd’hui la jeunesse entre 12 et 30 ans. Comportements

caractérisés par la conjonction d’une autonomie accrue et d’une relative irresponsabilité sociale.

Raisons de cette évolution : allongement de la durée des études, difficultés objectives et

subjectives à rentrer dans la vie active, présence prolongée auprès des parents.

Entre 20 et 24 ans, 68% des hommes et 50% des femmes sont hébergés par leurs parents contre

51% et 38% en 1982. Entre 30 et 34 ans, 10% des hommes et 4% des femmes vivent encore avec

leurs parents (Gérard Mermet, Francoscopie, Editions Larousse, 2003, p. 172).

Retarder le départ de la maison familiale, c’est une façon de prolonger la période de relative

insouciance, caractéristique de la jeunesse. Les parents assurent une sécurité économique qui

conduit certains jeunes travailleurs à confondre salaire et argent de poche. Une telle assurance

économique rendent évidemment moins risqués l’absentéisme, voire la démission.

Un néologisme désigne précisément la situation de ces jeunes qui se réfugient complaisamment

dans le cocon familial tout en en revendiquant leur maturité et leur indépendance : l'adulescence.

"Les adulescents : fraction de la jeunesse qui se trouve bien dans ce no man's land entre l'état

d'adulte et d'adolescent empruntant des valeurs aux deux générations, sans vergogne". (Robert

Ebguy, La France en culottes courtes, Editions JC Lattès, 2002, p. 93)

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Porté à l'écran par le réalisateur Etienne Chatilliez, ce phénomène était incarné par le personnage

de Tanguy, si crédible dans son rôle d'adulescent que l'on parle aujourd'hui couramment d'"effet

Tanguy" pour désigner cette réalité sociologique.

Le passage à l'âge adulte est plus chaotique

"Habituellement, le passage de la jeunesse à l'âge adulte se signale par le franchissement de

quatre, voire cinq seuils (Hervé Sérieyx, Les jeunes et l’entreprise : des noces ambiguës, Editions

Eyrolles, 2002, p. 29) :

- La fin des études.

- Le service militaire pour les garçons (ajouté par nous-même).

- L'entrée dans la vie active.

- Le départ de chez ses parents.

- La création d'une nouvelle famille". (29)

De tous temps, la progression vers l'état d'adulte se réalisait graduellement, de manière irréversible.

Depuis une trentaine d'années, les rituels de passage perdent de leur pouvoir, quand ils ne

disparaissent pas. L'image de l'escalier par lequel chacun accédait rituellement à la vie d'adulte

s'estompe.

Nous croyons trouver dans la rampe une image plus juste de cette progression. Une rampe qui

autorise plus de mobilité, où aucune marque ne signale le passage d'étapes, où les reculs alternent

sans dommage – apparent – avec les avancées.

"… Ainsi, chez une même personne, à un âge donné, peuvent coexister des caractéristiques relevant

hier de la jeunesse et d'autres de la vie adulte – comme vivre chez ses parents et avoir des enfants

ou poursuivre ses études et avoir un emploi… Le cheminement des jeunes est moins un passage

linéaire de seuil en seuil que "des glissements progressifs de situations floues à des situations

incertaines". (Laurent Toulemon ; INSEE)

"La nouveauté réside dans le fait qu'aujourd'hui, l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte ont des

frontières floues. Il n'y a plus de séparation nette, tranchée par des rituels de passage, clairs pour

tous, d'un état à l'autre. On veut garder le meilleur des trois états pour ne porter le deuil d'aucun".

(Robert Ebguy, op. cit. p. 24)

2.2 Changements d'ordre éducatif

Affaiblissement de l'autorité parentale

Dans certaines familles, les parents ne servent plus de modèles à leurs enfants. La famille n'est

plus pourvoyeuse de sens. Pourquoi ?

Parce que leur image est dépréciée : dépréciée par le chômage du père, les difficultés

financières, les difficultés psychologiques, le manque d'instruction qui prive l'enfant,

l'adolescent du nécessaire dialogue avec ses parents.

Parce que leur image est brouillée. La structure familiale bipolaire, sensée donner à travers les

représentations structurantes de la mère et du père, les repères indispensables à la construction

de l'identité de l'enfant, se désagrège prématurément dans des proportions de plus en plus

grandes. A 18 ans, 20% des enfants ont aujourd'hui des parents séparés. Dans plus de huit

divorces sur dix, la garde des enfants est attribuée à leur mère. Un enfant seulement sur deux

voit son père lorsque la garde est confiée à la mère.

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Tout à la joie de partager des moments de courte durée avec son enfant, le père n'est pas en

condition pour affirmer son rôle d'éducateur. Il est tenté d'écarter tout ce qui pourrait être

source de tension et de conflit. En agissant ainsi, il satisfait peut-être un besoin d'affection, mais

il insatisfait un besoin tout aussi important : pouvoir reconnaître dans son père, un guide, un

référent, un modèle.

"La fonction paternelle a éclaté en trois fonctions : le géniteur, le père affectif, l'éducateur. Ces

fonctions sont de moins en moins souvent remplies par une seule et même personne". (Gérard

Mermet, op. cit. p. 178).

Si les repères parentaux sont brouillés, c'est aussi la conséquence d'un modèle d'éducation qui

s'est diffusé dans les années soixante-dix, dans les classes moyennes d'abord, dans l'ensemble

de la société par la suite. La vulgarisation des recherches en psychologie de l'éducation – source

d'avancées incontestables – a néanmoins introduit une confusion préjudiciable. Dans le refus de

tout ce qui pouvait entraver l'épanouissement, la créativité de l'enfant, la plupart des parents ont

rejeté le modèle autocratique, punitif qu'ils disaient avoir subi. Seulement, ils ont jeté le bébé

avec l'eau du bain. Avec l'autoritarisme, c'est aussi l'autorité sous toutes ses formes qui était

devenue inacceptable. Victime de cette méprise, beaucoup ont cru bienfaisant pour l'enfant de

ne plus lui poser d'exigences, d'interdits. Attitude renforcée par la représentation sociale

dominante du bon parent qui écoute comprend, tolère, négocie… Un parent, somme toute, en

phase avec son époque !

Conséquence ! 38% des 15-34 ans reprochent à leurs parents de ne pas avoir été assez sévères

alors que 26% estiment qu'ils ont été trop sévères.

Rétrécissement du fossé entre les générations

Après l'épisode conflictuel des années 1960-1970, les rapports entre les générations se sont

apaisés. Avant cette période, les rapports étaient scellés par la règle de l'âge, qui impose le respect

des plus âgés et place les plus jeunes dans une relation de subordination. Le rejet, parfois brutal,

de ce modèle social fondé sur la hiérarchisation des générations a fait place à une conception plus

égalitaire des relations.

Comment s'est opéré ce rapprochement ? Dans ce jeu de pouvoir, qui a concédé le plus ? Qui a le

plus fortement contribué au comblement du fossé entre les générations ?

De ce point de vue, il n'est pas hasardeux de dire que les plus jeunes ont pris l'ascendant sur leurs

aînés.

Dans la cellule familiale, les parents ont adouci l'exercice de leur pouvoir disciplinaire pour se

rapprocher de leurs enfants jusqu'à devenir parfois des "parents-copains".

Dans les organisations, l'évolution à l'ancienneté n'est plus supportable. Forts de leur diplôme,

les jeunes revendiquent la possibilité d'occuper très rapidement des postes à responsabilité.

Dans la société, les façons d'être, les manières de faire des jeunes s'imposent aux générations

plus âgées qui finissent par les adopter, ou feignent de les adopter par crainte d'être étiqueté de

ringards, de vieux. Les générations communient dans le "jeunisme".

Qu'est-ce qui a contribué au renversement du pouvoir ? Le savoir ! Le savoir est passé d'une

extrémité à l'autre de la vie. Auparavant, le savoir était "ancien", il procédait essentiellement de

l'expérience, laquelle ne pouvait s'acquérir que par l'accumulation des ans. Le savoir était le

privilège de l'âge. L'âge forçait l'écoute des plus jeunes qui au contact de leurs aînés trouvaient

matière à construire leur personnalité, leur identité tout en apprenant un métier.

Sous l'effet des évolutions technologiques et sociologiques le savoir "expérientiel" est

progressivement disqualifié. Dans le contexte professionnel, que pèsent les attributs de l'âge en

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comparaison des nouveaux savoirs qui se sont démultipliés (progrès de toutes les sciences) au

profit d'un nombre croissant de jeunes (accès facilité à l'instruction) ! Tellement disqualifié le

savoir des anciens, que les organisations professionnelles et les pouvoirs publiques n'ont cessé

depuis vingt-cinq ans de trouver des formules pour anticiper leur départ à la retraite (contrats

emploi-solidarité, P.R.P., CASA…)

La disqualification du savoir professionnel acquis à l'ancienneté n'est que l'expression d'une

dévaluation généralisée de la valeur de l'expérience humaine. Qui, à la veille d'une décision

importante, prend conseil auprès d'une personne plus âgée au prétexte que le temps aurait

développé son pouvoir de discernement ? Au contraire. Les conseils spontanés des anciens sont

plus souvent reçus comme les moins avisés. Une raison parmi d'autres qui expliquent pourquoi

nos contemporains redoutent tant de vieillir...

Aujourd'hui le savoir est "jeune" : il se renouvelle continuellement sous l'effet des progrès, des

modes. Il prend une dimension planétaire. Il est accessible au moyen de technologies inconnues il

y a peu : les NTIC.

Reflet de la réalité sociale, la publicité déploie, pour ne pas dire exploite depuis une dizaine

d'années, le thème de l'enfant qui sait, qui sait tout avant les adultes. Par un singulier renversement

des rôles, c'est l'enfant qui instruit ses parents, très souvent le père. C'est l'enfant, l'adolescent qui

aide à reconnaître le bon produit, à comprendre le fonctionnement d'un appareil. Des scénarios

dans lesquels les adultes apparaissent sous les traits de l'étonnement, de la naïveté, de l'insouciance

; de l'enfance, en quelque sorte !

Jadis, redouté par les enfants, les adultes seraient-ils devenus de grands enfants ?

Des enfants présentés comme de petits adultes en puissance, des adultes traités comme de grands

enfants en impuissance… Même si le propos peut paraître caricatural, il montre que la réduction

du fossé entre les générations est faussée par la dégradation du statut de l'adulte et la

dévalorisation de sa parole.

L'adulte n'intimide plus l'enfant, et encore moins l'adolescent. Les relations entre générations sont

plus ouvertes à l'expression des idées, des opinions, des sentiments. Elles se font plus complices,

plus familières.

Ceux-là même qui se raidissent devant le comportement jugé trop familier de leurs jeunes

collègues ou collaborateurs, oublient trop souvent qu'ils ont contribué comme parents à atténuer, à

briser la rigidité des rôles familiaux, à réduire la distance avec leurs enfants.

Ce qui passe pour de l'insolence, de la désinvolture, de l'irrespect n'est souvent que l'expression

d'une conception décomplexée des relations sociales reposant sur des valeurs dignes d'intérêt

comme la spontanéité, la transparence, l'honnêteté.

Affaiblissement du rôle éducatif de la société

Si les raisons ne manquent pas de se réjouir de l'évolution du modèle parental, nous avons vu

qu'une mauvaise interprétation pouvait conduire à des comportements préjudiciables pour

l'éducation des enfants : parents copains, parents régressifs et finalement parents démissionnaires.

Même réflexion à propos d'une valeur sociétale que la plupart de nos contemporains désignent, à

juste titre, comme la pierre angulaire de la vie sociale : la tolérance. Aussi vertueuse soit la

tolérance, les actions commises en son nom sont quelques fois empreintes d'intentions

critiquables. La vigilance doit être encore plus grande lorsque la tolérance est érigée en principe

intangible. La frontière qui sépare la tolérance de la permissivité, voire de la démission est ténue.

L'appel au respect de l'intégrité et de la liberté individuelle peut facilement servir de mauvais

prétexte à ceux qui ont le pouvoir de dire, d'intervenir et n'en font rien, alors même que des règles

élémentaires de vie sociale ne sont pas respectées.

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"Le manque de sévérité des parents n'est que l'un des aspects d'une dissolution apparente de

l'autorité dans l'ensemble de la société… Sous le prétexte louable de ne pas attenter à la liberté

individuelle, l'école a abandonné une partie de son rôle éducatif… L'évolution en cours a été

renforcée par le silence de ceux qui disaient autrefois "la morale" : l'Eglise, les institutions

politiques".

(Gérard Mermet, Francoscopie, Editions Larousse, 2003, p. 178)

"La permissivité semble constituer une dimension assez englobante des choix de valeurs des

français. Etre tolérant en matière de mœurs conduit également à accorder moins d'importance au

travail, à justifier plus facilement les comportements inciviques, à accorder peu de crédit à des

valeurs traditionnelles comme l'autorité, la fidélité, la fierté nationale. Certains français se

définissent donc par une faible normativité dans l'ensemble des composantes de la vie personnelle

et de la vie en société" (Olivier Galland, Les valeurs des français, Editions Armand Colin, 2000,

p. 204)

L'absentéisme de "complaisance" dans les entreprises, par exemple, s'explique souvent par la

permissivité des institutions qui ont en charge l'éducation des enfants et des adolescents. Pourquoi,

le nouvel embauché serait envahi par les scrupules, alors qu'au collège, au lycée, ses absences

n'étaient jamais désignées comme un manquement, une faute. …Et c'est sans compter sur

l'absentéisme encouragé par les parents pour le seul confort d'un week-end prolongé.

Lorsque l'agent de maîtrise s'étonne qu'on puisse s'absenter avec tant de facilités, le collaborateur

s'étonne à son tour qu'on puisse lui en faire le reproche. Banalisé, l'absentéisme n'est pas un

problème…

2.3 Changements dans la représentation de la vie sociale, des rapports de

l'individu à la société

La vision collective de la vie s'est effacée au profit d'une vision plus individuelle

Analysant la "nouvelle sensibilité américaine", Christopher Lasch décrivait en termes vifs, dès

1979, le passage de la conscience collective à l'intimité du moi.

"Revenus à la fois de la Croissance et de la Révolution, c’est de leur « cher moi » que les plus

« avancés » de nos contemporains paraissent d’abord préoccupés. L’heure n’est plus à la

subversion de la société mais à la submersion dans l’intimité, à la « libération émotionnelle », à

l’épanouissement d’une « nouvelle conscience », sous la conduite de divers « psy » et autres

« professionnels du savoir-vivre ». (Christopher Lasch, Le complexe de Narcisse, Editions Robert

Laffont, 1979)

Fini l'époque où le "je" existait d'abord à travers le "nous" lequel donnait sens à l'action

individuelle ; où le "je" s'effaçait devant le "nous" pour donner plus de force à l'action collective.

La conscience de classe qui mobilisait massivement le monde ouvrier, par exemple, s'est diluée

sans que la cause puisse être attribuée à la diminution de ses effectifs.

L'individu croit de moins en moins que les institutions – partis politiques, syndicats, écoles,

églises… – puissent résoudre ses problèmes, améliorer son sort. Il doute que ceux qui prétendent

le représenter, puissent le comprendre vraiment et soient capables de répondre à ses attentes.

Moi d’abord ! Le salut par soi et pour soi

Tous les observateurs de la vie sociale décrivent depuis une trentaine d'années le développement

de ce qu'ils dénomment égotisme. L'égotisme, qui ne doit pas être confondu avec ses expressions

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les plus asociales comme l'égoïsme, l'individualisme, désigne un comportement de recentrage sur

soi. Egotisme ne signifie donc pas forcément repliement sur soi, négation de l'autre. L'égotiste est

capable de générosité, d'engagement tant qu'il trouve une satisfaction personnelle dans la

réalisation de ce qui lui est demandé. Proposez-lui de nouvelles responsabilités, il vous répondra

spontanément par une question, éventuellement assortie d'un sourire univoque : qu'est-ce que cela

va m'apporter ? (Et là, il ne pense pas forcément à une contrepartie financière). Annoncez un

changement ! Il restera insensible à vos arguments sur la nécessité, voire même l'utilité du

changement. Parlez-lui de l'intérêt du changement, autrement-dit du bénéfice potentiel pour lui et

alors il vous écoute !

L'attitude égotiste consiste à passer toutes les sollicitations, propositions, suggestions venues de

l'extérieur par le filtre de l'intérêt et du plaisir personnel et à étalonner leur valeur en fonction du

bénéfice escompté.

L'observation de certains comportements indique que le Moi est devenu la valeur sûre.

"La valeur la plus sûre dans laquelle les jeunes estiment devoir s'impliquer, c'est eux-mêmes"

confirme Patrick Lemattre, sociologue et professeur à HEC. Il illustre son affirmation par le

témoignage d'un postier, titulaire d'une maîtrise de lettres : "Là, au moins, on est certain d'avoir un

bon retour sur investissement !"

Face à l'incertitude et l'ingratitude de la société, la cause est entendue : le sauve-qui-peut, la

débrouille personnelle deviennent les dernières voies de salut.

"Exit la génération galère". "La seule valeur pérenne, c’est moi. Je sauve d’abord les meubles"

analyse Patrick Lemattre.

Pour bon nombre de jeunes cadres, qui se considèrent comme "Moi, société anonyme", l'entreprise

devient un sous-traitant avec lequel on discute d'égal à égal.

"Vous êtes une marque. Gérez-vous !" Tel est le conseil que Tom Peters, le gourou américain de

l'autopromotion, développe dans "MoiTM, ou 50 propositions pour changer le travail" (TM

signifie marque déposée).

Tout, tout de suite. Une relation impatiente au temps

Quel responsable d'encadrement n'a pas été surpris d'entendre un des ses jeunes collaborateurs

s'impatienter de son évolution de carrière. L'étonnement du responsable et probablement

l'incompréhension de son collaborateur mettent en relief deux conceptions du temps. L'un pense

que la promotion consacre des compétences et un potentiel acquis au prix de nombreuses années

de travail, l'autre que le temps ne fait rien à la valeur personnelle et professionnelle des hommes.

La vision linéaire d'une vie qui se construit progressivement à force d'efforts et d'attentes passe

mal chez les jeunes. L'empressement à évoluer rapidement, pour gagner peut-être davantage, est à

mettre en lien avec une société marchande qui fait de la rapidité sa valeur cardinale. Comment

s'étonner qu'ils incriminent la lenteur des organisations alors que la société démultiplie les

possibilités d'accès instantanées à la consommation de biens et services (distributeurs

automatiques, crédits à la consommation, communication immédiate via Internet ou le téléphone

mobile, etc.). Le temps qui s'impose au salarié est gommé pour le consommateur. Défaut dans un

cas, vertu dans l'autre, l'impatience porte en elle la contradiction dans laquelle sont placées les

jeunes générations.

Le "Tout, tout de suite", c'est aussi une assurance contre un avenir incertain, indicible. Quand leurs

aînés voient un message de sagesse dans la maxime "un tient vaut mieux que deux tu l'auras", les

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jeunes jugent plus prudent d'en inverser les termes : "deux maintenant valent mieux que des

promesses sans lendemain !".

Une autre explication, plus prosaïque, aidera à comprendre l'impatience des jeunes, jeunes cadres

notamment. Les écoles qui gonflent la valeur marchande de leurs diplômes, la presse qui publie

des articles récurrents sur les salaires des cadres, les entreprises elles-mêmes qui embellissent les

perspectives d'évolution pour ne pas risquer de décourager les nouveaux venus, font naître des

espérances largement en retrait de la réalité. Tout concourt à créer finalement un malentendu, une

incompréhension entre les jeunes et la hiérarchie directe, qui le plus souvent n'a pas le pouvoir de

satisfaire leurs souhaits d'évolution.

Conséquence de cette situation : la frustration qui ajoute à la complexité du management ou la

démission qui contraint à de nouvelles dépenses en recrutement et formation.

2.4 Changements dans la représentation du travail

Les différentes conceptions du travail

Gérard Mermet définit 5 conceptions du travail :

Conception religieuse. Le "travail-devoir"

"Tu gagneras ta vie à la sueur de ton front".

Dimension morale et religieuse du travail. Le travail : une fatalité et un devoir.

Selon cette conception, le travail est considéré comme une part essentielle et inéluctable du destin individuel,

mais aussi comme un devoir à l'égard de la collectivité, de la famille et de soi-même.

Ce n'est qu'après avoir effectué son labeur quotidien que l'on peut s'accorder du repos, des loisirs.

Dans ce contexte, l'intérêt que l'on porte à son travail est secondaire.

Elle concerne encore des actifs âgés. On la trouve chez des personnes plus jeunes qui considèrent le travail

comme la valeur fondatrice de l'existence, tant individuelle que collective.

Conception "sécuritaire"

La transformation du rapport au travail s'est amorcée vers le milieu des années 60, avec la mise en cause

explicite du travail-obligation et la revendication d'une liberté individuelle. Désacralisation du travail.

Cette évolution des mentalités a été mise entre parenthèses pendant les années de crise économique. On a vu

alors se développer une conception "sécuritaire" du travail, notamment dans les catégories les plus vulnérables

de la population. La crainte du chômage a renforcé cette conception "sécuritaire" du travail.

Conception "utilitaire"

Elle est surtout présente dans les années 80, lié au développement de la société de consommation. Le travail est

essentiellement un moyen de gagner sa vie. Les motivations sont ici beaucoup plus pratiques que spirituelles.

L'argent fournit la possibilité de consommer et d'exister socialement.

Vision largement partagée au cours des années 80.

Conception "libertaire"

Elle avait déjà fait son apparition à la fin des années 60 et elle resurgit à la fin des années 90. L'ambition est de

trouver dans l'activité professionnelle un moyen de gagner sa vie mais aussi de se réaliser. La nature des tâches

effectuées joue un rôle croissant. Le cadre de travail, les relations avec les collègues ou la hiérarchie sont des

éléments de plus en plus sensibles.

Recherche d'un épanouissement personnel par la participation à un projet collectif motivant.

Volonté de trouver un intérêt dans le travail, mais de ne pas lui consacrer tout son temps et toute son énergie.

Conception "travail-aventure"

Elle se développe avec la nouvelle économie. Elle est basée sur une mentalité de pionnier.

Extrait : Gérard MERMET, Francoscopie 2001" Editions Larousse, 2000 pp. 268-270

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Le travail : une valeur en baisse ?

Le travail acquiert une valeur morale en 1620. Bacon dans Novum Organum écrit : "quand naquit

le travail et la cité ensemble, l’animal humain fut homme". C’est au siècle des lumières (XVIIIe)

que l’idée selon laquelle le travail est un devoir apparaît. Dans Candide de Voltaire, on peut noter

que le travail devient une valeur morale : "le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui,

le vice et le besoin". Aucune société ne s’est fondée comme la société occidentale depuis le 19e

siècle sur le travail en tant que valeur centrale.

Propos de bistrot, commentaires éclairés de spécialistes en sociologie du travail, témoignages de

gestionnaires des ressources humaines, partout on entend que l'intérêt porté au travail se perd, que

la conscience professionnelle se raréfie, que le travail n'est plus suffisamment valorisé, qu'il serait

même une valeur en perdition. Le récent débat sur la réduction du temps de travail a encore

exacerbé cette impression que les loisirs devançaient dangereusement le travail dans la hiérarchie

des valeurs des français. C'est oublier un peu vite que la société des loisirs n'est pas une idée

nouvelle. Elle a été conceptualisée en France dès les années soixante par Joffre Dumazedier

(1962) ou encore Jean Fourastier (1965), pour ne citer qu'eux. Ces auteurs ont ouvert la voie d'une

réflexion socio-économique qui annonçait l'importance croissante des loisirs dans le mode de vie

et dans l'imaginaire des populations des sociétés post-industrielles. Un temps pour les loisirs qui

devait être progressivement libéré par l'augmentation continue de la productivité des facteurs de

production.

Hervé Sérieyx fait partie de ceux qui parlent de la valeur travail à l'imparfait : "La société

industrielle avait placé le travail au cœur de la société : c'était la valeur centrale de référence".

(Op. cit. p. 57).

Selon lui, la première explication de ce décentrage est à rechercher dans "l'évolution du rapport

entre le temps de travail et le temps "libre" à l'échelle d'une vie. Le temps de travail rapporté au

temps de vie s'est considérablement réduit : allongement de la scolarité, réduction du temps annuel

de travail, abaissement de l'âge du départ en retraite, allongement de la durée de vie". Il fait les

comptes. D'après lui, au début du XXe siècle, 70% de "la vie consciente", en France, étaient en

moyenne consacrée au "travail-gagne-pain". Il estime que ce pourcentage se situe dans une

fourchette de 9 à 15, un siècle plus tard.

Serieyx ose cette remarque en forme de fausse interrogation : "l'âge adulte, réduit à 25 ou 30 ans,

ne deviendrait-il pas une simple transition alimentaire… (Op. cit. p.31)

Travail et identité personnelle. Important par le temps qui lui était dévolu et la morale qui lui

était attachée, le travail est devenu dans les sociétés industrielles une source identitaire profonde.

C'est par l'entreprise qui l'emploie, la fonction qu'il occupe, les responsabilités qu'il assume que

l'homme se définit, qu'il existe à ses yeux et aux yeux des autres. A contrario, perdre son travail

est vécu comme une perte dramatique d'identité : "je ne suis plus rien !". Sentiment comparable

chez l'ouvrier professionnel qui observe avec fatalité l'appauvrissement de son travail,

l'obsolescence de son savoir sous l'effet des évolutions technologiques ou organisationnelles.

Fait nouveau, et lourd de conséquence, le travail ne suffit plus à fabriquer de l'identité, à dire

qui l'on est. Le travail n'est plus le point de passage exclusif dans la construction et l'affirmation de

soi. Il est toujours aussi difficile de vivre sans travailler, mais il est devenu plus facile d'"exister"

sans travail. La vie familiale, les activités sportives, de loisirs, les activités culturelles offrent

aujourd'hui des possibilités d'épanouissement, d'expression et de la réalisation de soi que la vie

professionnelle est incapable de fournir. Ce que le travail n’apporte pas, on le cherche ailleurs,

tout simplement.

La prise de distance vis-à-vis du travail comme valeur de référence, fondement identitaire, a

précipité la "démoralisation" d'une notion qui lui a été très longtemps associée : la notion de

sacrifice.

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Parler du travail comme valeur absolue, c’est supposer qu’on doive sacrifier au travail pour lui-

même et peut-être se sacrifier pour lui. Aujourd’hui, on ne veut plus se donner corps et âme au

travail. La génération montante est complètement imperméable à la notion de "sacrifice".

"N'espérez pas qu'ils sacralisent le travail comme vous l'avez fait. Ne croyez pas qu'ils deviendront

des croisés de vos marques, des obsédés de vos logos, des relais de vos slogans, des zélateurs de

vos projets. N'imaginez pas qu'ils rêvent de faire carrière chez vous ni même qu'ils pensent au

boulot en dehors des heures de service", conclut, avec réalisme, Hervé Sérieyx.

Enfin, il faudrait encore étudier le rôle de ce puissant média qu'est la télévision dans la

transformation de l'image du travail. Ces dernières années ont vu l'apparition d'un genre nouveau

– la mal nommée, "téléréalité" – qui laisse croire à une frange de jeunes incrédules que l'on peut

gagner beaucoup d'argent et une position sociale en prime sans autres efforts que d'exhiber sa

jeunesse et sa beauté. C'est dans le rôle de la télévision de distraire, de faire rêver. Tant que cette

mission est confiée à des acteurs professionnels, le téléspectateur est maintenu à distance suffisante

pour ne pas fantasmer sur la possibilité de devenir riche et célèbre du jour au lendemain. Il regarde,

c'est tout. Mais quand cette mission est confiée à des gens ordinaires qui ne se différencient pas de

ceux qui les regardent, ces derniers ont toutes les raisons de penser : pourquoi pas moi ! Un jour !

Les valeurs relatives au travail existent toujours

Ce qui précède pourrait laisser croire que le travail n'étant plus considéré comme une valeur

supérieure, la conduite des organisations et des hommes va devenir de plus en plus difficile, sinon

impossible. Quel sens donner au management si le travail n'appartient plus à l'ordre de l'idéal, si le

travail n'est plus le centre géométrique de l'intégration sociale, de la construction des identités ?

Quel contenu donner au management motivationnel si le travail perd son pouvoir symbolique

jusqu'à n'apparaître que comme une contrainte acceptable pour autant qu'elle donne accès à la

consommation ?

"… S'il y avait crise, ce serait plutôt crise de certaines formes du travail (travail parcellisé, sous-

qualifié), crise de ses modalités de reconnaissance dans l'emploi (statut précaire, non-emploi),

crise de certaines de ses représentations (travail aliénant, envahissant) et de ses conséquences (sur

les rythmes et modes de vie)." (Chantal Nicole-Drancourt, Les jeunes et le travail 1950-2000,

Editions PUF, p.250).

"On cherche dans le travail l’épanouissement personnel beaucoup plus que les avantages

matériels qu’il procure. Dans le milieu du travail, on ne rejette pas l’autorité, mais on accepte

plus difficilement de lui obéir aveuglément. Cela ne traduit aucune disparition des valeurs, mais

au contraire, une exigence de respect à l’endroit de l’individu, même dans les situations où le

supérieur hiérarchique peut se prévaloir d’une autorité morale et technique… Le respect d’autrui

représente une et peut-être la valeur morale fondamentale, ce qui n’implique pas qu’on accepte

n’importe quel comportement". (Raymond Boudon, Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?,

site Internet personnel, 2001).

Répéter à tout propos que les vertus du travail se perdent, que les jeunes générations se distinguent

par leur indiscipline, leur manque de rigueur ; qu'elles donnent la primauté au confort personnel

sur le progrès collectif a au moins un avantage : soulager la conscience des dirigeants et des

managers qui externalisent ainsi la source de leurs difficultés. Les trois institutions ordinairement

désignées comme responsables sont la famille, l'école, l'Etat.

Ce qui fait la déconvenue des managers, peut faire aussi leur espérance pour autant qu'ils

s'enfoncent dans la compréhension des valeurs qui animent fondamentalement les jeunes. Que le

travail soit une valeur en baisse, soit ! Après tout, son origine étymologique n'annonçait rien de

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bon. Et puis, ceux qui l'ont hissé et maintenu au sommet de l'idéal humain, l'ont souvent fait pour

défendre les intérêts et le pouvoir de leur groupe d'appartenance.

Reste que le travail peut servir opportunément de cadre à l'expression de valeurs que les jeunes

tiennent pour importantes : développer ses capacités personnelles, être utile pour la société, avoir

des responsabilités et pouvoir prendre des initiatives, rencontrer des gens.

Recherche d’un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle

L'insistance des nouvelles générations, et singulièrement des jeunes cadres, à vouloir donner plus

de temps à leur vie personnelle est souvent perçu par les plus âgés comme un moindre

investissement dans le travail. En fait, ce serait une erreur de chercher dans ce comportement une

manifestation du désintérêt pour le travail. Il s'agit plus positivement de rechercher un équilibre

entre deux vies que l'on souhaite nettement distinguer pour les installer dans une complémentarité.

Nous avions déjà écrit plus haut, que le travail ne pouvait plus être accolé à la notion de sacrifice.

Une fraction majoritaire de jeunes ne veut plus sacrifier sa vie personnelle, même pour une

promesse de revenus, de pouvoir ou de prestige plus élevés. Dans le même ordre d'idée, il est

probable que l'image de l'entreprise-famille qui a étayé la vision sociale de nombreux dirigeants

bien au-delà de l'époque du paternalisme triomphant, soit devenue une étrangeté.

Le refus d'accorder la primauté au travail est illustré par l'étude sur les "valeurs des français ;

évolutions de 1980 à 2000" menée sous la direction de Pierre Bréchon :

"Les réponses sont claires. Il y a un effet de génération : le clivage se fait aux environs de 50 ans,

les anciens étant en majorité pour le principe de la primauté du travail, tandis que les autres,

n'acceptent pas, dans leur majorité, cette primauté" (p. 86). Les résultats sont plus surprenant

lorsqu'ils sont rapportés à la situation professionnelle des personnes interrogées : "seuls les

ouvriers spécialisés et manœuvres se prononcent en majorité pour la primauté du travail ; les

ouvriers qualifiés et agents de maîtrise sont partagés, les autres catégories professionnelles,

surtout les cadres moyens, se prononcent nettement pour la protection du temps libre" (p. 86).

Pour l'auteur il existe une corrélation nette entre le niveau d'instruction et la place dévolue au

travail. Plus le niveau est élevé moins le travail domine.

2.5 Changements dans la perception et l’approche de l'entreprise

Une relation désaffectivée ; un rapport comptable à l’entreprise

"La désaffection générale des français à l'égard des institutions a donc touché les entreprises. La

relation que les salariés entretiennent avec elle a changé de nature ; elle est devenue plus

contractuelle qu'affective". (Gérard Mermet, Francoscopie, Editions Larousse, 2001, p. 296)

L'entreprise impersonnelle, multinationale, mobile géographiquement, flexible dans son

organisation, a fait tomber tous les repères qui servaient jadis à fabriquer de l'assurance et de

l'identité. Désaffection pour une entreprise que l'on a construite, défendue de génération en

génération et qui a manqué à son devoir, qui n'a pas su reconnaître les siens. Le traumatisme

occasionné par la fermeture d'entreprises qui n'ont pas seulement fait la richesse de leurs

actionnaires, mais celle d'une région, du pays (rôle des charbonnages dans la reconstruction

d'après-guerre), qui ont fait la fierté de leurs personnels, se paie aujourd'hui d'une méfiance

généralisée. On passe d'une relation "chaude" à une relation "froide", contractuelle, méfiante,

comptable.

La méfiance est devenue le maître-mot de la relation des salariés à leur entreprise.

Une crise de confiance qui peut trouver son origine dans trois faits.

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L'éloignement des pouvoirs de décision. Pour qui travaille dans un établissement d'une

entreprise filiale d'un groupe multinational, le pouvoir est lointain, impersonnel, abstrait et par

conséquent imprévisible. Elle appartient désormais à l'histoire industrielle, l'image du

patron/propriétaire, attaché autant à son entreprise qu'à sa région, accessible physiquement et

intellectuellement (référence au discours aussi incompréhensible que prudent de certains

managers sans grand pouvoir).

La disparition des repères économiques intelligibles pour tous. A la fin des années soixante-

dix, un premier ministre, économiste de formation, rappelait à l'envi, pour légitimer le profit,

peut-être, rassurer ses concitoyens, sûrement, l'équation suivante : "les profits d'aujourd'hui font

les investissements de demain qui font les emplois d'après-demain !" De fait, si bon nombre

salariés ne voyaient pas de relation causale entre profits et investissements, la plupart trouvaient

de quoi se rassurer en voyant des constructions nouvelles : se rassurer sur l'avenir de leur

propre emploi et sur celui des générations suivantes. Que reste-t-il de crédit à cette équation

pour celui qui entend dans le même temps des profits augmenter et des établissements fermer,

qui a vu des entreprises investir pour disparaître aussitôt ?

L'extension du chômage aux cadres. Au début des années quatre-vingt-dix, les plans de

licenciement n'épargnent plus les cadres. Jusqu'ici, un accord tacite était passé entre les cadres

et leurs dirigeants : en contrepartie de leur adhésion sans faille à la politique de l'entreprise et

leur disponibilité, l'emploi leur était garanti. C'est donc bien un contrat de confiance qui est

rompu. Désormais, les cadres vont réagir à l'égal des autres catégories de personnel (voir leur

adhésion à la R.T.T.)

Le désenchantement poussé jusqu'à la méfiance aide à comprendre l'incrédulité des personnels

devant des discours stratégiques, qui finalement n'ont qu'une portée réduite.

Cette perception de l'entreprise fournit des explications sur les résistances aux changements. Vécu

par les anciens comme une fatalité, une contribution non-discutable à la modernité, le changement

fait l'objet d'une analyse plus lucide, plus critique de la part de jeunes mieux instruits. Ces derniers

se méfient davantage des valeurs de modernité, de progrès prétendument portées par des

changements qui pourraient se retourner contre leurs aspirations, leurs intérêts.

Enfin, il faut sans doute voir dans cette crise de confiance une des explications aux aspirations

professionnelles des trois quarts des 20-24 qui "aimeraient travailler dans la fonction publique".

(Résultat d'un sondage effectué par Ipsos pour La Gazette des communes et Le Monde, du 7 au 22

mai 2004).

Sans doute, beaucoup de jeunes ne veulent plus travailler comme la génération précédente : ils ont

vu trop de leurs parents engagés corps et âme dans leur travail et dégagés corps et bien à la

moindre baisse de rentabilité. Ils ont acquis envers l’entreprise, si ce n’est de la méfiance, du

moins une certaine distance. Et leur engagement ne saurait plus être que contractuel.

"Les fils et filles de baby-boomers ont vu leurs parents s'impliquer à 100% dans leur métier et se

faire licencier". "C'est une tendance de fond, souligne Patrick Lemattre, professeur en relations

sociales à HEC. Beaucoup de 25-35 ans ne veulent pas vivre l'entreprise comme une seconde

famille."

Hervé Sérieyx relative l'attrait de l'entreprise par rapport au projet personnel du jeune salarié,

montrant ainsi que l'intérêt pour le poste dépend étroitement des possibilités d'expression de sa

propre personnalité.

"Moindre intérêt pour la réputation et la marque d'une entreprise… Ce qui attire un nombre

croissant de jeunes, c'est le champ de liberté qu'offre une entreprise". (Hervé Sérieyx, op. cit. p.70)

"Pour les jeunes, s'intégrer dans une entreprise, c'est pouvoir, sinon s'approprier ses objectifs, au

moins faire sien le travail qu'on y accomplit et s'y reconnaître : ils expriment cette attente dans leur

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revendication d'autonomie et de liberté de s'organiser dans le cadre des objectifs de l'entreprise".

(Hervé Sérieyx, op. cit. p.71)

Selon le barème socioculturel de Sociovision Cofremca (décembre 2001), 79% des 24-28 ans

déclarent vouloir choisir leur employeur et non l’inverse.

Le même sondage montre que 80% des salariés de moins de 30 ans se déclarent libres de ne pas

respecter les règles de vie de l’entreprise.

Il est probable que les plus de 30 ans verraient dans les résultats de ce sondage la confirmation

inquiétante de ce qu'ils disent observer quotidiennement : l'indiscipline des jeunes. Mais, attention !

Ne nous méprenons pas sur l'objet de la contestation. Celle-ci ne porte pas sur le principe : les

jeunes sont plus souvent demandeurs de règles qu'on ne le pense généralement. Seulement, pour

eux, les règles ne méritent d'être respectées que si on en comprend le sens et qui plus est, si

elles ne viennent pas contredire d'autres exigences plus logiques à leurs yeux. Ce jeune ouvrier,

prénommé Salah, auquel l'entreprise fixe un objectif de cinquante montages par jour et qui par son

habileté s'acquitte de ce travail 90 minutes avant l'heure de sortie ne comprend pas qu'on lui

reproche de s'attarder devant la machine à café. Pourtant, lors de son intégration, la hiérarchie lui

avait tenu un discours sur le management par objectifs, l'importance donnée aux résultats,

l'autonomie dont il jouirait en dehors des procédures imposées. Un discours compréhensible, perçu

comme logique, parlant à "l'intelligence"… D'où sa rébellion vis-à-vis d'exigences qui lui

paraissent plus devoir aux caprices d'un chef aux méthodes dépassées qu'à une façon "moderne" de

travailler et de reconnaître le sens des responsabilités individuelles. "On se dirait à l'école ! On me

dit : faudra que tu gères ta journée, et je me fais reprendre sur des pauses…"

Autre explication au désenchantement des jeunes : la surqualification. Poussés par la difficulté à

trouver un emploi en rapport avec leurs études, beaucoup finissent par accepter des emplois de

qualification inférieure. Une situation souvent mal vécue, frustrante qui ne contribue pas à renforcer

l'implication dans le travail. Les parents qui ont contribué par le financement d'études longues à

porter l'espoir d'une réussite matérielle et sociale, ne sont pas les derniers à entretenir le

ressentiment de leurs enfants vis-à-vis des décideurs politiques et économiques.

Pour d'autres la frustration vient avec le temps lorsqu'ils découvrent que le poste ne tient pas ses

promesses, qu'il ne permet pas l'expression du potentiel estimé, qu'il oblige à des rituels

managériaux vécus comme autant d'obstacles à l'autonomie, qu'il n'ouvre pas de perspective rapide

d'évolution.

Une préférence pour l’union libre

Pendant longtemps, la stabilité fut la règle. Pour la rendre plus convaincante ont l'a rendue morale.

La maxime "pierre qui roule, n'amasse pas mousse" suffit à comprendre l'assimilation qui était

faite entre stabilité et vertu, mobilité et erreur. Il faut dire que l'industrie, forte consommatrice de

main-d'œuvre, a cultivé cette norme devenue valeur jusqu'à créer un mode de management – le

paternalisme – dont la fonction première était de fixer la main-d'œuvre. A dessein, elle a imaginé

la "prime à l'ancienneté", qui indexe l'évolution des salaires et des responsabilités sur la longévité

de la carrière dans l'entreprise. Situation qui, au passage, avait l'avantage de clarifier la question

des générations.

Effectuer toute sa carrière dans la même entreprise était donc la norme. L'honnête salarié se devait

de rester fidèle à une entreprise qui lui assurait en retour un emploi à vie. Un contrat de stabilité

qui pouvait s'apparenter à un contrat de mariage. Souvent, l'engagement se prolongeait de

générations en génération, les enfants des salariés méritant ayant les faveurs des recruteurs. Ce

mode de recrutement permettait de mieux réguler la conduite des individus : la promesse

d'embauche des enfants obligeait les parents à adopter une conduite exemplaire et si d'aventure, le

nouvel embauché se montrait contrariant, la hiérarchie pouvait toujours faire pression sur les

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parents. La continuité des générations permettait d'assurer la reproduction du système de valeurs

voulu par les entrepreneurs.

Aujourd'hui le credo n'est plus à la stabilité, mais à la mobilité. Longtemps suspecte, la

mobilité est érigée depuis deux décennies en valeur. Qui a valorisé à ce point la mobilité ? Pas les

salariés pour qui la stabilité continue d'être un idéal, surtout dans une période marquée par

l'insécurité de l'emploi. Ce sont les entreprises et les pouvoirs publics qui ont encouragé la

mobilité, présentée justement comme une réponse à la crise. Désormais, les jeunes devaient se

préparer à une mobilité géographique et professionnelle. Leur vie professionnelle serait placée

sous le signe du changement : changement de région, d'entreprise, de poste et même de métier.

Comment s'étonner alors que les jeunes s'en tiennent à une relation distante, contractuelle avec

l'entreprise qui les emploie sachant que leur collaboration sera temporaire, provisoire ?

Le changement, la mobilité ont été martelés avec tant d'insistance que les jeunes, à commencer par

les plus diplômés, les ont intégrés dans leur système de valeurs.

"Les jeunes ne comprennent pas le sens du mot carrière" prévient Pierre Gauthier. Psychologue

industriel dans la province du Québec au Canada. P. Gauthier montre que le phénomène décrit ici

est également observable outre-Atlantique allant jusqu'à parler de "choc des générations dans le

monde du travail". Au point de départ de sa réflexion : "les baby-boomers et la génération X

travaillent ensemble mais ils ne partagent pas les mêmes valeurs".

Pour Gérard Mermet, "Le "mariage" avec l'entreprise est remplacé par l'union libre" (Op. cit.

édition 2003, p.294). Faire carrière n'est plus un idéal. D'ailleurs, cela demande tellement de

temps et d'abnégation que l'on n'en voit pas l'intérêt. On ne veut pas dépendre de managers

imprévisibles pour voir évoluer sa vie professionnelle ; on veut la gérer soi même. Conséquence :

on multiplie les expériences professionnelles dans le projet de s'enrichir personnellement et

professionnellement. Certains trouveront là le moyen de griller les étapes imposées par la conduite

d'une carrière.

Dans cette façon égotiste, opportuniste, de construire son parcours professionnel (de construire son

C.V.) le mot loyauté n'a plus sens. Vincent, agent de maîtrise qui a accédé par le biais de son

entreprise à une formation qualifiante et la quitte, certificat en poche, ne comprend pas que son

ancien employeur qualifie cette attitude de déloyale. Pierre Gauthier dirait que "c’est une

expression valable en temps de guerre". "Aujourd’hui, on parle d’engagement plutôt que de

loyauté".

Parmi les termes envoyés à la retraite par les jeunes, il faudrait encore ajouter la fidélité. Les jeunes

sont de plus convaincus de l'intérêt pour eux-mêmes de ne pas "faire leur vie" dans la même

entreprise, de multiplier les expériences. A la cote des valeurs, l'infidélité grimpe. De ce point de

vue, ont pourrait dire que la société de consommation avait déjà préparé le terrain. Il y a déjà

quelques décennies que l'exaltation de la concurrence encourage les consommateurs à devenir

volage, à changer de fournisseurs au gré des opportunités. Quand les anciens choisissaient de "faire

travailler" un fournisseur (toujours le mot "travailler"…), les nouvelles générations réagissent

uniquement en consommateur essentiellement occupé à satisfaire le meilleur rapport coût / plaisir.

Sollicité par la démultiplication de l'offre, quelle soit marchande, politique (accroissement du

nombre de partis et de mouvement), professionnelle (dans certains secteurs et métiers) ou encore de

loisirs, l'homme moderne est tenté par l'infidélité. Le zapping devient un mode de vie.

A 28 ans, de sauts de puce en coups de tête, Cédric a déjà changé trois fois de société. "L'avenir ?

Je le vois à un an au maximum. C'est fini les gens qui font carrière dans la même boîte. Si je ne me

sens pas bien là où je suis, je me barre." Sans appel, mais sans psychodrame non plus. "Les jeunes

manifestent leur rébellion à retardement : ils font le choix de partir et l'annoncent au dernier

moment", affirme Didier Pitelet, directeur général du cabinet Guillaume Tell.

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"Les jeunes recrues ont vite appris le double langage. Aujourd'hui, les cadres de moins de 30 ans

ont des allures de caméléon, qui s'adaptent prudemment aux contraintes de l'entreprise. Encore

empreints de la conscience de crise des années 1990, ils font le dos rond. Mais, en cas de clash, ou

si la reconnaissance de leur travail tarde trop. Ils ne se donnent pas plus d'un an pour aller voir

ailleurs si l'herbe est plus verte", explique Nathalie Esnault, consultante en management à la Cegos.

Le plus troublant est que "ces nouveaux cadres n'envoient pas de signaux. Sans schéma de carrière

bien défini, ils sont prêts à interrompre leur activité à tout moment", et donc à démissionner du jour

au lendemain, affirme Pierre Aussure, directeur général du cabinet de recrutement TMPExecutive

Search. C'est l'arroseur arrosé. Ce n'est plus l'entreprise qui jette les salariés, ce sont les jeunes qui

jettent l'entreprise. "Le jeune cadre vit dans un zapping permanent", analyse le sociologue Patrick

Lemattre. "Volatile, il surfe au gré des ambiances de boulot, toujours prêt à tisser discrètement des

parachutes pour atterrir dans une boîte où les relations avec la hiérarchie lui seront plus

favorables. Question de sensibilité !".

Le système de reproduction des valeurs ne fonctionne plus dans l'entreprise

Pour des raisons liées au déclin de la culture ouvrière, à l'hétérogénéité des origines sociales,

géographiques, culturelles des personnels d'une même organisation, à la diversité des statuts (CDI,

CDD, intérimaires, contrats en alternance…) à la perte d'audience des organisations syndicales, les

voies traditionnelles d'intégration et de régulation sociale fonctionnent de plus en plus mal. A

l'image de la société, l'entreprise s'atomise, l'unité fait place à la pluralité. Jadis, le nouvel embauché

était pris en charge par ses pairs qui lui enseignaient les usages, les rituels, les normes, les valeurs,

en un mot la culture dominante. Même si cette transmission culturelle n'était pas toujours vue avec

bienveillance par les dirigeants, elle avait l'avantage d'intégrer l'individu au collectif, de créer un

lien d'appartenance, sinon à l'entreprise, au moins au corps social des employés. Intégrateur, le

groupe d'appartenance fonctionnait comme régulateur pour le cas où les conduites individuelles

s'écarteraient de la règle commune. Une régulation d'autant plus légitime qu'elle mettait dans

l'embarras l'amour-propre et l'orgueil du groupe, que le comportement de l'un portait préjudice à

l'image de l'ensemble. (L'ancien découvrant qu'un plus jeune volait du matériel l'aurait sermonné

sur le thème : "l'ouvrier est honnête !").

Dans des organisations atomisées, comme elles le sont aujourd'hui, qui, en dehors de la hiérarchie, a

la légitimité pour "dire le bien et le mal" ?

3. Les conséquences sur le management

Le fait n'est pas nouveau, l'incompréhension débouche souvent sur l'inaction ou la maladresse.

Surpris, décontenancés, insécurisés par ces nouvelles façons d'être et manières de faire, perçues

comme "non-conformistes", inadaptées aux exigences du travail, les responsables d'encadrement

hésitent généralement entre deux types de comportement. Selon, ils adoptent un comportement de

fuite par crainte des réactions, ou un comportement agressif par volonté de soumission. Crispés sur

leur système de normes et de valeurs, nombre de managers ne parviennent pas à admettre que

l'obligation d'atteindre les objectifs et de maintenir une collectivité de travail n'implique pas nécessairement

une normalisation, une rationalisation des attitudes et des comportements.

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4. Les préconisations

4.1 Changer de perspectives

"Tu ne vois pas le monde tel qu'il est mais tel que tu es !" dit le Talmud. Rapporté au phénomène qui

nous occupe, il est essentiel que les managers changent de perspective, chaussent de nouvelles

lunettes pour le regarder autrement.

Premier travail, selon nous : réfléchir à l'effet parasitaire des projections personnelles sur la

manière d'appréhender l'évolution des comportements au travail, si tant est que l'on puisse faire la

part entre l'objectivité et la subjectivité dans la perception d'un phénomène social comme celui-là.

Autrement-dit, dans l'énoncé des situations rapportées ou vécues comme problématiques il

importe de distinguer les informations factuelles (faits mesurés, observés) des informations

inférentielles (suppositions, déductions, interprétations, jugements). Cette exigence réduira les

effets de loupe qui concourent à l'exagération, la dramatisation du phénomène qui ont

finalement pour conséquence de décourager l'action.

Deuxième travail : faire un examen de conscience. Il est amusant d'écouter des manager en

formation, expliquer leur dépit vis-à-vis de jeunes collaborateurs peu scrupuleux du respect des

horaires alors qu'eux-mêmes sont arrivés en retard, et sans mot dire. Situation encore plus cocasse

lorsque le stage s'intitule "renforcer le présentéisme"… Notre objectif n'est pas de rappeler ici que

la congruence est une compétence élémentaire dans la reconnaissance de l'autorité. Nous voulons

signifier à travers cet exemple les limites d'une explication par les différences de génération. Non,

toutes les difficultés des managers aujourd'hui ne s'expliquent pas par des différences de

génération. Faire cette dichotomie est tentant : elle permet plus facilement de reporter la

responsabilité des malentendus sur l'autre génération. Cependant, certaines manières de penser et

d'agir qui ont émergé avec la société de consommation dans les années soixante, la contestation

des modèles traditionnels d'autorité dans la même décennie ou encore la crise économique dans les

années soixante-dix, se sont propagées à toutes les générations descendantes des baby-boomers.

Nous partageons pleinement la thèse de Gérard Mermet et Bernard Cathelat du C.C.A. selon

laquelle

"la transformation du rapport au travail s'est amorcée vers le milieu des années 60, avec la mise

en cause explicite du travail-obligation". La "conception libertaire" qui devait résulter de cette

contestation des figures traditionnelles du travail fut mise entre parenthèses durant une trentaine

d'années sous l'effet de la crise économique. Il n'y pas que la génération née à l'aube des

années quatre-vingt qui entretien cette conception libertaire du travail ; seulement, c'est la

première à la traduire aussi visiblement dans son comportement.

Qu'elles s'en offusquent ou feignent de s'en offusquer, les générations antérieures ne peuvent pas

se prétendrent étrangères à ces formes de pensées.

Troisième travail : "apprendre à focaliser son regard et son écoute sur les ressources de l'autre

plutôt que sur ses limites" (Françoise Kourilsky-Belliard, du désir au plaisir de changer, Edition

Dunod, 1995, p.103). Si l'évolution des mentalités au travail produit des comportements qui

contraignent réellement la mission des managers, elle ouvre indiscutablement des perspectives

intéressantes. Mais pour cela, il faudra accepter de reconsidérer sa propre échelle de valeurs,

quand il ne s'agira pas de l'inverser.

Il faudra admettre,

- que la critique, la contestation sont peut-être plus fécondes que la docilité,

- que la disponibilité est parfois plus utile que la ponctualité,

- que la décontraction, la libre expression des personnalités est peut-être plus importante pour

l'implication des personnes que la normalisation des conduites,

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- que les microgroupes informels (les clans) fondés sur les affinités peuvent contribuer plus

solidement à renforcer l'intégration des individus que l'organisation formelle qui fait de

l'adhésion à la culture d'entreprise (souvent mythique) l'alpha et l'oméga de la cohésion sociale,

de l'efficacité individuelle et collective.

4.2 Faciliter l’acquisition du savoir-être indispensable à la vie dans l’entreprise

Les difficultés du face-à-face hiérarchique se cristallisent autour, non du manque de diplôme ou de

savoir-faire, mais de ce que l'on dénomme le savoir-être (savoir-faire relationnel et comportemental).

Car il s’agit bien d’un problème de savoir, de connaissance des règles sociales qui n’a pas, ou peu, ou

mal été transmis. Il ne s’agit pas d’une transgression mais plutôt d’une absence qu’il faut combler.

Aux missions habituellement dévolues au manager, s'ajoute à présent une mission d'éducateur. Les

responsables d'encadrement de "proximité", prioritairement concernés par cette évolution, renâclent à

remplir cette mission. Derrière l'argument selon lequel les agents de maîtrise ne sont par formés pour

ça pointe souvent le sentiment d'une dépréciation de leur fonction. Devoir palier les insuffisances des

institutions chargées de préparer les jeunes à la vie des organisations est vécu comme une régression,

un retour en arrière, une perte de temps et d'énergie. Dans la représentation ordinaire du déroulement

de la vie, il y a un temps pour chaque acquisition : l'éducation d'abord, la formation ensuite.

L'encadrement contribue à l'acquisition de la seconde, à charge pour la famille et l'école d'assurer la

première. Seulement, il faut bien prendre acte que les institutions éducatives sont faillibles, que des

règles aussi élémentaires que la ponctualité sont enseignées au mieux comme des normes (et encore

!), plus rarement défendues comme des valeurs collectives. Confronté à l'exigence de résultats, obligé

pour les atteindre de faire vivre et travailler ensemble des personnes d'origine sociale et culturelle

différente, l'encadrement doit créer du lien social à travers de ce qu'il est convenu d'appeler

éducation.

Comme aider à l'acquisition du savoir-être ?

Agir au niveau individuel. Développer le management en "face-à-face".

Chaque fois qu'une situation révèle un manquement dans l'observation des règles – que ces règles

soient codifiées par les usages ou par des règlements – le responsable doit intervenir et se faire

pédagogue. Pour cela, il doit d'abord se défaire d'une conviction qui très souvent le retient d'agir,

ou lui sert de prétexte pour ne pas agir. Cette conviction : que des règles élémentaires comme le

respect des autres, l'entraide, la ponctualité, par exemple, relèvent avant-tout du bon sens et du

savoir-vivre. En conséquence, l'adhésion à ces règles ressort de l'initiative individuelle et non pas

hiérarchique.

Au contraire, le manager doit faire du savoir-être un objet d'apprentissage qui en tant que tel doit

être exposé, expliqué, argumenté, rappelé autant de fois que nécessaire.

Agir au niveau collectif. Définir ensemble des règles du jeu.

Nous avons tendance à sous-estimer le mal-être des personnes et des groupes face à l'absence,

l'inobservation, ou encore l'application partielle, voire partiale de règles collectives. Nous ne

savons pas toujours détecter ce besoin d'organisation, de conventions, de codes, étant acquis à

l'idée que les individus cherchent plutôt à s'affranchir des contraintes collectives. Et là encore, les

jeunes sont en première ligne. Pourtant, ce besoin est bien présent, et les jeunes embauchés ne sont

pas les derniers à le ressentir. Il nous est arrivé, à la faveur de diagnostics sur le climat social, de

vérifier que des salariés désignés comme rebelles par leur hiérarchie pouvaient être demandeurs

d'ordre justifiant précisément leur attitude critique, réfractaire, par la difficulté à travailler dans

une ambiance trop relâchée, un cadre trop désordonné. "Ca me révolte de voir que la hiérarchie

ferme les yeux sur les incivilités de certains !" nous dit un jeune ouvrier. Et plus loin dans

l'entretien, il s'exclame encore : "vous trouvez normal que les gens des services "supports" ne

disent même pas bonjour quand ils viennent dans l'atelier !"

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Comment satisfaire ce besoin de règles, de normes, jugées nécessaires à la régulation des relations

de travail ? En édictant au sommet de la hiérarchie une liste de commandements qui devrait

s'imposer uniformément à tous les collaborateurs ? Certainement pas. De ce point de vue, le

règlement intérieur a déjà montré les limites de ce mode de régulation de la vie collective. Le

moyen certainement plus efficace, celui qui répond le mieux l'état des mentalités décrites dans la

partie diagnostic de ce dossier, c'est la négociation de chartes. En vertu du principe que l'on

respecte d'autant mieux une chose qu'on a participé à sa création, tous les collaborateurs sont

invités à réfléchir ensemble, ateliers par ateliers, services par services, sur la base d'une question

simple : qu'est-ce qui fait dans votre contexte quotidien la qualité des relations de travail ?

L'aboutissement de cette réflexion, c'est la rédaction en commun d'un référentiel de

comportements, d'une charte adaptée aux besoins de l'organisation et de ses membres. Une charte

qui engage tous les signataires, encadrement direct compris (la crédibilité de la charte en dépend).

Partant, cette charte va fonctionner, sous l'impulsion de l'encadrement, comme un rappel

permanent des bonnes pratiques, des "bonnes manières". Régulièrement, tous les membres de

l'unité seront invités à évaluer sur chaque point de la charte, les avancées et les reculs. Ces

évaluations sont autant d'occasion de provoquer les échanges, d'amener plus de transparence, et

finalement de créer du lien dans les équipes.

4.3 Contribuer à la motivation en les aidant à construire leur identité professionnelle Etre reconnu ! C'est la revendication pressante, insistante de la grande majorité des salariés

aujourd'hui. Elle prend racine dans un sentiment diffus de frustration. On se plaint de ne pas pouvoir

mobiliser pleinement ses capacités, de ne pas être employé pour sa vraie valeur (celle que l'on

s'attribue), de n'être pas gratifié au niveau de son engagement, de ses résultats, de ne pas être

considéré, respecté en tant que personne, de ne pas être écouté, compris.

Pour comprendre ce sentiment grandissant de frustration, il faut revenir à cette composante

essentielle de l'évolution des mentalités depuis plusieurs décennies : l'égotisme, le narcissisme. Dès

lors que les individus se placent sous une loupe ou devant un miroir pour mesurer leur valeur, il n'est

pas surprenant qu'ils jugent ingrate la société en général, l'entreprise en particulier, coupables de

cécité. A trop croire qu'il est le meilleur évaluateur de lui-même l'individu s'expose à une

surestimation de ses qualités, de ses capacités. A mesure que l'écart entre l'estime de soi (idéal du

moi) et l'image de soi renvoyé par les autres s'agrandit, la frustration augmente.

Ce besoin de reconnaissance, exacerbé par les valeurs narcissiques, dissimule une aspiration plus

profonde, plus exigeante : le besoin d'identité. Cette quête identitaire tient en une question : quelle

définition je peux donner de ce que je suis, à moi-même et aux autres ?

Nous formons l'hypothèse que toutes les actions de management qui contribuent à aider la personne à

construire son identité socioprofessionnelle, sont en pouvoir de déclencher et de soutenir sa

motivation.

La construction des identités socioprofessionnelles découle de la satisfaction de plusieurs types de

besoins, à commencer par les besoins d'individualisation.

Nous croyons en reconnaître quatre :

Besoin d'autonomie. "être, indépendamment des autres". Besoin symétrique de l'appartenance.

Pouvoir se dégager de l'emprise collective pour être Soi. Besoin de prendre des initiatives, de se

sentir responsable.

Besoin de différence. "être incomparable". Sentiment d'être original, d'être unique. Etre distingué

des autres ; affirmer sa personnalité propre ; pouvoir être soi-même et accepté comme tel.

Besoin de valeur, de valorisation. "être aux yeux des autres". Se faire valoir aux yeux de ceux

dont les jugements ont de la valeur pour soi. Vision positive de soi.

Besoin d'existence. "Etre en faisant". Devenir soi-même à travers des réalisations.

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Nous développons au chapitre "les besoins au travail – les fondements de l'identité professionnelle"

toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour répondre aux attentes ascendantes des

collaborateurs.

4.4 Investir dans les explications pour faciliter l'acceptation et l'intégration du changement

Dans la conception traditionnelle et taylorienne – laquelle garde une actualité – le rôle de

l'encadrement est de répondre par avance à toutes les interrogations que peut se poser le subordonné,

à l'exception d'une question : pourquoi ? Dans cette conception du management exclusivement

orientée vers les résultats, il n'y a pas de place pour l'explication. D'ailleurs à quoi bon expliquer ses

choix, ses décisions, de dépenser du temps et de l'énergie pour cela, alors que la fatalité et l'arbitraire

suffisent à déclencher l'action : c'est comme ça ! Seulement, les représentants des nouvelles

générations ont plus que jamais besoin de comprendre le sens de ce qu'ils font, de ce qu'on leur

demande de faire. La question "pourquoi" est devenue première. De la réponse à cette demande de

sens dépend en grande partie la motivation. Rappelons-nous que "motivation" est étymologiquement

apparentée à "motif". Donnez-leur des motifs et vous leur donnerez des raisons de se motiver !

Le besoin de comprendre est d'autant plus insistant que les organisations sont continuellement en

mouvement, qu'elles imposent des changements réguliers et multiformes : changement de méthodes,

de produits, de postes…

Vaincre, ou pour le moins atténuer, la résistance au changement, c'est d'abord soigner la

communication, à commencer par l'annonce. Pour Gérard-Dominique Carton (Eloge du changement,

Edition Village Mondial, 1997), l'annonce du changement doit s'organiser autour de trois ordres

d'arguments : la nécessité, l'utilité, l'intérêt.

La nécessité

Le besoin de changement est justifié par des buts supérieurs. "Il est crucial que le changement ne

soit pas vécu comme imposé par une personne en situation d'autorité mais, au contraire, soit

perçu comme découlant des nécessités d'une réalité impersonnelle". La nécessité du changement

fait le plus souvent référence aux facteurs exogènes à l'origine du changement. L'argumentation

sur la nécessité répond à la question : pourquoi ce changement ?

L'utilité

Tout changement étant supposé apporter une amélioration ou prévenir un dommage, il importe

d'argumenter sur le bénéfice de l'amélioration ou de l'absence de dommage. L'argumentation sur

l'utilité consiste à mettre en relief les effets positifs du changement (ce qui n'exclut pas, dans un

souci de crédibilité, l'évocation des conséquences, des risques). "L'évocation seule de la nécessité

pourrait laisser croire que le changement est synonyme de fatalité. La description de l'utilité en

donne une vision positive".

L'intérêt

Il concerne le gain personnel. L'argumentation porte à présent sur le bénéfice que la personne

concernée peut tirer du changement. L'intérêt est étroitement lié à l'égo de la personne. Il répond à

la question : "qu'est-ce que ce changement améliore pour moi, pour nous ? Qu'est-ce que je gagne

à l'accepter ?"

La perception de l'intérêt est certainement le facteur le plus décisif pour l'acception et l'intégration

du changement.

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Les besoins au travail

Fondements de l'identité professionnelle et sources de motivation aujourd'hui

Adaptation de la théorie des besoins aux évolutions des mentalités au travail

Depuis les années 1970, l'évolution des besoins va de paire avec la diffusion dans les sociétés

occidentales de l'égotisme : le "moi" s'extrait du "nous", l'individu a plus de sens que le groupe. Mus par

le besoin d'affirmer et d'afficher leur identité personnelle, les individus cherchent à s'affranchir du

collectif. La solidarité avec le ou les groupe(s) d'appartenance devient conditionnelle.

Les managers sont avertis : aujourd'hui, la motivation dépend beaucoup de la satisfaction des besoins

d'individualisation : besoins d'autonomie, de différence, de valeur, d'existence.

Besoin de sécurité, de confiance

"Gagner la confiance des autres / pouvoir faire confiance aux autres". Besoin de faire confiance aux autres – en premier lieu, pouvoir faire confiance à la hiérarchie –.

Besoin d'obtenir la confiance des autres.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par :

L'attention portée à l'accueil et à l'intégration des nouveaux.

La précision des règles du jeu, des définitions de fonction.

La formulation claire des attentes et des objectifs.

La pertinence et la permanence de l'information. Donner aux collaborateurs les informations qui leur

permettent de comprendre ce qu'il faut faire, comment le faire et pourquoi le faire.

Le développement d'un management en face-à-face fondé sur la volonté de transparence : pratique des

entretiens d'évolution de comportement, des entretiens d'appréciation…

L'expression quotidienne du respect et de la considération due à toute personne.

Des modalités de contrôle qui intègrent l'apport d'aide et de conseil. Transmission des témoignages de

satisfaction.

Un responsable capable de protéger ses collaborateurs contre les demandes excessives.

Un responsable capable de temporiser, de filtrer la pression exercée par la hiérarchie, les clients.

La vigilance portée au mode de fonctionnement de l'équipe, aux règles établies, aux usages, aux rites,

particulièrement lors de la prise de fonction du responsable.

La satisfaction du besoin de confiance est indispensable à la satisfaction des besoins suivants.

Besoin d'appartenance

"Etre à travers les autres". Besoin d'intégration sociale. Etre inclus dans un groupe, dans une collectivité ; être considéré comme semblable ou égal aux autres.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par :

L'encouragement de toutes manifestations de la sociabilité : réunion amicale après le travail, incitation

à participer à des activités récréatives, sportives, etc.

L'activation de toutes les formes d'entraide et de solidarité.

L'invitation à des groupes de travail.

La prévention et le traitement des conflits.

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L'information sur la vie de l'organisation – établissement et/ou entreprise – de laquelle dépendent les

collaborateurs.

La valorisation des résultats et des réussites de l'équipe (fierté de l'appartenance).

La négociation des relations de travail à travers la réalisation d'une charte.

Besoin d'autonomie

"Etre indépendamment des autres". Besoin symétrique de l'appartenance. Pouvoir se dégager de l'emprise collective pour être Soi. Besoin de prendre des initiatives, de se sentir responsable.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par :

Un management privilégiant le partenariat : contractualisation des objectifs, des moyens d'action et

des modalités de contrôle.

L'enrichissement des compétences. Donner au collaborateur la possibilité d'acquérir des connaissances

par la formation et de développer des savoir-faire par la mise en situation.

Besoin de différence

"Etre incomparable". Sentiment d'être original, d'être unique. Etre distingué des autres ; affirmer sa personnalité propre ; pouvoir être soi-même et accepté comme tel.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par :

La mise en œuvre d'un management personnalisé, adapté à la volonté et à la capacité du collaborateur.

La reconnaissance de la contribution individuelle aux résultats de l'équipe à travers l'appréciation des

résultats et du comportement.

La connaissance du travail du collaborateur et des contraintes que ce travail impose.

La reconnaissance des compétences par des outils d'évaluation (tableau des compétences) et par la

recherche de situations à travers lesquelles ces compétences peuvent s'exprimer.

Besoin de valeur, de valorisation

"Etre aux yeux des autres". Se faire valoir aux yeux dont les jugements ont de la valeur pour soi. Donner une bonne image de soi ; être apprécié. Vision positive de soi.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par : La reconnaissance du travail bien fait. Donner des signes de reconnaissance. La mise en valeur des idées, des initiatives individuelles auprès de l'équipe, de la hiérarchie.

Besoin d'existence

"Etre en faisant". Devenir soi-même à travers des réalisations.

La satisfaction de ce type de besoins peut être obtenue par :

L'attribution de délégations.

Le développement de la polyvalence et surtout de la polycompétence.

La participation à des groupes de travail.

L'encouragement à l'expression de suggestions, voire l'aide apporté à la formalisation de ces

suggestions.

L'examen des perspectives d'évolution professionnelle du collaborateur.

Conception Bernard Vuillemenot