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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Lui, ou Les femmes etl'amour ; [suivi de] Donc ; [et]

Paray-le-Monial / Henri deRégnier,...

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Régnier, Henri de (1864-1936). Auteur du texte. Lui, ou Lesfemmes et l'amour ; [suivi de] Donc ; [et] Paray-le-Monial / Henride Régnier,.... 1929.

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LES FEMMES ET L'AMOUR

LUI

ou

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HENRI DE RÉGNIERDE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

Les Femmes et l'Amoursuivi DE

Paray-le-Monial

MERGVRE DE FRANCEXXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI

Luiou

Donc.ET

PARIS

HCHXXIJC

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IL A ÉTÉ TIRÉ

Dans le format in-8' raisin

44 exemplaires sur Japon impérialnumérotés à la presse de 1 à 44,

154 exemplaires sur Hollande van Geldernumérotés à la presse de 45 à 198,

et dans le format in-16 double couronne

1075 exemplaires sur vergé de filMontgolfier numérotés de 199 à 1273,

et 25 exemplaires (hors commerce)marqués de A à Z

EXEMPLAIRE !'iD

407

Tous droits de traduction, d'adaptation etde reproduction réservés pour tous paysCopyright by mercvre de francs 1929

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On aura dans ce volume trois petits ou-vrages publiés antérieurement en éditions àtirage limité et qu'il sera peut-être agréableà quelques lecteurs fidèles de trouver ainsiréunis. Le premier de ces ouvrages se com-pose de brèves réflexions sur les femmes etl'amour, suivies de plusieurs morceaux plusétendus se rapportant au même sujet. J'y aijoint un recueil de maximes, d'impressionset d'anecdotes qui parurent sous le titre deDonc, et à quoi j'ai ajouté, sans qu'elle aittrop de lien avec ces jeux d'esprit, une étude,

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qui figure dans la collection du Portrait de laFrance, sur Paray-le-Monial, petite ville duCharollais à laquelle me rattachent des souve-nirs de famille et de jeunesse.

Il n'y a, comme l'on voit, guère d'unité dans

ces pages, mais peut-être se plaira-t-on ce-pendant à les feuilleter? Il me semble qu'ellespeuvent amuser si elles n'ont rien qui « fasse

penser », ce qui, après tout, n'est pas l'affairedes poètes, même quand ils jouent les mora-listes et s'improvisent géographes.

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DEMI-VÉRITÉS

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Les femmes sont parfois contentes, maiselles sont rarement heureuses.

Il disait de Mme D. « Non seulement ellene sait pas ce qu'il ne faut pas dire, mais en-core elle ne sait pas ce qu'elle dit. »

Les femmes n'aiment pas que nous soyonstrop heureux et, quand elles ont tout fait pourque nous ne le soyons pas, elles veulent quenous considérions comme un bonheur de leurdevoir de ne l'être point.

Les femmes ne sont pas méchantes, maisles meilleures sont juste assez bonnes pourque nous ne puissions pas dire qu'elles ne lesont pas.

Aimer les femmes implique que nous pré-férons le plaisir qu'elles nous donnent auxennuis qu'elles nous causent.

Les femmes sont rarement aimées comme

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Les femmes gardent secret tout ce qu'ellessavent d'elles-mêmes. Elles sont moins dis-crètes sur ce qu'elles ont appris d'autrui.

La vanité se mêle à tout, même à l'amour.On est vain d'aimer et d'être aimé.

Qu'il y a loin de se connaître en femmes àconnaître les femmes!1

On ne sait aimer qu'à l'âge où l'on n'a plusguère chance qu'on vous aime.

Nous supportons peut-être mieux des fem-mes la perfection de leurs défauts que l'im-perfection de leurs qualités.

Nous appelons les « dernières faveurs »d'une femme ce qu'en premier nous souhai-tons d'elle.

Les femmes aiment mieux inspirer une pas-

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sion que la partager. En sentiment, elles fontvolontiers chambre à part.

Si l'on dit de quelqu'un qu'il a toutes lesfemmes qu'il veut, il faut entendre que, detoutes les femmes qu'il voudrait, il n'a quecelles qui le veulent bien.

J

La fidélité en amour n'est que la paresse dudésir.

La magie momentanée de l'amour est de

nous faire voir toutes les femmes en une.

L'amour complet unit la fidélité du désir àla durée du sentiment.

Quand on dit à une femme qu'on l'a beau-coup aimée, c'est lui dire qu'on ne l'aime plusassez pour l'aimer encore.

Les femmes déçoivent souvent en nous unecertaine idée de l'amour.

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Les femmes sont propres à tout.

Les hommes se rappellent; les femmes sesouviennent.

Comme il est difficile de savoir pourquoion a aimé une femme qu'on n'aime plus!1

L'homme est fat. Il lui suffit d'être supportépour se croire indispensable.

Les femmes ignorent sincèrement ce qu'ellesont oublié.

Il disait « Je ne l'ai jamais assez aimée

pour pouvoir agréablement la haïr. •»

L'amour est éternel, tant qu'il dure.

Nous avons une si haute idée des femmesque nous ne sommes guère sensibles qu'à leursdéfauts.

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L'amour exagère. C'est sa force et sa fai-blesse, la cause de ses illusions, et de ses dé-ceptions.

Les hommes, vis-à-vis des femmes, sont res-ponsables de tout, de la pluie, du vent, du petitbouton qu'elles ont au bout du nez, aussi biend'un tremblement de terre que du vol d'unemouche.

Les femmes se sont reconnaissantes de toutce que l'on fait pour elles.

Quand un homme surveille une femme, c'estqu'il a quelque chose à lui cacher.

Les femmes sont injustes, par nature, enversles hommes, car il leur semble qu'on ne rendejamais assez justice à leur mérite; elles le sontaussi par calcul, car ce serait à leurs yeuxd'une mauvaise politique de reconnaître quenous puissions ne pas être tout à fait dépour-vus d'un état dont elles se sont attribué le

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privilège. Il y a des nécessités de gouverne-ment

Il n'y a pas d'expérience en amour, car alors

on n'aimerait plus.

La fidélité est peut-être plutôt chez les fem-mes l'effet d'un hasard que d'un parti pris.Les hommes, eux, sont fidèles par une sorte devanité à se singulariser.

Les femmes nous reprochent à peu prèsexactement ce que nous leur reprochons tout.

X. disait de sa femme qu'il trompait etqui s'en déclarait malheureuse « Elle n'apas le physique de sa souffrance. »

Quand on aime, il ne faut pas chercher troples raisons pour quoi l'on aime; on risqueraitde ne pas les trouver égales à ccjlcs que l'onaurait de ne pas aimer.

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On se pardonne tout, en amour, tant qu'ons'aime.

Il comparait souvent l'amour à une partiede cartes où l'un des partenaires triche pourgagner et l'autre pour ne pas perdre.

La vantardise sexuelle est un travers plusmasculin que féminin. La femme est discrètesur son plaisir; l'homme intarissable sur sesexploits.

Quand elles disent « Si vous m'aimiezvraiment », c'est qu'elles sont déjà sûres quenous les aimons; quand elles disent « Vous

ne m'aimez pas », c'est qu'elles sont encoreplus sûres d'être aimées.

Les femmes n'ont d'honneur que dans lamesure où le leur permet leur vanité.

J'ai remarqué que les femmes choisissentmieux leurs amis que leurs amants. Elles de-

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mandent à l'amitié une constance et une sécu-rité qu'elles savent bien qu'elles ne trouverontpas dans l'amour.

Les hommes sont vains de ce qu'ils sont;les femmes sont vaines de ce qu'elles ne sont

pas.

L'amour est un besoin dont nous avons faitun plaisir et un plaisir dont nous avons voulufaire du bonheur.

Il y a des méchancetés que, seule, unefemme peut inventer et des mufleries dont,seul, un homme est capable.

Les femmes pensent de l'amour ce que leursamants leur en font penser.

Une femme, jusque de l'abandon, peut tirerune sorte de vanité. Elle se dit « N'est-ce pasà m'avoir aimée qu'il a pris le goût d'en aimer

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une autre? » L'infidélité lui est encore unhommage.

Il y a une telle sottise peinte sur certainsvisages de femmes qu'elles semblent l'enseignemême de leur stupidité.

Si Don Juan m'avait rencontrée, pense-t-elle, il n'y aurait peut-être qu'un nom, aulieu de mille et trois, sur la fameuse liste!1

Au xvne siècle, pour créer une héroïne detragédie, il suffisait d'avoir, du cœur des fem-mes, une vue assez générale et une connais-sance quelque peu conventionnelle. Le romanmoderne exige davantage en nous donnantpeut-être moins.

Il disait d'elle « Comme toutes les femmesraisonnables, elle n'est jamais contente derien. »

Les femmes se souviennent plus volontiersd'avoir été aimées que d'avoir aimé.

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L'amour est un sentiment indépendant. Iln'a affaire ni avec l'amitié, ni avec l'estime,ni avec la tendresse, ni avec l'affection, ni avecla délicatesse. Il ne s'occupe et ne relève quede lui-même. Il a sa logique à lui, ses raisons,ses imaginations, ses préjugés, ses ruses. Il neparle et ne comprend ni le langage du cœur,ni celui de l'esprit. Il n'est ni ceci, ni cela; ilest l'amour.

Les femmes admettent difficilement quenous ne supportions pas d'elles ce qu'elles nesouffriraient pas de nous.

Nous ne connaîtrons peut-être le bonheurque par son ombre sur le mur de la destinée.

Aux yeux des femmes, le plus grand tort deshommes est qu'ils soient des hommes; auxyeux des hommes, le seul mérite des femmesest souvent qu'elles soient des femmes.

Les femmes sont toujours assez contentesd'elles-mêmes pour être mécontentes de nous.

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Les femmes aiment qu'on leur parle le lan-gage de l'amour, même ti ce n'est qu'avec lavoix du désir.

Sexe de la femme, oreille des sens.

Il y a chez les femmes on ne sait quoi d'in-tolérable qui fait que nous ne pouvons pasnous passer d'elles.

Tout est vrai des femmes, même ce qu'ellesdisent d'elles-mêmes.

Les femmes mettent dans les rivalitésd'amour ou de vanité, des perfidies, des cruau-tés de guerre civile. Entre elles pas de quartier.

« Il faut, disait-elle, savoir tout supporteren ce monde, fût-ce soi-même. »

Ce qui fait principalement le malheur desfemmes, c'est qu'elles ont le goût du bonheur

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– Il vous a beaucoup aimée?Oui.

– Et qu'a-t-il fait pour vous le prouver?– Rien.– C'est peu!– Mais non, c'est le mieux qui se puisse at-

tendre d'un homme.

Il n'est pas besoin de beaucoup d'esprit pourplaire aux femmes; il suffit d'avoir celui quileur plaît.

En se mettant nues pour aimer, les femmesentendent par là se montrer à nous sous unaspect de vérité. Elles font ainsi semblant derenoncer à tout subterfuge. Ne nous fions pastrop à cette vérité. Elle nous mène droit aupuits.

Le meilleur moment pour écrire ce que nouspensons des femmes est celui où elles ne pen-sent plus à nous.

La nature garde au corps de la femme,

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quand elle est nue, une place d'ombre, afin delui simuler, au moins là, une apparence demystère.

Le miroir de la vérité n'est pas celui oùles femmes aiment le mieux à se regarder.

Les femmes préfèrent la brutalité à l'ironie.Le brutal se met nettement dans son tort àleur égard; l'ironiste les met en méfiance vis-à-vis d'elles-mêmes, et cela ne se pardonnepas.

« Je n'ai eu de cette femme que le plaisird'en avoir des ennuis », disait-il.

La pudeur n'est 'qu'un artifice qui confèreplus de valeur à l'abandon.

Les femmes se donnent rarement; le plussouvent, elles s'échangent. Elles obéissentmoins à leur goût qu'à leur intérêt.

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TROIS HÉROÏNES DE ROMAN

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E ne vous ai pas aimée, Emma Bovary, maisje vous ai ardemment désirée lorsque, à

seize ans, dans ma chambre de collégien, je li-sais votre histoire amoureuse. Ce qui m'attiraità vous, ce n'étaient pas vos mélancolies roma-nesques, vos médiocres souffrances, les amer-tumes de vos ambitions refoulées, ce qu'il yavait en vous d'âpre et d'avide. Je n'éprouvaispour vous ni tendresse ni pitié. Ce n'était paspour vous consoler que je m'en allais en espritvers Tostes ou Yonville et que je m'attardaissur la place à contempler votre maison, à

EMMA BOVARY

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épier à vos fenêtres le miroitement des vitrescloses ou, lorsqu'elles étaient ouvertes, à voirs'enfler au vent les longs rideaux qui pen-daient jusqu'au tapis. Que de fois cependantj'ai cru m'attabler à l'auberge du Lion d'Orpour attendre l'arrivée de « l'Hirondelle »,que de fois j'ai cru pousser la porte de lapharmacie d'Homais! J'écoutais le ronflementdu tour de Binet. Le soir tombait et, le longde la rivière qui bordait votre jardin, je res-pirais longuement au clair de lune, l'odeurnocturne des seringas.

Je ne vous ai pas aimée, Emma Bovary, maisje vous ai désirée en votre corps, du jour oitje vous ai aperçue au seuil de la ferme dupère Rouault. Le soleil, sous la neige quis'égouttait, faisait craquer la soie gorge depigeon de votre ombrelle. Depuis lors je n'aiplus cessé de penser à votre visage. Ce quevous aviez de beau, c'étaient vos yeux quiétaient bruns et semblaient noirs à cause devos cils. Vous aviez les lèvres un peu charnueset vous les mordillonniez. De vos cheveux,« les deux bandeaux noirs semblaient chacund'un seul morceau, tant ils étaient lisses; ilsétaient séparés sur Je milieu de la tête par une

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raie fine qui s'enfonçait légèrement selon laforme du crâne et, laissant voir le bout de l'o-reille, allaient se confondre par derrière en unchignon abondant ». Cette chevelure, que defois il m'a semblé, défaite, la manier, que defois j'ai regardé au fond de vos yeux quiavaient « comme des couches de couleurs suc-cessives et qui, plus épaisses dans le fond, al-laient comme en s'éclaircissant vers la surfacede l'émail »

Je n'ai pas seulement rêvé longtemps àvotre visage, Emma Bovary, j'ai désiré toutvotre corps. Vous rappelez-vous ce soir où, àla Vaubyessard, vous vous habilliez pour lebal, le soir où vos yeux semblaient plus noirs,où vos bandeaux doucement bombés sur lesoreilles luisaient d'un éclat bleu, où une rosetremblait à votre chignon sur une tige mobileavec des gouttes d'eau factices au bout de sesfeuilles, où vous aviez une robe de safran pâlerelevée par trois bouquets de roses pomponmêlées de verdure? J'étais là quand votremari vint vous embrasser sur l'épaule. Biensouvent en son absence, tandis qu'il courait le

pays dans son « boc », je me suis glissé chez

vous. Vous portiez une robe de chambre toute

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ouverte qui laissait voir entre les revers àchâle du corsage une chemisette plissée avectrois gros boutons d'or. Vous aviez pour cein-ture une cordelière à gros glands et vos petitespantoufles de couleur grenat avaient unetouffe de rubans larges, qui s'étalait sur le cou-de-pied. J'imaginais votre pied nu et votregorge sous la chemisette.

Et votre arrivée à Yonville, et ce dîner chezHomais où Léon avait posé son pied sur undes barreaux de votre chaise, et votre petitecravate de soie bleue que tenait droit commeune fraise un col de batiste tuyauté! Et voslongs jours d'ennui après le départ du clerc,

ces jours mornes où vous lisiez des romanset où vous variiez votre coiffure, où vous vousmettiez à la chinoise, en boucles molles, ennattes tressées, où vous vous faisiez une raiesur le côté de la tête et rouliez vos cheveux

en dessous, comme un homme. Vous étiezalors pâle partout, blanche comme du linge,

« vous étiez prête pour l'amour ».On était aux premiers jours d'octobre; il

y avait du brouillard sur la campagne. Vouslongiez la lisière du bois. Les chevaux souf-flaient. Le cuir des selles craquait. Puis vous

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êtes entrée dans la forêt. Le soleil avait paru.Les feuilles ne remuaient pas. Ce fut Rodolphequi attacha les chevaux. Il marchait derrièrevous et contemplait entre le drap noir de votreamazone et la bottine noire la délicatesse devotre bas blanc qui lui semblait quelque chosede votre nudité. Vous vous êtes assise sur untronc d'arbre renversé. Rodolphe vous parlaitde son amour. Il vous a entraînée plus loinauprès d'un petit étang. Ce fut alors que vousvous êtes penchée sur son épaule. Vous avezrenversé votre cou blanc qui se gonflait d'unsoupir et, défaillante, tout en pleurs, avec unlong frémissement et en vous cachant la figure

vous vous abandonnâtes. En rentrant, vousvous êtes regardée dans la glace. Vous vousêtes étonnée de votre visage. Jamais vousn'aviez eu les yeux si grands, si noirs et d'unetelle profondeur. Vous vous répétiez « J'aiun amant. » Je vous ai détestée, Emma Bo-

vary, parce que je vous désirais.Alors j'ai suivi pas à pas votre ombre vi-

vante, je vous ai suivie, le cœur battant et lachair irritée, lorsque vous alliez au bout dujardin cacher vos lettres dans une fissure dela terrasse et qu'à travers les champs en la-

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mière un peu de duvet noir. On eût dit qu'unartiste en corruption avait disposé sur sanuque la torsade de ses cheveux; ils s'enrou-laient en une masse lourde, négligemment, etselon les hasards de l'adultère qui les dénouaittous les jours. Sa voix maintenant prenait desinflexions plus molles, sa taille aussi; quel-que chose de subtil qui vous pénétrait se déga-geait même des draperies de sa robe et de lacambrure de son pied. La page lue, je refer-mais le livre et je restais longtemps à rêver.

Je rêvais à ce fiacre cahotant qui parcouraitRouen au trot harassé de son vieux chevalet d'où, dans une ruelle du quartier Beauvoi-sine, descendait une femme qui marchait levoile baissé sans détourner la tête. C'était vousque je retrouvais sous ce voile, Emma Bovary,Emma la désirée! Je vous retrouvais danscette chambre de l'Hôtel de Bourgogne où il yavait un grand lit d'acajou en forme de na-celle, sous des rideaux en levantine rouge.Rien n'était beau comme votre tête brune etvotre peau blanche, se détachant sur cette cou-leur pourpre, quand, par un geste de pudeur,vous fermiez vos deux bras nus en vous ca-chant la figure dans vos mains. J'entendais

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MADELEINE DE NfÈVRES

JE vous admire, Madeleine de Nièvres, parceque vous avez aimé et souffert, parce que

vous vous êtes vaincue, parce que vous avezpréféré à votre bonheur et au bonheur d'unhomme que vous aimiez l'honneur d'unhomme que vous n'aimiez pas.

L'amour est venu à vous au seuil de votrejeunesse et vous vous êtes détournée de lui,mais il vous avait touchée de sa flamme et,lentement, sournoisement, patiemment et fu-rieusement, il vous a consumée de son feusecret. Vous en êtes toute brûlante dans lelivre où vous nous apparaissez, prise au dou-

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ble cercle ardent que forment autour de vousla passion que vous ressentez et celle que vousinspirez. Comme vous, Madeleine de Nièvres,Dominique de Bray est en lutte contre soi-même et vous vous épuisez l'un et l'autre, avecun mélancolique acharnement, à une victoireintime qui ne laissera de vos deux cœursqu'une cendre torturée.

De cette cendre, votre mémoire s'est faiteimpérissable et je vous vois errer à jamais aupays des amants malheureux. Vous y passez si-lencieux, vous, Dominique, respirant les vio-lettes mordues de ce bouquet qu'elle vouslança, un soir, au visage; vous Madeleine, en-veloppée de ce long châle de cachemire dont

vous pliâtes ensemble la longue étoffe soupleet qui fut comme le linceul de votre amourdésespéré.

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risquait, à toute heure, le poignard et le poisonjusqu'à ce qu'il eût faussé compagnie auxgeôliers et aux sbires pour s'en aller à Milanfumer son cigare et laisser pousser ses favoris.Mais vous n'êtes pas venue, ô capricieuse San-severina, et pourtant comme nous vous atten-dions Où étiez-vous donc aujourd'hui? Etiez-vous en ce Milan de votre jeunesse, tout fré-missant des gloires impériales? Etiez-vous envotre terre de Sacca ou en votre château deGrianta sur le lac de Côme, près de votre frèreAscagne? Parcouriez-vous le champ de ba-taille de Waterloo? Qui vous a donc retenueloin de nous? Ecoutiez-vous les fins propos ducomte Mosca ou les divagations de FerrantePalla?

Vous n'êtes pas venue! Il nous eût été douxcependant de finir cette journée mélancoliquedans une de ces rêveries tendres qui se for-ment de la présence d'un être aimé. Car nousvous aimions, ô divine Sanseverina, mais nousne vous eussions pas parlé d'amour. Nousn'aurions pas interrogé les secrets de votrecœur. Ils sont à vous et nous n'aurions pascherché à vous rendre indiscrète sur vos sen-timents. Stendhal lui-même les a respectés.

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S'il les a connus, il ne nous les livra pas. Ilmodère la curiosité qu'il en a peut-être. C'estau comte Mosca qu'il confie le soin de deman-der à votre camériste si vous faites l'amouravec Fabrice. Nous ne serons pas plus hardisque lui, car vous l'intimidiez, ce Beyle qui pré-tendait traiter les femmes militairement et quise comportait avec elles comme le plus naïve-ment passionné des amoureux, sacrifiant sontempérament à sa sensibilité. Vous lui im-posiez une tendre réserve. Jamais il ne vousmontre à nous dans la familiarité du désir quevous inspiriez. Nous ne connaissons ni le galbede votre jambe, ni la forme de votre gorge.C'est de votre esprit qu'il nous fait le portrait.A peine s'il nous dit, une fois, que vous avezune de ces beautés lombardes comme les peintLéonard ou Luini, et cependant vous illuminezde votre sourire milanais le livre où vous vivezvivante à jamais et dont le souvenir nous faitévoquer en ce Parme dont vous êtes la gloire,ô Gina la Stendhalienne, votre ombre1

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DEUX AMIES

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Nine est petite et noiraude, mais elle a deN beaux yeux. Elle aurait dû être bossue;elle s'est contentée d'être chétive. Elle n'a pastenté le désir des hommes. L'idée ne viendraità personne de dénouer ses cheveux qui sontlongs et de dégrafer son corsage qui est plat.On ne se l'imagine pas nue et elle ne fait rienpour qu'on ait envie de l'y mettre. Rendons-luijustice. Nine n'est pas coquette, elle ne l'estmême pas assez si la coquetterie comprend lapropreté. Qu'importe! Nine ne vit que pourelle-même. Elle n'est pas mariée et ne se ma-riera pas. Elle ne le regrette point. Que ferait-

NINL

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elle d'un mari? D'ailleurs sa vie n'est passolitaire. Elle a une famille, des amies et desamis. Libre, elle peut être toute à eux. Elle ditvolontiers qu'ils sont tout pour elle.

Ce qui est vrai, c'est qu'elle exerce sur euxune réelle influence et qu'elle leur inspire uneconfiance absolue. N'a-t-elle pas la mine atten-tive et secrète, cet air de sollicitude et de dis-crétion qui attire la confidence. Elle n'y poussepoint. Elle l'accepte. Il en est ainsi tout d'abord,mais Nine n'en reste pas là. Peu à peu sonamitié se fait plus active. Après avoir écoutélongtemps, elle interroge, non par curiosité,certes, mais par sympathie. Quand on est assezde ses amis, Nine veut savoir vos conditionsde vie, vos soucis quotidiens, l'état de votresanté et de votre cœur, car Nine aime à en-tendre parler d'amour.

Cela se voit à son visage. Elle s'intéressepassionnément à des sentiments qu'elle n'ajamais éprouvés et à des passions qu'elle n'ajamais ressenties. Elle y est experte en esprit,car elle l'a fort subtil. Il y a en elle du confes-seur, mais il y a aussi de la maquerelle, carsi elle ne se lasse jamais de vous entendre, elleest toujours prête à vous servir. Elle entre à

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fond dans votre sentiment, elle est de moitiédans votre passion. Pour vous y seconder, ellese prêtera aux démarches les plus humi-liantes, aux complaisances les plus scabreuses.Elle vous offrira ses bons offices. Ayez-y re-cours et vous en verrez quelque jour les effets1

Quand on aime, même d'amitié, n'est-on passensible aux impressions les plus fugitives,aux influences les plus légères? D'un mot dità mi-voix, d'un geste presque imperceptible,d'un regard, d'un rien, on tire des consé-quences infinies, des appréhensions, des in-quiétudes qui rongent, des doutes plus corro-sifs que des certitudes. Pour créer ces troubles,il suffit d'une insinuation en apparenceinoffensive, d'une allusion négligente, d'unpropos, d'un silence. A ce jeu Nine apporte unart infaillible et mystérieux et, quand elle lejoue, son visage se fait particulièrement ten-dre, moins tendre cependant que lorsqu'on luiavoue les souffrances qu'on ignore qu'elle acausées. Elle les souffre avec vous. Qu'ellevoie couler vos larmes, elle pleurera. Pourvous consoler, elle vous donnera tout sontemps. Qu'a-t-elle à faire dans la vie? Elle n'ani mari, ni enfants, ni amant. Elle n'a que ses

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amis. Elle est toute à eux, et elle les hait assezpour s'imposer avec eux le masque du dévoue-ment et s'infliger à leur égard l'hypocrisie del'amitié.

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Ismérie passe pour méchante. On le dit; ellele sait et elle s'en étonne, car elle se juge

la meilleure amie qu'on puisse être. Est-ilmoins égoïste qu'elle? Ne s'intéresse-t-elle paspassionnément à autrui? Qui, plus qu'elle, estpréoccupée de ceux qui l'approchent et ontpart à son amitié? Elle est attentive à leurspropos, serviable à leurs besoins, docile àleurs désirs, curieuse de tout ce qui les con-cerne. N'aurait-elle pas droit à leur reconnais-sance et ils la lui témoignent en proclamantsa méchanceté! Est-elle donc entourée d'in-grats ? Non, Ismérie, rassurez-vous, mais sa-

1SMEHIL

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pour vous vos découvertes, mais vous les ré-pandez au dehors et vous les y répandezcomme si elles vous échappaient malgré vous.Ne vous faut-il pas maintenir votre renom etrépondre à ce qu'attend de vous votre clientèlede curieux? Comme vous connaissez leursgoûts, vous vous mettez en mesure de les satis-faire. Ce qu'ils vous demandent ce sont desrévélations sur les uns et les autres, tous cesmenus faits dont s'alimentent les malveil-lances de société. Vous n'en êtes jamais àcourt, Ismérie, car vous vous en approvision-nez en vous-même. Certes, vous n'avez pasl'intention de nuire, car vous n'êtes pas mé-chante de nature, mais vous lâchez imprudem-ment l'essaim de vos chimères qui vont sou-vent se poser où il ne faudrait pas et dontquelques-unes sont munies d'aiguillons et devenin. Leur vol bourdonne sourdement et

murmure aux oreilles « Ismérie est mé-chante. » Non vous ne l'êtes pas, Ismérie, mais

que vous êtes donc dangereuse!

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BILLETS A LUC1NDE

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démarche élégante et souple, et que votre robeet votre chapeau étaient de la bonne faiseuse,comme on disait au temps des Contes de Per-rault. Tout cela m'avait fort changé à votreégard et j'attendais avec impatience l'instantoù je distinguerais votre visage, mais mon im-patience n'a pas été longue, car nous n'avonspas tardé à nous croiser. D'un seul regardj'ai compris que vous étiez charmante. Je l'aisu par votre front, par vos joues, par votrebouche, par vos yeux, par toute votre per-sonne délicieuse. Cependant ce que j'en res-sentis, Lucinde, ne fut pas le bouleversementd'un coup de foudre, ce fut un sentiment devoluptueux plaisir. Non, Lucinde, je n'eus pas,comme dans les romans, l'idée de me jetersoudain à vos genoux, et de vous adresser unde ces discours passionnés où l'on ne sait plusguère ce que l'on dit, où l'on invoque les dieuxet où l'on traite de déesse celle qui devientbrusquement l'idole de votre Vie. D'ailleursles mortelles d'à-présent ne souffrent guère lesdéclarations romanesques et les déclamationssurannées. Les allées des parcs, même dé-sertes, sont peu propices à ces épanche-ments lyriques. Bref, ce que j'éprouvai fut

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infiniment plus simple et plus naturel; ce futun violent désir de vous saisir dans mes braset de baiser votre bouche, mais les allées desparcs ne sont pas favorables non plus à ceshommages improvisés et à ces démonstrationsintempestives. C'est pourquoi les belles pas-sautes peuvent s'y promener en paix, sanscraindre de trop tendres et trop ardentesaventures et sans s'exposer à autre chose qu'àlaisser au passant qu'elles croisent une imagequ'il emporte dans sa mémoire et sur laquelleil rêvera longtemps. Telle fut, Lucinde, notrepremière rencontre, sous l'œil des dieux in-dulgents et des déesses attentives, dans lalongue allée qui va de la salle de verdure aumiroir d'eau.

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Je ne vous dirai pas, Lucinde, les humbles

ruses et les menus stratagèmes que j'ai em-ployés pour parvenir jusqu'à vous. Vous nem'en avez su aucun gré et vous avez eu raison.Rien n'est plus ordinaire que la conduite quej'ai tenue et il n'y avait pas de quoi m'enlouer. N'est-ce pas bien plutôt quelque peuridicule de n'avoir eu à recourir qu'à d'aussimisérables moyens pour arriver à un but quieût valu, par le prix que je lui attribuais, detout autres efforts que ceux où je m'évertuaiet des ressorts plus subtils que ceux que je misen œuvre? Pour savoir qui vous étiez, le nom

II

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que vous portiez, la maison que vous habitiez,n'est-il pas surprenant, que je n'aie eu à ac-complir ni des actes héroïques, ni de cesexploits où l'on hasarde sa vie? Je n'ai euà courir d'autre danger que celui de vousdéplaire en cette recherche que vous eussiezpu considérer comme indiscrète? Il n'a fallupour y réussir ni m'embusquer au coin desrues, ni user de l'échelle de corde, ni meservir de la fausse clé. Je n'ai pas plus eu àbraver le poignard d'un jaloux que le poisond'un rival. On ne m'a pas vu, comme au tempsdes aventures, l'épée à la main ou le pistoletau poing. Je n'ai pas répandu mon sang sousvotre balcon. Je n'ai pas accompli un de ceshauts faits qui méritent à un soupirant lesbonnes grâces de sa Dame. Non, Lucinde, touts'est passé le plus simplement du monde.Quelques faciles démarches m'ont permis,comme on dit dans l'affreux jargon moderne,de vous « identifier ». Quand je sus votrenom, j'appris aisément ce qu'il m'importait desavoir de vous. Mon enquête m'a vite mis aucourant de vos habitudes. Cela fait, il merestait à remplir les formalités de la présen-tation. J'obtins assez facilement cette faveur.

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De ces ambitions, Lucinde, la première étaitque je fusse admis à considérer longuementvotre charmant visage. Votre accueil, je doisle reconnaître, n'y mit pas obstacle et s'y prêtamême assez volontiers. Une femme aime àêtre regardée quand les regards qu'elle subitmarquent une admiration sincère, et vous nepouviez douter de la mienne. Elle allait à toutevotre délicieuse figure. J'en scrutais tous lestraits et j'en appréciais toutes les grâces. Elleen a d'infinies dans la forme aussi bien quedans l'expression. Tout s'y entend pour ravir,le dessin des lignes, la qualité du teint, les

III

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courbes, les rondeurs; avec quelle attentionj'en observais tous les détails et j'en suivaistous les jeux, car vous n'ignorez rien des res-sources dont la nature l'a pourvue et des

nuances dont elle l'a embellie. Vous savez entirer d'adorables effets d'indifférence ou decoquetterie, de malice ou de naïveté. C'est uninstrument subtil dont vous connaissez toutesles gammes, tous les accords. Il y a des visageséloquents et des visages musicaux, des visagesqui parlent, des visages qui chantent. Le vôtreest tout un concert. Vous en êtes la virtuoseet toutes les parties de votre corps en sontl'accompagnement. 0 Lucinde, que de fois j'aigoûté en silence la fête de vous voir! Je neconnais rien de plus délicat que votre nez etde plus voluptueux que votre bouche. Tout cequi est vous, Lucinde, m'enchantait et m'ins-pirait les plus ambitieux désirs.

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Vous souvenez-vous du jour où, pour la pre-mièce fois, votre main reposa entre lesmiennes? Jusqu'alors je ne connaissais de vosmaiais que celle que vous tendiez à mon banalbaiser ou à quelque rapide pression de bien-venue ou d'adieu, mais avec quelle attentionamoureuse je les considérais, ces mainsailées! Elles étaient agiles et harmonieuses entous leurs mouvements et en tous leurs gestes.Elles se posaient sur les objets avec une forcedélicate ou une impérieuse légèreté. Je lesvoyais s'en saisir ou les effleurer. Parfois ellesse portaient sur vous-même pour rajuster un

IV

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ruban ou rectifier un pli. Elles me semblaientà ce moment divinement privilégiées et jesongeais, le cœur battant, aux contacts plusintimes qui leur étaient réservés. Je les ima-ginais, Lucinde, au service de votre corps,familières à ses ordres les plus secrets. J'au-rais voulu être elles, mais je devais, hélas, mecontenter de les suivre en leurs jeux jumeaux.Or, le jour dont je vous parle, elles avaientété particulièrement actives. Quand je suisentré dans votre boudoir, leurs fins doigts ti-raient minutieusement l'aiguille et guidaientle fil dans le labyrinthe compliqué d'une bro-derie. En l'honneur de ma venue, vous vousinterrompîtes. Je vis alors vos mains s'allon-ger languissamment en une élégante paressemomentanée, mais bientôt, lasses de leurinertie, l'une d'elles déploya les branches d'unéventail. Elles l'agitaient comme pour, du bat-tement de son souffle, écarter les paroles delouange, d'amour et de passion dont je tentaisde vous faire l'hommage. Tout à coup, cettemain porta à vos lèvres l'éventail brusque-ment refermé pour y dissimuler un bâillementqui, à mon air dépité, se termina par un rire.Ce fut alors que vous vous levâtes pour aller

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au miroir. Du bout de l'ongle, vous rajustâtesune mèche de votre coiffure, puis, en reve-nant vers votre bergère, vous vous assîtes uninstant au piano. Je vis vos mains effleurerle clavier, juste le temps de vous apercevoirque la brassée de roses que je vous avaisapportée était restée sur le guéridon. Aussitôtvous voilà debout à la disposer dans un vase.Ah! que j'eusse voulu, Lucinde, qu'une épinevous piquât et que votre sang répandu vouspunît de der-ieurer insensible à mon désir, maisvos mains sont adroites et toutes les fleursallaient être rassemblées dans le vase de cris-tal De la dernière de ces roses vous teniez lalongue tige flexible. Elle était délicieusementépanouie. Lentement vous l'avez fait tourneret se balancer et, en souriant, vous l'avez pen-chée vers ma bouche, tandis que votre autremain qui pendait mollement le long de votrecorps se laissait doucement prendre par lesmiennes. J'ai gardé la belle rose en souvenirde ce jour, Lucinde, qui fut « le jour de larose et des mains ».

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beaux yeux qui, sans doute, ne dormaient qu'àmoitié et deux bras frais s'enlacèrent autourde mon cou, tandis qu'à mon oreille une bou-che approchée murmurait ce mot « De-main ». Demain, Lucinde, vous seriez à moitout entière, mais je ne partis pas, ce jour-là,sans savoir déjà quelque chose du bonheur quim'attendait.

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Je ne sais pas si je vous ai aimée, Lucinde.L'amour habite un royaume mystérieux oùl'on est transporté soudain. C'est là qu'il a sontemple. Je crois bien que nous n'y sommesjamais entrés et que nous nous sommes con-tentés d'errer dans les jardins du désir et dela volupté. Je ne sais si je vous ai aimée, maisje vous ai adorée passionnément en votrecorps, en ses grâces et en ses beautés. Quandje vous ai vue debout devant moi en votrenudité vivante, en l'harmonie heureuse de toutvous-même, quand me sont apparues vosépaules, vos hanches, vos cuisses, vos jambeset que vous vous êtes montrée en votre splen-deur vraie, en votre jeunesse dont l'éclat avait

VI

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nous nous sommes vus, Lucinde, dans notreréalité et nous comprîmes qu'il ne fallait plusnous revoir si nous voulions conserver dansnotre mémoire l'image de ce que nous avionsété, l'image que j'ai tenté d'évoquer en cespages que vous ne lirez pas, car maintenantl'espace et le temps nous séparent. Nos mainsse sont touchées pour la dernière fois quandnous nous sommes rencontrés pour l'adieu encette longue allée qui va de la salle de ver-dure au miroir d'eau. C'est là que je suis alléjeter la clé du pavillon, celle dont vous vousserviez pour entrer, la clé d'un ardent et beaupassé dont il ne reste que le souvenir, la clédu pavillon où erre l'ombre de Lucinde nue.

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HISTOIRES DE FEMMES

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J'aime les histoires de femmes. Elles nousen apprennent plus sur l'homme qui lesraconte que des femmes sur qui on les conte.

Dans le train, j'ai songé à une rencontrefaite, ces jours derniers sur la Place Saint-Marc, d'un de mes camarades de collège; je nel'avais pas vu depuis bien des années, maisje l'ai facilement reconnu. Il a récemment dé-

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couvert Venise et il est, comme il dit, fort« emballé sur elle ». Pour lui Venise est la« Ville de Volupté ». Comme je l'avais su,dans sa jeunesse, fort porté sur les femmes, jene doutais pas qu'il eût voulu expérimentercelles d'ici, et je l'interrogeai sur ses amoursvénitiennes. Voici à peu près ce qu'il m'enconfia

« C'était au printemps et, tu sais, mon vieux,le printemps, c'est le printemps. J'étais seul;je m'ennuyais de ma solitude. Alors je me misà courir les filles. J'en remarquai vite une qui,le soir, faisait les galeries de la Place Saint-Marc. Elle n'avait rien de très particulière-ment vénitien, mais elle avait une assez élé-gante dégaine, une robe bien coupée et ungentil chapeau garni de rouge. Je l'abordai.Par des calli obscures, elle me conduisit prèsdu Ponte Sant' Antonio. C'était là qu'elle habi-tait. Elle me fit monter un étroit escalier etje pénétrai dans une chambre, basse de pla-fond, occupée presque entièrement par ungrand lit et une toilette assez bien agencée.Les murs étaient ornés de japoneries de paco-tille estampes, éventails, poupées. Je ne sa-vais guère d'italien et elle, à peine quelques

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mots de français. Cependant, nous nous enten-dîmes sur l'essentiel. A la lumière d'uneampoule électrique, je la regardai mieux. Elleavait un visage agréable et les yeux légère-ment bridés, quelque chose d'un peu japonaiset qui me fit comprendre la présence deséventails et des poupées. Elle s'appelait Naraet elle était, me dit-elle, la maîtresse d'un offi-cier de marine. Il y a en effet à Venise unestation de torpilleurs, mais tu penses bienqu'elle n'était pas à un seul de ces messieurs.Cependant, elle s'était déshabillée et moi aussi.Je la rejoignis sur le lit où elle était étendue.Elle avait un corps menu, non sans grâce, maisfatigué par l'amour. Je la pris sans dégoût etsans plaisir. Il faisait chaud. La fenêtre étaitouverte sous le rideau et on entendait les pasdes gens qui passaient dans la calle et desvoix italiennes qui s'interpellaient. Je n'ai plusrevu Nara, mais cette passade m'avait mis engoût et je continuai mes expériences véni-tiennes.

« Ce fut ainsi que je suivis une autre fillerencontrée dans la Merceria. Celle-là était uneprostituée de basse catégorie. Elle portait lechâle à franges et les grosses coques de che-

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veux. Elle avait un étrange visage, ardent defard, obscène, provocant et marqué de petitevérole. Elle logeait derrière San Zulian dans

un taudis d'une saleté repoussante. Je payaiet m'en allai, je ne suis tout de même pas siimprudent. Je fis de même une autre fois avecune fille qui m'aborda près du Ponte delleOstregghe. Son visage m'avait attiré, mais sonanguleuse, maigre et pauvre nudité me dé-

couragea.« Pour ma quatrième expérience, j'eus re-

cours à la maquerelle qui m'avait fait sesoffres de service, un soir où je rôdais auprèsdu baccino San Gallo, derrière les Procuraties.La vieille avait un fort accent tudesque. Jepris heure avec elle. Elle fut exacte et memena dans une calle, voisine de la Frezzaria.On me laissa seul dans une chambre assezpropre. Au bout de quelques instants parutune assez belle fille brune, coiffée en ban-deaux. Elle savait un peu de français et medit qu'elle était modiste de son état, et queson père était « maestro », c'est-à-dire maîtred'école. Comme toutes ses amies, elle « faisaitles étrangers de passage ». Je me laissai doncfaire et n'eus pas trop à m'en repentir. C'est

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tout ce que je peux t'apprendre sur l'amour àVenise. Ton Casanova en savait plus que moi,n'est-ce pas?.

B. était grand suiveur de femmes. Il passaitbeaucoup de temps à chasser ainsi l'aventure;il y mettait une grande application et disaitque « cela rendait ». Comme je lui demandaisen quelle proportion, il me donnait un chiffre.Il m'avoua un jour qu'il s'était fait faire descartes portant ce seul mot « Député », et illes glissait discrètement. Il prétendait qu'alorsson « pourcentage » augmentait sensiblement.

« C'était dans le train qui va de Cannes àNice. Il restait une place dans le wagon. A

une station monte un grand garçon qui vientoccuper le siège vacant. A peine assis, il tire

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de sa poche un portefeuille et du portefeuilleune lettre qu'il déplie et qu'il se met à lire.La lecture achevée, il la recommence, puispose ses lèvres sur le papier. Cela fait, ils'agite, puis enfin s'adreosant aux personnesprésentes « C'est une lettre que je viens derecevoir de ma maîtresse, et elle est si jolie,cette lettre, si tendre, que je vous demande lapermission de vous la lire. Et il la lit. Jeme suis demandé longtemps si c'était un far-ceur ou un niais. »

(Lettre de M- N. à M. C. L.)

Il l'avait épousée sur le tard. Il était pauvre;elle était riche. Il en avait assez de sa bohèmemondaine, de sa longue vie d'expédients quin'était en rapport ni avec sa naissance, niavec ses goûts. Ce fut entre eux un échange.Il lui donnait son nom; elle lui apportait safortune. A cela s'ajoutaient des convenancesréciproques, une sympathie mutuelle. Toutbien pesé, le mariage eut lieu. Marié, il cessaitd'avoir recours à l'ami complaisant qui vous

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oblige et qui vous fait sentir qu'on lui doit plusque ce qu'il vous a prêté; il cessait d'aller àpied ou en fiacre; il quittait son modeste rez-de-chaussée. Désormais, il aurait à ses ordresun équipage, il habiterait un vaste hôtel. Unnombreux domestique remplacerait son uni-que femme de ménage. Nous en fûmes tousheureux pour lui. C'était un homme charmant,d'une rare distinction d'esprit, de manièresraffinées, discrètement spirituel, tout en nuan-ces, gentiment ironique et qui devait mettrede cette ironie à juger sa nouvelle situation.

Sa compagne, assortie à lui par bien despoints, n'avait pas tout à fait la même finesse.Elle était d'une autre race, d'un autre milieu,d'une autre éducation. Très intelligente d'ail-leurs, elle ne manquait nullement de bonnevolonté conjugale, pourvu que cette bonnevolonté ne la forçât pas à changer ses habi-tudes. Elle avait fait une première expériencematrimoniale qui n'avait pas réussi. Cellequ'elle tentait maintenant était toute différenteet elle entendait la mener à bien. Elle étaitdécidée à faire de son mieux pour rendreheureux l'agréable compagnon qu'elle s'étaitchoisi.

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de ces menus griefs. On trouva dans ses pa-piers un carnet où ils étaient minutieusementconsignés, en termes mesurés, mais dans leursplus subtils détails. A ce réquisitoire pos-thume il avait joint quelques « pensées »,parmi lesquelles se rencontrait celle-ci « L'é-goïste est celui qui ne pense pas à moi », etune autre, recopiée des Maximes de La Roche-foucauld, où il est dit que, s'il est de bons ma-riages, il n'en est pas de délicieux.

Il parle lentement, comme quelqu'un qui sesouvient.

« Imaginez un garçon de dix-huit ans,amoureux fou et sans expérience de l'amour;une jeune femme aussi inexpérimentée etaussi folle que lui. Il est son premier amant;elle est sa première maîtresse. Entre eux unmari préservé de tout soupçon par la sécuritéparticulière à son état et qui pousse le sen-timent de son invulnérabilité jusqu'à inviterl'ami de sa femme à venir passer l'automne

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dans la propriété qu'ils habitent la plusgrande partie de l'année.

« Ce n'est qu'au début de la vie que nous ar-rivent de si surprenantes fortunes et il est bienqu'il en soit ainsi, car, plus tard, à en profiter,nous mettrions peut-être des réserves, desscrupules et des prudences qui nous empêche-raient d'en accepter les risques. A dix-huit anson n'a guère de ces délicatesses et de cessoucis, aussi nos amoureux saisirent-ils avi-dement l'aubaine qui s'offrait à eux et n'y ap-portèrent ni scrupules, ni prudence. Il estvrai que des relations presque d'enfance justi-fiaient jusqu'à un certain point leur intimité etla familiarité où ils vivaient. Leur amour semasquait ainsi de camaraderie, et puis, auxyeux d'un mari, un petit jeune homme necompte guère et pas davantage aux yeux d'unefemme dont on est sûr, même si elle est déli-cieuse. Or celle-là l'est. Elle l'est par son char-mant visage, son corps élégant. Elle l'est parsa jeunesse. Elle est mariée depuis un an à cemari qui n'a rien de désagréable et qu'elletrompe avec une simplicité et un naturel ad-mirables. D'ailleurs en le trompant n'accom-plit-elle pas une sorte d'engagement de cœur?

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nades. Ils s'arrêtent au bord d'un talus, contreune haie. Il y a dans la forêt des places fleuriesde bruyères où l'on est bien pour s'aimer.

« Puis c'est l'époque des premières chasses.On part de grand matin pour arriver à tempsau rendez-vous. Il fait froid, l'air est "if où fu-ment les haleines des chiens et le souffle deschevaux. Elle est fière et charmante, droite enselle, un voile enroulé à sa toque. Côte à côteils cheminent. La meute donne de la voix. Lachasse s'éloigne, se rapproche, se perd. Elle estperdue. Alors, ils mettent pied à terre. Queleur importe la bête lancée, sanglier ou re-nard. Ils sont l'un près de l'autre. Le vivantsilence de la forêt les entoure. Peu à peu lejour baisse. Voici le moment du retour. Lesoir, il y a dîner. Elle a quitté l'amazone. Ilaperçoit la naissance de sa gorge et il penseà tout son corps. Il la regarde, il est heureuxet il souffre. On l'entoure, on la complimente.Elle répond, elle rit. Il est jaloux. Qu'est-ilpour ces gens? Il n'est que le petit jeunehomme en villégiature chez des voisins. Onl'a invité avec eux. Il n'est rien et cependantc'est lui, quand on rentrera à la maison, qui,par quelque stratagème, trouvera le moyen de

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baiser furtivement cette belle bouche. Demain,ils passeront la journée au kiosque.

« Il est situé dans la partie la plus reculéedu parc. De là, on en domine l'étendue. C'estune cabane rustique construite en rondins etcouverte de chaume. C'est une de leurs re-traites. Une seule allée y conduit. A l'intérieur,ils ont étalé une litière de genêts dont ilsaiment l'odeur amère. Ilo s'étendent sur cettecouche sylvestre. De là on ne voit que descimes d'arbres jaunissantes. Parfois un crid'oiseau et, de loin en loin, un coup de fusil.Chaque fois ils sourient; ils savent qui est cechasseur. Il rapportera ce soir quelque perdrixou quelque bécassine. Ils écouteront ses récits.Le feu flambera dans la grande cheminée.Ils pensent tous deux aux souvenirs que leurlaisseront ces jours qui vont finir, après les-quels ils se retrouveront ailleurs, car ils n'ima-ginent pas la vie sans les plaisirs qu'ilsprennent l'un de l'autre. Déjà ils songent auxstratagèmes qu'il faudra inventer, aux rusesqu'il faudra employer. Ils sont prêts à renou-veler toutes leurs imprudences, à tout hasar-der, à tout risquer. Leur amour leur est tout;elle est sa première maîtresse; il est son

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premier amant. Ils ne font qu'un corps etqu'une âme et ils ne savent pas qu'un jour ilss'oublieront mutuellement jusqu'au momentoù le souvenir leur reviendra, au bout de lavie, de leur jeunesse lointaine.

Quand C. devint amoureux de M°" de B.il se rendit compte du trouble qu'elle allaitapporter dans sa vie. Il la savait exigeante,capricieuse, évasive, inexacte. « Madame, luidit-il, je vous aime; je veux bien souffrir, maisje ne veux pas attendre. »

Voici ce qu'il m'a raconté. Il était l'amantde Mme de D. Assez souvent, en l'absence de

son mari, elle le recevait, le soir, chez elle etil arrivait qu'il y passât la nuit. Une fois montédans la chambre de M"" de D. il se mettait à

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l'aise en attendant qu'elle vînt le rejoindre aulit d'où il décampait au petit jour, lorsque toutdormait encore dans l'hôtel. Lcs voilà donc,

ce soir-là, couchés d'assez bonne heure quand,soudain, la porte s'entr'ouvre. M. de D. étaitrevenu de voyage à l'improviste et, comme iln'était pas une heure indue, il venait avertirsa femme de son retour. Or, comme il y avaitde la lumière dans la chambre, il avait certai-nement dû voir ce qui s'y passait, bien que,la porte entr'ouverte et la tête avancée dansl'entre-bâillement, il eût vivement refermé.Grand émoi dans le lit. Mon ami saute à bas,court à ses vêtements. Rien de plus ridiculeque d'être surpris à poil chez une dame etM. de D. peut entrer d'un moment à l'autre,qu'il se soit retiré pour amener des témoins oupour aller chercher une arme. Cependant, au-cun bruit. Les minutes s'écoulent. M. de D.ne reparaît toujours pas. Cela dure ainsi pen-dant près d'une heure. Toujours rien. Au boutde ce temps, mon ami prend son parti, celui des'en aller, dût-il dans l'escalier faire quelqueennuyeuse rencontre. Le voilà donc sur le pa-lier. La main à la rampe, il descend à tâtons.Sans doute est-il guetté, attendu. Il va falloir

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s'expliquer, se colleter peut-être. Ma foi, tantpis il a des poings solides et il arrivera ce qu'ilpourra. Il n'en est pas d'ailleurs à sa premièreaffaire. Mais pourquoi cet imbécile de D. a-t-ilfait cette rentrée intempestive et grotesque?Cependant il continue à avancer. Toujours per-sonne. Il est dans le vestibule; il tourne laclé, pousse le verrou. Il est dehors. Un fiacrepasse, il le hèle et se fait ramener chez lui.Il n'en sortira plus avant d'avoir reçu les té-moins de M. de D. « Eh bien! mon cher, medit-il, je les ai attendus toute la journée, cestémoins, et toute la journée encore du lende-main. Je commençais à m'ennuyer. Le soir, jem'habille et je vais au cercle pour en finir. Na-turellement, je tombe sur D. Bon, me dis-je,

ça y est. Eh bien ce n'y était pas du tout, dutout. Ce D. avait plus d'estomac que je nepensais, seulement figurez-vous que, pendanthuit jours, il ne m'a pas tendu la main. »

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DOUZE QUATRAINSD'ALMANACH

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à M™ Maurice Vasseur.

Sur l°urs almanachs les damesInscrivent, d'un air très doux,Les projets les plus infâmesQu'elles forment contre nous.

Consultez ce petit livre,Madame, afin, chaque jour,De savoir s'il vaut mieux vivrePour le plaisir ou l'amour.

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Ta dernière page tournéeSur l'inconnu de l'avenir,Almanach miroir de l'année,Tu nous offres son souvenir.

Comme un poisson sans arêteUn an est vite avalé,Que l'on habite à GaëteOu près du Grand Lac Salé!

Ce n'est pas du temps perdu,Non, celui que l'on consacreA son visage renduCouleur de rose et de nacre.

Vraiment ce chapeau vous coiffeBien, à s'en extasier,Et son rouge éclat assoifféPar sa couleur de brasier.

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)(.

Ne prends pas cet air féroce,De la jeunesse envieux,Parce que ton âge endosseUn habit, d'un an plus vieux.

Avec regret je le constate,Au triste temps où nous viyons,Les femmes, ont la gorge plateEt les cheveux pas assez longs.

J'aime que l'ardent crépusculePar où s'achève un jour en feuSemble répandre en l'air qui brûleLa cendre aérienne d'un dieu.

Le vieux Monsieur qui regretteCe qu'il était l'an dernierVoit, d'une humeur inquiète,Décembre finir en Janvier.

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Les Chinois ont fait de la chauve-souris lesigne du bonheur. Peut-être parce qu'elle

apparaît au crépuscule, à l'heure des souve-nirs, presque à l'heure des rêves.

Il disait de Mm' C. « Elle a les yeux dequelqu'un qui marcherait sur les mains. »

Pour les imaginations fortes, l'absencen'existe presque pas. Elle n'est qu'une pré-sence silencieuse.

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Le repas qui, en province, suit ordinaire-ment les funérailles m'a toujours paru unreste de cannibalisme. Oc s'y console avec desvictuailles du regret de n'avoir pu manger,vivant, le défunt.

Il disait de Mme X. « Quand elle sort soncoupe-file, on se demande toujours si ce n'estpas sa « carte » de la Préfecture de police. »

Je me souviens d'un rêve bizarre. Une valléeétroite dominée par un énorme pan de rocher.Ce rocher était damasquiné d'arabesques d'oret, par endroits, incrusté de mosaïques. Lefond de la vallée était occupé par un petitbois d'arbres au feuillage doré et, de ces ar-bres, s'envolaient de merveilleux oiseaux auxplumages multicolores, mais on entendait dansle silence le bruit de la mécanique qui faisaitmouvoir leurs ailes. Alors un singulier per-sonnage est sorti du bois. Il était costumé entzigane et faisait des saluts ridicules. C'étaitlui qui avait ciselé les roches et fabriqué lesoiseaux artificiels.

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II y q çncqre dans la forêt de Chantilly desbornes du temps des Condé, de belles bornesmarquées d'une fleur de lys que le duc d'Au-male ne manquait jamais de saluer, au pas-sage, d'un coup de chapeau.

Je rencontre le peintre T. Il vient de dîneravec son confrère X. et il se frotte les mainsde contentement: « J'ai été terrible. » – Qijelui avez-vous donc dit? » « Je lui ai parléd'un autre peintre. »

Au théâtre on peut peindre des sentimentsvrais à condition de les exprimer convention-nellejnent.

Par un beau clair de lune, c'est sur l'eauqu'il faut se promener. Les routes terrestressont trop rudes; le roulement d'une voitureest gênant. Ce qu'il faut, c'est le glissementd'une barque, son balancement insensible.

Douce et tiède journée d'automne, une de

ces journées où, dans l'air immobile, les

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feuilles semblent tomber par lassitude et parfatalité.

Cette femme vous regarde comme si un ser-pent allait vous piquer.

Le rêve secret de l'amitié est que nous puis-sions compter sur nos amis sans qu'ils aientle droit de faire fond sur nous.

Il disait de A. « Il n'entend pas ce qu'onlui dit à force d'écouter ce qu'il va dire. »

Le sourire confie au rire la joie dont ilne veut plus.

B. me dit « Il est plus décent de mourir àla campagne. A Paris, on dérange tout lemonde. Ainsi mon père, à C. a eu un enter-rement délicieux. »

La pluie anime la nuit de soies et de griffesinvisibles.

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L'amitié donne le sentiment du durable;l'amour, celui de l'éternel, et c'est l'égoïsmequi survit à l'un et à l'autre.

Le vin est une espèce de fard intérieur quiembellit, un instant, le visage de nos pensées.

Je connais des amis qui s'aimeraient vrai-ment beaucoup, s'ils pouvaient se supporter.

t-

« N. est un des hommes que je détesteraisle plus, disait-il, s'il n'était un de ceux quej'aime le moins. »

Il n'y a ni discrets ni indiscrets. Les unsredisent tout de suite ce qu'on leur a conté;les autres le répètent plus tard, et tous in-ventent ce qu'on ne leur a pas dit.

Il y a des êtres qu'avant d'avoir vus on adéjà oubliés.

On ne devrait livrer au monde que lesheures dont on ne ferait rien pour soi-même.

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X. disait injustement, mais plaisamment, duJournal des Goncourt « C'est l'œuvre deMouchard et Pécuchet. »

X», disait 4e Z. Il est spï dans les mgin-dres choses.»

Après le déjeuner la Duse est venue. Je nel'avais jamais vue que sur la scène. Son entréen'a rien de théâtral. Elle est vêtue de noir etcoiffée d'un chapeau quelconque posé sur sescheveux blancs, un chapeau qu'elle enlève etjette négligemment sur un fauteuil. Je la re-garde. Elle e^t de taille moyenne, sans élé-gance, niais il y a en elle une dignité et unenob,l§ss,e naturelles. So.n visage est terne etfatigué, majp {a tête est bien construite etles yeux sont douloureusement magnifiques.Singulière figure, vraie figure de tragédiennedont les traits ne sont que ce qu'il faut pourpermettre toutes les expressions. Ce visagefait penser à un écran propice à des projec-tions pathétiques. Par lui-même, il n'est rien.C'est un visage vacant, si l'on peut dire. La

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peau en est épaisse et jaune: Un visage deVénitienne. Là Duse est dë GHibggia.

Elle parle. Parfois elle mêle à s6h fïariçaisune phrase italienne. Alors on dirait qu'ellevient de chanter. C'est très beau. Elle parle;elle dit en courtes phrases sa peur des grandspublics, son désir de jouer pour peu des

œuvres rares, de réciter des poèmes. Puis elle

se lève, parcourt la galerie, s'arrête devant untableau, rëgdf 8ê uh bibelot. QuelqVuH lui dit

« C'est une belle maison, n'esl-ëë pas?Elle se tait un instant et je l'ëiitèhds qui

murmure, comme à elle-même « Une mai-son, je voudrais tant avoir, à moi, une petitemaison: » Et sur son visage se peint la las-situde de sa vie errante, le désir de repos dela femme vieillie.

J'ai entendu dire de M1"' G. Comme ohvoit bien qu'elle a été encore jolie. »

Il vaut mieux savoir écouter que savoir ré-pondre. Chacun est plus content dé ce qu'il dit

que de ce qu'on lui sàiiFait dire.

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« Pourquoi vous teignez-vous? » deman-dait-on à la vieille Mme B. « C'est plus gai »,répondit-elle.

Au fond d'une tasse, quelques noires brin-dilles de thé imitent, sur la blancheur de laporcelaine, l'écriture d'un caractère chinois.

« M. le Duc a attendu la mort, comme savoiture quand il l'avait commandée. »

(Le domestique du duc de B.)

J'ai rêvé, l'autre nuit, que j'inventais le

moyen de parfumer les ailes des papillons.

Ces hauts paravents de laque noir avecleurs angles, leurs rentrants, font penser à laGrande Muraille de Chine.

Dans une grande cuvette en cristal, pleined'eau, baignent des coquillages de couleurs etde formes diverses, qui se mêlent, se nuancent,s'irisent, forment une sorte de « julienne»marine, de potage pour sirènes.

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On n'a peut-être jamais d'autre grande pas-sion que soi-même.

En parlant d'un mariage possible de M. H.et de M™ D. il disait « Ce serait répugnant,mais raisonnable. »

Mallarmé disait de Hugo « Quel poèteil aurait été, s'il avait eu quelque chose àdire! »

Ce n'est pas sa vie que l'on regrette en mou-rant, c'est la vie.

Le baron P. grand avare, fait laisser ou-verte la porte de son hôtel pour que le con-cierge n'ait pas à tirer le cordon. Il dit quele cordon s'use et que c'est une dépense plusgrande qu'on ne croit.

Elle fut de ces femmes que tout le monderegrette et qui ne manquent à personne.

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LUI OU LES FERMES ET L'AMOUR

B. à propas d'iiiï dîhër, hié disait i Quelle

idée d'inviter des gens aussi jiëti SÛfé que ttià1

femme et moi! »

Si j'avais à décorer d'allégories titi salohparisien, j'y peindrais au plafond le dieu Ar-gus et la nymphe Echo.

L'homme méprise l'homme partout ailleursqu'en celui qu'il est.

« C'est une femme d'intérieur, disait-ellede son amie; elle ne s'est jamais occupée quede ses enfants et de ses amants. »

Le souvenir, c'est ce qui reste de mémoire àl'oubli.

Les psychologues me font souvent penser àdes horlogers habiles à monter et à démonterune montre et qui oublieraient 8e rfegdr'Oerl'heure qu'elle marque.

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J'ëhtëhdâ éiicbre là vieille baronne de G.déclarant avéb la dignité & qui la caractéri-sait » et le sentiment d'émettre une véritééternelle « Mon père, le marquis de B.hBmmfe d'iiiflnitnfeHl d'esprit, disait qu'il fautse couper les biiglcs des pieds ëh carré. »

Les femmes éprouvent à tromper un plaisirque l'homme le plus féminin ne ressentirajamais..

Nous ne savons peut-être rien des femmes.

Vivre avilit.

La solitude est le tombeau vivant de tout cequi est mort en nous.

L'amour est un sentiment singulier, le pluschangeant à la fois et le plus indestructible. Ilse transforme, s'effrite, s'éparpille, mais, àl'analyse et dans le souvenir) Se recompose etse reconstitue intact.

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« Quand l'homme; vers trente arisj aprèsavoir goûté la fleur de ses contemporains etachevé son investigation de la vie, veut S'iso-ler, se concentrer, rentrer en soi-même, alorsla Foule, jalouse de cette fuite, délègue auprèsde lui q"uelqu'uii qui là reprëàc'Htë saFéirimë: »

(Mallarmé, ùH Sdir.)

« Quand je rencontre un homme, me dit unjour Mallarmé, qui mène à son bras une bellefemme, j'ai envie de m'approcher de lui, delui sauter au cou, en disant « Comme je vousremercie de l'aimer ainsi et de tout ce quevous m'évitez et que j'eusse sans doute faitpour elle, des fautes, des folies, des crimespèiit-êtré! »

Il fait presque riùit au jardin. Lès branchesqui vous frôlent ont, dans l'ombre, une ré-serve, et comme une timidité charmante.

Styles. Celui dé C. tjri éclair dàns unebouteille d'encre. Celui de R. Un volcan quine lance que de ia cendre.

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Elle est assise. Elle tient deux glaees à mainqui sont comme des raquettes de miroirs oùelle jouerait avec son image.

J'aime les pommes de pin. Il y en a degrosses, aux écailles disjointes et qui s'écartent;d'autres imbriquées et qui se resserrentcomme secrètes. Certaines ont l'air d'être enbronze, certaines sont comme laquées. Il y aen elles je ne sais quoi de marin. Elles fontpenser à des coquilles, à des poissons que lesmarées de l'air et les courants du vent laissentlà, abandonnent, et que le pas rencontre.

Enfermez danq une cjiainbrg bien close dixamis intimps, Pitcs4eur qu'il y a un millionpour le dernier survivant, Vous verrez!1

Il y a des visages dont le vieillissement n'estque les é{a{s d'û§cs successifs, qui ont unemanière de vipiUir sîpïque où leurs traits setransforment, mais se reconnaissent. Chezd'autres, la vieillesse est comme l'apparitiond'une magie de laideur et comme l'effet d'une

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qu'emploient certains écrivains modernes etqui n'pst pas de trop bon goût.

Descher-elle, Dictionnaire, tome II, p. 051.

A. N'est-ce pas le portrait de M™ C.jeune?

B. Prenez garde, vous feriez croire qu'elle

ne l'est plus.

Ce B. Il s'est fait une arme de sa médio-crité avec cela quelque chose d'humble, debattu, de bon, si bien qu'à le voir réussir ona envie cte dire Il le mérite, mais il n'enest pas digne, »

J'ai entendu Degas dire de Meissonnier

« On distingue deux périodes dans son art,Furie où il représentait des personnageskgyus, XVI avec Jem; montre dans leur gousset;l'autre où ils la tenaient à la main. »

Autour de Tristan et d'Yseult, l'orchestresemble tisser de la nuit et ourdir le voile duDestin.

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Il y a des gens si lourds, si grossiers que,pour eux, « l'Heure du Berger » doit être plu-tôt « l'Heure du Bouvier ».

Degas est là. Le dîner est donné en son hon-neur. Degas a soixante-quatorze ans et paraîtencore vigoureux. Le regard est étrange desyeux sous leur haute et profonde arcade sour-cilière. Il a le teint clair, la barbe blanche;de longs cheveux gris bouclent sur la nuque.Il y a dans toute sa personne un air de pro-bité. Parfois passe sur son visage aux traitsimmobiles et comme paralysés une singulièreexpression de malice. Il impose le respect etéloigne la familiarité. Aussi la conversationlanguit-elle un peu jusqu'au moment où Degasse met à conter des histoires assez comiquessur le Naples de sa jeunesse où l'on voyait, àcertaines heures, passer dans la rue le « loueurde pots de chambre ». Puis on parla des vieuxusages d'autrefois et quelqu'un rappela cechâteau où, les cabinets faisant défaut, onavait placé, sur l'escalier, une chaise percéeprès de laquelle étaient disposés un domino etun masque pour assurer l'incognito de l'occu-pant.

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L'âme n'a de saisons que les sentiments quila colorent.

Il y aurait à faire un petit manuel qui s'in-titulerait Répertoire des délicatesses senti-mentales à l'usage des amants des deux sexes.

Quand on s'aime, on se le dit trop et on nese le prouve pas assez.

La perfidie est la forme de méchanceté desdélicats.

On se dit je voudrais être heureux, commeje l'ai été tel jour, à telle heure. C'est au passéque l'on prend ses modèles de bonheur. Ouveut se retrouver dans l'avenir avec l'impres-sion d'être le même. Toujours cette lutte con-tre la fuite du temps.

Le renom d'habileté vient souvent de mala-dresses dont on a su tirer parti.

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X. à qui l'on reprochait, n'étant plus jeune,de trop aimer les femmes, répondait Quevoulez-vous, mon cher, on n'est vieux qu'unefois! »

X. disait « Ce n'est pas avoir été l'amantd'une femme que de l'avoir b.lée trois ouquatre fois sur un canapé, à son jour de ré-ception, entre deux visites. »

J'ai entendu dire à un jeune homme

« Tout ce que je crains, c'est de devenir amou-reux d'une jeune fille sans dot. »

« Je ne ferai un mariage d'amour, disaitB. que si je ne peux faire autrement. »

Que de gens ne sont supportables que dansla mélancolie! La gaîté les « endimanche ».

J'ai entendu dire d'un médecin « Il a plusde malades qu'il n'en peut tuer. »

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Il faut, devant les femmes, s'incliner assezbas pour qu'elles ne vous voient pas sourire deleurs prétentions.

Il faudrait pouvoir peindre les faces de l'in-visible et écrire les paroles du silence.

Il y a certains vers qui émeuvent ce qu'il ya en nous de plus taciturne et de plus secret.

Quoique la plupart des gens soient unique-ment occupés d'eux-mêmes, ils trouvent en-core le temps de s'apercevoir des défautsd'autrui.

Le passé ne meurt pas. Il fait le mort.L'oubli est transparent. Derrière lui le passéreparaît, plus mélancolique d'être insaisissa-ble, de 11'être qu'une ombre.

Il se croit tout le talent qu'il refuse auxautres.

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On peut connaître les hommes, mais on nepeut guère que deviner les femmes.

Je pense à une chambre dans une antiquemaison, une chambre aux panneaux sculptésdans un goût pompeux et frivole, aux gravesin-folios de linguistique, de théologie et demagie, aux vitres couleur de la mer et du cré-puscule, à l'âtre où, parmi les cendres fines,flamberaient d'odorants fagots de genévrier etde santal. Je pense à vous, Charles Baude-laire, hôte de tout ce qui est somptueux etfané, âcre et cendreux, mystérieux et docte!

Ce qui m'ennuie dans La Fontaine, ce sontles animaux.

Il y a plus d'animaux dans Saint-Simon quedans La Fontaine, seulement ce sont deshommes.

Par déférence pour la mode, les femmesconsentent volontiers à paraître ridicules.Elles ne s'en trouvent que plus de mérite àêtre tout de même charmantes.

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le Jugement dernier, ajoute-t-il, je le peindraisen habit noir. »

Le fond de l'ennui ou de la tristesse n'estpas que le temps passe trop vite ou trop len-tement, c'est qu'il passe.

B. me raconte qu'à Calcutta, lorsque LordD. devait recevoir à sa table le haut négocede la ville, il y faisait asseoir aussi trois singesapprivoisés, qu'il avait.

C'est un châle de l'Inde ou de la Perse. Plié,il remplit un étroit carton de ses vives cou-leurs confondues; quand on le déplie, il de-vient très grand, grand à envelopper un corpsdebout. Il devient une chose vivante, ailée, unesorte de papillon multicolore, léger, abondant.Son souple tissu est d'une laine extrêmementfine, traversée de bandes soyeuses; il est peintde longues palmes, dont les rouges sont diffé-rents, qu'entoure un décor de fougères. Et,

ce dessin, au moindre mouvement, se trans-forme, se recompose, toujours harmonieux et

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divers. Il évoque, ce châle, des images de cha-leur, de danses, de parfums, des nudités odo-rantes et ambrées. Il est éclatant, variable,minutieux.

Il y a des femmes qui entrent en coup devent; elle, elle entre en coup de foudre.

Si tu es en retard, ne t'arrête pas pour re-garder l'heure.

Il ne faut jamais prendre le parti des fem-mes elles finissent toujours par avoir raison.

Parfois, comme l'autre nuit, on entend pas-ser auprès de soi les robes du vent.

Il a tout l'esprit qu'il veut avoir et en aplus qu'il ne faudrait.

On ne raconte avec vérité que ce qui n'a pasété.

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Les hommes s'apparaissent les uns aux au-tres, plutôt que bêtes ou méchants, absurdes.Le fond des rapports qu'ils ont entre eux estune incompréhension mêlée d'un peu de mé-pris.

Mallarmé me disait d'une jeune femme, d'as-pect mélancolique « Elle a sur le visage cerien de désolation qui nous suffit. Nous ne de-mandons pas plus. »

M"" B. disait de X. « Il est très vain de cequ'il a et un peu envieux de ce qu'il n'a pas ».

Imaginons un pays que nous appellerionsles Iles Ridicules. Peuplons-les de la plupartde nos amis et allons leur y tenir compagniesi nous avons quelque bon sens.

Il a un tel sentiment de la justice que celaressemble à de l'envie.

Sur ce papier, Napoléon et sa .famille ont

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On s'entend toujours. Il suffit de ne pas êtredu même avis.

Oscar Wilde disait que nous serons jugés

par nos rêves.

Au Louvre. Salles égyptiennes. Ces statuesbizarres et roides, sculptées dans une pierrepolie et noire, ne les dirait-on pas des divi-nités aérolithes, des Dieux tombés d'un astremort?

Il ne faut pas pousser l'ingratitude jusqu'il'imprudence.

En voyant passer M. P. avec sa haute taillecourbée, on a l'impression qu'il cherche àterre une épingle, celle qu'il saura toujours« tirer du jeu ».

De M. C. et de Mme D. « Il l'adore et ladéteste. Bref, il l'aime. »

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Certains visages prennent dans l'amour oudans la mort une beauté particulière.

Les déceptions de l'amitié se guérissent parl'indifférence; celles de l'amour par l'oubli.

« Je n'aime pas tous mes amis, disait unjour S. mais celui-là je Je déteste. »

On peut raconter les peines de son esprit,mais on doit taire celles de son cœur.

Il faut, comme dit le proverbe, tourner septfois sa langue avant de parler et se taire.

Aller « dans le monde » consiste à parleravec des gens à qui l'on n'a rien à dire.

Les premières heures de l'amour sontcomme les premiers pas sur la neige.

Les esprits réalistes se meuvent dans l'o-

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d'indécision d'outre-vie. C'est l'heure ély-séenne.

La médiocrité de nos pensées ne nous con-vainc pas plus de la médiocrité de notre espritque l'inutilité de nos actions ne nous persuadede la vanité de la vie.

Il y a des gens qui regardent bien et quivoient mal.

Mallarmé disait des contes de Banville« Ce sont les Mille et une Nuits françaises. »

Il y a parmi les morts quelques êtres qu'onaimerait avoir connus. Combien en est-ilparmi les vivants qu'on regretterait de ne pasconnaître?

N'est-ce pas dommage d'enfermer un chatdans un appartement moderne. Ce qu'il leurfaut, à ces énigmatiques et charmantes bêtes,

ce sont les vieilles maisons dont ils interrogent

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et complètent le silence. Il leur faut les vastesgreniers, les plafonds aux antiques poutres quicraquent, les corridors aux carrelages des-cellés, les vestibules, les portes à chatières, ledécor des choses anciennes.

Ne juge pas autrui sur sa réputation, tu au-rais peut-être à te mal juger toi-même.

Dialogue. « Son amant a été tué. »« Comment est-elle? » « Oh! si courageuse!Elle danse tous les soirs. »

Il y a des amitiés de cœur et de sentiment.Il y a des amitiés de relations et d'occasions.Ces dernières, amitiés de société, dépendentdes circonstances, naissent et meurent avecelles.

Fièvre. Un vaste marécage aux eaux som-bres s'étend indéfiniment. Il est couvert, aulieu de nénufars, de chauves-souris, leursailes membraneuses à plat sur la surface, leur

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petite tête aux oreilles pointues, vaguementphosphorescentes, et qui émerge.

On a reproché aux Horaces de Corneille, soncinquième acte, l'acte des « plaidoiries », maisil est admirable, cet acte oratoire! Après laRome guerrière, politique, familiale, héroïque,c'est toute la Rome des grands codes, la Romedu Droit et de l'Eloquence qui parle en cesublime débat, en des vers qui ont moins l'aird'avoir été écrits que gravés sur une tabled'airain.

Des grands ensembles de Wagner où lescuivres se déchirent, clament, s'élève, ascen-sionnelle, une mystérieuse et glorieuse brumed'or.

Il y a un certain goût de solitude qui a pourfondement la vanité. Par regret de ne pas sesentir apprécié à la valeur qu'on se croit, onse masque de mépris pour ceux qui se refu-sent à ce que nous voudrions d'eux.

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Il y a des gens engourdis, aux répartiesbrusques et aux ripostes inattendues qui ontl'esprit « en saut de carpe ».

Les gens du monde se réunissent moins pourgoûter le plaisir d'être ensemble que pour s'enrépartir l'ennui.

Les femmes ne se souviennent guère quedes hommes qui les ont fait rire et les hommesque des femmes qui les ont fait pleurer.

Quand la tendresse se mêle au désir, l'a-mour a presque la douceur de l'amitié.

Elle dit de lui « Il ne vous regarde enface que quand il ment. »

Les feux de l'amour laissent parfois unecendre d'amitié.

J'étais couché en rêve dans une sorte depirogue; je descendais un fleuve aux berges

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tantôt resserrées, tantôt s'éloignant à perte devue, et ce fleuve traversait des plaines dé-sertes, des forêts solitaires, un pays très loin-tain, un pays inconnu, un pays du pays dessonges. Parfois je trempais mes mains dansl'eau pour y cueillir des fleurs ou des feuillesflottantes, et j'étais comme le Roi de tout cesilence infini.

C'est un homme de fer, mais il est arti-culé.

La Joconde est le portrait d'une femme dontla première jeunesse est passée, mais qui enconserve, dans son visage d'à présent, l'ancienregard et l'ancien sourire.

Elle disait de X. « Il a des trous dansl'esprit », et elle ajoutait « Et, dans ces trous,on ne sait pas trop ce qu'il y a. »

Il y a des jardins de rêverie et de sentimentet des jardins de raisonnement.

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Elle a quelque chose de nerveux, d'inquiet,de haletant. Elle entre, s'assied, et elle respirecomme si elle venait de très loin.

Mallarmé se comparait à quelqu'un qui,parmi le coudoiement d'une foule, irait, por-tant à la main un verre plein d'une eau pré-cieuse et se garderait perpétuellement de larépandre.

La musique est faite des bruits de la natureet des soupirs de l'âme.

De J. convive volontiers silencieux, quis'intéressait plus à la cuisine qu'à la causerie,elle disait « Il mange bien, mais il dîne mal. »

La beauté rend les femmes à peu près égalesentre elles.

0 musique, grotte mystérieuse où réson-nent les échos de toutes les voix de la vie!

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Il y a un âge où l'on ne peut plus plaire,mais où l'on peut encore être aimé.

Il y a, chez Rivarol, une imagination dansle style, que n'a jamais Chamfort. Parfois Ri-varol « mallarmise ».

M"' D. « Quelle belle situation mondaineelle aurait si elle avait su renoncer à la ca-lomnie et s'en tenir à la médisance! »

Une des beautés du dialogue de Shakes-peare, c'est qu'il dépasse la situation qu'ilexprime. Il est écrit, pour ainsi dire, sur unedouble portée. La voix y a son écho. La penséeses harmoniques. Il se dégage, de sa réalité,des vibrations supérieures, une évaporationd'images: De là un plaisir dramatique et aussilyrique et philosophique dont le jeu se pour-suit, successif, superposé.

Il disait « Je n'ai jamais trouvé B. trèsméchant. Il est vrai que je ne l'ai jamais en-tendu parler que de gens qu'il n'aimait pas. »

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Le réveil est triste comme le retour dans unemaison abandonnée. Ce n'est que vers le soirque le feu flambe et qu'on a chaud en soi.

Il y a un grand livre que nous n'écrivonsjamais et qui pourrait s'intituler Forcesperdues.

« Donnez un sou, m'a-t-elle dit, à un en-fant, il ne le jettera jamais, comme il feraitd'un autre objet. »

Elle disait de son stupide mari en montrantses deux enfants « Voilà tout ce que j'ai puen tirer. »

Ce qui doit nous rendre indulgents auxmauvais procédés d'autrui, c'est qu'il n'en estguère dont nous ne soyons capables enverslui.

Il n'y a peut-être ni bons, ni méchants, maisseulement des êtres qui ont l'occasion d'êtreméchants ou bons.

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Si l'on veut observer dans la vie le respectque l'on doit à ses maîtres, l'amitié que l'ondoit à ses amis, ne pas trahir ses affections,ne pas avilir ses plus beaux souvenirs, il fautse résoudre à n'être pas toujours « amusant ».

La timidité est une contraction de la sensi-bilité, une crampe de l'esprit.

L'Allégorie du Printem ps, de Botticelli, aquelque chose de si factice en sa grâce, desi théâtral en son décor, de si « costumé » enses personnages qu'elle semble bien être unsouvenir de quelque fête de cour médicéennepastorale, comédie, ballet, analogue à ces pho-tographies « en groupe » que font faire, denos jours, les amateurs de théâtre, à l'issue dela représentation où ils ont figuré. De là, autableau célèbre, son aspect scénique, son airde déguisement, l'incohérence de sa composi-tion, le convenu de ses attitudes.

Mallarmé me parlait de la conversation deThéophile Gautier, cette conversation dont le

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Qui donc a dit « Le mauve est le rose desfemmes laides. »

Entendu. « Il la trompait, ce qui ne faitjamais plaisir à une femme, même quand ellele sait. »

De Mme A. et de B. « Ils ont été brouilléspendant quinze ans. Rien ne lie davantage. »

Avec sa figure au profil incurvé et tranchant,son corps courbé, elle a l'air d'une faucille quimarche.

« On ne connaît, disait-il, la femme qu'onaime que lorsqu'on ne l'aime plus. » Et ilajoutait « Si on la connaissait, l'aimerait-on ? »

Il y a des probités qui ne sont que l'artificed'une ambition.

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Quelqu'un disait de X. c C'est un géniesans intérêt. >

L'argent donne tout ce qui semble auxautres le bonheur.

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A LA MÉMOIRE DE MA MERE

THÉRÈSE- A DELA /DE A D/i/ENAE

DE RÉGNIER

NÉE DU BARD DE CURLEY

Paray-le-Monial, le 8 janvier 1836Paris, le 21 juin 1924

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Puisque j'ai parlé de Bouchu, il faut que« j'achève l'étrange singularité qu'il« donna en spectacle, autant qu'un homme de« son état en peut donner. C'était un homme« qui avait une figure fort aimable et dont« l'esprit, qui l'était encore plus, le demeura« toujours. Il en avait beaucoup et facile au« travail et fertile en expédients. Il avait été« intendant de l'armée de Dauphiné, de Sa-« voie et d'Italie, toute l'autre guerre et celle-« ci. Il s'y était enrichi; homme d'ailleurs fort« galant et de très bonne compagnie. Lui et« sa femme, qui était Rouillé, sœur de la der-

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« nière duchesse de Richelieu et de la femme« de Bullion, se passaient très bien l'un de« l'autre. Elle était toujours demeurée à Paris,« où il était peu touché de la venir rejoindre,« et peu ilatté d'aller à des bureaux et au« conseil, après avoir passé tant d'années« dans un emploi plus brillant et plus amu-« sant. Néanmoins, il n'avait pu résister à la« nécessité d'un retour honnête qu'il avait« mieux aimé demander que se laisser rap-«peler. Il partit pour ce retour le plus tard« qu'il lui fut possible ot s'achemina aux plus« petites journées qu'il put. Passant à Paray,« terre des abbés de Cluni aSse2 près de cette« abbaye, il y séjourna. Pour abréger il y de-« meura deux mois dans l'hôteliorie. Je nesais quel démon l'y fixa, mais il y acheta Une« place et, sans sortir du lieu, il s'y bâtit une« maison, s'y accommoda un jardin, s'y établit« et n'en sortit jamais depuis, en sorte qu'il y& passa plusieurs années et y mourut sans« qu'il eût été possible à ses amis ni à sa« famille de l'eii tirer. Il ri'y avait, ni dans le

« voisinage, aucun bien que cette maison qu'il« s'y était bâtie; il n'y connaissait personne,« ni là autour auparavant. Il y vécut avec

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« les gens du lieu et du pays, et faisant très« bonne chère, comme un simple bourgeois« de Paray. »

Ainsi s'exprime et s'étend, en la partie de

ses Mémoires qui traite de l'année 1705, M. leduc de Saint-Simon, sur le compte de Etienne-Jean Bouchu, marquis de Lessart, baron deLoisy et de Pont-de-Vesle, dont la fille uniqueElisabeth-Claudine-Pétronille épousa, le 13avril 1706, René de Froulay, comte de Tessé,lieutenant-général, Grand d'Espagne, fils aînédu maréchal de ce nom. Le Chesnaye desBois, dans son Dictionnaire généalogique,nous apprend qu'Etienne-Jean Bouchu mou-rut le 5 décembre 1715 et qu'il portait pourarmoiries d'azur au chevron d'or, accom-pagné en chef de deux croissants d'or et enpointe d'un lion de même.

Cette mention de Saint-Simon, cette noticede La Chesnaye des Bois, et même mon goûtpour les « étranges singularités » n'auraientpas suffi à fixer mon attention sur cet Etienne-Jean Bouchu, si ce personnage n'eût choisipour y finir ses jours « en simple bourgeois »

la petite ville de Paray qui n'est autre queParay-le-Monial, en Charollais et dont je ne

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lis jamais le nom sans que s'éveillent en mamémoire maints souvenirs de famille et dejeunesse sur lesquels j'aime toujours à reve-nir, si m'y ramène Quelque occasion qui meles rende plus vivement présents. C'est pour-quoi, l'autre jour, en retrouvant dans Saint-Simon la page où est relatée « l'étrange sin-gularité » de l'intendant Bouchu, je n'ai purésister à l'attrait d'évoquer en quelques pagesla curieuse petite cité bourguignonne où lesieur Bouchu donna le spectacle que l'on sait,où Cluny eut un de ses plus importants mo-nastères, où les Filles de la Visitation, deSainte Chantal, fondèrent un de leurs pluscélèbres couvents, le Paray-le-Monial du Sa-cré-Cœur, la petite ville où j'ai vécu quelquepeu en de lointaines années, où en des annéesplus lointaines encore sont nés plusieurs desmiens, où quelques-uns d'entre eux reposent.

Montons sur la colline qui est leur dernierséjour terrestre. On y parvient par une route

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assez raide qui, dépassées les pauvres maisonsd'un faubourg assez semblable à une rue devillage, se continue en pente caillouteuse. Enla gravissant, on rencontre tantôt un charattelé de bœufs, le joug aux cornes et dont leconducteur rustique pique de l'aiguillon les

croupes boueuses, tantôt quelque carriolepaysanne ou citadine. On y croise parfoisaussi une chèvre rongeant les feuilles d'unehaie, une bande d'oies boitillantes que gardequelque fillette tricoteuse, un gamin condui-sant ses cochons, une femme, la hotte au dos

ou le panier au bras, qui vous salue d'unbonjour en passant, une pauvresse qui tendla main, mais bientôt on est devant une grilles'ouvrant dans un mur bas qui enclôt quelquesarbres, des tombes et une petite chapelle entredes cyprès.

Il ressemble à tous les cimetières, ce cime-tière de Paray, au haut de sa colline, à l'écartparmi les champs à travers lesquels continuela route qui vous a mené jusque-là. Toutela campagne alentour est aussi silencieuse quelui et participe à son repos. Il y a là destombes très anciennes, d'autres plus récentes,quelques-unes d'hier. Ce n'est pas vers cclîes-là.

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que je vais. J'en cherche que le temps a déjàtouchées. Les vieilles pierres moussues sontd'une pensive et douce mélancolie. Les nomsqu'elles portent s'effacent à demi. Certainessont devenues anonymes. Enfin j'ai retrouvécelles qui m'attirent, une à une, car elles sontdisséminées. Chacune de leurs inscriptionsévoque pour moi un souvenir. Des images seforment dans ma mémoire. Des figures m'ap-paraissent. J'écoute des voix tues depuis delongues années.. De ceux qui gisent sous cesdalles, j'en ai accompagné quelques-uns à leurdernière demeure et, derrière leur cercueil,j'ai gravi la route pierreuse, mais d'eux je neveux pas parler maintenant; je suis venu seu-lement Jes saluer. Plus tard, je dirai ce queje sais de ce qu'ils furent. Aujourd'hui, j'aivoulu voir si tout est -en bon ordre et si rienn'a change autour d'eux. Non, tout y est tou-jours tranquillement funèbre. La grille grincetoujours quand on la pousse. L'antique cha-pelle est toujours debout.

Elle est très ancienne, cette petite chapelledu cimetière de Paray, et elle marque un lieuvénérable. Une tradition ne veufelle pasqu'elle repose sur les vestiges du « templum

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santiquissimum » auprès duquel les moines deLambert, comte de Chalon, construisirent enl'an 973 le monastère de l'Orval? C'est surcette colline qui domine Paray que fut trans-porté, avec force miracles, le corps de SaintGrat, treizième évêque de Chalon. Les moinesde l'Orval quittèrent bientôt la colline et des-cendirent vers la vallée, vers la « Vallis au-rea » où s'éleva le nouveau monastère, avecson église qui fut bénie en 1004 par Hugues,abbé de Cluni. Mais avant de descendre, nousaussi, vers la vallée et la rivière, vers la Bour-hince, « ad Burbuntium amnem », commedisent les vieux textes, donnons un regard àla petite ville que fut le « Paredum monacho-

rum » de jadis et qui est aujourd'hui Paray-le-Monial.

Elle est à nos pieds et je la vois toute d'ici.Sur elle mon regard s'étend. Il la parcourt.Voici ses maisons, ses ruelles, ses places, sestoits de tuiles ou d'ardoises, ses jardins. J'aper-çois son mail qu'on appelle le Cours, avec sestilleuls et ses bancs de pierre, la Bourbincequi la traverse de ses deux bras sous un doublepont, son champ de foire qui jouxte le vastepré communal qu'on nomme le Pâquier, sa

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magnifique avenue de platanes séculaires, sagare, ses faubourgs dont l'un borde un canal,le canal du Centre, qui s'enfonce à l'horizon

avec ses files de peupliers. C'est bien le Parayde ma jeunesse, la petite ville monacale. Voicile clocher de l'hôpital; la grosse tour de l'an-cienne église Saint-Nicolas, le clocheton de lachapelle de la Visitation, celui de l'oratoiredes Dames du Saint-Sacrement, celui du cou-vent des Dames de la Retraite, car Paray estdemeuré ville de couvents. Les Jésuites yeurent un établissement, les Clarisses uncloître, mais la gloire et la beauté de Paray,c'est Eon église clunisienne, sa magnifique basi-lique romane, avec son haut clocher et sesdeux antiques tours, avec son cloître et sanoble demeure abbatiale, son prieuré aux sé-vères lignes Louis-quator.iiennes, et la grossetour qui subsiste encore de ce que l'on nom-mait le Château de Paray et qu'un sixain dutemps déclarait « de noblesse bien entouré ».

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Paray-le-Monial attire deux sortes de visi-teurs quelques touristes et des pèlerins.Si les pèlerins vont droit à la chapelle de laVisitation où l'on vénère dans sa châsse laBienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, lestouristes, eux, se dirigent vers la basiliqueclunisienne. Elle est la merveille et l'orgueilde la petite cité dont l'histoire est liée à cellede l'illustre abbaye de Cluni. Comme je l'aidit déjà, ce fut Cluni qui fonda le monastèrede l'Orval et le réunit à ses destinées. Depuislors, l'Orval fut une filiale de la puissantecongrégation bénédictine. Les abbés de Clunifirent du monastère de l'Orval une de leursrésidences favorites et ce fut du monastèreque naquit la ville. Paray mérite donc vrai-ment' d'être appelé « Le Monial ». Commele monastère, Paray a son histoire (1).

Avant d'en parcourir les fastes locaux, en-

(1) Pour cette histoire, j'ai consulté utilement l'ou-vrage fort intéressant de M. Quarré de Vernenil LeComté de Chalnn, le Charollais et la Ville de Parag-le-Monial. 1 vol. Mâcon, 1876.

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trons un instant dans son antique sanctuaire.Il s'élève au bord de Ja rivière de Bourbince

qu'endigue un petit quai planté de peupliers etde tilleuls en quinconces et dresse ses deuxvieilles tours romanes, un peu dissemblables,mais du même caractère architectural et quiprécèdent un narthex ou porche extérieur..C'est la partie la plus ancienne de l'église,celle qui fut bénie en l'an 1004. La tour degauche, dite tour du « moine Garre », ne futpourvue de son étage supérieur que vers la findu xi° siècle. De ce narthex on pénètre dansl'église monacale. Elle fut commencée en 1087,

par saint Hugues. Gonzan, leligieux de Cluni,

en traça les premiers plans, et elle fut conti-nuée par le maître moine Hézelin. La cons-truction se termina vers la fin du XIIe siècle.Elle est une copie réduite de Cluni. Sonprieuré en dépendait et fut plus tard réuni àla mense abbatiale. L'abbé de Cluni devinttitulaire du Prieuré de Paray et seigneur dela ville. Il déléguait son autorité à un Prieurclaustral et Paray fut érigé en décanat. Le pre-mier prieur, au temps du comte Hugues, futAndrajd, Sur la liste de ses successeurs, je re-lève un Gérard de Cypierre, un Jean de

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Pouilly en1 1306, un Hehfi d'Anglure en 1312,

un Philibert de Damas en 1400, un Jean déDiè en 1444, tin Jacques d'Amboise, eh 1508.

Eh 1768; j'y vois un ChateduVert.Nous voici maintenant dans l'église béné-

dictine. Elle est en forme de croix latine àtrois nefs; formant déambulatoire. Trois cha-pelles absidialeS en hémicycle entourent lechœur. L'aspect du lieu est noble et vaste, bienéclairé. Les colonnes s'ornerit de chapiteauxouvragés. La voûte forme à l'inter-trànseptune coupole soutenant un clocher octogonalque termine une flèche. Tout Cela est d'unesobre et forte beauté romane. La branchegauche de la croix contient la chapelle desfonts baptismaux, la droite, la chapelle dela Vierge, d'un1 gothique flamboyant du xviesiècle. Là, une porte donne accès au cloître età l'ancien palais abbatial construit au xvneet dont là façade regarde la rivière de Bour-bince. Nous l'examinerons tout à l'heure;maintenant retraversons l'église et sortons parsa porte de gauche. Nous voici sur une petiteplace où aboutit une rue. Suivons-la. Elle nousconduira en quelques pas à la chapelle ducouvent de la Visitation.

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J'ai dit que si la Basilique romane de Parayattirait les touristes, la chapelle de la Visita-tion était le point où affluaient les pèlerins.Elle est d'humble mine, cette chapelle, et sonhumble façade est dépourvue d'ornements.Une porte étroite ouvre sur la nef unique dumodeste édifice. L'intérieur de la chapelle dela Visitation est sombre. La lueur de nom-breuses lampes suspendues y laisse subsisterune demi-obscurité. Les murs disparaissentsous des bannières d'ex-voto et sous d'innom-brables cœurs-de-Jésus d'argent ou de vermeildisposés en guirlandes et en rosaces. Sous l'au-tel repose le corps de la Bienheureuse Margue-rite-Marie Alacoque. Ses restes sont enfermésdans une grande poupée de cire, revêtue del'habit monacal. Elle porte sur la poitrine l'efli-gie du Sacré-Cœur. Partout des images de lavision miraculeuse, de l'Apparition dans lebosquet de noisetiers. Cette étroite chapelle

avec ses lampes et ses cierges allumés, ses ors,ses soies, donne une impression de mystère etde mysticité. Je l'ai vue jadis, au temps desgrands pèlerinages, bondée d'une foule com-pacte, exaltée et soumise, sur laquelle pla-naient en psalmodie monotone les voix des

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religieuses Visitandines chantant derrière lagrille qui les séparait des assistants, car ellesfont vœu de perpétuelle clôture. J'entends en-core dans mon souvenir ces voix pures ethautes, leur mélopée liturgique, tandis qu'auxjours où la chapelle à peu près déserte appar-tenait au silence de la prière et du recueille-ment, résonnait sur les dalles le pas empressé,discret et serviable des tourières et des sa-cristines.

Elles seules étaient affranchies de la stricteclaustration qui est la règle de leur ordre. Onsait sa fondation par sainte Jeanne de Chantalet par saint François de Sales. Ce fut le 4 sep-tembre 1626 que la Mère Marguerite-ElisabethGauzion amena du couvent de Bellecour, à

Lyon, cinq religieuses dans la maison de Pa-ray. A cette époque, l'ordre de la Visitationcomptait déjà 25 maisons. Quelques pieusesfilles de Paray ayant témoigné le désir deservir Dieu dans ce nouvel institut s'adressè-rent à la marquise de la Magdelaine de Ragny,Hippolyte de Gondi, épouse de Léonor de laMagdelaine de Ragny, lieutenant général augouvernement du comté de Charollais. Cettehonorable dame, affligée du déplorable état

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de la religion à Paray où les huguenots nemanquaient pas, avait, en 1617, avec l'assis-tance de son fil.s, Claude, évêque d'Autun,fondé dans son propre hôtel un collège dontelle avait confié la direction à trois pères jé-suites. Ce fut à côté de ce collège que s'installale couvent de la Visitation de Marie dans unemaison située « entre la tour et le collège,joignant la grande rue appelée des Forges quiva jusqu'aux murailles de ladite ville, ensem-ble la tour appelée Quarré ». Le contrat devente fut passé le 26 juillet 1626, entre la mèreMarie-Anne de Blonay, supérieure de la Visi-tation de Bellecour de Lyon, et Jean Bouillet,seigneur de Saint-Léger, et Pierre Quarré, sei-

gneur de la Palus, mais bientôt ce local devintinsuffisant. En 1630, le couvent de Paray ren-fermait trente-trois professes. La seconde su-périeure, Anne-Eléonore de Lingendes, échan-gea la maison contre celle occupée par lesJésuites et ajouta à la nouvelle résidencedes cours un vaste jardin, afin que les reli-gieuses « pussent se maintenir en santé ». Lamême année 1630, la mère de Lingendes signaavec un maçon de Paray, Antoine Guillemin,un marché pour la construction d'une cha-

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pelle « avec le chœur et deux sacristies ». C'estcelle qui existe encore actuellement, commesubsistent aussi les bâtiments conventuels. Ilsont gardé leur aspect d'autrefois. Leur hautmur, percé de rares ouveitures grillées, bordela rue qui s'appelle maintenant la rue de laVisitation. Une haute muraille enferme encorel'enclos des jardins. Au centre se dresse lebosquet de noisetiers qui fut le lieu des appa-ritions.

Elles favorisèrent une humble fille, Marie-Marguerite Alacoque, née le 22 juillet 1647,

au hameau du Terreau, sur la paroisse de Ve-

rosvres. Elle entra au couvent en 1671 et ymourut le 17 octobre 1690. Elle y eut pourdirecteur le Père de la Colombière, que luidonna la supérieure, la Mère de Saumaise. LaColombière décéda à Paray en « opinion desainteté ». Un couvent d'Ursulines venu d'Au-tun avec sa Supérieure, Antoinette de Tou-longeon, en 1644, et un hospice fondé en 1684complétaient les institutions religieuses duvieux Paray.

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Car c'est une très vieille petite ville queParay-le-Monial. Dès le xne siècle, elle porteson nom « Paredum moniale ou « mona-chorum ». Elle a pour Seigneurs les abbés deCluni. Son prieuré ne relève pas des comtesde Chalon, pour les attributions judiciaires.En 1335 des Lettres Royales, émanées de Phi-lippe VI de Valois, déclarent que Paray nerelève que du Roi de France et est exemptde toute juridiction des Ducs de Bourgogne etdes Comtes de Charollais. En 1390, lors de !aréunion du Comté de Charollais au Duché deBourgogne, les droits judiciaires du Roi sontréservés. Le Charollais est régi par ses Etatsparticuliers. Ravagé par les Ecorcheurs en1418, lorsqu'en 1419, après l'assassinat de Jeansans Peur, le Dauphin se dispose à envahirla Bourgogne, Paray lève une compagnie de80 hommes d'armes pour la défense du Cha-rollais et reçoit 20 écuyers et un certain nom-bre de gens de trait. En 1422, le Duc Philippele Bon y traite d'une suspension d'armes. Dix

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ans plus tard, le Duc donne le Charollais àson fils Charles le Téméraire. En 1483, leComté de Charollais est réuni à la Couronnede France. En 1490, le traité de Senlis, quimettait le Charollais aux mains de Maximiliend'Autriche, réservait les droits royaux. Maxi-milien mort, Charles-Quint empereur, Fran-çois Ier vaincu à Pavie et prisonnier à Madrid,le Comté de Charollais est dévolu à la Maisond'Autriche. A l'abdication de Charles-Quint,en 1556, Henri II rentre en possession de sesdroits royaux. Par le traité de Cateau-Cam-brésis, les officiers royaux sont rétablis dansleurs charges, mais la cession du Comté deCharollais à l'Espagne est maintenue; cepen-dant Paray, dont l'abbé de Cluni est Seigneur,ne relèvera que du Bailli du Roi de France.

Cette petite cité de moines était devenue laretraite de prédilection des abbés de Cluni.Les chefs de la puissante communauté béné-dictine aimaient à venir se reposer des souciset des labeurs de leur charge sur les bordspaisibles de la Bourbince, au milieu des prai-ries et des forêts silencieuses. Or, il convenaitque l'abbé de Cluni, haut et puissant seigneur,trouvât dans l'enceinte de son prieuré favori

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une résidence digne de sa grande situationféodale. La construction du palais abbatialfut donc commencée en 1480 par Jean deBourbon, le fils du prisonnier d'Azincourt. Lagrosse tour ronde qui se voit encore derrièrele cloître en dépendait. Le successeur de Jeande Bourbon, Jacques d'Amboise, ancien prieurde Paray, acheva l'édifice. De la grande cuvede pierre à ses armes, qui était probablementla vasque d'un jet d'eau du jardin, on a faitun bénitier de l'église. Le palais fut achevé en1546, année où Jacques d'Amboise y mourut.

Des constructions de cette époque, Paraypossède deux autres édifices intéressants, savieille maison Jayet et son église Saint-Ni-colas. J'emprunte l'histoire de la maison Jayetaux Souvenirs de Bourgogne d'Emile Mon-tégut « Dans les premières années duxvie siècle vivaient à Paray deux frères du nomde Jayet, marchands drapiers de leur profes-sion. L'un des frères était catholique fervent,l'autre huguenot enragé; c'est assez dire qu'ilss'exécraient fraternellement et n'avaient pasde plus doux passe-temps que de se jouer demauvais tours. « Je veux avoir la plus bellemaison de la ville, se dit un jour le huguenot

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tenté par le diable de l'orgueil, et non seule-ment de la ville, mais de tout le Charollaiset on viendra voir de loin la maison deM. Jayet. Quelques-uns en crèveront de dépit,mais ce sera tant mieux, car j'ai entendu direqu'il vaut mieux faire envie que pitié. » Etincontinent il se mit à faire bâtir un bijou dela Renaissance, tout brillant d'arabesques etde fines sculptures, avec des figures de cheva-liers et des emblèmes féodaux au premierétage, avec des médaillons à l'italienne ausecond; puis cela fait, il signa l'œuvre de sonportrait sculpté et de celui de sa femme, quise présentent à l'intérieur, dès l'entrée mêmedu vestibule, comme pour souhaiter la bien-venue aux visiteurs. La femme est une bour-geoise qui aurait mérité de passer pour joliedans toute condition; le mari est un bourgeoisà l'air goguenard, visiblement bon vivant etporteur d'un grand nez, bossué par le milieuet qui le fait ressembler à une parodie respec-tueuse de François Ier. « Ah! c'est comme cela,dit à son tour le catholique; eh bien! moi, jeferai mieux je vais bâtir, non pas une mai-son, mais une église; je la placerai devant lamaison de mon frère et cette église lui enlè-

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vera l'air et la lumière, l'écrasera et l'étein-dra. » II fit comme le lui suggérait sa haine,et un énorme édifice, dédié à saint Nicolas,

masqua pendant trois siècles la maison de sonfrère. »

Cette maison Pierre Jayet, appelée vulgaire-ment la Maison des Poupons, existe encore etParay en a fait son hôtel de ville. Quant àl'église Saint-Nicolas, commencée en 1531, ellefut démolie en partie pour dégager la maisonJayet. Il n'en reste que la façade et la gra-cieuse tourelle datée de 1658. Sa grosse tour,qui servait de clocher et subsiste, est de 1628.

La maison Jayet et l'église Saint-Nicolastémoignent que la Réforme comptait desadeptes à Paray avant même le milieu duxvie siècle. Dès son apparition en France, laRéforme avait recruté des partisans dans lepays de Charollais. Paray en contenait un bonnombre, puisqu'en 1562 ils livrèrent la ville auchef calviniste Ferdinand de Saint-Aubin. Leséglises furent pillées. La châsse de saint Gratfut détruite. On vendit à l'encan les dépouillesdu Prieuré. La ville resta plusieurs annéesaux mains des Calvinistes. En 1570, nouveauxpillages. Les bandes du Prince Casimir de

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Deux-Ponts occupent Paray, Anzy-le-Duc,Marcigny. En 1581, le maire Claude Bouilletest tué en défendant Paray. L'année suivante,Jean Bouillet, également maire, rachète de

ses deniers la ville du pillage dont la menaçaitColigny, à la tête de quatre mille hommes. Ala mort de Henri III, les partisans du Béar-nais s'emparent de Paray que reprennent lesLigueurs. Jean de Foudras, nommé gouver-neur, défait les Religionnaires à Digoin. Enfinl'Edit de Nantes mit fin aux luttes religieuses.

Les Huguenots eurent à Paray un templeprès de la Porte du Poirier, que desservit quel-que temps le fameux pasteur Dumoulin. Théo-dore de Bèze séjourna à Paray. Parmi lesfamilles calvinistes de Paray, je relève celledes Gravier. Esaye Gravier, avocat au Parle-ment, fut échevin de Paray en 1651. A la révo-cation de 1685, plusieurs membres de cettefamille émigrèrent en Suisse. D'autres abju-rèrent. Du mariage de Philibert Gravier avecRose Perrault descendait Jean Gravier, mar-quis de Vergennes, baron de Thenard, prési-dent à la Chambre des Comptes de Bourgogne,ambassadeur en Suisse, en Portugal et à Ve-nise, et aussi Charles Gravier, comte de Ver-

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gennes et de Toulongeon, baron d'Uchon etde Saint-Eugène, ambassadeur à Constanti-nople en 1751, en Suède en 1771 et ministredes Affaires étrangères en 1774.

Un arrêt du Conseil Royal du 5 mai 1683

nomma Abbé Commandataire de Cluni Em-manuel-Théodose de la Tour d'Auvergne,troisième fils de Frédéric-Maurice, Duc deBouillon, Comte d'Auvergne et d'Evreux, frèreede Turenne. Emmanuel-Théodose était né le24 août 1644. Cardinal le 1er août 1665, il avaitété nommé en 1671 Grand Aumônier deFrance. A l'Abbaye de Cluni il joignait cellesde Saint-Ouen de Rouen, de Saint-Vaastd'Arras, de Saint-Martin de Pontoise, de Saint-Pierre de Beaujeu. Il prit part à cinq con-claves. Pour le grand jubilé de 1700, il ouvritla Porte Sainte. Doyen du Sacré-Collège,évêque d'Ostie et de Velletri par la mort duCardinal Cibo, il fut aussi grand Doyen deLiège et Prévôt de Strasbourg. Très en faveurauprès du Roi à cause de son oncle M. de Tu-

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renne, il était un des premiers de la Cour parlui-même, par ses charges, par ses alliances,mais un si haut état et de si hautes fonctionsétaient-ils à la taille du personnage? Deman-dons-le à Saint-Simon.

Il est, à plusieurs reprises, question du Car-dinal de Bouillon dans les Mémoires du Ducet il lui est un magnifique sujet de diatribe etde portrait. Il faut lire les âpres pages oitSaint-Simon rapporte les entreprises, les in-trigues du Cardinal, ses prétentions, son écla-tante désobéissance, sa chute, sa disgrâce, saretraite, son insolente escapade, le scandaleuxesclandre de son orgueil, son exil, son refugeà Rome, sa mort. Saint-Simon voit en Bouillonun faussaire, un intrigant, et devant tant defolie et de superbe, il s'indigne et s'étonne.Ses tentatives de princerie, son arrogance à seprétendre couvrir devant le Pape, sa désobéis-sance au Roi, sa soumission à tout ce qu'ilportait en lui d'intraitable, quel spectacle pourun Saint-Simon et cette pourpre insolente etbasse à la fois, et ces menées et ces fourberies,et ces dégoûts, et ces disputes avec les moinesde Cluni, ces liaisons, ces cabales cardinaliceset familiales! > >

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Et il s'écrie, en ce style qui a des éloquencesde sermon et des virulences de pamphlet« Le Cardinal de Bouillon vivait dans la plusbrillante et la plus magnifique splendeur. Laconsidération, les distinctions, la faveur laplus marquée éclataient en tout. Il se permet-tait toute chose et le Roi souffrait tout d'unCardinal. Nul homme si heureux pour cemonde s'il avait bien voulu se contenter d'unbonheur aussi accompli; mais il l'était troppour pouvoir monter plus haut, et le Cardinalde Bouillon, accoutumé par le rang accordé àsa maison aux usurpations et aux chimères,croyait reculer quand il n'avançait pas. Etles phrases de la féroce oraison funèbre seprécipitent et s'accumulent, lorsque le Cardi-nal, outré de l'affront que lui a valu l'affairede la.« calotte », en meurt de dépit, car, nousdit le Duc, « il en tomba malade de rage etde rage il en mourut en cinq ou six jours »,chose étrange pour un homme si familiariséavec la rage et qui en vivait depuis plusieursannées!

Et ce n'est pas tout. Après le coup de bâtonet le coup de poignard, le coup de pinceau. Atraits forcenés, le portrait s'esquisse, se colore,

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se dresse, prend vie « Le Cardinal de Bouil-lon était un homme fort maigre, brun, degrandeur ordinaire, de taille aisée et bienprise. Son visage n'aurait eu rien de marqués'il avait eu les yeux comme un autre; maisoutre qu'ils étaient fort près du nez, ils leregardaient tous deux à la fois jusqu'à fairecroire qu'ils s'y voulaient joindre. Cette lou-cherie, qui était continuelle, faisait peur et luidonnait une physionomie hideuse. Il portaitdes habits gris doublés de rouge, avec desboutons d'or d'orfèvrerie à pointes d'assezbeaux diamants; jamais vêtu comme un autre,et toujours d'invention, pour se donner unedistinction. Il avait de l'esprit, mais confus,savait peu, mais fort l'air et les manières dugrand monde, ouvert, accueillant, poli d'ordi-naire, mais tout cela était mêlé de tant d'airde supériorité qu'on était blessé même de sespolitesses. On n'était pas moins importuné de

son infatigable attention au rang qu'il préten-dait jusqu'à la minutie, à primer dans la con-versation, à la ramener toujours à soi ou auxsiens avec la plus dégoûtante vanité. Lesbesoins le rendaient souple jusqu'au plus basvaletage. Il n'avait d'amis que pour les domi-

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ner et se les sacrifier. Son luxe fut continuelet prodigieux en tout; son faste le plus re-cherché. Ses mœurs étaient infâmes. Peud'hommes distingués se sont déshonorés aussicomplètement que celui-là, et sur autant dechapitres les plus importants. On peut direde lui qu'il ne put être surpassé en orgueil quepar Lucifer, auquel il sacrifia tout comme àla seule divinité. »

Le voyez-vous maintenant, le déchu et leréprouvé, tombé de si haut sous les traits desfoudres royales, le révolté en rébellion à lasuite de l'affaire de la coadjutorerie de Stras-bourg et de son rappel de Rome, le disgraciéprivé de sa charge de grand Aumônier deFrance, le voyez-vous, subissant dans sonabbaye de Cluni son exil enragé? Mais Clunin'est pas loin de Paray et c'est à Paray qu'ilréside de préférence pendant cinq années. Il

y agrandit et y embellit le palais prioral. Ilfait bâtir pour les gens de sa suite une maison

que l'on nomme encore la Maison des pages.Au sommet de la grosse tour ronde du châ-teau, il fait placer ses armes parlantes unetour en fonte, qui probablement servait degirouette. Dans une des salles il fait peindre

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une fresque représentant le Concile de 1700où, sous sa présidence, fut élu le Pape Clé-ment XI. Sur une toile, un artiste romain,Locatelli, retraça l'ouverture du Jubilé de1700 qui eut lieu présidé par le Cardinal. LaRévolution détruisit ces ouvrages. Ce fut elleaussi qui sans doute arracha au palais prioralla belle plaque de foyer portant les armoiriesdu Cardinal et qui, chez ma grand'mère, ornaitl'âtre de la cuisine. Celles du palais prioralne devaient point être inactives, car la no-blesse des environs y fréquentait. Le Cardinalétait hospitalier. Ne rapporte-t-on pas qu'ilrecueillit et hébergea dans la tour ronde lecheval pie que montait Turenne lorsqu'il futtué à Salzbach? Paray compta alors des visi-teurs de marque, parmi lesquels Mm< de Sévignéet son cousin Coulanges. On a conservé deslettres de M. de Coulanges datées de Paray etécrites en 1705. M. de Coulanges trouve Parayun « lieu agréable »; il admire de « très ai-mables jardins, une terrasse toute pleine demérite et ces jets d'eau de trente-cinq piedsde haut, dont on ferait cas dans une maisonroyale ». D'ailleurs on ne vit pas là dans une« Thébaïde ». M. de Coulanges constate que

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l'on est « à cinq lieues tout au plus de biendes gens qui ont des noms et le bon Cou-langes rimaille

; Le noble château de ParayDe noblesse tout entouré;De noblesse plus ou moins richeDes Champron, d'Amanzé, Foudras,Des Ragny, Monpeyrou, La Guiche,De toutes sortes de Damas.

Parmi les Amanzé, les Foudras, les LaGuiche, les Damas qui rendent leurs devoirsau Cardinal exilé, il me semble voir s'empres-ser notre Jean-Etienne Bouchu, car c'est en1705 que Saint-Simon note que Bouchu quittason intendance du Dauphiné, et, sur le cheminde Paris, rencontra ce Paray, d'où il ne devaitplus sortir, durant les dix années qu'il vécut.Je remarque que cet arrêt et ce séjour de Bou-chu à Paray coïncident avec le temps d'exilqu'y passa le Cardinal de Bouillon, qui ne lerompit qu'en 1715. Il y a là peut-être une ex-plication partielle à la « singularité » de laprésence de Bouchu en cette petite ville où,

comme le dit Saint-Simon, rien ne le retenait.Je me plais à imaginer que Bouchu fut sou-vent l'hôte du palais prioral et qu'il dut fort

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blâmer le Cardinal quand celui-ci prit, enrupture de ban, la route de Hollande avant des'en aller mourir de rage à Rome; Bouchu,lui, demeura en son Paray à y vivre en simplebourgeois. Peut-être aimait-il à se promenerdans cette avenue de platanes que le Cardinalfit planter et qu'emprunta plus tard la route,créée en 1753, qui va de Digoin à Charolles enpassant par Paray. La Révolution épargna lesbeaux platanes du Cardinal. Elle se contentade brûler le cartulaire du Prieuré, d'abattrela flèche de l'église et de fermer le cloître. Lepalais abbatial fut heureusement respecté.C'est un bâtiment de beau style et de belleordonnance. La façade regarde la rivière deBourbince. Avec ses hautes fenêtres, ses bal-cons ouvragés, il a grande mine, mine prin-cière et de château. Presbytère et collège,il offre de vastes salles voûtées, fraîches etsonores. Avec l'admirable basilique romane, il

compose un bel ensemble ecclésiastique etseigneurial qui comprend encore un vasteenclos, dit l'Enclos des Chapelains, et enfermela grosse tour ronde où mourut La Pie, cecheval de Turenne que le Cardinal enfourchapour en faire l'hippogriffe de ses chimères,

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le coursier d'orgueil et de rébellion qui leporta si haut au ciel de ses ambitions et qui,dans sa chute, lui brisa les reins.

Quittons des yeux le Palais abbatial etallons nous accouder au parapet du petit murqui borde le cours de la Bourbince au flot ca-pricieux, tantôt abondant, tantôt réduit à unsimple filet d'eau. Une vieille carte du Baillagede Charollais en 1708 nous la montre prenantsa source aux confins nord du Baillage, nonloin du village de Saint-Eusèbe-des-Bois. Len-tement, elle atteint Paray, cette Bourbince, etrejoint l'Arroux qui se jette dans la Loire àDigoin. Devant le Palais abbatial, une digue laretient ou la laisse passer, selon son débit. Ellecoule entre de minces peupliers en fuseaux;mais prenons le chemin qui contourne l'enclosabbatial et que l'on appelle Le Tour desMoines. Un haut mur le borde, derrière lequels'étend le jardin du couvent de la Visitationet bientôt nous débouchons sur une rue pavée.C'est la Grand'Rue, celle qui traverse Parayde part en part sous des noms divers. Où noussommes, elle aboutit à l'avenue des platanesqui est la promenade favorite de la ville. Lesplatanes du Cardinal, plus de deux fois cente-

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naires, sont magnifiques. Ils dressent leurstroncs énormes et leur feuillage monumental.Ces vieux arbres sont admirables en leur vi-gueur séculaire, avec leurs écorces tachetéeset écailleuses qui tombent en larges plaques,pareilles à des enveloppes de momies. Ilsalignent leur double file majestueuse jusqu'aupoint où l'avenue bifurque en deux routes quise rejoignent, l'une, celle de gauche, « lavieille », après une montée assez rude; l'autre,celle de droite, « la nouvelle », après avoircontourné le flanc du coteau par une courbed'où l'on a une vue assez étendue sur les prai-ries et les labours qu'arrose la Bourbince et

que coupe, d'un trait d'eau rectiligne, le canaldu Centre. Au loin, quelques bois, des fermeset, au bout de l'horizon bleuâtre et modéré,les monts du Beaujolais. Au raccord des deuxroutes, se détache un sentier rustique quimène à la petite chapelle de Notre-Dame deRomay, avec sa Vierge miraculeuse et sa fon-taine guérisseuse. En continuant nous pour-rions atteindre soit le château de Cypierre quiappartint aux Caulaincourt, soit le châteaude Lugny qui appartint aux Lévis, maisrevenons sur nos pas et i entrons dans Paray.

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Il s'y présente quelques maisons de bonneapparence, car Paray est « bien habité ». Dessfamilles que citaient les versiculets de M. deCoulanges, aucune n'y est plus représentée,mais on en trouve encore de bonne noblesseet de riche bourgeoisie. Leurs demeures etleurs noms furent familiers à ma jeunesse.Depuis lors, certaines sont éteintes et certainesont disparu, mais n'est-ce pas dans le Parayd'il y a un demi-siècle que je me promèneavec vous?

En ce temps-là, cette grande maison, àdroite, en descendant l'avenue des Platanes,un peu à l'écart dans son parc, appartenaitaux Quarré de Verneuil. Celle-là, la première,à droite, dans la Grand'Rue, aux Maublanc deChiseuil. A côté, celles des Mallard de Sor-main et des Mallard de Sermaize. Plus loinhabitaient les Varenard de Billy, les Perrin deDaron, les Vial d'Alais, les Gillet de Chalonge,les Bouillet de la Faye. En d'autres quartiers,les familles de Finance, de Saint-Maurice, deBréchard, de Menthon d'Aviernoz, de BarruelSaint-Pons, de Villette. Elles n'avaient pasgrand style, ces demeures qui, parfois, se com-plétaient d'un jardin. Je pourrais vous y faire

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pénétrer, mais vous n'y verriez rien de biencurieux, sinon le décor d'existences aisées,dignes, tranquilles, le plus souvent pieuses ethéréditairement provinciales. Des figures d'au-trefois nous y accueilleraient. Vous vous as-soiriez en des salons sobrement meublés. Vousy entendriez des propos de petite ville, de reli-gion ou de politique, tandis qu'au dehors letambour de la raairie annoncerait quelqueobjet perdu, quelque vente aux enchères, quel-que arrivée de forains et que, dans le ciel,sonneraient les cloches appelant les fidèles auxVêpres ou au Salut.

Au lieu donc de nous enfermer dans cepassé, continuons notre promenade par lesFossés en passant devant l'Hôpital et saluonsau passage une vieille tour, reste de l'enceintefortifiée du vieux Paray. Prenons cette étroiteruelle. Nous voici sur une des deux places dela ville. Celle-ci se nomme la Place Dargaud;l'autre s'appelle la Place du Marché. Une troi-sième, qui est plutôt une esplanade, sert dechamp de foire. C'est le long de ce champ defoire que s'étend le Cours. Il suit le tracé desanciens remparts. Il est planté d'antiques til-leuls, pourvu de bancs de pierre et encadré

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de parapets de pierre, où sont, de loin en loin,pratiquées des ouvertures. Un certain nombrede maiso-ns ont sur ce Cours des terrasses, desentrées, des vues. Le Cours est un endroit gé-néralement désert, sauf aux jours de foire oùil s'encombre de boutiques en plein vent,tandis que le bétail occupe l'esplanade et l'a-nime du mugissement des bœufs, du meugle-ment des veaux, du bêlement des moutons etdu cri diabolique des cochons. Au bout duCours on tourne dans la rue du Périer, étroiteet commerçante, puis on traverse la Bourbincesur un double pont. Auprès de l'un d'eux, larivière fait mouvoir la roue d'un moulin.Ensuite c'est l'avenue de la Gare, le pont duCanal, la gare avec sa marchande de livres etde journaux, ses omnibus d'hôtels de l'Hôteldu Lion-d'Or, de YHôtel des Trois-Pigeons, del'Hôtel de la Poste, son jardinet où jaillit,parmi de maigres arbustes, un mince jet d'eau.

Cette gare, ces rues tranquilles, ce Cours, cesplatanes, l'église clunisienne, la chapelle de la

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Visitation, toute cette petite ville, endormieauprès de sa lente Bourbince, cette solitaire oùles passants sont rares, je l'ai vue, en de loin-taines années, débordante d'une foule enthou-siaste et recueillie, vibrante de prières et decantiques, regorgeante de pèlerins venus detous les coins de France, entassés dans leshôtels, logeant ou ils pouvaient, campant dansl'église, dormant en pleine rue, la nuque aurebord des trottoirs. C'était, après la guerrede 70, au temps des grands pèlerinages duSacré-Cœur. La France vaincue adorait dansles plaies divines l'image de ses propres bles-sures et implorait au pied des autels la gué-rison de ses maux. L'antique dévotion auSacré-Cœur de Jésus avait repris un élan pro-digieux. Les « trains de pèlerins se succé-daient. En longues files, le scapulaire au cou,le « Cœur épinglé au corsage ou au veston,pèlerins et pèlerines se formaient en proces-sions, guidés par leur clergé. Les cierges allu-més brûlaient aux mains pieuses. Des brasconvaincus haussaient de lourdes bannières.Les voix entonnaient le cantique SauvezRome et la France. Cardinaux, archevêques,évêques, prélats convoyaient le cortège vers le

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Sanctuaire. Peu de malades, car les miraclesmanquaient. Paray n'avait pas, comme Lour-des, sa piscine de guérison. A la tête de laprocession, parmi le haut clergé, on voyaits'avancer un homme qui boitait un peu, à lafigure énergique et martiale qu'allongeait unebarbiche grise. C'était le commandant des

zouaves pontificaux, le général Baron Atha-nase de Charette, l'héroïque et glorieux soldatde Loigny et de Patay, portant la bannièreque ses zouaves avaient tachée de leur sangdont les gouttes rougissaient encore la blancheétoffe. Aux offices, ce magnifique insigne s'in-clinait devant l'ostensoir. Le général de Cha-rette exerçait un prestige inouï et jouissaitd'une sorte de popularité sacrée. Il distribuaiten souvenir de petites broches en forme deglaive qui portaient la devise In hoc signovinces. On m'obtint le don d'un de ces bijoux.Je l'ai toujours conservé. Quand je le regarde,je revois la prestance du général, le sang desa bannière héroïque; j'entends le piétinementdes pèlerins, le chant des cantiques. Je revoisla flamme des cierges, l'or des crosses et desmitres épiscopales; je revois toute la pieuserumeur qu'apportait dans Paray la sorte de

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chouannerie religieuse que formait cette foule,aux cœurs épinglés, où se confondaient hom-mes et femmes de tout rang et qui s'écoulaitdans un bourdonnement de psaumes récités,en remplissant de sa rumeur liturgique etpopulaire cette petite ville soudain tumul-tueuse qui, le flot passé et les foules détour-nées vers Lourdes, est retombée au silence età la visite des piétés individuelles et n'a con-servé des saintes cohues qui s'y pressèrentpendant un temps que quelques boutiques oùl'on vend des images du Sacré-Cœur et desfeuilles du noisetier de l'Apparition, cette pe-tite ville qui sommeille doucement, au mur-mure de ses platanes, à l'ombre de sa basiliqueromane et de son prieuré, parmi ses grassesprairies et ses beaux labours, dans le calmede son passé monacal.

J'ai dit qu'il y a deux places à Paray l'unela place Dargaud; l'autre la Place du Marché.Elles sont séparées par un groupe de maisonset diffèrent en ce que la Place du Marché est

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commerçante et que la Place Dargaud ne l'estpoint. Sur la Place du Marché se tient natu-rellement le marché. On y voit aussi plusieursboutiques celles du drapier et du mercier, ducoiffeur et du ferblantier. Il y a aussi un café.La seule maison privée de la place est unemaison en pierre qui a deux étages avec troisfenêtres en façade par étage. C'est là qu'ha-bitaient mon grand-père et ma grand'mèrematernels. Cette maison avait pour voisinela maison Villedey, qui empiétait un peu surla Place Dargaud. Sur cette Place Dargaud,dans une autre maison, aussi à deux étages età trois fenêtres par étage, habitait mon arrière-grand'mère. Après sa mort, un frère de mongrand-père l'occupa, puis elle passa à l'un de

mes oncles et enfin à ses filles. Chacune de cesmaisons était pourvue d'un jardin; celui dela maison de la Place Dargaud qui était,

comme je l'ai dit, à ma bisaïeule, Mme de Guil-lermin, se trouvait dans le faubourg de l'Hô-pital. Il était assez grand, carré, entouré dehauts murs, et n'avait de remarquable qu'unplant de magnifiques framboisiers.

A ce jardin je préférais de beaucoup celuide la maison de la Place du Marché, de la mai-

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son Curley, comme on l'appelait, du nom demes grands-parents. Il était situé, ce jardin,au delà du Cours, entre le champ de foire etune vaste prairie le Pâquier, qui est un biencommunal et s'étend jusqu'à la Bourbince. Cejardin non plus n'avait rien de particulier.Son long rectangle était divisé en carrés auxallées bordées de fraisiers. Enclos par un murtrop bas, il n'était guère à l'abri des marau-deurs. Ses poiriers, ses pruniers, ses pêchersen espaliers étaient souvent dévastés. A peuprès au milieu du jardin s'élevaient un noi-setier et un mûrier. A leur ombre s'abritaitun banc. Non loin de là se trouvait un réser-voir où l'on descendait par un certain nombrede marches et d'où une pompe amenait l'eaudans une cuve de pierre que l'on appelait la

« bachasse ». A l'un des bouts du jardin s'éle-vait un pavillon où l'on conservait des grainesde semences et des outils de jardinage. Un desattraits de ce jardin consistait en d'innom-brables lézards et une grosse tortue que l'onapercevait parfois traînant sa carapace parmiles salades. Souvent, après le déjeuner, « onallait au jardin ». Ma grand'mère, ma mère,mes tantes y cousaient sous le noisetier. J'y

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jeune homme qui sentait se former ses pre-miers sentiments et ses premiers rêves.

La première figure familiale qui se présenteà ma mémoire est celle de mon arrière-grand'mère maternelle, Mme de Guillermin, que l'onappelait « grand'maman Justine ». Elle étaitla fille de M. de Sermizelles, commandeur del'ordre de Saint-Louis, et d'une demoiselleBizouard de Montille. Elle avait épousé en 1809

mon bisaïeul, Alphonse de Guillermin, fils deJean-Baptiste-Alphonse de Guillermin, Capi-taine de Cavalerie, et de Madeleine Chevalierdes Raviers. Ces Chevalier étaient originairesdu Bois-Sainte-Marie. Un membre de cettefamille avait été Curé de Paray au milieu duxvin8 siècle. Un autre, Jean Chevalier des Ra-viers, brigadier aux Gardes du Corps du Roien 1788, était mort à Paray en 1814. Les Guil-lermin, eux, étaient venus d'Avignon dans leLyonnais et le Maçonnais, puis s'étaient éta-blis à Paray. L'un d'eux, Antoine de Guiller-min, Seigneur de Monpinay, avait eu de sa

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femme, Marie-Cuncgonde de Foudras, un fils,Antoine-Hilaire, Lieutenant-Colonel d'Infan-terie, Comte de Courcenay par érection decette terre en comté, en janvier 1772. Il avaitépousé, le 8 mars 1769, Antoinette-Delphinede Busseul, d'une très ancienne maison duCharollais remontant à Hugues de Busseul qui,en 1040, souscrivit une donation faite à l'Ab-baye de Cluni. Une fille de François-Gabrielde Busseul, Comte de Saint-Sernin, mariée en1659 à Antoine Le Prêtre de Vauban, Lieute-nant-général et grand-croix de Saint-Louis, luiapporta en dot les terres de Saint-Sernin etde Boyer qui furent érigées par le roi Louis XV

en comté sous le nom de Vauban. Un Antoine-Léonard, Comte de Busseul, Lieutenant-Colo-nel du Royal Cavalerie, dont le fils Louis-Antoine, Lieutenant général et Commandeurde Saint-Louis, mourut à Paray en 1851, figureparmi les gentilshommes qui assistèrent, le20 mars 1789, à l'assemblée du Baillage duCharollais pour l'élection des députés auxEtats-Généraux, en même temps qu'un Guil-laume-Alexandre de Guillermin, Seigneur deSaint-Romain; mais de tous les Guillermin,aucun n'excita plus mon imagination d'enfant

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fixé un tour de faux cheveux qui encadraitses joues par deux papillotes en boudin. Ellene quittait jamais ce chapeau et le gardaitmême au bain, les brides relevées et attachéesà la nuque. Elle avait le visage coloré, le nezlong, les yeux éteints par l'âge. Elle avait étéfort joueuse et surtout au reversi. Elle conti-nuait à faire d'interminables parties de cartesavec une voisine qui se nommait Mme Bouthieret qu'elle appelait « ma mie ». J'assistais par-fois à leur jeu, plein d'admiration pour lesjetons blancs, rouges et verts. « Grand'mamanJustine » ne s'interrompait que pour rajusterses lunettes sur son nez bourré de tabac,prendre une prise à sa tabatière ou, dans unepetite bonbonnière en écaille ornée d'étoilesd'or, m'offrir des pastilles de chocolat. Lorsqueje venais voir ma bisaïeule, je ne quittaisguère ce salon. Ce ne fut que plus tard queje parcourus le reste de la maison. Un été,avant qu'elle fût habitée de nouveau, après lamort de « grand'maman Justine », je passaisde longues heures à rôder dans ses pièces àdemi-démeublées. J'y avais découvert un Jésusen cire, sous un globe, une épée d'officier et,

sur un rayon, les œuvres complètes du Car-

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dinal de la Luzerne, plus un petit pot de fardde Portugal. « Grand'maman Justine » avaittout pour devenir centenaire et si, de peu, ellemanqua de vivre son siècle, ce fut par acci-dent. Chaque soir après dîner, elle avait l'ha-bitude de venir passer la soirée chez sa fille. Al'heure du départ, « grand'maman Justine »frappait avec ses mains et s'écriait: « Mariette,ma lanterne! » Mariette apportait la lanterneet les deux vieilles regagnaient le logis. Unsoir de vent, « grand'maman Justine » tombaet se fractura le col du fémur. Elle vécut en-core quelque temps et s'éteignit doucement.Elle repose au cimetière de Paray, à côté de

son mari qui l'y avait précédée depuis long-temps déjà.

Il était né en 1780 et c'était, m'a-t-on conté,

un singulier personnage que mon bisaïeul Al-phonse de Guillermin. C'était ce qu'on appelleun fieffé original. Grand chasseur, il était aussilecteur intrépide, sachant l'espagnol et l'ita-lien. J'ai même retrouvé quelques petits versde sa façon. Ils ne sont pas fameux, mais saconversation était, paraît-il, des plus bril-lantes. Il était éloquent, spirituel, caustique,mais d'une incroyable sauvagerie, fuyant le

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monde et tout le monde. Quand on le voulaitvoir, il fallait le surprendre et pénétrer parruse dans sa maison, sans quoi il s'esquivait

au coup de sonnette. Saisi à l'improviste, il serésignait et se montrait le plus aimable parte-naire qui fût. Il adorait la politique et le

prouva dans sa dernière maladie. A l'agonie,il s'imaginait à la tribune de la Chambre etprononça un discours admirable. Je n'ai delui aucun portrait.

De leur mariage M. et Mme de Guillerminn'eurent qu'une fille, Marie-Madeleine-Octa-vie, ma grand'mère, qui épousa Alexandre-Philibert-Joseph du Bard de Curley. Dans unpetit essai intitulé Les trois fils de Madame deChasans et qui fait partie de mon volume deProses datées, j'ai dit d'où venaient et cequ'étaient ces du Bard, qui portèrent les nomsde Curley, Ternant et Chasans, ce dernier leurétant échu avec la terre de Chasans apportéeen dot à un du Bard, en 1662, par sa femme,Marie de Saumaise de Chasans. Je ne revien-drai donc pas sur ces détails de famille. J'ajou-terai seulement que ce ne fut qu'après 1830

que mon grand-père Alexandre de Curley vint,de Beaune, s'établir à Paray, ayant démission-

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né, lors de la Révolution de Juillet, de sa placede Receveur des Contributions directes. Cettedémission montre que mon grand-père étaitlégitimiste. Il le demeura jusqu'à la fin. Il con-servait, précieusement encadrée, une feuillede papier portant la signature de Monseigneurle Comte de Chambord. Elle était placée dansle salon, sous un grand et assez curieux por-trait de l'érudit Claude de Saumaise, dit leDocte, attribué à Philippe de Champagne, quiétait, avec celui du Sieur Nicolas Barrault,maire d'Autun en 1703, le principal ornementde ce salon dont le seul meuble de prix étaitune assez belle commode Louis XVI en boisdoré.

D'ailleurs pas plus que par son mobiliern'était remarquable par son architecture lamaison que mes grands-parents habitaient àParay. Elle était sans caractère, quoique an-cienne. Elle avait été acquise d'une certaineMme de Macheco et présentait la commoditéd'avoir double entrée, l'une sur la Place duMarché, l'autre sur le Cours. Elle était assezvaste et comprenait même, à côté de la cuisine,une remise qui abritait une antique berline deyoyage. Cette cuisine, avec la petite pièce

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qu'on appelait « la bassie », était le domainede la vieille Françoise, type admirable desservantes d'autrefois. Mais cette maison, jel'ai décrite fort exactement dans une nou-velle Les Jours heureux qui figure parmicelles du Trèfle blanc, dans le volume qui apour titre Couleur du temps. Ce qui est assezrare dans mes écrits, presque rien de ce petitouvrage n'est imaginé (1). Presque tout y estréel jusqu'à l'épisode de vie enfantine qui enforme le sujet. J'y renvoie donc le lecteur.Il y trouvera un portrait assez ressemblant de

mon grand-père Curley ou du moins l'imageque j'ai gardée de lui. De tout ce que j'en aipu apprendre par la suite, mon grand-pèreétait un homme bon et sévère, très droit, unpeu dur, entêté, de physionomie grave. Sesfilles l'adoraient. Une chute l'avait rendu pres-que impotent. Il marchait avec une extrêmedifficulté et ne quittait guère son fauteuil. Sonhiver se passait presque entièrement au coindu feu, où il se chauffait ainsi que les cou-

(1) Sans qu'il en soit tout à fait de même du petitroman intitulé Les Vacances d'un jeune homme sage, jereconnais y avoir utilisé des impressions personnelles etavoir donné comme cadre à mon récit une petite villequi, je l'avoue, ressemble un peu à Paray-le-Monial.

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leuvres qu'il s'amusait à élever. Les cartesétaient sa principale distraction. Les silencesdu whist convenaient à son caractère taci-turne. Chaque jour, on « venait jouer » chezlui et il s'y tenait un petit cercle d'amis, caril était fort considéré, malgré certaines brus-queries et certaines colères. Je le revois dansson fauteuil, avec de beaux yeux sous d'épaissourcils, une forte barbe grise, un teint jaune,parfois debout pour une brève et pénible pro-menade au jardin, puis, enfin, à ses derniersjours, face de souffrance creusée, dans l'om-bre d'un lit à rideaux et le front entouré d'unmadras à ramages.

C'est dans cette chambre, qu'elle occupaaprès la mort de mon grand-père, que je re-trouve le mieux ma grand'mère. Les êtresnous imposent un certain décor qui devient lecadre nécessaire du souvenir que nous con-servons d'eux. C'est devant sa table à jeu queje revois le mieux « grand'maman Justine »;c'est dans son fauteuil de valétudinaire, lesmains croisées sur la béquille de sa canne, queje revois le plus nettement mon grand-pèreCurley. Ma grand'mère n'est pour moi bienelle-même que dans cette chambre, où elle se

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tenait volontiers. Elle y faisait ses comptes etses dévotions. Elle y recevait ses deux fer-miers, les jours de foire. Elle s'y enfermait,les jours d'orage, volets clos et cierges allumés.Elle y récitait ses prières et y égrenait sonchapelet devant les images de piété qu'ellevénérait. Un beau vieux secrétaire lui servaità ranger ses papiers. Son lit était placé dansune alcôve. A la chambre était joint un petitcabinet de débarras, contenant quelques livres.C'est là que j'ai trouvé le Traité d'hydrauliquede M. de Belidor, dont les planches faisaientmes délices autant que celles du Traité d'ar-chitecture de Blondel, dont je possède encoreles dix volumes reliés en veau. Ma grand'mèrene quittait guère sa chambre que pour allerau salon recevoir ses visites, mais elle aimaitencore mieux en faire qu'en recevoir; cesallées et venues tenaient une place importantedans sa vie, ainsi que l'assistance aux offices.De chez ses amies, ma grand'mère rapportaitles propos de la ville. L'une d'elles répondaitau prénom d'Isaure, que je trouvais bizarre etqui m'enchantait. Ces visites causaient à magrand'mère de grands plaisirs et de conti-nuelles anxiétés. Son souci le plus sincère était

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d'éviter la médisance en conversation et ellevivait dans la crainte de « manquer à la cha-rité », car elle était fort pieuse et extrêmementscrupuleuse. Les « scrupules de consciencel'empêchaient de goûter beaucoup de chosesqui l'eussent intéressée, car elle était solide-ment instruite et d'une remarquable intelli-gence. Elle tenait de son père, grand lecteuret homme d'esprit, qui lui avait fait donnerune bonne éducation, dans un pensionnat deParis, alors en renom, celui de M"" Daubrée.Cette personne était en relations avec Cha-teaubriand, qui ne dédaignait pas d'assisterparfois aux cours et d'examiner les meilleurescompositions françaises des jeunes élèves. Magrand'mère se souvenait d'avoir lu devant legrand homme un devoir de sa façon qui avaitpour sujet la description d'un feu d'artifice, etque M. de Chateaubriand avait daigné appré-cier. Malgré ce souvenir, ma grand'mère neme vit pas sans appréhension aborder la car-rière des Lettres. Mes vers de jeune homme neressemblaient pas assez aux nobles pages deM. de Chateaubriand. Je crois cependant quema grand'mère m'aimait bien, mais elle étaitpeu expansive. Elle avait un visage régulier et

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expressif. De grosses papillotes grises rouléeslui descendaient le long des joues. Elle portaitUn bonnet de dentelles et j'entends encoredans le passé le bruit des aiguilles d'acier de

son tricot dont elle laissait fréquemmentéchapper les mailles. Malgré les réservesqu'elle y faisait, je sais qu'elle ne fut pas in-sensible à la bienveillante attention qui ac-cueillit mes débuts dans l'art des vers, maiselle eût préféré au fond d'elle-même que jem'en tinsse à l'art héraldique pour lequel monadolescence avait témoigné d'un goût singu-lier.

Ce goût m'avait été donné par une circons-tance de famille. A la mort de ma bisaïeule,M™ de Guillermin, le frère de mon grand-père Curley, l'oncle Jules, comme on l'appe-lait, avait acquis la maison de la Place Dar-gaud et était venu l'habiter. Il avait apportéavec lui son cabinet de généalogiste amateurin-folios de Moréri et du Père Anselme,recueils de d'Hozier, annuaires de la noblessede Borel d'Hauterive, Dictionnaires nobi-liaires de La Chesnaye des Bois et de Saint-Allais, armoriaux de toute espèce qui lui ser-vaient à composer une histoire de la maison

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de Saumaise qu'il publia et qui l'entraînait àde minutieuses recherches d'archives. J'étaistrop jeune pour le suivre dans les méandreset les labyrinthes des ascendances et des al-liances et j'étais alors moins généalogistequ'héraldiste. Inapte à dresser un « arbre »

avec toutes ses branches, je me contentais dela lecture, du dessin et du coloriage des bla-sons dont je formais de volumineux albums.Ce travail emportait l'assentiment de tous,car il me tenait de longues heures en compa-gnie de mes pinceaux, de mes godets, de mescouleurs et m'avait valu l'amitié de mon bononcle Jules.

L'oncle Jules avait deux enfants de sa pre-mière femme, une demoiselle Sousselier de laTour, une fille, et un fils qui fut le RévérendPère de Curley, de la Compagnie de Jésus,auteur de plusieurs ouvrages de théologie etd'histoire. Au-dessus d'un corps gigantesque,le Père de Curley dressait une tête glabre etsérieuse. L'oncle Jules ne le cédait guère enhauteur à son Jésuite. Très grand, très maigre,très courbé, chauve avec une longue figureencore allongée par une longue barbe grise enpointe, il portait d'interminables redingotes et

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phinoise de la très ancienne et très illustremaison des Sires de Pons (1). Ce comte de

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(1) Dans la généalogie qu'il a dressée de la maisonde Pons en Dauphiné, d'Hozier ne fait pas mention decette descendance. Le premier qu'il nomme est NobleFrançois Pons, vivant en 1468 à Saint-Martin-de-Quey-rière. Il eut pour arrière-petit-fils Michel Pons. Ce Michelse distingua à l'armée de l'empereur Charles-Quint, lorsdu siège de Vienne par Soliman, en octobre 1529. Il futblessé à l'assaut de la Porte de Carinthie. En récom-pense de sa valeur, l'Empereur lui donna pour armes« ad seternam virtutis memoriam deux lions d'or af-frontés, tenant un cœur au naturel avec leurs pattes dedevant et foulant avec leurs pattes de derrière un crois-sant d'or, au champ d'azur, chargé de trois étoiles d'or,avec pour devise Caute sed intrepide. Depuis, la maisonde Pons ajouta cet écusson à ses armoiries qui étaientEchiqueté d'argent et de sable.

Ce sont ces derniers qui se voient encore au coind'une vieille toile enfumée où Michel Pons est repré-senté à mi-corps. Il porte la cuirasse sur laquelle s'étaleun large rabat de dentelles. Son visage est sévère avecdes traits accentués, un teint halé, un visage de monta-gnard et de soldat qu'encadre une longue cheveluregrisonnante. Un autre portrait plus tardif, puisqu'il futpeint en 1669, nous montre Dame Claudine de Mares-chal de Laval d'Izère, femme de Claude d'Avrieux, Sei-gneur de la Tour-Forte des Villars, gentilhomme de laGarde de Prince de Piémont, dont la fille Françoise-Alexis d'Avrieux épousa par contrat du 19 novembre1690 noble Joseph de Pons, avocat du Roi au Baillage deBriançon. C'est une fort respectable dame que nousfait voir son portrait. Elle a le visage plein et coloré. Lacoiffure en boucles retombe en papillotes sur le cou qu'en-serre un cordon de grosses perles. Deux perles longueslui pendent aux oreilles. Un corsage noir bordé de den-telles découvre la gorge et les épaules.

Son petit-fils Louis-Bonaventure, Comte de Pons, nousoffre de lui une image plus plaisante sur un portrait

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Pons, né en 1771, avait servi tout d'abord aurégiment de Royal Infanterie, puis ayant émi-gré, il avait fait les campagnes de l'armée desPrinces dans les Chevaliers de la Couronne etles Chasseurs nobles du Berri. A son retour enFrance, en 1802, il avait épousé Paule-Marie-Delphine de Foudras, fille d'Antoine-Gilbertde Foudras d'Aurigny et de Anne-Mariede Mcnt-d'Or. Je possède un petit portraitau crayon de ce vieux brave qui, à la Res-tauration, avait été nommé gouverneur dela Citadelle de Mont-Dauphin, dont il fit en1830 le dernier point de France où flotta ledrapeau blanc, et j'ai aussi entre les mains uneminiature de sa femme. Elle n'est pas belle,malgré une coiffure bouclée et pomponnée.Elle porte une robe blanche à taille haute. Son

cou est enserré d'une collerette de tulle. A son

peint en 1787. C'est un aimable gentilhomme au visagefin et avisé sous une petite perruque ronde. Son habitmarron à parements bleus brodés d'argent ouvre sur ungilet de même étoffe. Il tient sous le bras son tricorne.Né en 1745, de Claude-Joseph de Pons et de MadeleineRoux de la Croix, il est Seigneur de la Bâtie et il aépousé par contrat du 13 juin 1767 Marie-Charlotte del'Argentière. Son frère François-Antoine a embrassé l'étatecclésiastique. Il est grand prieur des Chartreux. Levoici dans une bonne peinture du temps avec sa largeface paisible où il y a de la bonhomie et de l'esprit.

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toires dont il enchanta mon enfance et majeunesse. C'était un homme à la maigre figureénergique, d'allure militaire, très astiqué,violent et bon, querelleur et exalté, de cœurgénéreux et digne de celle qu'il avait épouséeet qui fut une des plus profondes et des plustendres affections de ma vie.

Cette sœur, sa sœur Mathilde, était lasœur préférée de ma mère dont le mariagesuivit d'assez près celui de son aînée. Ce fu-rent aussi des relations de famille qui unirentThérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard de Curleyet Henri-Charles de Régnier. Pour les expli-

quer, je suis obligé d'entrer dans des détailsde parenté un peu minutieux, mais auxquelsse prête complaisamment ma vieille passionde généalogiste. Mon grand-père Charles-François-Henri de Régnier avait épousé, le11 janvier 1816, Marie-Charlotte-Françoise-Jo-séphine de Léonardy, fille de Louis-Joseph deLéonardy, officier au régiment de Beaujolais,et de Claudine-Madeleine de Guillermin. Or,

ce Louis-Joseph de Léonardy avait eu pourpère Jacques-Joseph de Léonardy, Seigneur deMaleroux, Capitaine au régiment de Lowen-dahl, dont la fille Henriette-Charlotte avait

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épousé, le 30 novembre 1779, mon bisaïeulFrançois de Régnier, Seigneur de Vigneux etde Rocan, Capitaine au régiment de Royal-Dragons. De ces alliances résultait entre mamère et mon père un certain cousinage quiprovenait du mariage de Louis-Joseph de Léo-nardy avec Claudine-Madeleine de Guillermin,fille d'Antoine de Guillermin, Seigneur deNeusières, Capitaine au régiment de Provence-Infanterie. Ce mariage, dont j'ai sous les yeuxle contrat passé à Paray le 29 novembre 1784,

ne fut pas heureux. Les jeunes époux, quoiquedu même âge, étant tous deux nés en 1762, nes'accordèrent que médiocrement et ce mariaged'amour, car c'en était un, ne produisit qu'unassez mauvais ménage. Le brillant officier aurégiment de Beaujolais ne fut pas le modèledes époux. Le régiment de Beaujolais avait étéenvoyé à Paray pour contribuer au creuse-ment du canal du Centre. Au XVIIIe siècle, onemployait volontiers, en temps de paix, l'ar-mée à des travaux utiles. Tout en les surveil-lant, le jeune officier, introduit chez les Guil-lermin, faisait à Claudine-Madeleine une courassidue dont s'ensuivit le mariage et, juste unan après, le 29 décembre 1785, la naissance de

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la petite Marie-Françoise-Charlotte-Joséphinequi fut ma grand'mère et vécut jusqu'en 1847.

Quant à Louis-Joseph de Léonardy, la Révolu-tion le fit émigrer. Je ne sais trop ce qu'ildevint, sinon qu'ayant obtenu le divorce, il sefixa à Hambourg et s'y remaria. Il y étaitencore le 11 janvier 1816 lors du mariage de

sa fille avec mon grand-père. On dit qu'il ymenait vie de tripot, qu'un soir au jeu, surla mise d'une pincée de tabac, il gagna unmonceau de louis qu'il reperdit aussitôt. Ilétait connu là-bas sous le surnom du « BeauFrançais ». La miniature que je possède delui justifie ce sobriquet flatteur. Il y portel'uniforme blanc à parements et à revers cra-moisis du régiment de Beaujolais. Il est char-mant sous la poudre avec sa figure spirituelleet son air évaporé. Au dos du cadre, les lettresL et G, en cheveux, entrelacent leurs initialesconjugales, fallacieux emblème d'une unionque la Loi finit par rompre après que le cœurl'eut dénouée

Si le « beau Français » émigra, sa femme nele suivit pas en exil. Je crois qu'elle ne futpas inquiétée, quoique son mari eût assisté àla réunion de la Noblesse du Bailliage du Cha-

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rollais, le 20 mars 1789. L'ordre envoya auxEtats Généraux pour l'y représenter deuxdéputés dont l'un fut Etienne Meynaud deLavau, Capitaine dans Orléans-Dragons, quiavait épousé Marie-Jacobée-Sophie de Guiller-min, sœur de Claudine-Madeleine. Mme de Léo-nardy demeura donc à Paray. Elle y habitaitrue Dame-Dieu et ce fut, d'après ce que l'onm'a conté, une étrange personne. Elle était dehaute taille, l'air hommasse. Populacière etsarcastique, le verbe brusque et piquant, elleexcellait à donner des ridicules et à amuser.Elle était grande affubleuse de sobriquets.Toute la ville y passait. Elle qualifiait les gensde « guenon de nature » ou de « guenon dugenre humain », invectives dont le sens medemeure mystérieux. Un soir, elle arrive aubal, les mains écorchées. « Où vous êtes-vousfait cela? » lui demande-t-on. « En écaillantmon poisson. » Elle aimait la toilette et s'enfabriquait d'incroyables qu'elle portait fière-ment par les rues. Quand elle maria sa fille àmon grand-père, elle ne voulut jamais revenirde l'église en voiture. Elle rentra à pied, pourse faire admirer. On se souvenait encore d'unchapeau qu'elle avait eu; il était en carton,

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d'une forme de casserole, recouvert de papierd'argent et garni de plumes de paon. Elle sefardait violemment, sauf pendant la SemaineSainte et ne reprenait son rouge que le jour dePâques. Elle mourut très vieille, impotente,son lit placé sous l'escalier pour mieux voirqui entrait et sortait et, sous les draps, unbûton caché dont elle battait ses servantes, lesaccusant de lui voler sa cendre et de l'em-porter dans un cornet.

Mon père ne tenait rien de cet aïeul aventu-rier et roué et de cette terrible et baroquegrand'mère. Il avait une douceur de caractère,une égalité d'humeur que son père n'avait pasnon plus, car c'était un homme rude, autori-taire et hautain que mon grand-père Charles-François-Henri de Régnier, un homme del'ancien régime, un ci-devant. Les portraitsque j'ai de lui me le montrent déjà âgé, detaille moyenne, la tête forte et sévère, le nezaquilin, le front haut, les cheveux blancs, ton-dus de près, le visage soigneusement rasé.

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C'est ainsi qu'il m'apparaît dans mon souve-nir, car il ne mourut que le 9 août 1877. Ilétait né le 24 janvier 1789 au château de Ro-can, près de Sedan. Enfant, il avait suivi sonpère et sa mère en émigration et était rentréen France le 17 prairial an X. Le 10 germinalan XI il avait obtenu un certificat d'amnistie.En 1815, il avait suivi à Gand le Roi LouisXVIII et s'était enrôlé comme volontaire dansl'Armée Royale de Belgique sous les ordres duDuc de Berri, dont lui fut donné certificat le26 juillet 1816. Il était à cette époque sous-inspecteur des Douanes à Armentières. Il enfut par la suite directeur à Lorient et à Van-nes. Il avait été nommé chevalier 'de laLégion d'honneur par brevet du 18 mai 1826.Envers lui, mon père fut toujours le fils leplus respectueux et le plus soumis. Mon pèraaurait aimé être marin, mais sa mauvaise vuel'en empêcha. Dans sa jeunesse, les choses dela mer le passionnaient. A Lorient, à Vannes,il était réputé pour sa hardiesse. Naviguantdans la rade ou le golfe sur une petite barquede plaisance, il y fut plus d'une fois en péril,mais il dut cesser ses exploits nautiques pourentrer dans l'Administration des Douanes. En

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1855, il reçut un poste en Corse, à Bastia. Jepossède de lui, de ce temps-là, un cahier denotes écrites en caractères microscopiques,presque indéchiffrables, et rédigées, tantôt enanglais, tantôt en italien. Mon père savait trèsbien ces deux langues. Durant un voyaged'Italie, il séjourna à Rome. Ce fut à son re-tour qu'il épousa ma mère, Thérèse-Adélaïde-Adrienne du Bard de Curley, fille d'Alexan-dre du Bard de Curley et d'Octavie de Guil-lermin. Le mariage fut célébré à Paray le26 octobre 1857, ma mère avait 21 ans et monpère 37, lui, étant né à Bordeaux le 21 sep-tembre 1820, elle, à Paray le 8 janvier 1836.Après leur mariage, mes parents habitèrentsuccessivement à Saint-Laurent-du-Var, à Bor-deaux et à Honfleur où je suis né. D'Honfleur,mon père fut nommé en 1871 receveur desDouanes à Paris. Nous y arrivâmes au len-demain de la Commune. Dans la porte de lamaison où nous habitâmes quelque temps.boulevard Davout, on voyait encore le trourond creusé par la balle qui avait traverséle corps d'une « pétroleuse » qu'on avait fusil-lée là. Mon père était un homme doux et bon,

au beau visage clair et coloré, aux yeux très

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bleus. Sa barbe et ses cheveux étaient blancs,d'un blanc argenté, je l'ai toujours connu ainsi.Sa vie était ordonnée, simple, assez solitaire.Il fréquentait peu le monde, aimait la lecture,les longues promenades. Enfant, il m'emme-nait souvent aux environs de Paris, à Saint-Cloud, à Versailles, causant familièrementavec les gens. Modeste et réservé, il avait unecertaine méfiance de lui-même. Sa piété quiétait vive était indulgente et tolérante et l'aidaà supporter la longue maladie qui attrista lesdernières années de sa vie. Je lui garde, ainsiqu'à ma mère, une vive reconnaissance de labonté avec laquelle ils ont accueilli mon goûtpour les Lettres. Je leur dois les loisirs quim'ont permis mes premiers essais. Grâce àeux, j'ai pu devenir librement le peu que jesuis. Je leur ai témoigné de mon mieux, quoi-que bien faiblement, la gratitude que je leuren devais.

Ma mère avait plus de vivacité et de feudans l'esprit que mon père. Elle l'avait deBourgogne, alerte, piquant, très observateur,volontiers satirique. Elle aimait fort la sociétésans y sacrifier ses devoirs de famille et jegarde un souvenir profond de l'infinie ten-

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dresse qu'elle m'a toujours témoignée. J'ai eule bonheur de la garder auprès de moi jus-qu'au dernier jour de sa longue, lucide et vi-vante vieillesse. Sa perte est trop récente etje la ressens trop douloureusement pour quej'aie la force d'évoquer ici sa chère image.Tout ce que je puis dire, c'est que je lui doisbeaucoup de ces notes mémoriales. Ayantquitté Paray après son mariage, pendant long-temps elle y retournait presque chaque annéeet elle m'a conté beaucoup de choses que jeviens de rapporter. Sa mémoire d'octogénairerevenait volontiers à la petite ville natale etaux gens qu'elle y avait connus. Parmi cessouvenirs, il en était un qu'elle rappelait vti-lontiers.

Elle avait dix ou douze ans et se promenaitdans l'avenue des Platanes en compagnie deson amie Sarah de Champeaux et de M">e doChampeaux, sa mère. Comme elles s'en reve-naient, elles virent venir à elles un groupeformé de M. et de Mme Dargaud, accompagnésd'un grand monsieur maigre, coiffé d'un cha-peau gris et autour de qui sautillait unelevrette blanche. On s'arrêta et Mme Dargaudqui était belle parleuse dit au monsieur à cha-

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peau gris en lui désignant les deux fillettes« N'est-ce pas, Monsieur, que ce sont deuxbelles petites cariatides? » Ma mère avait tou-jours retenu ce mot de « cariatide », pour ellealors incompréhensible.

Et ce fut ainsi que ma mère fut présentée aM. Alphonse de Lamartine, en visite à Paray,chez son ami l'historien Dargaud.

Me voici de nouveau, en imagination, sousles grands platanes du Cardinal de Bouillon.Peut-être est-ce un de ces jours d'été où leurfeuillage laisse passer les rayons remuants dusoleil, peut-être est-ce un de ces jours d'au-tomne où leur écorce serpentine se détache deleurs troncs tachetés. J'aime ce promenoirombragé. On y est bien pour évoquer lesimages d'autrefois. Là je revois bien le Paraydu temps de ma jeunesse. Quels souvenirs ychoisirai-je? Le mariage des trois autres sœursde ma mère? Quelles figures y rappellerai-jeà ma pensée? Sera-ce le vieux M. Gaspard deVerneuil que je verrai passer sous ces arbres,

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faut rentrer. Les cloches sonnent. Il est tempsde regagner la vieille maison familiale de laPlace du Marché et de remonter dans lachambre que j'y ai occupée si souvent et dontla fenêtre s'ouvrait sur les beaux tilleuls duCours. On y dort bien dans le grand silenceprovincial. Demain je me lèverai tôt et j'iraifaire une promenade dans la campagne. Rienn'est apaisant comme de suivre le canal dontl'eau plate est bordée de peupliers et où leshaleurs mènent à la corde leurs grosses pé-niches goudronnées.

II n'y a pas grandes « curiosités » auxalentours de Paray. Cluni et les ruines de samagnifique abbaye est à une certaine distance.Charlieu n'est pas très proche, non plusqu'Anzy-le-Duc et son admirable église. Res-tent les châteaux des environs. Celui de Di-goine est fort considérable. De belles rangéesd'arbres y conduisent. Au bout d'une courpavée s'élèvent d'importants bâtiments qu'en-toure un beau parc. On y rencontrait alors,

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dans une petite voiture basse traînée par deschiens, le propriétaire, M. de Moreton de Cha-brillan. Cela ne s'oublie plus, de même quej'ai conservé l'ineffaçable souvenir d'une petitesalle de spectacle et, dans une sjrre, d'unenymphe en pierre de Tonnerre sculptée parClodion. Peut-être est-ce devant cette statueque j'ai pris le goût de l'art du, xvnr3 siècle?Mais c'est à Cypierre que j'ai, pour la pre-mière fois, senti le mystérieux attrait qui nem'a jamais quitté pour les maisons fermées etles jardins à l'abandon.

Ce château de Cypierre était à petite dis-tance de Paray. Pour y aller, on quittait laroute de Charolles après avoir traversé le ca-nal sur un pont de pierre. Un sentier cheminaitsous bois, dont une grosse pierre levée, qu'ilfallait enjamber, fermait l'entrée. Bientôt onarrivait en face du château. Je ne puis vousdire de quelle architecture il était, mais jeme souviens qu'une horloge y marquait uneheure qu'elle ne sonnait plus. Les bâtimentsde ferme et les communs étaient vides. L'herbepoussait partout et on éprouvait là une étrangeimpression de solitude. Une vieille femme sur-venue nous précéda de chambre en chambre,

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cimetière dont j'ai parlé au commencementde ces notes et dont la modeste chapelle, pre-mier sanctuaire des moines de l'Orval, fut bâtiesur les restes d'un temple païen, le « templumantiquissimum » des vieilles chroniques. C'estlà que je reviens souvent en pensée, au soirde ma vie, vers les chers disparus dont la mé-moire se mêle aux souvenirs de mes lointainesannées. De là je domine la tranquille petiteville de France à laquelle m'attachent tant deliens de famille, la petite ville que je voisgroupée sur les rives de sa Bourbince, avecses rues, ses places, ses maisons, ses jardins,autour de sa vénérable basilique clunisienne,le Paray-le-Monial de ma jeunesse, le Paray-le-Monial des Jours Heureux et des Vacancesd'un jeune homme sage, à qui j'offre ici cesimages de son passé.

Dimanche 2 août 1925, à minuit.

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TABLE DES MATIÈRES

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LUI OU LES FEMMES ET L'AMOUR

DEMI-VÉRITÉS 7

TROIS HÉROINES DE ROMAN

Emrna Bovary 33Madeleine de Nièvres 42La Sanseverina 44

DEUX AMIESNine 51Ismérie 55

BILLETS A LUCINDE 59

HISTOIRES DE FEMMES 79

DOUZE QUATRAINS D'ALMANACH 99

DONC.

DONC 105

PARAY-LE-MONIAL

PARAY-LE-MONIAL 157

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ACHE VE D'IMPRIMER

le 15 octobre mil neuf cent vingt-neut

A POITIERS

PAR

MARC TEXIERpour le

MERCVRE

DB

FRANCB

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L UI OU LES FEMMES ET L'AMOUR

SUIVI DEDONC.

ETde PARAY-LE-MONIAL

HENRI DE RÉGNIER

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