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Louis Massignon: Le cheikh inoubliable (1883-1962)Author(s): Vincent MonteilSource: Archives de sociologie des religions, 8e Année, No. 15 (Jan. - Jun., 1963), pp. 3-4Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30120214 .

Accessed: 14/06/2014 05:14

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In Memoriam

Louis MASSIGNON le cheikh inoubliable

883-I962)

E E 31 octobre 1962, dans l'apris-midi, quelques heures avant sa mort,

Louis Massignon dictait un article pour Arabica, sur ce Bagdad qu'il avait tant aimd et qui devait, plus tard, lui rendre publiquement hom- mage. Jusqu'au dernier moment, I'infatigable pilerin aura tenu le dilemme de son adolescence : ne plus penser, on penser indefiniment.

D'une vie aussi pleine, aussi riche, aussi (( donnie n, d'une personnalit5 drigde en pentacle - n'tait-il pas cinq fois homme : de science, de lettres, d'action, de ginie et de Dieu ? - je ne veux retenir ici que l'aspect intirieur de celui qui, pendant pros de trente ans, de 1926 & 1954, fut le Professeur, au College de France, de sociologie et sociographie musulmanes: le Cheikh inoubliable.

On se souvient de sa these monumentale (plus de mille pages), parue en 1922, sur La Passion d'Al-Hallaj, martyr mystique de l'Islm. II en prdparait une ddition nouvelle, dont huit chapitres sont achevis, et qu'Henri Laoust et Louis Gardet, ses amis, s'attacheront h faire paraitre. Son cdlkbre Essai sur l'origine du lexique technique de la mystique musulmane (1922) avait e'ti remanid en 1954.

Parmi les plus beaux textes du grand savant et du grand dcrivain, ceux qui concernent Al-Halldj conservent toujours la premitre place. C'est que Louis Massignon voyait un de ceux qu'il appelait ses (( intercesseurs )) dans la figure dramatique d'Al-Halldj au gibet, le 27 mars 922, dont la derni~re pritre avait privu la rdsurrection glorieuse :

(( Nous voici, Tes timoins, dans Ta splendeur si pure - notre cendre jetke aux vagues et aux vents. Mais la moindre etincelle de tout cet encens

drige au ciel le Temple que je transfigure ". Autre texte fondamental: Salmgn P~k et les primices spirituelles de

l'Islm iranien (1934). A propos de l'ami chritien du Prophite Muhammad, Louis Massignon formule une objection de base aux tenants de la critique historique nominaliste (et c'est un point capital, sur lequel il reviendra toute sa vie): : l'interpritation mythique, on mieux gnostique, d'une personnalite' ne substitue pas h un fait humain authentique un fantdme posthume et irriel, - elle exprime un besoin social d'explication totalitaire, une rdaction souvent presque immddiate, contemporaine du fait humain qui va la pro- voquer et la traduction paradoxale qu'elle en essaie n'est pas a priori illd- gitime ni irrecevable n.

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

De mdme, examinant les recits traditionnels de l'ordalie d'exicration rdciproque (mubdhala) proposde, en 632, par le Prophite, aux Chretiens du Nejrdn, Louis Massignon en de'dgage l'origine historique et dogmatique de l'hyperdulie de Fdtima Umm Abi-h& (<< Mere de son Pare >), constitude (( l'otage humain de l'affirmation de l'inaccessibilite divine n, face h Marie, <( hdtesse surhumaine de l'immanence divine

). II faut encore citer, au premier plan, l'admirable mdditation sur La

Citi des Morts au Caire (1958), oit l'on peut lire ces lignes: (( en Islam, il ne doit pas y avoir de culte des morts; I'enterrement rapide est fait par les hommes seuls, pas de solennitd, courtes pritres; I'ensevelissement sous un peu de terre sdche, au de'sert, avec quelques pierres-timoins, sans inscription, sans coupole. L'dme, siparde du corps, survit-elle, on ne doit-elle ressusciter qu'avec les cendres corporelles, & l'appel de la Trompette de l'Ange, aprts l'universelle destruction ? On ne salt. La transcendance du Dieu unique est jalouse )).

Le sommet est atteint avec les fulgurantes Trois Pribres d'Abraham, dont un rdsume, paru dans Dieu vivant, en 1949, ne saurait rendre la pro- fondeur et la beautd. Hilas, deux seulement de ces prikres ont itd achevees, celles sur Ismd'il et sur Sodome, mais elles ont etd tirees & un tres petit nombre d'exemplaires et remises, personnellement, & quelques amis de l'auteur. Tout en s'inclinant devant la volontde' de Louis Massignon, il est permis de regretter qu'un des plus grands textes de notre langue ne puisse &tre mis h la portde de tous (( ceux qui cherchent en gemissant ).

Ce sont l1, certes, ce que Louis Massignon appelait, lui-mime, (( per- cdes ), dans une ceuvre qui n'en est pas avare. Elles ont, avec d'autres aspects, plus proprement historiques ou sociologiques, ce point commun de reposer toujours sur une base scientifique hors de pair. Louis Massignon e'tait la probitd intellectuelle faite homme. Rien, estimait-il, ne devait &tre a/ffirmd sans preuve. II avait le culte des sources, de la rdfirence exacte, de la ( compo- sition du lieu ). Il citait, non seulement les documents, mais les lettres, les propos de ses innombrables correspondants. Ii voulait visiter les tombes de tous ceux dont il pouvait retrouver la trace.

On tiendra, particulibrement, & rappeler ici la mdmoire de celui qui fut directeur de la Revue du Monde musulman (dks 1924) et de la Revue des Etudes Islamiques (des 1927). Il m'avait fait l'honneur, en 1953, de me demander de reviser et de mettre h jour la dernidre e'dition de son Annuaire du M1onde musulman (fondi en 1923), qu'il m'a l1gud la lourde tdche de poursuivre.

C'est un ami de pros de vingt-cinq ans que je perds. Rien, ni personne, ne le remplacera jamais : tous ceux qui l'ont connu le savent bien. Au moins ai-je pu, I'an dernier, le persuader de

reunir ses textes les plus importants

(mise & part la thise), dans un recueil dont le titre, Parole donnie (1), rde'sume l'axe de sa vie, la courbe de sa destine'e, et son exemple.

Vincent MONTEIL.

Dakar, Pdques 1963.

(1) Paris, Julliard, 1962, 445 p.

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