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LA PRESSE DE LA MANCHE 5 euros - Hors-série ll était une fois le Cotentin Les histoires qui ont marqué la presqu’île

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LA PRESSEDE LA MANCHE

5 euros - Hors-série

ll était une fois

le CotentinLes histoires qui ont marqué la presqu’île

12 juillet 1346

Édouard III débarqueà la HougueArrivé à la pointe du Cotentin avec une arméede 32 000 hommes, le roi d'Angleterre dévastetoute la Normandie. Un été meurtrier qui s'achèveraà Crécy, en Picardie, par une cinglante défaite française.

Prise de Caen par les troupes d'Edouard III. Miniature du XVe siècle. © Bibliothèque Nationale de France.

Eclairage

Le désastrede l’Écluse

Le 24 juin 1340, devant la côteflamande, la flotte anglaise (250navires) rencontre son adversaire fran-çais (200 navires). Mieux organisés etcommandés, les Anglais taillent enpièces les marins français. La Norman-die est durement éprouvée dans cecombat puisqu'elle fournit les troisquarts de la flotte française, dont 25navires venus de Cherbourg, Barfleuret Saint-Vaast. Avec 20 000 morts côtéfrançais, la bataille de l’Écluse est laplus meurtrière de toute la Guerre de100 ans. Et elle permet aux Anglais des'approprier la mer de la Manche pen-dant les 30 années qui suivent, et dedébarquer à leur guise sur les côtesfrançaises.

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Mais pourquoi donc débar-quer dans le Cotentin ? La régionest proche de l'Angleterre.Hormis Cherbourg et sa place-forte, elle n'est pas défendue. Sarichesse doit permettre à l'arméeanglaise de se nourrir pendantde longues semaines. Des infor-mations précieuses que Godefroyd'Harcourt a glissé dans l'oreilled'Edouard III. Depuis un an,dépossédé de ses biens et bannipar le roi de France, le puissantseigneur de Saint-Sauveur-le-Vicomte est en effet parti enAngleterre pour offrir son épéeau roi d'Angleterre.

Surprise !Après six mois de préparation

pendant lesquels il a réuni, en-traîné et armé quelques 32 000hommes (pour l'époque, c'esténorme), Edouard III quitte Ports-mouth le 11 juillet. Sa flotte,composée de plusieurs centainesde navires, traverse la Mancheen une nuit. Le matin du 12 juil-let 1346, Edouard III suivi parson fils le prince de Galles(surnommé « Le prince noir »

à cause de la couleur de sonarmure) débarque sur les rivagesde la Hougue, à peine gênépar une défense française coura-geuse, mais vite submergée parle nombre. L'effet de surprise ajoué à plein : le roi de Francepensait en effet que les Anglaisdébarqueraient dans le Pas-de-Calais… et son armée est déjàoccupée en Aquitaine à guer-royer contre ces mêmes Anglais.

Les Normands, qui vivent enpaix et en sécurité depuis lerattachement de leur provinceau royaume de France en 1204,tombent de haut : la guerre estlà. Et elle est bien là ! CarÉdouard III entreprend aussitôtde ravager le pays. Évitant intel-ligemment de s'en prendre à laplace-forte de Cherbourg, lesAnglais incendient Saint-Vaast,Barfleur, pillent tout le Val deSaire pendant plusieurs jours.

Pas de quartiersLe 18 juillet, alors qu'à Paris,

Philippe VI vient tout juste d'êtremis au courant du débarque-ment des Anglais, ceux-ci lèvent

le camp de Morsalines et entre-prennent de descendre tout leCotentin en trois troupes dis-tinctes. Le long de la côte, leprince de Galles, au centreÉdouard III, et à l'ouest, Gode-froy d'Harcourt qui se rappellebrutalement au souvenir deshabitants de la région. Enl'espace de 5 jours, les Anglaisratissent méthodiquement toutle Cotentin, de Valognes jusqu'àTorigni, violant, tuant, pillant,brûlant. Valognes et Saint-Lô serendent sans combattre, tandisque Carentan tient deux joursavant de tomber. Rien n'arrêteles hommes d’Édouard III, sauf lesmarais et les rivières, rendusmomentanément infranchissa-bles par les Français qui démolis-sent les ponts (aux Ponts d'Ouveà Saint-Côme-du-Mont et à Pont-Hébert) que les pontonniersanglais s'empressent ensuite dereconstruire.

Puis les troupes anglaisesbifurquent en direction du Bessinet de Caen. Là encore, pas dequartiers : Caen - sauf le châteauqui résiste - est prise à la fin juil-let au prix de milliers de morts.Évitant Paris où le roi de Franceamasse une armée, Édouard IIIremonte alors vers le nord pourrembarquer vers l'Angleterre.Mais auparavant, il met un pointfinal à sa chevauchée en battantà plate-couture l'armée françaiseà Crécy, le 26 août 1346, puis ens'emparant de Calais. Il peut alorsrentrer en Angleterre, couvertde gloire.

Avant, après1337

Débuts de la Guerre de Cent Ans.

15 avril 1450Victoire française à Formigny(près de Bayeux) : les Anglais

sont progressivementchassés de Normandie.

1453Fin de la Guerre de Cent Ans.

Le chiffre12

12 flèches en une minuteà 300 mètres de distance,

c'est la cadence et la portéede tir maximum des 10 000 archers

d’Édouard III. L'arme fatalede l'armée anglaise,

qui aura notamment raisondes lourds cavaliers français

à Crécy.

La petite histoireTandis que l'armée d’Édouard III

traverse toute la Normandie,elle est suivie « à la trace »

par sa flotte. Longeant le littoralnormand, les navires anglais

servent de base arrièreà l'armée qui y entreposele produit de ses pillages,

et y emprisonne les nombreuxotages pris à Valognes,

Carentan et Saint-Lô.Enfin, en cas de coup dur, l'armée

peut rapidement compter surle soutien de sa flotte, voir

rembarquer rapidement.

Sire, le pays de Nor-mandie est l'un desplus gras du monde,

et je vous promets surl'abandon de ma tête quesi vous arrivez là, vousy prendrez terre à votrevolonté.

Godefroy d'Harcourt à Edouard III

Les troupes anglaisesdébarquent en Normandie.Miniature anglaise du XIVe siècle.© British Library.

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5 janvier 1879

Guillaume Fouace peindral'église de Montfarville

L'Italie en Normandie !C'est ce qu'on a demandéà Guillaume Fouace de peindre

dans l'église de Montfarville.

Avant, après1837

Naissance de Guillaume Fouaceà Réville.

1870Première toile admise

au Salon de Paris.

1895Guillaume Fouace meurt

à l'âge de 57 ans.

1984Les toiles de l'église de Montfarville

sont classées aux MonumentsHistoriques.

L'église de Montfarville, baignée de lumière et de couleurs. © Marc Lerouge/PAT Cotentin.

L'épouse du peintre prête ses traits àla Samaritaine.

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Adjugé, vendu ! Voilà unconseil de fabrique (l'institutionchargée de gérer les biens d'uneparoisse) rondement mené : ce5 janvier 1879, grâce au don depersuasion de l'abbé Goutière,le curé de la paroisse, la fabriquede Montfarville s'est laisséeconvaincre. De quoi faire ?D'orner les murs et les voûtesde l'église d'un ensemble defresques peintes. Et c'est l'enfantdu pays (il est né à Réville, justeà côté), le peintre GuillaumeFouace, qui s'est vu chargé de lacommande. Ça le changera deses natures mortes…

Mais quelle mouche a piquél'abbé Goutière, au fait ? En1878, revenant d'un pèlerinage àRome au cours duquel il a visitéla Chapelle Sixtine et admiré lesfresques de Michel-Ange, lebrave curé de Montfarville n'aplus supporté les murs enduits dechaux blanche de son église. Ils'est mis en tête de reproduire cequ'il a vu en Italie : des églisespleines de piété… et pleines decouleurs. Et il a donc convoqué leconseil de fabrique.

Ne reste plus qu'à trouver lesfonds couvrant l'opération. Pasde soucis : une souscription localeest ouverte, à laquelle viennents'ajouter les généreuses dona-tions de François Debrix, mairede Montfarville, et BernardLebaron, président de lafabrique : 90 000 francs-or à euxdeux…

Jeu de pisteAussitôt, Guillaume Fouace

se met au travail. Car cette com-mande, s'il l'a acceptée avec plai-sir, représente quand même unecharge de travail importante.19 toiles au total dont certainesdépassant les 5 mètres de long.Un ensemble de 200 m2 de pein-ture. Pour plus de facilité, Fouacetravaille dans son atelier, rece-vant à de nombreuses reprises lavisite de l'abbé Goutière, quivient s'assurer de l'avancée duchantier, en même temps que dusérieux des toiles peintes parFouace. Car il s'agit de représen-ter d'une part les scènes de la viede Jésus et de celle de Marie,mais également d'autres scènesbibliques dont La Cène. Un tra-vail de copiste habile pour lepeintre (La Cène, notamment),qui se permet quand mêmed'ajouter sa touche personnelle.Dans quelques scènes, on peutainsi retrouver les visages de per-

sonnages familiers du Montfar-ville de l'époque : l'abbé Gou-tière, François Debrix etBernard Lebaron figurent ainsidans La guérison du paralytique.Guillaume Fouace s'est aussireprésenté lui-même dans Lapêche miraculeuse, tandis queson épouse prête son visage à laSamaritaine, et que sa filleBéatrix est l'ange de L'Annoncia-tion.

En 1881, Fouace a terminéson travail, et les toiles sontmarouflées directement sur lesmurs et la voûte de l'église. Unrésultat que l'abbé Goutière nepeut admirer : il est décédé le10 avril 1881… Aussitôt, l'églisede Montfarville, drôle d'églisede campagne normande auxcouleurs italiennes, devient uneattraction touristique. Elle l'esttoujours aujourd'hui, même siles toiles de Guillaume Fouace,attaquées par l'humidité, doi-vent régulièrement faire l'objetde patientes restaurations.

Dans le tableau La guérison duparalytique, Bernard Lebaron,directeur de la fabrique, et FrançoisDebrix, maire de Montfarville, sontreprésentés (les 2 personnages degauche).

Guillaume Fouace en pêcheur.

Béatrix, la fille de Guillaume Fouace,représentée sous les traits de l'angede L'Annonciation.

Eclairage

Les 19 toilesCôté orgue(cycle de la vie de Marie)

- Présentationde Marie au temple

- Annonciation- La visitation- La nativité- La fuite en Égypte- Jésus et les docteursde la loi

- La dormition de la Vierge

Côté de la chaire(cycle de la vie de Jésus)

- L'entrée triomphaleà Jérusalem

- La remise des clefsà Saint-Pierre

- la pêche miraculeuse- Guérison du paralytique- Guérison de l'aveugle né- Jésus et la Samaritaine- Le baptême de Jésus

Au centre

- La Cène (derrière l'autel)- L'Ascension- Le sermon sur la montagne- Saint-Pierre de Rome- Les mages conduitspar l'étoile.

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1er décembre 1904

A Benoistville,la première coopérativeS'unir pour être plus fort et tirer un justeet meilleur profit de son travail :ces beaux principes sont mis en applicationà Benoistville, la toute première coopérativelaitière fondée dans la Manche.

Une des voitures de ramassage, au début du XXe siècle. © Collection privée.

La petite histoireA la suite de Benoistville,

de nombreuses coopératives laitièresvoient le jour dans le Cotentin,

avant la Première Guerre mondiale :à Gréville-Hague et Sottevast (1908),

Tocqueville etSainte-Mère-Eglise (1909),

Périers (1912), Tribehou (1914).Ces laiteries cantonales fusionnerontplus tard dans des coopératives plus

importantes, telles qu'IsignySainte-Mère ou Ucalma,

l'ancêtre des actuels MaîtresLaitiers du Cotentin.

Pour sa part, la laiterie deBenoistville rejoindra l'Ucalmaen 1966. Les bâtiments seront

vendus en 1971.

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A la fin du XIXe siècle, lebeurre français, et particulière-ment normand, n'arrive plus àséduire la clientèle anglaise.Plusieurs raisons à cela : la piètrequalité de la marchandise expor-tée en Angleterre, car produitedans des conditions d'hygièneparfois douteuses. Et surtout laconcurrence des beurres danois,produits dans des coopérativeslaitières organisées depuis plu-sieurs années.

Cette crise ne peut plusdurer, car elle menace dangereu-sement les producteurs nor-mands. D'autant que ceux-ci neprofitent guère du fruit de leurtravail : les représentants desbeurreries industrielles lestiennent à leur merci.

Le triomphede l'effort commun

Pour remédier à cette situa-tion, le sénateur Émile Dame-cour, fondateur du Syndicat desAgriculteurs de la Manche, etÉdouard Milcent, vice-présidentdu même syndicat, sont convain-cus que les Manchois doivents'associer, prenant exemple surle modèle des coopérativesdanoises.

Dans le bulletin du Syndicatdes agriculteurs de la Manche de1903, on trouve ainsi les lignessuivantes : « en agriculturecomme ailleurs, l'effort isoléest souvent impuissant, etl'effort associé à d'autrestriomphe. Que ce soit pourl'achat des matières premièresou des engrais, pour la produc-tion à bon compte, pour lavente dans des conditionsfavorables ou encore laconsommation avantageusedes produits ». Autre conditionindispensable pour que le beurrenormand renoue avec le succès :le principe de contrôle de laqualité du lait, de la productionjusqu'à sa commercialisation.

Le 1er décembre 1904, grâce àl'action de Damecour et Milcent,la laiterie coopérative de Be-noistville est constituée et sesstatuts publiés. On y trouvequelques-uns des principes debase qui vont régir les coopéra-tives laitières pendant les décen-nies à venir : « la laiteriecoopérative a pour but lafabrication en commun dubeurre à provenir du lait desvaches appartenant à chacundes associés. Les fonds prove-nant de la vente du beurre oudu lait en nature, déductionfaite des frais généraux,seront dans les premiers joursde chaque mois répartis entreles sociétaires proportionnel-

lement à la quantité de laitlivrée par chacun d'eux ou auprorata de la richesse enbeurre ». Les statuts mention-nent aussi la création d'uneassurance mutuelle contre lamortalité des vaches, ou encorel'obligation de livrer un lait« propre et en bon état deconservation. Celui reconnutrop pauvre en crème ou quiaurait un goût désagréable,pourra être refusé».

Les 126 pionniers de Benoist-ville sont rejoints rapidement pard'autres éleveurs. En 1906, ilssont environ 400, et plus de 600en 1913. La coopération laitièredans la Manche est lancée.

Le quai de réception de la laiterie et l'empaqueteuse à beurre (une Simonfrères, bien entendu), après la rénovation de l'usine en 1954.© Collection privée.

Eclairage

Le chemindu lait

Un texte de 1907décrit très précisémentle cheminement du lait àBenoistville.

« Chaque matin, des voiturespassent chez les associés, pren-nent le lait préparé dans desbidons à la marque de l'associé,et les amènent au quai installédevant la beurrerie. En mêmetemps qu'un employé relève lesquantités envoyées par chacundes membres, le lait est déversédans un bassin qui l'amène dansle réchauffeur où il prend la tem-pérature de 18°. De là, il passedans les trois écrémeuses Simon.Le petit lait sort d'un côté, lacrème de l'autre.

Le petit lait est immédiate-ment remonté sur le quai, et lavoiture qui a apporté le lait,emporte dans ses bidons, le petitlait à chacun des associés qui lereçoit le soir même. Ce petit lait,débarrassé de ses principes gras,mais qui contient encore toute sacaséine et son sucre, estutilisé pour l'élevage des veauxet des porcs.

En sortant de l'écrémeuse, lacrème va dans un refroidisseur,puis est mise dans une chambremaintenue à la température de21 à 25°. Quand elle a le degréd'acidité voulu, après 24 heuresenviron, elle est barattée dansdeux barattes actionnées parun moteur. Après le malaxage,le beurre est placé dans despaniers et expédié.

Le personnel rétribué se com-pose d'un directeur, d'un contrô-leur, sortant tous deux de l'écolespéciale de Surgères (Charente-Inférieure) d'un mécanicien et dedeux ouvriers-beurriers.

Le directeur reçoit le lait etsurveille la fabrication dont il a laresponsabilité. Le contrôleur estplus particulièrement chargéd'empêcher la fraude. Journelle-ment, tantôt sur un point du par-cours des voitures, tantôt sur unautre, il fait des prélèvements delait et les analyse ».

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1er juillet 1929

On trouvetoutchez RattiPremier grand magasin deCherbourg et du Cotentin,Ratti va longtemps régneren maître sur le commercecherbourgeois.

« No va t'cheu Ratti » : publicité peinte par Lucien Goubert. © Archives La Presse de la Manche.

© Collection privée.

« Rabais énormes : 40 à50%. 5 000 paires de chaus-sures, 6 000 costumes, 2 000complets, coupons pour soie-ries, rideaux, tissus d'ameu-blement ». La réclame s'étaleà la une du journal Le Réveil ence début juillet 1929 : impossiblede la louper. Comme il est désor-mais impossible de louper le nou-veau magasin Ratti, tout justeinauguré.

Il faut dire qu'il s'est fait unpeu attendre. Car il a fallu 9 ans

de travaux à l'architecte RenéLevavasseur (également archi-tecte de la gare transatlantique)pour venir à bout du chantierque Lucien Ratti lui avait confiéen 1920. De quoi s'agissait-il ?De rassembler en un seul, uniqueet grand magasin, tous les pas deportes que Lucien Ratti avaitprogressivement acheté depuisson arrivée à Cherbourg en 1904.Pour qu'enfin Cherbourg aitaussi son grand magasin.

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Le chiffre8 000

C'est le débit à l'heure du nombrede personnes que l'escalator peut

transporter du rez-de-chausséeaux étages supérieurs.

Inutile de dire que l'engin - le premiermis en place dans la région -

a fasciné la foule lors deson inauguration en 1963.

Les petites histoiresNé en 1870 dans l'est de la France,

Lucien Ratti apprend son métier dansles grands magasins parisiens,

à la Samaritaine et au Printemps.Arrivé à Cherbourg en 1904, il rachète

le magasin A la Frileuse, à l'angledes rues des Portes et Gambetta.

C'est le début de son empirecherbourgeois, qui va comprendreaussi le château du Mont-Epinguet

à Brix, un haras et une écuriede courses, ainsi que le casino.

Lucien Ratti meurt en juillet 1943.

Le magasin Ratti est un des immeublesreprésentatifs de l'Art Déco, dont

on peut trouver à Cherbourgplusieurs témoins, tous édifiés

par René Levavasseur.Les plus connus sont bien entendu

la gare transatlantiqueet l'hôtel Atlantique, construits

eux aussi dans les années 20.La maison Sottile, rue Asselin,

est un autre exemple (toujours dûà Levavasseur). Le magasin Ratti a reçu

en 2006, le label Patrimoinedu XXe siècle.

Après la Libération, les Américainsréquisitionnent le magasin Ratti

pour y installer un club - rebaptiséle Liberty Club - pour leurs soldats noirs.

Les GI's blancs avaient eux aussileur club - le Victory Club - dans

les locaux du Palais du Vêtement,rue Albert-Mahieu.

Une photo a même été priseen février 1945 de Dwight Eisenhower,

descendant les marchesdu grand escalier de Ratti.

Profitant d'une tournée d'inspectionau port de Cherbourg, le grand chef

des opérations militaires alliéesen Europe, avait pris quelques

instants pour aller visiter les locauxde la Croix-Rouge américaine,

eux aussi installés chez Ratti.

Inauguration du grand escalier en octobre 1960. Tout le personnel (ou presque) est réuni pour la photo de famille.© Archives La Presse de la Manche.

Grand, beauet populaire

Levavasseur a pris son temps,mais Ratti peut être content.Car son grand magasin… est vrai-ment grand, s'étalant désormaisdu 2 au 10 de la rue Gambetta,et du 46 au 56 de la rue desPortes, représentant un total de8 000 m2 de surface, sur 5 étagesdesservis par des ascenseurs.

Ratti est grand, mais il estbeau aussi, avec sa décorationflorale style Art Déco, son grandescalier en bois, ses immensesbaies vitrées et sa grande verrièredistribuant la lumière.

Le nec plus ultra est peut-êtrele pavillon d'entrée du magasin,coiffé par une coupole et aufronton duquel brillent 5 lettresen mosaïque dorée : RATTI.

Au troisième étage, dans larotonde, le salon de thé a tapédans l'œil du Cherbourg-Eclair del'époque : « un goût parfait aprésidé à son installation.Clair, orné et tapissé d’unefaçon heureuse, il est accueil-

lant et intime. Le mobilier estélégant, la verrerie fine etoriginale. Des fleurs fraîchesparent les tables. En résumé,le lieu est confortable et bienreprésentatif du goût fran-çais ».

Grâce à sa surface commer-ciale, ses rayons achalandés, sesréclames incessantes dans lesjournaux locaux, et aussi le sensdu commerce de son patron, legrand magasin Ratti s'attire unetrès large clientèle : de la bonnesociété locale - qui vient prendrele thé dans la rotonde - aux pay-sans des campagnes environ-nantes, tels ceux représentésdans les grands tableaux publici-taires que Ratti a commandéau peintre local Lucien Goubert,avec le slogan en patois quirésume tout : « No va t'cheuRatti ».

Concurrence fataleLa prospérité du grand ma-

gasin va durer encore pendant

des décennies, même si la familleRatti revend l'affaire en 1954.Vêtements, chaussures, jouets,vaisselle, et même de l'alimenta-tion (à partir de 1962) : on vacontinuer à trouver de tout chezRatti (l'expression demeure),transformés en Magasins Réunis.Même si des concurrents com-mencent à faire leur apparition(le Jean-Bart, le Super-Egé), legrand magasin de la rue desPortes va régner en maître àCherbourg jusqu'à la fin desannées 70, employant un nom-breux personnel.

L'arrivée des hypermarchésva progressivement sonner songlas. Racheté par le Printemps(1982), Eurodif (1994), il a subi en2008 des travaux le privant de sesétages, de sa verrière et de songrand escalier.

Désormais, plusieurs bou-tiques compartimentées occu-pent son rez-de-chaussée.

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Le chiffre62

A Diélette, le minerai extraitest composé de magnétite, avec une

teneur en fer très riche, allant jusqu'àatteindre 62 %. Diélette est la seule

mine de fer de Normandie disposantd'un gisement important de magnétite.

Les petites histoiresLa menace incessante de l'eau

(15 000 m3 cubes d'eau refoulésquotidiennement par la station de

pompage), le bruit incessant desmarteaux pneumatiques, les 20 tonnes

de minerai à charger à la main ou àla pelle dans les wagons pour chaque

chargeur, les métiers de la mine(pompistes, poseurs de rails, maçons,

marins…), c'est tout ce qui faitle quotidien de la mine de Diélette,

la seule mine au monde dontles 15 kilomètres de galeries s'enfoncentsous la mer, à une profondeur maximum

de - 150 mètres.

30 juin 1962

Diélette restesur le carreauAprès un siècle d'une histoire mouvementée,la mine sous-marine de Diéletteferme définitivement ses puits.

Au pied de la falaise, le site d'extraction de la Cabotière, relié au wharf en pleine mer par un transbordeur. © Archives La Presse de la Manche.

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C'est un objet industrielunique. Quand on l'auradémarré, on oubliera tout

ça pour ne voir que le hautniveau de sûreté de ce réacteur.

Antoine Ménager,patron du chantier, en 2015.

Le chantier de l'EPR a constitué une aubaine pour l'emploi dans le Cotentin. © AFP.

Le chiffre109,495

En millions d'euros, c'est la sommedébloquée par l’État, EDF et l'Europe

pour financer 58 projets dansle Cotentin, accompagnant

la réalisation de l'EPR : un gymnaseà Flamanville, la création d'un pôleenfance aux Pieux, la réhabilitation

du théâtre de Cherbourg,des routes, des écoles…

121

Deux candidats étaient enlice : Penly (Seine-Maritime) etFlamanville. Et c'est la communemanchoise qui « remporte lapouque », avec l'appui de(presque) tout le Cotentinemmené par Claude Gatignol, ledéputé de Valognes, surnomméle « Monsieur EPR Cotentin ».

Aussi quand EDF rend publicsa décision, c'est jour de fête.Il est vrai que le jeu a l'air d'envaloir la chandelle : le chantierprévu pour durer 5 ans doitprocurer du travail à 2 000 per-sonnes, parmi lesquelles un bonnombre de locaux. Une mannedifficile à refuser…

DérapageAu début, tout va bien.

« Nous nous étions fixés l'ob-jectif de couler le premierbéton nucléaire début décem-bre. C'est fait. Nous sommesparfaitement dans les temps »pavoise le patron du chantier fin2007. Car l'objectif annoncé estde mettre en route l'EPR en2012 pour un coût de construc-tion de 3,3 milliards d'euros.Sarkozy, puis son Premier Minis-

tre François Fillon viennent tourà tour rendre hommage au plusgrand chantier d'Europe : en2009, ce sont plus de 2 500 per-sonnes qui s'y activent.

Mais dès 2010, ça dérape. Phi-lippe Leigné, nouveau patrondu chantier, fait acte de contri-tion : « nous avons sous-estiméla complexité du chantier ».Et EDF doit se résoudre à an-noncer un retard de 2 ans et uneaddition montant à 5 milliardsd'euros. La raison est simple :construire un prototype en54 mois alors qu'EDF n'a pasmené de chantier similaire de-puis une vingtaine d'années, estune gageure. D'autant quel'Autorité de Sûreté Nucléaire(ASN), le gendarme du nu-cléaire, met en garde EDF : « Lapression importante liée aubon avancement du planningest susceptible d'avoir un im-pact négatif sur la qualité dela réalisation ». Car l'ASN arelevé des problèmes sur lessoudures de la peau d'étan-chéité du réacteur, de mêmeque des non-conformités dans lebétonnage du radier du bâti-

ment réacteur. Il ne manquaitplus que ça…

EPR,saison 1, 2, 3, 4…

La suite de l'histoire de l'EPRva alors se décliner en multiplessaisons - un peu répétitives -d'une série à rebondissements.Les soucis techniques ? Ne citonsque le dernier en date, quandon a découvert une concentra-tion de carbone dans la compo-sition de l'acier du couvercle etdu fond de la cuve du réacteur.Dans sa grande sagesse, l'ASNa finalement donné son feu vertà la mise en service de la cuve,sous réserve de la réalisation decontrôles spécifiques lors del'exploitation de l'installation.Accidents du travail mortels ?Deux. Les soucis sociaux ? Lessyndicats ont dénoncé le « dum-ping social » pratiqué par cer-taines entreprises employantsans foi ni loi des centaines detravailleurs étrangers.

Et régulièrement, pour tour-ner un peu plus le couteau dansla plaie, l'annonce d'un énième

retard et d'un énième surcoût.Aux dernières nouvelles, on enétait à un démarrage du réac-teur prévu pour la fin 2018 avecun raccordement au réseaupour le 2e trimestre 2019. Et unefacture finale estimée à 10,5 mil-liards. Ça, c'est la version duverre à moitié vide.

Si on opte pour le verre à moi-tié plein, on peut voir dans lechantier de l'EPR de Flamanville,une énorme et perpétuelleprouesse technique, symboliséepar la pose du dôme du réacteurpendant l'été 2013. Ce jour-là, laplus grande grue du monde(154 mètres de haut) soulevait à43 mètres de hauteur le dômepesant le poids d'une rame deTGV, pour le positionner au mil-limètre près en haut du bâti-ment réacteur. Pour finir deremplir le verre, on peut aussivoir dans l'EPR une formidablesource d'emploi et de forma-tion : plus de 5 000 personnestravaillant sur le site (pic atteinten 2017, pour tenir les délais),plus de 4 000 emplois créés,dont 50 % ayant bénéficié à deslocaux, et 835 000 heures de for-mation.

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2 juillet 1992

Et Cherbourg pleuraL'arsenal et le port militaire de Cherbourgsont frappés de plein fouet par le plan Joxede la restructuration de la défense Nationale.Un drame qui se joue en 5 actes, dont le dernier,violent, clôt un chapitre de l'histoire de l'arsenalouvert depuis 1945.

Rue Gambetta, 2 juillet 1992, 13 h 40. La première poubelle flambe, les grenades lacrymogènes, les pavés et les boulons ne vont pas tarder à partir.© Archives La Presse de la Manche.

Laignel, pas de pipeau, cequ'on veut c'est du boulot.

Le slogan des manifestantsle 2 juillet 1992, alors que le secrétaire d’État

André Laignel présente les propositionsdu gouvernement pour Cherbourg.

Le chiffre12 000

Le nombre de manifestants dansles rues de Cherbourg le 4 juin 1992.

On n'avait pas vu ça depuisla Libération.

Cherbourg va vivre un printemps agité, fait de manifestations quasi-quotidiennes, débordant parfois sur les passerellestransmanche pour attendre le Barfleur et sensibiliser ses passagers à la cause locale. © Archives La Presse de la Manche.

Premier acte7 octobre 1991

La crainteA l'occasion de la rentrée défini-tive du Redoutable à Cherbourg,1 250 manifestants viennent jeterdes œufs sur les anciens pachasdu sous-marin débarquant dansle port militaire. Ils viennentd'apprendre que l'arsenal devraitbientôt passer à la moulinette,avec notamment la remise encause du septième SNA et 400emplois de sous-traitants enmoins.

Second acte7 janvier 1992

La tensionEn compagnie d'Yves Sillard,délégué général à l'armement,Jacques Mellick, secrétaire d’Étatà la Défense, de l'amiral Lanxade,chef d'état-major des armées, etde l'amiral Coatanéa, chef d'état-major de la Marine, le ministrede la Défense Pierre Joxe passe lajournée à l'arsenal. Il en ressort« enthousiasmé » par la techni-

cité et la qualité du travail effec-tué à Cherbourg. Un coup debrosse à reluire qui ne fait pasoublier le fait que le ministre aéludé les questions qui fâchent- le plan de charge - et évitésoigneusement de rencontrerles syndicats, tenus à distancepar quelques 360 gendarmesmobiles. La crainte s'est transfor-mée en tension.

Troisième acte16 avril 1992

Le coup de massueLe même Pierre Joxe dévoile sonplan de restructuration de ladéfense nationale. Cherbourgperd sa Flottille du Nord (2 avi-sos, 5 chasseurs de mines, soit446 marins), tandis qu'à l'arsenal,240 postes seront supprimés en1993 et que la sous-traitanceperdra 100 000 heures de travail(l'équivalent de 150 emplois).Enfin, le 7e SNA, construit à 30 %,est fortement menacé. Dans lesjours qui suivent, la mobilisationest forte en ville et dans la ré-gion, et les élus obtiennent du

Premier Ministre Pierre Bérégo-voy, la promesse de la venue àCherbourg d'André Laignel,secrétaire d’État à l'Aménage-ment du Territoire.

Quatrième acte30 avril 1992

La provocationAndré Laignel est à Cherbourgpour rencontrer les élus etresponsables locaux qui luiremettent 37 propositions poursauver l'emploi dans la région : lemaintien de Flonord, un plan decharge assuré pour l'arsenal, ledésenclavement de la région,l'antenne universitaire renforcée,de nouvelles entreprises implan-tées… Laignel écoute, ne prometrien, et annonce qu'il reviendradans un mois.Mais dans les 15 jours qui sui-vent, Cherbourg se retrouve avecdeux nouveaux poignards plan-tés dans le dos. D'abord l'an-nonce le 2 mai (deux jours aprèsla venue de Laignel…) que leprogramme des SNLE-NG estramené de 6 à 4 unités.

Après1996

Le plan Millon envisagela suppression de

2 000 emplois à l'arsenal.

2003Changement des statuts

des arsenaux.

2008Mise à l'eau du Terrible,

4e et dernier SNLE-NG.

Eclairage

De très hautDepuis la fin de la SecondeGuerre mondiale, la politiquede défense de la France étaitconditionnée par la GuerreFroide. Une menace qui a dis-paru d'un coup quand le Murde Berlin est tombé en novem-bre 1989 entraînant l'effondre-ment du bloc de l'Est. D'un coupd'un seul, la France se retrouvaitavec un surplus de régiments,de casernes, de bateaux et d'ar-senaux.Le tout dans un contexteéconomique peu favorable,demandant des économies plu-tôt que le maintien dispendieuxde moyens militaires désormaissuperflus.S'adaptant à cette nouvelledonne géopolitique et finan-cière, le plan Joxe, présentéle 16 avril 1992, propose unecentaine de mesures de dissolu-tion ou de regroupementsd'unités militaires dans toute laFrance, ainsi que des réductionsde budget dans les industries dedéfense. Et Cherbourg fait par-tie du lot.Un coup très dur pour le portmilitaire et l'arsenal, historique-ment implantés ici. A tel pointqu'on avait fini par croire qu'ilsétaient intouchables. En 1992,Cherbourg est tombé de trèshaut. Et plus rien ne seracomme avant, quand l'arsenalemployait 6 000 personnes…

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