l’interprétation de conférence en tant que profession et les précurseurs de l’association

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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article Walter Keiser Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 49, n° 3, 2004, p. 576-608. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/009380ar DOI: 10.7202/009380ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 27 août 2014 07:54 « L’interprétation de conférence en tant que profession et les précurseurs de l’Association Internationale des Interprètes de Conférence (AIIC) 1918-1953 »

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

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    Walter KeiserMeta: journal des traducteurs/ Meta: Translators' Journal, vol. 49, n 3, 2004, p. 576-608.

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    Linterprtation de confrence en tant que profession et les prcurseurs de lAssociationInternationale des Interprtes de Confrence (AIIC) 1918-1953

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    Linterprtation de confrence en tant queprofession et les prcurseurs delAssociation Internationale des Interprtesde Confrence (AIIC) 1918-1953

    walter keiserAssociation Internationale des Interprtes de Confrence (AIIC)[email protected]

    RSUM

    Alors que linterprtation remonte laprs-Babel, linterprtation de confrence en tantque profession na quun sicle. Les grands conscutivistes pionniers de la profession,lavnement de linterprtation simultane et sa perce au procs de Nuremberg et auxNations unies, lextension de la pratique de linterprtation au monde entier, la forma-tion des interprtes, leurs conditions de travail, lindispensable organisation de la pro-fession, voil lobjet de cet article enrichi de nombreuses anecdotes et de souvenirs delauteur, interprte lui-mme depuis 1948.

    ABSTRACT

    Conference interpreting as a profession was born at the end of the First World War.Practised first by a small number of extraordinary consecutive interpreters, itsdevelopment and spread worldwide came with the breakthrough of the technique ofsimultaneous interpretation at the Nuremberg Process and in the United Nations.The training of the interpreters, their working conditions, the first attempts to organizethe profession are described with a flourish of anecdotes and historic memories by theauthor whose career as an interpreter started in 1948.

    MOTS-CLS/KEYWORDS

    interprtation de confrence, interprtation simultane, formation et conditions de tra-vail, prcurseurs de lorganisation professionnelle, anecdotes historiques

    Introduction

    On peut dire que si linterprtation de confrence en tant que profession a vu le jour la fin de la Premire Guerre mondiale, lide dorganiser cette profession ne sestprcise et ralise quaprs la Seconde Guerre mondiale. Pour bien comprendre lesprincipes directeurs et la structure de lAIIC, il est utile de rappeler qui taient lespionniers de linterprtation de confrence au temps de la Socit des Nations et dese livrer ensuite une analyse assez pousse de la situation de la profession lissuede la guerre. Nous procderons par matires selon la systmatique suivante :

    Les pionniers de linterprtation de confrence (1918-1945). Laprs-guerre (1945-1953). Les interprtes : Nuremberg, Nations unies, march priv. Lvolution des modes dinterprtation avec lessor de la simultane : prcurseurs,

    Nuremberg, ONU, ailleurs.

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  • Les conditions de travail dans les diffrents circuits : organisations internationales, mar-ch priv, activits accessoires.

    La formation des interprtes : coles, autres types de formation, litige. La dispersion gographique, circuits, marchs de linterprtation. Les associations et groupements dinterprtes prcurseurs de lAIIC ou contemporains.

    Il va de soi quune description complte de cette volution et lnumration detous les interprtes qui ont marqu cette priode dpasseraient de loin le cadre de cetouvrage. Mais nous esprons, par les exemples choisis, russir brosser un tableaufidle des situations et des pratiques qui menrent la cration de lAIIC, voire ren-dirent celle-ci indispensable si lon voulait assurer lavenir de la profession.

    Les pionniers de linterprtation de confrence (1918-1945)

    Les hommes et les quelques rares femmes qui faisaient de linterprtation de conf-rence leur mtier, du moins partiellement, taient trs peu nombreux. Il y avait quel-ques fonctionnaires ( la Socit des Nations), peine une douzaine de free-lance,daprs Andr Kaminker, mais ceux-ci exeraient presque tous des activits accessoi-res et ils taient tous arrivs la profession par dautres mtiers. Quelques-uns, aprsun passage rapide par linterprtation, reprenaient des carrires diplomatiques ouadministratives. Ils taient tous dexcellents linguistes et presque tous dots duneformidable personnalit. En voici quelques-uns.

    Le premier marquer lhistoire de la profession dinterprte de confrence futPaul Mantoux, professeur, homme de lettres, interprte. Une notice biographique nousapprend que, dlgu du premier ministre de lArmement de la France Londres, aucours de la premire guerre mondiale, il gagna la confiance du premier ministre deGrande-Bretagne, Lloyd George, ainsi que de Lord Asquith, qui rclamrent sa pr-sence lors de leurs rencontres avec leurs homologues franais. Paul Mantoux devinten juin 1918 linterprte du Conseil suprme interalli, puis du conseil des Quatre, enmars 1919. Les membres de ce conseil ngocirent le trait de Versailles. Ce fut PaulMantoux qui dfinit admirablement lessence de notre mtier en crivant en 1946 unarticle pour LInterprte sous le titre Interprter, cest dabord comprendre .

    Jean Herbert, qui considrait Paul Mantoux comme son mentor, eut la premireexprience dinterprte de confrence en 1917, lorsque, rentr du front pour uncong, il fut engag pour accompagner M. Thierry, ministre franais des Finances, etle gouverneur de la Banque de France Londres pour ngocier un emprunt. La ru-nion se tint dans la maison de Lloyd George, around the breakfast table, to theaccompaniment of ham and egg. I am grateful , dit Jean Herbert, that myinterpretations were not recorded, because if I heard them now I would certainlyblush. However, it was the best that could be done at the time and, strange as it maysound, it was appreciated.

    Aux ngociations suivant larmistice il ny eut pas de Confrence de la paix proprement parler il y avait une douzaine dinterprtes travaillant en anglais et enfranais. Les ngociations avec les Allemands se firent part. Les interprtes allemandstaient en gnral de jeunes officiers connaissant parfaitement le franais ou langlais.Cest l que peu peu, on passa de linterprtation phrase par phrase une vri-table interprtation conscutive, les interprtes travaillant en quipe de deux, inter-prtant verbatim speeches which occasionally lasted well one hour . Jean Herbert

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    ntait pas seulement un des doyens de cette gnration dinterprtes, il tait lauteurde plusieurs ouvrages sur les religions orientales et, bien sr, du fameux Manuel delinterprte (1952), livre de chevet de quiconque entendait enseigner linterprtation.La profession lui doit beaucoup. Aprs la Deuxime Guerre mondiale, cest luiquon sadressa pour diriger les premiers services dinterprtation dans le cadre desNations unies. Son exprience et sa formidable personnalit lui permirent de simpo-ser et de faire placer demble les interprtes de confrence un niveau statutaire etde rmunration enviable. coutons Roger Glmet : Je crois que les interprtesdaujourdhui ne savent pas tout ce quils doivent Jean Herbert, qui a tenu la dra-ge haute aux institutions et obtenu satisfaction totale. Rappelons que Jean Her-bert fut prsident de lAIIC de 1966 1969.

    Certains interprtes free-lance de cette poque avaient des clients rguliers, maispas exclusifs : la Banque des rglements internationaux eut recours Michaelis, puis,pendant de nombreuses annes, Antoine Velleman. Le second, avec ses quatrelangues daboutissement, interprtait pour un nombre trs vari dorganisations touten poursuivant une remarquable carrire de professeur de langues il avait reu lacitoyennet dhonneur suisse comme auteur de la premire grammaire de langueromanche. William ODavoren tait partenaire dun cabinet davocats Genve etlauteur du premier ouvrage sur lorganisation technique et la procdure parlemen-taire des confrences internationales (Post-War Reconstruction Conferences, 1943).

    Les premires utilisations de linterprtation simultane eurent lieu pendant lesannes 1920, Genve (Bureau international du travail) et en URSS (VIme Congrsde lInternationale communiste). La nouvelle technique se heurta lopposition desgrands conscutivistes . Nous en parlerons dans la section consacre aux modesdinterprtation.

    Dans lentre-deux guerres, les conditions de rmunration des fonctionnairesdpendaient du grade quils occupaient, celles des free-lance taient en gnral libre-ment ngocies, rarement le fruit dune concertation. Quant aux conditions de travail(composition des quipes, charge de travail, etc.), elles ntaient spcifiquement dfi-nies par rapport linterprtation de confrence, ni pour les fonctionnaires, ni pour lesfree-lance. On assistait frquemment ce qui, aujourdhui, serait considr comme desprouesses, pour ne pas dire des folies, par exemple des discours en conscutive deboutdune heure entire. Lauteur se souvient qu lge de 14 ans, Caux o il accompa-gnait sa mre une runion de trois jours du Rarmement moral, aprs chaque dis-cours un monsieur glabre et moustachu se levait, droit comme un i , rsumant lediscours tour tour pendant 5 minutes environ dans trois des quatre langues de larunion (allemand, franais, anglais, italien). La premire fois, Madame Keiser expli-qua : a, cest linterprte. Eh bien linterprte en question tait Antoine Velleman.

    On pourrait parler longuement de ces grands anciens. Le phnomnal AndrKaminker mriterait un article lui tout seul, ainsi que les grands conscutivistes dela Socit des Nations tels que Confino, Jacob, Lloyd, Margoulis, Mathieu, Royer etle colonel Wade. Nous en trouvons une excellente vocation dans louvrage dHenrivan Hoof et dans la remarquable thse de Jess Baigorri-Jaln sur linterprtation deconfrence. Ce furent des personnalits admires par les dlgus et les journalistesde cette poque o, comme le dit si bien Baigorri-Jaln, cette activit tait davan-tage assimile un art qu une profession . Nous retrouverons plusieurs de cesinterprtes aprs la Deuxime Guerre mondiale.

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  • noter que Baigorri-Jaln consacre une partie de son ouvrage une catgoriedinterprtes dont nous navons pas parl jusquici, mais qui, en vertu de la techniquedinterprtation utilise, peuvent tre assimils aux premiers interprtes de conf-rence. Ce sont les interprtes des dictateurs, avec leur fidlit et identification aupersonnage principal, leur disponibilit en permanence et leur capacit de sadapter toutes sortes de situations dinterprtation . Un nom vient immdiatement lesprit,celui du Dr Paul Schmidt que certains qualifient un peu sommairement dinter-prte de Hitler . Erich Feldweg prcise que Paul Schmidt tait fonctionnaire auxAffaires trangres ds avant lavnement de Hitler et donc autant linterprte deStresemann. Comme de nombreux autres non-nazis il choisit de rester en serviceaprs 1933. Au demeurant, ctait un excellent interprte comme le lui attesta, parexemple, Sir Neville Henderson. Nous nen dirons pas plus.

    LEurope daprs-guerre

    Dans laprs-guerre immdiat, il sagissait de reconstruire lEurope en ruines, rorga-niser les tats, parfois retracer des frontires. Pour tout cela, il fallait ngocier desaccords, redfinir des alliances, assurer la coopration. Il fallait se comprendre, doncsurmonter les frontires linguistiques. En un mot : il fallait aussi des interprtes. Il nya l rien de nouveau. Comme la remarquable exposition sur lhistoire de la profes-sion organise dans le cadre de lAssemble de lAIIC 1997 Montral nous la rap-pel : Il est clair que dj en Grce antique, dans la Rome antique, chaque fois queles nations se confrontaient dans les guerres et chaque fois que lon se rencontraitpour parler de la paix, il y avait toujours, juste derrire le gnral ou derrire lediplomate, linterprte.

    Plusieurs facteurs entraient en ligne de compte : O trouver les interprtes ?Comment faire face la demande pressante ? Quels moyens techniques mettre enuvre ?

    Les interprtes

    Antoine Velleman avait vu juste lorsquen 1941 il obtint, non sans mal, de lUniver-sit de Genve la fondation dune cole dinterprtes en arguant que la demandeserait considrable dans laprs-guerre immdiat. Les enseignants taient en majoritles interprtes dsuvrs de la Socit des Nations, les tudiants venaient en partiedes camps de rfugis en Suisse. Ainsi, les diplms de lcole de Genve, sajoutantaux interprtes chevronns de feu la Socit des Nations dont beaucoup, commenous le verrons plus tard, furent repris dans les cadres dinterprtes des Nations unies se trouvrent engags, qui au procs de Nuremberg, qui pour les grandes confren-ces intergouvernementales et non gouvernementales daprs-guerre, qui encore auservice des gouvernements ou futurs gouvernements. Ils y rencontrrent danciensrfugis, dracins mais forts en langues, culture et matires diverses et qui avaientappris interprter sur le tas, ou encore des interprtes sortis des services arms.

    Le procs de Nuremberg, ou plutt, les procs de Nuremberg procs principaldes grands criminels de guerre, procs de suivi : capitaines dindustrie, juristes,mdecins et chefs de camps de concentration (1945-1947) en fut un exemple. Leservice dinterprtation fut plac sous la responsabilit de Lon Dostert, Lorrain

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    dorigine, colonel de larme amricaine et ancien interprte dEisenhower. HaakonChevalier fut le second de Dostert. Le franais Jean Meyer recruta les premiers inter-prtes de cabine franaise. Wolfe Frank fut le deuxime chef-interprte, PeterUeberall, qui avait dabord t moniteur voir chapitre Conditions de travail ci-aprs succda Frank. Tous les quatre taient des anciens des services arms,comme dailleurs un nombre important de la trentaine dinterprtes qui servirent Nuremberg. Dautres furent recruts par leur gouvernement, tels Elisabeth Heyward,Marie Rose Waller, Gnia Rosoff, Marie France Ros (Skuncke), Helga Lund, StefanPriacel. Un groupe provint de lcole dinterprtes de Genve : Stefan Horn, Frdric(Fred) Treidell, Patricia Jordan (van der Elst), Armand Jacoubovitch, Peter Less, Nor-bert Berger. Nous ignorons le chemin qui amena dautres Nuremberg, par exempleEric Simha, Ursula Conventry, Georges Klebnikof, qui sortait de HEC Paris,Edouard Roditi, George Wassilchikof, Nora Saxe, Jimka Pachkof. Andr Kaminker yfit un passage rapide. Lauteur, alors tudiant de premire anne, se souvient du testorganis fin 1945 avec un quipement de simultane improvis lAula de lUniver-sit de Genve par le colonel Lon Dostert en vue du recrutement du deuximegroupe dinterprtes pour Nuremberg. Les interprtes russes enfin, en uniforme etrattachs aux services arms, vivaient dans des quartiers rservs aux sovitiques etrestaient part.

    Des tmoignages reus, nous savons que lambiance au procs mme tait ten-due, le Palais de justice lugubre, la responsabilit norme. Seuls deux interprtes,Haakon Chevallier et Edouard Roditi, apportaient une exprience professionnelle eninterprtation simultane. Selon le cas, les arrivants pouvaient sy mettre graduelle-ment, en passant dabord par le service de traduction, dautres furent mis enaudience du procs presque immdiatement. La responsabilit et le fond dramatiquedes audiences savrrent insupportables pour quelques interprtes, eux-mmes vic-times du nazisme ou enfants de victimes. Ainsi, Armand Jacoubovitch et MargreteAbrahams passrent la traduction.

    Malgr cette tension et malgr le fait quil y avait un roulement incessant departants et darrivants dans les quipes, lesprit de camaraderie tait en gnral excel-lent. Comme le dit Marie-France Skuncke, le soir il fallait se dtendre, on sestbeaucoup amus . Les interprtes taient logs soit lhtel, soit dans des villas r-quisitionnes. Leur rmunration dpendait de leur rattachement : ceux qui avaientla chance de dpendre des Amricains et dtre pays en dollars sen sortaient trsbien, ceux relevant dautres gouvernements ou forces armes nettement moins.

    Les interprtes de Nuremberg et linterprtation simultane ont-ils t officielle-ment apprcis ? Dans son interview avec Rosalinda (Rosie) Meza-Steel, PeterUeberall nous dit son regret que dans aucun document officiel du procs on ne parlede linterprtation ou des interprtes, ni en bien, ni en mal. Pour les responsables duprocs, pense-t-il, cela faisait tout simplement partie du systme et tant que celui-ci marchait tout tait bien. Pourtant, nous avons trouv une autre interview o SirHartley Shawcross, attorney general au procs, dclare que the interpreters wereusing the simultaneous method, that is to say they write down nothing but interpretright away by telephone. I am of the opinion that simultaneous interpretation shouldbe adopted at all international meetings as it saves so much time and interpretingbeing, of course, absolutely essential at any meeting of an international character .

    Aprs le procs, certains interprtes de Nuremberg quittrent le mtier, revenant

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  • leurs occupations civiles ou militaires antrieures. Dautres restrent interprtes etessaimrent : Stephan Horn suivit Dostert aux tats-Unis et prit la direction duDepartment of Translation and Interpretation de la School of Languages andLinguistics, fonde par le mme Lon Dostert lUniversit de Georgetown(Washington, DC). Jean Meyer, retourn au Quai dOrsay, devint chef-interprte duComit intrimaire de la Communaut europenne de dfense (1952-1954). FredTreidell fut nomm Head of press intelligence and Special Projects du EuropeanRecovery Program (Plan Marshall) et devint plus tard chef-interprte de lAgenceeuropenne de productivit. Dautres encore furent amens par le colonel Dostertaux Nations Unies New York pour y faire accepter linterprtation simultane, telsGeorges Klebnikof et Eric Simha.

    Ce qui nous amne aux Nations unies. Sans vouloir crire ici lhistoire des insti-tutions de lONU, il nous parat intressant de rappeler qui taient les interprtesentre la fin de la Socit des Nations et la premire Assemble de New York. Nousnous appuyons pour cela sur des tmoignages dinterprtes, notamment de RogerGlmet et surtout de Georges Thorgevsky, un des rares survivants de ce groupe.

    La confrence de San Francisco de 1945 et la Commission prparatoire avaientarrt les principes de base et les structures essentielles de lONU et lon sapprtait tenir la premire Assemble gnrale, fixe pour janvier et fvrier 1946 Londres.

    La plupart des interprtes et des traducteurs de la Section linguistique de cetteAssemble, responsables compris, taient des anciens de la Socit des Nations,notamment Georges Mathieu, interprte de grande valeur, et son adjoint, le Britan-nique bilingue originaire des les anglo-normandes Le Bosquet. M. Demolon, qui futprofesseur agrg du lyce Condorcet, dirigea les activits des traducteurs. Jean Her-bert, qui avait dj dirig lquipe dinterprtes San Francisco, tait nouveau encharge. Les interprtes taient en majorit dorigine franaise, excepts Daniel Hogg,Britannique mari une Allemande, qui parlait un anglais superbe et connaissait lerusse, et le commandant Lambert-Lammond, qui sorienta plus tard vers lAssistancetechnique et lAide au dveloppement. Il y avait en outre : Georges Kaminker etR. Confino, prcis et prcieux, N. Teslenko, Russe, qui venait de terminer ses tudesde droit aprs avoir pass 4 ans en Allemagne comme prisonnier de guerre, GeorgesThorgevsky, autre russisant dcouvert par Jean Herbert, R. Cru, journaliste maisqui travaillait aussi comme interprte, le philologue G. Margoulis, un des plus gs,seul interprte matrisant les cinq langues des Nations unies et, les plus spectaculai-res, Andr Kaminker et Jean Herbert lui-mme. Une quipe de dix interprtes pourlAssemble des Nations unies, douze pendant les moments de grande presse lorsqueMathieu et Le Bosquet venaient prter main forte aux autres. Tout le travail se faisaiten interprtation conscutive.

    Lavenir new-yorkais du service dinterprtation fut assur ds lAssemble deLondres. Georges Thorgevsky raconte que le Secrtaire Gnral Trygve Lie, lu le1er janvier 1946, pria Jean Herbert de constituer un service dinterprtes permanents etlquipe de la premire Assemble fut conserve presque au complet . Elle fut ren-force New York, notamment, par larrive des simultanistes du colonel Dostert.

    Les interprtes des premires annes daprs-guerre connurent des sorts divers.Certains accdrent des postes de responsabilit, en qualit de chef-interprtes,dautres, bien que brillants interprtes, quittrent la profession plus ou moins lon-gue chance, pour se consacrer dautres activits. Quelques exemples : Constantin

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    Andronikof, dtach par le Quai dOrsay, devint chef-interprte de lOECE, HansJacob de lUNESCO, Kouindji du BIT, Cecil Biass de la FAO. Deux des interprtes delAssemble de lONU de Londres devinrent chef-interprtes en Europe, A. Kaminkerau Conseil de lEurope et R. Confino lOffice des Nations unies de Genve. BorisMelikoff succda Andronikof comme chef-interprte de lOECE, suivi par PaulUnwin, tous deux appels jouer un rle important pendant la mise en place delAIIC. Deux anciens interprtes militaires accdrent tout naturellement au poste dechef-interprte de lOTAN, Max Lemansois-Field et du SHAPE, Guy Gribble. BorisDesfontaines fut nomm chef-interprte au Conseil de coopration douanire. Lesort de Haakon Chevallier mrite dtre signal : rentr aux tats-Unis, il fut prisdans la tourmente du maccarthysme et crivit le remarquable ouvrage sur laffaireOppenheimer . Destin glorieux et tragique, celui de Cyrille (Kyra) Borowski, origi-naire de Leningrad, interprte remarquable qui se distingua lUNESCO, mais futsurtout connu sous son nom de plume, Edmond Cary, auteur douvrages sur la tra-duction qui firent date, co-fondateur et secrtaire gnral pendant dix ans de la Fd-ration internationale des traducteurs. Borowski mourut tragiquement lors de lacatastrophe arienne dun vol dAir India au Mont-Blanc en 1966. Jean-FranoisRozan, jeune prodige de la filire des Nations unies et pdagogue exceptionnel, com-plta le Manuel de linterprte de Jean Herbert par son ouvrage sur la Prise de notes eninterprtation conscutive (1956) pour quitter peu aprs la profession en se lanantdans lhtellerie et limmobilier.

    Les interprtes de cette poque taient souvent des personnalits hautes en cou-leur, certains auteurs parlaient mme, pour les dcrire, de sociological freaks . Etchaque nouvelle confrence tait un lieu o lon faisait connaissance, pour se retrou-ver par la suite, composition variable, dans tous les coins de lEurope. Un exemplesuffira : le Congrs mondial du bois de Helsinki en 1949, premier congrs internatio-nal de laprs-guerre en Finlande, organis sous le patronage de la toute nouvelleFAO, (chef-interprte : Marie Ginsberg). Le tout en conscutive debout, anglais-francais et vice-versa, quelques sances avec le russe en plus. Il y avait l, entre autres,Teddy Pilley avec son scooter, le boulimique Adam Richter qui par la suite, fit uvrede pionnier pour linterprtation de confrence en Isral, Guy Piquemal, interprtevirtuose qui passa ensuite lUNESCO, Hlne Pfaendler, toujours au pas de course,le citoyen Imbert, encyclopdie technique vivante : il ne connaissait pas seulementtous les termes en trois langues, il savait en plus comment cela marchait. Pourquoi citoyen ? Parce que, enthousiasm par la victoire des Sovitiques, tout Franaisquil tait, il demanda lAmbassade sovitique immdiatement aprs la guerre obtenir un passeport sovitique et il lobtint en un temps record. Il y avait aussilaristocratique H. Colin du Terail. la fin du congrs, lauteur vcut une aventureavec Teddy Pilley, la premire dune longue srie : de retour de deux belles journes 280 km au nord-est de Helsinki chez le propritaire dune grande scierie, pre dunedes ravissantes secrtaires du congrs qui nous y avait invits, nous roulions quatreen Citron 11 CV de location, Teddy au volant. Il devait prendre lavion pour Lon-dres le soir mme. La conversation allait bon train. On roulait et roulait, jusquaumoment o nous nous trouvmes entours dune patrouille de gardes-frontire so-vitiques. Teddy, tout la conversation, avait pris trop sur la gauche (sud-est). Un desinterprtes, descendant de parents russes blancs nosa pas ouvrir la bouche. Les expli-cations de Teddy en polonais furent infructueuses. Finalement, notre collgue russe

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  • parla. Il nous fallut 36 heures, via Moscou-Leningrad-Ambassade sovitique Hel-sinki pour tre librs. Ce qui nous sauva, cest que lambassade sovitique confirmaque nous tions bien des interprtes et que nos noms figuraient sur la liste des invitsde la rception que la dlgation sovitique avait offerte au Congrs mondial du boislavant-dernier soir. pilogue : Teddy rata son avion.

    Il serait trs intressant de retracer en dtail la personnalit et la carrire dautrescollgues de cette poque. Lespace nous manque, pourtant le temps presse : nom-breux sont les anctres de la profession qui nous ont quitts. Avec certains dentreeux nous avons perdu des trsors danecdotes et de tmoignages.

    Deux points capitaux retenir encore sous ce titre, valables pour tous les inter-prtes occidentaux :

    Ds les dbuts de la profession, il ny eut pas de diffrence de statut ou de rmunrationentre interprtes hommes et femmes. Il est vrai que dabord on y trouvait plus dhom-mes que de femmes. Cela tenait probablement au fait que linterprtation conscutivergnait souverainement et que les salles de runion taient rarement sonorises. Il fal-lait avoir une voix qui porte et il ne fallait pas avoir peur de se lever pour parler devantdes centaines de personnes. Mais trs vite, les collgues femmes simposrent et nouscoutions avec admiration les Jocelyne Brunet, Marie-France Skuncke et ElisabethHedinger (Meister) ct des matres de la conscutive dj mentionns. Avec lavne-ment de linterprtation simultane et des coles dinterprtation, lquilibre des sexesse rtablit rapidement.

    Partout on faisait confiance aux interprtes quelle que ft leur race, religion ou prove-nance gographique. On savait quon pouvait compter sur le secret professionnel. Uneanecdote : fin 1948, le Dr Reichhold, directeur du service linguistique du ministre desAffaires trangres du gouvernement Adenauer, vint Genve pour recruter des inter-prtes. Il nous raconta quune question stait pose : O trouver des interprtes quali-fis ? Le Dr Reichhold, qui connaissait la situation, avait dit M. Adenauer : Il ny aplus de vrais interprtes de confrence en nombre suffisant en Allemagne. Ou bien ilssont morts, ou bien ils sont persona non grata, stant trop mouills avec le rgimenazi. Il faut donc recruter ailleurs. L-dessus, il y eut des protestations vigoureuses ausein du gouvernement. On disait : Mais quoi, des trangers ! Est-ce quon va pouvoirleur faire confiance ? Cest Adenauer lui-mme qui rpondit : Messieurs, lAllemagnea tout perdu, lAllemagne na que la force de ses arguments. Nous devons veiller ceque nos arguments portent cent pour cent chez les ngociateurs de lautre ct de latable. Il nous faut donc trouver les meilleurs interprtes capables de nous en assurer,do quils viennent. Dailleurs , ajouta-t-il, tous ces interprtes sont tenus au secretprofessionnel . Un mot historique pour notre profession sil en fut.

    propos de secret professionnel, on dit quAndr Kaminker, alors prsident delAIIC, tait sens prter son concours la rdaction du Code dhonneur. Il gribouillasur un bout de papier et dit : Le voil, votre code dhonneur. Sur la feuille il y avaitune seule phrase : Linterprte de confrence est tenu au secret professionnel.

    Les modes dinterprtation

    Dans laprs-guerre immdiat, linterprtation conscutive tait son apoge et detrs longs discours interprts en une fois ntaient pas exceptionnels. coutonsElisabeth Meister : Des interprtations conscutives de rapports de secrtaires gn-raux de plus dune heure, lUnion interparlementaire ou lancienne Organisationinternationale des organismes de tourisme je men souviens Ces longues inter-prtations conscutives produisirent parfois des effets cocasses. Elisabeth raconte :

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    En juin 1951 se tient Lausanne la Confrence des P.E.N. Clubs, je travaille seule enconscutive pour langlais et le franais. Le clou de la runion est la confrence dunephilologue anglaise qui parle du mouvement des lgendes dest en ouest, de la diffu-sion des noms des personnes et des choses pendant les migrations des premiers si-cles. Son expos dure une heure, je prends des notes assidues, et lorsque je commencema conscutive, elle quitte la salle, suivie bientt des anglophones. Jai lauditoirefrancophone pour moi toute seule, peu prs la moiti des participants. Je refais laconfrence en franais partir de mes notes, en trois quarts dheure Les grandsconscutivistes brillrent de tous leurs feux. Norman Langford, qui allait rejoindreles rangs des interprtes du Bureau international du travail en 1967, se souvient deson arrive Genve en 1948 : Quant Herbert et Confino, je leur portais uneadmiration sans bornes alors que jexerais le mtier de traducteur/procs-verbalisteaux Nations unies cette mme anne. Je me souviens davoir ainsi travaill desrunions o les interventions taient accueillies dans le silence, tandis que les traduc-tions avaient droit aux applaudissements des dlgus.

    Les deux modes dinterprtation les plus anciens du monde, linterprtationconscutive phrase par phrase et la chuchote , continurent se pratiquer pen-dant toute cette priode, souvent dans des conditions pouvantables, il est vrai : sallesenfumes, bruits de fond massifs, chuchotage 10 dlgus ou plus. Quant auxnouveaux moyens techniques, ils furent imposs par lexplosion du nombre de ru-nions plurilingues ncessitant linterprtation, les nations daprs-guerre nadmet-tant plus lhgmonie du franais comme langue diplomatique universelle. Lhistoirede la simultane mrite quon sy arrte.

    La technique de la simultane fut utilise sporadiquement entre les deux guerres.La question a t pose si les premires simultanes, ou concomitantes nous avonsaussi trouv instant translation et interprtation tlphonique taient de vraiesinterprtations simultanes ou une lecture simultane de notes prises pralablementpar plusieurs interprtes de conscutive. De la documentation entre nos mains remise par Kamal Annabi , portant sur une interview entre M. Gordon Finlay etGrard John en 1946 et dun article de R. Durel, ancien chef de ladministration duBIT, il ressort que linterprtation au moyen des appareils HUSHAPHONE Filene-Finlay (brevet repris par IBM) tait bel et bien une vraie simultane. La premire eutlieu dans la salle du Conseil gnral loccasion de la confrence annuelle 1927 duBureau international du Travail, aprs des essais au BIT mme en 1926, autoriss parle directeur Albert Thomas en personne. Les interprtes travaillaient en pleine vuedes dlgus et non pas, comme cela a t dit, cachs derrire des buissons. De mme,linterprtation pratique par Andr Kaminker avec un quipement rudimentaire loccasion du discours de prise de pouvoir de Hitler Nuremberg en 1933 taitgalement une vraie simultane. Autre rappel historique. La premire utilisation delinterprtation simultane en Union sovitique eut lieu loccasion du VIme Congrsde lInternationale communiste en 1928. Une image du journal Krasnaya Niva (Champrouge) montre les interprtes assis au fond de la tribune, un pesant harnais dotdun microphone autour du cou. Ils navaient pas dcouteurs et captaient le son direc-tement de la salle. Par la suite, linterprtation simultane fut utilise par-ci par-l,notamment lors de quelques congrs scientifiques ou techniques. Dans LInterprte(1957, no 4) Magda van Emde Boas dcrit le procd utilis en t 1935 loccasiondu XVme Congrs international de physiologie Leningrad (le Congrs Pavlov ).

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  • Comment cette nouvelle technique a-t-elle t reue par les dlgus et par lesinterprtes de lpoque ? Karla Dejean Le Fal nous a procur des tmoignages quinous ont permis la fois de confirmer les dates de la premire utilisation de linter-prtation simultane lOIT et denregistrer la raction des utilisateurs. En voicideux :

    Lettre du marquis G. Paolucci de Caltoli Barone, sous-secrtaire de la Socit des Na-tions, M. Ake W. Hj. Hammarskjoeld, greffier de la Cour permanente de justice de LaHaye (9 novembre 1927). [] this system of interpreting is, of course, in many waysmuch more difficult than the ordinary method as the interpreter has to listen to onesentence while translating the precedent one. It was thought at first that this difficultymight prove insurmountable, but several of the interpreters at the Labour Conferenceachieved excellent results.

    Les passages suivants sont de la plume dun des grands conscutivistes de la Socit desNations, Georges Mathieu, qui, sadressant M. Demolon, chef du Service des traduc-teurs et interprtes franais de la SdN (3 septembre 1930), fait la simultane un procsen rgle. Ayant assist une runion desservie par les interprtes du Bureau internatio-nal du travail, Mathieu relate ses impressions. [] entendant assez mal lallemand, jevoulus utiliser linterprtation tlphonique pour prendre des notes sur les discoursallemands, mais je dus bientt y renoncer compltement. Ceci ne comporte, bien en-tendu, aucune critique pour mes collgues du BIT qui, soit en franais, soit en anglais,traduisaient les discours aussi bien quil est possible avec un systme aussi dfectueux.Limperfection est inhrente au fait, pour les interprtes, de devoir parler en mmetemps que lorateur. Cela les oblige sauter des phrases du discours [] ils nont pas lapossibilit de rsumer intelligemment ni de choisir les passages sauts. Il se peut que laphrase prononce par lorateur pendant quils traduisent et quils nentendent pas, parconsquent, soit justement une des plus importantes. Leffet est incohrent et il est ab-solument impossible de suivre une ide ou un dveloppement dans son entier. Pas-sant aux dlgus, Mathieu continue : [] je suis certain quun dlgu qui neconnat absolument pas lautre langue officielle nentendra que des mots mais il nepourra pas suivre lensemble dun expos [] pratiquement, il sera exclu de toute unepartie des travaux de lAssemble . Plus tard Mathieu craint quon pourrait difficile-ment songer interrompre M. Briand, par exemple, au milieu dun discours pour luidemander de parler plus lentement cause de linterprtation tlphonique . Ensuite ilvoit juste en disant : [] on peut craindre que ladoption du systme tlphoniquenouvre la porte la demande de reconnaissance dune ou de plusieurs langues officiel-les supplmentaires, ce qui entranerait des dpenses infiniment plus grandes encoreque celles des installations de matriel Quant au point de vue personnel des interpr-tes (de la SdN, W.K.), je ny reviendrai pas sauf pour signaler linsalubrit vidente despetites botes lintrieur desquelles ceux-ci doivent parler. En conclusion de sa dia-tribe, Georges Mathieu dclare sans ambages : [] je ne dsire pas me prter cetteexprience, ce nest naturellement pas par mauvaise volont ou dsir de faire obstacleau progrs, mais bien parce que jai acquis la conviction quil ny a pas l un vritableprogrs. Je ne tiens pas faire ce que je considre sincrement comme du mauvaistravail. Cela irait lencontre de ma conscience professionnelle et je ne voudrais pas meprter une innovation que jestime contraire lintrt des dlgus et la bonnemarche des travaux de lAssemble.

    Cette attitude fut partage par la majorit des interprtes de cette poque et ilfallut attendre la fin de la Deuxime Guerre mondiale pour assister la perce de lasimultane. En effet, ce fut au procs de Nuremberg, avec ses quatre langues et sesrunions fortement mdiatises, que linterprtation simultane simposa demble.

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    Le colonel Dostert, prouvant par un simple calcul quavec trois conscutives aprschaque intervention le procs durerait des annes, eut vite gain de cause. Lquipe-ment install dans la grande salle des audiences par le major Vincent du Signal Corpsfut celui dIBM, systme Filene-Finlay. Il incluait un dispositif dalerte en cas de dif-ficults rencontres par les interprtes, signales par le monitor et actionn par leprsident de la Cour. En cas de difficult de routine orateur parle trop vite , veuillez faire rpter, svp une lampe jaune sallumait ; en cas de crise aigu, unepanne totale par exemple, une lampe rouge, vnement rarissime daprs PeterUeberall. Le moniteur veillait entre autres la prsence des interprtes en dbut desance et soccupait de tout ce qui pouvait leur tre utile pendant leur travail. Les cabines taient installes directement sur le ct des bancs des accuss, formantquatre compartiments spars par des vitres un vrai aquarium , nous dit Marie-France Skuncke, lisolation entre les compartiments tait minime. Comme il nyavait quun microphone (une grosse boule ronde) pour les trois interprtes occupantla cabine un interprte par la langue de dpart , cela aurait pu tre gnant, mais,comme nous raconte Fred Treidell, la concentration requise tait telle que les inter-prtes se collaient le micro directement devant la bouche et ne se sentaient guregns par le manque dinsonorisation . Au point de vue technique, le systme, bienque lourd par rapport ce quon connat aujourdhui, donna parfaitement satisfac-tion malgr une dfinition du son insuffisante. Voil ce qui ressort entre autres destmoignages enregistrs lors dune crmonie organise par la Commission des in-terprtes permanents de lAIIC Bruxelles en aot 1992 pour rendre hommage auxpionniers de linterprtation simultane au procs de Nuremberg.

    Venons-en aux Nations unies et aux institutions spcialises. Ds avant Nurem-berg, linterprtation simultane fut pratique de lautre ct de lAtlantique, laConfrence des tats allis et neutres de lOrganisation internationale du travail Philadelphie en avril 1944. Edouard Roditi, charmant conteur et dot dune culturegnrale phnomnale, nous en parle : The conference was held at Temple Univer-sity. Simultaneous interpretation was used only for the General Assembly, whichtook place in a hall that provided no booths for the interpreters, who were placed ina dark and airless basement beneath the platform where the presidium sat and towhich the speakers also came. The interpreters were therefore unable to see any ofthe speakers and could barely hear them on account of the constant shuffling of feetabove their heads. Nor could they be heard at all clearly, since they were notseparated from each-other by any partitions. Il ntait pas surprenant dans ces cir-constances que les avantages de linterprtation simultane ne fussent gure videntspour les participants. Cest peut-tre une des raisons pour lesquelles la simultane nefut pas utilise la confrence de San Francisco des Nations unies.

    Pour lintroduction de la simultane aux Nations unies New York, nous devons nouveau lessentiel de linformation Georges Thorgevsky. la premire Assem-ble des Nations unies Londres les interprtes ne travaillaient quen conscutive.Mais pour une organisation dote de cinq langues officielles, la conscutive posa desproblmes. Ds lors que lONU nutilisait pas encore lenregistrement sonore, il taitncessaire de donner une interprtation complte, deux mme, en anglais et en fran-ais, lorsque lorateur avait parl en russe ou en espagnol. Vers la fin de cette assem-ble, M. Manouilsky, dlgu de lUkraine et prsident du comit charg dtudier lesmthodes et les plans de travail fit une proposition que Thorgevsky cite comme suit :

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  • Pendant des sicles, le franais a t la langue diplomatique internationale et depuisla SdN nous avons aussi langlais. Mais ce nest pas assez. Bien des pays sont emp-chs de se faire entendre par leurs meilleurs reprsentants parce que ceux-ci ne con-naissent pas ces langues. Il faut corriger cela et justement, en ce moment-mme, Nuremberg, se droule la simultane dans plusieurs langues. Il faut absolument en-voyer l-bas un groupe dobservateurs, dlgus, techniciens, interprtes, pour voircomment a marche et adopter ventuellement cette mthode. Cette propositionfut approuve mains leves. En aot 1946, nous dit Thorgevsky, une petite quipecompose dinterprtes simultans ayant fait leurs preuves Nuremberg, conduitepar le colonel Dostert, vint travailler Lake Success, o les Nations unies avaientinstall leur sige provisoire. Essaye par lAssemble lautomne 1946, la simultanese rvla pleine de promesses et il y eut ds lors deux sections dinterprtation dis-tinctes, rivales mme. Les grands conscutivistes craignaient une perte de qualit difficult dassurer le contrle de qualit si lorateur et linterprte parlent en mmetemps , mais aussi une perte de prestige devoir se cacher dans des cabines au fondde la salle nos amis derrire le rideau de cristal , comme disait lambassadeurVyshinsky. Mais lanne daprs, lAssemble de 1947 Flushing Meadows, ce fut lesuccs : les jeunes turcs , recruts par Dostert taient la hauteur, en anglais, fran-ais, russe, espagnol et chinois. Les Georges Klebnikof, Jean-Franois Rozan, EricSimha, Sylvain Louri et surtout, pour le grand public, lincollable George Sherryavec ses interprtations haute vitesse il a t chronomtr 240 mots la minute des discours enflamms de Vyshinsky eurent autant de succs qu lpoque de laSocit des Nations les grands discours effets de manche de Kaminker ou les mer-veilles de prcision de Jean Herbert, sans parler du phnomne Roger Glmet qui,rest excellent conscutiviste, devint virtuose en simultane au point que nos coll-gues procs-verbalistes disaient de lui que ctait le seul interprte dont les discourspouvaient tre imprims sans rvision.

    En 1947-1948 eurent lieu quatre autres grandes confrences de la famille desNations unies, avec interprtation simultane, o les simultanistes de lONU-NewYork se retrouvrent avec des free-lance europens, dont Jean Back et AlexandreBernstein (futur prsident de lAIIC, 1978-1981) :

    1. La Confrence de Londres sur les tarifs et le commerce (ICITO, plus tard GATT) Church House.

    2. La Confrence gnrale de lUNESCO de Mexico (1947) avec une quipe dinterprtespour la conscutive et une autre pour la simultane.

    3. La Confrence-fleuve (6 mois si nos renseignements sont exacts) de lUnion internatio-nale des tlcommunications Atlantic City o plusieurs jeunes diplms de lcole deGenve firent leurs premires armes. Claire Tolnay, venue des USA comme traductrice-rviseur, y fut promue interprte-chuchoteuse, puis forme la va-vite par le StateDepartment et expdie la 1re Confrence panamricaine Bogota, gravement per-turbe par un pronunciamiento . Le jeune Eric Simha, qui avait eu une activit ph-mre comme speaker et bruiteur la radio amricaine, se couvrit de gloire enimitant au micro une attaque arienne. Cela lui valut dtre renvoy sine die.

    4. La Confrence du Comit provisoire des frquences de lUIT Genve, prvue pour 6mois et qui allait durer deux ans, dont Valrie Bouladon nous raconte que les sancesde nuit commenaient 21 heures et duraient souvent jusqu 5 heures du matin, on nesen plaignait pas, il ntait pas question de se faire remplacer ni de mettre trois inter-prtes par cabine .

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    Retour New York. Aprs Flushing Meadows, raconte Thorgevsky, la fusion desdeux sections fut dcide et il nappartint ni Jean Herbert ni au colonel Dostert deprendre la direction du service unifi : ce fut Georges Rabinovitch qui fut choisi. JeanHerbert fut affect Genve (ce qui le ravit) et Dostert se consacra lUniversit deGeorgetown. M. Adrain Pelt, secrtaire gnral adjoint demanda tous les interprtesde devenir amphibies, cest--dire dtudier celle des deux mthodes quils navaientpas encore pratique.

    Pourtant, linterprtation conscutive rsista vaillamment. Aux Nations unies, leConseil de scurit la conserva, les dclarations des membres du Conseil tant toutestraduites en conscutive alors que celles des reprsentants de pays non membres duConseil, ou celles des tmoins, ntaient traduites quen simultane. Dans dautresorganisations aussi la simultane fut introduite aux assembles alors que la conscu-tive fut maintenue encore longtemps aux autres runions, pour des raisons de con-trle ou pour des raisons budgtaires. Il en tait ainsi pour lOECE.

    De plus, on vit des systmes hybrides combinant les deux modes dinterprta-tion dans une mme runion. Deux exemples :

    La simultano-conscutive pratique la confrence de la Fdration syndicalemondiale (Londres, sept. 1945) et reprise, aprs la grande scission du monde syndica-liste, la runion prparatoire (Genve, t 1949) de la Confdration internationaledes syndicats libres, fonde Church House, Londres, fin 1949. Genve, il y eut cinqlangues : anglais, franais, allemand, italien et scandinave , et cinq interprtes. Lesparticipants staient rpartis en cinq groupes linguistiques dans la grande salle desftes. Aprs chaque discours, quatre interprtes travaillaient simultanment en cons-cutive, chacun parlant son groupe. Lorsquils avaient fini, ils levaient le bras et leprsident donnait la parole lorateur suivant. La seule situation o il fallait une doubleconscutive tait aprs un discours en langue scandinave, linterprte scandinave tant seul pouvoir assurer le retour vers langlais.

    La conscutivo-simultane . Au Conseil de lEurope, pass la simultane pour sesdeux langues officielles dalors, langlais et le franais, la dlgation allemande, pendantquelques annes, amenait ses propres interprtes aux sessions de lAssemble et lon vitainsi les Rappeport (Longet), Longerich et Keiser produire, du centre de lhmicycle,des discours en conscutive, dallemand en franais ou en anglais, repris en simultanepar leurs collgues du Conseil de lEurope.

    Un aspect technique mrite dtre signal : ds le dbut, les quipements dinter-prtation simultane, aussi artisanaux fussent-ils, permettaient linterprtation enrelais. En effet, du moment o il ny avait souvent quun interprte par langue, lerelais simposait. Il est vrai que lorsque linstallation navait ni couteurs, ni cabines,le relais posait un problme. Il fallait vraiment dresser loreille pour saisir ce quedisait le collgue-pivot assis trois places plus loin la mme table, tous les autresinterprtes parlant en mme temps que lui ! En outre, linterprtation vers deux lan-gues partir dun mme micro le retour tait pratique courante. Mais le commutateur A/B nexistait pas. Aussi fallait-il que, par exemple, les dlguscoutant le russe se branchent sur original lorsque linterprte de la cabine russese mettait traduire un discours original russe en anglais ou, si la position origi-nal nexistait pas sur leur rcepteur, ce qui tait souvent le cas, ils devaient ter leurcasque et couter en direct dans la salle.

    Lessor de la simultane tait inluctable. Des organisations non gouvernementalessy mirent aussi : lUnion interparlementaire, la Chambre de commerce internationale,

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  • un nombre toujours croissant dorganisations syndicales. Et noublions pas les mis-sions de productivits, organises en Europe par lAgence europenne de producti-vit, annexe de lOECE, aux tats-Unis par le State Department en collaboration avecles gouvernements europens. Danica Seleskovitch rappelle la formation assure parle State Department pour les interprtes de tous les pays qui bnficiaient du planMarshall et arrivaient par dizaines au Centre de formation du State Department. LesFranais, pays en France par lAFAP (Association franaise de productivit), taientforms Washington par Edmund Glenn. Un bon nombre dentre eux, dont Namy,Curtis, Pinhas, les Seleskovitch, les Umansky, etc. ont fait l leurs premiers pas.Danica Seleskovitch devint mme formatrice dinterprtes Washington et ses nom-breux contacts avec des collgues des Amriques lui permirent par la suite duvrerpuissamment, en sa qualit de secrtaire excutif, pour lextension de lAIIC auxAmriques. Au Parlement suisse, linterprtation simultane fut officiellement intro-duite dbut 1948, aprs une priode dessai, avec Ginette Bazelli (Schaefer), ElisabethHedinger (Meister), Anne-Marie Haenni (Zumstein), et Berthe Rundte (van Mansvelt),qui avaient suivi un cours spcial organis leur intention par Jean Royer au Palaisdes Nations sur quipement Hushaphone . Au Parlement belge on pratiqua linter-prtation simultane ds avant la guerre. Ainsi, en quelques annes, la simultane serpandit dans le monde entier et devint assez rapidement le mode dinterprtationprdominant.

    Certains interprtes se lancrent dans ce nouveau march en offrant, soit desservices de location dquipement dinterprtation simultane mobile, soit des servi-ces plus complets dorganisation de congrs. La premire, notre connaissance, futMarie Ginsberg, interprte entre les deux guerres, puis bibliothcaire de la Socitdes Nations, puis directrice de Simulta, fonde dbut 1951. Marie Ginsberg, femmede cur et femme daffaires, prfra rester en dehors des organisations profession-nelles, mais elle eut le grand mrite doffrir un trs grand nombre dinterprtesdbutants leurs premiers engagements et lastuce de les encadrer par des interprteschevronns tels que Jean Herbert, Pierre Lambert et dautres. paule efficacementpar son technicien Dorier, elle garda son entreprise jusqu sa mort fin 1987, fidle-ment aide par Batrice Neuenschwander et, les dernires annes, par VivianeVaucher. Mentionnons aussi Charly Vonwiller (SIORC) volant de congrs en congrsaux commandes de son Cessna. Paris, la mme poque, il y eut la SIIS (Socitinternationale dinterprtation simultane, une des premires, en 1954, utiliser destransistors dans les rcepteurs-radio), dirige par Christopher Thiry, JosephUmansky et le technicien Phil Webster qui, comme beaucoup de ses collgues, futpour les interprtes plus quun collaborateur, un ami connaissant si bien leurs pro-blmes. Et noublions pas les pionniers du bidule (quipement portatif ultra-lgersans cabines, ni couteurs) qui, sans se constituer en entreprises apportaient leurmatriel dans le monde entier. Ainsi les deux Britanniques Frank Barker lAfri-cain , qui travaillait de prfrence seul en simultane anglais-franais et vice-versadans de nombreuses runions au sud du Sahara et le fougueux Teddy (Thad) Pilley,se faufilant dans la circulation des grandes capitales scooter avec son Archie (lebidule) dans la sacoche.

    Lintroduction de linterprtation simultane dans les cycles denseignement de laplupart des coles et autres centres de formation de laprs-guerre concida en rglegnrale avec le dbut du premier cycle dinterprtation. Il nen fut pas de mme

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    lcole dinterprtes de Genve. Son administrateur, le Prof. Antoine Velleman, grandconscutiviste, ne voulut dabord rien savoir. Ce fut lAssociation des diplms (AIT)qui, encourage par une lettre envoye en 1946 de Nuremberg par Marie-FranceSkuncke, lintroduisit dans ses soires de perfectionnement professionnel qui setenaient dans le sous-sol de lglise mthodiste de la rue Calvin. Un premier quipe-ment improvis par Charly Vonwiller en 1947 ne donna pas satisfaction. Nous cher-chmes mieux. Loccasion se prsenta au printemps 1949, lors du premier congrsdaprs-guerre de lIMB en Europe lhtel Albert 1er Bruxelles. Les deux interpr-tes, Ginette Bazelli (Schaefer) et Wadi Keiser, frais moulus de lcole de Genve,taient soigneusement cachs dans un coin de la salle derrire un grand arrangementde fleurs et de buissons alors quau centre de la salle, sur une estrade bien en vue detous, uvrait M. Graf, le technicien, en combinaison blanche, devant son tableau debord entour dimmenses caisses de tubes cathodiques. la demande des interprtes,M. Graf obtint le prt titre gracieux par IBM dun quipement performant et dedeux cabines pour les soires de formation de lAIT qui furent oprationnels fin1949. Peu peu la direction de lcole se fit lide dadmettre la simultane dansson curriculum, un professeur (Serge Gloor) vint enseigner au local de la rue Calvin,puis on mit la mention a suivi un enseignement dinterprtation simultane sur lediplme. Enfin vint la construction de la belle salle dinterprtation simultane appele plus tard salle Hlne-Pfaendler lUniversit mme et linclusion au plandtudes de cours de simultane en bonne et due forme sanctionns par des examens.

    Les conditions de travail

    Ltude des conditions de travail des interprtes de confrence pendant la priode1945-1953 est intressante deux titres : dun ct, on constate que des pratiques semettent en place, notamment Nuremberg et aux Nations unies, que nous retrouve-rons sous forme de rgles dans les textes de la future Association Internationale desInterprtes de Confrence. Ailleurs, cest le dsert : des interprtes font nimportequoi sans se rendre compte quils risquent de porter prjudice leur sant et laqualit de leur prestation professionnelle.

    Nuremberg, il fallut faire face deux problmes dcoulant du recours linter-prtation simultane. Dune part, la fidlit de linterprtation : lenjeu des dbatstait considrable il y allait de la vie ou de la mort des accuss. Dautre part, lafiabilit du systme, tant donn le volume norme de travail requis sur une aussilongue priode.

    Dostert avait compris quil fallait tout faire pour permettre aux interprtes debien se prparer aux audiences du tribunal. Il est vrai quau dbut, il fallut vite com-plter les quipes 3 interprtes par langue, quatre langues , ce qui eut pour cons-quence que certains interprtes furent plongs dans le travail chaud presquesans priode dentranement. Par la suite, pour la plupart des autres, il y eut adapta-tion graduelle, tude de dossiers, assistance aux audiences en simple auditeur. cou-tons Stefan Priacel, qui navait jamais eu de contact avec linterprtation simultaneavant darriver Nuremberg : Aprs un premier essai dsastreux que me firent pas-ser Dostert et Jean Meyer, un deuxime essai au cours duquel je prononais, tant bienque mal, deux ou trois phrases en mme temps que lorateur, leur parut satisfaisant.

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  • Le colonel Dostert me disait que tout lheure mon test avait t trs bon. Vousverrez, cela ira trs bien. On est comme port par lintrt mme qui se dgage detout ce qui se dit dans ce procs. Le reste nest quaffaire dintelligence, de culturegnrale, de facult dadaptation et de rapidit desprit.

    Quant la charge de travail, les rcits de Marie-France Skuncke et Peter Ueberallsont concordants. En tout, pendant le Main Process , il y avait trois quipes de 16interprtes qui travaillaient selon un systme de roulement astucieux : deux quipesse partageaient la journe, compose de deux audiences de trois heures, la deuximequipe relayant la premire au bout dune heure et demie. La troisime quipe taitlibre ce jour-l. Chaque quipe travaillait deux jours de suite, tait libre le troisimejour. En sance, le travail se rpartissait en fonction des langues parles en salle.Comme chaque interprte nassurait normalement linterprtation que pour unecombinaison linguistique, de lallemand au franais par exemple, il arrivait que letravail pendant lheure et demie en question, tait fort mal rparti sur les trois inter-prtes de la cabine. En effet, certaines interventions pouvaient tre fort longues,notamment sil y avait lecture de dclarations prpares.

    Laspect prparation continue tait intgr dans le systme puisque lquipeen stand-by pendant ses 90 minutes de non-travail , avait sa disposition tousles documents de sance ncessaires. Il ny a aucun doute que ce systme de roule-ment de Nuremberg fut un prcurseur du roulement introduit plus tard, bien queselon des modalits diffrentes, dans le Systme de lONU et des institutions spcia-lises.

    Nuremberg, le travail des interprtes ne se limitait pas la seule interprtationen sance. Pendant la priode de piquet certains interprtes attendaient dans le Ready Room , dautres, selon Peter Ueberall, faisaient de la rvision des transcrip-tions des audiences prcdentes. En outre, certains interprtes attachs aux dlga-tions nationales avaient aussi pour tche dassurer en cas de besoin linterprtationconscutive des interrogatoires bilatraux de tmoins. propos de la conscutive,Stefan Priacel note en passant que chez les interprtes de Nuremberg, exceptionfaite des diplms de lcole de Genve, le systme de prise de notes ntait pas vrai-ment au point .

    Aux Nations unies, fin 1946, le service dinterprtation conscutive comptait32 titulaires. Vinrent les simultanistes de Dostert et leffectif, les deux sections con-fondues, passa 78 pour retomber, aprs la fusion des deux sections en janvier 1948, 53 interprtes titulaires. Au sige genevois des Nations unies, leur chiffre tait rest 8. Il va de soi que, pendant les sessions de lAssemble, on fit appel un nombrevariable de free-lance.

    Pour les interprtes titulaires, intgrs au statut du personnel, les conditions derecrutement et le niveau de rmunration aux Nations unies taient demble envia-bles. Thorgevsky rappelle quen dehors de leur salaire, les fonctionnaires imports de loin la majorit, sagissant des interprtes touchaient une indemnit quotidiennede douze dollars et demi, ce qui sans tre fabuleux tait tout fait convenable .

    Ds les dbuts, les interprtes de lONU navaient en rgle gnrale, s qualit, niheures de bureau, ni obligation de prsence et ils ne faisaient que rarement autre choseque linterprtation. Il arriva quon fit appel ceux qui avaient des langues rares ou desconnaissances spcialises (juridiques, conomiques, p. ex.) pour des oprations de

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    dpannage urgentes en dehors du service dinterprtation. En revanche, les interprtesmomentanment inoccups organisrent rgulirement des sances dentranementpour parfaire leur connaissance dune langue supplmentaire.

    La spcialisation par matire tait difficile raliser il fallait que linterprtepuisse travailler dans tous les domaines , mais ce qui se produisit assez rapidement,aux Nations unies, ce fut linstauration dune sorte doligarchie parmi les interprtes.On avait ses runions, le Conseil de scurit par exemple, et on y restait quellesque fussent les heures de travail, sances de nuit comprises. La norme Nationsunies (effectif par langue, heures de travail et nombre de sances par semaine) taitpour plus tard. Nous y reviendrons.

    La spcialisation par langue daboutissement, en revanche, simposa assez rapi-dement, surtout aprs lavnement de la simultane. Georges Thorgevsky racontequil narrivait que rarement que des interprtes fussent affects plus dune cabineen simultane. coutons-le : Au cours de la dernire Assemble gnrale (1947),Rurik Krymm et Georges Margoulis ont t obligs dinterprter en simultane tan-tt en russe, tantt en franais, tantt en anglais ; ils lont fait avec brio, mais seseraient volontiers pass de cet honneur, car si de telles manuvres crbrales sontchose assez courante en conscutive, elles exigent pour la simultane un effort intense,aboutissant rapidement au surmenage.

    La plupart des organisations intergouvernementales de laprs-guerre immdiatse dotrent de rgles rgissant le travail des interprtes sinspirant du modle Socitdes Nations ou de celui de lONU. Les grandes confrences diplomatiques firent demme. Mais dans le march priv les choses allrent tout autrement.

    Dans laprs-guerre, la notion assez floue de march priv ne se fondait passur une distinction nette du statut de lemployeur : gouvernemental, intergouverne-mental, non gouvernemental, priv proprement parler. Le march priv englobaittout ce qui ne relevait pas dorganisations ayant leur service des interprtes per-manents intgrs au statut des fonctionnaires et recrutant des free-lance sur unebase rgulire des conditions dfinies davance.

    Dans le priv , comme on disait alors, les conditions de rmunration, de tra-vail et de voyage taient soit dictes unilatralement par le client, soit ngocies entrelui et linterprte ou le groupement auquel celui-ci appartenait. Les confrences dupriv ntaient pas encore trs nombreuses, mais les interprtes de confrence vrai-ment qualifis ltaient encore moins : ctait un sellers market, we interpretersbeing the sellers . Ce facteur, sajoutant au prestige des anciens de la Socit desNations et la renomme des nouveaux de Nuremberg et des Nations unies,eurent pour consquence quen rgle gnrale linterprte de confrence tait bienrmunr et jouissait dun statut comparable celui des dlgus. Pour la rmunra-tion, les grands conscutivistes essayrent de se concerter. En fait, ils procdrent un calcul partir de la rmunration mensuelle des interprtes permanents delONU, fringe benefits non compris. Ils la divisrent par vingt jours de travailsupposs et arrivrent 20 dollars amricains par jour (80 francs suisses). Pour toutle reste effectifs, heures de travail, conditions de voyage , ctait le flou absolu. On ne savait pas , nous disent les rares survivants de cette poque.

    Il ny a rien de tel que des exemples vcus pour illustrer labsence de rgles enmatire de conditions de travail et de normes techniques cette poque. Lauteur encite quelques-uns de son cru, sachant quil est loin den avoir lexclusivit.

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  • Congrs de lInternationale socialiste Vienne, juillet 1948. Les interprtes sont assis aubord du balcon de la grande salle du Parlement de Basse-Autriche. Ils sont relis auprsident, seul disposer dun micro, les orateurs parlant directement de la salle. Pourles entendre, les interprtes tent leurs couteurs. Heureusement que lacoustique estexcellente et que pour tre dlgu, cette poque, il fallait avoir une voix qui porte.Aucun des interprtes navait eu de formation en simultane. Toute lquipe venait deGenve, par lintermdiaire de lAIT (diplms de lcole). Pour la petite histoire :Vienne tait occupe. Dans les rues, les Jeeps patrouillaient avec, bord, un Amricain,un Russe, un Franais et un Anglais. Les camarades socialistes autrichiens avaientrenonc des tickets de rationnement pour nourrir le congrs. Un jeune adjoint duprsident autrichien soccupait beaucoup des interprtes : Bruno Kreisky !

    Congrs mondial des intellectuels pour la paix, Wroclav (ex-Breslau), 1950. Langues :anglais, franais, allemand, russe, italien, polonais, bulgare, hongrois. Cabines : dan-ciennes cabines tlphoniques monoplace, les interprtes assis sur un tabouret de bar,regardant par le petit hublot rond de la cabine sous lequel on avait clou une tablette debois. Les seuls interprtes professionnels taient Richard Herzenberg et Wadi Keiser deGenve. la sance douverture, au bout de 20 minutes, trois cabines se taisent. On vavoir. Les trois collgues staient vanouies. Les cabines taient pratiquement tanches,mais ces collgues navaient pas os ouvrir les portes cause des regards courroucs etdes chut des dlgus assis dans le dernier rang 50 cm des cabines ! Pour la petitehistoire : le directeur gnral de lUNESCO, Huxley, avait ouvert le congrs, son organi-sation ayant accept de parrainer celui-ci. Constatant ds le premier jour que le congrstait totalement infiltr par les communistes, Huxley lui retira son parrainage et repar-tit immdiatement pour Paris. Mais quelle participation : Picasso, Julie Coton, les Ara-gon, Paul Robeson, Ilia Ehrenbourg, Fadeyeff, et tant dautres.

    Congrs de la Fdration internationale des travailleurs des charbonnages, Bourne-mouth, 1951 : Simultane sans couteurs ni cabines. Les interprtes taient installsautour dune table dans un coin de la salle. 5 langues, 5 interprtes, runions matin etaprs-midi du lundi au samedi. Interprtes : Edouard Roditi (F), Laura Sutherland(GB), Maria Roverano (I), Wadi Keiser (D), Juul Poulsen (Scand. et retour en GB).quipement Simulta. Technicien Dorier.

    Premier Congrs international de mdecine homopathique, Lausanne, 1951. Cons-cutive debout, anglais, franais, allemand. Un interprte. Il sagissait de rsumer endeux fois 5, maximum 10 minutes, des exposs de vingt trente minutes. Sances dulundi au samedi, matin et aprs-midi. Pour la petite histoire : W. Keiser seffondra lafin de la sance de clture, fut remis sur pied par le Dr Pahud, prsident du Congrs,dans sa clinique homopathique. Prix de consolation : un bel ouvrage sur lhomopa-thie avec ddicace du prsident.

    Les trois premiers congrs cits avaient ceci en commun : le soir, aprs les san-ces, on restait sur place pour traduire les projets de rsolution, les dcisions arrtes,certains discours importants quil fallait distribuer en sance le lendemain. Cela fai-sait tout normalement partie du travail. Parfois, malgr notre jeunesse, nous nousrendions compte que nous tions la limite. Alors nous allions nous dfouler. AuCongrs de Wroclav, ville dtruite 80 %, il y avait une exposition pour les terresrcupres avec un Lunapark. Alors, aprs les runions, nous allions au casse-crote : saucisses, bire et tout, mais surtout, nous allions nous dfouler sur lescarrousels, montagnes russes et autres stands de tir. Puis, vers 21 heures, retour nostraductions, parfois jusqu une heure du matin.

    Une autre tche attendait linterprte auprs de certains employeurs, notam-ment, mais pas exclusivement, en Rpublique fdrale dAllemagne : la rdaction des

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    notes de sance , (Aufzeichnungen). Lors dentretiens entre hommes dtat entte--tte, linterprte tant la seule autre personne prsente, celui-ci tait charg derdiger un compte rendu sommaire remettre , mettons, M. Adenauer ouM. Hallstein. Cette rdaction se faisait immdiatement aprs lvnement. En Alle-magne, il tait entendu que ce texte nengagerait pas la responsabilit de linterprte :ctait un simple aide-mmoire, mais cela impliquait une prise de notes diffrente decelle dune conscutive ordinaire. Erich Feldweg nous raconte que ce genre de travailpouvait prendre des proportions considrables. Ainsi, pour le chancelier fdral KurtGeorg Kiesinger, il dicta en quelques semaines environ 130 pages de Aufzeich-nungen , en gnral en dehors des heures de service. En outre, pendant longtemps,cette activit se fit en cachette , parce que lautre ct tait sens croire quil nyavait pas de trace crite de lentretien. Erich Feldweg nous dit que ce tabou ne futrompu quen 1972 lorsque, pour la premire fois, les mdias parlrent de lexistencede ces Dolmetscher-Aufzeichnungen .

    Les runions syndicales taient de loin les plus exigeantes au point de vue desactivits sajoutant linterprtation en sance. Pour les syndicalistes, linterprte fai-sait partie de la famille et il tait sens se tenir disposition du lever au coucher : toutle monde logeait au mme htel, mangeait aux mmes restaurants et la plupart desdlgus dpendaient totalement des interprtes pour sentretenir avec les camaradesparlant dautres langues.

    cette poque, il tait tout fait normal dexiger des interprtes quils travaillentpendant les excursions touristiques, assis, par exemple, lavant de lautocar ctdu guide, dcrivant en trois langues les beauts du paysage.

    Toujours propos dactivits autres que linterprtation. Au dbut des annes1950, E. Glenn, chef de la section interprtation du Service linguistique du StateDepartment des tats-Unis, eut une ide de gnie : Pourquoi ne demanderait-on pasaux interprtes, rompus aux astuces de la procdure des runions internationales,dassurer la prsidence de telles runions ? Pourquoi ne pas en faire des experts qui,tour tour, serviraient la communication en interprtant pour telle runion, en pr-sidant telle autre ? Hlas ! ce projet fascinant fit long feu.

    Une chose aura sans doute frapp les lecteurs : Comment des interprtes pouvaient-ils travailler seuls en simultane des journes entires ? Il faut savoir qu cette poque,sauf pour les changes techniques courts demandant une prcision absolue, linter-prtation simultane devenait souvent, au bout dune heure ou plus, une sorte de running commentary qui restait tout fait cohrent et permettait aux participantsde suivre et dintervenir sils souhaitaient quon revienne plus en dtail sur tel ou telpoint. Cela dit, lendurance des interprtes de ces temps-l tait plutt remarquable.Preuve en est ce tmoignage dElisabeth Meister : Ctait en 1948, la Confrenceeuropenne de radiodiffusion au Danemark ; il sagissait de rorganiser les servicesde diffusion aprs les destructions de la guerre. Les Sovitiques font obstruction ds ledbut de la confrence sur des questions de procdure, impossible de passer au fond. la troisime semaine, le prsident dcide de ne pas lever la sance avant que cesquestions ne soient tranches, autrement dit, il veut avoir les Sovitiques la fatigue.Je suis en cabine franaise ds 9 heures du matin avec un collgue qui ne donne passatisfaction et on me fait savoir que je continue seule. Pour le russe, je prends le relaissur la cabine anglaise o il y a deux interprtes. La sance dure toute la journe,

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  • midi et 19 heures on mapporte des sandwichs en cabine. Les dlgus sont lamme enseigne. La sance se poursuit jusquaux petites heures du matin suivant,jaurai t 16 heures daffile en cabine, seule. Mais les Sovitiques ont cd et laconfrence peut dmarrer . Elisabeth raconte qu son retour de la confrence,son mdecin diagnostiqua une primo-infection et lui conseilla trois mois de reposcomplet. Rponse dElisabeth : Impossible, je repars la semaine suivante pour monprochain engagement.

    Ce cas extrme illustre bien la remarque cite plus haut : On ne savait pas Ce ne fut quune dizaine dannes plus tard quon commena srieusement se poserdes questions sur la sant des interprtes. Jean Herbert, dans un article paru dansLInterprte en 1956, fut le premier lancer le dbat. Cet article suscita une rponsedElisabeth Meister et un article de Wadi Keiser : Problmes de sant dans linter-prtation de confrence , repris la mme poque par les interprtes fonctionnairesde lOTAN pour leur dossier. Ceux-ci furent, notre connaissance, les premiers selancer dans une revendication pour une charge de travail normale.

    propos de revendications, il est intressant de noter que les conditions de tra-vail dcrites ci-dessus ne furent gure contestes jusquau dbut des annes 1960 ; lesactions menes par les interprtes ou leurs associations se limitant jusque l desrevendications tarifaires. Le changement nintervint sans doute quau moment o lapression de la charge de travail devint constante pour les permanents alors que le feusacr des annes ddification de leur organisation cdait au souci de prserver lasant et la qualit du travail. Baigorri-Jaln a trouv une excellente formule en disantquaux Nations unies, larrive de la gnration intermdiaire dinterprtes au dbutdes annes 1960 a signifi le passage de linterprtation vue comme prodige linterprtation vue comme une profession . Cela vaut galement pour les Commu-nauts europennes o les annes euphoriques de la mise en place des institutions etla multiplication des sessions-marathon dbouchrent sur cinq annes de lutteacharne pour lamlioration des conditions de travail : prsentation du cahier desdolances en 1963, aboutissement de laction en 1967. Aux Nations unies, le pointculminant de cette action fut marqu par la grve des interprtes de 1974. Plus loindans louvrage, nous voquerons laction de lAIIC en matire de rmunration et deconditions de travail des interprtes free-lance travaillant pour les trois grandesfamilles dorganisations intergouvernementales (ONU, CEE, Coordonnes), con-duisant en 1969 la conclusion des accords quinquennaux. Nous voquerons aussilhroque bataille du Berlaymont Bruxelles la mme poque, action conjointedes interprtes fonctionnaires de la Commission CE et de lAIIC.

    La formation

    Dans laprs-guerre immdiat et pendant une bonne dizaine dannes, les interprtesissus dune cole dinterprtation taient en minorit. Mais la forte demande eninterprtes qualifis ds la fin des hostilits entrana la cration dun nombre consi-drable dcoles dinterprtation et autres centres de formation. Aprs lcole dinter-prtes de lUniversit de Genve (1941), il y eut Heidelberg ressuscite etGermersheim (1946), Paris HEC (1948), Vienne et Munich (1952), Paris ESIT(1957). Un chapitre spcial de cet ouvrage sera consacr la politique de lAIIC en

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    matire de formation et de collaboration avec les coles dinterprtation. Quelquesralisations et un litige mritent cependant dtre signals pour la priode pr-AIICet le dbut de lAssociation.

    Les premires coles du type universitaire se caractrisaient presque toutes pardes programmes complets de traduction-interprtation schelonnant sur plusieursannes, le cycle interprtation se situant au niveau de la licence universitaire voiredun titre post-universitaire. Trs tt, cependant, dautres cycles de formation furentconus et firent preuve defficacit, simposant mme dans certains circuits : la for-mation courte, la formation hors cole par des employeurs institutionnels, lorgani-sation par les coles de cours spciaux hors curriculum la demande demployeursou gouvernements. Nous avons dj parl de la formation des interprtes pour lesmissions de productivit par le State Department. Voici encore trois exemples :

    Le Interpreters Working Party de Londres. A.T. Pilley eut un coup de gnie en res-suscitant en 1946 le Linguists Club , log dans une maison de 5 tages du ct deGrosvenor Place, offrant aux jeunes contre une fee modique des cours de langue,danse, ping-pong, checs, une bibliothque, une cantine et, aux futurs interprtes, son Working Party . Ce cours se distinguait par un minimum de frills , une grandesouplesse, une bonne slection des candidats (test daptitude liminatoire), une forma-tion collant la ralit professionnelle et, pour ceux qui russissaient, une aide puis-sante au dmarrage professionnel. La dure des tudes dpendait du talent et de ladiligence des participants. Le nombre impressionnant dinterprtes qualifis sortis dece cours prouvait quil tait possible de former de trs bons interprtes en trs peu detemps. Pour la petite histoire : le Linguists Club tait, pendant des annes, le lieu derencontre de presque tous les interprtes continentaux passant par Londres. Ainsi, pen-dant la Confrence pour le rglement des dettes extrieures allemandes qui se tenait Lancaster House et schelonna sur plus dune anne (1950-1951), le Linguists Club futlendroit idal pour se dtendre aprs le travail. Toujours pour la petite histoire : laConfrence des dettes allemandes, le secret professionnel des interprtes fut mis rudepreuve. Sur une priode de six mois, les interprtes travaillant aux runions topsecret du Steering Committee furent mis trois fois sur le gril par Scotland Yard. Lelendemain de certaines runions du Comit de direction un compte rendu presquecomplet paraissait dans le Financial Times avec les mouvements en bourse immdiatsquon devine. On souponna les interprtes, seuls prsents en plus des chefs de dlga-tion et de leurs adjoints. Enfin le coupable fut dmasqu : un des adjoints du chef de ladlgation britannique ! Mais revenons la mthode du Working Party . Teddy Pilleylappliqua avec succs pour la formation rapide des quipes dinterprtes de certainsgrands congrs dabord p. ex. le Congrs sioniste Jrusalem en 1952, quatre langues,11 interprtes , pour le recrutement et la formation dinterprtes permanents de deuxparlements du Common wealth britannique ensuite : le House of Representatives Colombo en 1955 (anglais/tamoul et cinghalais) et lAssemble lgislative Singapouren 1957 (anglais/tamoul/malais et mandarin).

    La formation par les employeurs. Le premier projet de ce genre fut le projet No 198 delAgence Europenne de Productivit annonc le 12 dcembre 1953 sous le titre Slec-tion et formation dinterprtes simultans . LAEP, une agence de lOrganisation euro-penne de coopration conomique, avait rencontr des difficults recruter desinterprtes qualifis en nombre suffisant pour ses nombreuses missions et runions deproductivit qui avaient lieu dans tous les coins de lEurope. Le but tait de crer uncentre de formation au service des pays participants. Deux ides matresses : A) Assis-tance professionnelle et technique lchelon national pour les runions sur place dansles pays participants portant sur la prslection de candidats, les examens daptitude

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  • professionnelle, la formation et le perfectionnement professionnel. B) Pour les conf-rences europennes, cration dun pool europen dinterprtes permanents (prslec-tion, formation, etc.). Il ressort dun rapport rdig aprs une runion dexperts parW. Keiser, membre de la dlgation suisse, que 8 pays taient intresss : Allemagne,Belgique, Danemark, France, Italie, Suisse, Turquie, tats-Unis dAmrique (pluslOECE et lAEP). En dcembre 1954, le projet fut abandonn, essentiellement causede la crainte quil pourrait porter prjudice au pool des interprtes fonctionnaires delOECE et de la peur des coles dinterprtation de certains pays dtre court-circuites.Bien que ce projet dboucht sur un chec, la formule fut reprise dans son principe parquelques employeurs institutionnels.

    Cours ad hoc organiss par une cole la demande dun employeur. En 1953, M. A.Spira, chef de la section interprtation de la Haute Autorit de la Communaut euro-penne du charbon et de lacier (CECA) chargea lcole de Genve de lorganisationdun stage de six semaines de formation acclre ou de perfectionnement pour sesinterprtes. Un crash course fut organis, lcole faisant appel aux meilleurs de sesenseignants et quelques interprtes professionnels extrieurs. Ce fut un succs et cetteexprience servit de modle des cours semblables ultrieurs, Genve, Paris (ESIT)et ailleurs. En marge : ce stage nous fmes la connaissance dune philologue trilinguecharmante, Rene Herz qui, devenue Rene van Hoof, accda par la suite la directionde ce qui allait devenir le plus grand service dinterprtation du monde, celui de laCommission de la Communaut conomique europenne Bruxelles.

    Le litige. Curieusement, le premier litige judiciaire opposant une association profes-sionnelle dinterprtes une tierce partie se joua sur larrire-plan de la formation.En dcembre 1954, rpondant un appel au secours dun groupement de collguesdItalie reprsent par Guido Enk et Fred Mller, le prsident de lAIT, agissant aunom du comit de lAssociation, envoya une circulaire (sic !) aux membres, aveccopie lAIIC, la FLIG et LACI, leur demandant de ne pas accepter une ventuelleoffre pour le Congrs mondial du ptrole Rome en 1955 qui leur serait adresse par M. Baridon ou ses mules , mme si pour une fois on leur offrirait le plein tarif .Ce fut laffaire Baridon : plainte pnale en diffamation et concurrence dloyalecontre lAIT et son prsident devant le tribunal de Lugano ; innombrables tracta-tions, interrogatoires, frais importants. Les deux parties ayant choisi des avocats con-nus pour tre des touffeurs de procs , tout se termina en mai 1957 par unarbitrage dbouchant sur un acte de conciliation (arbitre conciliateur : Alvise Savor-gnan di Brazz ; tmoins : Jean Herbert, Maria Grazia Riontino, directrice du CentroCongressi di Milano ; signataires : W. Keiser, prsident de lAIT et le Prof. SilvioBaridon, directeur des coles de Milan, Florence et Rome). M. Baridon tait le vain-queur, sur papier, son but ayant t de se faire connatre, dtendre sa chane dcolesailleurs en Europe, accessoirement de faciliter ladmission de ses diplms lAIIC etde crer une position de force son Centro Congressi. De fait, en dehors de lItalie,les fruits escompts ne tombrent pas dans lescarcelle de M. Baridon : lcole dinter-prtariat fonde par lui Paris fut bien vite limine, essentiellement grce ZoranSeleskovitch, et remplace par une vritable cole dinterprtes de confrence, devenuelESIT en 1957. Aucune faveur ne fut accorde par lAIIC aux diplms des coles ita-liennes de Baridon. En Italie, en revanche, surtout Milan, lAIIC et ses membressouffrirent normment. Le march italien tant inond des diplms de ces coles,la rgle du contrat direct ntant pas accepte par le Centro Congressi de Milan,dautres OPC suivant lexemple de celui-ci, nos collgues dItalie membres de lAIIC

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    perdirent des centaines de journes de travail. Avec le recul historique, on peut sedemander si une politique de plus grande souplesse en matire dadmission de lapart de lAIIC linstar de celle pratique dautres moments dans dautres rgions et une opration de diplomatie vis--vis du Centro Congressi aurait peut-tre per-mis lAIIC de simplanter plus facilement dans cette rgion o tout tait encore endevenir et nos collgues, dont le courage tait admirable, de moins souffrir.

    propos de litiges : par la suite, lAIIC elle-mme allait tre entrane dans deslitiges. Nous en parlerons sans doute plus tard, mais il est intressant de noter quechaque fois, il y allait de principes fondamentaux de notre profession. Lors de lAffaire amricaine (1967), il sagissait du principe de luniversalit de lAIIC etde la libre circulation des interprtes de confrence, dans laffaire Falkenburger (1972) du contrat direct, dans les trois autres cas Canada (1982), Allemagne(Kartellamt, 1986), tats-Unis (FTC, 1993-98) de toutes les rgles et normes visespar le droit de la concurrence.

    Dispersion gographique, circuits, marchs

    Sous ce titre nous ne reparlons que brivement des grandes institutions intergouver-nementales onusiennes ou europennes. Signalons cependant que la thse deBaigorri-Jaln est une mine dor pour ce qui est des Nations unies. Dautres circuitsou marchs de linterprtation se dvelopprent. Genve, Paris, Londres et New Yorkperdirent une partie de leur prdominance et la demande sans cesse croissante eninterprtes devint de plus en plus polycentre et diversifie.

    En rgle gnrale, les grandes organisations internationales se dotrent de servicesde traduction et dinterprtation employant des fonctionnaires, les permanents ,optant selon les besoins pour des units effectifs assez nombreux ou pour de petitsnoyaux de permanents ainsi pendant tout un temps Ludovic Ravet, Hans Jacob,Marie-France Skuncke, Guy Piquemal et Patricia Longley furent les seuls permanentsde lUNESCO , mais toutes avaient besoin de recourir des interprtes indpen-dants, les free-lance, pendant leurs priodes de haute activit. Trs vite, ces organisa-tions eurent leurs free-lance rguliers, recruts par priorit sur les autres, danscertains cas sur la base de contrats cadre. Zoran Seleskovitch, visionnaire, disait quenfait, ces free-lance allaient devenir des permanents au rabais , assurant parfois unnombre de jours de travail mensuel suprieur celui de leurs camarades permanents,sans la scurit demploi et les fringe benefits de ces derniers et quil fallait au plusvite ngocier des conventions collectives. Christopher Thiry nous rappelle que Zorantait particulirement soucieux de la responsabilit des organisations en matire deretraite et de scurit sociale des free-lance ide qui tait venue fort peu de gens lpoque. Ce fut le moteur essentiel des ngociations pour les accords la rmunra-tion et lindexation venant pratiquement en sus. Mais pour cela, il fallait dabordcrer une organisation professionnelle reconnue comme interlocuteur valable par cesorganisations.

    Pour le secteur non-gouvernemental, nous nous limiterons par la force des choses la description de quelques exemples caractristiques tout en invitant nos lecteurs apporter les complments dinformation susceptibles de faire lobjet dune publicationultrieure sous forme de monographies historiques par secteurs, pays ou rgions.

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  • Trs tt, deux circuits importants se mirent en place, celui des organisations syn-dicales et celui des congrs mdicaux. L aussi, il y avait les habitus pour ne pas direles spcialistes. En effet, ces organisations aimaient sassurer le concours dquipesdinterprtes fidles qui les suivaient partout dans le monde, quitte complterlquipe de base dinterprtes locaux, notamment pour des langues autres que leslangues officielles de lorganisation en question. Trs vite aussi, certains de ces inter-prtes spcialiss devinrent interprtes-recruteurs, consultant interpreters , telsque Alfred Spirig et Karl Grtner dans le secteur syndical o ils obtinrent auprs deplusieurs secrtariats professionnels internationaux (SPI) de notables changementspour le mieux en matire de conditions de travail, ou George Grard, Ren Pinhas,Peter Spitz et Jean Meyer pour les congrs mdicaux. Ce dernier, dailleurs, avaitrussi se placer la source en tant quinterprte-conseil du Comit internationaldes organisations scientifiques (avant tout mdical) Paris. Particularit des engage-ments offerts par Meyer : jamais de contrat, cela se limitait un accord sur la dispo-nibilit, on se trouvait sur place au moment convenu et Jean vous glissait au dbut dela confrence une enveloppe contenant le montant total en espces, frais de voyagecompris. Marie Ginsberg tait autant active dans le circuit syndical que dans celui desrunions mdicales. De mme pour Charly Vonwiller qui devint par la suite chef-interprte de la Fdration syndicale mondiale Vienne, quil quitta lorsquelledmnagea Prague.

    Cest dans ces runions que nous rencontrmes les premiers interprtes de con-frence des pays excentriques par rapport aux principaux centres dactivit interna-tionale, en Scandinavie, par exemple. Il y avait l le mlomane Josef Berg Oslo, leDanois Juul Poulsen Copenhague, le lgendaire Sudois Sven Backlund qui, syndi-caliste convaincu de la supriorit du modle scandinave , dcidait souveraine-ment ce qui tait susceptible dintresser ses dlgus , donc digne dtre interprtet remplissait le reste du temps par des renseignements touristiques ou les derniresblagues. Par eux, nous fmes la connaissance des autres collgues scandinaves, telsque Ellen Larsen, Axel Anslev, Hannelore Aaberg et Jeannette Vinkel-Dartnell Copenhague, Margot Levy et Calman de Pandy, historien ses heures, Stockholm.Dautres lumires lhorizon syndicaliste de cette poque furent Erich Wchtler etlincollable Elfriede Tschiesche Vienne et loriginal Grard John Genve, syndica-liste dans lme, longtemps prsident de lAIT et profondment convaincu de la rglede la disponibilit de linterprte 24 heures sur 24.

    Dans le domaine mdical aussi, les interprtes spcialiss se rencontrrentrgulirement. Spcialiss, soit parce que mdecins eux-mmes, tels que Daar, Des-touches, Missirliu, Licea Romei, Valenzuela plus tard, soit force de sy tre attelsavec passion, comme Behringer, Meister, Lambert, Pfaendler, Simha, Schaefer, Testot-Ferry, De Clarens, Apaire, Pinhas, Spitz, Thiry, Band, Schmidt pour nen mention-ner que quelques-uns. Il y avait aussi, parfois, des quipes mixtes. Un seul exemple :en 1952 se tint Copenhague le Congrs mondial de la poliomylite, au momentmme de la dernire grande pidmie de cette terrible maladie en Scandinavie. Lesinterprtes des cabines anglaise et franaise taient des habitus des quipes deGeorge Grard. Pour le complment allemand, les organisateurs firent appel lcolede Genve et trois membres de lAIT furent spcialement forms sur une priode dequatre mois par des mdecins de lHpital cantonal de Genve. Au Congrs, tout sepassa bien, sauf que, dans la session de chirurgie reconstructrice, les crans tant

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    cinq mtres des interprtes, la cabine allemande soudain se tut : les deux jeunes coll-gues navaient jamais vu une opration sanglante et elles taient tombes dans lespommes ! Pour lhistoire : cest ce congrs que deux mdecins amricains, lesdocteurs Salk et Sabin, annoncrent leurs premiers rsultats cliniques prometteursavec un vaccin anti-polio, le premier sur