l'europe decouvre l'afriqueexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfles pirates à...

30

Upload: others

Post on 07-Mar-2021

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en
Page 2: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

L 'EUROPE DECOUVRE L ' A F R I Q U E

Page 3: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

DU MEME AUTEUR

Les A ntaisaka : Géographie humaine, histoire et coutumes dune population malgache

(Tananarive 1938; Thèse de Lettres, Paris) Le dialecte antaisaka (id.)

Madagascar (Berger-Levrault, 1947, 2 éd. 1951)

Côte des Somalis (ibid., 1948)

Les pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949)

Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en collaboration avec Paul Chauvet)

La fin des empires coloniaux (P. U. F., 1950, 3e éd. 1963, traductions espagnole et japonaise) Les voyages de Samuel Champlain, Saintongeois, père du Canada

(P. U. F., 1951) L'éveil politique africain

(P. U. F., 1952, 3e éd. 1965, sous le titre : Les institutions politiques de l'Afrique noire)

L'Union Française (Berger-Levrault, 1952, 2 éd. : The french Union 1955)

Pirates et Flibustiers (P..U. F., 1952, traductions espagnoles et japonaise)

Les méthodes et les doctrines coloniales de la France, du XVI siècle à nos jours

(Armand Colin, 1953) Peuples et Nations d'Outre-mer

(Dalloz, 1953) Les religions de l'Afrique noire (P. U. F., 1954, 3 éd., 1965)

Tahiti (Berger- Levrault, 1957)

Les Malgaches du Sud-Est (P. U. F., 1958, en collaboration avec Suzanne Vianès)

Les migrations intérieures, passées et présentes, à Madagascar (Berger-Levrault, 1959) Histoire de Madagascar

(Berger-Levrault, 1960, 3e éd., 1965) Traditions orales et archives au Gabon

(Berger- Levrault, 1962) L'Afrique noire précoloniale

(P. U. F., 1962) Paramour,

roman (sous le pseudonyme de Marc La Boisière, Plon, 1963) Le Sénégal et la Gambie

(P. U. F., 1964) Quinze ans de Gabon, 1839-1853

(Société française d'Histoire d'Outre-mer, 1965)

Page 4: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

H U B E R T D E S C H A M P S

Professeur en Sorbonne

L'EUROPE découvre

L'AFRIQUE

Afr ique Occ iden t a l e 1794-1900

EDITIONS B E R G E R - L E VRAULT

5, RUE AUGUSTE-COMTE, PARIS-VIe 1967

Page 5: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

Copyright by Editions Berger-Levrault, Paris, 1967

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photo- graphie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre constitue une contrefaçon incompatible avec la protection des droits d'auteur.

Page 6: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

A SUZANNE BLUM en souvenir

des évasions dont rêvait notre jeunesse

Page 7: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en
Page 8: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

P R E S E N T A T I O N

« Explorer : Parcourir en examinant, chercher à découvrir » (Littré). Le latin « explorare » a déjà ce sens. Dans l'armée romaine c'est la tâche de l'éclaireur. Pour la connaissance du monde, c'est le travail des explorateurs, c'est-à-dire (dans le sens que nous lui réservons ici) les découvreurs, les premiers à décrire plus ou moins scientifiquement un pays inconnu et ses habitants, à révéler un iti- néraire. Révélation suppose publication : d'un livre, d'un article, voire même seulement d'un rapport ou d'une lettre.

De Laing, d'Hornemann il ne reste qu'une lettre... et, pour Laing, combien brève! Mais il fut le premier à Tombouctou, Hor- nemann le premier au Fezzan d'où il envoya des renseignements précieux sur le Soudan. Nous parlerons donc de l'un et de l'autre. Au contraire, de Burton, qui fut un des grands découvreurs de l'Afrique orientale, nous ne citerons pas le voyage au Dahomey parce qu'il y est allé en ambassadeur, en suivant des chemins par- courus depuis un siècle et maintes fois décrits. Son récit, si intéres- sant soit-il (et si agaçant, comme tout ce qui émane de cet insup- portable grand homme), peut offrir une pâture à l'historien ou à l'ethnologue; il ne relève pas de l'exploration.

Ainsi notre dessein n'est-il pas uniquement de retracer, comme

Page 9: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

on l'a fait maintes fois, l'histoire des « grands explorateurs », mais aussi et avant tout la grande Histoire des découvertes : comment les parties du monde ont été révélées peu à peu dans la richesse de leur diversité, comment se sont établis les premiers contacts préparant l'établissement de l'ère planétaire. Dans l'His- toire universelle, aucun acte n'est peut-être d'une portée plus immense. Colomb, Park, Stanley ont brisé les barrières entre les hommes par leurs découvertes autant qu'Alexandre par ses vic- toires. Et je ne doute point que, dans l'Histoire globale de l'huma- nité qui s'établira un jour, d'humbles voyageurs comme Caillé ou Lander ne prennent la place des plus fameux verseurs de sang.

C'est dire que les explorateurs seront les premiers rôles de ce livre. Et les petits comme les grands, car aucune pierre n'est inutile à l'édifice. De chacun nous aurons à rechercher qui il était, si sa formation et son caractère répondaient aux besoins de sa voca- tion, quelles ont été l'étendue et l'orientation de sa curiosité, si ses jugements sont marqués par les préjugés de son temps et de son pays.

Car les individus, même exceptionnels, ne sont pas distincts de leur époque. Ils sont les acteurs d'une vaste pièce, le drame shakespearien de l'exploration, fait d'ombres et de lumières, de souffrances et de triomphes, de surprises heureuses et de catas- trophes, mais non pas « le conte dit pa r un idiot et qui ne signifie rien ». I l a ses causes, ses intentions, ses mythes, ses moyens matériels (et le plus précaire est souvent le plus efficace), ses supports, ses subterfuges, les dangers des hommes et ceux, plus meurtriers, du climat. Tragédie certes, mais non chaos; au contraire du théâtre, il y a plus de victimes au début, et la progres- sion, malgré certains paliers, ne cesse guère jusqu'à la fin.

Les hommes, donc, et l'action. Mais ce n'est pas tout. Ce n'est même pas l'essentiel. I l y a, avant tout, ce qu'ils sont venus cher- cher : les résultats, la moisson de tout cet effort.

D'abord, cela va de soi, les progrès de la géographie : itinéraires nouveaux, comblement des blancs sur la carte, redressement des

Page 10: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

erreurs nées de l'imagination, élargissement des connaissances scientifiques.

Puis la découverte des pays et des hommes. Nous verrons, dans ce volume, surgir aux yeux des explorateurs toute une Afrique inconnue : ses déserts, ses plaines brûlées, ses savanes, ses forêts obscures, le mystère de ses fleuves, ses arbres étranges, ses mari- gots pestilentiels, ses moustiques, ses fauves; et son humanité, noire ou blanche, les tentes en poil de chameau, les villages aux huttes rondes ou aux cases de feuilles, les villes médiévales ceintes de murailles gardées par des cavaliers à cotte de mailles; ailleurs des guerriers nus aux flèches empoisonnées, les cours des souve- rains, le peuple des artisans et celui des campagnes, les bergers peul, les cultivateurs noirs creusant à la houe la terre rouge brûlée, les récoltes de mil ou d'igname, les joies et les maux, les nuits de danse sous la lune, les villages, la guerre; toutes les formes de commerce aussi, des marchés grouillants aux caravanes égrenées le long des pistes du Sahara et de la brousse, la traite du sel, de l'or, des colas, des esclaves; et, plus difficiles à percer, les menta- lités, les croyances; puis l'Histoire. Mais aujourd'hui, après tant d'années et de bouleversements, le moindre de ces traits est Histoire.

Pas de documents plus précieux dans tous ses détails que ces tableaux d'une Afrique encore vierge de la pénétration européenne, montrant, sous des aspects multiples, sa puissante originalité.

Ce livre tentera donc d'offrir, avant toute chose, la description de l 'Afrique du XIX siècle par les explorateurs. Nous pourrons enfin apprécier, par le contraste même avec l'état actuel, les consé- quences des explorations et leurs suites : contacts, pénétration, suppression des barrières entre les peuples et avec le monde exté- rieur, révolution des circuits commerciaux, colonisation, planta- tions, produits nouveaux, transports; puis, d'une manièré plus loin- taine, émancipation des esprits et formation des nations nouvelles.

Tel a été l'héritage prodigieux des explorateurs. Qui de nous n'y participe? Il n'y a pas de héros à qui nous devions plus.

Page 11: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en
Page 12: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

C H A P I T R E I

LE SIECLE DES LUMIERES

ET LES TENEBRES

DE L'AFRIQUE

Les autorités

Le XVIII siècle est encore en plein âge classique. La reli- gion s'y discute, mais l 'autorité des anciens demeure. A vrai dire, les monstres dont Pline peuplait l 'Afrique, notamment les hommes sans tête avec les yeux et la bouche au milieu du corps, ont disparu des ouvrages sérieux. Mais Ptolémée règne tou- jours. Ce géographe alexandrin du II siècle, bien renseigné sur la côte orientale, celle de l 'océan Indien, par les naviga- tions de ses compatriotes, a voulu dresser une carte symétrique du continent. Mais comme, à l 'ouest, dans l 'Atlantique, les navigateurs n'avaient guère, semble-t-il, dépassé le sud du Maroc et les. Canaries, Ptolémée s'en tirait par beaucoup d'invention et d 'ét irement vers le sud. De là ce fleuve « Nigeir » qui fait pendant au Geir (l 'oued Guir du Sud-Atlas) mais qu 'on a expédié dans la zone torride; de là ce fabuleux pays d'Agi- symba, parsemé de montagnes plantées comme des bornes des deux côtés de l 'Equateur. Et toute cette toponymie dont les géographes traîneront avec eux les débris jusqu 'à l 'exploration : la Libye intérieure, l 'Ethiopie intérieure, les monts Kaphas, Thala et de la Lune.

Au Moyen Age, les deux bords du Sahara se rapprochent,

Page 13: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

grâce à l'Islam qui les a recouverts l'un et l 'autre. Des cara- vanes traversent régulièrement le désert et aboutissent au Soudan, c'est-à-dire au pays des Noirs. Les grandes villes sou- danaises ont toutes un quartier peuplé de commerçants ber- bères ou arabes. Par les itinéraires qui mènent vers les allu- vions aurifères du sud, ils atteignent la zone humide. Les notions sur l 'Afrique s 'accumulent ainsi. Ce n'est pas une connaissance scientifique, mais un ensemble de renseignements pratiques mêlés de racontars, et, le plus souvent, d 'une extrême imprécision. Ni El Bekri au XI siècle, ni le grand h i s t o r i e n d e s B e r b è r e s , I b n K h a l d o u n , a u X I V n ' o n t s a n s d o u t e

é t é p e r s o n n e l l e m e n t a u S o u d a n ; i l s r a p p o r t e n t c e q u ' o n l e u r e n

a r a c o n t é . I b n B a t o u t a , l e p l u s e x t r a o r d i n a i r e v o y a g e u r t e r r e s -

t r e d e t o u s l e s t e m p s , a p a r c o u r u c e s c o n t r é e s e n t r e t a n t

d ' a u t r e s , m a i s s e s a d m i r a t i o n s e t s e s j u g e m e n t s s o m m a i r e s n e

s a t i s f o n t q u e m é d i o c r e m e n t l e g é o g r a p h e . D ' a i l l e u r s , l a p l u -

p a r t d e s m a n u s c r i t s a r a b e s s u r l ' A f r i q u e n o i r e n ' o n t é t é t r a -

d u i t s q u ' a u X I X s i è c l e . A u p a r a v a n t l e s s e u l e s a u t o r i t é s m u s u l -

m a n e s e n E u r o p e s o n t I d r i s s i e t L é o n l ' A f r i c a i n .

T o u s d e u x , M a u r e s d ' E s p a g n e , o n t v é c u a u c o n t a c t d e s c h r é -

t i e n s . I d r i s s i ( o u E d r i s s i ) é c r i v a i t a u X I I s i è c l e , à l a c o u r d u

r o i n o r m a n d R o g e r d e S i c i l e . S o n L i v r e d e R o g e r a é t é t r a d u i t

e n l a t i n e n 1 6 1 9 s o u s l e t i t r e d e G e o g r a p h i a N u b i e n s i s . I l y é n u -

m è r e l e s g r a n d s r o y a u m e s s o u d a n a i s d o n t o n l u i a v a i t p a r l é :

T e k r o u r ( T o u c o u l e u r ) , G h a n a , W a n g a r a ( ? ) , K a n y h a ( ? ) ,

K u k u ( G a o ? ) , K a n e m ( n o r d d u T c h a d ) , Z a g h a w a ( E n n e d i ) ,

N u b i e . L e p l u s p r e s t i g i e u x d e c e s E t a t s e s t a l o r s c e l u i d u

G h a n a ( d a n s l a s t e p p e , e n t r e N i g e r e t S é n é g a l ) ; I d r i s s i v a n t e l a

j u s t i c e d e s o n r o i , l a p o m p e d e s a c o u r , e t s a r i c h e s s e e n o r . I l

d o n n e l e s n o m s d ' u n g r a n d n o m b r e d e v i l l e s , a u j o u r d ' h u i d i s -

p a r u e s p o u r l a p l u p a r t , a v e c l e s d i s t a n c e s d e l ' u n e à l ' a u t r e ,

m a i s e n o u b l i a n t d ' e n i n d i q u e r l a d i r e c t i o n .

N é à G r e n a d e p e u a v a n t l a p r i s e d e l a v i l l e p a r l e s E s p a -

g n o l s e n 1 4 9 2 , p u i s é l e v é à F è s , L é o n l ' A f r i c a i n , q u i p o r t a i t

Page 14: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

a l o r s s o n n o m a r a b e , s e r e n d i t d e u x f o i s à T o m b o u c t o u e t p a r -

c o u r u t l a p l u s g r a n d e p a r t i e d u S o u d a n o c c i d e n t a l , d e p u i s l e

M a l i ( h a u t N i g e r ) j u s q u ' a u B o r n o u ( l a c T c h a d ) . C a p t u r é p a r

d e s p i r a t e s i t a l i e n s l o r s d ' u n e c r o i s i è r e e n M é d i t e r r a n é e , i l f u t

o f f e r t p a r e u x a u p a p e L é o n X q u i l e f i t b a p t i s e r s o u s s o n p r o -

p r e p r é n o m . L e n o u v e a u c h r é t i e n é c r i v i t e n i t a l i e n s o n H i s t o i r e

e t D e s c r i p t i o n d e l ' A f r i q u e ; p u i s , a u t a n t q u ' o n l e s a c h e , i l r e t o u r n a

à l ' A f r i q u e d u N o r d e t à l a f o i d u P r o p h è t e .

L é o n c o n n a î t l e S a h a r a , é n u m è r e s e s o a s i s e t s e s t r i b u s ,

d o n t i l a p p r é c i e l ' h o s p i t a l i t é , m a i s c o n d a m n e l ' i g n o r a n c e e t l e s

p i l l a g e s . D u S o u d a n i l v a n t e l e s v i l l e s : G a o , K a n o , D j e n n é

( q u ' i l a p p e l l e G h i n e a ) e t , s u r t o u t , T o m b o u c t o u , c i t é d e r i c h e s

m a r c h a n d s e t d e s a v a n t s d o c t e u r s d e l a l o i , c i t é d ' u n r o i p u i s -

s a n t ( c ' é t a i t l ' a p o g é e d u r o y a u m e s o n g h a ï ) , d e l ' o r e t d e s d i s -

t r a c t i o n s n o c t u r n e s . C i t a d i n , L é o n m é p r i s e l e s N o i r s d e l a

b r o u s s e , q u ' i l c o m p a r e a u x a n i m a u x s a u v a g e s , i n e p t e s e t

d é n u é s d e r a i s o n . I l d o n n e d e n o m b r e u x n o m s d e v i l l e s e t d e

p e u p l e s , m a i s c o m m e t d e s e r r e u r s g é o g r a p h i q u e s s u s p e c t e s . A

l ' e n c r o i r e i l a u r a i t n a v i g u é s u r l e N i g e r , e t c e p e n d a n t i l l e f a i t

v e n i r d e l ' e s t , s o i t d ' u n l a c s i t u é d a n s l e d é s e r t , s o i t m ê m e d u

N i l ( c ' e s t l ' h y p o t h è s e d ' I d r i s s i ) ; i l s e j e t t e r a i t d a n s l ' O c é a n à

l ' o u e s t . I l f a u t c r o i r e q u e L é o n n ' a p a s é t é p a r t o u t e t s ' e s t

r e p o s é , p o u r c e r t a i n s i t i n é r a i r e s , s u r d e s r é c i t s p l u s o u m o i n s

f a n t a i s i s t e s . I l n ' e n é t a i t p a s m o i n s d e v e n u l ' a u t o r i t é m a j e u r e

p o u r l a c o n n a i s s a n c e d u S o u d a n .

L a c ô t e , p r e s q u e à l a m ê m e é p o q u e , é t a i t r é v é l é e p a r l e s

n a v i g a t i o n s d e s P o r t u g a i s . E n 1 4 3 4 , i l s p a s s e n t l e c a p B o j a d o r ,

e n 1 4 4 6 l e c a p V e r t , e n 1 4 6 0 l a S i e r r a L e o n e , e n 1 4 7 1 l a C ô t e

d e l ' O r o ù i l s c o n s t r u i s e n t l e f o r t d ' E l - M i n a ; e n 1 4 8 6 , i l s s ' é t a -

b l i s s e n t a u B é n i n ; e n 1 4 8 8 , B a r t h é l e m y D i a s r e c o n n a î t l e c a p

d e B o n n e - E s p é r a n c e . D e s c o m p t o i r s s o n t i n s t a l l é s a u x î l e s

d u C a p - V e r t , s u r l a c ô t e q u i l e u r f a i t f a c e e t d a n s d i v e r s p o i n t s ,

n o t a m m e n t l e D a h o m e y . L e s P o r t u g a i s f o n t s o u c h e d e m é t i s .

E n 1 5 8 0 , l e P o r t u g a l e s t a n n e x é p a r l ' E s p a g n e . L e s H o l l a n -

Page 15: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

d a i s , r é v o l t é s c o n t r e l e s E s p a g n o l s , e n p r o f i t e n t p o u r a n n e x e r

E l - M i n a . L e s F r a n ç a i s e t l e s A n g l a i s s u i v e n t . L e c o m m e r c e s e

d é v e l o p p e : o r , p e a u x , g o m m e , c i r e , b o i s , e t s u r t o u t , à p a r t i r d e

l a f i n d u X V I I s i è c l e , l e s e s c l a v e s p o u r l e s A n t i l l e s .

L e s r e n s e i g n e m e n t s s u r l a c ô t e d e v i e n n e n t d e p l u s e n p l u s

p r é c i s d e p u i s l e s o u v r a g e s p o r t u g a i s j u s q u ' a u x d e s c r i p t i o n s d e s

X V I I e t X V I I I s i è c l e s ( n o t a m m e n t D a p p e r , O g i l b y , B o s s m a n n ,

B a r b o t ) . S u r l a C ô t e d e l ' O r , l e s f o r t s a n g l a i s , h o l l a n d a i s ,

d a n o i s , s u é d o i s , b r a n d e b o u r g e o i s s e c ô t o i e n t . A O u i d a h , a u

D a h o m e y , i l y a t r o i s f o r t s , f r a n ç a i s , a n g l a i s , p o r t u g a i s . L e s

A n g l a i s o n t b â t i u n p e t i t f o r t é t o u f f a n t d a n s u n e î l e d e l a G a m -

b i e . L e s F r a n ç a i s , e n 1 6 5 9 , o n t c r é é S a i n t - L o u i s , d a n s u n e î l e

d u S é n é g a l . L e u r s c o m m e r ç a n t s r e m o n t e n t l e f l e u v e j u s q u ' a u

G a l a m e t a u B a m b o u k , p a y s d e l ' o r . E n 1 6 7 7 , i l s o n t p r i s a u x

H o l l a n d a i s l ' î l e d e G o r é e . L e R . P . L a b a t , a u d é b u t d u

X V I I I s i è c l e , c o m p i l e u n e a m p l e d e s c r i p t i o n d u S é n é g a l e t

p a y s v o i s i n s . P u i s F r a n ç a i s e t A n g l a i s s e p r e n n e n t e t s e r e p r e n -

n e n t l e s c o m p t o i r s ; l a p é n é t r a t i o n s ' a r r ê t e . E l l e n ' a j a m a i s é t é

l o i n e t l e s E u r o p é e n s , d a n s l ' e n s e m b l e , n ' o n t g u è r e d é p a s s é l a

c ô t e .

L e s f a n t a i s i e s d e l a c a r t e

D a n s c e s c o n d i t i o n s l a c o n n a i s s a n c e d e l ' A f r i q u e o c c i -

d e n t a l e r e s t e à p e u p r è s l i m i t é e a u r i v a g e d e l a m e r . P o u r l ' i n t é -

r i e u r o n é l a b o r e , d ' a p r è s l e s r e n s e i g n e m e n t s r e c u e i l l i s p a r l e s

c o m p t o i r s c ô t i e r s , e t s u r t o u t d ' a p r è s P t o l é m é e e t l e s g é o g r a -

p h e s a r a b e s , d e s c a r t e s d ' u n e f a n t a i s i e a p p l i q u é e . N o n s a n s ,

d ' a i l l e u r s , q u e l q u e s p r o g r è s m é r i t o i r e s . O n p e u t , à c e t é g a r d ,

c o m p a r e r p a r e x e m p l e l a c a r t e d ' O g i l b y e t c e l l e d ' A n v i l l e .

L ' é n o r m e c o m p i l a t i o n i n - f o l i o d e l ' A n g l a i s O g i l b y , A f r i c a

( 1 6 7 0 ) , s ' o r n e d e n o m b r e u s e s c a r t e s . L e N i g e r p r e n d n a i s s a n c e

d a n s l e l a c d u B o r n o u ( l e T c h a d , m a i s p l u s à l ' e s t ) e t c o u l e e n

d r o i t e l i g n e j u s q u ' a u r o y a u m e d e T o m b o u c t o u o ù i l c o m m e n c e

Page 16: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

Carte d'Ogilby (1670)

Carte de d'Anville (1749)

Page 17: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

son g i g a n t e s q u e d e l t a d o n t les b r a n c h e s son t le Sénéga l , la G a m b i e , le C a c h e o et le R io G r a n d e . A u n o r d , se to r t i l l en t des

l ignes d e t a u p i n i è r e s , m o n t a g n e s fictives, e n t r e lesquel les se p r o m è n e n t d e s l ions et des girafes . A u sud, u n e a u t r e c h a î n e

suit assez s a g e m e n t un para l l è le e n t r e le N i g e r e t la cô te . Les lions, là, fon t p l a c e aux é l é p h a n t s . L a r é g i o n c ô t i è r e o u Guinée

p o r t e q u e l q u e s r ivières p l a n t é e s u n p e u au h a s a r d et , su r le

r ivage m ê m e , en r angs se r rés , les n o m s des r a d e s e t des caps , avec , en plus grosses le t t res , c e u x d e s pays : M a l a g u e t t e , C ô t e des Q u a - Q u a , C ô t e d e l 'Or , C ô t e d u Bénin . D e s pe t i t s s ignes

r e s s e m b l a n t à des c l o c h e r s g o t h i q u e s d é s i g n e n t des villes : G u a l a t a , Agadès , K a n o , M a n d i n g a , D a u m a et d ' a u t r e s imagi-

na i res . D a n s la m e r s ' é b a t t e n t t r i tons jouff lus , n y m p h e s d o d u e s et d i a b l o t i n s noirs .

A u siècle d e s l umiè r e s ces g r â c e s p a ï e n n e s s ' e f f a c e n t d e v a n t la nouve l l e déesse , la Sc ience , p u r e et d u r e . Le g r a n d g é o g r a p h e

f rança i s , d 'Anvi l l e , pub l i e e n 1749 sa c a r t e d ' A f r i q u e . Elle é t o n n e p a r sa sobr i é t é . « Q u o i q u e c e t t e ca r t e , d i t l ' au t eu r , ai t

l ' a v a n t a g e d ' u n p lus g r a n d dé ta i l su r t o u t e s les p r é c é d e n t e s , le d é f a u t d e c o n n a i s s a n c e s 'y f e r a n é a n m o i n s r e m a r q u e r plus sen-

s ib l emen t , p a r c e q u e les pa r t i e s c o n n u e s y o n t é t é r e s se r r ée s d a n s leurs j u s t e s b o r n e s . » E n effet , les dé ta i l s a b o n d e n t sur la

cô t e , ainsi q u e sur le bas Sénéga l e t la basse G a m b i e , seules

r ég ions c o n n u e s p a r les re la t ions e u r o p é e n n e s . M a i s l ' i n té r i eur , n e t t o y é de ses f auves e t d e ses t a u p i n i è r e s e r r a t i ques , éc la te d e t o u t e la b l a n c h e u r d u vide. D ' A n v i l l e n ' a p a s vou lu m e n t i r e t

d i s s imule r son i g n o r a n c e . M a i s ce qu ' i l c o n s i d è r e c o m m e c o n n a i s s a n c e , c ' e s t P t o l é m é e , Idrissi e t L é o n l 'Afr ica in . A vrai

d i re , il n 'y a r ien d ' a u t r e . C e p e n d a n t il n ' a p a s le f é t i ch i sme des au to r i t é s , « d e s c o n n a i s s a n c e s plus r é c e n t e s lui p r ê t e n t aussi

q u e l q u e s e c o u r s »; il n e dit p a s lesquel les , mais on p e u t i m a g i n e r

qu ' i l s 'agi t de r e n s e i g n e m e n t s recuei l l is au Sénéga l . L a g r a n d e i n n o v a t i o n , c ' e s t q u e d 'Anv i l l e s é p a r e le Sénéga l du N i g e r et a

d e s « ra i sons p r é s u m é e s q u e le N i g e r c o u l e d ' O c c i d e n t en

Page 18: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

Orien t , a u c o n t r a i r e d e l ' o p i n i o n c o m m u n e ». In tu i t i on r évo lu -

t i o n n a i r e d o n t P a r k p r o u v e r a la vér i té .

L a « Nigr i t ie » de d 'Anv i l l e n ' e n es t pas m o i n s a b e r r a n t e .

Le Sénéga l a r r ive e n d r o i t e l igne d e la r é g i o n o ù se t r o u v e a c t u e l l e m e n t B a n d i a g a r a j u s q u ' à G o u i n a o ù il est c o n n u . Le

N i g e r p r e n d sa s o u r c e p r e s q u e a u m ê m e e n d r o i t , puis z igzague

vers le no rd , p a s s a n t à T o m b u t , pu i s T e k r o u r ( en p le in T a n e z -

rouf t ) ; il s e r p e n t e a lors vers le sud-es t , f rôle G h a n a et a b o u t i t au « W a n g a r a » d a n s d e u x pe t i t s lacs (vers le lac Fi t r i , à l ' es t d u

T c h a d ) . En ou t r e , il r e ç o i t à d r o i t e la r iv ière L e m l e m qu i a r rose B o u s s a et Yaour i . Le lac d u B o r n o u (s i tué à l ' e m p l a c e -

m e n t d u Tibes t i ) d o n n e n a i s s a n c e au B a h r el G h a z a l qu i r e jo in t le Nil. D ' A n v i l l e s 'es t d é b a t t u v i s i b l emen t d a n s les c o n t r a -

d i c t ions d e ses a u t e u r s et les a r é s o l u e s d ' u n e m a n i è r e s o b r e et

or ig inale . Ma i s ce r a t iona l i s t e n e p o u v a i t i m a g i n e r à que l d e g r é ses au to r i t é s é t a i e n t i g n o r a n t e s et c o n f u s e s . Il r e p r é s e n t e p o u r -

t a n t e n c o r e la p o i n t e d u p r o g r è s à la fin d u s iècle des lumiè res . C ' e s t d i re q u e l ' i n t é r e u r d e l ' A f r i q u e res ta i t un m y s t è r e to ta l .

Pourquo i le mystère?

A q u o i t i en t la p r o l o n g a t i o n d e ce mystère ? L ' A s i e e t m ê m e l'Amérique, ce « nouveau monde », sont au XVIII siècle, connues depuis longtemps dans leurs traits essentiels. Pour- quoi ce retard de l'Afrique, si proche? Sa rive nord était car- tographiée et fréquentée dès l'Antiquité; ses côtes sont intégralement découvertes et parcourues depuis la fin du XV siècle. Et cependant, presque partout sur ces côtes, l'Europe marque le pas, comme frappée d'une inhibition magi- que. Quels sont donc les dragons qui interdisent l'entrée du continent noir?

C'est d'abord la nature du continent lui-même. Non pas le relief qui, dans l'ensemble, en Afrique occidentale, n'est pas

Page 19: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

un obstacle, mais les zones climatiques et leurs excès : au nord, le Sahara dont les immensités désolées ne permettent la traver- sée que par des itinéraires difficiles et contrôlés; au sud, la grande forêt quasi impénétrable, dominant le rivage de sa bar- rière sombre sur de vastes étendues; ailleurs, les savanes aux hautes herbes, la brousse dense et les marais. Tout cela eut été aisément pénétrable avec de bons fleuves, comme ceux de l'Amérique du Sud; mais les fleuves africains sont coupés presque tous par des chutes ou des rapides non loin de leur embouchure; seules exceptions la Gambie, le Sénégal et le Niger. Mais la première se tortille en méandres et ne mène pas très loin. Le Sénégal, s'il est navigable plus loin, a une barre à l'entrée et il en est de même des bouches du Niger, que l'on prend d'ailleurs en ce temps-là pour de petites rivières dis- tinctes. Quant à la côte, sauf les îles, elle n'offre aucun abri; les trois forts rouleaux de la barre empêchent de l'accoster autrement qu'en pirogue et non sans péril; les navires doivent mouiller au large.

Presque aussitôt que débarqués, et plus encore s'ils s'avisent de pénétrer dans l'intérieur, surtout en saison de pluies, les Européens sont la proie des maladies tropicales, devant les- quelles la médecine du temps est complètement désarmée. La quinine, puis Pasteur, ne viendront qu'au XIX siècle, et c'est seulement au début du XX qu'on connaîtra le rôle du mous- tique anophèle dans la propagation du paludisme. Jusque-là on accuse « les miasmes »; on a « les fièvres » et on en meurt; ceux qui survivent doivent être rapatriés, et les navires sont rares, les navigations longues. Avec les eaux polluées, les nourritures mal connues, la dysenterie est fréquente et réduit vite un homme à l'état de squelette. On ne sait pas se protéger contre le soleil et la chaleur; le travail fatigue vite; de même les longues marches, dans des pays où la roue est inconnue, les chevaux rares et limités à la zone sèche. Epuisement et maladies constituent l'ob- stacle majeur sur la côte, seul point de contact des Européens.

Page 20: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

Autre obstacle : les hommes. En Amérique, les Indiens, vivant à l'âge de la pierre, n'avaient pu s'opposer efficacement aux conquistadors et aux colons, alors que les Africains connaissaient le fer et commençaient à utiliser le fusil d'impor- tation; en Asie, l'existence de grandes empires facilitait les voyages, alors que l'Afrique était morcelée à l'infini et hostile à la pénétration.

Tout le nord du continent, la partie méditerranéenne, la plus accessible, est fermée aux Européens depuis le VIII siècle par la barrière de l'islam. Ils n'y entrent guère que comme esclaves des Barbaresques après un enlèvement en mer. Arabes et Berbères sont les maîtres des caravanes sahariennes et n'y admettent pas d'étrangers. Ils y ont répandu au Soudan leur hostilité à l'égard des chrétiens. A vrai dire il n'y a pas là de chrétiens, mais on ne les a que plus en horreur; les communications sont surtout vers le nord ou l'est pour le commerce et le pèlerinage; l'islam, à cette époque, vit en vase clos, dans une stagnation moyenâgeuse peu propice aux contacts extérieurs. Le commerce par la côte ouest, avec les Français du Sénégal, les Anglais de Gambie, les comptoirs portugais des « rivières du sud », reste limité aux zones voi- sines. En outre, le Soudan, depuis la destruction du dernier grand empire noir par les Marocains en 1591, se débat dans un chaos politique, un fractionnement, une instabilité où la guerre et le pillage sont constants entre voisins; on s'enlève du bétail et des hommes, qui deviennent esclaves, surtout pour les besoins locaux, plus partiellement pour l'exportation vers le nord ou vers la côte ouest. Dans un tel régime, sauf pour le commerce, l'étranger est l'ennemi, bon tout au plus à rançon- ner, et toute pénétration profonde est impossible. Seuls peu- vent circuler les commerçants, arabo-berbères ou appartenant à des peuplades spécialisées : Dioula dans l'ouest, Haoussa dans l'est; on les supporte parce qu'ils sont utiles, et surtout

Page 21: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

parce que chaque souverain ou petit chef prélève sur eux des droits de passage rémunérateurs.

Dans la zone sud, la Guinée, l'atomisation politique est plus grande encore. Les Etats de quelque importance (Fouta-Djalon, Achanti, Dahomey, Yorouba, Bénin) sont isolés dans un océan de chefferies de canton et d'anarchies de village, dont chacun réalise astucieusement son harmonie intérieure, mais qui n'ont avec l'étranger que des relations limitées. La traite des Noirs pour l'Amérique, moins importante au Soudan que celle du Sahara, sévit au contraire en de nombreux points des côtes de Guinée et développe les guerres locales; l'esclave est le grand produit d'exportation qu'on échange contre les mar- chandises européennes : tissus, quincaillerie, bimbeloterie, alcool. Les gens de la côte sont les intermédiaires de ces échanges; ils s'opposent à toute pénétration qui permettrait aux Européens d'établir des relations directes. Aussi dépei- gnent-ils les gens de l'intérieur aux Blancs comme sangui- naires et anthropophages; en revanche ils font, chez ces peuples, courir le bruit que les Blancs emmènent les esclaves au delà des mers pour les manger. Aussi les transactions se font-elles soit sur le navire, soit dans les forts installés par les Européens sur la côte et dont ils ne sortent pas.

Enfin, aux obstacles locaux, il convient d'ajouter le faible intérêt de l'Europe pour l'intérieur de l'Afrique. Le Moyen Age, par l'intermédiaire des Arabes, en avait tiré de l'or. Mais les gisements américains, annexés au XVI siècle, avaient pris la relève avec plus d'ampleur; les essais français de reprise de l'exploitation aurifère au Bambouk sous Louis XIV avaient déçu. La gomme, l'ivoire, les plumes d'autruche tenaient peu de place; pour le principal produit d'exportation, les esclaves, les rapports côtiers suffisaient. Les rares essais de missions chrétiennes à la côte s'étaient révélés décevants et meur- triers. L'image de l'intérieur de l'Afrique fabriquée par les gens du rivage à l'usage de l'Europe : peuples cruels, animaux

Page 22: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

féroces, n'incitait guère à aller plus loin pour des profits pro- blématiques. L'Afrique décourageait même la curiosité.

L'éveil de la curiosité

Un changement d'atti tude se produit, à la fin du XVIII siècle, dans certains milieux cultivés, surtout en Grande-Bretagne et en France, sous l'influence de causes diverses.

Et d 'abord l'essor du commerce avec l'Afrique. Depuis Vasco de Gama les côtes africaines avaient surtout fait fonction

d'escales pour la route des Indes. L'Asie, riche de peuples, de monuments et d'histoire, regorgeant d'épices et d'étoffes pré- cieuses, accaparait naturellement les efforts du commerce et l 'attention des esprits curieux. Mais à la fin du XVII et surtout au XVIII siècle, les besoins des plantations américaines en esclaves développèrent rapidement le commerce africain. Les voyages « triangulaires » s'organisent : les navires, partis d 'Europe avec des marchandises de traite, les échangent sur la côte africaine contre des captifs, qu 'on vend aux îles d 'Amé- rique pour acheter du sucre et du tabac, vendus finalement en Europe. Les bénéfices sont souvent énormes. Liverpool, Bristol, Nantes, Bordeaux édifient ainsi une partie de leur for- tune. Avant les guerres et la fin du siècle, on compte qu 'un quart du commerce extérieur français se fait avec les colonies, surtout les Antilles, et que 175 navires anglais par an fréquen- tent la côte de Guinée. La place des produits tropicaux (café, tabac, sucre, épices) ne cesse de grandir dans les habitudes européennes; et tout cela en définitive repose sur la main- d 'œuvre africaine.

Les guerres européennes elles-mêmes n 'ont pas été sans s 'étendre à la côte du continent noir. Le Sénégal, Gorée, la Gambie ont été pris et repris par Anglais et Français. Les forts de la Côte de l'Or ont été disputés entre Portugais, Hollandais, Allemands, Danois et Anglais. Tout en restant un théâtre

Page 23: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

d'opérat ion très secondaire, la côte africaine n 'apparaît pas moins dans la stratégie générale et les préoccupations des puissances.

Mais ces causes d'intérêt, commercial et politique, restaient très insuffisantes pour pousser à la découverte de l 'intérieur; elles pouvaient parfaitement s'en passer. La cause détermi- nante sera le développement de la curiosité scientifique et, notam- ment, géographique. De la prospérité économique de l 'Europe occidentale a résulté la croissance d 'une classe aisée, éclairée; le XVIII est le « siècle des lumières ». On veut tout savoir, tout reconnaître, tout expliquer. L'homme se sent maître de son destin et veut prendre les dimensions de son royaume; il inven- torie la nature et la planète. Linné a déclenché la passion pour la botanique; il est de bon ton d'avoir un cabinet d'histoire naturelle. Les pirates et Robinson Crusoé ont lancé la curiosité vers les pays exotiques. De grandes collections d' Histoire des Voyages couvrant chacune de nombreux volumes sont alors entreprises. En Angleterre, on poursuit celle de Hakluyt commencée au XVI siècle, puis apparaissent celles de Purchas, de Churchill, d'Astley. En France, l'abbé Prévost commence en 1747 une Histoire des Voyages en vingt volumes, dont le succès, malgré sa masse, vaudra celui de Manon Lescaut. Les Encyclopédies française et britannique réservent une place non négligeable aux pays lointains et à la géographie. La Royal Society en Angleterre, l'Académie des sciences en France et le roi Louis XVI lui-même s'y intéressent. Les gouverne- ments lancent, sans souci immédiat de profit économique ou politique, les grands voyages de découverte. Cook, Bou- gainville, La Pérouse élargissent le monde connu. On perfec- tionne les instruments géographiques, notamment les chronomètres. Le Vaillant fait connaître l'Afrique du Sud, et James Bruce l'Ethiopie. L'Afrique occidentale va suivre, non sans mal, sous la double inspiration britannique du mouvement anti-esclavagiste et de l'African Association.

Page 24: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

C H A P I T R E II

LES INITIATIVES

BRITANNIQUES

Le mouvement anti-esclavagiste

Le charme d 'une « vie de liberté » conçue comme un âge d 'or avait été vanté par les philosophes français à diverses reprises depuis Montaigne. Le Huron de Voltaire est un « bon sauvage »; Diderot et Rousseau porteront l 'exaltation de l 'homme de la nature jusqu 'à l 'absurde; en l 'absence d 'une ethnologie concrète, la philosophie brasse les nuées, et des romans larmoyants mettent en scène des Africains de conven- tion. Tout cela n'est pas inutile. La raison cartésienne et le sentiment chrétien se rencontrent en quelques esprits pour élever des protestations contre l'esclavage. La plus cinglante et la plus belle est celle de Montesquieu; Diderot dans l'Ency- clopédie, l 'abbé Raynal dans son immense compilation poursui- vront la lutte. Elle restera sur un plan. purement littéraire jusqu 'à la Révolution, où la philosophie accède au pouvoir. La Convention, en 1794, abolira l'esclavage, qui sera rétabli par le Consulat.

La théorie anti-esclavagiste n'est pas absente chez les phi- losophes anglais depuis Locke. Mais la lutte a été menée d 'une manière à la fois plus restreinte et plus pratique. Elle s'est assignée comme but initial et précis l 'abolition non pas de

Page 25: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

l'esclavage, mais de la traite des Noirs. Elle a été, au moins en partie, d'inspiration religieuse, donc susceptible d 'une audience populaire plus large.

Les planteurs d 'Amérique et les marins ramenaient fré- quemment en Angleterre des esclaves noirs pour leur ser- vice domestique. L'un d'eux, férocement battu par son maître et jeté à demi mort dans la rue, fut recueilli par un jeune phi- lanthrope, Granville Sharp, qui le soigna et lui trouva du tra- vail. Son maître, alors, le réclama. Sharp engagea une action au tribunal et agita si bien l 'opinion que le Lord Justice finit, en 1772, par décider que tout esclave importé en Angleterre était libre.

La guerre d 'Amérique et l ' indépendance des Etats-Unis diminuèrent l ' importance de l'esclavage pour l 'Angleterre, réduite à ses petites Antilles, et développèrent les idées libé- rales. De nouvelles sectes protestantes apparurent, humani- taires et énergiques, notamment les méthodistes wesleyens et les quakers. Ceux-ci créèrent dès 1783 un comité pour lutter contre l'esclavage et la traite. Le mouvement fit boule de neige, ralliant, à côté de l'infatigable Granville Sharp qui en devint le président, des intellectuels comme Thomas Clarkson et des parlementaires, dont le chef fut un ami de Pitt, Wilber- force. Malgré leur talent et le succès de leur campagne dans le pays, la réaction des planteurs et des négriers, aussi bien que la force de l'habitude, firent échouer en 1791 la première proposition de loi pour l'abolition de la traite; cependant une suppression graduelle était envisagée; mais la guerre avec la France survint et tout fut ajourné.

Entre temps, la philanthropie anti-esclavagiste avait trouvé un autre terrain. Le jugement de 1772 avait libéré les Noirs qui se trouvaient en Angleterre, mais en avait, du même coup, fait des chômeurs. Un comité se forma pour leur trouver des emplois. Un naturaliste, Smeathman, qui avait séjourné en Sierra Leone, suggéra de leur créer un établissement dans

Page 26: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

ce pays dont il vantait «la douceur du climat et la fertilité du sol ». En 1787, on expédia trois cent cinquante Noirs, accompa- gnés de soixante-dix femmes blanches ramassées dans la rue. Le chef local céda un terrain sur une presqu'île rocheuse qui devint Freetown (Libreville). Les philanthropes ne voulaient pas d'administration et croyaient à l'efficacité suffisante de la liberté. En fait, beaucoup de colons moururent à la saison des pluies, et, sans ressources, tentèrent de s 'employer chez les négriers de la côte.

Granville Sharp sauva l 'entreprise en créant la Sierra Leone Company pour laquelle il obtint des souscripteurs en faisant miroiter, outre l 'abolition de la traite, d 'hypothétiques profits à obtenir des plantations et du commerce « légitime ».

Des Noirs des anciennes colonies américaines, demeurées fidèles à l 'Angleterre et réfugiés en Nouvelle-Ecosse, furent amenés. Un gouverneur fut nommé; le premier était le frère de Clarkson, le second devait être le père de l'historien Macaulay. Tous deux, jeunes gens intelligents et actifs, mirent de l 'ordre dans la colonie, apaisèrent les querelles et attirèrent quelques Anglais entreprenants.

L'excursion de Watt et Winterbottom (1)

Parmi ces jeunes gens ainsi. campés à l 'orée du continent noir et avides d'en percer le mystère, se trouvaient James Watt, un agent de la compagnie qui avait servi aux Antilles, et les deux frères Winterbottom dont le plus connu, Thomas, était le médecin de la nouvelle colonie qu'il décrivit ensuite en un grand ouvrage. En 1794, arrivèrent à Freetown des envoyés de l 'almamy du Fouta-Djalon qui désirait établir des relations commerciales avec la colonie. Ainsi le premier geste pour l 'exploration contemporaine a été dû à un Africain. Le gouver- nement décida d 'envoyer à l 'almamy une mission. Watt se por ta volontaire et s'adjoignit le second Winterbottom.

Page 27: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

La route habituelle des caravanes vers le Fouta-Djalon partait de Kakondy, sur le Rio Nunez (côte sud de la Guinée actuelle). Les deux explorateurs s'y rendirent par mer et y trou- vèrent des guides envoyés par l'almamy. Ils partirent le 7 février 1794. Les quinze premiers jours se passèrent chez les Landouman païens, puis on escalada le plateau pour arriver au pays des Foula (Peul) musulmans. Partout les voyageurs furent bien accueillis et entretenus. « Ils voyaient souvent dans une journée cinq à six cents Foula qui portaient sur leur dos de grosses charges de riz et d'ivoire. » Ils allaient les échanger à la côte contre du sel, considéré dans leur pays comme une frian- dise et un signe de fortune.

La première grande ville atteinte fut Laby (Labé), qui fai- sait deux lieues et demie de tour et comptait 5 000 habitants; le chef leur offrit son fils pour être élevé en Angleterre. Puis ils parvinrent à Timbo, la capitale de l'almamy, riche de 8 000 âmes. Ils y restèrent quatorze jours, essayant vainement d 'obtenir de se rendre à Tombouctou, mais prenant du moins des renseignements sur la route : il y fallait quatre mois de mar- che, en traversant six royaumes : Bélia, Bouré (le pays de l'or), Manda, Ségou, Genach (Djenné), Tombouctou.

Les voyageurs recueillirent aussi les premières notions sur le Fouta-Djalon. Le climat en est sain, un tiers du sol est fertile. Il y pousse du riz et du maïs; on y élève des chevaux, des mulets, des ânes, des brebis et des chèvres (il est surprenant que les bœufs ne soient pas mentionnés, sans doute parce qu'il y en avait trop). Le fer est extrait du sol par les femmes. D'habiles artisans savent le façonner, ainsi que l'argent, le bois et le cuir. Le roi (l 'almamy) a un pouvoir absolu. L'instruc- tion (religieuse) est très répandue. Les Foula sont dévots, non superstitieux. Il leur est possible de mobiliser 16 000 cavaliers. Entourés par vingt-quatre nations, dont plusieurs idolâtres (c'est-à-dire païennes), « leur religion leur fournit des pré- textes pour faire des esclaves par la guerre». Ainsi peut-on,

Page 28: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

explique l 'almamy, se procurer des marchandises européennes; les vieillards, de nulle valeur, sont massacrés. Les voyageurs, qui sont des abolitionnistes, lui représentent qu'avec l'ivoire, le riz, les troupeaux, il disposerait de produits d 'échange suffi- sants, pour faire le commerce sans guerre. L'almamy et ses conseillers répondent que ces captifs sont des païens, et qu 'au surplus les comptoirs ne délivrent fusils, poudre et drap qu 'en échange d'esclaves. En fait, depuis la guerre européenne, la traite des esclaves a presque cessé. Les Anglais recommandent l'usage de la charrue (qui sera imposé plus d 'un siècle après par le gouverneur Poiret). L'almamy offre des terres aux Euro- péens qui voudront s'établir dans le pays.

Le retour se fit directement sur la Sierra Leone par Dyam- bilia et le pays des Soussou, à travers lequel on envisagea de faire passer la nouvelle route des caravanes. En mai, on attei- gnit Freetown, et les chefs foula qui avaient fait escorte aux explorateurs repartirent chargés de présents.

Telle fut la première exploration de l 'Afrique à l 'époque contemporaine. Elle inaugure la grande période de pénétra- tion de la manière la plus prometteuse. Conçue par les Afri- cains dans un dessein commercial, réalisée grâce à l 'étendue de la puissance politique foula, la mission de Watt et Winter- bot tom donne une impression de facilité et de bon accueil qui la fait ressembler à une excursion touristique. Peut-être était-ce l'effet d 'un premier contact. Mais on ne retrouvera jamais, par la suite, une telle rapidité et une telle harmonie.

Deux mois après, Winterbottom, envoyé en Go/d Coast, fai- sait naufrage et se noyait. Watt, plein d'illusions, se préparait, en juin 1795, à quitter Freetown pour découvrir Tombouctou et atteindre la Méditerranée, lorsqu'il mourut. Un navire français de « braves patriotes républicains » dévasta Freetown, et toute liaison régulière avec l ' intérieur fut provisoirement abandonnée.

Page 29: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

L'« African Association »

La tournée de Watt et Winterbottom ne fut qu 'un épisode imprévu et sans lendemain. Mais la grande entreprise de l 'exploration africaine était déjà, à Londres, en pleine prépa- ration.

L'initiateur avait été Sir Joseph Banks, un représentant éminent de cette nouvelle partie de la classe riche que la science attirait. Soulevé d'enthousiasme par la botanique dès sa quatorzième année, il n 'eut de cesse, après son entrée à Oxford, qu 'on y eut créé une chaire pour sa discipline bien- aimée. Lorsque Cook entreprit son premier voyage autour du monde, Banks obtint d 'embarquer avec lui à ses frais comme naturaliste et ramena, avec des collections considérables de plantes, de minerais et de coquilles, des observations multiples sur les coutumes indigènes. Au retour, il avait touché l'Afrique du Sud.

La renommée de Banks, membre de l'aristocratie, riche, ami du roi, dépassa presque celle de Cook. Elu, à 35 ans, prési- dent de la Royal Society (l 'Académie des sciences), toujours enthousiaste, accueillant chaleureusement tous les chercheurs, entretenant à travers le monde une vaste correspondance, il ne cessa d 'être un animateur incomparable du mouvement scien- tifique en général et de nombreuses entreprises particulières. Une des plus importantes fut l' African Association.

En 1774, Banks avait rencontré James Bruce à son retour d'Ethiopie. En 1785, il avait correspondu avec Isert, un méde- cin allemand qui, résidant au fort danois de Christianborg (actuellement Accra), avait rayonné dans les environs. Par Matra, ancien compagnon de voyage de Cook, devenu consul à Tanger, il obtenait des renseignements sur l 'intérieur du continent. Ainsi était-il progressivement attiré par l 'Afrique lorsque les choses, brusquement, se précisèrent.

Il y avait en ce temps-là un petit club, limité à douze mem-

Page 30: L'EUROPE DECOUVRE L'AFRIQUEexcerpts.numilog.com/books/9782402207386.pdfLes pirates à Madagascar aux XVII et XVIII siècles (ibid., 1949) Gallieni pacificateur (P. U. F., 1950, en

bres, qui se réunissait certains samedis à la taverne Saint- Alban, près de Pall Mall. On y causait de politique et d 'autres sujets en dînant délicatement entre amis. Les membres, bien rentés, appartenaient presque tous à l 'aristocratie ou au Parle- ment. Sir Joseph Banks y avait fait prédominer la curiosité scientifique; la moitié des membres appartenait à la Royal Society; certains étaient abolitionnistes, et l'un des plus actifs, Beaufoy, était quaker. On ne sait à qui appartint l'initiative, ni comment elle fut introduite, toujours est-il que, en juin 1788, les douze membres présents décidèrent de transformer leur club en une « Association pour préparer la découverte de l'inté- rieur de l 'Afrique », connu rapidement sous le nom d'African Association. Chaque sociétaire devait payer cinq guinées par an; de nouveaux membres pourraient être présentés. Beaufoy fut élu secrétaire et Banks trésorier; en fait, il en fut le pré- sident sans titre et le durable animateur. En 1791, le nombre des membres était monté à cent neuf et déjà les ressources avaient permis d'envisager l'envoi de missions.

Les premièrs essais furent des échecs et il fallut à ces club- men toute l 'obstination britannique pour persévérer dans une tâche coûteuse, qui semblait condamnée par la fatalité.

Les échecs

Quelques jours après la fondation de l'African Association, deux candidatures s'offrirent pour explorer l 'Afrique inconnue, celles de Ledyard et de Lucas.

John Ledyard, un Américain aventureux, avait vécu, encore jeune garçon, parmi les Indiens, puis participé au troisième voyage de Cook. Il s'était enfoncé dans la Sibérie jusqu 'à Yakoutsk, d'où, rattrapé par les autorités russes, il avait été refoulé; il s'était alors rendu en Angleterre pour se pré- senter à Sir Joseph Banks. Il arrivait en loques mais prêt à