les terres de la discorde (ii) : restitution et réconciliation au burundi
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Les terres dela discorde (II):restitution et
rconciliationau BurundiRapport Afrique N214 | 17 fvrier 2014
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Table des matires
Synthse .................................................................................................................................... i
I. Introduction ..................................................................................................................... 1II. La rconciliation foncire en droute ............................................................................... 3
A. Un hritage historique problmatique ...................................................................... 41. Les politiques et lgislations foncires au centre du conflit ................................ 42. La rconciliation foncire comme gage de paix ................................................... 7
B. La politique de restitution entre insatisfaction et politisation .................................. 81. Lapaisement prcaire de la dcennie 2000-2010 ............................................... 92. Le retour des divisions ethniques ........................................................................ 12
III.
La voie troite dune politique de restitution sereine et efficace ..................................... 19
A. Rinventer la CNTB ................................................................................................... 191. Renouveler lquipe dirigeante et les mthodes de travail .................................. 192. Favoriser la rconciliation nationale .................................................................... 203. Harmoniser les principes directeurs des restitutions .......................................... 20
B. Elaborer une politique de compensation foncire .................................................... 21IV. Conclusion ........................................................................................................................ 23AN NE XE S
A. Carte du Burundi .............................................................................................................. 24
B. Chronologie ...................................................................................................................... 25
C. Evolution du nombre de rglements amiables par la CNTB ............................................ 26
D. A propos de lInternational Crisis Group ......................................................................... 27
E. Rapports et briefings de Crisis Group sur lAfrique depuis 2011 ..................................... 28
F. Conseil dadministration de Crisis Group ........................................................................ 30.
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SynthseDepuis le dbut des annes 2000, le Burundi est confront au lourd hritage dune
longue guerre civile : la ncessit de rinstaller sur leurs terres des centaines de mil-
liers de rfugis et de dplacs injustement spolis. Dans un contexte de tensions fon-
cires dues la forte croissance dmographique et la rarfaction des terres arables
disponibles, la politique actuelle de restitution des terres, qui est essentielle pour la
consolidation de la paix, est en train de la fragiliser et de ractiver les ressentiments
connotation ethnique. Celle-ci privilgie les droits des rapatris au dtriment des pro-
pritaires actuels, qui ne sont pas tous des spoliateurs de guerre. Pour viter la per-
ception dune restitution revancharde, une nouvelle politique de rconciliation fon-
cire plus fidle laccord de paix dArusha est indispensable.Dans le principal pays daccueil, en Tanzanie, plus de 700 000 rfugis avaient t
maintenus dans des camps. En 2010, le gouvernement tanzanien avait annonc la na-
turalisation de 162 000 Burundais, mais sest en mme temps montr ferme dans sa
volont de rapatrier lensemble des autres rfugis. Fin 2012, le statut des derniers
rfugis a t lev et les 35 000 rsidents du dernier camp ont t rapatris de gr et
de force. Une politique de restitution foncire a t prvue dans laccord dArusha et
a t mise en uvre depuis plusieurs annes. Cependant, alors que la rponse aux
contentieux lis aux retours exige quit, habilet et diplomatie, la politique actuelle
est caractrise par une volont dacclrer les restitutions compltes, une assimilation
des acqureurs de bonne foi aux spoliateurs et un manque dimpartialit qui risquent
de ractiver les divisions ethniques sans pour autant scuriser les droits fonciers desrfugis et dplacs.
A ce titre, le gouvernement a fait passer sans concertation une loi rvisant les
missions de la Commission nationale des terres et autres biens (CNTB) et tente de
faire de mme en crant une cour spciale charge des contentieux lis aux dcisions
de cette commission. Cette nouvelle orientation politique suscite de nombreuses in-
quitudes, notamment dans la communaut tutsi, et risque de rendre restitution et
rconciliation impossibles.
Avant le dbut de la campagne lectorale de 2015, qui ne manquera pas de faire de
la question foncire un des enjeux lectoraux, le gouvernement devrait mettre en
uvre les mesures suivantes avec le soutien des partenaires internationaux :
la remise en chantier de la nouvelle loi sur la CNTB et du projet de loi sur la courspciale en procdant des auditions parlementaires ouvertes tous afin de
permettre un dbat public et ladhsion du plus grand nombre ;
le renouvellement des membres de la CNTB selon une procdure plus consensuelle
et porteuse de garanties dintgrit ;
le retour une politique de partage entre propritaires actuels et plaignants ;
lharmonisation des principes qui doivent guider les dcisions de la CNTB et des
institutions judiciaires ; et
llaboration dune politique de compensation foncire par un comit interminis-
triel partir des ressources foncires vritablement disponibles et des besoinsde terres pour le dveloppement conomique.
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I. Introduction
Les massacres de 1972 et le dpart de plusieurs centaines de milliers de rfugis
ltranger ont t loccasion de rattribuer les proprits des victimes des bnfi-
ciaires perus comme proches du pouvoir.1En octobre 2003, Crisis Group avait exa-
min les dfis lis un retour massif de rfugis et de dplacs.2
Dix ans plus tard,dans les mdias burundais, les images se multiplient montrant des victions de rsi-
dents tutsi occupant les anciennes proprits de rapatris hutu. En mai 2013, lex-
pulsion dune famille dans le quartier de Ngagara Bujumbura a donn lieu des
affrontements violents entre jeunes tutsi et forces de lordre, rappelant les journes
ville morte que la capitale avait connues au plus fort de la guerre civile.3Lv-
nement a suscit des inquitudes lencontre de la CNTB4et des commentaires viru-
lents sur divers forums lectroniques dont certains, particulirement haineux,
avaient incit le Conseil national de la communication (CNC), un organe gouverne-
mental charg de rguler les mdias, ordonner la fermeture dun des principaux
sites dinformation du pays pendant un mois.5
Dans un contexte de retour plus ou moins volontaire des rfugis burundais aupays,6la question foncire est de nouveau au cur de lactualit et la bombe fon-
cire que Crisis Group avait dnonce en 2003 na pas t dsamorce. Pourtant,
laccord dArusha sign en 2000 identifiait la rintgration des rapatris et la pacifi-
cation des rapports fonciers comme des lments essentiels de la reconstruction. Ils
occupaient et occupent toujours une place de choix dans le travail de la Commission
de consolidation de la paix des Nations unies.7Bnficiant dimportants soutiens
1Sur les massacres de 1972, lire Jean-Pierre Chrtien et Jean-Franois Dupaquier (dir),Burundi 1972,
au bord des gnocides (Paris, 2007) ainsi que Ren Lemarchand, Selective Genocide in Burundi ,
Minority Rights Group Report no. 20, 1974.2Rapport Afrique de Crisis Group N70,Rfugis et dplacs au Burundi : dsamorcer la bombe
foncire, 7 octobre 2003.3Des oprations ville morte avaient t menes en 1994-1995 par des jeunes milices nommes
sans-dfaite ou sans-chec terrorisant des Hutu se rendant dans des quartiers majorit
tutsi, dont Ngagara. Lexpulsion mentionne concernait la famille Justin Nyakabeto dont il sera en-
core question par la suite. Dossier Nyakabeto : Limbroglio explosif ,Iwacu, 31 mai 2013.4 Le gouvernement du Burundi doit garantir que la CNTB ne dvie pas de sa mission de rconci-
liation des Burundais , dclaration du Forum pour la conscience et le dveloppement, Bujumbura,
30 mai 2013.5Il sagit du journalIwacu, lun des sites burundais les plus visits. Le CNC navait ordonn que la
fermeture du forum lectronique rattach ce site, mais la rdaction du journal a ragi en en fermant
lintgralit.6 Burundis land conundrum , Rseaux dinformation rgionaux intgrs (IRIN), 14 novembre 2013.7 Summary report of the first meeting , UN Peacebuilding Commission, 18 mai 2007, PBC/1/
BDI/SR.1. La rsolution des conflits fonciers fait toujours partie des objectifs du nouveau pro-
gramme de la Commission de consolidation de la paix des Nations unies au Burundi. Plan priori-
taire de consolidation de la paix, Burundi 2014-2016 .
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trangers, le Burundi a rform sa lgislation foncire avec la cration de nouveaux
services fonciers et de nouveaux dispositifs de scurisation foncire.8Dans un climat
de controverse, les autorits ont aussi rorient la politique de restitution et ont fait
adopter, le 31 dcembre 2013, une nouvelle loi rgissant la CNTB qui prvoit la cra-
tion dune cour spciale pour les contentieux de restitution, rige en crime les obs-
tructions au travail de la Commission et tend son mandat cinq ans indfiniment
renouvelable.9
Actuellement, cette nouvelle orientation pose problme tant au plan technique
que politique. Nombreux sont ceux qui se demandent si, dune part, la fermet affiche
en faveur de la rtrocession de biens aux anciens rfugis de 1972 contribue rellement
une meilleure protection des droits des rapatris et la rconciliation foncire et si,
dautre part, en jouant dangereusement sur les ressentiments collectifs, le durcisse-
ment actuel ne vise pas surtout rassembler une majorit hutu en vue des lections
de 2015. Dans un contexte gnral de monopolisation du pouvoir,10les problmes
brlants de lquit foncire et de la rparation effective des spoliations du pass
nen seront pas pour autant rgls.
8Sur la rforme foncire au Burundi, voir le rapport Afrique de Crisis Group N214,Les terres de la
discorde (I) : la rforme foncire au Burundi, 12 fvrier 2014.9Loi N1/31 du 31 dcembre 2013 portant rvision de la loi N1/11 du 4 janvier 2011 portant missions,
composition, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des terres et autres biens.10Voir ce sujet les rapports Afrique de Crisis Group N192,Burundi: Bye-bye Arusha?, 25 oc-
tobre 2012 ; N169,Burundi : du boycott lectoral limpasse politique, 7 fvrier 2011.
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II. La rconciliation foncire en droute
Au cours des dix dernires annes, prs de 800 000 rfugis sont rentrs au Burundi,
ce qui reprsente presque 10 pour cent de la population totale.11Beaucoup avaient
quitt le pays suite aux massacres de 1972 ou taient ns en exil, nayant pas pu revenir
sur leurs terres pendant plusieurs dcennies et ignorant parfois mme leur empla-
cement.12Bien que socialiss ltranger, la plupart des rfugis navaient pas dautre
option davenir que celle du retour dans le pays dorigine de leurs parents. Dans le
principal pays daccueil, en Tanzanie, plus de 700 000 rfugis avaient t maintenus
dans des camps avec des perspectives trs limites dintgration locale.13En 2010, le
gouvernement tanzanien avait annonc la naturalisation de 162 000 Burundais,14
mais sest en mme temps montr ferme dans sa volont de rapatrier lensemble des
autres rfugis. Fin 2012, le statut des derniers rfugis a t lev et les 35 000 rsi-dents du dernier camp ont t rapatris de gr et de force.15Depuis aot 2013, plu-
sieurs dizaines de milliers de Burundais, toujours prsents ou retourns en Tanzanie,
ont galement t expulss.16
Malgr leur trs longue absence, pour les rapatris, le retour sur la terre dorigine
constitue non seulement une condition de survie conomique, mais aussi un enjeu
identitaire majeur, car mme aprs 40 ans, retourner chez soi veut dire, au Burun-
di, sur la proprit familiale .17Les motions sont dautant plus importantes que,
pour le moment, la restitution de biens constitue le seul moyen dobtenir une rpara-
tion du moins partielle des meurtres et pillages perptrs au moment des dparts
en exil. Bien que laccord dArusha prvoie la cration dune Commission nationale
pour la vrit et la rconciliation , le Burundi na mis en place aucun mcanisme de
11Lors du recensement de 2008, la population burundaise a t tablie 8 053 574 personnes.
Recensement gnral de la population et de lhabitation. Rsultats dfinitifs , Rpublique du Bu-
rundi, Bujumbura, 2009.12Dans lhistoire burundaise, chaque vague de violence (1965, 1972, 1988, 1993, etc.) a produit des
rfugis et dplacs. Les premiers sont ceux qui ont fui aprs la tentative de coup dEtat de 1965.
Joseph Gahama, La question des rfugis , dans Jean-Pierre Chrtien et Jean-Franois Du-
paquier (dir),op. cit., p. 225-238.13Les difficults dintgration des rfugis ont t relates en dtail dans une enqute rcente.
Ralits du quotidien et perspectives davenir des rfugis congolais et burundais de la rgion des
Grands Lacs , Action pour le dveloppement et la paix endognes (ADEPAE), Rema Ministries,
Conseil danois pour les rfugis et Solidarit des volontaires pour lhumanit (SVH), Nairobi, 2013.14 Nationalit tanzanienne pour des rfugis burundais : Bujumbura applaudit , Agence France-
Presse (AFP), 19 avril 2010. A ce jour, il semblerait cependant que la plupart des personnes concer-
nes par la naturalisation naient pas encore obtenu leur nouvelle nationalit. De retour de Tan-
zanie, les ex-rfugis burundais face limpasse foncire , AFP, 28 novembre 2012.15Selon les personnes concernes, ces rapatriements ont donn lieu des violences policires. En-
tretiens de Crisis Group, rapatris, Makamba, mai 2013.16 Tanzanie : 10.000 Burundais expulss vers leur pays depuis mi-aot , AFP, 28 aot 2013.
Cette politique ne concernait pas seulement le Burundi mais tous les trangers en situation irrgu-
lire, ce qui sest traduit par des rapatriements dans plusieurs pays voisins. Why has Tanzania
deported thousands to Rwanda ? , BBC, 2 septembre 2013.17Rapport de Crisis Group,Rfugis et dplacs au Burundi, op. cit. Traditionnellement, au Burundi,
cest dans la proprit familiale que sont enterrs les morts, ce qui en fait un repre identitaire im-
portant.
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justice transitionnelle. Ainsi de trs nombreux responsables ou auteurs de massacres
nont jamais rpondu publiquement de leurs actes.18
Face aux revendications et attentes des rapatris, la situation des nouveaux occu-
pants est complique. Vivant parfois depuis plusieurs dcennies sur les terres litigieuses,
les ayant acquises par hritage ou par achat dune personne tierce, bon nombre dentre
eux staient fis leurs droits de proprit et ne disposent pas dautre solution. Tout
comme de nombreux rapatris, beaucoup doccupants sont dailleurs ns aprs 1972
et, lorsquils connaissent le caractre litigieux de leur proprit, nont eu cette con-
naissance qu travers les rcits des gnrations prcdentes. Alors que la gestion
des contentieux lis aux retours exige quit, habilet et diplomatie, la politique ac-
tuelle est caractrise par une volont dacclrer les restitutions compltes et un
manque dimpartialit qui risquent de ractiver les divisions ethniques. La nouvelle
loi rgissant la CNTB et annonant la cration dune cour spcialise et les risques
pour la stabilisation quelle comporte trouvent leurs racines dans lhistoire du pays.
A. Un hritage historique problmatique
Le systme de prdation foncire au bnfice des classes dirigeantes qui a accompagn
lensemble du cycle de conflits burundais est profondment ancr dans lhistoire. De-
puis la colonisation, un outil privilgi pour assurer la prennit de ce systme a t la
lgitimation de spoliations par le droit.19Cela a continu aprs lindpendance. Lins-
trumentalisation du droit et des institutions rend particulirement difficile, au-
jourdhui, la gestion des conflits car les dispositifs juridiques constituent bien plus
souvent un obstacle quun outil de rsolution de conflits et sont discrdits. La longue
tradition de ngation de droits par le droit a par ailleurs renforc les ressentiments
et la mfiance gnralise lgard des autorits judiciaires et de ladministration
foncire que partagent galement bon nombre des dirigeants politiques actuels. Cet
hritage sous-tend la politique de rinsertion foncire actuelle et sa dconnexion de
plus en plus marque du systme judiciaire rgulier et de ladministration foncire.
1. Les politiques et lgislations foncires au centre du conflit
Ds les premiers jours, les spoliations de 1972 sappuyaient sur une lgitimation ju-
ridique. Un jugement du Conseil de guerre avait non seulement prononc la con-
damnation mort des rebelles prsums, mais aussi la confiscation de leurs biens
18Au sujet de la mise entre parenthses de la justice transitionnelle au Burundi, voir Stef Van-
deginste, Transitional Justice for Burundi: A Long and Winding Road , dans Kai Ambos (dir),
Building a Future on Peace and Justice(Berlin, 2010), p. 393-422, et le rapport de Crisis Group,
Burundi : bye-bye Arusha ?, op. cit.19A la diffrence des colonies franaises ou britanniques, ladministration belge ne reconnaissait
aucun droit la proprit de droit civil aux sujets coloniaux. A lexception des terres appartenant
aux quelques rares Burundais immatriculs comme volus , les terres dtenues par des Burundais
taient systmatiquement considres comme des terres domaniales, ce qui permettait ladminis-
tration belge de les cder tout moment des colons, des entreprises ou lEglise (auxquels le droit
la proprit prive tait reconnu). Le droit la proprit prive ne fut accord aux sujets coloniaux
quen 1960, la veille de lindpendance, sans pour autant remettre en question les dsquilibres
structurels entre dirigeants et dirigs dont se sont saisies les nouvelles lites politiques. Concernant
le systme colonial, voir Joseph Gahama,Le Burundi sous administration belge(Paris, 1986).
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mobiliers et fonciers.20Par la suite, de nombreuses autorits locales se sont arrog le
droit de procder au partage des proprits de personnes en fuite ou dcdes en d-
livrant des documents officiels aux nouveaux occupants. En particulier dans les pro-
vinces de Bururi, Makamba et Rutana, la plupart des parcelles concernes ont t
ainsi rattribues.21Dans les quartiers de Rohero I et Rohero II, au centre-ville de
Bujumbura, le gouvernement lui-mme avait donn lEtat le droit de saisir les mai-
sons des condamns.22Aprs la prise de pouvoir du colonel Bagaza en 1976, une srie
de nouveaux textes juridiques a permis de rgulariser un grand nombre doccupations
ou attributions illgales.23
La commission nationale des rapatris mise en place en 1976 et charge d apurer
le contentieux opposant les rapatris aux nouveaux occupants avait, de fait, scell
la plupart des rgularisations.24Par ailleurs, en 1977, les terres rgies par la coutume
cest--dire la trs grande majorit des terres appartenant des particuliers ont t
soumises la prescription acquisitive, permettant aux nouveaux occupants dacqu-
rir la pleine proprit de ces terres aprs trente ans.25
En 1986, la plupart des textes rgissant le droit foncier ont t rassembls dans un
opus de plus de 400 articles, le code foncier, qui constitue, ce jour encore, le princi-
pal document de rfrence dans le domaine. Il figure parmi les textes les plus longs
et les plus techniques du droit burundais, occultant de ce fait les nombreux choix poli-
tiques quil reprend et consacre. Jusqu sa rvision en 2011, le code reprenait notam-
ment la rgle de la prescription acquisitive inconditionnelle, ce qui, entre 2002 et 2011,
a permis lacquisition dfinitive de tous les terrains occups 30 ans auparavant, entre
1972 et 1981.26Par ailleurs, il continuait accorder dimportantes prrogatives lEtat
sur les terres des particuliers et prvoyait des procdures peu transparentes de ces-
20Jugement du Conseil de guerre du 6 mai 1972, RMP.48.229/OC. Llment dclencheur de la
crise de 1972 fut une rbellion qui a clat le 29 avril dans la commune de Rumonge. En raction, le
prsident Michel Micombero avait dclar la loi martiale. En lespace de quelques jours seulement,
une violente campagne de reprsailles, parfois qualifie de gnocide slectif , a vis llite intel-
lectuelle hutu dans son ensemble. Jean-Pierre Chrtien et Jean-Franois Dupaquier (dir), op. cit., et
Ren Lemarchand, op. cit.21Ce procd reposait sur des courriers adresss par le gouverneur de Bururi aux administrateurs
communaux. La province de Bururi couvrait alors les provinces actuelles de Bururi, Makamba et
une partie de Rutana.22Une partie des mesures prises en 1972 ont t remises en question par un dcret prsidentiel de
1974 mais, dans les faits, le contexte politique ne permettait pas vritablement aux intresss de se
prvaloir du dcret, dautant plus que la plupart dentre eux taient partis en exil. Le dcret doit tre
compris comme une mesure humanitaire dans le but de concrtiser notre souci de concorde et
dunit nationale (attendu du dcret). Dcret prsidentiel N100/314 du 26 novembre 1974 por-
tant mainleve de saisie de certains immeubles des personnes condamnes le 6 mai 1972.23Lintitul de ces textes est trompeur car il suggre lexact contraire de leur effet vritable : dcret-
loi N1/191 du 30 dcembre 1976 portant retour au domaine de lEtat des terres irrgulirement
attribues et dcret N1/21 du 30 juin 1977 relatif la rintgration dans leurs droits des personnes
ayant quitt le Burundi suite aux vnements de 1972 et 1973.24La commission dite Mandi (du nom de son prsident, ministre de lIntrieur) avait t dote
dun mandat ambigu qui lui demandait notamment de rgulariser les attributions illgales de
terrains dune superficie infrieure 4 hectares. Article 3 du dcret du 30 dcembre 1976.25Dcret-loi N1/20 du 30 juin 1977 tendant le systme de la prescription acquisitive aux im-
meubles rgis par le droit coutumier. Auparavant, la rgle de la prescription ne sappliquait quaux
terres enregistres rgies par le droit crit. Comme de nombreuses rformes de lpoque, lextension
de la prescription avait t justifie par un besoin de modernisation du droit.26En particulier, le code ne posait pas de condition de bonne foi de lacqureur.
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sion et de concession de terres domaniales par les autorits locales.27Cette situation
permettait aux lites politico-militaires de saccaparer en toute lgalit dimportantes
tendues foncires et favorisait la ralisation de vastes projets de dveloppement
impliquant des remembrements agraires et des rattributions de parcelles.
Lune des rgions les plus affectes par linterventionnisme de lEtat fut la rgion
trs fertile de lImbo laquelle appartiennent les communes de Nyanza-Lac et de Ru-
monge, particulirement touches par les dparts de rfugis et dont des localits
avaient entirement chang de population en 1972. Cest ici quont t mis en uvre,
au cours des annes 1980, deux projets impliquant la rquisition et la redistribution
de terres grande chelle : lamnagement de nouvelles plantations de palmiers
huile par la Socit rgionale de dveloppement (SRD Rumonge) et le projet din-
tensification agricole PIA-Rububu. Dans les deux cas, le dcoupage foncier avait t
totalement remodel, ce qui avait considrablement compromis les chances pour les
rfugis de recouvrer leurs droits fonciers. De surcroit, les rattributions de terres
avaient t entaches dirrgularits dnonces par les nouveaux occupants eux-
mmes, dmultipliant les revendications concurrentielles sur la terre.28
Vers la fin des annes 1980, alors que de nouveaux affrontements ethniques cla-
taient dans le Nord du pays, une rintgration systmatique des rfugis dans leurs
droits fonciers semblait de plus en plus difficilement envisageable, et le besoin de
conciliation nationale se faisait de plus en plus urgent.29Lorsqua t cre, en 1991,
une nouvelle Commission nationale charge du retour et de lintgration des rfugis
burundais, sa mission ntait plus de faciliter la restitution des terres leurs anciens
propritaires, mais plutt leur installation sur dautres sites.30
Cette solution a t violemment remise en question aprs la victoire lectorale du
Frodebu et larrive au pouvoir du premier prsident hutu, Melchior Ndadaye, en
1993. Les rfugis hutu sont alors rentrs en grand nombre et, en particulier dans les
communes de Rumonge et Nyanza-Lac, se sont parfois fait justice eux-mmes en dlo-
geant manu militari les occupants de leurs terres dorigine. En septembre 1993, plu-
sieurs centaines de paysans tutsi dpossds de force se sont rendus Bujumbura
pour exprimer leur indignation et leur dtermination retrouver des terres quils es-
timaient tre les leurs.
Les difficults organiser les rapatriements ont contribu la dtrioration du
climat politique qui a prcd lassassinat du prsident Ndadaye en octobre 1993 et
la longue priode de conflit et dinstabilit que le Burundi a connue entre 1993 et
27Rapport de Crisis Group,Rfugis et dplacs au Burundi, op. cit.28La situation juridique a t dcrite en dtail dans Dominik Kohlhagen, Conflits fonciers sur or-
donnance. Limbroglio juridique et social dans les villages de paix de Rumonge ,LAfrique des
Grands Lacs. Annuaire 2010-2011(Paris, 2011). Voir galement le rapport de Crisis Group,Rfugis
et dplacs au Burundi, op. cit.29En 1988, les communes de Ntega et Marangara ont connu des attaques cibles contre des Tutsi
qui ont, par la suite, t violemment rprimes par larme. Ces vnements se sont drouls moins
dun an aprs la prise de pouvoir de Pierre Buyoya en 1987 et ont t lorigine de diverses mesures
visant promouvoir lunit nationale, dont la cration de la nouvelle commission de 1991.30La commission de 1991 ne pouvait rinstaller des rapatris que dans la mesure o leurs terres
ntaient pas dj occupes, ce qui ntait le cas que trs exceptionnellement. Dcret-loi N1/01 du
22 janvier 1991 portant cration dune Commission nationale charge du retour, de laccueil et de
linsertion des rfugis burundais.
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factions rebelles alors actives, le CNDD-FDD et le Palipehutu-FNL, qui navaient pas
particip aux ngociations dArusha. Selon la loi fondatrice de la CNRS, ses membres
devaient provenir des parties participant laccord dArusha et des autres secteurs
de la vie nationale , sans prvoir de siges vacants pour les reprsentants de la r-
bellion.40Cela explique quen fvrier 2006, peu aprs larrive au pouvoir du CNDD-
FDD41et avant mme que la Commission nait pu se prononcer sur un quelconque
litige, celle-ci a t dissoute pour faire place, trois mois plus tard, la Commission
nationale des terres et autres biens (CNTB), principale institution charge de la rin-
sertion foncire.
Les comptences de la CNTB reprennent globalement celles de la CNRS dont, en
particulier, le rglement des litiges fonciers impliquant des sinistrs et la mise jour
de linventaire des terres de lEtat dans la perspective dune rattribution future titre
de compensation.42A la diffrence de toutes les commissions prcdentes, la CNTB
allait cependant bientt afficher une activit importante et, pour la premire fois, per-
mettre de traiter un volume daffaires susceptible dapporter une rponse durable au
problme des terres des sinistrs. Initialement place sous la tutelle de la premire
vice-prsidence qui en proposait les membres pour nomination par le prsident de la
Rpublique, la CNTB apparaissait par ailleurs comme une institution relativement
indpendante du gouvernement et de la majorit.43Progressivement cependant,
cette situation a chang. Plutt que de poursuivre sur la voie de la pacification, la
Commission sest enlise dans les tourments de jeux politiques et de discours ethni-
cisants dangereux pour lunit nationale.
B. La politique de restitution entre insatisfaction et politisationDans lopinion publique burundaise, le virage qua pris la politique de rinsertion
foncire est souvent li au changement la tte de la CNTB. Labb Aster Kana qui
prsidait la Commission depuis sa cration en 2006, est dcd dune maladie le 17
juillet 2011. Pendant son mandat, il avait mis un accent particulirement fort sur la
mission conciliatrice de la CNTB et stait prsent comme une figure rassembleuse.44
Son successeur, le prlat Srapion Bambonanire, avait rapidement multipli les d-
clarations annonant une politique de restitution plus ferme en faveur des rapatris.45
40Loi N1/017 du 13 dcembre 2002 dterminant les missions, les comptences, lorganisation et le
fonctionnement de la Commission nationale de rhabilitation des sinistrs. Inclure des reprsentants
de la rbellion tait pourtant une des recommandations de Crisis Group concernant la sous-commission
des terres. Rapport de Crisis Group,Rfugis et dplacs au Burundi, op. cit.41Le CNDD-FDD est entr au gouvernement en novembre 2003 et a remport les lections lgisla-
tives et prsidentielles au courant de lanne 2005.42Dcret N100/205 du 22 juillet 2006 portant application de la loi N1/18 portant mission, com-
position, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des terres et autres biens. Les
modifications intervenues par la suite sur ce texte nont pas affect les comptences originelles.43La Constitution de 2005 prvoit deux postes de vice-prsident, un rserv aux Tutsi et lautre aux
Hutu. Le premier assure la coordination dans le domaine politique et administratif et le second la
coordination en matire conomique et sociale. Depuis 2005, la premire vice-prsidence a toujours
t assure par un Tutsi du parti dopposition Uprona et la seconde par un Hutu du CNDD-FDD.44Hutu de Gitega, labb Kana tait prcdemment connu de nombreux Burundais pour avoir t
porte-parole de la commission lectorale indpendante de 2005.45Hutu de Bubanza, Monseigneur Bambonanire avait pendant longtemps vcu hors du Burundi et
tait peu connu de ses compatriotes avant sa prise de fonctions la CNTB. Il tait un jeune smina-
riste la paroisse de Mabayi lors des massacres de 1972. Entre 1983 et 1993, il a servi dans diff-
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Plutt que dtre la cause du revirement observ, lvolution de la CNTB sinscrit en
ralit dans un durcissement politique plus gnral lgard des nouveaux occupants
et propritaires qui se dessine depuis le second mandat du prsident Nkurunziza.46
Face la difficult de relever efficacement le dfi de la rintgration et de dfinir
une vision politique globale dans le domaine foncier, la mise en cause systmatique
des nouveaux occupants et propritaires et le rflexe de la revanche ethnique semblent
avoir pris le dessus. Cette volution est dautant plus regrettable que les premires
orientations prises par la CNTB avaient manifestement permis de contenir les trs
grands risques de drapages violents et dinstrumentalisation politique quidentifiait
Crisis Group en 2003.
1. Lapaisement prcaire de la dcennie 2000-2010
Les principes de fonctionnement de la CNRS pendant ses premires annes dexis-tence reposaient essentiellement sur les textes fondateurs de la Commission. Selon les
termes de laccord dArusha, la sous-commission des terres devait veiller lquit,
la transparence et au bon sens de toutes ses dcisions .47Plutt que de dfendre les
seuls besoins des rapatris, il lui tait demand de sinscrire dans un objectif de paci-
fication plus large, de toujours rester consciente du fait que lobjectif est non seu-
lement la restitution de leurs biens aux rapatris, mais aussi la rconciliation entre
les groupes ainsi que la paix dans le pays .48Les textes rgissant la CNTB reprennent
la mme ide dun mandat large destin favoriser la rconciliation nationale et non la
seule restitution. Ils soulignent, en particulier, limportance de recourir diffrents
principes et considrations : les dcisions de la commission sont guides par lim-
pratif de concilier les objectifs du respect des droits humains, de la loi, de lquit, dela rconciliation et de la paix sociale .49
Sous la prsidence de Kana, la solution privilgie pour conserver lquilibre
entre restitution et rconciliation a t le partage des proprits en conflit. Lors-
quelle tait saisie dun litige, la CNTB procdait dabord une srie de visites sur les
lieux, runissait les parties et tentait de les inciter conclure une entente lamiable,
avant de suggrer diffrentes solutions envisageables. Lorsque loccupant possdait
rentes nonciatures en Amrique latine, en Afrique et au Moyen-Orient. Il est parfois affirm que
Bambonanire aurait ensuite renonc sa carrire diplomatique pour revenir au Burundi et
sengager auprs de la rbellion naissante du CNDD-FDD en y assurant des services religieux. De la
fin des annes 1990 jusqu peu de temps avant sa nomination la prsidence de la CNTB, Bambo-
nanire a principalement vcu en Sicile o il sest engag dans des projets humanitaires orients vers
le Burundi. En novembre 2009, diffrentes sources italiennes signalent sa prsence lors dune ren-
contre, en marge dun sommet de la FAO Rome, entre le prsident Nkurunziza et le prsident
dune fondation sicilienne. Voir ce sujet la dpche La Fondazione San Raffaele Giglio sosterr
sviluppo di un ospedale in Burundi du 17 novembre 2009, reproduite entre autres sur le site de la
fondationSan Raffaele Giglio(www.hsrgiglio.it/sito/en/fondazione/hsr-giglio-per-il-burundi).
Entretiens de Crisis Group, membres du CNDD-FDD, de la CNTB et de la Commission piscopale
justice et paix, Bujumbura, mai 2013.46Ce durcissement a t dcrypt dans les rapports de Crisis Group,Burundi: Bye-bye Arusha?,
op. cit., etBurundi : du boycott lectoral limpasse politique, op. cit.47Article 8 k) du Protocole IV.48Ibid.49Article 11 de la loi du 31 dcembre 2013. Depuis 2006, tous les textes rgissant la CNTB repre-
naient cette liste dobjectifs, les droits humains y ayant t ajouts avec la modification de la loi
en 2013.
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dautres terres ou nexploitait pas le terrain concern, elle proposait de prfrence la
rcupration complte par le sinistr. Dans dautres cas, elle prconisait le partage. Un
guide mthodologique dtaillait les diffrentes options possibles selon les situations.50
Sur le terrain, la CNTB tait reprsente par une dlgation compose de deux
fonctionnaires, dun magistrat, dun reprsentant de la socit civile et dun membre
dune confession religieuse.51La prsence dhommes dglise semble avoir fortement
contribu au respect quinspirait la dlgation et sa capacit dorienter les parties.52
Elle procdait plusieurs tentatives de rsolution amiable, ce qui pouvait impliquer
plusieurs dplacements durant plusieurs mois.53La faible productivit de la CNTB
refltait les longueurs de la procdure mais, finalement, une importante proportion
de conflits avait pu tre rgle lamiable. Sur prs de 20 000 plaintes enregistres
entre 2006 et 2010, 13 000 ont t traites, dont environ 70 pour cent par un rgle-
ment amiable.54En cas de non-entente, la CNTB tranchait en privilgiant le partage
de la proprit. Sur des parcelles destines lhabitation, elle tranchait principalement
en fonction des conditions dacquisition par le nouvel occupant et privilgiait la mise
disposition dune terre domaniale au rapatri lorsque loccupant tait de bonne foi.
Le succs que rencontrait le partage ntait pas exempt dambiguts. Dans les faits,
cette solution ne correspondait pas toujours un choix parfaitement consenti, mais
rpondait souvent aussi un sentiment diffus de contrainte. Loue par la radio natio-
nale, soutenue par les autorits locales et pratique par les voisins, elle pouvait diffi-
cilement tre refuse par les personnes concernes.55Par ailleurs, au cours de ses pre-
mires annes dexistence, la CNTB ne semble stre que peu prononce sur les cas
les plus problmatiques, en particulier sur les maisons situes en milieu urbain qui,
trs gnralement, ne se prtaient pas la solution du partage.56Malgr la prcarit
et le caractre partiel des solutions ngocies travers la CNTB, celles-ci avaient ce-
pendant permis de pacifier temporairement une situation qui, de toute manire, ne
pouvait pas tre rgle en satisfaisant tout le monde. Les vritables problmes ren-
contrs par la politique de rapatriement relevaient plutt dautres registres.
Un lment majeur qui, depuis sa cration, fragilise les dcisions rendues par la
CNTB est labsence dintgration adquate de celle-ci dans le systme judiciaire. La
Commission ntant pas considre comme un tribunal qui peut rendre des juge-
50 Guide mthodologique pour le traitement des litiges fonciers et des autres biens , CNTB, Bu-
jumbura, avril 2007.51Article 10 de la loi du 4 mai 2006.52Entretiens de Crisis Group, personnes ayant conclu des ententes, Rutana, Bururi et Ngozi, fvrier-
mars 2011 et mai-juin 2013.53Les dlgations taient avises de ne pas procder des visites trop rapproches dans le temps
pour permettre aux parties davoir un temps de rflexion. Entretiens de Crisis Group, anciens
agents de la CNTB, mai 2013.54 Commission nationale des terres et autres biens : son organisation et ses activits , CNTB, Bu-
jumbura, 2010. Dans le cadre de la mdiation des conflits, la CNTB bnficie dun soutien de lONG
Accord qui avait permis de sceller une quarantaine dententes lamiable supplmentaires dans la
province de Makamba. Thimma Bunte et Laureline Monnier, Mediating Land Conflict in Burun-di : A Documentation and Analysis Project, Umhlanga Rocks, Afrique du Sud, 2011.55De nombreuses personnes ont affirm avoir t pousses accepter un partage malgr leur sen-
timent de subir une injustice. Ce sentiment tait partag aussi bien par les rapatris que par les r-
sidents. Entretiens de Crisis Group, rsidents et rapatris, Bururi et Rutana, mars 2011.56Entretiens de Crisis Group, responsables des dlgations provinciales de la CNTB, Bujumbura,
mai 2013.
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ventaires qui ont t produits au fil des annes ont rgulirement fait lobjet de con-
testations et, de surcroit, ont rapidement t dpasss par de nouvelles attributions
lgales ou illgales des terres recenses. Alors que le dernier inventaire effectu re-
monte 2001, les enqutes communiques par la CNTB en 2009 ont dj fait tat de
42 857 hectares de terres domaniales en situation irrgulire. 64Ce nest quavec
lannonce, en mai 2013, dun important financement de lUnion europenne que se
prcisent les chances dune ractualisation de linventaire.65
Outre la difficult de dsigner les terres que laccord dArusha prvoyait titre de
compensation ventuelle, la question de lindemnisation des personnes ne pouvant
rcuprer aucune terre reste entire. Dans lun des pays les plus pauvres du monde,
la mise en place du fonds annonc par laccord dArusha se heurte des problmes
de financement et na mme pas fait lobjet dune estimation pralable ou dune quel-
conque proclamation dintention. Le manque de moyens matriels de rparation
auquel sajoute labsence dinstitutions proposant une certaine forme de rparation
morale gnre aujourdhui des ressentiments difficiles contenir. En particulier
dans les provinces de Makamba et de Bururi, de nombreux rapatris vivent dans la
rue en attendant une solution, alors que dautres ne parviennent payer leur loyer que
grce aux subsides temporaires du Haut Commissariat aux rfugis des Nations
unies (HCR).66Une rponse aussi consensuelle que possible au contentieux foncier
est indispensable, mais la politique qui se dessine depuis 2009 ne va pas dans ce sens.
2. Le retour des divisions ethniques
La nouvelle politique controverse de la CNTB
A lapproche des lections de 2010, la difficult de mettre en uvre la rinsertionfoncire des rapatris commence devenir une proccupation de plus en plus im-
portante pour le gouvernement.67Fin 2009, la loi rgissant la CNTB est rvise et
fait passer ses effectifs permanents de 23 50 personnes afin de permettre une acc-
lration des procdures.68En mme temps, le nouveau texte tente de renforcer le
pouvoir de la CNTB vis--vis de la justice en permettant lexcution des dcisions
rendues nonobstant un ventuel recours judiciaire.69Ce choix donne la Commission
des pouvoirs quasi-juridictionnels sans pour autant lintgrer dans le systme judi-
ciaire. Les jugements rendus en dernire instance par les tribunaux ordinaires con-
tinuent toujours primer sur les dcisions de la CNTB et, dsormais, peuvent re-
mettre en question une dcision dj excute. Plutt que de trancher le conflit entre
les institutions, la rvision de 2009 a ouvert la voie une rivalit grandissante entre
64Parmi ces terres, 30 896 hectares auraient t irrgulirement attribus et 11 961 hectares au-
raient t accapars. Lettre de politique foncire , Rpublique du Burundi, Bujumbura, 2009, p. 5.65Il sagit dun financement de 5,5 millions deuros pour un projet intitul Projet damlioration
de la gestion et de la gouvernance foncires au Burundi dont linventaire des terres domaniales
devrait constituer le volet principal. Entretien de Crisis Group, reprsentants de la dlgation de
lUnion europenne au Burundi, Bujumbura, mai 2013.66Entretiens de Crisis Group, rapatris, Rumonge et Nyanza-Lac, mai 2013.67 Entretiens de Crisis Group, membres du CNDD-FDD, mai 2013. La stratgie nationale
dintgration socio-conomique des personnes affectes par le conflit de 2009 fait tat de 500 289
personnes revenues au Burundi entre 2002 et 2009, soit un lectorat considrable.68Loi N1/17 du 4 septembre 2009 portant rvision de la loi du 4 mai 2006.69Article 19 de la loi du 4 septembre 2009, repris dans la loi rvise actuelle.
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la CNTB et la justice qui contribue marquer la politique de rinsertion foncire du
sceau de lincertitude.70
Le texte de 2009 modifie galement la composition des dlgations se rendant
sur le terrain en supprimant notamment la prsence obligatoire dun magistrat et dun
homme dglise. Il prive les dlgations la fois de la seule personne susceptible
dapporter une analyse juridique et de la figure la plus respecte dans le cadre des
rglements amiables.71Tout en isolant la CNTB sur le plan institutionnel, les chan-
gements de 2009 ont donc la fois contribu rduire la place accorde la mdia-
tion et renforcer les risques darbitraire dans le travail de la Commission. En mme
temps, une pression de plus en plus forte commence tre exerce sur les juges pour
les inciter se dessaisir de dossiers en instance la CNTB. 72
Le durcissement de ton de 2009 naffecte pas seulement le mandat de la CNTB.
Au cours de la mme anne, Rumonge, une ordonnance ministrielle jamais en-
tirement mise en uvre et plusieurs gards irrgulire dclare par exemple le
retour dans le domaine de lEtat des terrains particulirement litigieux qui
avaient t remembrs dans les annes 1980 pour les besoins du projet PIA-Rububu
et de la SRD Rumonge.73A partir de cette ordonnance, plusieurs dizaines de familles
ont t expulses de leurs parcelles pour permettre la construction des villages de
Mutambara et de Buzimba destins accueillir des rapatris. Ce nest cependant pas
pour autant que la situation des rapatris samliore : ironiquement, parmi les per-
sonnes expulses sur les sites de Mutambara et de Buzimba figurent des rapatris
qui venaient dtre rinstalls sur les parcelles concernes avec laide de la CNTB.74
Aprs le retrait de plusieurs partis du processus lectoral de 2010 et les premiers
signes dune rbellion naissante, les craintes se renforcent au CNDD-FDD de voir les
laisss-pour-compte de la rinsertion foncire rejoindre le rang de nouvelles mi-
lices.75Ds janvier 2011, une deuxime rvision de la loi rgissant la CNTB fait pas-
ser la Commission sous la tutelle du prsident de la Rpublique, qui est dsormais
le seul responsable de la nomination de ses membres.76Au mois de mars, le vice-
prsident de la CNTB, Pontien Niyongabo, du parti Uprona (Union pour le progrs
national, un parti dominante tutsi), est remplac par Sophonie Ngendakuriyo, un
70Alors que, du ct de la CNTB, la justice est perue comme lment perturbateur, pour les prati-
ciens du droit, la Commission est mise en cause en raison de lincompatibilit de son mandat avec le
principe constitutionnel de lunicit du systme judiciaire (article 205 de la Constitution).71Ces suppressions se sont faites au bnfice dune reprsentation plus importante dlus locaux.
Articles 10 et 11 de la loi du 4 septembre 2009.72Selon des informations recueillies auprs de magistrats en province de Makamba, ds 2009, le
tribunal de grande instance aurait ainsi reu des instructions du gouverneur de province de ne plus
statuer sur les affaires soumises la CNTB. La carrire et laffectation des juges burundais dpen-
dant directement du ministre de la Justice, de telles injonctions de lexcutif sont souvent suivies
deffet.73Ordonnance ministrielle conjointe (du ministre de lEau, de lEnvironnement et de lAmnage-
ment du territoire et du ministre de lAgriculture et de lElevage) N770/710/1404/2009 du 9 no-
vembre 2009 portant retour dans le domaine de lEtat des terrains grs par le projet dintensifica-
tion agricole dans les communes de Rumonge, Burambi et Buyengero (PIA-Rububu) et un terrain
de lOffice dhuile de palme (OHP).74Entretiens de Crisis Group, rapatris, Mutambara et Buzimba, mai 2013.75Entretiens de Crisis Group, membres du CNDD-FDD, Bujumbura, mai 2013. Rapport de Crisis
Group,Burundi : du boycott lectoral limpasse politique, op. cit.76Loi N1/01 du 4 janvier 2011 portant rvision de la loi du 4 septembre 2009.
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pasteur vangliste rput proche du chef de lEtat.77En avril, Srapion Bambona-
nire est nomm prsident. Au mme moment, Mthuslah Nikobamye, souvent cit
pour avoir revendiqu le massacre de Gatumba au nom des Forces nationales de li-
bration (FNL, un mouvement hutu rebelle),78prend ses fonctions dans la dlga-
tion provinciale de Bujumbura-Mairie.79
A la tte de plusieurs autres dlgations provinciales sont nomms des membres
du CNDD-FDD, dont certains ont activement particip la rbellion arme. Mi-
2013, seules les dlgations de Muramvya, Mwaro et Ruyigi taient encore diriges
par des membres du parti Uprona,80alors que les provinces les plus concernes par
les rapatriements avaient presque toutes connu des nouvelles nominations de
membres du CNDD-FDD.81
Aux tensions politiques internes que provoquent les remaniements la CNTB
sajoutent des dclarations publiques du nouveau prsident, accusant son prdces-
seur dinaction et reprochant lancien vice-prsident Niyongabo davoir agi pour les
intrts de son parti en orientant le travail de la CNTB en dfaveur des rapatris.82
En mme temps, dans les documents produits par la CNTB sobserve un ajustement
smantique rvlateur : alors que, jusquen 2011, il tait usuel dy distinguer le ra-
patri et le rsident , dsormais, ce dernier est dsign comme occupant se-
condaire .83A diffrentes occasions, le nouveau prsident raffirme son attachement
au principe de la restitution inconditionnelle et complte et remet en cause la solution
du compromis par le partage.84
Officiellement, limportance du rglement amiable est toujours mise en avant par
le prsident de la CNTB.85Mais dans les faits, les solutions amiables se font de plus
77Entretiens de Crisis Group, membres du CNDD-FDD, Bujumbura, mai 2013. La nomination de
Ngendakuriyo sest faite par le dcret N100/64 du 3 mars 2011.78Le massacre, perptr en 2004, avait cot la vie 161 rfugis banyamulenge ; Nikobamye, dit
Pasteur Habimana , tait alors le porte-parole des FNL. Une bande-son rediffuse par la Radio
publique africaine (RPA) en aot 2013 semble confirmer que Nikobamye a revendiqu publique-
ment lattaque sur cette radio en 2004. Nikobamye nie cependant son implication. Burundi :
plainte contre lex-rebelle Rwasa pour le massacre de Gatumba , AFP, 22 aot 2013.79Dcret N100/110 du 7 avril 2011.80Muramvya et Mwaro sont les deux provinces les moins concernes par les retours de rfugis.81On citera en particulier Bururi, Makamba, Rutana et Kirundo. Entretiens de Crisis Group,
membres des dlgations provinciales de la CNTB, Bujumbura, Bururi et Makamba, mai 2013. Une
liste des membres permanents de la CNTB avec leurs affiliations politiques a t publie par lOb-
servatoire de laction gouvernementale (OAG), Analyse de lorganisation et du fonctionnement de
la Commission nationale terres et autres biens. Une pine dans le processus de consolidation de la
paix et de la rconciliation nationale , Bujumbura, 2013. La liste ne prend pas en compte de nou-
velles nominations qui ont t effectues en novembre 2013.82La guerre de mots entre Srapion et Pontien au cours de lanne 2012 est dcrite en dtail sur
le site de la radio Isanganiro : www.isanganiro.org/spip.php?article3307.83 Mmorandum sur les ralits de la CNTB. Contexte historique et juridique, fonctionnement et
ralisations, grands dfis et propositions de solutions , CNTB, Bujumbura, dcembre 2012.84Confrences de presse tenues les 29 dcembre 2011 et 19 janvier 2012 Bujumbura par le prsident
de la CNTB ; entretien paru dans le journalIwacudu 17 fvrier 2012 : Le partage quitable est
une solution hypocrite .85 Du ct des membres et des collaborateurs, le sentiment qui prdomine est celui dune grande
satisfaction, eu gard surtout au nombre impressionnant des litiges rsolus, dont la plupart par des
arrangements lamiable qui consistent mnager la chvre et le chou, en privilgiant le partage de
la proprit en deux parties gales . Confrence de presse, prsident de la CNTB, Bujumbura, 19
janvier 2012.
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en plus rares. Entre 2006 et 2010, elles constituaient plus de 70 pour cent des dossiers
clturs ; au cours de lanne 2012, elles en reprsentaient moins de 50 pour cent.86
Un peu partout au Burundi, les accusations contre les dlgations de la CNTB se
multiplient concernant des dcisions trop expditives ou rendues en labsence des
parties et des mauvaises apprciations de faits.87De surcroit, la Commission accepte
dsormais linvalidation de dcisions ou de rglements amiables entrins sous la
prsidence de Kana en permettant la rouverture des dossiers.88
Sur le fond, la plupart des nouvelles dcisions rendues ne tiennent plus compte des
conditions dacquisition de la parcelle litigieuse par le nouvel occupant. Le manuel
de procdure dit sous Kana prvoyait de privilgier loccupant dont la bonne foi
pouvait tre tablie.89Dsormais, mme dans ce cas de figure, loccupant est invit
restituer lentiret de la proprit sans pouvoir prtendre une quelconque com-
pensation. Ceci tant, plus aucun document mthodologique ne guide actuellement
les interventions des dlgations provinciales ; de fait, les procdures varient consi-
drablement en fonction des provinces et des orientations politiques des prsidents
de dlgation.90Les instructions reues par les dlgations sont dsormais orales, ce
qui rend plus alatoires les procds choisis, notamment quant limportance accor-
de la conciliation.91
Une rtrocession sans scurit juridique
Le bras de fer opposant la CNTB aux institutions judiciaires sest considrablement
durci. Dans le nouveau discours dominant la CNTB, les tribunaux ne sont plus seu-
lement accuss dinterfrer dans le travail de la Commission, il leur est mme reproch
de mal appliquer le droit. Dsormais, la CNTB produit en effet sa propre lecture des
textes juridiques quelle diffuse lors de sessions de sensibilisation et dans des docu-
ments distribus aux usagers.92Reposant sur une slection incomplte de textes na-
86Voir les chiffres reproduits dans lannexe III. Des chiffres similaires ont t donns dans Gilbert
Bigirimana, op. cit., Bujumbura, juin 2013.87De telles accusations ont t entendues lors des recherches de Crisis Group dans les communes
de Rumonge et de Nyanza-Lac en mai 2013. Selon les personnes interroges, dans la plupart des
cas, les dcisions en dfaveur des nouveaux occupants reposaient sur la non-reconnaissance de do-
cuments de preuve jugs falsifis ou insuffisants par la CNTB. Entretiens de Crisis Group, rsidents,
Bururi et Makamba, mai 2013.88Entretiens de Crisis Group, membres des dlgations provinciales et prsident de la CNTB, Bu-
jumbura, mai 2013. Laffaire de Ngagara mentionne en introduction est emblmatique cet gard.
Dans cette affaire dite Nyakabeto , une prcdente dcision de la CNTB (N865/09 du 19 aot
2009) avait attribu lentiret de la proprit litigieuse loccupant actuel qui lavait achete crdit
en 1981. La bonne foi de cet occupant na pas t remise en question par la seconde dcision, mais
estimant que la maison avait t spolie de force en 1972 (alors que plusieurs documents attestaient
plutt dune vente de dtresse de lancienne propritaire aprs lassassinat de son mari), la CNTB a
opt pour la restitution totale. Entretiens de Crisis Group, parties en litige dans laffaire Nya-
kabeto , Bujumbura, mai 2013.89 Guide mthodologique , op. cit.90Entretiens de Crisis Group, membres des dlgations provinciales de la CNTB, rapatris et rsi-
dents, Bujumbura, Bururi et Makamba, mai 2013.91Entretiens de Crisis Group, membres des dlgations provinciales de la CNTB, Bujumbura, Bururi
et Makamba, mai 2013.92 Mmorandum sur les ralits de la CNTB , op. cit.
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tionaux et internationaux parfois mal interprts,93cette lecture consiste essentielle-
ment passer sous silence les obstacles juridiques qui sopposent aujourdhui la
restitution de terres spolies en 1972. Elle va mme jusqu nier linstrumentalisation
du droit par les rgimes prcdents, qui avait permis la lgalisation de bon nombre
doccupations illgitimes.94La prescription acquisitive est par ailleurs rinterprte
comme ne pouvant pas tre opposable aux personnes contraintes lexil.
Les interprtations juridiques propages par la CNTB ne provoquent pas seule-
ment la dsorientation des personnes concernes, elles commencent mme avoir
une influence considrable sur le bon fonctionnement des tribunaux. En janvier
2012, une lettre du ministre de la Justice a demand lensemble des prsidents des
tribunaux burundais de ne plus appliquer les rgles de la prescription en reprenant
un principe de droit reconnu en droit des contrats qui est rgulirement cit dans les
documents de la CNTB : contre celui qui ne peut agir, la prescription ne peut cou-
rir .95Dans les faits, ce principe jurisprudentiel franais ne sapplique pourtant pas
au droit immobilier. Dans son courrier, le ministre demande galement aux juges de
ne plus se saisir daffaires en cours devant la CNTB et dattendre leur excution dfi-
nitive avant de rendre un jugement.96
Bien que manifestement contraire aux textes, la rinterprtation du droit par la
CNTB sinscrit dans la continuit des manipulations du droit par les rgimes prc-
dents. Seulement, cette fois, le ton est la revanche, comme en tmoignent aussi
certains des grands dfis identifis dans un mmorandum que la CNTB a produit
fin 2012.97Lun des dfis numrs concerne par exemple les grands domaines
fonciers . Sans tablir de lien clair avec le mandat de la Commission, le mmoran-
dum recommande linstauration dun impt foncier pour les grands propritaires,
des enqutes sans complaisance sur lorigine de leurs terres et la suspension de
la validit de certains titres de proprit. A loccasion, le mmorandum cite explici-
tement plusieurs noms de personnes et de familles tutsi propritaires dans la plaine
de lImbo en mettant des doutes sur le bien-fond de leurs droits de proprit.98
93Dans la liste des textes reproduits, on constate notamment labsence du dcret du 30 dcembre
1976 qui avait permis de lgaliser les attributions illgales de terrains ne dpassant pas 4 hectares.
Concernant les textes internationaux repris (dont laccord dArusha), il est systmatiquement omis
de prciser que ces textes appellent des solutions alternatives lorsque la restitution se rvle im-
possible .94Le prsident de la CNTB a par exemple dclar : Au terme dune analyse objective de ces textes,
nous avons maintenant la certitude que, dans notre pays, le lgislateur na jamais autoris ni loc-
cupation ni la jouissance gratuites dun bien appartenant autrui : il ny a jamais eu aucune loi qui
ait permis des citoyens occuper des terrains ou des maisons, ou jouir gratuitement de leurs vhi-
cules, comptes en banque ou pension . Confrence de presse, Bujumbura, 19 janvier 2012. Ou en-
core : Croyez-moi, ce nest pas de la faute de la CNTB, si toutes les lois sans aucune exception,
quelles soient de lONU ou celles issues des Accords dArusha, disent que les rapatris doivent im-
prativement tre rtablis dans les droits de proprit dont ils ont t injustement privs. Cela si-
gnifie donc que ceux qui occupent, quelle que soit la dure de loccupation, les proprits appartenant
autrui, doivent ncessairement les restituer leurs propritaires lgitimes . Confrence de presse,
Bujumbura, 29 dcembre 2011.95 Mmorandum sur les ralits de la CNTB , op. cit.96Lettre circulaire N 550/66/CAB/2012 du 18 janvier 2012.97Ibid.98Il sagit surtout des provinces de Cibitoke et de Bubanza.
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Linstitutionnalisation lgislative de la nouvelle politique de restitution
Conue sans concertation, la loi sur la CNTB de dcembre 2013 a bnfici de la con-fortable majorit du CNDD-FDD au parlement lors de son adoption et a suscit de
nombreuses critiques de lUprona, qui envisage de saisir la cour constitutionnelle.99
Cette loi accuse les occupants secondaires dentraver le travail de la CNTB et prvoit
lauto-saisine de la commission, la rcupration des biens de lEtat, lobligation de
communication des documents la commission et la criminalisation de toute obs-
truction son travail.100Le nouveau texte confirme en outre la tutelle de la prsi-
dence de la Rpublique sur la CNTB, propose une nouvelle composition des dlga-
tions provinciales de la Commission et des pistes de solution pour rsoudre certains
blocages (compensations pour les sinistrs qui ne peuvent rcuprer leurs biens, in-
ventaire des terres de lEtat et meilleure information). Mais la disposition la plus
importante de cette loi est celle qui prvoit la cration dune cour spciale.
101
Les recommandations mises en 2003 par Crisis Group visaient doter le Bu-
rundi dun vritable systme judiciaire transitionnel spcifique pour les questions
foncires plutt que dune simple commission.102Une telle solution aurait permis
de prvenir ds le dpart les nombreux problmes dcrits prcdemment que pose le
contrle juridictionnel des dcisions de la CNTB. Onze ans plus tard, la cration
dune cour spciale est lordre du jour. Cette initiative vise rsoudre le problme
du blocage des dcisions de la CNTB par les tribunaux ordinaires blocage que les
autorits dnoncent. Lobjectif est de transfrer le contentieux des dcisions de la
CNTB des juridictions ordinaires une institution judiciaire adapte la nature et
la spcificit des litiges .103
Selon le projet de loi dbattu en janvier 2014, cette cour est spciale triple titre :elle a une tche spcifique (apurer le contentieux opposant les sinistrs aux tiers) ;
elle a une composition diffrente des juridictions ordinaires (y sigeront des magis-
trats mais aussi des personnes exprimentes en matire de conflits fonciers) ; et elle
est temporaire (sa dure de vie est lie la fin des travaux de la CNTB).104
Si la cration dune juridiction spciale est de nature acclrer le traitement du
contentieux des restitutions, elle pose aussi deux problmes dans sa forme actuelle :
lindpendance des membres de cette cour risque dtre contestable (ils sont nom-
ms par le gouvernement sur proposition du ministre de la Justice) et la cour peut
remettre en cause la chose juge.105La volont dapurer rapidement le contentieux
99La socit civile na pas t consulte lors de la prparation du texte et aucun des amendements
dposs par lUprona lors de la discussion lAssemble nationale na t retenu. Le gouvernement
du Burundi doit garantir un dbat ouvert et inclusif sur le travail de la CNTB , dclaration du Fo-
rum pour la conscience et le dveloppement, Bujumbura, 21 juin 2013 et Controverses autour de
la nouvelle loi rgissant la CNTB , IGIHE, 30 dcembre 2013.100Articles 6, 7, 27 et 28 de la loi du 31 dcembre 2013. Lobstruction au travail de la CNTB est d-
sormais passible dune peine minimale dun an, ce qui en fait un crime et non plus un simple dlit.101 La partie qui sestime lse peut introduire une plainte contre la dcision de la Commission au-
prs de la Cour spciale des terres et autres biens . Article 23 de la loi du 31 dcembre 2013.102Rapport de Crisis Group,Rfugis et dplacs au Burundi, op. cit.103Expos des motifs du projet de loi portant cration de la cour spciale des terres et autres biens.104Articles 4 et 96 du projet de loi portant cration de la cour spciale des terres et autres biens.105 Si, dans une matire originairement de la comptence de la Commission, mme non porte
devant elle, une juridiction a dj rendu une dcision qui a acquis force de chose juge lune des par-
ties reste admise saisir par requte la Cour aux fins de faire rexaminer son cas . Article 23 du
projet de loi portant cration de la cour spciale des terres et autres biens.
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li aux restitutions risque ainsi daboutir leffet inverse en saturant la cour de de-
mandes de rexamen des dcisions judiciaires passes et donc en crant plus dins-
curit juridique.
Une question majeure qui, ce jour, reste pose est celle du bnfice vritable
que tirent les rapatris de lvolution actuelle. Aucune solution na pour le moment
t trouve pour les personnes sans repre qui sont, pour la plupart, toujours dans
lattente dune attribution de terres par lEtat. Aussi bien dans les villages que dans
les sites dhbergement temporaire surgissent parfois dimportantes pnuries alimen-
taires.106Selon les observations faites Rumonge et Nyanza-Lac, la nouvelle rhto-
rique de la restitution complte de la CNTB a par ailleurs cr des attentes parmi les
rapatris qui ne pourront tre satisfaites quau prix dune nouvelle acclration des
procdures et dune multiplication des expulsions forces.107
Or, ayant souvent grandi en exil et tant peu familiers avec lancien environne-
ment social de leurs parents, la plupart des rapatris sont peu enclins vouloir int-
grer leur nouveau voisinage par la violence.108Le dcalage est grand entre lvidence
avec laquelle est actuellement promue la solution de la restitution complte et sa
viabilit, plus de 40 ans aprs les massacres de 1972. La rconciliation foncire, quant
elle, nen sera en aucun cas facilite.
Les changements des dernires annes sapparentent avant tout une dmons-
tration de force lattention des anciennes lites et du parti Uprona, mais ses bnfi-
ciaires devraient en ralit tre peu nombreux. Les risques de la manuvre, en re-
vanche, sont considrables car elle peut raviver les passions ethniques et anantir les
ententes prcaires qui avaient permis de maitriser la bombe foncire burundaise
au cours des dix dernires annes.
106 Karagara/Rumonge : Des rapatris crient famine ,Iwacu, 13 avril 2012 ; Muyinga : Le village
de paix ou de pleurs ? ,Iwacu, 13 avril 2012 ; Tanzanie : 10.000 Burundais expulss vers leur
pays depuis mi-aot , AFP, 28 aot 2013.107De fait, beaucoup de rapatris expriment actuellement leur insatisfaction face au rglement des
contentieux fonciers. Ils dplorent notamment davoir des dossiers en attente malgr les affirma-
tions fermes des responsables de la CNTB leur annonant la restitution de leurs terres dorigine.
Entretiens de Crisis Group, rapatris, Bururi et Makamba, mai 2013.108Entretiens de Crisis Group, rapatris, Bururi et Makamba, mai 2013.
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III. La voie troite dune politique de restitution
sereine et efficace
Prvue dans laccord dArusha de 2000, la rintgration des rapatris dans leurs
droits fonciers constitue actuellement la priorit la plus vidente, mais celle-ci exige
une autre approche en raison des controverses et relents dethnicisme qui accompa-
gnent la rponse actuelle au problme. Cette approche doit comprendre une clarifi-
cation du rapport entre la CNTB et la justice et une politique de compensation. Par
consquent, la nouvelle loi sur la CNTB et le projet de loi sur la cour spciale doivent
tre remis en chantier de manire beaucoup plus inclusive, cest--dire en organisant
des auditions parlementaires ouvertes tous.
A. Rinventer la CNTB1. Renouveler lquipe dirigeante et les mthodes de travail
La rponse aux contentieux lis la restitution des terres pose des dfis particuliers.
La difficult provient de la ncessit de concilier des revendications contradictoires
sappuyant sur diffrents registres de lgitimit. Du ct des nouveaux occupants, le
droit commun peut gnralement tre invoqu pour justifier dun droit de proprit.
Si ce nest dj partir de documents officiels mis par les autorits, la prescription
acquisitive permet la plupart dentre eux de se prvaloir de la proprit pleine et
entire. En dpit de cette situation juridique, les demandes de restitution des rapa-
tris sur des terres qui leur ont t prises de force apparaissent tout aussi lgitimes.
Par ailleurs, il importe de tenir compte des revendications de personnes tiercesayant acquis des terrains en ignorant les spoliations antrieures.
Cest prcisment pour rpondre la difficult de rsoudre ces conflits en sap-
puyant sur une seule considration que la CNTB est appele concilier les objectifs
du respect des droits humains, de la loi, de lquit, de la rconciliation et de la paix
sociale .109Cette mission ne doit aujourdhui pas seulement tre raffirme avec vi-
gueur mais elle doit aussi et surtout se reflter dans le renouvellement de ses
membres permanents. Leur nomination, au lieu dtre confie au prsident de la
Rpublique en concertation avec les deux vice-prsidents ,110devrait tre partage
entre les deux vice-prsidences aprs avis dun comit dthique. En aucun cas, la
CNTB et ses dlgations provinciales ne doivent comporter des personnalits con-
troverses pour avoir ouvertement tenu des propos caractre ethniciste. Un comitdthique consultatif, comptant notamment des hauts reprsentants des congrgations
religieuses, doit tre mis en place lchelle nationale pour mettre des avis sur lin-
tgrit des membres et des recommandations sur des dossiers de restitution litigieux.
Par ailleurs, un manuel de procdures pour les agents de la CNTB doit tre rapi-
dement rdit. Ce nest quen dfinissant clairement les critres selon lesquels la
Commission procde aux rglements amiables et prend ses dcisions quil sera pos-
sible de garantir la confiance et la transparence ncessaires sa mission. Dans le
mme ordre dide, il faudra imprativement prciser les conditions ncessairement
exceptionnelles selon lesquelles une dcision rendue ou un rglement amiable
109Article 11 de la loi du 31 dcembre 2103.110Article 9 de la loi du 31 dcembre 2013. La capacit politique de la CNTB fait polmique.
Quand plusieurs responsables de la CNTB sont de lUprona ,Iwacu, 20 janvier 2014.
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conclu peuvent tre remis en question et renregistrs en tant que conflit non rgl.
Le projet de loi sur la cour spciale prvoit la remise en cause des dcisions juges
sans prciser ces conditions et cela risque daccroitre linscurit juridique.
A dfaut de meilleure solution pour permettre un juste quilibre entre les diff-
rentes revendications, le partage devra nouveau tre privilgi par la CNTB. La r-
solution par le compromis se rvle dautant plus ncessaire quaucun financement
nest disponible pour crer le fonds dindemnisation prvu par laccord dArusha et
rclam par certaines associations.111
2. Favoriser la rconciliation nationale
En attendant la cration dun mcanisme institutionnalis du type commission vrit
et rconciliation,112il importe de tenir compte du caractre incomplet du processus
de construction de la paix dans lequel sinscrit le travail de la CNTB. Pour le moment,il sagit de la seule instance tatique susceptible de proposer une forme de rparation
des crimes du pass, ce qui ne va pas sans crer une certaine confusion. Parmi les
sinistrs, il importe de rduire les attentes dmesures lies labsence dautres insti-
tutions traitant des vnements du pass.
Face aux craintes relayes par la presse et par la socit civile, il convient de dis-
siper les accusations faisant apparaitre la CNTB comme un instrument de revanche
sur lhistoire. Pour rpondre aux controverses actuelles, la Commission devra am-
liorer son travail de relations publiques en explicitant les limites de son mandat et en
conduisant des campagnes de sensibilisation sur limportance de la restitution dans
un contexte de rconciliation nationale. Une collaboration plus troite avec les mdias,
telle que propose par lAssociation des radiodiffuseurs du Burundi en avril 2013,permettra de dissminer ce message auprs de la population.113Amliorer linforma-
tion sur le travail de la CNTB fait dailleurs partie des objectifs de la nouvelle loi sur
la Commission.114
Dans le cadre de la rconciliation entre rapatris et nouveaux rsidents, un rle
important revient galement lancien parti-Etat Uprona. Il est essentiel quil re-
connaisse formellement le tort caus par les politiques de rattributions foncires
des annes 1970-1980. Une telle reconnaissance devrait se faire sous forme de pro-
clamation solennelle par la prsidence du parti.
3. Harmoniser les principes directeurs des restitutions
Enfin, il importe de prciser et clarifier les rapports entre la CNTB et les institutionsjudiciaires. La solution des autorits burundaises consiste confier le contentieux
des restitutions une cour spciale. Malheureusement, ni la loi sur la CNTB ni lac-
tuel projet de loi sur la cour spciale ne prcisent les principes sur lesquels la cour
111 Le gouvernement du Burundi doit garantir un dbat ouvert et inclusif sur le travail de la
CNTB , op. cit.112La cration dune telle commission et ses modalits ont t examines dans le rapport de Crisis
Group,Burundi : bye-bye Arusha ?,op. cit.113Une lettre allant dans ce sens avait t adresse au prsident de la CNTB le 22 avril 2013 par des
reprsentants de la radio Isanganiro, la radio-tlvision Renaissance, la radio Bonesha FM, la Radio
publique africaine et le Groupe de presse Iwacu. La lettre est ce jour reste sans rponse. Lettre
des radios en partenariat son Excellence Monseigneur Prsident de la Commission nationale
terres et autres biens, Bujumbura, 22 avril 2013.114Article 7, alina 10 de la loi du 31 dcembre 2013.
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sappuiera. Sa composition mixte (magistrats et non-magistrats) laisse entendre que
le droit burundais ne sera pas leur seule source dinspiration.
Contrairement au raisonnement qui motive la cration dune cour spciale, le
problme ne relve pas tant de lorganisation judiciaire que du pouvoir dont dispose
la CNTB droger au droit commun au nom de principes comme lquit, la rcon-
ciliation et la paix sociale. Cest ce pouvoir qui amne la Commission rendre des
dcisions de privation de proprit qui, selon le droit national, peuvent tre illgales
et remises en cause par les tribunaux.
En reconnaissant une valeur constitutionnelle aux dispositions de laccord
dArusha,115les tribunaux pourraient invoquer des principes similaires et ainsi per-
mettre, de manire exceptionnelle et transitoire, la validation de dcisions de la CNTB
contraires au droit mais fondes sur dautres considrations comme la rconciliation
nationale.116Il sagirait de faire en sorte que la Commission et les juridictions appli-
quent les mmes principes directeurs pour les restitutions. Une telle lecture des
textes ne devrait en aucun cas tre impose par les autorits politiques, mais elle cons-
tituerait une rponse jurisprudentielle adquate aux difficults que posent aujourdhui
certaines contradictions entre le droit national et limpratif de rconciliation.
B. Elaborer une politique de compensation foncire
La raffirmation de la responsabilit de lEtat dans les spoliations massives qui ont
accompagn les massacres et conflits constitue une condition pralable pour russir
la rinsertion foncire. Cette responsabilit ne sarrte pas au rtablissement dans
leurs droits de proprit des personnes directement concernes. LEtat a galement
une obligation immdiate vis--vis de toutes les personnes qui, en ignorant des si-
tuations litigieuses, avaient acquis de bonne foi des biens spolis. Les changements
de rgime qua connus le Burundi ne sopposent pas au principe de la continuit de
lEtat et les autorits actuelles peuvent de toute vidence tre tenues responsables de
toutes les consquences des violations de droits perptres sous les rgimes prc-
dents. Le dsengagement actuel de lEtat vis--vis des revendications des acqureurs
de bonne foi gnre invitablement des injustices et prte des accusations de par-
tialit. Si, sur le plan de la responsabilit civile, lEtat peut se rfrer la prescrip-
tion,117il nen garde pas moins une responsabilit morale qui devrait tre clairement
formule par le chef de lEtat lui-mme.
Sur le plan matriel, la question de la compensation et de lindemnisation doit
tre rapidement tranche afin dapporter une rponse dfinitive aux spculations sur
la volont et la capacit de lEtat rparer les prjudices subis par les anciens rfu-
gis. La cration du fonds dindemnisation prvu par laccord dArusha tant impos-
sible faute de financements, il importe de prvoir des conditions ralistes permettant
dventuelles compensations sous forme de rallocations de terres domaniales. Lin-
ventaire des terres de lEtat qui est engag et auquel la CNTB doit participer devrait
115Cette valeur constitutionnelle est actuellement controverse, mais parfaitement dfendable. Stef
Vandeginste,Stones Left Unturned, op. cit., p. 143-147.116On citera notamment larticle 8 du Protocole IV qui nonce diffrents principes prendre en
compte dans le contexte des droits de proprit des personnes de retour, dont lquit, la transpa-
rence et le bon sens.117Les rgles applicables en la matire relvent du code civil qui, tout comme le code foncier, pr-
voit une prescription rgulire de 30 ans.
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saccompagner de la formulation dune politique de compensation foncire. Cela fait
dsormais partie des nouvelles missions de la CNTB118mais, outre quelle risque
dtre dborde, cette instance ne dispose pas de linformation sur les ressources
foncires vritablement disponibles et les besoins de rserves foncires pour le dve-
loppement conomique. Par consquent, llaboration dune politique de compensa-
tion foncire devrait tre confie un comit interministriel.
118Article 7, alina 9 de la loi du 31 dcembre 2013.
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IV. Conclusion
Au cours des dix dernires annes, le malaise foncier burundais na connu aucune
amlioration notable. Le durcissement rcent de la politique de restitution au bn-
fice des rapatris ajoute aux tensions. Plutt que dassumer les responsabilits de
lEtat provoques par larbitraire des politiques foncires du pass, il ravive dange-
reusement les rflexes de revanche ethnique.
Dans ce contexte, la rconciliation foncire semble tre une utopie faute dtre
clairement explicite par les autorits. Elle ne peut tre obtenue ni par un dni de
justice pour ceux qui ont t spolis durant la guerre ni par une nouvelle vague de
dpossessions. Elle doit sincarner dans des dcisions qui dmontrent sans ambi-
gut la volont de rparer les injustices du pass et doffrir aux propritaires actuels
une alternative dcente. Pour ce faire, la nouvelle loi sur la CNTB et le projet de loisur la cour spciale doivent tre remis en chantier selon une procdure inclusive qui
permette de prendre en compte lensemble des points de vue. Lenjeu est de dmon-
trer la population burundaise que les pouvoirs publics post-guerre civile incarnent
lintrt gnral et non des intrts particuliers comme par le pass.
Nairobi/Bruxelles, 17 fvrier 2014
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Annexe A : Carte du Burundi
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Annexe B : Chronologie
1923 Introduction au Burundi du droit du Congo belge effectuant une distinction entre les trangers,susceptibles de jouir de la protection du droit crit, et les Burundais dits indignes , soumisau droit coutumier.
1961 Edit du roi permettant aux Burundais de faire enregistrer leurs droits par un titre foncier et dejouir de la protection du droit de proprit crit ; prcarisation de fait des droits coutumiers quicontinueront constituer plus de 95 pour cent des occupations foncires jusquen 2014.
1962 Proclamation dindpendance.
1966 Instauration dun rgime militaire domin par des Tutsi.
1972 Rpression violente dune rvolte dirige par des Hutu, causant entre 100 000 et 300 000morts et le dpart en exil de plusieurs centaines de milliers de Hutu ; rattribution de nom-breuses terres dlaisses de nouveaux occupants principalement tutsi.
1976 Coup dEtat de Jean-Baptiste Bagaza ; cration de la commission Mandi destine annuler lesattributions foncires irrgulires sous le rgime prcdent, mais galement mandate pourlgaliser un grand nombre de ces attributions ; dbut dune politique ambitieuse de rnovationagraire et de rforme des dispositifs fonciers.
1977 Extension du principe de prescription acquisitive par 30 ans aux terres rgies par la coutume.
1980 Dbut des remembrements agraires dans les communes de Rumonge et de Nyanza-Lac.
1986 Adoption du code foncier prvoyant des rgles plus strictes en matire dexpropriation et degestion des terres domaniales qui resteront cependant en grande partie inappliques par lasuite.
1987 Coup dEtat de Pierre Buyoya.
1991 Cration de la Commission nationale charge du retour, de laccueil et de linsertion des rfu-
gis burundais privilgiant la rinstallation de rapatris sur des nouveaux sites.
1993 Suite lassassinat de Melchior Ndadaye, premier prsident dmocratiquement lu, soulve-ments et massacres cibls causant la mort denviron 100 000 Tutsi suivis de reprsailles mas-sives de larme causant la mort de plusieurs dizaines de milliers de Hutu ; nouveaux dpla-cements de populations suivis doccupations foncires spontanes sur les terres dlaisses.
1994 Assassinat du prsident nouvellement investi en compagnie de son homologue rwandais lorsde lattentat sur lavion prsidentiel Kigali ; gnocide au Rwanda provoquant plusieursvagues de rfugis tutsi puis hutu vers le Burundi et renforant la polarisation entre lesethnies ; escalade de la violence et dbut dune guerre civile provoquant le dplacement decentaines de milliers de personnes.
2000 Signature de laccord de paix dArusha prvoyant notamment la cration dune Commissionnationale de rhabilitation des sinistrs (CNRS) charge de rgler les contentieux fonciers lisaux violences depuis lindpendance et la mise en place dun fonds dindemnisation.
2002 Cration de la CNRS.
2005 Election de Pierre Nkurunziza comme prsident.
2006 Dissolution de la CNRS et cration de la Commission nationale des terres et autres biens(CNTB) qui privilgiera dabord la solution du partage entre rapatris et rsidents ; amplificationdu mouvement de retour de plus dun demi-million de personnes encore exiles en Tanzanie.
2011 Changement de prsidence la tte de la CNTB ; raffirmation dun droit la restitution incon-ditionnelle pour les rapatris et remise en cause de la solution du partage.
2012 Cessation du statu