les routes de l'inde
DESCRIPTION
Les routes de l'Inde est un roman d’aventures au quotidien. Les aventures de l’esprit et de la chair survenues de 1928 à 1931, à Calcutta, à un jeune Roumain venu y étudier le sanskrit et la philosophie indienne. S’il ne néglige pas son travail, il ne dédaigne pas non plus les plaisirs. Il raconte ses amours et celles de ses amis, expose des pensées contradictoires avec une sincérité qui exclut la pudeur. Des notes de journal telles qu’elles se présentaient alors sous sa plume.TRANSCRIPT
Mircea Eliade
Éminent historien des religions,
il est aussi essayiste, philosophe
et romancier. Il devient, en 1945,
professeur à l’École des Hautes
Études et commence à écrire
directement en français. Il ensei-
gne à la Sorbonne, dans diverses
universités européennes et, à
partir de 1957, a été titulaire de
la chaire d’histoire des religions
à l’Université de Chicago.
Mircea Eliade Les routes de l’Inde
J’assiste aux sacrifices funéraires faits pour le détachement
et la paix de l’âme de la mère de D... Il s’est rasé – pas
seulement la figure, mais aussi le crâne – pour la première
fois depuis le décès, survenu il y a quatorze jours. À pré-
sent, il ressemble encore plus à une grenouille. Il est vêtu
d’un dhotī ordinaire, comme un paysan. Il m’a obligé à en
mettre un aussi, mais en soie. Je marche pieds nus dans la
maison, ce qui m’aide à rêver, à imaginer que je suis qui je
voudrais et comme je voudrais. Je me réfugie par moments
dans la bibliothèque, où je peux rester seul et d’où je le
regarde dehors à travers les fenêtres grillagées, avec le
désir fou de ne plus jamais m’évader. Ce qui me ravit tout
particulièrement, ce sont les jeunes filles et les femmes,
que je commence à voir de plus près et à connaître.
M. E.
Traduit du roumain par Alain Paruit.
Dans la même collection
Guillaume Erner
Mode, où est ta victoire ?
Fernando Savater
Tauroética
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L’adieu aux arts
L.-F. Céline et Milton Hindus
Rencontre à Copenhague
Emil Cioran
Bréviaire des vaincus II
Transfiguration de la Roumanie
Emil Cioran et Armel Guerne
Lettres 1961-1978
Wolfgang Sofsky
Le citoyen de verre
Henry Corbin
Le paradoxe du monothéisme
John Cage
Pour les oiseaux
Ezra Pound
ABC de la lecture
George Steiner
Les logocrates
Photographie : ©Dirk Renckhoff
9 782851 974532 16 €
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Eliade
Les routesde
l’Inde
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LES ROUTES DE L’INDE
roman indirect
Traduit du roumain par Alain Paruit
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Titre original :SANTIER (CHANTIER)
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays
© Éditions de L’Herne, 1992 sous le titre Journal des Indes© Éditions de L’Herne, 2013 pour la présente édition22, rue Mazarine, 75006 [email protected]
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LES ROUTES DE L’INDE
roman indirect
Traduction du romain par Alain Paruit
L’Herne
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PRÉSENTATION D’UN ROMAN INDIRECT
Ce livre est un journal intime. Or on finit le plus souvent par retrouver les journaux intimes. Une longue tradition nous a appris qu’il était décent d’assortir d’excuses circonstanciées la publication de ce genre d’œuvres. Par exemple : « J’ai découvert parmi les papiers de mon ami X… un cahier à couverture bleue, aux pages jaunies, etc. »
Je dois préciser d’emblée que je n’ai trouvé dans les papiers d’aucun ami le journal que je publie ici. Il est le mien ; ou plutôt, il l’était. Ce passé n’exprime pas une mélancolie, mais une constata-tion. Il fut mien naguère, il était écrit par moi et il me reflétait peut-être, pour autant que les confessions d’un jeune homme puissent refléter son âme. Quelques années – pas beaucoup – sont passées depuis et il a cessé d’être mien. Je le publie donc sans éprouver la moindre gêne. Je ne me reconnais presque nulle part dans ses pages. Ou je m’y reconnais comme quiconque peut se reconnaître dans certains livres de l’époque. Celui qui écrivit les cinq cent quatre pages de ce journal (n’ayez pas peur, je ne les publie pas toutes) avait des qualités que je ne me trouve pas, des curiosités qui ne sont plus les miennes et un âge auquel je suis heureux d’avoir, enfin, échappé. L’auteur a livré à ce monsieur, qui a porté son nom pendant si longtemps et qui répondait à son signalement, un long et pénible combat, dont le lecteur n’a pas à connaître les détails.
Publier mon journal des années 1928-1931 n’a donc pas soulevé pour moi de cas de conscience. C’était publier des papiers d’un mort sur des faits et des gens qui ne sont plus – c’est-à-dire qu’ils sont trop loin. Ces faits et ces gens, j’aurais fort bien pu les exploiter dans ce qu’on appelle des œuvres littéraires. J’ai constaté que, malgré moi, je l’avais partiellement fait. Constatation qui
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m’a ennuyé bien évidemment. Il restait néanmoins un nombre considérable d’événements, de types et d’expériences intimes que je n’aurais accepté qu’à contrecœur de remanier. Alors, je les publie tels quels.
J’ai naturellement supprimé une grande partie du manuscrit ; soit parce que j’en avais déjà introduit la substance dans certains livres, soit parce qu’il s’agissait de questions de philologie, d’his-toire des religions ou de philosophie qui ont trouvé leur place ailleurs. Je n’ai donc gardé que les pages concernant des gens et des faits ; autrement dit, les pages de roman. J’ai éliminé les descrip-tions des contrées, les analyses générales et les considérations poli-tiques trop locales. Et, surtout, toute « couleur exotique », tout ce qui se rattachait trop à l’Inde. Demeurent ensemble quelques douzaines de personnes, vivantes, réunies par certaines histoires, réunies surtout par moi, par ma mémoire. Si j’ai appelé ces cahiers « roman indirect », ce n’est pas pour des raisons éditoriales mais pour bien rendre le caractère indirect du romanesque qu’ils renfer-ment. « Indirect » parce que tout y part de moi, de ma volonté de connaître, de garder ou de rejeter les hommes.
Et « roman » parce que, en ayant recours aux crochets, j’ai rajouté des détails, des précisions et des aboutissements dont le texte original se passait ; et parce qu’il y a incontestablement « roman » lorsqu’on note spontanément, sans afféterie, les fluctuations des états de fait et des états d’âme. Cela, pour la simple raison qu’un romancier, même s’il écrit pour lui-même, écrira un roman dès lors qu’il s’agira de gens et de faits, et non de théories ou de rêve-ries. Qui a pu créer une seule fois un « personnage » ne pourra jamais rater un homme vivant qu’il a connu et aimé. Ce n’est là ni une théorie du roman ni un manifeste critique. C’est une consta-tation ; pénible pour moi, car je la sens me limiter, m’obliger à transformer en page de roman tout ce que je raconte. De roman imparfait, schématique, obscur, certes, mais qui appartient cepen-dant à la triste catégorie de la création romanesque. (Triste pour quiconque demande beaucoup au geste créateur et à l’intelligence.)
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C’est peut-être moi que certains essaient de trouver en premier lieu dans ce Chantier. Alors, je dois les avertir : j’ai coupé pas mal de pages où il était question de moi ; en revanche, j’ai laissé presque tout ce qui concernait les gens, ces gens qui n’étaient ni des saints ni des héros (car je n’aurais pas grand-chose à dire des héros et des saints que j’ai connus). Si j’ai supprimé bon nombre d’analyses, de notes et de réflexions, je ne l’ai pas fait en pensant qu’elles étaient sans intérêt ou qu’elles ne pouvaient pas s’intégrer dans un roman. Je suis certain au contraire que les étapes d’une intelligence ou les phases d’un sentiment peuvent en donner la matière. Je ne vois pas pourquoi un livre décrivant une maladie, un métier quel-conque ou une courtisane pourrait être un roman, et pas un livre décrivant le combat livré par un homme à ses propres pensées ou la vie d’un homme parmi ses lectures ou ses rêves. La description des phases d’un cancer n’est nullement plus justifiée – du point de vue de sa « réalité – que celle de n’importe quelle connaissance (par exemple, l’étude d’une langue ou de l’agriculture ou des mathé-matiques). Pourquoi serait-il plus intéressant de « sonder l’âme » d’une demi-mondaine que de rendre avec pertinence le drame intérieur d’un mathématicien ou d’un métaphysicien ? Tout ce qui arrive dans la vie peut constituer un roman. Or la vie n’est pas faite que d’amours, de mariages ou d’adultères ; il y a égale-ment des ratages, des enthousiasmes, des philosophies, des morts de l’âme, des aventures fantastiques. Tout ce qui est vivant peut-être transformé en matière romanesque. Tout ce qui a été vécu ou qui pourrait l’être.
Et pourtant, j’ai beaucoup élagué dans mes réflexions et dans les nuances que j’avais introduites à ce propos, afin de ne pas donner au présent livre des proportions exagérées. Un Chantier autobio-graphique a ses limites : parce qu’il a ses obsessions spirituelles ou charnelles dont la transcription complète serait superfétatoire.
M.E.
Avril 1935
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PREMIER CAHIERJanvier-juin 1929
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Le domestique me réveille et me tire d’un rêve heureux qui durait depuis quelques heures… Je rêvais que nous étions ensemble, R… et moi, en amants…
*
Le rêve de cette nuit. Il a duré longtemps. R… se mariait, j’assistais à la messe, je leur présentais mes vœux, à elle et à son mari… Ensuite, j’ai rêvé que nous étions amis. Après le mariage, je les raccompagnais chez eux. Pire que la pauvreté, une terrible misère, de vieux parents impotents.
Le matin, dans mon bain, je méditais en souriant à d’éventuelles significations.
*
Je suis installé là depuis six jours seulement. Et je voudrais m’en aller plus loin, à Bénarès par exemple. À l’idée de me faire inscrire à l’université, j’étouffe. Encore suivre des cours, encore me laisser aller au gré des lectures, encore acheter des bouquins. Aujourd’hui, j’ai loué un bureau et une lampe à mettre dessus. Je dois avouer que c’était triste. Je me dis que je dois mener à son terme un dur labeur, etc., mais le désir de vagabonder me chagrine, m’humilie. Demain, peut-être, je commencerai à grignoter la grammaire sanskrite et le dictionnaire de Bhide que j’ai achetés avec D… Je reviendrai là-dessus une autre fois. Pour le moment, je reste dans ma chambre et je contemple en languissant un ciel qui commence à me lasser.
*
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[ J’ai dit que je ne transcrirais que les passages concer-nant des gens ou certains états d’âme. Je ne pense pas que les notes érudites ou les confessions d’un découvreur de textes puissent présenter quelque intérêt que ce soit. Et pourtant, le travail d’un jeune homme dans une bibliothèque – quel lyrisme tumultueux, quelles passions refrénées ! J’avais commencé à travailler dans celle de D…, fameuse à juste titre. Pendant quelques jours, mon journal ne fait état que d’enthousiasmes liés à l’érudition. Je relis ces pages avec une certaine nostalgie. Rien sur mes conversations avec D…, rien sur les gens rencontrés chez lui. Je parle de moi une seule fois : « Je suis heureux quand je peux travailler, malheureux quand la fatigue m’assomme, la nuit. Ce journal ne m’inté-resse guère en ce moment. Je ne le relis plus. Il y a tellement de travail… » En effet…]
*
Un photographe de Bombay – qui a sans doute lu l’entre-filet du Statesman me présentant comme un étudiant roumain venu ici pour étudier la philosophie indienne avec D… – me demande ma photo pour la reproduire dans je ne sais quel magazine. C’est amusant, et un peu ridicule.
[Et pourtant je m’empressai de me faire photographier. Pour m’éviter de dépenser une roupie, D… fit venir chez lui un photographe amateur, un de ses neveux je crois. Il eut beaucoup de mal, à cause de mes lunettes. Je dus finalement les retirer, mais la photo fut mauvaise quand même. J’en envoyai un cliché à l’adresse de Bombay que m’avait indiquée le photographe, mais je ne vis rien paraître. Quelqu’un souf-frit plus que moi : Mme P…, la seule à avoir gardé le numéro du Statesman. Elle se sentait terriblement responsable de chacun de ses pensionnaires. Et ma présence à Ripon Street était, on le verra, un événement important à plus d’un égard.]
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