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Les racines mondiales du particularisme casamançaisAuthor(s): Jean-Claude MarutSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol.39, No. 2, Contested Casamance / Discordante Casamance (2005), pp. 313-337Published by: Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/25067486Accessed: 28/04/2009 12:39
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Les racines mondiales du particularisme casaman?ais
Jean-Claude Marut
Abstract The end of the Cold War engendered the emergence of new collective iden
tities and the acceleration of globalization. These two events are usually seen as antithetic. But this article demonstrates that this approach does
not hold if one looks at communal mobilizations in general and ethnic
mobilization in particular. The mobilization of Diola-Casaman?ais iden
tity, at least, draws largely upon globalization. Far from being a backward
region, the Casamance region is in fact one of Senegal's most modern
peripheries. The crisis of this modernity has led to the affirmation of a
local identity based on a mythical past. Communal mobilization is both a sign of crisis, as well as its remedy. In the Casamance region, the
construction of identity uses building blocks, even if made for a different purpose, by recasting them in a new mould. The ethnic Diola and regional Casamance identities are contemporary constructs to which many actors
have contributed, including the Catholic Church. These constructs have
become resources, mobihsed by both internal actors (separatists, politi cians, and NGOs) and external actors (World Bank and US AID). Liberal
globalization, therefore, creates the conditions for ethnic mobilization
and provides it with a horizon for future expansion.
Introduction
Les rapports entre les deux ph?nom?nes g?opolitiques majeurs de
l'apr?s-guerre froide, d?veloppement des affirmations identitaires
d'une part, acc?l?ration du processus de mondialisation d'autre
part, sont souvent per?us et analys?s (au moins par les m?dias et les
politiques) en termes d'opposition, les affirmations identitaires
?tant g?n?ralement pr?sent?es comme ce qui r?siste, ? tort ou ?
raison, ? la mondialisation.
Cette approche ne r?siste gu?re ? l'analyse lorsqu'il s'agit d'af
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f?rmations ? vocation universaliste, domaine dans lequel les refe
rents religieux (Islam et Catholicisme) occupent une grande partie de l'espace laiss? vacant par le marxisme. Tout d'abord parce que, dans les discours religieux universalistes, ce qui est en cause c'est
moins la mondialisation en tant que telle que les mod?les domi
nants de la mondialisation. D'autres mod?les leur sont oppos?s, fond?s sur des valeurs morales: Christianisme ou Islam peuvent ainsi sous-tendre des mod?les alternatifs aux mod?les dominants.
Ensuite, cette opposition aux mod?les dominants doit elle-m?me
?tre relativis?e, la r?alit? ?tant souvent fort ?loign?e du discours.
Dans son ouvrage L'islam mondialis? (2002), Olivier Roy a ainsi
mis en lumi?re qu'? l'exception notable d'Al Qaida, dont la lutte a
une dimension mondiale, ? caract?re anti-imp?rialiste, les mouve
ments se r?clamant de l'islam politique s'inscrivent g?n?ralement dans des horizons politiques nationaux, reprenant ainsi un mod?le
occidental. Le m?me Roy montre ?galement ? quel point la
mouvance Al Qaida est sociologiquement enracin?e dans les
soci?t?s lib?rales occidentales qu'elle d?nonce.
L'opposition des mobilisations identitaires ? la mondialisation
semble en revanche plus ?vidente lorsqu'il s'agit de mobilisations
particularistes, notamment lorsqu'elles se r?f?rent ? l'ethnicit?.
Plac?s sous le signe du local, les particularismes ethniques semblent en effet tourner le dos ? la mondialisation, aussi bien par leurs origines ou leurs referents que par leurs acteurs, et semblent
de ce fait inaptes ? offrir des alternatives aux mod?les dominants. Je voudrais montrer ici ? quel point cette repr?sentation est discu
table: non seulement parce que les particularismes se nourrissent
de la mondialisation, mais aussi parce qu'ils y contribuent ? leur
mani?re. Je m'appuie pour cela sur un exemple en apparence aux
antipodes de la mondialisation. Difficile, en effet, d'imaginer a
priori plus ?loign? de la mondialisation que le registre ethno-reli
gieux diola du particularisme casaman?ais, qu'exploitent diff?rents
acteurs, soit pour l'exalter, soit au contraire pour le diaboliser, ?
travers un conflit s?paratiste vieux de plus de vingt ans.
Ce conflit a pour lieu et pour enjeu une r?gion pluri-ethnique (la
Casamance), mais il est tr?s vite apparu qu'aussi bien les acteurs
que le discours du mouvement ind?pendantiste "casaman?ais" renvoient tr?s majoritairement ? la seule basse Casamance, ? son
peuplement diola majoritaire, et aux traditions de cette ethnie
(Darbon 1985). Il existe bien un fort sentiment casaman?ais,
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construit par une commune animosit? ? l'?gard des "Nordistes," mais chacun le d?cline ? sa mani?re, selon qu'il est diola, manding ou peul, pour ne citer que les principaux groupes ethniques de la
r?gion. On peut m?me aller plus loin en faisant remarquer que le
sentiment d'appartenance diola lui-m?me ne se d?cline pas de la
m?me mani?re selon que l'on est musulman, chr?tien ou animiste.
Non exclusif d'un sentiment d'appartenance nationale, un particu larisme peut donc en cacher d'autres. ? commencer par les particu larismes ethniques dont l'image dominante est plut?t n?gative. Encore cette image doit-elle ?tre nuanc?e. ? la diff?rence des
Manding ou des Peul, qui peuvent se pr?valoir d'un pass? presti
gieux, les Diola souffrent d'une image p?jorative ? laquelle ont
contribu? l'Islam et l'?glise catholique, tout autant que la colonisa
tion, qui n'ont vu chez ces peuples "forestiers" et "animistes" que des sauvages ? civiliser.
Ainsi pourrait se comprendre que le particularisme diola, plus
que les autres, soit contraint d'avancer masqu?, au prix d'une
double r?duction: r?duction, d'abord, de la Casamance au seul pays diola de basse Casamance, la r?gion de Ziguinchor;1 r?duction,
ensuite, du pays diola au seul Kasa (d?partement d'Oussouye),
refuge d'une religion traditionnelle consid?r?e par les ethnologues
(Thomas 1959) et les g?ographes (P?lissier 1966) comme une reli
gion du terroir. Aussi bien du dehors que du dedans, le Diola kasa, le Diola "authentique," attach? ? sa terre (les rizi?res, les palme
raies) et ? ses traditions (le "myst?re des bois sacr?s"), appara?t ainsi
comme le prototype du Diola, sinon de l'ensemble des
Casaman?ais, une image d'enracinement local que les s?paratistes brandissent comme un ?tendard de leur l?gitimit?, mais une image
que leurs adversaires agitent, au contraire, comme un ?pouvantail
(le "retour des d?mons ethniques"). Les recherches que j'ai men?es dans la r?gion depuis le d?but
des ann?es quatre-vingt-dix, prolong?es et pr?cis?es par les travaux
d'autres chercheurs (Gasser 2002; Foucher 2002), montrent, au
contraire, un fort enracinement de ce particularisme dans la moder
nit?. Elles font notamment appara?tre que, loin d'?tre isol?e et
archa?que, la basse Casamance est la r?gion du S?n?gal o? les liens
avec l'?tat moderne sont les plus forts: c'est la crise de ces liens,
renvoyant ? la mise en oeuvre de mod?les import?s, qui permet de
comprendre la force d'affirmations identitaires cr?ant de nouveaux
liens ? partir de l'image d'un pass? mythifi?. Loin de chercher ? en
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contester la l?gitimit?, cette analyse du particularisme casaman
?ais sous l'angle de ce qu'il doit ? l'ext?rieur ne vise qu'? mieux en
souligner la signification et les potentialit?s politiques.
Les racines mondiales de la crise
M?me si on peut trouver des racines plus anciennes au particula risme casaman?ais, son ?mergence dans le champ politique ? la fin
des ann?es soixante-dix co?ncide pour l'essentiel avec une crise qui r?sulte elle-m?me de la conjonction de deux ph?nom?nes: une
s?cheresse exceptionnellement longue, qui affecte l'ensemble de
l'agriculture s?n?galaise,- une grave crise financi?re, qui conduit
l'?tat s?n?galais ? accepter les exigences du Fonds mon?taire inter
national sous la forme de plans d'ajustement structurel. Ces plans
prennent les m?mes formes qu'ailleurs, ? savoir la r?duction des
d?penses publiques et la qu?te de devises. Cette crise a des effets
dans tout le S?n?gal. Mais elle touche plus particuli?rement la
basse Casamance. Depuis longtemps, l'exode rural y constitue en
effet une des strat?gies ?conomiques privil?gi?es des jeunes Diola,
principalement dirig? vers les centres urbains du nord du pays. Dakar est ainsi devenu la premi?re agglom?ration diola du S?n?gal.
Beaucoup occupent des emplois non qualifi?s (de nombreuses
jeunes filles sont domestiques). Mais beaucoup occupent aussi des
emplois de cadres subalternes, gr?ce au taux de scolarisation excep tionnellement ?lev? de la basse Casamance, lui-m?me imputable ?
la forte pr?sence de l'?glise catholique. Avec la r?duction des effec
tifs dans le secteur public, ils sont alors nombreux ? se retrouver
d?s uvr?s et sans perspectives, et beaucoup regagnent leur village
d'origine, "p?lerins d??us de l'?tat s?n?galais" (Foucher 2002). Leur
retour co?ncide avec l'aggravation de la situation locale, en raison
de la s?cheresse, qui frappe aussi la "verte Casamance," et du
d?sengagement de l'?tat ? l'?gard du monde agricole et des grands
projets de d?veloppement. Et c'est au moment m?me o? les autoch
tones se trouvent priv?s d'une partie de leurs ressources, ? l'int?
rieur ou ? l'ext?rieur de la Casamance, que des ?trangers ? la r?gion
y arrivent en grand nombre, attir?s par sa r?putation de richesse:
correspondant aux besoins en devises de l'?tat s?n?galais, des
secteurs comme la p?che ou le tourisme y offrent en effet de
grandes potentialit?s de d?veloppement. Au-del? d'une conjoncture climatique qui ne fait qu'aggraver
les choses, le mouvement social et identitaire contestant cette
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?volution trouve ses racines dans l'application de mod?les
exog?nes, auxquels l'?lite politique s?n?galaise (y compris origi naire de Casamance) a, dans son ensemble, choisi de se conformer.
Des mod?les ?conomiques en cause
L'extraversion ?conomique: Se manifestant sous la forme de d?fi
cits budg?taires et de d?ficits de la balance des paiements, la crise
financi?re s?n?galaise r?sulte du maintien, apr?s l'ind?pendance, d'un mod?le d'?conomie extravertie h?rit? de la p?riode coloniale
(Diop et Diouf 1990). C'est l? un choix profond?ment politique, visant ? assurer la p?rennisation du pouvoir des ?lites ayant ?merg? ? la veille de l'ind?pendance. Il s'agit pour elles, ? la fois de
pr?server les liens avec l'ex-m?tropole, de pr?server la paix sociale, en approvisionnant des villes gonfl?es par l'exode rural, et de
conserver le soutien politique des marabouts du bassin arachidier,
principaux collecteurs de voix pour le r?gime en place. Les cultures
vivri?res (comme la riziculture casaman?aise) sont donc sacrifi?es
aux importations ? bas prix (riz am?ricain ou tha?landais, bl? fran
?ais), que contribuent ? payer les exportations d'arachide. C'est
l'application de ce mod?le d'?conomie extravertie, dans le cadre
d'une division mondiale du travail, qui se traduit au niveau de
l'?tat par une d?gradation des termes de l'?change, et un endette
ment qui ne fait qu'accro?tre la d?pendance ? l'?gard de l'Occident.
Loin de r?gler le probl?me, les rem?des adopt?s ne vont que l'ag
graver, appliquant eux aussi des recettes exog?nes.
Les recettes lib?rales du FMI: La logique qui pr?side alors aux plans
d'ajustement structurel propos?s par le FMI est une logique finan
ci?re visant ? restaurer les grands ?quilibres macro-?conomiques sans tenir compte des impacts sociaux ou environnementaux:
restauration de l'?quilibre budg?taire par la r?duction des
d?penses publiques (suppressions d'emplois et arr?t des
subventions aux agriculteurs) et l'augmentation des recettes
par des privatisations. Il en r?sulte un accroissement du
ch?mage et, d'une mani?re plus g?n?rale, une baisse des
revenus des couches populaires.
?quilibre de la balance des paiements, qui b?n?ficie du tasse
ment de la consommation, et qui implique un d?veloppement des recettes d'exportation et du tourisme (que favorise la s?v?re
d?valuation de 1994, impos?e par la France).
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La basse Casamance a des potentialit?s qui r?pondent aux
exigences des bailleurs de fonds: gr?ce ? une fa?ade maritime
d?multipli?e par l'estuaire du fleuve Casamance et ses nombreuses
ramifications, le d?veloppement de la p?che et du tourisme peut ?
la fois renflouer le budget de l'?tat et faire rentrer des devises.
Reprise et propag?e par des documents officiels (Marut 1999, 292),
l'image d'une r?gion riche mais sous-exploit?e parce que sous
peupl?e, la d?signe comme un lieu privil?gi? d'extraction de la
rente commerciale et touristique: Faite sans m?nagement, cette
extraction va ressembler, ? beaucoup d'?gards, ? une mise en valeur
coloniale.
Une mise en valeur de type colonial: Ce qui est pr?sent? comme
une mise en valeur de la Casamance permet ? l'?tat de faire d'une
pierre deux coups. D'une part, elle offre un exutoire aussi bien aux
jeunes ruraux chass?s du nord du pays par la s?cheresse qu'aux
jeunes urbains d?soeuvr?s. D'autre part, elle permet ? l'?tat d'ac
cro?tre ses pr?l?vements financiers. La r?gion devient alors une
sorte de "nouvelle fronti?re" du S?n?gal, attirant hommes et capi taux. Les for?ts sont d?frich?es, de nouvelles fili?res ?conomiques se d?veloppent. La p?che industrielle, les usines de cong?lation et
le tourisme sont pour l'essentiel contr?l?s par des investisseurs
occidentaux, parfois associ?s ? des op?rateurs s?n?galais. La p?che
artisanale, l'exploitation foresti?re et le commerce sont aux mains
d'une multitude de petits op?rateurs, pour la plupart venus du nord
ou des pays voisins. Ces secteurs sont eux-m?mes li?s aux r?seaux
de commer?ants mourides, qui op?rent ? l'?chelle internationale, en Afrique de l'Ouest, mais aussi en Europe ou aux ?tats-Unis. Ces
nouvelles activit?s ont des retomb?es positives pour une partie des
populations locales, en termes de cr?ations d'emplois (dans l'h?tel
lerie et dans la transformation du poisson), de d?bouch?s commer
ciaux (pour les productions agricoles), ou de nouveaux services
(location de logements par exemple). Mais l'acc?s des autochtones
aux nouvelles activit?s reste, dans l'ensemble, limit?, parce que, d'une part la plupart des op?rateurs font venir personnels et
produits de Dakar, mais aussi parce que les aspirants op?rateurs locaux manquent g?n?ralement de savoir-faire et de capitaux. L'?tat favorise, certes, la cr?ation de groupements d'int?r?ts ?cono
miques. Et l'aide occidentale finance de nombreux projets, que ce
soit par le canal d'organisations non gouvernementales et de coll?e
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tivit?s territoriales (principalement dans la p?che et le mara?chage), ou par le canal de l'aide publique bilat?rale (l'exp?rience de
"tourisme rural int?gr?," par exemple, initi?e par le minist?re fran
?ais de la Coop?ration, et pr?sent?e comme une forme endog?ne de
d?veloppement). ? c?t? des grands projets de d?veloppement agri cole financ?s par les institutions internationales ou par des gouver nements ?trangers, de nombreux micro-projets voient ainsi le jour.
Mais ils restent pour la plupart marginaux, sont souvent sans
lendemain, et le sentiment d'exclusion pr?vaut ? l'?gard d'un type de mise en valeur qui rappelle ? beaucoup la p?riode coloniale.
Cela, parce que la majorit? des nouvelles activit?s est aux mains
d'?trangers ? la r?gion, parce que ces "?trangers" ont des comp? tences et des moyens dont ne disposent g?n?ralement pas les
autochtones, et parce qu'ils b?n?ficient de complaisances de la part d'une administration elle-m?me largement aux mains des
Nordistes, sous forme d'emplois, de permis d'exploitation d'es
paces forestiers ou aquatiques, ou de titres de propri?t? de terrains
non enregistr?s. C'est ainsi que les am?nagements touristiques de
la zone littorale du cap Skirring privent les villageois d'une partie de leur espace ?conomique, sans compensations (ne serait-ce qu'en termes d'emplois), et qu'? Ziguinchor l'expansion urbaine rejette de nombreux autochtones vers la p?riph?rie de l'agglom?ration
(Hesseling 1986). C'est parmi ces d?guerpis que se d?veloppe un
mouvement de contestation dont les meneurs (parmi lesquels on
trouve de nombreux enseignants) se radicalisent rapidement.
Des mod?les politiques en cause
La crise fait appara?tre les limites de deux mod?les institutionnels
et id?ologiques des ?lites au pouvoir (Marut 2002): la d?mocratie
repr?sentative et l'?tat-nation, qui sont tous deux des mod?les
import?s (Badie 1992).
La d?mocratie repr?sentative: Calqu?es sur le mod?le fran?ais, les
institutions s?n?galaises sont ind?niablement d?mocratiques.
Mais, dans la pratique, le mode de gestion client?laire des rapports avec ceux qu'ils sont cens?s repr?senter ne permet gu?re aux ?lus
de jouer leur r?le de relais (Darbon 1988). Exprim?e en termes de
rapports personnels, la demande sociale est largement ignor?e. Et
ces ?lus vont ?tre surpris et d?pass?s par les ?v?nements, ne
comprenant pas le recours ? d'autres formes d'expression, laissant
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? d'autres acteurs, plus en phase avec le mouvement social, la possi bilit? d'occuper le terrain. C'est donc sans doute moins le mod?le
que son interpr?tation-adaptation qui est en cause. On peut en voir
la preuve dans l'ambivalence d'une contestation qui pourra jouer aussi bien la carte de l'opposition l?gale que la carte s?paratiste. Il
n'emp?che que ce mod?le montre ainsi ses propres limites (Diouf
1994). Le d?ficit de repr?sentation des populations explique que le
politique prendra d'autres formes, ? commencer par les affirma
tions identitaires: au m?me titre que la violence, la repr?sentation d'une identit? casaman?aise est, ? ce titre, directement li?e ? une
sous-repr?sentation politique.
L'?tat-nation: L'ouverture de l'espace casaman?ais aux Nordistes
s'appuie sur le postulat, h?rit? de l'ancienne puissance coloniale, de
l'existence d'une nation s?n?galaise une et indivisible, ? l'int?rieur
du territoire d'un ?tat qui en est l'incarnation. Il en d?coule que toute parcelle du territoire de l'?tat fait partie du territoire de la
nation, n'importe quel S?n?galais pouvant s'installer en n'importe
quel point de ce territoire. De ce point de vue, on ne saurait donc
parler d'une quelconque colonisation. Il n'en reste pas moins que
l'espace casaman?ais n'est pas un espace vierge. M?me s'il n'en
existe pas de trace ?crite, il s'agit d'un espace socialis?. Et, plus
particuli?rement en pays diola, son utilisation est pr?cis?ment codifi?e par le droit coutumier qui continue ? r?gir les rapports sociaux. Une r?alit? qu'ignore le droit occidental, sollicit? pour attribuer des terres non enregistr?es, avec un principe per?u ailleurs comme conforme ? la justice ("la terre ? ceux qui la
travaillent"). Mais le sentiment d'appartenance nationale est ?galement mis
? mal par le regard port? sur les Casaman?ais par leurs compatriotes
nordistes, pour qui mod?le islamo-wolof et mod?le s?n?galais ne
font qu'un (Diouf 2001), regard souvent condescendant, parfois teint? de m?pris, dont t?moignent certains qualificatifs pour les
d?signer (du genre: "les chiens de Casamance"). Confort? par la
colonisation, ce regard s'enracine dans un pass? pr?colonial o? les
peuples forestiers et animistes ?taient consid?r?s comme des
sauvages, par opposition aux peuples islamis?s. Au lendemain
d'une ind?pendance qui voit le plus souvent des Nordistes
remplacer les Fran?ais aux postes-cl?s de la r?gion, ce regard ne fait
que conforter le sentiment d'une s?gr?gation de la part des
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"S?n?galais." Selon une expression qui va vite devenir populaire,
beaucoup de Casaman?ais se demandent alors s'ils sont des
"S?n?galais ? part enti?re" ou des "S?n?galais enti?rement ? part." Ces attitudes sont pour beaucoup dans la mont?e d'un fort senti
ment d'appartenance identitaire, parfois teint? de x?nophobie, qui a tendance ? inverser les valeurs: "le S?n?galais" est affubl? de
toutes les tares (arrogant, menteur, et voleur), tandis que "le
Casaman?ais" (sous-entendu: "le Diola"), est id?alis? (travailleur,
honn?te, et accueillant). Parall?lement, se d?veloppent des formes
de r?sistance spontan?e. Faute d'?tre entendus par les autorit?s, les
int?ress?s passent ? l'action, se faisant justice eux-m?mes: des
notables religieux nordistes, ou leurs clients, sont expuls?s des
terres qui leur avaient ?t? attribu?es, des h?tels sont incendi?s, des
chalutiers arraisonn?s.
La crise de l?gitimit? de l'?tat que r?v?le ce mouvement social
et identitaire met en cause au premier chef le Parti socialiste (PS) au
pouvoir. C'est pourquoi la crise profite en premier lieu ? l'opposi tion l?gale, le Parti d?mocratique s?n?galais (PDS), d'Abdoulaye
Wade, qui remporte en Casamance ses premiers succ?s ?lectoraux
? la fin des ann?es soixante-dix. Et ce n'est pas un hasard si la carte
de la r?bellion co?ncide en partie avec la carte de l'implantation du
PDS. Quand ils ne sont pas eux-m?mes membres du PDS, les
animateurs de la contestation, parmi lesquels figurent nombre de
futurs dirigeants du Mouvement des forces d?mocratiques de la
Casamance (MFDC), font campagne pour un parti qui combat
vigoureusement le pouvoir en place. Le PDS sert ainsi de vivier au
nationalisme casaman?ais naissant, avant de servir, consciemment
ou non, de couverture l?gale au mouvement ind?pendantiste. Ceci
permet de comprendre les liens privil?gi?s parfois nou?s entre mili
tants des deux formations, mais aussi les d?ceptions cons?cutives ?
l'arriv?e de Wade au pouvoir en 2000. Mais la crise casaman?aise ne
fait pas que profiter aux adversaires du PS: elle ?branle directement
la formation au pouvoir. Ayant principalement pour enjeux des
positionnements ?lectoraux, les violentes rivalit?s qui s'y d?velop
pent y ont certes des enjeux plus personnels qu'id?ologiques. Elles
n'en alimentent pas moins le PDS en militants d??us. ? moins
qu'elles n'alimentent ? tout autant qu'elles s'en nourrissent ? le
registre identitaire: le PS local va ainsi se diviser en deux grands
clans, l'un qui cultive le particularisme casaman?ais (diola), tandis
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que l'autre le vilipende. Par la v?h?mence anti-nordiste de leur
discours, certains militants casaman?ais du Ps apportent ainsi
involontairement une l?gitimit? au discours s?paratiste qu'ils combattent. Une m?me crise accouche donc localement de deux
types de strat?gies, apparemment oppos?es: strat?gies d'acc?s au
pouvoir, elles-m?mes fortement diff?renci?es (alternative majorit?
/ opposition), ou strat?gie de s?paration. En fait, dans la mesure
m?me o? elles se cristallisent sur l'identit?, il y a continuit?, voire
simultan?it? entre les deux types de strat?gies, qui peuvent se
succ?der, voire coexister chez un m?me individu. Qu'elle rel?ve de
l'h?sitation ou du calcul, cette ambivalence ?te donc toute consis
tance ? l'id?e largement r?pandue d'une r?bellion archa?que: la
r?bellion casaman?aise s'inscrit totalement dans des rivalit?s de
pouvoir contemporaines, ? l'?gard desquelles l'ind?pendance appa ra?t comme une option possible parmi d'autres.
Les referents mondialis?s du particularisme Avec la p?joration de l'ethnicit?, on a vu que la l?gitimit? d'un
registre particulariste pouvait ?tre confort?e par le regard port? sur
lui de l'ext?rieur. Mais le plus int?ressant, pour ce qui nous
concerne ici, est de constater que, contrairement ? une lecture
culturaliste (positive ou n?gative), les affirmations identitaires, en
Casamance comme ailleurs (Amselle 1990; Coulon 1994), r?inter
pr?tent des mat?riaux anciens ? la lumi?re du pr?sent, et mobili
sent des mat?riaux qui, au moins pour une part, sont r?cents et
exog?nes. ? commencer par un r?f?rent r?gional qui n'existait pas avant la colonisation fran?aise.
LA CONSTRUCTION DU R?F?RENT CASAMAN?AIS
Tout comme pour le S?n?gal, le terme Casamance a ?t? retenu pour
d?signer le regroupement, autour du fleuve ?ponyme, de territoires
socialement et naturellement h?t?rog?nes, finalement int?gr?s ? la
colonie du S?n?gal (Roche 1976). R?unissant des groupes humains
diff?rents, les coupant de leurs fr?res pass?s sous domination
britannique ou portugaise, isolant largement la r?gion du reste du
pays (par ce qui est devenu la "coupure gambienne"), les fronti?res
coloniales contribuent ? la perception d'un espace commun, constitutif d'un sentiment casaman?ais. Une administration
commune, mais aussi l'organisation des ?changes avec la m?tro
Marut: Les meines mondiales du particularisme casaman?ais 323
pole par le port de Ziguinchor, n'ont pu que renforcer ce sentiment.
Au point que, dans l'entre-deux guerres, les milieux d'affaires euro
p?ens de Ziguinchor se montrent favorables ? une colonie distincte
du S?n?gal (ce qui, soit dit en passant, confirme indirectement que la Casamance en faisait bien partie). C'est par contre en jouant la
carte d'une promotion des int?r?ts r?gionaux au sein du S?n?gal et
de l'Afrique Occidentale fran?aise (AOF) que des ?lites locales
cr?ent, en 1947, la premi?re formation politique casaman?aise, le
Mouvement des forces d?mocratiques de la Casamance (MFDC), dont l'actuel mouvement s?paratiste a r?cup?r? le nom.2 M?me si,
pour eux, l'affichage casaman?ais est un moyen d'int?gration (et non de r?sistance ou d'opposition, comme c'est le cas une trentaine
d'ann?e apr?s), le premier MFDC, comme un peu plus tard le
Mouvement autonome casaman?ais (Mac) d'Assane Seek, contri
buent ? structurer la repr?sentation d'une identit? casaman?aise
quelques ann?es avant l'ind?pendance du S?n?gal. On comprend
que les fondateurs du mouvement ind?pendantiste aient voulu
r?cup?rer l'un ou l'autre de ces deux sigles, sources, ? leurs yeux, de
l?gitimit? "nationale," le transplantant dans un contexte radicale
ment diff?rent: celui de la crise des ann?es soixante-dix, o? l'affir
mation d'une identit? casaman?aise devient un ph?nom?ne de
masse et le langage d'une contestation. Sur ce plan-l?, la continuit?
entre les deux "MFDC" est t?nue, relevant plus du symbolique que de la signification politique.
La construction du r?f?rent diola
On a vu que le r?f?rent ethnique diola est souvent utilis? en lieu et
place du r?f?rent casaman?ais: que ce soit de mani?re explicite ou
de mani?re implicite, la partie est souvent prise pour le tout. Une
telle sur-repr?sentation a son origine dans l'image d'une diff?rence
maximale, non seulement avec le reste du S?n?gal, mais aussi avec
le reste de la Casamance, et explique sans doute que le pays diola,
per?u comme plus exotique, ait ?t? beaucoup plus ?tudi? que d'autres.3 Premier fondement de cette diff?rence, l'image d'une
"riche" ou d'une "verte Casamance" a ?t? instrumentalis?e, par les
administrateurs coloniaux, tout d'abord, dont les propos, repro duits par Christian Roche, ont aliment? le discours de l'abb?
Diamacoune, chef charismatique de la r?bellion, puis par les ?lites
casaman?aises, qui ont jou? la carte r?gionaliste au milieu des
ann?es cinquante en fondant le premier Mouvement des forces
3^4 CJAS / RCEA 39:2 2OO5
d?mocratiques de la Casamance. Les uns comme les autres cher
chaient ? se faire reconna?tre ? travers les potentialit?s de leur
r?gion, comme le feront les cadres casaman?ais dans les ann?es
quatre-vingt, apr?s l'?clatement de la crise (D?l?gation des cadres
casaman?ais 1984). La sur-repr?sentation du pays diola peut ?galement ?tre mise
en rapport avec la promotion de Ziguinchor au rang de capitale administrative et ?conomique de la r?gion, d?s l'?poque coloniale, avec l'?tablissement de liens directs avec la m?tropole (Trincaz
1984). Cette sur-repr?sentation tient aussi ? une plus grande mobi
lit? des jeunes Diola, qui les rend plus visibles que les autres
Casaman?ais au S?n?gal, que ce soit dans des emplois peu qualifi?s
(domestiques, r?colteurs de vin de palme, et militaires) ou dans les
emplois plus qualifi?s (cadres subalternes) que leur permet un
niveau de scolarisation primaire plus ?lev? que dans le reste du
pays.4 Cet exceptionnel niveau de scolarisation est ? mettre en
rapport avec une forte implantation de l'?glise catholique, qui a vu
dans cet ultime bastion animiste un vivier pour l'?vang?lisation.
Apr?s avoir en vain tent? de gommer les traditions africaines,
l'?glise catholique a tent?, surtout ? partir du concile Vatican II, de
les mettre au service de sa strat?gie de p?n?tration, au point qu'elle
peut ?tre consid?r?e comme un important contributeur ? la
construction du particularisme diola. La tentative de gommage relevait d'une vision europ?ocentrique, faisant du mod?le occi
dental un mod?le universel. Tout en combattant la lile R?publique
anti-cl?ricale, l'?glise a accompagn? une colonisation qui lui
permettait d'?tendre sa propre influence, contribuant ainsi ? la
propagation de mod?les occidentaux consid?r?s comme sup?rieurs. Cette strat?gie fut largement un ?chec. Dans le contexte de la
guerre froide et de la d?colonisation, cet ?chec a conduit l'?glise ?
changer de strat?gie, r?habilitant des traditions qu'elle avait
combattues. Connue sous le nom de th?ologie de l'inculturation, cette nouvelle approche garde pourtant le m?me objectif: favoriser
l'?vang?lisation, sur un continent o? les religions traditionnelles
ont un poids sans ?quivalent ailleurs, et o? l'?glise se heurte ? une
forte concurrence, notamment de l'Islam. Les religions tradition
nelles sont donc moins red?couvertes pour elles-m?mes que comme moyen d'enraciner le Catholicisme. D'o? la recherche
d'?quivalences et de convergences, et tout un travail d'interpr?ta
tion, dans lesquels un anthropologue et th?ologien casaman?ais, le
Marut: Les meines mondiales du particularisme casaman?ais 325
p?re Diatta, s'est particuli?rement illustr? (Diatta 1982, 1998). Facilit? par le recrutement d'un clerg? autochtone, ce travail de
r?habilitation d'une tradition jusque ? l? consid?r?e comme
archa?que a d'autant plus contribu? ? construire le particularisme diola qu'? travers son r?le ?ducatif, l'?glise exerce une influence
id?ologique consid?rable en basse Casamance. Une bonne partie des ?lites locales a en effet ?t? form?e dans des ?tablissements d'en
seignement catholique (? Ziguinchor, d'abord, puis ? Dakar). Et ce
n'est pas un hasard si les leaders politiques locaux qui s'appuient le
plus sur la tradition sont catholiques (parmi eux, on peut citer
Robert Sagna, maire de Ziguinchor et ancien ministre, Pascal
Manga, ancien pr?sident du Conseil r?gional, ou encore Christian
Sina Diatta, actuel ministre de la recherche et auteur d'un ouvrage de vulgarisation sur la culture diola (Diatta 1998). Bien qu'ayant lui-m?me enseign? dans ce cadre, le chef spirituel de la r?bellion, l'abb? Diamacoune, ne se r?f?re pas explicitement ? cette r?flexion
th?ologique. Non seulement parce qu'il appartient ? la g?n?ration
pr?c?dente, mais sans doute aussi parce que ce n'est pas un th?ori
cien (pas plus d'ailleurs en mati?re de th?ologie qu'en mati?re de
politique). On peut n?anmoins penser qu'il y puise une l?gitimit?
pour son discours sur la tradition. Ce positionnement en faveur des
particularismes n'est cependant pas sans risques pour les catho
liques africains. Subissant l'attraction d'une religion qu'ils d?cou
vrent souvent, et qui leur para?t plus "authentique," nombre de
jeunes risquent en effet d'aller jusqu'au bout, et de s'?loigner ainsi
de l'?glise.5 L'autre risque est celui de l'aiguisement des rivalit?s
ethniques. Ce n'est sans doute pas un hasard si; en 2003, dans ce qui
appara?t comme une correction de trajectoire, le Vatican appelle les
?v?ques africains ? consolider l'?glise dans "la fraternit? au-del? du
sang, de l'ethnie, de la race et de tout particularisme."6 Il reste que, largement construite de l'ext?rieur, l'image domi
nante du Diola oscille g?n?ralement entre diabolisation (un pa?en) et ang?lisme (le "bon sauvage"). C'est l'image ambivalente d'un
rude travailleur, pratiquant une riziculture savante, et d'un homme
de la for?t, un animiste que la consommation inv?t?r?e de vin de
palme et la fr?quentation de bois sacr?s rend inqui?tant. C'est
l'image d'une soci?t? fig?e dans des traditions immuables,7 et
repli?e sur elle-m?me, r?sistant aux assauts de la modernit?. Cette
image st?r?otyp?e du "Diola authentique" est largement issue de
l'ethnologie coloniale ou post-coloniale (Thomas 1959; Girard
326 CJAS / RCEA 39:2 2OO5
1969), ? laquelle se r?f?rent volontiers les actuels d?fenseurs de la
tradition. Elle oublie que l'appellation m?me de Diola est une
appellation ?trang?re, d'origine manding, reprise par le colon ? des
fins classificatoires pour d?signer des populations ayant des modes
de vie et des langues voisines. Mais on ne trouve nulle trace histo
rique d'une quelconque entit? diola (Niane 1989): jusqu'? une date
r?cente, la cellule de base de la soci?t? ?tait le village, voire le quar
tier, et ces entit?s ?taient fr?quemment en conflit. Ce n'est qu'ex
ceptionnellement que des regroupements ?ph?m?res pouvaient avoir lieu, pour des raisons purement d?fensives. Cette image occulte ?galement le fait que la r?gion a ?t? depuis longtemps ins?r?e dans des flux r?gionaux, voire internationaux, structur?s
jusqu'? la fin du 19e si?cle par la traite esclavagiste europ?enne ou
africaine, avant de l'?tre par la colonisation (Roche 1985; Wondji
1985; P?lissier 1989). Elle occulte la christianisation, mais aussi
l'islamisation (Marut 2003a), qui ont contribu? au recul de la reli
gion traditionnelle. Elle occulte enfin l'ampleur exceptionnelle du
ph?nom?ne migratoire, qui affecte en profondeur la soci?t? ? partir des ann?es trente (Foucher 2002). Ce qui fait que l'image d'une
soci?t? paysanne et animiste est de plus en plus ?trang?re ? la
r?alit?: aujourd'hui, les trois-quarts des Diola sont islamis?s, et une
majorit? vit en ville, ? Ziguinchor, ? Banjul ou ? Dakar, o? ils sont
salari?s (quand ils ont la chance d'avoir un emploi). Dernier bastion animiste, le d?partement d'Oussouye fait
figure de conservatoire de la tradition. Et ce n'est pas un hasard si
cette tradition y est aujourd'hui mobilis?e (dans le m?me temps o?
l'islam conna?t un nouvel ?lan en Casamance). Tout comme pour la
mobilisation du particularisme casaman?ais, on peut voir dans
cette r?activation ethnico-religieuse ? la fois une qu?te de sens et
un langage politique, avant d'y voir une ressource de pouvoir, dans
un contexte de pourrissement de la lutte arm?e, et alors que pas
plus le gouvernement que la r?bellion n'offrent de perspective poli
tique cr?dible. Tout comme le particularisme casaman?ais avait
r?habilit? l'image du Diola au d?triment de celle du "S?n?galais" dans les ann?es soixante-dix et quatre-vingt, les particularismes
ethniques et religieux ne craignent plus de s'assumer comme tels
(Marut 2003b). Ce glissement r?habilite l'image de la religion tradi
tionnelle comme signe d'authenticit?, au d?triment des religions
import?es. Il ne suffit plus de se dire Diola: le "vrai" Diola est le
Diola animiste et fier de l'?tre.
Marut: Les meines mondiales du particularisme casaman?ais 327
Mais ce glissement est facilit?, voire encourag?, par des acteurs
ext?rieurs. Apr?s l'?chec des grands projets de d?veloppement des
d?cennies pr?c?dentes, les institutions internationales comme la
Banque Mondiale, des gouvernements comme le gouvernement
am?ricain, ? travers son agence de d?veloppement, l'USAID, ou
certaines ONG ?trang?res ou s?n?galaises, voient d?sormais dans
la mobilisation des acteurs ? la base, ? travers leurs traditions, un
nouveau levier non seulement pour le d?veloppement, mais aussi
pour le r?glement des conflits, qui prosp?reraient sur la pauvret?. Ce nouveau discours d?couvrant le local et les faits culturels prend une r?sonance particuli?re depuis que l'Afrique est devenue un
enjeu s?curitaire ? l'?chelle internationale. Dans un continent o?
s'?tendent les "zones grises" ?chappant au contr?le des ?tats
(R?my 2004), il est significatif que le S?n?gal soit ainsi pr?sent? par l'USAID, comme "une nation musulmane d?mocratique et
mod?r?e, engag?e dans la lutte contre le terrorisme," dont l'int?r?t,
pour les Etats-Unis, est de renforcer la stabilit? ("USAID's Strategy in Senegal"). Dans le conflit casaman?ais, l'USAID appuie ainsi les
initiatives ? la base (grassroots initiatives), telles que dialogues,
c?r?monies, et d?monstrations, men?es par des ONG locales ou
?trang?res (USAID 2003). Ces initiatives reposent sur le concept de
"peacebuilding," qui fait appel ? la mobilisation des acteurs locaux, notamment ? travers le r?le des leaders d'opinion, aussi bien ?lus
que pouvoirs traditionnels.
Parmi ces ONG, World Education, une ONG am?ricaine, dont
le si?ge est ? Boston,8 joue un r?le discret mais efficace dans l'acti
vation de la tradition dans le Kasa. Relay? par un correspondant local ? Oussouye, le bureau r?gional de World Education ?
Ziguinchor ne se contente pas de soutenir la royaut? sacr?e (finan
?ant notamment la f?te annuelle du roi, le Humobel). Mettant en
oeuvre le mod?le import? pour lequel il a ?t? form?, son directeur
(s?n?galais) a organis?, ? la fin de l'ann?e 2003 ? Oussouye, une
entrevue entre le roi Sibilumbaye et l'abb? Diamacoune ? l'issue de
laquelle l'abb? a d?clar? acc?der aux demandes du roi en faveur de
la paix. Largement m?diatis?e, cette rencontre s'inscrivait dans la
pr?paration des assises du MFDC, en novembre de la m?me ann?e
? Ziguinchor, dont World Education a assur? l'organisation mat?
rielle, p?dagogique et m?thodologique.9 Cette initiative n'est pas neutre politiquement: ne r?unissant qu'une faction de la r?bellion, celle qui a renonc? ? la lutte arm?e et, plus ou moins ? l'id?e d'in
3*8 CJAS / RCEA 39: 2 2OO5
d?pendance, les assises ont re?u l'appui des autorit?s s?n?galaises,
qui les ont (un peu rapidement) pr?sent?es comme une ?tape d?ci
sive pour la paix (Foucher et Marut 2004). Ici appara?t clairement
toute l'ambivalence de la r?activation de la tradition: si elle r?pond ? une demande sociale r?elle, si elle a un sens tr?s fort (Marut
2003b), il appara?t que la tradition peut aussi ?tre l'objet d'instru
mentalisations dans des enjeux ? la fois nationaux et internatio
naux qui la renforcent, au risque de la d?voyer. Le risque de
r?cup?ration est d'autant plus grand, dans le cas pr?sent, que les
tenants du pouvoir religieux traditionnel semblent aussi d?munis
mat?riellement (manque de ressources refl?tant la pauvret?
ambiante), que politiquement (leur connaissance de la situation ne
s'?tend gu?re au-del? des limites du territoire de la royaut?).
Une ressource politique
Pour le mouvement s?paratiste
Bien que non-th?oricien, l'abb? Augustin Diamacoune Senghor est
le principal producteur du discours s?paratiste, et a donc, ? ce titre, contribu? au renforcement du particularisme casaman?ais
(Diamacoune 1980). Le caract?re ethnocentrique d'un discours se
r?f?rant constamment ? la tradition diola a ?t? depuis longtemps
soulign? (Darbon 1984; Faye 1994). Mais ce qui l'a moins ?t?, c'est
? quel point ce discours est nourri par des mat?riaux, et structur?
par des id?ologies et des mod?les import?s, qui n'ont manifeste
ment rien ? voir avec ? la tradition.
C'est ainsi que l'histoire de la Casamance de l'abb?
Diamacoune se pr?sente comme une chronologie minutieuse, ?maill?e d'innombrables souvenirs personnels ou collectifs, et de
remarques subjectives, qui lui donnent une forte note d'authenti
cit?.10 En fait, elle emprunte largement ses mat?riaux ? des ?crits
europ?ens, ? commencer par l'Histoire de la Casamance de
Christian Roche, dont la premi?re ?dition est parue ? Dakar en
1976. L'appellation m?me de "Pays des Rivi?res," o? l'Abb?
pr?tend voir la traduction du toponyme "Casamance," vient en
r?alit? tout droit des r?cits des premiers explorateurs europ?ens de
la c?te ouest africaine, Normands et Bretons habitu?s ? d?signer les
fleuves c?tiers sous le nom de "rivi?res." Et le terme "Kasa," utilis?
pour d?signer le berceau de la tradition diola cher ? Diamacoune,
Marut: Les meines mondiales du particularisme casaman?ais 329
est tout autant import?, ayant pour origine un ancien royaume situ? en dehors du pays diola (Boul?gue 1980). Quant ? la revendi
cation s?paratiste d'une "grande Casamance" englobant la r?gion de Tambacounda, elle porte plus la marque d'un d?coupage eccl?
siastique, effectu? par Rome, que d'une quelconque histoire locale.
Elle correspond en effet aux limites du premier ?v?ch? cr?? au
S?n?gal en dehors de Dakar, au sein duquel le jeune abb? a exerc?
ses premi?res fonctions (Marut 1999, 245-48). Utilis?e aujourd'hui
par le MFDC, l'expression "Casamance de l'Atlantique ? la
Fal?m?" appara?t d'ailleurs dans un document eccl?siastique poly
copi? d?crivant le dioc?se, probablement r?dig? par l'abb?
Diamacoune lui-m?me, bien avant la naissance du mouvement
s?paratiste. Nourri par la lecture d'ouvrages ethnologiques occi
dentaux d?finissant l'arch?type diola (Thomas 1959; Girard 1969), le discours culturaliste de l'Abb? s'inscrit de facto dans la ligne de
la th?ologie de l'inculturation ?voqu?e plus haut. Et son discours
social porte autant la marque de l'id?ologie cl?ricale ultra-conser
vatrice (l'attachement ? la terre et ? la famille) dans laquelle a
baign? le jeune Diamacoune,11 que d'un populisme tr?s contempo rain (le peuple trahi par les ?lites charg?es de le repr?senter), dont
on serait bien en peine de trouver des origines dans la tradition. Le
discours national-populiste du MFDC s'inscrit de ce fait dans des
tendances observables aujourd'hui dans le monde entier (Wievorka
1993). Lorsque l'Abb? cherche ? justifier ? tout prix la revendication
ind?pendantiste par des arguments juridiques, il ne se situe pas
davantage sur le terrain de la tradition. Pour fonder le droit ? l'ind?
pendance, c'est au droit colonial qu'il se r?f?re, estimant avoir iden
tifi? un statut de la Casamance distinct de celui du S?n?gal (avec le
S?n?gal, mais pas dans le S?n?gal).12 Ne craignant pas la contradic
tion, l'abb? reconna?t ainsi une l?gitimit? ? une colonisation qu'il d?nonce par ailleurs. L'enjeu para?t clair: en faisant co?ncider les
limites de sa "Casamance ancestrale" avec les limites d'une
Casamance coloniale "distincte du S?n?gal," il transforme ce qui n'?tait qu'une limite administrative en fronti?re. Il pense ainsi
donner une l?gitimit? ? la revendication ind?pendantiste, la charte
de l'Organisation de l'Unit? africaine (OUA) ayant d?cr?t? intan
gibles les fronti?res h?rit?es de la colonisation. Largement
r?pandue, cette id?ologie juridique est cependant ? double tran
chant: l'impuissance de Diamacoune ? produire le moindre docu
330 CJAS / RCEA 39: 2 2OO5
ment ? l'appui de sa th?se, au lendemain d'une expertise qu'il avait
lui-m?me demand?e ? la France (S?n?gal 1994), a en effet profond? ment affect? sa cr?dibilit?. Ce qui ne l'emp?che pas de situer sa
parade sur le m?me terrain lorsqu'il ?voque un complot franco
s?n?galais pour faire dispara?tre les preuves, ou lorsqu'il retourne
l'argument en d?non?ant l'absence de document prouvant le ratta
chement de la Casamance au S?n?gal (Diamacoune 1995). Le d?sengagement sovi?tique et la fin de la guerre froide ont
sans doute ?vit? ? la r?bellion casaman?aise de s'inscrire dans un
affrontement plan?taire o? elle aurait ?t? ?paul?e par une Guin?e
Bissau aid?e par l'Est, face ? un S?n?gal aid? par l'Ouest. La mondia
lisation ne lui fournit pas moins une partie de ses referents
politiques et id?ologiques. En se pr?sentant comme un mouvement
de lib?ration nationale (ce qu'il est sans aucun doute), le MFDC se
r?f?re ? des concepts, ? des exemples, et ? un droit international
totalement ?trangers ? la tradition ? laquelle se r?f?re si volontiers
l'abb?. Nulle trace, en effet, de nation casaman?aise, ni m?me de
nation diola, dans une histoire r?gionale marqu?e par d'innom
brables conflits internes, en grande partie structur?e par la traite
esclavagiste (exog?ne, mais aussi endog?ne), et o? la notion de droit
des peuples n'avait aucun sens. Quant aux "trois si?cles-et-demi de
r?sistance casaman?aise ? la colonisation" ?voqu?s par l'Abb?, ils
portent la marque du mythe d'un empire portugais en Afrique,
auquel le jeune Diamacoune a pu ?tre sensible dans sa jeunesse. Un
mythe qui confond all?grement l'existence de comptoirs avec une
conqu?te coloniale qui n'a commenc? qu'? la fin du 19e si?cle.
Mais la mondialisation fournit aussi des ressources mat?rielles
? la r?bellion. B?n?ficiant ? la fois de larges interfaces terrestres
(multiples fronti?res) et maritimes (fa?ade oc?anique et estua
rienne) des trafiquants de drogues, d'armes, voire de pierres
pr?cieuses, trouvent dans la situation en Casamance des conditions
favorables ? leurs activit?s, sur lesquelles le MFDC et d'autres
acteurs ont pu se greffer.13 Sans aller jusqu'? parler de narco-r?bel
lion, il semble que la participation ? des trafics pour partie aliment?s de l'ext?rieur, pour partie d'origine locale (le cannabis), contribue ? la survie des maquis, et donc ? la p?rennisation du
conflit arm? (Observatoire g?opolitique des drogues 1994), alors
m?me que la base sociale du mouvement s?paratiste s'est singuli? rement r?tr?cie (Marut 1999, 281-89).
Marut: Les racines mondiales du particularisme casaman?ais 331
Pour des acteurs de la soci?t? civile
Le temps n'est plus o? ses adversaires vilipendaient le maire de
Ziguinchor et ancien ministre, Robert Sagna, qu'ils accusaient de
faire du particularisme casaman?ais un fonds de commerce, dans
une strat?gie d'acc?s ou de maintien au pouvoir central. Sous
tendant un discours sur les solutions endog?nes, la th?matique culturaliste a le vent en poupe. Elle est cens?e r?soudre aussi bien
les probl?mes de d?veloppement que le conflit, les deux ?tant li?s
dans le discours: pas de d?veloppement sans paix, mais pas de paix durable sans d?veloppement. L?gitim?es et financ?es de l'ext?
rieur, les solutions endog?nes sont ainsi devenues l'?l?ment central
du discours dominant, et la paix un nouveau cr?neau, o? s'engouf frent de nombreux acteurs en qu?te de ressources mat?rielles et
politiques: ONG qui r?orientent leur discours et leur action, mais
aussi entrepreneurs politiques au demeurant tr?s occidentalis?s,
qui trouvent l? un moyen d'asseoir leur pouvoir. Politiquement
plus "correct" que le terme "ethnie," encore trop connot? p?jorati
vement, le terme "socio-cultures" a ainsi fait son apparition sur le
march? identitaire casaman?ais pour recouvrir une op?ration poli ticienne associant une partie de l'aile civile du MFDC. Longtemps
synonyme d'archa?sme, la religion traditionnelle ne craint plus de
s'afficher. C'est le cas ? Ziguinchor, o? des ?lus municipaux se
disputent le contr?le d'associations f?minines (Foucher 2003). C'est ?galement le cas ? Oussouye, o? la royaut? sacr?e est cour
tis?e par les diff?rents acteurs politiques. ? d?faut d'acc?der ? l'?tat, le particularisme peut ainsi ?tre un
moyen de le contourner pour acc?der directement aux ressources
de la mondialisation. La boucle est ainsi boucl?e qui fait de la
mondialisation lib?rale ? la fois la matrice et l'horizon des mobili
sations identitaires, sans en ?puiser pour autant le sens.
Conclusion Sans doute parce que leur regard est largement fa?onn? de l'ext?
rieur, les ?lites s?n?galaises, n'ont pas vu, ou n'ont pas voulu voir ?
quel point le particularisme casaman?ais, loin d'?tre une r?sur
gence archa?que, est comme les autres mobilisations identitaires, une construction sociale enracin?e dans un pr?sent mondialis?
dans lequel il a puis? mod?les et mat?riaux. Que ces mat?riaux
soient authentiques ou pas importe peu finalement. Ce qui compte,
332 CJAS / RCEA 39: 2 2OO5
c'est qu'ils apparaissent comme tels, recr?ant du lien et redonnant
l?gitimit? et sens ? une mobilisation. Dans le m?me temps, comme
toute mobilisation identitaire, la mobilisation du particularisme
casaman?ais s'est faite contre l'Autre. Le particularisme casaman
?ais n'a pas pour cible une mondialisation aux acteurs invisibles, mais des acteurs bien visibles, accus?s au contraire d'en bloquer
l'acc?s: si des Nordistes accaparent les ressources, c'est parce qu'ils contr?lent l'?tat. Il n'y a l? aucune contestation du mod?le lib?ral
ou du mod?le d'?tat-nation. Ce n'est pas la l?gitimit? des mod?les
qui est mise en cause, mais leur mise en oeuvre et la possibilit? d'y
acc?der, ? partir de quoi, deux r?ponses politiques sont logique ment envisageables: la cr?ation d'un autre ?tat (la s?paration), ou
un meilleur acc?s ? l'?tat existant, pr?servant les particularismes
(l'int?gration, non r?ductible ? une assimilation). Mais le rapport du particularisme casaman?ais ? la mondialisa
tion n'en est pas moins ambivalent. S'il t?moigne de l'attraction
exerc?e par les mod?les dominants, il rec?le aussi des potentialit?s de subversion de ces mod?les, parce que non seulement la crise
dont il proc?de les met en cause, mais aussi parce que, ? l'image des
mythes auxquels il se r?f?re, sa polys?mie autorise plusieurs
lectures, pouvant aussi bien l?gitimer que contester les mod?les
dominants. R?invent?e ou pas, instrumentalis?e ou pas, la tradi
tion sollicit?e v?hicule ? cet ?gard d'autres mod?les qui peuvent constituer autant d'alternatives. Reconna?tre que le local est
mondialis? n'autorise-t-il pas, d?s lors, ? s'interroger sur la possibi lit? de racines locales pour une autre mondialisation?
Notes 1 ? ne pas confondre avec le groupe socio-ethnique dioula, pr?sent dans
toute l'Afrique de l'Ouest. 2 La Casamance n'est pas un cas ? part: alors que la vie politique s?n?ga
laise est domin?e par les ressortissants des Quatre Communes (Saint
Louis, Gor?e, Dakar, et Rufisque), des mouvements r?gionalistes se cr?ent
dans les autres p?riph?ries (R?gion du Fleuve et S?n?gal oriental). 3 Une bibliographie des publications consacr?es ? la Casamance est en
cours de r?alisation par Vincent Foucher. 4 C'est dans cette derni?re cat?gorie que se recrutera le noyau fondateur du
nationalisme casaman?ais (Foucher 2002). 5 Entretien avec le responsable de la communaut? catholique d'Oussouye, f?vrier 2004.
Marut: Les meines mondiales du particularisme casaman?ais 333
6 Hom?lie de Mgr Sepe, Pr?fet de la Congr?gation pour l'?vang?lisation des
peuples, Assembl?e ?piscopale d'Afrique et de Madagascar (Le Soleil
[Dakar] 13 octobre 2003). 7 Les exemples ne manquent pas de signes d'emprunts de la "tradition" ?
l'ext?rieur, de la pratique de "charit?s," dont la connotation chr?tienne
semble ?vidente, ? la tenue rouge des rois sacr?s, ?voquant irr?sistiblement
la garde royale marocaine. 8 World Education a ?t? fond?e en 1951 ? New York par une missionnaire
m?thodiste am?ricaine, Welthy Honsinger Fisher, qui a principalement travaill? en Inde, o? elle a ?t? en contact avec Gandhi. 9
Enqu?te de terrain, f?vrier 2004. 10 Pour lutter contre la repr?sentation d'une "Casamance historique," l'?tat s?n?galais a allum? un contre-feu en cr?ant de toutes pi?ces la notion
de "Casamance naturelle," reprise aujourd'hui par tous les protagonistes, y
compris le MFDC. Cette repr?sentation n'est pas plus fond?e que la
premi?re (Marut 1999: tome 2, chapitre 1). 11
Cette connotation conservatrice peut ?tre mise en rapport avec plusieurs
facteurs historiques: l'hostilit? de l'?glise ? l'?gard d'une lue R?publique
anti-cl?ricale, qui a laiss? chez l'abb?, comme chez de nombreux catho
liques s?n?galais, une forte animosit? ? l'?gard de la franc-ma?onnerie, l'in
fluence du r?gime de Vichy sur le jeune Diamacoune (qui rappelle souvent
qu'on lui faisait chanter l'hymne p?tainiste "Mar?chal, vous voil?!"), mais
aussi le passage de Mgr. Lef?bvre, qui devait devenir la t?te de file du
courant traditionaliste fran?ais, ? la t?te de l'archev?ch? de Dakar. 12 ? d?faut de d?cret de rattachement proprement dit, il existe de
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