les procédés sémantiques dans la formation des mots

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Les procédés sémantiques dans la formation des mots Author(s): Eugenio Coseriu Source: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 35 (1981), pp. 3-16 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27758230 . Accessed: 24/06/2014 09:56 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Ferdinand de Saussure. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.82 on Tue, 24 Jun 2014 09:56:01 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Les procédés sémantiques dans la formation des motsAuthor(s): Eugenio CoseriuSource: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 35 (1981), pp. 3-16Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/27758230 .

Accessed: 24/06/2014 09:56

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EUGENIO COSERIU

LES PROC?D?S S?MANTIQUES DANS LA FORMATION DES MOTS

A la m?moire de Charles Bally

i. i. Nous nous proposons de pr?senter dans cet article, sous une forme tr?s succincte, notre th?orie s?mantique de la formation des mots ( ? inhal tliche Wortbildungslehre?), th?orie que nous avons ?labor?e dans nos tra vaux sur la s?mantique structurale (cf. E. Coseriu, Principios de sem?ntica

estructural, Madrid 1977). Cette esquisse, nous la d?dions ? la m?moire de Charles Bally pour souligner notre dette ? son ?gard et parce que, ? notre

avis, le grand ma?tre genevois, tout en traitant d'autres probl?mes, a iden tifi? dans sa Linguistique g?n?rale et linguistique fran?aise la plupart des proc? d?s et des rapports s?mantiques fonctionnant dans le domaine en question.

1.2. Th?orie ?s?mantique? signifie th?orie d?velopp?e du point de vue

du signifi? et int?gr?e dans la s?mantique structurale, et par l? dans la

linguistique fonctionnelle, c'est-?-dire dans la linguistique concernant les

langues en tant que syst?mes structur?s d'expression et de contenu linguisti ques. Dans ce sens, le signifi?, c'est le contenu donn? exclusivement par la langue en tant que syst?me de fonctions distinctives et oppositives et il

doit ?tre soigneusement distingu? de la d?signation qui, par contre, est

le rapport entre les signes et la r?alit? extralinguistique nomm?e par ceux-ci, c'est-?-dire l'application des signifi?s ? la ?r?alit??, application d?termin?e non pas uniquement par le syst?me linguistique

- qui, en tant que tel, est

un syst?me de virtualit?s ou possibilit?s ? mais aussi par la connaissance des

?choses? et par la norme (r?alisation traditionnelle ou ?usage?) de la

langue consid?r?e. La d?signation peut, par cons?quent, ?tre prise en consi d?ration en tant que d?termination ult?rieure et suppl?mentaire des proc? d?s formatifs, mais elle ne peut pas ?tre consid?r?e avant le signifi? ni comme d?termination primaire ou d?finissante. Ceci implique que la th?orie

s?mantique dans le sens que nous venons de pr?ciser est la seule qui puisse rendre compte des proc?d?s de formation des mots en tant qu'ensemble de

proc?d?s fonctionnels d'une langue donn?e.

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4 Cahiers Ferdinand de Saussure 35 (1982)

2.1. En effet, dans son sens propre, l'expression ?formation des mots?

d?signe ? ou devrait d?signer

? l'ensemble des proc?d?s plus ou moins

r?guliers dont une langue dispose pour former des lexemes secondaires

(?d?riv?s? et ?compos?s?) ? partir de lexemes qu'elle poss?de d?j? (et qui, du reste, peuvent ?tre ? leur tour des lex?mes ?secondaires?). Or, les

diff?rentes th?ories de la formation des mots ? les th?ories traditionnelles

ainsi que la plupart des th?ories modernes - ne peuvent pas correspondre de fa?on ad?quate ? ce domaine dans son sens intuitivement reconnu par les

sujets parlants et manifest? par l'activit? linguistique de ceux-ci. A notre

avis, cela est d? ? deux raisons principales : d'un c?t? l'on voudrait se r?f?rer en m?me temps, ou alternativement, ? l'expression aussi bien qu'au con

tenu ; de l'autre, on confond ? ou, du moins, on ne distingue pas constam

ment et de fa?on coh?rente - d?signation et signification de langue (ou

signifi?). 2.2. A cause de la tendance ? consid?rer en m?me temps l'expression

et le contenu, on ne distingue que deux types fondamentaux de formation

des mots, la d?rivation et la composition, en d?pit du fait que, par exemple, les ?d?riv?s? du type de ruelle ou vieillot soient enti?rement diff?rents du

point de vue s?mantique d'autres ?d?riv?s?, tels que beaut?ou sortie, et que les d?riv?s du type chasseur, vendeur, etc. soient dans leur structure s?manti

que plus affins aux mots compos?s qu'aux autres ?d?riv?s?. De ce m?me

fait, on attribue assez souvent la formation ? l'aide de pr?fixes (par exemple,

pr?voir ou parvenir) ? la composition et l'on parle de ?composition verbale?

(parce que les pr?fixes correspondent le plus souvent ? des pr?positions existant en tant que ?mots? autonomes de la langue), en d?pit du fait que ces ?compos?s? ne diff?rent pas dans leur structure s?mantique de toute une s?rie de mots ?d?riv?s? ; et l'on a naturellement des difficult?s dans le cas des pr?fixes qui n'existent pas en tant que mots autonomes : une forma tion telle que revenir doit-elle ?tre attribu?e ? la d?rivation ou ? la composi tion ? Pour des raisons analogues, on consid?re comme type particulier la

formation dite ?parasynth?tique? (par exemple it. sfacciato, fannullone, frut tivendolo, pescivendolo, esp. pordiosero, ail. Dickhauter, Einhdnder, Vierfujier,

dickkopfig), qui devrait correspondre en m?me temps ? la formation ? suffixes et ? pr?fixes ou bien ? la d?rivation et ? la composition (puisque, dit-on, facciato, nullone, vendolo, diosero, Hduter, Hdnder, Fufier, kopfig n'exis tent pas en tant que mots autonomes), tandis que, du point de vue fonc

tionnel, ce type est tout ? fait h?t?rog?ne et qu'on ne voit pas bien pour quoi l'on devrait partir de diosero, kopfig, etc. et non pas de por Dios, Dick

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kopf qui existent, et en admettant des formations telles que por Dios + -ero et Dickkopf + -ig.

2.3.1. En ce qui concerne la non-distinction entre d?signation et

signifi? de langue, le cas le plus symptomatique est sans doute celui des

compos?s appel?s ? endocen triques ? et ?exocen triques?. Ainsi, Dickkopf, Dummkopf Rotk?ppchen, rouge-gorge, magnanimus seraient des ?exocentri

ques? parce que ce qu'ils d?signent, ce n'est pas quelque chose qu'ils expri ment eux-m?mes (un ?Kopf?, un ?K?ppchen?, une ?gorge?, un ? ani mus ?) mais quelque chose d'ext?rieur ? eux. Par contre, Haustier, Rotwein,

Grofistadt seraient des compos?s ? endocen triques ? parce qu'ils d?signent

quelque chose qui constitue en m?me temps leur determinatum (un ?Tier?, un ?Wein?, une ?Stadt?). Et, naturellement, un compos? tel que Gold

haar devrait ?tre endocentrique ou exocentrique selon les cas consid?r?s: il serait endocentrique s'il d?signe des ?cheveux dor?s? et exocentrique s'il

d?signe une ?personne aux cheveux dor?s?. Or, du point de vue du signifi? de langue et des proc?d?s s?mantiques de formation des mots, il n'y a pas de compos?s exocen triques ; il n'y a que des compos?s endocentriques :

Dickkopf appartient exactement au m?me type que Rotwein et, ? la rigueur, il d?signe en premier lieu son determinatum ?Kopf?, de la m?me fa?on que Rotwein d?signe le determinatum ?Wein?. Le caract?re ?exocentrique? ne

concerne pas le signifi? de langue, ni le proc?d? de composition en tant que tel, mais uniquement la d?signation par antonomase. Or, l'anto nomase n'est pas un signifi? : c'est l'emploi d'un signifi?. Et c'est un ph?no m?ne qu'on constate aussi dans le cas de beaucoup de syntagmes libres et

m?me de mots simples (cf. par exemple l'emploi antonomastique de bbse

Zunge, mauvaise langue, chaperon rouge). La seule diff?rence, c'est que, dans

le cas des compos?s dits exocen triques, il s'agit d'une d?signation antono

mastique traditionnelle ou fig?e et que, dans ce cas, la d?signation ? propre ?

est normalement exclue. Mais ceci se constate aussi pour des non-compos?s (cf. par exemple l'emploi fig? de Stift pour ?Lehrling?, ?apprenti?, et la

d?signation exclusivement m?taphorique de fr. pieds-noirs) ; et, ? l'inverse, l'on a des compos?s ? exocen triques ? qui peuvent ?tre employ?s aussi dans

leur sens propre (comme dans le cas de Goldhaar). Au fond, le ph?nom?ne de l'exocentricit? ne concerne pas la composition mais la d?nomination : le

fait de donner tel ou tel nom ? tel ou tel objet.

2.3.2. C'est aussi ? la d?signation que se rattache la technique qui

pr?tend ?expliquer? les mots compos?s ?

par exemple Papierkorb, Gold

waage, Sommerhut, Filzhut ? en les rapportant ? des phrases concr?tes telles

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que ?Der Korb ist fur das Papier?, ?Die Waage ist fur (aus) Gold?, ?Der Hut ist fur den Sommer?, ?Der Hut ist aus Filz?, etc., ce qui d?truit l'unit? fonctionnelle ?de langue? de ces compos?s, puisque, par exemple,

Goldwaage devrait correspondre ? deux compos?s diff?rents selon qu'il s'agisse d'une balance pour l'or ou d'une balance en or. En r?alit?, en ce qui concerne la signification de langue, les rapports grammaticaux ? l'int?rieur des mots compos?s sont beaucoup plus abstraits et g?n?riques ;

ainsi, par exemple, dans le cas de Papierkorb, on a ? peu pr?s: ?Korb ?

fonction pr?positionnelle ?

Papier?, c'est-?-dire ?corbeille qui a quelque chose ? faire avec le papier?. Ce n'est qu'une relation en tant que telle, une

fonction pr?positionnelle g?n?rique, qui est donn?e dans le compos? ; quelle est cette relation, le mot compos? ne le dit pas : ce pourrait ?tre une ? cor

beille pour le papier?, une ?corbeille en papier?, une ?corbeille avec

du papier?, etc. Brugmann d?j? observait, on le sait, qu'on tend ? rencon trer trop de signification dans les mots compos?s, et pr?cis?ment beaucoup plus que n'y en rencontrent les sujets parlants des langues consid?r?es ; ceci surtout dans la traduction d'une langue ? l'autre. Et Jespersen observait ? son tour que les compos?s expriment des rapports entre des notions mais

qu'ils ne pr?cisent pas le type exact de ces rapports. Mais c'est surtout le

linguiste polonais Norbert Morciniec qui, dans son livre Die nominalen

Wortzusammensetzungen in den westgermanischen Sprachen, Wroclaw 1964, s'est occup? plus particuli?rement de ce probl?me. Or Morciniec aboutit ? la conclusion que, du point de vue purement linguistique, Sommer hut ne signifie que ?chapeau d?termin? par ?t??, ce qui ?quivaut ? une confirmation de la relation qu'on y voyait d?j? dans la linguistique tradi tionnelle entre un ? determinatum ? et un ?determinans?. Les d?termina tions ult?rieures et qui conduisent ? l'interpr?tation exhaustive des compo s?s, en ce qui concerne leur fonction de d?signation dans des phrases concr? tes, sont donn?es selon Morciniec par la connaissance g?n?rale et sp?cifique des choses; ainsi, par exemple, dans le cas de Goldwaage, on sait par la connaissance g?n?rale des choses qu'il s'agira tr?s probablement d'une balance pour l'or ou en or; et dans une situation concr?te, on pourra constater qu'il s'agit pr?cis?ment d'une balance en or. A cela nous ajoute rions encore, entre l'?chelon du signifi? donn? par le syst?me linguistique et celui de la connaissance g?n?rale des choses, l'?ventuelle fixation par la norme de la langue (cf. notre article ?Bedeutung und Bezeichnung im Lichte der strukturellen Semantik?, dans: P. Hartmann et H. Vernay, Sprachwissenschaft und LJbersetzen, Munich 1970, pp. ni, n6-117). Ainsi,

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ce n'est qu'en vertu de la norme traditionnelle que Hauptstadt et Haupt mann, qui en eux-m?mes ne signifient que ?ville principale? et ?homme

principal ?, sont interpr?t?s comme ? capitale ? et ? capitaine ? ; et fr. pommier est ? un x qui produit des pommes ? (et non pas, par exemple, ? un x qui vend des pommes?) gr?ce ? la norme de la langue, et c'est un ?arbre qui produit des pommes? en vertu de la connaissance des choses. Le fait que, par exemple, Papierkorb ait ?t? tr?s vraisemblablement cr?? pr?cis?ment avec et pour la d?signation ? corbeille pour le papier ? ? les mots compos?s sont en effet cr??s en raison des besoins de la d?signation

? n'importe pas en ce

qui concerne son signifi?, puisque la langue allemande, au moyen du pro c?d? compositif en question, n'exprime pas ce rapport pr?cis mais seulement un rapport bien plus g?n?ral, de sorte que Papierkorb, une fois cr??, peut ?tre employ? aussi pour des d?signations autres que celle qui a d?termin? sa cr?ation : on cr?e pour des besoins de la parole mais on cr?e dans la langue.

2.3.3. Et c'est encore ? la d?signation que se rattache la distinction de Charles Bally entre ?transposition fonctionnelle? (grammaticale ou syn

taxique) et ?transposition s?mantique? (Linguistique g?n?rale et linguistique fran?aise, p. 116), par exemple dans le cas de chaleur tropicale, v?g?tation tropicale, selon qu'il s'agisse de la v?g?tation et de la chaleur propres de la zone des tropiques ou bien d'une v?g?tation et d'une chaleur analogues ? celles qu'on trouve dans ces r?gions. En effet, nous croyons qu'il n'y a pas lieu de faire cette distinction et que l'on n'a affaire dans ce cas qu'? une

seule et m?me valeur lex?matique, bien qu'? une valeur ?largie par rapport ? la base de ?d?rivation? (des tropiques). Il s'agit ici du ph?nom?ne de la ? d?concentration ? de la signification, ph?nom?ne caract?ristique du ? d?ve

loppement? (cf. 3.2.1.) et par lequel le domaine de d?signation d'un d?ve

lopp? est plus large que celui de sa base. Ainsi, par exemple, it. d'inverno

signifie ?appartenant ? l'hiver? (cf. giornata d'inverno), tandis que le terme

d?velopp? invernale signifie aussi bien ? appartenant ? l'hiver? que ?sembla ble ? ce qui appartient ? l'hiver? (cf. giornata invernale).

2.4. L'?tude de la formation des mots faite en m?me temps du point de vue de l'expression et du contenu est, on l'a vu, n?cessairement incoh? rente. Par contre, une ?tude coh?rente entreprise exclusivement du point de vue de l'expression mat?rielle est sans doute possible. Mais une telle ?tude

serait sans aucune port?e du point de vue fonctionnel ? et par l? aussi en

ce qui concerne la compr?hension et la description raisonnable et ad?quate des langues ?, du fait qu'entre les types de proc?d?s mat?riels (pr?fixation, suffixation, infixation, addition) et les types fonctionnels ou s?mantiques, il

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n'y a aucun parall?lisme n?cessaire : des proc?d?s mat?riels diff?rents peuvent

correspondre au m?me type fonctionnel, et ? l'inverse. En outre, une ?tude

strictement mat?rielle de la formation des mots ? c'est-?-dire une ?tude qui exclue effectivement toute r?f?rence au contenu ? attribuerait d'un c?t?

beaucoup trop et de l'autre trop peu ? ce domaine. En effet, une telle ?tude

devrait d'une part concerner aussi certaines juxtapositions et coalescences

casuelles (telles que: [un] sauve-qui-peut, rendez-vous, bonjour, manu tenere ?

mantenere, pedis ungula esp. pezuna, maris lucius ?~ it. merluzzo, it. mezza

luna, esp. correveidil?), qui pourtant ne constituent pas des proc?d?s forma

tifs dans le sens propre de ce terme, et d'autre part elle ne pourrait pas identifier en tant que proc?d?s formatifs mat?riels certains types qui pour tant le sont, tels que les d?rivations r?gressives du type fr. garde, esp.

guarda, et en g?n?ral les formations avec d?rivatif z?ro. Par cons?quent, une

telle ?tude ne pourrait pas correspondre exactement au domaine de la for mation des mots.

3.1. Au contraire, une ?tude entreprise du point de vue du contenu

peut ?tre parfaitement coh?rente et, en m?me temps, elle peut correspondre exactement ? ce domaine, puisque l'identification des proc?d?s mat?riels

d?pend de l'identification des proc?d?s s?mantiques. En outre, ce n'est

qu'une telle ?tude qui puisse rendre compte de la nature propre et sp?cifique du domaine de la formation des mots.

De ce point de vue, la formation des mots constitue, ? l'int?rieur du

lexique, le domaine des relations paradigmatiques secondaires (par rapport aux relations paradigmatiques primaires, qui sont celles de champ lexical et

de classe lexicale) et correspond ? une grammaticalisation du lexi

que ? primaire ?, c'est-?-dire des unit?s constituant le point de d?part ou la

base de chaque proc?d? formatif (mais qui, bien entendu, peuvent ?tre ?

leur tour des unit?s d?j? ? grammaticalis?es ? par un processus formatif

ant?rieur) : dans tout type de formation de mots, des unit?s du lexique sont

soumises ? une d?termination de nature grammaticale et, avec cette d?ter

mination implicite, sont, pour ainsi dire, ? rendues ? de nouveau au lexique, dans le sens qu'elles peuvent recevoir ? leur tour des d?terminations gram maticales explicites propres des unit?s ?primaires?. Ainsi, par exemple, maisonnette implique une d?termination ? grammaticale ? de maison mais, en

m?me temps, c'est un terme qui, en principe, peut assumer les diff?rentes

d?terminations grammaticales explicites du terme maison. Les rapports grammaticaux

? ou, mieux, ? paragrammaticaux ? ? ? l'in

t?rieur des produits de la formation des mots r?sultent des ?quivalences

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s?mantiques entre ces produits et les constructions (paraphrases) explicites qui leur correspondent, comme par exemple, dans le cas de beaut?: ? le fait

d'?tre beau/belle?. A cet ?gard, il faut pourtant souligner que les formules

de ce type ont une fonction analytique ou m?talinguistique; ainsi, ?fait?, dans la formule que nous venons de proposer, ce n'est pas le mot fait du

langage primaire qui serait ensuite d?termin? par ? ?tre beau ? : ce n'est que le nom de la substantivation impliqu?e par le d?veloppement beau/belle ?*

beaut?; de m?me, ??tre? n'est que le nom de la pr?dication attributive, et

?beau/belle?, c'est le nom de l'unit? beau(x) -h beliefs) du langage primaire, c'est-?-dire le nom d'un beau sans genre ni nombre. Dans un sens plus abstrait, notre formule signifie par cons?quent ? peu pr?s: ?beau(x)

? bel

iefs), grammaticalis? par une pr?dication attributive et ensuite substantiv??.

A leur tour, les rapports entre les bases des processus formatifs et leurs

produits r?sultent de l'opposition s?mantique entre ces bases et les ?quiva lences des produits respectifs; ainsi, beaut?, par rapport ? beau(x)

? belle(s),

contient en plus les traits ? pr?dicativit? ? et ?substantivit??. Par cons?

quent, les produits de la formation des mots ne sont jamais s?mantiquement

?quivalents ? leur base et, de ce fait, ils ne peuvent pas ?tre obtenus, comme

certains le croient, par des ?transformations qui ne changent pas le

signifi? ? : les produits des processus formatifs ont toujours un contenu plus riche que leur base lexicale.

3.2.1. Les types de proc?d?s formatifs s?mantiques correspondent ? la

nature et aux conditions de la ? grammaticalisation ? qu'ils impliquent. En

effet, ? l'aide de deux crit?res qui s'entrecroisent, on peut distinguer trois

types fondamentaux de formation des mots, selon que la grammaticalisation

implicite concerne une seule unit? ou deux unit?s dans la base (modification ou d?veloppement/composition) et selon que la grammaticalisation corresponde ? une fonction ?inactuelle?, c'est-?-dire non analogue aux fonctions propo sitionnelles, ou ? une fonction ?actuelle?, du type propositionnel (modifica tion I d?veloppement). Plus explicitement, nos deux crit?res sont : 1) le nom

bre des unit?s de base impliqu?es par le processus formatif (une seule unit?

ou deux unit?s) et 2) le type g?n?ral de la fonction grammaticale impli

qu?e par le produit (fonction ?inactuelle? ou ?actuelle?). Dans le cas de

la modification et du d?veloppement, il s'agit de la grammaticalisation d'une seule unit? de base ; dans la composition, on a dans la base deux

unit?s li?es par un rapport grammatical. Dans la modification, la fonction grammaticale implicite est une fonc

tion ?inactuelle? (du type du genre ou du nombre), tandis que dans le

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10 Cahiers Ferdinand de Saussure 35 (1982)

d?veloppement, la fonction implicite est ?actuelle? (du type des fonctions

?sujet?, ?pr?dicat?, ?compl?ment?); dans la composition, la fonction

grammaticale qui relie les deux termes peut ?tre aussi bien ?inactuelle?

qu'? actuelle? (cf. par exemple ail. Rotwein vis-?-vis de L?ser).

3.2.2. Ainsi, par exemple, maison-* maisonnette, cavallo ?cavallino, rou

ge ?

rouge?tre, viridis ?~ subviridis, crier ? criailler, besar ? besuquear, ?rbol ?

arboleda, venir? revenir, voir?pr?voir, fallen ?

hinfalien sont des modifi

cations. Dans la modification, la cat?gorie verbale des produits est toujours celle des bases modifi?es (les substantifs restent substantifs, les adjectifs restent adjectifs, etc). C'est pr?cis?ment parce que la fonction grammaticale que ce processus implique est ?inactuelle?, c'est-?-dire une fonction qui concerne les lex?mes de base en tant que tels et non pas ces lex?mes en tant

que membres de propositions ou de syntagmes. Par contre, beau

(pr?d.) ?*beaut?, partir (pr?d.) ?d?part, (en) barque ?

embarquer, (d) inver na? invernale, (hors) budget

? extrabudg?taire, (en) riche ? enrichir ? enrichis

sement sont des d?veloppements. Dans le d?veloppement, qui part de lex? mes pris en tant que membres de propositions ou de syntagmes, les produits appartiennent toujours ? une cat?gorie verbale autre que celle de la base ; on

a, par exemple, substantif?adjectif, substantif?verbe, adjectif? substan

tif, etc. La composition peut ? son tour ?tre de deux types : prolex?matique ou lex?matique. Elle est prolex?matique si l'un des deux termes de la base est un prolex?me, c'est-?-dire une unit? de nature pronominale, et elle est

lex?matique si les deux termes de la base sont des lex?mes. Ainsi, par

exemple, ?pronom substantif g?n?rique? (? peu pr?s: ?quelqu'un ou quel que chose?) + calculer ? calculateur, ?pronom? + wecken

? Wecker, ? pronom ? + pomme ?pommier, sont des compositions prolex?

matiques, tandis que Wein + rot ?Rotwein, Kopf + dick ? Dickkopf Baum + Apfel

? Apfelbaum sont des compositions lex?matiques. La cat?gorie ver

bale des compos?s est toujours celle des termes ?d?termin?s?.

3.2.3. Parmi ces proc?d?s, le plus int?ressant est sans doute le d?velop pement. Tout d'abord, un produit d?velopp? peut constituer ? son tour le

point de d?part d'un nouveau d?veloppement, de sorte que, dans les lan

gues, on a normalement des d?veloppements en s?ries orient?es ; ainsi : (en) riche ? enrichir ? enrichissement, (en) barque

? embarquer

? embarquement,

(de la) nation ? national ? nationaliser ? nationalisation. L'ordre des ?tapes du d?veloppement en s?rie est parfaitement identifiable dans les cas o? il y a parall?lisme entre l'expression et le contenu, mais un ordre pareil doit ?tre

suppos? aussi pour les cas o? l'expression ne nous aide pas (par exemple,

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E. Coseriu : Les proc?d?s s?mantiques

dans le cas de vivre, vie, vif). Il est vrai pourtant que plusieurs d?veloppe ments parall?les peuvent correspondre ? une m?me ??tape?. D'autre part, la connaissance des d?veloppements en s?rie en tant que proc?d?s de langue permet qu'on saute des ?tapes, c'est-?-dire qu'on cr?e des termes successifs sans que le terme impliqu? ant?rieur existe effectivement dans la norme de la langue. Ainsi, en connaissant des s?ries du type roum. domn-^a domni

^domnie (?seigneur?, ??tre seigneur?, ?qualit? de seigneur?), je peux former des mots tels que fetie, ?qualit? de jeune fille?, profesorie, ?qualit? de professeur?, sans me soucier de l'existence ou non-existence des verbes a feti et a profesori. De m?me, lat. barbatus implique, du point de vue du

syst?me de la langue, un verbe * barbare (?doter d'une barbe?) qui, ? ce

qu'il para?t, n'a jamais ?t? cr??. Et fr. gasconnade, esp. gauchada, it. america nata impliquent des verbes tels que *gasconner (?agir en Gascon?),*gau char, *americanare, qui n'existent pas dans la norme de ces langues. Il ne

s'agit pas, dans ces cas, de substantifs form?s sur d'autres substantifs (Gas con, gaucho, americano): le changement obligatoire de la cat?gorie verbale y est en r?alit? donn?, mais par rapport ? des verbes virtuels. C'est, du reste, l'orientation d?finie et ? sens unique du d?veloppement qui permet de constater des ?lacunes? dans les s?ries d?velopp?es, du point de vue du

syst?me linguistique effectivement r?alis?, par exemple l'inexistence des

adverbes correspondant ? jeune, vieux, ?g?, possible, esp. joven, viejo, ancho,

lleno, etc. En outre, ?tant donn? que le d?veloppement part toujours d'un

emploi (du moins virtuel) du terme de base, on peut avoir des d?veloppe ments diff?rents d'un seul et m?me terme selon ses diff?rentes acceptions ou

selon les diff?rents signifi?s des formes homophones (cf., par exemple, it.

fegato-^fegatoso, epatico; terra ~* terrestre, terroso, terreno ; esp. esperar-~ esp?ra

[?le fait d'attendre?], esperanza [?le fait d'esp?rer?]) ainsi que des d?velop

pements ne correspondant qu'? certaines sections du signifi? du terme de

base (comme dans le cas de fr. large?* largement, plein-*pleinement, o? les

adverbes ne correspondent pas ? toute l'extension des adjectifs) et, au con

traire, des d?velopp?s homophones correspondant ? des bases diff?rentes, comme dans le cas de fr. mortel, ?qui peut mourir? (d?velopp? de mourir) et ?qui peut faire mourir? (d?velopp? de tuer). Finalement, il faut souli

gner que la base primaire d'une s?rie d?velopp?e peut ?tre un terme apparte nant ? n'importe quelle cat?gorie verbale: un substantif, un adjectif, un

verbe, m?me un adverbe (comme dans le cas de fr. vite ?- vitesse), mais que les points de d?part ne sont pas n?cessairement les m?mes dans toutes les

langues ; ainsi, en italien on a vero ?-verit?, tandis qu'en espagnol on a

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12 Cahiers Ferdinand de Saussure 33 (1982)

verdad?verdadero, ce qui n'est pas sans effet en ce qui concerne l'emploi de ces mots (en fait, en espagnol ?c'est vrai?, ?il est vrai? se dit es verdad, non

pas es verdadero). 3.3. Que dans la formation des mots (ou du moins dans le cas de

certains proc?d?s formatifs), il s'agit d'une ?grammaticalisation? du lexi

que, on l'a remarqu? depuis longtemps. Ainsi Ch. Wolff d?j? {Philosophia prima sive ontologia, Francfort et Leipzig 1730, II, 3, 3, ? 967) consid?re les

?signa derivativa? comme ?definitionum ac propositionum vicaria?. Wolff

rapporte ceci au fait que les ? signa derivativa ? sont motiv?s de fa?on extra

linguistique, c'est-?-dire par des propri?t?s et des relations des choses d?si

gn?es (?Quoniam signa derivativa... significatum primitivum ab arbitrio

significatum imponentis, derivativum autem a rebus signif?catis habent...

ideo respectu illius artif?cialia sunt.., respectu hujus naturalia imitantur?), ce qui est une id?e encore plus ancienne (on la trouve d?j? chez F. d'Oli

veira, Grammatica da lingoagemportuguesa, Lisbonne 1536, chap. 39) et qui proc?de tr?s probablement de l'antiquit? (vraisemblablement de Varron). On sait aussi que Georg von der Gabelentz {Die Sprachwissenschaft2, Leipzig 1901, pp. 463-470) parlait ? propos de la composition nominale d'une

?Verwandlung der S?tze in Satztheile?. De m?me, on sait que Brugmann et Jacobi admettaient des rapports syntaxiques implicites dans les mots

compos?s et que Couturat, Jespersen, Porzig, Bally, Kuryfowicz et d'autres savants ont identifi? des d?terminations grammaticales implicites, en parti culier dans les mots ?abstraits?, c'est-?-dire dans les d?velopp?s pr?dicatifs du type arriv?e, beaut?, etc. Mais ? cet ?gard, il faut remarquer deux choses. Tout d'abord, que la grammaticalisation ne se constate pas seulement dans certains proc?d?s formatifs mais dans tout le domaine de la formation des mots : la grammaticalisation est en effet ce qui caract?rise la formation des mots et ce qui en fait un domaine particulier ? l'int?rieur du lexique ; et les types m?mes des proc?d?s formatifs correspondent aux modalit?s de

grammaticalisation qu'ils impliquent. Deuxi?mement, que dans la forma tion des mots, il s'agit sans doute d'une ?grammaire du lexique?, mais que cette grammaire ne doit pas ?tre confondue avec la grammaire tout court,

puisque, dans ce cas, il s'agit ? la rigueur d'autres fonctions ?grammatica les?, non pas de celles qui se pr?sentent dans la morpho-syntaxe de la m?me

langue. C'est pour cette raison que nous pr?f?rons parler de fonctions non pas

?grammaticales? mais ?paragrammaticales?. Ainsi, par exemple, la forma tion collective implique sans doute une ?pluralisation ?, mais il ne s'agit pas

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E. Coseriu : Les proc?d?s s?mantiques i3

dans ce cas d'un ?pluriel? pur et simple: c'est plut?t une ?pluralit? exis tant comme unit? et envisag?e en tant que telle? (arboleda, ce n'est pas tout

simplement ?rboles, et Schrifttum n'est pas ?quivalent ? Schriften). De m?me, Rotwein n'est pas exactement la m?me chose que roter Wein (c'est une esp?ce de vin, tandis qu'un roter Wein pourrait aussi ?tre un vin artificiellement

color?). Et les formations du type d?part, Abfahrt impliquent certainement un verbe en fonction pr?dicative, mais elles n'impliquent ni mode, ni

temps, ni nombre, ni personne. C'est pourquoi ces formations ne peuvent aucunement ?tre d?riv?es de phrases concr?tes telles que Jean part, Hans

fahrt ab, Jean est beau, Marie est belle, etc., mais uniquement d'une fonction

pr?dicative g?n?rique de partir, abfahren, beau(x) I beliefs). Dans le m?me sens, Papierkorb implique une ?fonction pr?positionnelle? mais il n'impli que aucune pr?position d?termin?e ; et calculateur, Wecker contiennent un

terme pronominal g?n?rique (?quelqu'un ou quelque chose?, ?jemand oder etwas?) qui n'est pas r?alis? en tant que tel en fran?ais et en allemand.

C'est pr?cis?ment pour cette raison que la formation des mots existe : parce

qu'il s'agit d'exprimer des fonctions plus g?n?riques ou des fonctions diff? rentes de celles qui sont exprim?es dans la grammaire de la langue respec tive.

3.4.1. Selon les fonctions ?grammaticales? plus sp?cifiques qu'ils

impliquent, les trois (ou quatre) types fondamentaux de formation de mots

peuvent ?tre divis?s en sous-types. Ainsi, dans le cas de la modification, il

peut s'agir d'un changement de classe ou de genre (par exemple ?verbe

transitif? ? ?verbe intransitif ?, Konig ?

Kdnigin) ou bien d'une quantifica tion ; et la quantification peut ?tre ? son tour formation diminutive (maison

?maisonnette, maigre- *maigrichon, pleurer ?pleurnicher, avec la variante de

l'appr?ciation approximative: vieux?vieillot, grande ?

grandotto), forma

tion augmentative (libro ?librone, vecchio ? stravecchio), formation collec

tive (quercia?querceto, scatola ? scatolam?), formation intensive (jour

?journ?e), r?p?tition (voir ?

revoir), n?gation (utile ?inutile, content ? m?

content, faire--d?faire), partialisation (voir?pr?voir, fallen?hinfalien), etc.

Dans le cas du d?veloppement, on peut distinguer, selon la fonction syn

taxique implicite de la base, le d?veloppement pr?dicatif (partir ?

d?part, beau ?beaut?), le d?veloppement attributif (des tropiques

? tropical, d'inver

no?invernal?), le d?veloppement d'objets pr?positionnels (en barque?em

barquer, de [la] barque?d?barquer, en riche?enrichir, auf [den] Tisch?auf

tischen), etc. Et dans la composition, on peut distinguer, par exemple, la

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Cahiers Ferdinand de Saussure 35 (1982)

composition d'accord et la composition de rection, avec plusieurs sous

types. D'autres sous-divisions r?sultent, en particulier dans le cas du d?velop

pement, de certaines d?terminations proprement grammaticales de la base

qui peuvent ?tre conserv?es dans les produits des processus formatifs. Ainsi,

par exemple, lat. victoria implique la voix active de la base vincere, tandis que lat. clades implique la voix passive (cf. aussi fr. vaincre ?victoire, it. vincere

? vittoria, esp. veneer ? victoria vis-?-vis de d?faire?d?faite, sconfiggere

?sconfitta, derrotar ? derrota). De m?me, on peut constater la conservation

de la r?flexivit? (s'obstiner? obstination), de l'aspect r?sultatif (blesser ? bles

sure, it. ferire ?

ferita), de la fr?quentativit? (piller?pillard), de l'?ventua

lit? passive (manger ?

mangeable), de la semelfactivit? (esp. martillar ? mar

tillazo, it. coltello ? [verbe] ?

coltellata), etc. A tout cela s'ajoutent encore

la mise en relief (?topicalisation?) de telle ou telle relation syntaxique de

la base (par exemple, mise en relief de l'objet: it. pesce ?pescare; du lieu:

fr. loger?logement; du temps: fr. faucher?fauchaison, fleurir?floraison), la limitation totale ou partielle ? certains domaines de d?signation (par

exemple, agriculture, op?rations techniques, politique, administration) et,

finalement, les ?ventuelles ?lexicalisations? (fixations) particuli?res; cf. ? cet ?gard la th?se de doctorat de notre discipe Jens L?dtke, Pradikative

Nominalisierungen mit Sufflxen im Franzbsischen, Katalanischen und Spanischen, Tubingen 1978. Et il est int?ressant d'observer que ces d?terminations

compl?mentaires, dans le cas du d?veloppement pr?dicatif (ainsi que, du

reste, dans d'autres cas), se pr?sentent pr?cis?ment dans l'ordre qu'on vient de signaler (bien que, naturellement, quelques-unes d'entre elles, et m?me toutes les d?terminations, sauf la fonction pr?dicative elle-m?me, puissent aussi manquer pour tel ou tel d?veloppement particulier).

3.4.2. Une autre propri?t? des proc?d?s de formation des mots, c'est

qu'ils peuvent se combiner entre eux, et m?me plusieurs fois, et que, dans ce cas, le signifi? du produit final d?pend de l'ordre des combinaisons (y compris les combinaisons qui n'existent pas en tant que mots autonomes dans la norme de la langue). Ainsi, par exemple, en ail. Durchgang, on a;

gehen ?

durchgehen (modification) ?*Durchgang (d?veloppement); en it.

passeggiatina : passeggiare ?passeggiata (d?veloppement) ?passeggiatina (modification). Cf. aussi: all. los+Rat

? ratios (composition) ?Ratlosigkeit (d?veloppement); Garten+Kinder ?

Kindergarten (composition lex?mati

que) ?

Kindergartner (composition prolex?matique) ?

Kindergdrtnerin (modification) ; Schule + Volk ? Volksschule (composition lex?matique) +

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E. Coseriu : Les proc?d?s s?mantiques 15

Lehrer (compos? prolex?matique) ?

Volksschullehrer (composition lex?ma

tique). A ce ph?nom?ne correspond aussi le type bien connu dans les lan

gues romanes coupe-papier : en effet, ce type combine un compos? prolex?ma tique coupe- (correspondant ? peu pr?s ? ?coupeur?) avec un autre lex?me, dans un compos? lex?matique. Et ce qui caract?rise ce type, c'est que dans la phase de composition lex?matique on y supprime le d?rivatif explicite du

compos? prolex?matique ainsi que, le plus souvent, les pr?positions qui

appara?traient dans les constructions ?quivalentes en syntaxe libre (par

exemple: coupeur de papier). C'est-?-dire que, du point de vue du contenu, ce type de compos?s est exactement analogue aux types all. Federhalter, it.

pescivendolo, qui, eux aussi, consistent en un compos? prolex?matique (Hal ter, -vendolo) en composition lex?matique avec un autre lex?me ; cf. notre

contribution ?Inhaltliche Wortbildungslehre (am Beispiel des Typs coupe

papier) ?, dans Perspektiven der Wortbildungsforschung, publ. par H. E. Brekle et D. Kastovsky, Bonn 1977, pp. 48-61.

3.4.3. Il faut encore remarquer qu'? des formations ?quivalentes dans

la d?signation peuvent correspondre dans des langues diff?rentes (et, en

partie, aussi dans une seule et m?me langue) des proc?d?s formatifs ou des

combinaisons de proc?d?s non ?quivalents et, par l?, des signifi?s assez

diff?rents. Ainsi, par exemple, fr. sans-g?ne (adj.) est un d?veloppement de sans g?ne, tandis qu'ail, schamlos est un compos? ; fr. d?barquer est un d?ve

loppement primaire de de [la] barque, tandis qu'esp. desembarcar est une

combinaison d'un d?veloppement (en barco ?embarcar) avec une modifica

tion ( ?desembarcar). Moins profonde qu'on ne le pense est pourtant la

diff?rence entre pommier et Apfelbaum, arrosoir et Giefikanne ; il ne s'agit pas dans ce cas de ? d?rivation ? et ? composition ? mais de deux types formatifs

tr?s proches, pr?cis?ment des deux types fondamentaux de composition :

pommier et arrosoir sont des compositions prolex?matiques, tandis qu'Apfel baum et Giefikanne sont des compos?s lex?matiques. Et des ?quivalences de ce genre se constatent aussi ? l'int?rieur de la m?me langue (cf. all. Handler

et Handelsmann).

4. Ce que nous venons d'exposer et en particulier ce qu'on a remarqu? dans le ? 3.4.1. signifie que la formation des mots est un domaine auto

nome de la langue qui inclut des aspects ? paragrammaticaux ? et des aspects

purement lexicaux, que c'est un continuum hi?rarchiquement ordonn?, qui commence par les types fondamentaux des proc?d?s formatifs et arrive jus

qu'aux fixations particuli?res de tel ou tel lex?me. Et l'?tude de la formation

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Cahiers Ferdinand de Saussure 35 (1982)

des mots ne peut ?tre qu'une branche autonome de la s?mantique fonction

nelle qui commence par les fonctions paragrammaticales des proc?d?s for

matifs et arrive, en descendant vers le particulier, jusqu'aux fixations dans

la d?signation. Par cons?quent, l'alternative ??tude de la formation des mots au niveau de la syntaxe ou au niveau du lexique??, alternative qui, de nos jours, pr?occupe tellement les g?n?rativistes de diff?rentes couleurs, est d?nu?e de sens et de fondement rationnel et est fausse d?j? en tant

qu'alternative, puisque tout simplement la formation des mots ne peut pas

appartenir ou bien ? la syntaxe ou bien au lexique. Dans la soi-disant ? syntaxe ?

? m?me en faisant abstraction du fait que les fonctions gramma ticales ne sont pas les m?mes dans la formation des mots et en grammaire strictement telle ?, on ne peut ni constater ni justifier, par exemple, les

domaines d?signatifs et les ?lexicalisations?; et au niveau du soi-disant

?lexique? ? o? l'on peut sans doute constater et ?ventuellement justifier ces

aspects ?, il est absolument impossible de d?terminer les paradigmes fonc

tionnels, les fonctions paragrammaticales des proc?d?s formatifs, de sorte

que l'unit? s?mantique de chacun de ces proc?d?s se dissout dans une

casuistique h?t?rog?ne. Et il faut en dire de m?me de l'approche soi-disant

?pragmatique? qui, au lieu de partir des fonctions de langue, part des r?alisations et des restrictions particuli?res : une pragmatique coh?rente de

la formation des mots, m?me en tant que pragmatique, peut ?tre faite

uniquement ? partir, et en descendant, de la s?mantique de la langue, et non pas ? l'inverse.

Universit?t Tubingen Romanisches Seminar

Wilhelmstrasse 30

7400 Tubingen Allemagne f?d?rale

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