les origines du gnosticisme, étude d'histoire religieuse : thèse pour le baccalauréat en...
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8/3/2019 Les origines du gnosticisme, tude d'histoire religieuse : thse pour le baccalaurat en thologie
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Maury, Lon (pasteur). Les origines du gnosticisme, tude d'histoire religieuse : thse pour le baccalaurat en thologie... soutenue devant la Facult de thologie protestante de
Montauban.... 1884.
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LES
ORIGINES DU GNOSTICISME
TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE
PAR
LON M AURY
iv dd xx fxuaTipta navra, /.o r.daav zr,v yvtciv, rj.%r,vdk [rii /w, oSveip.i.
I CORINTHIENS,XIII,2.
MONTAUBAN
IMPRIMERIE ADMINISTRATIVEET COMMERCIALEJ. GRANI
Boulevard de la Citadelle
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LES
ORIGINES DU GNOSTICISME
TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE
THSE
POUR LE BACCALAURATEN THOLOGIE
PUBLIQUEMENTSOUTENUE
DEVANTLA FACULTDE THOLOGIEPROTESTANTEDE MONTAUBAN
EN JUILLET 1884PAR
LON MAURY
DENIMESLICENCIES LETTRES
MONTAUBAN
IMPRIMERIE ADMINISTRATIVEET COMMERCIALEJ. GRANI
Boulevard de la Citadelle
1834
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REPUBLIQUEFRANAISE
UNIVERSIT DE FRANGE
Acadmie de Toulouse
FACULT DE THOLOGIE PROTESTANTE DE MONTAUBAN
PROFESSEURS
MM.
BOYS, *, Doyen, Morale et loquence sacre.
NICOLAS,*, Philosophie.PDZERT, *, Littrature grecque et latine.
MONOD,*, Dogmatique.BRUSTON, Hbreu et critique de l'A.-T.
WABNITZ, Exgse et critique du N.-T.
DOUMERGUE, Histoire ecclsiastique.LEENHARDT,charg d'un cours de Sciences naturelles.
SAYOUS,charg d'un cours d'Histoire et de Littrature.
EXAMINATEURS
MM. PDZERT, *, Prsident de la soutenance.BRUSTON.WABNITZ.DOUMERGUE.
La Facult ne prtend approuver ni dsapprouver les opinionsparticulires du Candidat.
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LES ORIGINES DU GNOSTICISME
TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE
iv eJw x y.vaxr,pix iraVra,
%cdR.aa.vXYJVyvwatv, aymw' pii yjra, ovQvripi.I CORINTHIENS,XIII,2.
INTRODUCTION
Tout ce qui touche aux origines du christianisme, est
l'ordre du jour. Nous n'avons pas besoin d'insister sur
l'intrt qui ss'attache ce sujet ; chacun sait quel pointles esprits s'en sont passionns, tant en France qu'en
Allemagne et en Angleterre. Revenir sur ces problmes
seraitbien
tmrairedans
une modeste tude comme lantre ; mais il y a des questions secondaires dont l'examen
pourra jeter quelque lumire sur la question capitale, et
qui, bien qu'elles ne viennent pas en premire ligne, ont
cependant une certaine importance : parmi celles-l, la
recherche des origines du gnosticisme nous semble avoir
une place lgitime.
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Dterminer, d'une faon prcise, quelles sont les sourcesde cette philosophie trange, qu'un historien a qualifiede cauchemar de l'humanit (1), et qui a eu cepen-dant un si grand renom, savoir d'o elle vient, quelleinfluence l'a produite, dans quelle mesure les ides chr-
tiennes ont concouru sa formation, toutes ces questionsne manquent pas d'intrt, et leur solution est peut-tre
plus grave qu'on ne le croirait au premier abord.Plusieurs hypothses sont, en effet, en prsence : d'aprs
les unes, le gnosticisme est le produit d'une importationdans le sein du christianisme de la plupart des tho-
sophies et des cosmogonies de l'antiquit : On suppose
qu'il se trouva, dans l'Eglise primitive, des hommes d'un
esprit naturellement spculatif qui, vivement excits par
l'enseignement chrtien la recherche des choses spiri-tuelles, essayrent de dcouvrir au fond de la religionnouvelle une mtaphysique subtile, et qui, s'aidant pour
accomplir ce travail des principes des systmes philoso-
phiques ou religieux rpandus cette poque, donnrent
naissance une science thosophique qui, par opposition la foi du simple fidle, fut appele l gnose. Ou bien
encore, on admet que des hommes, imbus dj avant
d'entrer dans l'Eglise des opinions thosophiques quiavaient cours en ce moment Alexandrie et dans l'Asie
Mineure, comprirent la doctrine chrtienne travers leurs
conceptions religieuses antrieures, et, les mlant la foi
(1) De Pressens, Histoire des trois premiers siclesde l'Eglise chr-tienne, vol. II, p. 441.
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nouvelle, produisirent une sorte de thosophie, qui, touten conservant une apparence extrieure de christianisme,
diffra cependant de l'enseignement des aptres, autant parsa tendance gnrale que par de nombreux dtails (1).
Baur et Hilgenfeld soutiennent que le gnosticisme est
un dveloppement naturel du christianisme : Celui-ci
ne doit plus tre considr ds lors comme le principe du
salut,mais comme le
principedu monde
(2).Le chris-
tianisme va se transformer en une cosmogonie, mais il ne
cessera pas pour cela d'tre le christianisme; en d'autres
termes, le gnosticisme est simplement une phase de l'vo-
lution ncessaire du principe chrtien (3). On comprendde quelle importance est une pareille affirmation et quelles
consquences elle entrane : transformer le christianisme
en une thosophie aussi nuageuse,' aussi fantaisiste que la
thosophie gnostique, c'est abandonner compltement latradition vanglique et quitter le domaine de la rvlation
divine pour celui de la spculation purement humaine.
Il s'agit donc de savoir exactement ce qui en est : il faut
chercher les premires traces des ides que les thosophesdu IIe sicle ont systmatises et professes sous le nom
spcieux de la Connaissance (yi/wai) et voir si c'est en
ralit le christianismequi
les leur a fournies.
(1) MichelNicolas, Les origines du gnosticisme (Nouvelle Revuede Thologie.Strasbourg, 1860, vol. V, p. 324).
(2) Baur, Das Christenthum der drei ersten lahrhunderte. DritterAbschnitt, p. 159
(3) Voir Ersch u. Gruber Encyclopoedie,article Gnosticismus
(Lipsius), p. 228-231.
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Il est certain qu' un moment donn il y a eu des em-prunts. Les gnostiques, Valentin et Marcion surtout, n'ont
pas pris une position hostile la religion chrtienne ; loin
de l, puisqu'ils ont mme eu la prtention d'en tre les
vrais reprsentants (1). L-dessus peu prs tous les
critiques sont d'accord. Mais, avant que les diffrents
systmes se soient forms, o taient les lments qui les
ont constitus? Au fond, les diverseshypothses que
nous
venons de rappeler se rduisent cette alternative :
Ou le gnosticisme est une thosophie trangre au
christianisme, qu'on a voulu mettre en accord avec la
nouvelle religion ; ou c'est, au contraire, un produit na-
turel, logique, ncessaire, de la doctrine chrtienne.
Voil la question que nous nous proposons d'examiner.
Un coup d'oeil, mme superficiel, jet sur les diverssystmes gnostiques, montre tout de suite que, malgrleur varit, ils ont tous un fonds commun. La gnoseoffre une remarquable unit. Ses nombreuses coles ne
se distinguent les unes des autres que dans des points de
dtail, ou, pour mieux dire, que dans les termes moyens.
L'esprit est essentiellement le mme dans toutes, et les
diffrences secondaires ne sontpas
denature
en altrer
(1) " Le gnosticismese donne constamment pour une science chr-tienne, ou, pour mieux dire, comme la seule vritable science chr-tienne. Nicolas, Origines du gnosticisme (Nouvelle Revue deThologie,vol. v, p. 324). Les gnostiques disaient en parlant de l'en-seignement de Jsus-Christ : Personne n'entend les mystres que lesseuls parfaits gnostiques. (Philosophoumena, v, 8, p. 160.)
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le caractre gnral. Elles ne sont, en dfinitive, que desvariations d'un thme commun ou que des explicationsdiverses d'un mme systme (1). Il est vident que des
philosophies aussi singulirement composes que celles-l
n'apparaissent pas un moment prcis de l'histoire sans
antcdents qui les prparant et sans influences diverses
qui les mrissent. La mthode historique est la seule
rationnellequand
ils'agit
de chercher lagense
d'un
systme, moins qu'il ne soit tellement nouveau et telle-
ment un qu'on y voie immdiatement l'empreinte d'un
gnie unique et tout fait original. Ce n'est pas le cas du
gnosticisme et l'existence de ce fonds, commun des
doctrines diverses sans tre exclusivement rclam par
aucune, prouve que cette thosophie n'a pas t cre de
toutes pices et qu'on peut, au contraire, lui trouver des
origines historiques et psychologiques.O et quand doit-on les chercher? Si, au IIe sicle, les
systmes sont dj constitus et s'ils ont dj une si grande
renomme, c'est que leur laboration successive date de
loin : La gnose n'a pas atteint sa maturit en un clin
d'oeil, et, quand on la voit rpandue sur toute la surface
de l'Empire romain, divise en coles nombreuses, pro-fessant des
systmesnettement formuls
et parfaits dansleur genre, on est forc d'admettre qu'elle a dj pass parune priode plus ou moins longue de formation, et de
chercher son origine pour le moins au commencement de
(1) Nicolas,NouvelleRevuede Thologie,art. cit, p. 333.
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l're chrtienne (1). Mais nous ne pouvons pas nousattendre rencontrer au Ier sicle des thories aussi nettes,
aussi prcises qu'au IIe ; la pense humaine progresse ;
les gnrations, en se succdant, accroissent le patrimoineintellectuel que leur transmettent les gnrations prc-
dentes; elles dveloppent ces ides, les tendent, les
gnralisent, les formulent. A cette marche naturelle
s'ajoute l'influence du milieu, qui donne une certaine
direction au travail de la pense, influence et direction
qui sont mises en vidence par le dveloppement parallledes systmes contemporains et qu'on ne peut ngliger. Le dveloppement de la philosophie, dit M. Ritter,
dpend sous bien des rapports du dveloppement des
autres sciences, de celui du sentiment religieux dans toute
l'humanit, des relations des peuples entre eux... La
philosophie n'est pas moins soumise l'influence de lavie intrieure des peuples au sein desquels elle se dve-
loppe, dans la famille, dans l'Etat, dans l'art, celle enfin
des circonstances o ont vcu les hommes qui ont con-
tribu son progrs (2).Nous serons donc amens prciser aussi exactement
(1) Nicolas, NouvelleRevuede thologie,art. cit, p. 326.(2) H. Ritter, Histoire de la philosophie ancienne, introd., p. 10.
On sait combien, dans notre sicle, l'cole de Tubingue a insist surcette ncessitde tenir compte de l'volution naturelle de la pense;aussi Lipsius, dans son article Gnosticismus (Ersch u. Grber En-
cyclopoedie),placa-t-il la gnose dans le milieu historique et psycholo-gique o elle est ne. Il la regarde comme un produit logique des ideschrtiennes, qui, d'aprs lui, en renferment le principe.
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que possible les thories fondamentales du gnosticisme, dterminer le milieu dans lequel elles sont nes, me-
surer l'influence qu'il a pu avoir sur elles, rechercher
les traces de leur dveloppement dans les documents de
l'poque, et enfin dcouvrir leur vritable source dans
les systmes antrieurs.
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PREMIRE PARTIE
LES IDESGNOSTIQUESPENDANTLE PREMIERSICLE
L'axiome fondamental de tous les systmes gnostiques
peut s'noncer ainsi : Le bien rside dans la connais-
sance. La gnose, le mot lui-mme l'indique, c'est larecherche de la connaissance : tout est l ; le systme en
entier se dduit logiquement de cette premire affirma-
tion (1). Or, parler du bien, c'est faire supposer qu'il
s'agit d'une thorie morale sur le bien et le mal ; dire de
plus que ce bien nous est donn par la connaissance, c'est
impliquer qu' cette thorie morale doivent se joindre des
spculations mtaphysiques. C'est l, en effet, le double ca-
ractre du gnosticisme.
(1) Baur pense, au contraire, que la caractristique du gnosticismeest le dualisme. Hilgenfeldla voit dans la distinction des deux dieuxet la thorie de Dmiurge. Lipsius ramne tout la recherche de laconnaissance. (Voir Ersch u. GrberEncyplopoedie, art. cit, p. 234-235.)
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Examinons d'abord la thorie morale : elle roule toutentire sur la question de l'origine du mal. Dieu, tant le
bien absolu, a-t-il pu crer le mal? Evidemment non; il
faut imaginer alors un principe indpendant de Dieu par
lequel la force cratrice a t contrarie et mme limite.
Ce principe oppos, ce royaume du mal, c'est le monde
matriel; a-t-il entrav l'oeuvre de la cration en prsen-tant une rsistance inerte, ou bien, au contraire, en boule-
versant et en troublant un ordre primitif? Sur ce point,les ides diffrent suivant les systmes ; mais il y a unani-
mit dans cette conception fondamentale : la matire est
la source et le sige du mal. C'est le dualisme, et au dua-
lisme thorique correspondent ncessairement deux sortes
de morale pratique. Si la matire est la source du mal, il
faut nous en dlivrer et rduire autant que possible les
rapports que nous aurons avec elle ; de l, l'asctisme, etcet asctisme a t pratiqu avec la plus extrme rigueur
par plusieurs sectes. Ou bien, et voici l'autre terme de l'al-
ternative, puisque la matire est par elle-mme mauvaise,il n'y a pas s'occuper du monde sensible : on ne doit
songer qu'aux choses suprieures et, pour le reste, suivre
les impulsions naturelles. Le principe asctique donne en-
coretrop d'importance
la matire ; il faut n'avoirpourelle que l'indiffrence la plus complte : de l une licence
sans frein (1). Comme exemple de l'un de ces extrmes,
l'asctisme, on peut citer les Encratites ; et, comme exem-
(1) Voir Lightfoot, St Paul Epistles to the Colossians and Phi-lemon, p. 78-81.
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ple de l'autre, l'immoralit, les Carpocratiens et les Ca-
nites (1).En mtaphysique, le dualisme entre la matire et l'esprit
se retrouve et donne naissance la cosmogonie suivante :
si la matire est la source du mal, ce monde ne peut tre
que l'oeuvre d'un Dieu imparfait ; ce n'est pas une puis-sance toute intelligente, toute bonne et, par consquent,
toute spirituelle qui l'a cr; donc, cration du monde parune divinit infrieure, le Dmiurge. Entre ce monde et
le principe absolu, le principe du bien par excellence, le
vrai Dieu, une communication directe ne peut s'tablir,
puisque l'un est la source du bien et l'autre la source
du mal. Il y a entre eux un certain nombre d'tres in-
termdiaires, d'manations successives, les ons, orga-niss en hirarchie, runis par paires ou syzygies, et dont
la srie descendante mnage la transition entre Dieu et le
monde, entre l'absolu et le relatif (2).Voil les ides qui se retrouvent dans tous les systmes
gnostiques, et, en ralit, elles sont troitement lies,
puisque c'est toujours le dualisme de l'esprit et de
la matire, de l'esprit par lequel on connat, et de la
(1)VoirClment
d'Alexandrie, Stromates, III, p. 428, d. de Paris,1641. Irne (Adversus hoereses,liv. I, xxv) refuse de croire l'im-moralit des Carpocratiens, mais Thodoret (Hoereticcefabuloe, I, 5)l'affirme.Pour les Canites, voir Irne (Adversushoereses,liv. I, XXI);pour les Encratites, voir Philosophoumena,liv. VIII, 20.
(2) Se donnant pour les reprsentants de la vraie religion rvle,les gnostiques employaient de plus une exgseallgorique absolumentarbitraire pour accommoder leurs thories les donnes de l'AncienTestament et plus tard les discours de Jsus-Christ.
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matire obstacle la connaissance. Connatre les relationsdes ons, connatre le mcanisme du monde, connatre le
mal, voil le bien suprme, le salut : Pour eux, con-
natre est tout, le reste n'est rien (1). Or, comme tous
les hommes ne sont pas capables de cette connaissance
suprieure, pour les uns la foi seule sufft, mais ceux-l
sont les faibles, les hommes matriels (vXmo,
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spculations et des vaines recherches sur l'absolu allie un asctisme souvent trs exagr ou une immoralit
parfois inoue. Certainement l'atmosphre morale et in-
tellectuelle n'tait pas dfavorable la croissance d'une
telle plante : la mme contre qui avait produit dans la
philosophie spculative un Thaes et un Hraclite a vu
se dvelopper, dans une religion populaire, l'adoration
de la Cyble phrygienne et de la Diane d'Ephse. Les
spculations cosmologiques, les thosophies mystiques,le fanatisme religieux avaient l leur foyer (leur home) (1).
Alexandrie, ce somptueux carrefour de toutes les
ides du temps, o l'Orient et. l'Occident s'amalga-
maient (2), devait tre la patrie de ces philosophiesmoiti orientales, moiti occidentales, rveries inutiles
d'un ct, lgalisme purement formaliste de l'autre. C'est
l'influence qui pse sur tous les systmes de l'poqueet que chacun a ressentie en quelque mesure. Le rsultat
en tait que tout ce qui pouvait se prter l'une ou l'au-
tre de ces tendances tait dvelopp, augment et enfin
formul dans le langage de l'cole. C'est ce qui arriva pourle gnosticisme, et il faut convenir que nul pays et nulle
poque n'et t plus propice pour aider l'apparition,au dveloppement et la vogue de pareilles ides.
Aussi de bonne heure sont-elles en faveur. Nous avons
peu de dtails sur leur existence au Ier sicle, mais nous
en possdons pourtant assez pour juger du crdit dont
(1) Lightfoot,ouv, cit, p. 97.(2) De Pressens, ouv. cit, vol. I, p. 299.
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elles jouissaient et de la position qu'occupaient leurs repr-sentants vis vis des premiers chrtiens. Nous trouvons en
effet ces dtails dans les livres du Nouveau Testament (1).
Tous les historiens peu prs s'accordent voir dans
ce Simon le Magicien dont nous parle le livre des Actes un
des premiers reprsentants du gnosticisme (2). C'est environ
sept ans (3) aprs l'ascension de Jsus-Christ que Philippedescendit dans une ville de la Samarie et y prcha le Christ.
Il y avait auparavant dans la ville un homme nomm
Simon qui, se donnant pour un personnage important,
(1) Les renseignements que nous donnent les Pres de l'Eglise sonttirs pour la plupart des textes mme des aptres. Nous indiqueronsen passant leur opinion, quand elle aura une importance spciale.
Pour ce qui concerne les crits du NouveauTestament, nous ne pou-vons pas entrer dans la discussion de leur authenticit. Nous feronsseulement observer que les critiques qui se fondentjustement sur lestextes o il est fait allusion au gnosticisme pour renvoyer la rdactionde cescrits au IIe sicle font une ptition de principe, puisqu'ils sup-posent a priori que lesides gnostiquesn'apparaissent pas au Ier sicle;c'est l prcisment ce qu'il faut dmontrer. (Voir Hilgenfeld, DasGnosticismus und das Neue Testament . Zeitschrift fr wissen-schaftliche Theologie,1870.)Nous nous appuyons pour admettre leurauthenticit sur des raisons internes, et nous remarquons particuli-rement que, si ces crits taient l'oeuvre de quelque faussaire duIIe sicle, les allusions aux thories gnostiques seraient autrementprcises et dtailles que ce quelles sont, tant donn la place que cesthories occupent alors dans l'Eglise et l'importance que leur accor-dent les Pres de cette poque.
(2) Irne l'appelle le pre de toutes les hrsies.(3) Mansel, The gnostic heresies of the first and second centuries,
p. 79.
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exerait la magie et provoquait l'tonnement du peuplede la Samarie. Tous, depuis le plus petit jusqu'au plus
grand, l'coutaient attentivement et disaient : Celui-ci
est la puissance de Dieu, celle qui s'appelle la grande.
Ils I coutaient attentivement parce qu'il les avait long-
temps tonns par ses actes de magie. Mais, quand ils
eurent cru Philippe, qui leur annonait les choses
concernant leroyaume
de Dieu et le nom de Jsus-Christ,
hommes et femmes se firent baptiser. Simon lui-mme
crut, et, aprs avoir t baptis, il ne quittait plus Philippe,
et il voyait avec tonnement les miracles et les grands
prodiges qui s'opraient Lorsque Simon vit que le
Saint-Esprit tait donn par l'imposition des mains des
aptres (Pierre et Jean), il leur offrit de l'argent en disant :
Accordez-moi aussi ce pouvoir afin que celui qui j'impo-
serai les mains reoive le Saint-Esprit. Mais Pierre lui dit :
Que ton argent prisse avec toi, puisque tu as cru que le
don de Dieu s'acqurait prix d'argent ! Il n'y a pour toi
ni part, ni lot dans cette affaire, car ton coeur n'est pas
droit devant Dieu. Repens-toi donc de ta mchancet, et
prie le Seigneur pour que la pense de ton coeur te soit
pardonne, s'il est possible, car je vois que tu es dans
un fiel amer et dans les liens de l'iniquit. Simon rpon-dit : Priez vous-mmes le Seigneur pour moi, afin qu'il
ne m'arrive rien de ce que vous avez dit (1).Tel est le rcit des Actes. Simon y est appel la grande
puissance de Dieu, et, d'aprs le texte, h dwa/xi? TOGSO
(1) Actes,VIII.
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f>'mkw[ihm pyAY], on peut impliquer que le magicienenseignait l'existence de diverses puissances de Dieu, les-
quelles lui taient infrieures. Qu'il ait emprunt ces
termes la philosophie alexandrine et Philon, qu'il ait
voulu s'attribuer l'galit avec Dieu en se posant comme
le Xyo,que, par l, il ait t conduit au doctisme, qu'il
ait eu l'ambition d'tre un messie samaritain, rival du mes-
sie juif (1), tout cela ne repose et ne peut reposer quesur
des hypothses, puisque nous manquons de textes certains.
Cependant, les dtails abondent sur son histoire;
malheureusement, on ne peut leur accorder qu'uneconfiance trs-limite. Il serait n Gitten ou Gitta selon
les uns (2), Chypre selon d'autres (3). Il se prsentaitaux hommes comme le Xyo: Ego sum sermo Dei,
disait-il, ego sum speciosus, ego paracletus, ego omnia
Dei (4). Sa doctrine est d'ailleurs expose tout au long
par Irne (5). Il aurait, parat-il, achet Tyr une pros-
titue, Hlne, qu'il tranait partout aprs lui en disant
qu'elle tait la premire conception (woia) de sa pense,la mre de toutes choses ; procdant de lui et connaissant
les dsirs de son pre, elle tait descendue dans un monde
infrieur, y avait produit les anges et les puissances; mais
comme ceux-ci ne voulurent pas lui permettre de retournerauprs de son pre, sans cesse en butte leurs moqueries et
(1) Mansel, ouv. cit, p. 80 ss.(2) Justin Martyr, Apolog.,I, 26; II, 16. Phihsophoumena, VI,7.(3) Josphe,Antiquit., XX,7, 2.(4) Saint-Jrme, In Matth., XXIV,5.(5) Irne, Adv. hcer., I, XXIII.
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leurs insultes, elle demeura sur la terre pendant plusieurssicles, habitant des corps de femme ; ce fut cause de
cette mme Hlne que la guerre de Troie fut faite. De
vicissitudes en vicissitudes, elle arriva l'tat plus que
misrable d'o Simon dut venir lui-mme la dlivrer;
il apporta en mme temps le salut au monde en se faisantconnatre lui-mme (1). Les anges, auteurs du monde, l'a-
vaient, en effet, mal gouvern, cause de leurs ambitions ri-
vales, et il fallait tout rtablir en les rabaissant leur vraie
place et en les rendant tous gaux. C'est pourquoi il vint
semblable un homme au milieu des hommes, mais pour-tant il n'tait pas rellement homme, et il souffrit en Jude
en apparence sans souffrir en ralit. Il ajoutait encore
quelques spculations sur les prophties qui, d'aprs lui,
avaient t inspires par les anges, gouverneurs du monde.
Les Philosophoumena (livre VI) lui prtent aussi unsystme d'aprs lequel tout serait sorti du Feu ou du
Silence ; le premier principe aurait produit six racines
(pt't), allant deux par deux, qui elles-mmes auraient
produit le monde. Quoi qu'il en soit et quelle que soit la
part de vrit contenue dans ces rcits, il est certain queSimon a t considr par tous ces auteurs comme le predu
gnosticisme.On trouve en
germechez lui les
syzygksles ons (Simon et Hlne, vo et woia), la cration du
monde par l'intermdiaire d'une puissance infrieure et
les spculations sur les anges. Le dtail seul qui est contenu
dans les Actes nous indique clairement qu' cette poque
(1) Per suam agnitionem. Irne, Adv. hoer.,I, XXIII.
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des thories assez accrdites sur les anges ou les puissancesclestes commenaient se rpandre ; les arts magiquestaient passablement cultivs, comme nous le prouventaussi les livres de magie brls Ephse et l'existence
d'exorcistes juifs (1).En somme, des thosophies plus ou moins compltes
s'laboraient et prparaient l'avnement de la grandesecte.
Quant Simon lui-mme, la fin de sa vie a t le sujetd'anecdotes lgendaires. Justin Martyr, Hgsippe, Ar-
nobe et bien d'autres parlent de lui et placent le lieu de
sa mort Rome o, voulant confondre les aptres
Pierre et Paul devant l'empereur Claude, il aurait t lui -
mme victime de sa fourberie. Mais plusieurs de ces rcits
sont probablement apocryphes, tmoin celui de Justin
Martyr qui prit une statue du dieu Semo Sancus pour unestatue leve au magicien de Samarie (2).
Avant la fin du premier sicle, la doctrine ou les
doctrines se constituent avec une nettet de plusen plus grande (3), et leurs adeptes deviennent assez
(1) Actes,XIX,13-19.(2) Voir Mansel, ouv. cit, p. 91-94.(3) Voir aussi, pour les rapports du gnosticismeet du christianisme
primitif, Hilgenfeld,Zeitschrift fr wissent. Thol., 1870, art. cit.Malheureusement, tout son systme pche par la base, puisqu'il nie a
priori qu'il y ait eu des gnostiquesau Ier sicle. Il soutient d'ailleursdans cet article la thse que nous avons mentionne plus haut, c'est--dire que le gnosticismeest un produit du christianisme.
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remuants. Les ptres de saint Paul nous fournissentdes dtails prcieux sur cette volution. Nous les trouvons
dans les lettres adresses soit des Eglises qui taient
particulirement en rapport avec l'Orient et Alexandrie,
soit aux communauts mmes de l'Asie-Mineure.
Corinthe, grce son commerce, avait des relations
permanentes avec l'Egypte et pouvait subir facilement
l'influence des ides alexandrines. Dans la premire ptre
aux Corinthiens, nous trouvons le mot de 'yvois employ
dans un sens dfavorable : yvaii cfuciot, i $ ydLvn oo-
O[L(1). La circonstance dans laquelle ces mots sont
employs nous autorise d'autant plus y voir une allu-
sion aux hrsies naissantes ; il s'agit des viandes sacri-
fies aux idoles : est-il permis d'en manger ? Or, nous
savons que Simon le Magicien permettait ses disci-
ples de participer aux sacrifices idoltres (2).Il est probable qu'il fondait cette libert sur la sup-
riorit que donne la connaissance, la yvwat; l'homme qui
possde cette suprme science n'a que faire de semblables
scrupules (3). Le contexte justifie d'ailleurs parfaitement
cette hypothse : e TI doxe iyvmxivou xi, OVTKvyut
(1) I Cor.,VIII, 1.(2) Origne, Contra Celsum, VI, 11 : xalxot yi VTtkpxov i:'kdova$
rcayaysaSai o 2,1pw xov TOpt TOQCCVXXOVxt'vdvyoy, w /piff-xiy.vnl cripita^xi kiidccyQriascv,7rspte)exwu px%x>v ey^iaope/KVTOVoYiaHtf7rpXVJewXoXa-rptav.
(3) Nous avons remarqu plus haut que certains gnostiques se sontabandonns la licencela plus effrneen s'excusant par un raison-nement analogue.
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xaw Jet yvwvat
d $ ti dtyxnA xov Qtv,ouro yv
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de Laodice, ou qu'elle ait t une lettre circulaire, peunous importe pour notre sujet, car il est un fait toujours
incontestable, c'est qu'elle tait destine des lecteurs
asiatiques. Or, ici nous sommes dans la patrie par excel-
lence des spculations mtaphysiques, et le terrain tait
plus que favorable pour le dveloppement de la thoso-
phie gnostique : on tait enclin accepter ce genre de
thories,et la tournure
gnralede
l'espritse
prtaitais-
ment toutes ces nuageuses et mystrieuses innovations.
C'est Ephse, en effet, que furent brls les livres de
magie, et, puisque la somme ainsi sacrifie quivalait cin-
quante mille pices d'argent, on peut supposer que ces ou-
vrages taient assez nombreux, ou, au contraire, rares, mais
alors trs apprcis. C'est Ephse aussi que les exorcistes
juifs se livraient l'exercice de leur profession (1). Il y
avait donc des magiciens dans le genre sans doute deSimon, et les allusions que fait saint Paul leur enseigne-ment ne nous laissent gure d'incertitude sur ce qu'ils de-
vaient tre. Quand il prie Dieu que les Ephsiens
comprennent l'amour de Christ qui surpasse toute'
intelligence, yvwou xriv vmpSHovaxv XYHyvcoewayairwTOOXptaro (2), il semble avoir une intention analogue
celle de ICorinthiens, VIII,
6 : La connaissanceenfle,mais l'amour difie. Ces communauts (3) devaient
tre travailles par un dsir de connaissance trs entretenu
par de faux docteurs; leur horizon leur paraissait trop
(1) Actes, XIX.(2) Ephsiens, III, 19.(3) Voir d'ailleurs, pour les hrtiques d'Ephse, p. 35;
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born et elles aspiraient quelque science suprieuredes choses. Or, nous avons vu que c'est prcisment ce
dsir de connatre qui est la base de tous les systmes
gnostiques (1).
L'ptre aux Colossiens, crite en mme temps que celle
aux Ephsiens, est encore plus explicite. D'abord nous
sommes certains, cette fois, qu'il y a de faux docteurs dans
la communaut, et,d'aprs
lelangage
del'aptre,
voici les
ides qu'on peut leur attribuer : se dcorant du nom pom-
peux de philosophes, ils prtendaient possder une con-
naissance suprieure des choses spirituelles, connaissance
que le simple enseignement vanglique ne pouvait
donner; ils croyaient que le mond tait l'oeuvre d'un dieu
infrieur; ils s'attribuaient de plus la facult de contem-
pler le monde invisible et ils se livraient des spculations
sur les diverses classes d'anges et sur l'adoration qu'onleur devait. Enfin, ils pratiquaient un asctisme exagr
qui fait supposer qu'ils regardaient la matire comme la
source du mal. Tous ces caractres se dduisent aisment
de la polmique de l'ptre (2), et nous avons peine be-
soin d'indiquer combien ils se rapprochent de ce que
pouvait tre le gnosticisme cette poque : le dsir de la
(1) Quant aux textes o le mot irXipc/ixaest employ, nous nechercheronspas y voir des allusions au gnosticisme,car la chronologiedu langage gnostique est trop obscure pour nous permettre d'affirmerque Paul s'est servi ici d'un terme gnostique et que, au contraire, cene sont pas les faux docteurs qui ont plus tard fait des emprunts la
langue du NouveauTestament.(2) Col., I, 12-20; II, 3, 4, 8, 16-23.
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connaissance, la cration du monde par un intermdiaireinfrieur Dieu, les thories sur les anges; les macra-
tions et les dfenses nous amnent voir dans ces faux
docteurs des prcurseurs de Valentin et de Basilide (1).Dans les ptres Timothe et Tite, nous recueillons
encore quelques mots qui signalent l'existence de ces
doctrines Ephse et Crte. Quant Paul parle de ces
gnalogies sans fin qui produisent des discussions plutt
qu'elles n'avancent l'oeuvre de Dieu dans la foi, (yevexXoyi'ai
nepxvxoi,, t'nve xirviaet TtapiyjiVGivpwcXXovrj otxovoLiiav
0eoxr,v v TTi'orsi)(2), il s'agit probablement des discussions
interminables sur la hirarchie et les classes des anges.
Puis, plus loin, la tyeufwpio, yvwci (3), qui disputesans doute encore sur ces gnalogies, semble indiquer le
gnosticisme dans sa forme lmentaire, mais assez accrdit
dj pour s'attribuer avec ostentation ce nom de yvui quirestera sa dsignation dfinitive (4).
(1) Nous renvoyons la remarque faite plus haut pour l'argumentqu'on pourrait tirer de l'emploi du terme rrXript>')pidans Colos-siens, I, 19 et II, 9.
(2) 1Tim., 1, 4.(3) I Tim., VI,20.
(4) M. Mansel (ouv. cit, p. 57) s'efforcede prouver que Hymneet Philte (II Tim., II, 16-18) sont des gnostiques, et que cette foi une rsurrection dj arrive est une consquencede la thorie surl'origine du mal; la rsurrection, purement apparente d'ailleurs, deChrist, serait un symbole de notre propre rsurrection, c'est--dire denotre passaged'un tat infrieur un tat suprieur ; cet tat suprieur,c'est la connaissance; quand nous la possdons,nous sommesvraimentressuscits.C'tait l'opinion de Carpocrate (Irne, Adv. hoer., II, XXXI).
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Quelques critiques ont aussi appliqu I Timothe, IV, 1-5 ;II Timothe, m, 1-10 ; II Pierre, n, 1-4, aux gnostiques.Clment d'Alexandrie (1) et Tertullien (2) ont vu express-ment la ralisation de cette prophtie dans les systmes
gnostiques du IIe sicle (3).Les hrtiques de l'ptre de Jude (4) et les Nicolates
de l'Apocalypse (5) pourraient bien se rapprocher aussi des
gnostiques. De mme encore, dans Apocalypse, n, 24, ces
profondeurs de Satan qu'on ne peut sonder (x S9a
TOVaa.xa.va) font penser involontairement au gnosticismedont aucune expression, d'aprs M. Ritter (6), ne pouvaitmieux au point de vue chrtien dsigner le caractre (7).
L'vangile de Jean est, d'aprs le tmoignage catgorique
d'Irne, dirig contre l'hrsie de Crinthe (8). Ce Crinthe,
dans lequel on s'accorde reconnatre un gnostique,
enseignait que le monde n'avait pas t cr par le Dieusuprme, mais par une puissance distincte, et qui ne
connat pas Dieu. Jsus n'est pas n d'une vierge, mais
Celase concilierait d'ailleurs assez bien avec l'exgse allgorique desgnostiques laquelle semble faire allusion II Pierre, III, 16.
(1) Clment d'Alexandrie, ouv. cit, III, p. 447.(2) Tertullien, De Proescr. Hoer., c. 33.(3) Voir Mansel, ouv. cit, p. 65.(4) Jude, 4.(5) Apoc, II, 6, 14-15.(6) Ritter, ouv. cit, t. I, p, 98, 99.(7) Nous renvoyons encore, pour l'emploi du mot aiwv dans cer-
tains textes du Nouveau Testament, la remarque faite propos de
7rXy)p&>pta,page, 34, note 1.(8) Irne, Adv. hoer., III, 11.
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il est le fils de Joseph et de Marie, et sa naissance a ten tout semblable celle des autres hommes ; seulement,
il fut ensuite plus juste et plus sage. Aprs son baptme,le Christ vint sur lui sous la forme d'une colombe, et il
annona alors son pre qu'auparavant on ne connaissait
pas : la fin de son ministre, Christ se spara de Jsus ;
Jsus souffrit et ressuscita, mais Christ fut l'abri de
toutesouffrance, puisqu'il
taitspirituel
(1).Le prologue du quatrime vangile semble bien avoir t
crit pour rfuter ces erreurs, tmoin le texte : Toutes
choses ont t faites par la Parole et rien de ce qui a t fait
n'a t fait sans elle (2). Celui-ci : La Parole a t faite
chair (3), serait oppos l'ide que Jsus et le Christ
taient deux tres spars, unis seulement pour un temps.Irne (4) dclare que Crinthe a t un contemporain de
saint Jean. Quoique professant en Asie, il avait du em-prunter quelques-unes de ses ides Philon, notamment
sa conception du Xyo crateur ; ce mot de Xyo, em-
ploy par saint Jean sans doute dans un sens polmique,s'adresse aussi bien Philon qu' Crinthe.
Les ptres de Jean paraissent viser une autre thorie
gnostique, le doctisme (5), quand elles parlent de Jsus
manifest enchair;
ou encorel'hrsie
deCrinthe,
(1) Philosophoumena.vu, 32. Irne, Adv. hoer., I, XXVI.(2) Jean, I, 3.(3) Jean, I, 14.(4) Irne, m, 3.(5) Jsus-Christ n'aurait eu,d'aprs lesdoctes,qu'un corps apparent.
3 F
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puisque Crinthe niait l'indentit parfaite de Jsus et duChrist (1).
Telles sont les indications que nous donnent les livres
du Nouveau Testament ; on peut en infrer qu'il existait
au Ier sicle une ou plusieurs thories se rapprochant
beaucoup de celles qui devinrent plus tard le gnosticisme ;
le dsir de connatre commenait se faire sentir ; les
spculations sur les tres intermdiaires, le dualisme entre
la matire et l'esprit, l'asctisme qui en est la consquence,
la croyance en un Dieu suprme distinct du crateur et du
dieu des Juifs, toutes ces ides se rpandaient et avaient
suffisamment de crdit. Dans les ptres aux Colossiens et
les. Pastorales, ce ne sont mme dj plus des penseurs,
des thosophes philosophant pour eux-mmes qui les for-
mulent, ce sont des sectaires turbulents et dont la propa-gande proccupe srieusement l'aptre : la fausse doctrine
avait un certain retentissement et russissait se concilier
des partisans. On peut donc en conjecturer que ce ne sont
pas prcisment des nouveauts qui viennent de natre. Nous
constatons leur existence, mais nous ne saisissons pas leur
origine: il faut remonter plus haut. Cet examen des textes
du Nouveau Testament nous a confirm dans l'opinion que
la gnose s'est forme lentement, s'est labore peu peu, a
suivi le courant naturel des ides du temps ; nous avons
pu reconnatre les divers degrs de cette volution.
(1) Voir, pour l'hrsie de Crinthe, Mansel, ouv. cit, p. 74-78;Lightfoot, ouv. cit, p. 107-113,
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Mais, mme abstraction faite de cette circonstance queles ides gnostiques paraissent remonter plus haut queles temps apostoliques, puisqu'elles ont dj des repr-sentants si ardents (1), peut-on trouver dans le christia-
nisme les germes du gnosticisme ? Les principes chrtiens
sont-ils conciliables avec les principes gnostiques ? Prenons
les trois grandes ides du gnosticisme, la connaissance,
l'origine du mal et la cosmogonie, en d'autres termes, le
principe formel et le principe matriel de la nouvelle
thosophie : ces principes sont-ils ceux du christianisme ?
Evidemment, saint Paul recommande souvent la recherche
de la connaissance, mais il n'en a jamais fait le fondement
de sa prdication, puisque toute sa thologie s'appuie sur
la justification par la foi. D'ailleurs, la connaissance qu'il
approuve n'a rien de commun avec les vaines recherches
des faux docteurs : c'est la connaissance de Dieu etde l'amour de Christ (2).
Le dualisme ne se trouve pas davantage dans les doc-
trines chrtiennes, puisque l'origine du mal est dans la
volont mauvaise et dans la rbellion de l'homme contre
Dieu.
Enfin les spculations mtaphysiques sur l'origine du
monde et sur la crationpar
des tres intermdiaires in-
frieurs Dieu est en contradiction avec la thorie van-
glique expose dans le prologue du quatrime vangile
(1) D'ailleurs, Simon le Magiciena bien prcd aussi l'apparitiondu christianisme. (VoirLightfoot, ouv. cit, p. 80.)
(2) Eph., III, 19.
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ou avec l'enseignement de saint Paul dvelopp dans
Colossiens, I, 12-20.
D'ailleurs, l'attitude que prennent les aptres vis vis
des docteurs qui professent les ides gnostiques est trs
significative, puisqu'elle est constamment hostile.
Simon le Magicien n'est au fond qu'un vulgaire ambi-
tieux ; ayant une foi complte dans la thurgie, il n'avait
vu dans le christianisme qu'une thosophie de mmenature que celle qu'il enseignait lui-mme, et, en ralit,son apparente profession de chrtien n'avait d'autre but
que celui d'acqurir les pouvoirs miraculeux des aptres.Plus tard, si nous donnons quelque crdit aux lgendes
rappeles plus haut, il devint ouvertement l'ennemi
du christianisme ; or, comme il est difficile d'admettre
qu'on ait form tout d'une pice la biographie de cet
homme singulier sans qu'il y et le moindre fonds de
vrit, il est probable que quelque fait authentique a servi
de thme primitif de larges amplifications. Quoi qu'il en
soit, mme dans le rcit des Actes, la position qu'il prendvis vis du christianisme montre suffisamment qu'iln'en a pas pntr le vritable esprit et qu'il ne peut re-
vendiquer le nom de chrtien.
Toute la polmique de saint Paul et de saint Jean contrela fausse connaissance, l'asctisme outr, les spculations
inutiles, indique un antagonisme profond entre la nou-
velle doctrine et la religion chrtienne; et, non seulement
ces erreurs sont opposes au principe chrtien, mais en-
core elles viennent du dehors et ne sont pas des dviations
intrieures de ce principe. Ceux des aptres qui eurent
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occasion de se prononcer contre le gnosticisme le regardent,non comme une erreur ne dans le sein de l'Eglise, mais
comme une philosophie trangre qui porte le trouble au
milieu des fidles en cherchant les gagner elle et les
dtourner de la foi... Ce sont des thosophes qui ont trouv
dans la loi chrtienne quelques rapports lointains avec
avec leurs propres ides, et qui, accommodant leur langage
aux croyances chrtiennes, se prtendent les vritablesinterprtes de la doctrine du Matre, et c'est l un des
caractres les plus marqus du gnosticisme (1).Saint Jean, il est vrai, dans sa premire ptre (II, 9), par-
lant des hommes qui nient le Pre et le Fils et dans lesquelsil serait difficile de ne pas reconnatre des gnostiques, les
reprsente comme des membres infidles de l'Eglise. Mais
dans ces paroles rien ne prouve que ces hommes fussent
les auteurs des erreurs qui leur sont attribues ; ilsavaient pu, pendant qu'ils faisaient partie de l'Eglise, tre
sduits par une doctrine trangre; peut-tre encore ne
s'taient-ils joints aux chrtiens que pour rpandre plusfacilement parmi eux des opinions qui leur taient parti-culires (2).
On peut donc conclure que le gnosticisme a t con-
sidr par les aptres comme oppos au principe chrtien.Que les gnostiques aient dsir se faire passer pour chr-
tiens afin de sduire la multitude, c'est trs possible, mais
leur christianisme ne devait pas tre de meilleur aloi que
(1) Nicolas, Nouvelle Revuede thologie,art. cit, p. 329-330,(2) Ibid., p. 331.
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celui de Simon le Magicien. N'est-ce pas d'ailleurs la tac-
tique de toute hrsie de prtendre la possession de la
vritable doctrine et de ne garder pour les autres que du
ddain?
Si donc le gnosticisme n'est pas n du christianisme, s'il
lui est antrieur, recherchons plus haut sa vraie source.
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DEUXIME PARTIE
LESIDESGNOSTIQUESAVANTLE PREMIERSICLE
Si nous considrons ce qu'tait, dans le sicle qui pr-
cda l're chrtienne, le milieu o le gnosticisme se dve-
loppa, c'est- -dire l'Asie Mineure et l'Egypte, nous noustrouvons en prsence de trois tendances diffrentes, la
tendance grecque, la tendance orientale et. la tendance
juive. Alexandrie surtout est le centre o elles se ren-
contrent et se mlent en produisant des systmes qui
portent la trace de cette triple influence.
Le paganisme grec y est reprsent par le platonisme et
le pythagorisme, mais bien dnaturs et dont la courterestauration dans les coles noplatoniciennes et nopytha-
goriciennes ne sera que l'clat affaibli et passager d'une
lampe qui s'teint; on s'efforce de revenir eux, de faire
revivre leurs thories, mais une influence plus forte
s'exerce invinciblement sur les esprits, et la forme grecquene fait que recouvrir une pense orientale.
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Les ides mazdennes et bouddhistes apparaissent eneffet et leur faveur s'accrot rapidement. Au del des sys-tmes grecs, on recherche une philosophie plus ancienne
dont ceux-ci n'taient qu'un cho plus ou moins lointain ;
Platon et Pythagore ne sont regards que comme les
disciples de la sagesse orientale. Faut-il voir l'origine de
cette prfrence dans la tourne que firent, dit-on, en
Egyptedes missionnaires bouddhistes? Faut-il
simplementadmettre que le grand commerce auquel se livraient les
Alexandrins en les faisant entrer en rapports avec l'Orient
facilita l'importation de ces nouvelles thories ? C'est
l'hypothse la plus probable; dans tous les cas,. ces rela-
tions permanentes durent favoriser cet change d'ides et
introduire auprs du paganisme grec si vieilli et surtout
si analys, si creus, si us, des spculations aussi an-
ciennes sans doute, mais ayant pour elles l'attrait del'inconnu et de la nouveaut. Quoi qu'il en soit, elles furent
vite en vogue: leur mysticisme plaisait ces esprits d-
gots du doute universel qui fut la fin dernire de la
philosophie grecque. Quand le vide qui se faisait peu
peu dans les sentiments, les croyances et les ides fut de-
venu tel qu'il ne resta plus rien l'me, il s'opra une
profonderaction dans les
espritset l 'on vit s'lever un
besoin de plus en plus grand de croyance (1 ). De l'Orient
arrivrent des systmes tout faits, tout nouveaux, qui
pouvaient prter largement la spculation philosophique,
(1) Nicolas, Introduction l'histoire de la philosophie,t. II, p. 229.(Voir p. 220-241.)
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on les accueillit avec empressement et on leur donna vo-lontiers droit de cit ct des systmes grecs, dont la
dfaveur allait croissant.
Mais ce besoin de croyance devait trouver ailleurs encore
sa satisfaction, et il semble que dans cette ville unique les
trois grandes philosophies de l'antiquit devaient se ren-
contrer pour y mourir ensemble et pour lguer en mourant
cequ'elles
avaient eu debon,
de durable, de divin la
grande philosophie nouvelle, le christianisme, qui allait
lever sur leurs ruines la brillante cole d'Alexandrie.
Les Juifs, venus Alexandrie pour y faire le commerce,
entrrent de plus en relations avec les Grecs et les Orien-
taux : la langue grecque leur devint d'un usage courant,
la version des Septante mit la connaissance de la loi la
porte des paens ou mme des Isralites ignorants par-
fois de leur propre langue (1). Les traditions nationalesn'taient pas abandonnes, mais l'exclusivisme perdait un
peu de sa rigueur, aussi bien dans le domaine de la pense
que dans celui de la vie pratique; il tait pourtant sau-
vegard en apparence, car tous les Juifs qui acquirent
quelque connaissance de la littrature et de la philosophie
des Grecs, non-seulement Alexandrie, mais encore dans
tout autre milieu o dominait la population grecque,n'eurent, partir de ce moment, d'autre pense, ne se
proposrent d'autre but, que d'affirmer, que de prouver,bien entendu leur manire, que la culture des Grecs
(1) Voir Nicolas, Des doctrines religieuses des Juifs pendant lesdeux siclesantrieurs l're chrtienne, p. 109,
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tout entire, en particulier que leur philosophie drivait
uniquement des livres saints de la famille d'Isral (1).
Quoi qu'il en soit, le judasme ne se droba pas aux in-
fluences trangres, et il est juste de remarquer qu'il
exera aussi la sienne, en faisant plus ou moins prvaloirses ides, ses croyances et ses traditions (2).
Telles sont les trois tendances que l'on trouve
Alexandrie quelques annes avant l're chrtienne, ten-dances bien diverses qui proviennent de pays et de peuplesbien diffrents et qui vont s'unir toutefois et produiredeux systmes principaux, le philonisme et le gnosticisme.
Philon, en effet, a subi cette triple influence ; il fut juif de
naissance et de conviction (il voulait prouver que Platon
tait un disciple des patriarches), platonicien par got et
surtout par la forme qu'il donna sa pense, si bien qu'ondisait : Aut Philo platonizat aut Plato philonizat ,
oriental par les ides (3). On l'a regard quelquefoiscomme un des prcurseurs du gnosticisme (4). C'est
tort, car, si son systme contient des ides analogues aux
ides gnostiques, c'est qu'elles sont puises aux mmes
(1) Nicolas, Etudes sur Philon d'Alexandrie (Revuede l'histoire
des Religions, 1882, mai-juin, p. 320.)(2) Notre examen porte sur tout le judasme, sans distinction dujudasme palestinien, du judasme alexandrin et mme des sectes.Nous verrons plus tard s'il y a lieu d'tablir des diffrencesentre lesdiverses fractions d'un mme peuple, et s'il y a ct des traditionsmosaques des ides nouvelles dues des influences trangres.
(3) Voir Ritter, cuv. cit, t. IV, p. 341 ; Franck, la Kabbale,p. 293.
(4) Nander, cit par Baur, Die Christliche Gnosis, p. 12.
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sources : les deux thosophies se dvelopprent parallle-ment.
En recherchant maintenant leur commune origine, nous
conserverons la division que nous avons adopte, et nous
considrerons d'abord le principe formel, puis le principe
matriel.
Le principe formel
Le principe formel du gnocticisme consiste dans le besoin
de spculation et le dsir de la connaissance, et entrane
avec lui deux consquences invitables, la division en
castes (car la connaissance ne peut pas tre le partage de
tous) et l'exgse aligorique (car il faut trouver dans lesrcits et les mythes nationaux et populaires le point de
dpart de la spculation philosophique). Ce principe, pour
un systme tel que le gnosticisme, est plutt une tendance
gnrale qu'un point de doctrine spcial: il dnote l'tat
des esprits au moment o cette philosophie s'est forme
et une certaine obscurit rgne sur son origine. Ce sera
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plutt une rsultante des influences diverses qui s'exer-
aient alors, qu'une direction unique et particulire
telle ou telle philosophie et tel ou tel peuple.
Il est certain qu'il ne faut pas chercher dans le plato-nisme la thorie de la connaissance telle que l'entendent
les gnostiques : le nom est le mme, mais la chose diffre
compltement. A la fin du cinquime livre de la Rpubli-que Platon distingue entre la connaissance yvci, et
l'opinion &>; l'une a pour objet la ralit des choses et
l'autre l'apparence. En rapprochant de cette distinction la
fameuse thorie des Ides, nous pouvons conclure que la
yvwoi est la connaissance du monde intelligible et la Ma
celle du monde sensible. L'Ide est le principe de la con-
naissance. Connatre, c'est apercevoir l'unit dans la va-
rit mme, c'est ramener les phnomnes aux lois, les
lois moins gnrales aux lois plus gnrales, les lois les
plus gnrales aux ralits universelles et ternelles dont
elles ne sont que l'expression. Connatre, c'est voir toutes
choses dans leur unit, dans leur puret, dans leur per-
fection, dans leur Ide (1). Au premier abord, cette con-
naissance semble bien analogue celle des gnostiques :
elle a pour objet un monde suprasensible et s'ob-tient en dtachant ses regards des grossires apparen-ces qui nous environnent. Seulement ce qui ta-
blit entre les deux thories une diffrence capitale,c'est que pour le philosophe grec la connaissance
(1) Alfred Fouille, Histoire de la philosophie,p. 91.
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est entirement discursive.
Platon, distinguant la con-naissance de l'opinion, c'est--dire de la connaissance .
ordinaire et commune qui ne cherche pas s'appuyer sur
des raisons ni se rendre compte d'elle-mme, la pr-
senta, l'exemple de Socrate, comme le savoir raisonn,
le savoir qui se sait lui-mme et peut expliquer pourquoiet comment il est le savoir. Mais il montra en mme temps
que cette connaissance raisonne n'est qu'une transfor-
mation de la connaissance non raisonne, transformation
opre par la raison, qui, s'efforant de s'assurer de
son propre savoir, le soumet une analyse dialectique. La
science est ainsi une tendance remonter sans cesse des
faits leurs causes, des ides infrieures aux ides sup-rieures... (1). Les gnostiques n'entendaient pas la con-
naissance de cette manire, et, la regardant comme un don,
une rvlation, une illumination, ils n'taient, en somme,que les jouets de leur imagination et de leur sentiment.
La spculation tant soumise, pour Platon, aux rgles de
la dialectique, un enseignement double, exotrique et so-
trique, ne devait pas trouver place dans son systme. Les
enseignements secrets sont, en effet, la consquence des
thories fondes sur l'illumination, mais non d'un savoir
purement humain. Platon, en effet, n'a eu qu'une seule
doctrine, parfaitement accessible tous et que nous pos-sdons tout entire dans ses divers ouvrages (2).
(1) Nicolas, Introd. l'histoire de la philosophie, t. II, p. 195, 196.(2) Cette opinion a t conteste cause de certains passages des
Lettres de Platon qui semblent faire allusion une doctrine secrte ;seulement, ces lettres sont apocryphes, et on ne peut pas tenir compte
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La secondeconsquence, l'interprtation allgorique, qui est un des meilleurs moyens de mettre les ides et
les rcits des superstitions populaires d'accord avec les
conceptions philosophiques (1), se rencontre un peuchez Platon, mais surtout chez les stociens ; et principa-lement quand les divers panthons se furent mlangs,cette interprtation devint d'un usage commun pour ra-
mener l'unit cette varit infinie de puissances sup-
rieures et pour considrer les spculations sur les dieuxd'Hsiode aussi bien que celles sur Mithra ou Isis, comme
les enveloppes diverses d'une seule et mme ide. A ce
point de vue, l'exgse allgorique n'est pas trangre au
paganisme grec.
des renseignements qu'elles renferment. Mais il y a, en outre, une
citation d'Aristote qui parle, dans sa Physique (liv. IV, ch. II, p. 209),d'opinions non crites de Platon : v rot Xeyo^svoi ypaipoi$ypnxaiv, dit-il. Sont-ce des doctrines secrtes? C'est possible; seule-ment, il est plus probable que ce sont des ides exposes oralementet non dveloppes dans ses Dialogues, parce qu'elles taient de peud'importance. En lisant les Dialoguesqui sont parvenus jusqu' nous,on se demande ce que Platon a pu cacher, ce qu'il avait encore dire.
Dans le pythagorisme, au contraire, il y avait des divisions en castes"et des initiations pour passer d'une caste une autre. Il devait certai-nement y exister une doctrine secrte. (Pour toute cette question, voir
Ritter, ouv. cit, t. II, p. 140, et le Dictionnaire des sciencesphiloso-phiques, article Esotrique , p. 466.
Nous trouvons aussi ces initiations et ces mystres dans les supers-titions populaires, les mystres orphiques, les mystres d'Eleusis, etc.Seulement, on peut difficilement mesurer l'influence que ces reli-gions du vulgaire ont eu sur le gnosticisme, thosophie surtout aristo-cratique.
(1) Ersch u. Grber Encyclopoedie,art. cit, p. 236.
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Si de l'Occident nouspassons
l'Orient, nous nous
trouvons en prsence d'une tendance spculative bien plus
dfinie. Le bouddhisme et le mazdisme sont rests les
types par excellence des religions mystiques : les recher-
ches sans fin sur l'absolu, sur l'essence des tres, sur la
cration et la cosmogonie tiennent une grande place dans
leur philosophie religieuse ; nous y trouvons de plus l'ide
trs nettement exprime des rvlations surnaturelles.
Les brahmanes et Cakya-Mouni dans l'Inde, aussi bien queZoroastre en Perse, se prsentent comme les interprtes de
la Divinit avec laquelle ils sont en communication directe.
Les initiations et les mystres se retrouvent galement
dans ces systmes; les castes y sont rigoureusement d-
limites, surtout dans le brahmanisme o les prtres for-
ment une aristocratie hrditaire d'institution divine et
marque d'un caractre indlbile.Quant l'interprtation allgorique, elle fut aussi en
usage dans les collges de Brahmanes afin de mettre en
accord les vieilles traditions aryennes avec une thologienouvelle et de transformer les anciens dieux secondaires
en autant de manifestations ou d'attributs diffrents du
Dieu unique : le panthisme remplaait le polythisme (1).
Examinons, en troisime lieu, les tendances juives. Le
judasme de cette poque ne laissait pas d'avoir dans son
sein quelques efforts vers la spculation. Le systme de
(1) Voir Lenormant, Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, t. III,p. 561.
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Philon nous prouverait, lui seul, qu'on acceptait assezbien ce genre de recherches. Jsus, fils de Sirach, faisait
sans doute aussi allusion des spculations mystiques
quand il recommandait ses lecteurs de ne pas recher-
cher avec trop de curiosit les choses caches, inutiles
la bonne direction de la vie, et de s'attacher princi-
palement aux rvlations bibliques qui sont dj assez
difficiles et au-dessus de l'intelligence du commun des
hommes (1). Nous avons d'ailleurs trois manisfestations
irrcusables de ce besoin spculatif : la kabbale, la tho-
sophie essnienne et le dosthanisme.
Quel que soit le peu de crdit qu'on donne aux l-
gendes qui voudraient faire remonter la kabbale
une trs haute antiquit, on doit cependant admettre
qu'au IIe sicle avant notre re, l'cole kabbalistique
commenait se constituer srieusement. Or, il estcertain que ce fait dnote une tendance relle la
spculation : Les kabbalistes, dit M. Franck, n'ont obi
qu' l'impulsion de leur propre intelligence : les ides
qu'ils ont introduites dans les livres saints, pour se donner
ensuite l'apparence de les y avoir trouves, leur appartien-nent entirement (2). Et d'un autre ct ces spculationsn'ont d'autre fondement que l'intuition : Les partisansenthousiastes de la kabbale la font descendre du ciel,
apporte par des anges, pour enseigner au premier homme,
aprs sa dsobissance, le moyen de reconqurir sa noblese
(1) Eccl., III, 21 et 22.(2) Franck, la Kabbale, introd., p. 48.
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et sa flicit premires (1). Voil la direction gnraledfinie, nous verrons plus loin si dans les ides elles-
mmes il y a quelque analogie remarquer.A ct de la kabbale nous avons nomm la thosophie
essnienne : ce qu'elle tait au juste, il serait difficile de
le savoir; nous connaissons leur opinion sur quelques
points spciaux : l'ensemble de la doctrine ne nous a pas
t transmis. Les seuls renseignements que nous ayonsse trouvent dans Philon et Josphe, et, d'aprs certaines
phrases de ces auteurs, nous pouvons conclure que les
essniens se livraient des spculations sur l'origine du
mal, les anges, etc.. (2).Enfin une troisime secte, le dosthanisme, existait en Sa-
marie : nous avons dit que Simon le Magicien tait de Gitta,
suivant quelques auteurs (3); c'est en tous cas dans la
Samarie qu'il exerait la thurgie. Mnandre, son disciple,tait Samaritain comme lui. Or, d'aprs la Chronique sama-
ritaine et le tmoignage de deux historiens arabes, une
secte de dosithens existait en Samarie bien avant l're
chrtienne. Ils s'occupaient de thories sur l'essence de
Dieu, qu'ils disaient tre #yvwo-ro et appwo ; les angestaient aussi les objets de leur recherches. Ici encore nous
constatons sur le solpalestinien
un besoin despculationtrs dtermin.
Le principe amenait sa consquence : l'enseignement
(1) Franck, ouv. cit, p. 51.(2) Voir Hilgenfeld, Diejudische Apokalyptik, p. 272.(3) Nicolas, Nouvelle Revuede Thologie,1861, p. 72.
4 F
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secret et les initiations se retrouvent dans ces trois thoso-phies. Chez les kabbalistes, la science suprme est entoure
du plus grand mystre : les Juifs n'ignoraient pas l'exis-
tence de cette redoutable connaissance, mais ils n'osaient
en approcher. On trouve dans la Mishna ce passage remar-
quable : Il est dfendu d'expliquer deux personnesl'histoire de la Gense, mme une seule, l'histoire de la
la Merkabah ou du Char-Cleste. Si cependant c'est un
homme sage et intelligent par lui-mme, il est permis delui en confier les sommaires des chapitres (1). Voici un
autre passage o le mme fait nous apparat d'une ma-
nire non moins vidente : Rabbi Jochanan dit un jour
rabbi Elizer : Viens que je t'enseigne l'histoire de la
Merkabah. Alors ce dernier rpondt : Je ne suis pas encore
assez vieux pour cela. Quand il fut devenu vieux, rabbi
Jochanan mourut et quelque temps aprs, rabbi Assi tantvenu lui dire son tour : Viens que je t'enseigne l'histoire
de la Merkabah ; il rpliqua : Si je m'en tais cru digne,
je l'aurai dj apprise de rabbi Jochanan, ton matre (2).
On voit donc que, pour tre initi cette science myst-
rieuse de la Merkabah, il ne suffisait pas de se distinguer
par l'intelligence ou par une minente position, il fallait
encore avoir atteint un ge assez avanc, et mme quand
on remplissait cette condition on ne se croyait pas toujours
(1) Trait de Chagiga, 2e proposition, cit par Franck, ouv. cit,p. 53.
(2) Trait de Chagiga,Gumara de la 2e proposition, cit par Franck,ouv. cit, p. 56,
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assez sr ou de son intelligence ou de sa force morale
pour accepter le poids de ces secrets redouts.
L'essnisme avait galement sa doctrine esotrique. Cette
secte formait une socit secrte en ce sens que ses prin-
cipes taient cachs aux profanes qui taient galementexclus de ses crmonies. Les adeptes n'taient initis
qu'aprs un double noviciat. Ils ne passaient dans les
grades suprieurs que lentement et dans la mesure dede leur pit et de leurs connaissances. Ils s'engageaient
par un serment solennel ne faire connatre aucun
profane, ni mme un initi d'un degr infrieur, les
doctrines qui leur taient communiques. Josphe nous a
transmis une partie du serment qu'on exigeait des
nophytes : ovvxypriov oftoico; xi xe T5aiploeu iXt'a v.a.1
x. TWVyyXcovv^ara (1).Dans le dosthanisme enfin, nous trouvons encore les
mmes procds mystrieux. Les dosithens tenaient pourdes tres impurs tous ceux qui ne faisaient pas partie de
leur secte, et se regardaient eux-mmes comme les purset les lus. Cette opinion est nettement exprime dans les
Posies Samaritaines, entr'autres dans la onzime, o il est
parl du petit nombre de ceux qui connaissent le mystre
de l'amour de Dieu et qui participent cet amour. Cedouble privilge les distingue du commun des mortels. On
n'tait admis dans cette secte que par le moyen d'initia-
tions. L'auteur des Posies Samaritaines, dit Gsnius,
n'ose point se compter parmi les hommes d'lite qui ont
(1) Josphe, Bel.jud., II, 12.
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pntr tous les mystres de l'amour de Dieu ; il espre
cependant tre initi cette doctrine secrte par quelqu'unde ceux qui l'ont reue (1).
Il nous reste examiner le troisime lment du principe
formel, l'exgse allgorique. Dans le judasme nous la
trouvons avec toute sa faveur. L'allgorie juive est reste
clbre. Les Juifs d'Alexandrie, Aristobule, par exemple,
trouvaient un sens cach sous le sens littral : Ceux dontl'esprit a peu d'intelligence, disait-il, en s'arrtant la
lettre, ne voient pas ce qu'il y a de grand dans ce qui est
expos (2).La kabbale allgorise outrance : elle s'efforce ou se
donne l'air de tirer sa doctrine de l'Ecriture-Sainte; et,
comme l'Ecriture ne se prte en aucune manire ce
dessein les kabbalistes prennent avec elle les plus tranges
liberts. Ne tenant pas le moindre compte de la valeur
des mots et des lois du langage, ils substituent partout au
sens naturel un sens allgorique qui, ainsi que l'on doit
s'y attendre, est l'expression de leurs opinions prconues...
Les vnements de l'Ancien Testament, les crmonies qu'il
prescrit ne sont leurs yeux que des symboles, ou, pourtraduire leurs propres paroles, qu'un vtement souvent
grossier sous lequel se cachent le corps et l'me de la loi .Par le corps, ils entendent le sens moral des livres rvls,
et par l'me, le sens mystique. Mais il y a aussi une me
pour cette me ou un degr suprieur de sagesse et de
(1) Voir Nicolas, NouvelleRevuede Thologie,art. cit, 1861,p. 76.(2) Voir Nicolas, Desdoctrines religieusesdesJuifs, etc., p. 132.
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perfection auquel n'arrivent qu'un trs petit nombred'lus (1). Ils vont mme plus loin et ont tout un systmedans lequel ils substituent les lettres les unes aux autres,
ou encore avec la Gamatria, ils remplacent les caractres
par leur valeur numrique. Bien entendu, ce sont les kab-
balistes seuls qui peuvent connatre les procds de cette
exgse: c'est l une consquence naturelle de l'sotrisme :
le sens apparent est pour la multitude, le sens cach pour
les initis.
Telle tait aussi la thorie des essniens. Ils pensaient
que les Ecritures renfermaient un sens cach qu'ils sa-
vaient dcouvrir; c'tait surtout sur les prophties que
s'exerait leur mthode allgorique, et il est rare, ajoute
Josphe qui nous donne ces dtails, que ces prdictions ne
se ralisent pas (2).
Quant au dosthanisme, nous n'avons pas de dtails surl'exgse qu'il faisait des livres sacrs, mais il est probable
qu'elle devait tre aussi allgorique, car le mme fait qui
se retrouve dans cette secte, l'existence de deux enseigne-
ments, la rend ncessaire pour avoir sa raison d'tre.
Ainsi dans le judasme nous constatons bien avant l're
chrtienne un besoin de spculation trs marqu; nous
en aurions encore d'autres preuves dans les livres apocry-
phes et les pseudpigraphes de l'poque maccabenne, tels
que le livre d'Hnoch, certains passages du troisime livre
des Oracula Sibyllina, le livre de la Sapience, etc. etc ; nous
(1) VoirDictionnaire dessciencesphilosophiques,article " Kabbale"
(2) Josphe, Bel. jud., II, 8, 12.
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avons simplement cit ces trois thosophies pour montrer quel point en tait venu cette aspiration et combien peuil faut y voir un dsir plus ou moins vague et qui ne
cherchait pas se satisfaire ; au contraire, des systmes
spculatifs se forment de toutes pices ; ct de l'en-
seignement pratique et moral de la loi, il y a autre chose,
il y a une vritable connaissance, une yvwai.En rsum, tendance spculative, thorie de l'enseigne-
ment secret, interprtation allgorique, ces trois lments
du principe formel devaient se trouver Alexandrie et
dans l'Asie Mineure ; apports, soit de l'Occident soit de
l'Orient, ils devenaient des ides courantes : le gnosticismen'eut qu' se les approprier.
11
Le Principe matriel
O trouvons-nous les sources des ides gnostiques sur
l'origine du mal, l'asctisme, la cosmogonie et les tres
intermdiaires ?
Le platonisme n'a pas, vrai dire, de thorie sur l'ori-
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gine du mal. Dans la Rpublique, Platon dit, il est vrai,
que Dieu n'est pas cause de tout, mais simplement de ce
qui est bon, f7 TtxvxtuvaXxiovxov 9sov, XX TWVaya9
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le nions pas, car l'ide de la matire entrane toujoursl'ide de la limitation de l'infini dans le fini : Tant que
rgne la pense que les oeuvres de Dieu doivent porteren elles-mmes une privation dans la nature matrielle,
que, comme oeuvres d'art, elles doivent rester au-dessous
de l'artiste, qu'elles sont par consquent soumises une
limitation ncessaire qui ne permet pas leur perfection,on est oblig de reconnatre une
consquencedu dua-
lisme (1).
Mais, entre ce dualisme si rduit et le dualisme catgo-
rique des coles gnostiques, il y a une profonde diffrence,et l'influence platonicienne pour ce point spcial a d tre
bien insignifiante (2).
tion au bien, dont il est le contraire. Or, le contraire du bien, et parconsquent le principe du mal, c'est la matire indtermine, le pos-sible, le contingent, ce qui n'est rien, mais peut tout devenir. C'estDieu, c'est le bien qui fonde cette possibilit du possible. Lemal absoluserait le nant absolu, il n'existe donc pas. Ce qui existe, c'est lemoindre bien, la borne du bien. Fouille, ouv. cit, p. 105.
(1) Ritter, Considrations gnrales sur l'ide et le dveloppementhistorique de la philosophiechrtienne, p. 123, note 4.
(2) Dans le pythagorisme, il y a bien quelques traces de dualisme,mais trs incertaines; c'en est plutt le pressentiment que la con-science. L'me est dans le corps commedans une prison. Elle est
ap-pele lutter sans cesse contre le principe du mal, sans avoir le droitde quitter son poste par le suicide. De l nos devoirs moraux. Tout biena sa source dans l'unit et dans l'ordre; tout mal prend son originedans la division et la dissonance. L'homme vertueux est celui qui seconforme aux lois de la raison et qui rgle sa vie l'imitation deDieu. " Fouille, ouv. cit, p. 47. Ainsi le mal est considr encorecommeune privation de bien plutt que comme une puissance direc-tement oppose au bien.
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De mme qu'il y a peu de dualisme dans la philosophieplatonicienne, de mme il y a peu d'asctisme ou
peu d'immoralit. Ces deux conduites pratiques sup-
posent, en effet, nous l'avons vu, la croyance thorique
la matire source et sige du mal. La morale que prescrit
Platon est pure, bienfaisante, juste, naturelle. Elle re-
commande la vertu, qui est la conformit de l'me humaine
aux ides ; l'oeil fix sur l'Ide suprme, l'homme de bien
s'efforce de l'imiter. La vertu est une oeuvre d'art et la
sagesse ressemble Phidias : la matire qu'elle faonne
c'est l'me humaine, et le modle qu'elle imite, c'est Dieu.
Tous ces prceptes n'ont rien de rude et quelquefois
mme on peut les enfreindre sans dchoir.
L'cole pythagoricienne est peut-tre un peu plus
ascte. Respectant jusque dans les animaux le principe de
la vie, elle imposait ses adeptes l'abstention d la chairet mme des vgtaux lorsque, par leur forme, ils rappe-
laient l'imagination quelque tre vivant. Elle demandait,
en outre, le sacrifice de la volont par l'obissance, et son
silence proverbial devait tre la fois le rsultat et la
condition de la vie contemplative; seulement cet asctisme,
htons-nous de le remarquer, n'a pas sa source dans le
dualisme, mais au contraire dans une sorte de panthisme.
Il en est de mme de l'asctisme des stociens, qui con-
sistait plus dans le mpris de toutes les oeuvres extrieures
que dans la mortification continuelle de la chair. Ici encore
nous sommes loin des thories gnostiques, et l'esprit grec,
qui tait avant tout ami de l'esthtique, ne devait pas
se plaire aux exagrations dans un sens ou dans l'au-
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tre. Il y et videmment aussi des gens immoraux enGrce comme ailleurs, mais aucun philosophe, Epicuremme pas plus qu'un autre, n'a jamais conseill ou sim-
plement permis les licencieux excs auxquels se livrrent
leurs prtendus disciplas.Arrivons la cosmogonie platonicienne : c'est l sur-
tout qu'on a voulu voir une influence des ides grecques sur
la thoriegnostique. Rappelons
celle-ci enquelques
mots :
. Le monde matriel est cr par un Dmiurge im-
parfait ; entre ce monde et le Dieu suprme, il ne saurait
y avoir aucun rapport direct, car l'un est la source
et le principe du mal et l'autre la source et le principedu bien. Il y a donc entre eux une srie descen-
dante d'manations, les ons, organiss en hirarchies et
runis deux deux pour former les syzygies.
Voyons maintenant la thorie platonicienne. Avant laproduction des tres contingents et prissables qui devaient
peupler notre terre, Dieu commena par former le monde
qu'il anima en plaant en lui une me faite de trois es-
sences, l'une indivisible, appartenant au divin, une autre
divisible, provenant de la matire dsordonne, et une
troisime, tire de la fusion des deux prcdentes. Le
monde vivant et anim constitue l'ensemble des corps
clestes, des astres qui suivent une marche rgulire,famille cleste de dieux et de fils de dieux. C'est ce monde
un et rgi par une me unique, quoique formant diverses
parties (les astres), qui fut charg par Dieu, son auteur et
son pre, de produire les tres prissables et la partie
mortelle de l'homme en imitant l'action par laquelle la
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Puissance divine et souveraine, l'avait produit lui-mme : Quand tous les dieux et ceux qui font leur rvo-
lution nos yeux et ceux qui n'apparaissent qu'autant
qu'il leur plat, eurent reu la naissance, l'auteur de cet
univers leur parla en ces termes : Dieux, issus de
dieux, ouvrages dont je suis l'artisan et le pre, vous tes
indissolubles parce que vous avez t forms par moi et
que je le veux... Ecoutez maintenant ce que j'ai vous
dclarer. Il reste encore trois espces mortelles pro-duire : si elles ne reoivent pas l'existence, le ciel sera
imparfait, car il ne renfermera pas toutes les espcesd'tres anims, et il le faut cependant pour qu'il soit
parfait. Si ces animaux recevaient de moi la naissance et
la vie ils galeraient les dieux. Afin, qu'il y ait donc des
races mortelles et que cet univers soit rellement achev,
occupez-vous, selon votre nature, produire ces animauxen imitant la puissance que j'ai manifeste dans votre
production. Je vous fournirai la semence et le principe de
la partie qui doit porter le nom des immortels, partie,
appele divine... ; et vous, unissant la partie mortelle la
partie immortelle, formez-en des animaux, produisez-
les, faites-les crotre en leur donnant la nourriture
et, leur mort, recevez-les de nouveau dans votre sein.
Celui qui avait ordonn toutes ces choses demeura
dans son tat ordinaire et, pendant qu'il y restait, ses
enfants mditrent sur ses dispositions et les excut-
rent (1). Voil l'ide platonicienne.
(1) Platon, le Time, trad. Schwalb, p. 507-509.
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Le philosophe grec voulait expliquer comment destres prissables drivaient de l'Etre ternel ; des cra-
tures faibles, sujettes au mal et l'erreur de Celui quiest parfaitement sage, souverainement bon, possdantune puissance infinie ; des choses imparfaites, rebelles
sous plusieurs rapports une rgle fixe, d'un pre quiest la perfection mme et le reprsentant de l'ordre
et de l'harmonie. Il crut rsoudre la question par la sup-
position d'un tre intermdiaire, espce de mdiateur
plastique, participant la fois et dans une certaine me-
sure de la nature divine et de la nature chaotique de la
matire, cause du bien et de l 'ordre en tant que tenantau divin, mais cause imparfaite en tant que tenant la
matire dsordonne. Le mal, l'erreur et le dsordre
s'arrtaient cet Etre qui n'avait pu donner son oeuvre
une perfection qu'il n'avait pas lui-mme ; ils ne remon-taient pas jusqu' Dieu, qui n'tait plus du moins la
cause directe de la dfectuosit des choses et des tres
prissables (1).En somme, cette thorie d'tres intermdiaires entre
Dieu et le monde, cette ide du Dmiurge imparfait se
rapproche assez de la thorie gnostique. Mais Platon ne
nous dit rien sur la faon dont ces tres sont arrivs l'existence; est-ce par manation ou par cration?
On ne le sait ; il manque donc encore l'analogieun lment, et qui n'est pas le moins important (2).
(1) Nicolas, Desdoctrines religieuses des Juifs, etc., p. 202.(2) On pourrait voir aussi dans l'importance accorde par les gnos-
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Laissons l'Occident etvoyons
l'Orient. D'abord le maz-
disme : nous y trouvons, pour expliquer l'origine du mal,
un dualisme trs prononc. C'est le plus connu et le plus
caractristique de ses dogmes. A la tte de l'univers sont
deux principss, Ormuzd et Ahriman : en face du prin-
cipe bon le principe mauvais ; c'est ce dernier qui a cr
le mal moral et matriel et la mort. La cration tait
sortie des mains d'Ormuzd pure et parfaite ; c'est Ahri-
man qui la pervertit par son action funeste et quis'efforce chaque jour d'accomplir son oeuvre de destruc-
tion, car il est le destructeur. Il est ternel dans le
pass comme Ormuzd (1) : J'ai cr, dit Ahura Mazda
(Ormuzd) un lieu de nature agrable o tout pourtantn'tait pas joie...; une terre, lieu d'agrment, quin'avait point tous les charmes de la fertilit fut la
premirecration; il
yen eut une seconde
oppose la
premire, produite par l'esprit homicide et essentielle-
ment destructrice... (2). A chaque bonne cration, Ah-
riman en oppose une mauvaise. Mais ce dualisme n'est
pas irrductible, et un jour viendra, la fin des sicles,
o trois prophtes issus de Zoroastre apporteront au
monde les trois derniers livres du Zend-Avesta et conver-
tiront tous les hommes au mazdisme : alors le mal sera
dfinitivement vaincu et ananti, la cration redeviendra
tiques aux nombres des ons, les Ogdoades, les Dcades, etc., uneinfluencesdesides pythagoriciennes. Voir ce sujet : Ersch u. Gruber
Encyclopoedie,art. cit, p. 239.(1) Voir Lenormant, ouv. cit, t. II, p. 315.
(2) Zend-Avesta, Vendidad. Fargard I, trad. de Harlez.
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aussi pure qu'au premier jour et Ahriman disparatra
pour jamais. Il y a ainsi pour Zoroastre un principe et un
principe mauvais ; mais le mal n'a pas sa source nces-