les mythes raciaux; la question raciale devant la science moderne

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LA Q E TIO~ n CIALE DEVA T LA lE' E IODER 'E

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LA QUESTION RACIALE DEVANT LA SCIENCE MODERNE

LES MYTHESRACIAUX

par

JUAN COMAS

professeur d'anthropologie à l'écolenationale d'anthropologie de Mexico

UNE S C O. PAR 1 S

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Achevé d'imprimer le 31 mars 1951pal' l'imprimerie S,O.P.A.C.

POUl' l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation,la science et la culture, 19, aVellue Kléber, Paris-l6"

Copyright 1951 by Unesco-ParisPublication 890

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TABLE DES MATIÈRES

1. Généralités sur les préjugés de race et lesmythes raciaux

II. Le mythe du sang et de l'infériorité desmétis.

III. Le préjugé de couleur: le mythe noir.

IV. Le mythe juif.

V. Le mythe de la supériorité de la « racearyenne ou nordique.

L'origine des aryens .La doctrine de l' « aryanisme » et du

« teutonisme » .L'anthroposociologie et la théorie de la

sélection socialeLa thèse « aryenne » du nazisme et du

fascisme contemporain .Le prétendu « type anglo-saxon» .Le celtismeCritique et réfutation de ces théories.

VI. C.onclusion

VII. Bibliographie.

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1. GENERALITES SUR LES PREJUGES DE RACE ET LESMYTHES RACIAUX

Que les hommes ne soient pas tous semblables, c'est là unfait d'observation courante; ils présentent, dans leur appa­rence physique, des différences qui se transmettent, en toutou e'n partie, de parents à enfants, et des groupes d'une homo­généité relative constituent ce que l'on appelle communéme'ntdes « races ». Ces races non seulement diffèrent entre ellesmais se situent à des niveaux divers, du fait que les unesjouissent des avantages d'une civilisation ayancée, alors queles autres sont plus ou moins arriérées 1.

Tel est le vrai fondement du phénomène raciste.Il n'y a qu'un pas, vite franchi, entre cette supériorité réelle

ou apparente et l'idée que les succès d'un pe'uple sont dusà des qualités innées. Les différences physiques individuellessont à la source de l'erreur où tombent certains partis poli­tiques, certains groupes nationalistes et certains systèmessociaux, en encourageant et en exaltant le préjugé de la« supériorité raciale » de leur groupe. Aussi l'histoire del'humanité abonde-t-elle en « peuples élus» qui se targuentde leurs prétendues vertus et de leurs éminentes qualitésnatives, chacun adoptant la voie originale qui lui vaudra lesfaveurs du vrai Dieu.

Nous trouvons déjà dans l'Ancien Testament l'idée que lesdifférences physiques et mentales des individus, comme desgroupes, seraient congénitales, héréditaires et inaltérables. LaGenèse semble admettre l'infériorité de certains groupes parrapport à certains autres lorsqu'elle dit: « Maudit soitCanaan ! Il sera le serviteur des serviteurs de ses frères. »(Genèse, IX, 25). On peut voir également une allusion à unecertaine supériorité biologique dans ce qu'il est dit du pacte

1. Quelques exemples illustrant les manifestatiol18 du préjugé racial sonttirés de l'excellent petit livre de Sir Alan Burns : C%ur Préjudice(Londres, 1948, George AlIen and Unwin. Ltd.>. cet ouvrage contient eneffet. des citatiol18 fort intéressantes prises dal18 des !lvres ou des revuesauxquels je n'ai pu avoir accès. Comme les brochures de cette colIectionne peuvent être alourdies par de multiples références, je tiens à recon­naitre ici ma dette envers Sir Alan Burl18 et à le remercier de m'avoirautorisé à bénéficier du fruit de son érudition.

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que Jéhovah a conclu avec Abraham et « sa semence ». Dansle Nouveau Testament, en revanche, cette thèse paraît contre­dite par celle de la fraternité universelle entre les hommes.

En fait la plupart des religions écartent les différencesphysiques individuelles et considèrent tous les hommescomme frères et égaux devant Dieu.

Le monogénisme orthodoxe du christianisme l'a naturelle­ment conduit à être antiraciste par principe, bien que cecine soit pas vrai de tous les chrétiens. Selon saint Paul « il n'ya plus de Juif ni de Grec; il n'y a plus d'esclave ni de libre;il n'y a plus d'homme ni de femme, car vous n'êtes tous qu'unen Jésus-Christ» (EpUre aux Galates, III, 28), et « Il a faitnaître d'un seul sang tout le genre humain pour habiter surtoute l'étendue de la terre ... » (Actes des apôtres, XVII, 26),Rappelons en outre que, selon la tradition biblique, l'un destrois rois mages était noir. Le pape Pie XI a condamné leracisme et en 1938 le Vatican considérait les mouvements dece genre comme « apostasie contraire, dans son esprit et sadoctrine, à la foi chrétienne ». D'autre part l'Eglise a béatifiéet sanctifié des blancs, des jaunes et des noirs, et les douzeapôtres étaient des sémites comme Jésus-Christ lui-même, entant que descendant de David.

Les musulmans, eux non plus, n'ont jamais manifestéd'intransigeance ou d'intolérance raciales envers les autrespeuples, dès l'instant où ceux-ci adoptaient leurs croyancesreligieuses,

Parallèlement à ces cas il faut pourtant en signaler d'autres,dès la plus haute antiquité, qui révèlent une attitude opposée.La plus ancienne allusion que l'on trouve à un cas de discri­mination au préjudice des noirs - bien qu'il se soit agi d'unemesure politique plutôt que d'un préjugé de race - est ins­crite sur une stèle que le pharaon Sésostris III (1887-1849av. J.-C.) avait fait ériger à la deuxième cataracte du Nil.Voici ce qu'on y lit :

« Frontière sud. Stèle élevée cn l'an VIII, sous le règnede Sésostris III, roi de Haute et de Basse-Egypte, qui vitdepuis toujours et pour l'éternité. La traversée de cettefrontière par terre ou par eau, en barque ou avec des trou­peaux est interdite à tout noir, à la seule exception de ceuxqui désirent la franchir pour vendre ou acheter dansquelque comptoir. Ces derniers seront traités de façon hospi­talière, mais il est à jamais interdit à tout noir, dans tousles cas, de descendre le fleuve en barque au-delà de Heh. »

Voici deux mille ans les Grecs tenaient pour « barbare» qui-

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conque n'appartenait pas à leur groupe, et, selon Hérodote,les Perses se jugeaient très supérieurs au restC' de l'humanité.

Pour justifier l'aspiration des Grecs à l'hégémonie univer­selle, Aristote (384-322 av. J.-C.) admettait déjà que certainspeuples sont nés pour être libres ct d'autres pour être esclaves(thèse qui, nous le verrons, fut reprise au XVI" siècle pourlégitimer l'esclavage des noirs ct des Indiens d'Amérique).

En revanche Cicéron (106-43 av. J.-C.) soutenait une opi­nion invC'rse: « Les hommes diffèrent par le savoir, maistous sont égaux par leurs aptitudes au savoir; il n'est pas derace qui guidée par la raison ne puisse parvenir à la vertu. »

La notion de « supériorité» ou d' « infériorité» appliquéeà un peuple ou à un groupe de peuples est sujette à de cons­tantes revisions. Il suffit pour s'en convaincre de se remémo­rer les jugements portés sur les Celtes de Grande-Bretagnepar Cicéron, qui, se contredisant lui-même, les signalait à sonami Atticus comme étant particulièrement « stupides et inca­pables d'éducation )'.

Au début de sa fameuse nouvelle Au cœur des ténèbres, quinous donne peut-être une des visions les plus saisissantes del'Afrique mystérieuse et barbare qui s'ouvrait aux Européensà la fIn du XIX· siècle, Conrad évoque la Tamise d'il y a milleneuf cents ans, telle qu(', dans sa sauvagerie, elle devait appa­raître au commandant d'une trirème médite-rranéenne ou aujeune patricien venu de Rome. Lui aussi, comme l'adminis­trateur colonial de no~ jours, a dll éprouver « le désir d'éva­sion, de-s dégoûts impuissants, l'abandon, la haine ». Faut-il,dans ce même ordre d'idées, rappeler 1(' mépris des noblesNormands pour les Saxons qu'ils avaient subjugués? Cepen­dant ces appréciations pe-u favorables qui ont été formuléesau sujet des ancêtres des nations les plus orgueilleuses d'Eu­rope n'étaient pas, à proprement parler, de-s manifestationsde « racisme ». Même les féroces antagonismes qui ont dresséles chrétiens contre les musulmans n'avaient pas un caractèreracial. La haine ou l'aversion fondée sur une différence dansle niveau de culture ou sur des croyance-s différentes est plushumaine que le préjugé qui se réclame des lois implacables del'hérédité.

Avec le-s débuts de la colonisation en Afrique, la découvertede l'Amérique et celle de la route maritime vers les Indespar le Pacifique, le préjugé de racC' et de couleur augmentaconsidérablement, ce qui s'explique par des raisons d'ordreéconomique, par la renaissance de l'esprit impérialiste colo­nial et par divers autres facteurs.

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Selon le dominicain écossais John Major (1510), il étaitdans l'ordre de la nature que certains hommes fussent libreset d'autres esclaves. Cette distinction devait s'exercer dansl'intérêt même de- ceux qui étaient voués par naissance àcommander ou à obéir.

Juan Gines de Sepulveda (1550) commentait « l'inférioritéet la perversité naturelle des indigènes américains » en affir­mant qu'ils n'étaient pas deos « êtres rationnels» et que « lesIndiens étaient aussi différents des Espagnols que des êtrescruels pouvaient l'être des doux, ou les singes des hommes ».II s'e-fforça ainsi de justifier l'esclavage en s'appuyant sur lathèse aristotélicienne.

Le père- Bartolomé de Las Casas a naturellement soutenula doctrine contraire et lutté infatigablement eon faveur decette idée que tous les peuples du monde sont faits des mêmeshommes eot qu'il n'y a pas d' « homoncules » ou de « demi­hommeos » contraints d'obéir aux ordres des autres.

En Amérique latine la stratification sociale s'est établieavant tout sur une discrimination raciale distinguant, dansl'ordre, les créoles, les métis, leos Indiens et les nègres. Théo­riquement les lois sont contraires à une telle discrimination,mais elles sont restées alors, eot restent encore aujourd'hui,Sans effet.

Parlant des Indiens du Brésil, Montaigne (1533-1592) disait :« Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a riende barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en arapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pasde son usage... » Nous retrouvons la même attitude chezquelques-uns des plus illustres penseurs du XVIII· et duXIX· siècle. Parmi beaucoup d'autres, Voltaire (1694-1778),J.-J. Rousseau (1712-1778) et Buffon (1706-1788) ont étéfeormes partisans de l'identité fondamentale de la naturehumaine, donc de l'égalité entre tous les hommes. Enrevanche, pour D. Hume (1711-1776) les nègres étaient infé­rieurs aux blancs. Ni Renan (1823-1892) ni Taine (1828-1893)n'ont acceopté davantage l'égalité des races humaines.

Malgré l'influence de quelques penseurs les préjugés raciauxse sont constitués eon véritable doctrine au cours du XVIIIe etdu XIX· siècle. Il y eut cependant une période relativementbrève où l'on aurait pu croire que la diffusion des principesdes révolutions américaine et française ainsi que les succèsde la campagne anti-esclavagiste en Angleterre auraient puatténuer et même faire disparaître les préjugés de race. Laréaction qui se manifesta pe-ndant la Restauration et le déve-

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loppement industriel de l'Europe au début du siècle derniereurent des effets directs et pernicieux sur la question raciale.L'essor que prirent les filatures mécaniques ouvrit aux pro­ducteurs de coton des marchés de plus en plus vastes. « Lecoton devint roi », surtout dans le sud des Etats-Unis. Il enrésulta un besoin toujours accru de main-d'œuvre servile.L'esclavage, qui périclitait en Amérique et qui se serait peut­être éteint de lui-même, se transforma de ce fait en une insti­tution sacro-sainte dont dépendait la prospérité de la zonecotonnière. C'est pour défendre leur fameuse « institutionparticulière » que des philosophes et des sociologues sudistesdonnèrent corps à toute une mythologie de caractère pseudo­scientifique qui était destinée à justifier un état de choses encontradiction avec leurs professions de foi démocratique. Ilfallait, pour apaiser les consciences, que l'on fût convaincuque le noir était un être non seulement inférieur au blanc,mais encore mal dégagé de l'animalité.

Plus tard la théorie de l'évolution telle qu'elle fut formuléepar Darwin exerça une influence très marquée sur l'idéologieraciste, qui commençait à se définir de façon de plus enplus précise.

Les « blancs » accueillirent avec enthousiasme le darwi­nisme, qui, en prêchant la survivance du plus apte, venaitétayer et confirmer leur politique d'expansion et d'agressionaux dépens des peuples « inférieurs» ; survenant à l'époquemême où les nations puissantes bâtissaient leur empire colo­nial, cette thèse venait les justifier tant à leurs propres yeuxqu'à ceux du reste de l'humanité: le fait que des groupeshumains « inférieurs » étaient réduits en esclavage ou tom­baient sous les balles des mitrailleuses et des fusils européensvenait simplement confirmer la théorie selon laquelle ungroupe humain inférieur est remplacé par un autre qui luiest supérieur. Sur le plan de la politique internationale, leracisme excuse l'agression, car l'agresseur ne se sent tenu àaucune considération envers des étrangers qui, appartenantà des « races inférieures », doivent être placés au niveau desbêtes, ou peu s'en faut.

L'idée que biologiquement et scientifiquement le plus fort ale droit de détruire le plus faible trouve son application nonseulement dans les rivalités entre nations, mais encore danscelles qui surgissent à l'intérieur d'un pays.

Il n'est pas juste d'attribuer à Darwin, comme beaucoupl'ont fait, la paternité de cette théorie haineuse et inhumaine.La vérité est que l'existence de groupes composés d'hommes

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de couleur, devenus des concurrents possibles sur les mar­chés du travail ct revendiquant les avantages sociaux que lesblancs avaient considérés comme leur privilège, devait néces­sairement conduire ceux-ci à dissimuler sous quelque prétextele matérialisme économique absolu qui leur faisait refuseraux peuples « inférieurs » toute participation à la situationfavorisée dont ils jouissaient. Ils accueillirent avec complai­sance la thèse biologique darwinienne et, après l'avoir sim­plifiée, déformée et adaptée à leurs intérêts particuliers, entirèrent ce que l'on appelle le « darwinisme social », grâceauquel ils prétendirent justifier leurs privilèges sociaux ctéconomiques, mais qui n'a rien ù voir avec les principesstrictement biologiques de Darwin. H. Spencer (1820-1903) autilisé en sociologie le concept de la « survivance du plusapte », qu'on a été jusqu'à identifit'r avec celui du « sur­homme » chez Nietzsche (1844-1900), ct qu'on a cité poursa défense.

Ainsi donc les progrès de la biologie furent exploités ten­dancieusement pour fournir des explications, en apparencesimples et scientifiques, destinées à résoudre les inquiétudesantérieures concernant la conduite humaine. Mais de lascience au mythe il n'y a qu'un pas facile à franchir, et ilfut franchi.

Il est évident que l'hérédité, tant physique que psychique,influe sur l'aspect et sur l'attitude des êtres humains; maiscela n'autorise pas à admettre et à soutenir comme le fontles « racistes» : a) que l'hérédité biologique est le seul facteurimportant; b) que l'on peut facilement, après avoir parlédes dons innés chez les individus, en venir à parler des qua­lités héréditaires des groupes.

La doctrine « raciste » se révèle plus dangereuse encorelorsqu'elle fait porter le problème non plus sur des groupesethniques distincts, mais sur différentes classes sociales ausein d'un même groupe. C'est ainsi que Erich Suchsland(Archiv für Rassen und Gesellschafts-Biologie) expose et sou­tient la thèse selon laquelle les individus qui n'ont pas réussidans la vie (par exemple ceux qui n'ont pas les moyens derésider dans des quartiers riches) appartiennent nécessaire­ment aux éléments de « race inférieure » de la population,alors que les riches sont de « race supérieure» ; le bombar­dement des quartiers pauvres aboutirait donc à une sélectionet à une amélioration de la race. Il ne s'agit plus ici d'opposerles blancs aux noirs, ni les Nordiques aux non-Aryens; ils'agit pour la haute bourgeoisie internationale d'exercer une

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discrimination au préjudice' des groupes prolétariens ens'appuyant faussement sur la biologie. Ici, comme dansd'autres cas, sans que le fait soit expressément reconnu, unantagonisme social et économique se cache sous la discrimi­nation de race ou de classe. Sans aller aussi loin que Suchs­land, Alexis Carrel, dans l'Homme, cet inconnu, n'en affirmepas moins que les prolétaires et les oisifs sont gens « infé­rieurs » par leur hérédité naturelle même; ce sont deshommes qui, de par leur constitution, n'ont pas la force delutter, et qui sont tombés si bas que toute lutte est devenueinutile. Comme si un prolétaire ne devait pas lutter, à touteheure du jour, mille fois plus durement qu'un fils de familleaisée!

Il est possible que le but d'un grand nombre de racistes nesoit pas de justifier, par des arguments apparemment objec­tifs, le nationalisme et le chauvinisme, mais plutôt d'habituerle lecteur à l'idée que les phénomènes sociaux procèdent deconditions raciales déterminées une fois pour toutes. De lasorte la société se sentirait dégagée de toute responsabilitédevant un déterminisme biologique fatal, impossible à modi­fier sur le plan social. En vertu des facteurs héréditaires quechacun apporterait avec soi en naissant, chacun serait pré­destiné à devenir un grand homme, un capitaliste, un techni­cien, un prolétaire ou un oisif, sans que personne puisse uti­lement intervenir pour l'éviter.

Il n'est pas douteux cependant que la discrimination« raciale » ne représente qu'une partie du problème plusgénéral de la discrimination sociale.

L'idée de « race» est tellement chargée d'éléments émotifsdynamiques qu'il est extrêmement difficile d'en étudierobjectivement le sens, face aux problèmes sociaux. Il n'existeaucune base scientifique sur laquelle établir une classificationgénérale des races selon leur degré de supériorité ou d'infé­riorité, mais les préjugés et les mythes raciaux permettent detrouver une victime expiatoire chaque fois que la sécuritéindividuelle et la cohésion du groupe se trouvent menacées.

Cette brève synthèse de l'origine, de l'évolution et de laprétendue justification des préjugés et mythes raciaux engénéral servira d'introduction à une analyse un peu plusdétaillée de quelques-uns des mythes les plus répandus surlesquels s'appuie la théorie raciste; nous espérons prouverainsi combien sont faux et erronés les arguments pseudo­biologiques que cette théorie invoque pour masquer ses objec­tifs injustes et inavouables.

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II. LE MYTHE DU SANG ET DE L'INFERIORITE DES METIS

Le métissage chez l'hommC' a fait et fait encore l'objet demultiples controverses, selon l'opinion que l'on se fait desraces et de leurs différences. Les adversaires de l'hybridationhumaine partent du principe de l'inégalité des races; selonses défenseurs, au contraire, les différences que présententles divers groupes humains ne portent aucun préjudice aumélange. Pour étudier les problèmes qile pose le métissagehumain, il importe donc de commencer par préciser le sensdu mot « race » et d'établir l'existence ou l'inexistence deraces pures.

Le concept de race suppose l'existence de groupes présen­tant certains caractères physiques analogues qui se trans­mettent en vertu des lois de l'hérédité, tout en laissant unemarge aux variations individuelles.

Les peuples européens sont si mélangés que toute tentativede classification à partir de deux caractères (couleur des yeuxet de la peau) exclurait les deux tiers de la population quelleque soit la région étudiée. Si l'on ajoute un troisième carac­tère (forme du crâne), seule une petite partie de la populationprésenterait à la fois les trois caractères requis; si l'on ajouteenfin la stature et l'indice nasal, la proportion des types« purs» devient infinitésimale.

Il n'existe donc pas de races humaines pures. Tout au pluspourrait-on parler de race pure t"n faisant allusion à tel outel autre caractère physique, mais jamais à tous les carac­tères héréditaires ni même à la plupart d'entre enx. Lacroyance générale veut pourtant qu'il y ait eu, dans l'anti­quité, un moment où les types raciaux étaient purs, que lemétissage ne remonte qu'à une date plus ou moins récente etqu'il présente pour l'humanité un danger de dégénérescenceet de disparition. Cette croyance ne repose sur aucune donnéescientifique. Le mélange des races a commencé dès quel'homme est apparu sur la terre, dès la préhistoire la plusreculée, bien que le développement des moyens de transportet l'augmentation de la population aient évidemment favoriséle métissage au cours des derniers siècles.

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Les migrations sont vieilles comme le genre humain et ellesimpliquent l'hybridation des groupes, le métissage. Il est pos­sible qu'à l'époque paléolithique supérieure l'homme du typeCro-Magnon se soit croisé avec l'homme de Neanderthal,comme semblent d'ailleurs l'indiquer les découvertes d'osse·ments présentant des caractères intermédiaires. L'existence,dans l'Europe préhistorique, d'hommes de types négroïde etmongoloïde vient fournir une autre preuve du fait que lemétissage n'a rien de récent et que les populations les plusanciennes de l'Europe sont le simple produit d'une hybri­dation millénaire. Or nous ne trouvons chez elles ni le défautde proportions, ni la dégénérescence que nombre d'auteursattribuent au métissage humain.

L'histoire nous enseigne que toutes les régions où une civi­lisation avancée a fleuri ont été le théâtre de la conquête d'unpeuple indigène par d'autres groupes nomades. Ces conquêtesont été suivies par la désagrégation des castes et par la créa­tion d'un nouvel amalgame considéré comme constituant unenation de race homogène bien qu'il se soit agi en fait d'unnouveau peuple formé de races différentes.

Ceux qui, avec Jon A. Mjoen, voient dans le métissage undanger pour l'avenir de l'humanité affirment qu'il est unesource d'affaiblissement, qu'il diminue l'immunité contre cer­taines maladies, que les prostituées et les vagabonds se ren­contrent plus fréquemment parmi les métis que parmi lesindividus de race pure, que l'on observe chez les premiiersune recrudescence de la tuberculose et d'autres maladies ainsiqu'un amoindrissement de l'équilibre mental l"t de la vigueur,enfin qu'il augml.'nte la criminalité. (Harmonie and Disharmo­nie Race Crossing et Harmonie and Unharmonie Crossings,1922.) Ces conclusions sont sans valeur car l'auteur n'indiqueni les types d'individu qu'il a étudiés, ni les qualités géné­rales des races hybrides; il aurait dû, en outre, prouver queles familles auxquelll.'s il fait allusion, et dont le croisementa produit les métis étudiés, étaient physiquement et intellec­tuellement saines, exemptes de tous symptômes de dégénéres­cence ou d'affaiblissement; enfin Mjoen oublie totalementl'influence que le milieu social exerce sur l'attitude des métis.

S. K. Humphrey, M. Grant, L. Stoddard el bien d'autresencore soutiennent la thèse selon laquelle, en se mélangeantavec des éléments étrangers, la population nord-américaineperdrait le caractère harmonieux et stable qu'elle possèdeactuellement. Certains ont même été jusqu'à affirmer que cc

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défaut d'harmonie serait à la source de toutes sortes de mauxsociaux et d'immoralités.

H. Lundborg (Hybrid Types of the Human Race, 1921) tientun raisonnement qui ôte toute valeur aux conclusions dutype de celles dont il vient d'être question; il prouve en effetque le métissage est numériquement plus fréquent parmi lesclasses sociales inférieures que dans les classes moyennes etsupérieures. Les effets observés par Mjoen et Davenport sontdus non à un prétendu rapport entre l'hybridation et la dégé­nérescence ou la débilité, mais au fait que les mélanges sefont entre individus qui appartiennent aux fractions les plusappauvries des divers groupes humains. Les mêmes phéno­mènes se produiraient donc, qu'il s'agisse d'endogamie oud'exogamic; c'est dire que le métissage ne joue ici aucunrôle. En fait il n'est pas rare que les familles humaines quiont constammnt pratiqué l'endogamie se caractérisent par undegré de dégénérescence égal, voire supérieur, à celui qui aété attribué aux métis.

Selon les cas, l'endogamie ou l'exogamie sont utilisées pouraméliorer les races animales. Par exemple, si l'endogamie serévèle bonne quant aux caractères qui intéressent l'éleveur,elle peut continuer à se répéter pendant de nombreuses géné­rations, sans croisements, et sans cependant qu'on observede signes de dégénérescence. Elle constitue également unmoyen de découvrir toutes les qualités héréditaires poten­tielles d'un groupe, en permettant la manifestation extérieurede caractéristiques héréditaires récessives, restées cachéestant que l'un des ascendants seulement les possédait. Si lecaractère en question est préjudiciable, il devient logique etnécessaire de procéder à des croisements exogamiques (métis­sage) qui feront intervenir un facteur héréditaire dominantde nature à annuler le caractère récessif préjudiciable.

Le croisement, ou métissage, a donc pour effet immédiatde prévenir la manifestation extérieure des tares de caractèrerécessif particulières à l'une ou l'autre des races croisées.En d'autres termes, l'endogamie rend visibles et tangibles lesanomalies et les défauts récessifs que l'exogamie tend aucontraire à annuler ou tout au moins à combattre.

Le même raisonnement peut s'appliquer aux qualités, auxcaractéristiques et aux aptitudes héréditaires utiles. Il n'estdonc pas possible de généraliser pour affirmer que l'endoga­mie ou l'exogamie sont bonnes ou mauvaises dans les effetsqu'elles produisent sur la descendance; tout dépend, dans

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chaque cas particulier, des caractéristiques génétiques desindividus qui seront croisés.

Les partisans du métissage soutiennent, pour leur part, quel'endogamie, c'est-à-dire le mariage entre membres d'unmême groupe, tend à abîmer la race, que les races hybridessont plus vigoureuses parce que l'infusion d'un « sang nou­veau» augmente la vitalité du groupC', etc. Cette dangereusegénéralisation peut être repoussée elle aussi à l'aide des argu­ments déjà avancés.

Ni les partisans ni les adversaires du métissage n'ont précisécertains points qu'il nous semble utile d'aborder, à savoir:a) les effets produits par le croisement non seulement entregroupes nettement supérieurs à la moyenne, mais encore etsurtout entre groupes qui lui sont nettement inférieurs; b) legenre d'obstacles que le milieu dresse devant les métis etcontre lesquels ceux-ci doivent généralement lutter.

Si la loi ou la coutume d'un pays relègue les métis au rangde groupe déshérité (sur le plan social, économique et politi­que), il est fort probable que leurs contributions culturellesseront inférieures à kurs capacités innées. Dans un régimede castes, où nul métis ne peut songer à s'élever au-dessusdu rang social inférieur de l'un de ses ascendants, il est évi­dent qu'il ne faut pas juger des résultats de l'hybridationraciale d'après le niveau qu'ont atteint les métis. En revanche,dans un régime où le mérite individuel détermine librementla catégorie sociale, les succès remportés par les métis don­neraient des indications parfaitement nettes sur leurs quali­tés intrinsèques.

Il est difficile d'établir une distinction entre d'une partles effets résultant (lu métissage des races en soi, et d'autrepart ceux que produit le croisement entre groupes inférieursd'une population, quelle qu'en soit la race. L'hybridationentre groupes situés au sommet de l'échelle sociale a certesdonné bien des hommes de qualité supérieure, mais dansaucun cas il ne faut attribuer les résultats ainsi obtenus àla seule hybridation. Dans l'état actuel de nos connaissances,rien ne prouve que le métissage entraîne la dégénération dela descendance, mais rien ne prouve non plus qu'il donnenaissance à des groupes superieurs.

C'est en vertu d'une idée fausse qu'on divise l'humanité encompartiments raciaux étanches. Cette idée repose sur desprémisses erronées, notamment sur la théorie de l'hérédité« par le sang », qui est aussi fausse que la vieille théorieraciste. La « communauté de sang» est une expression dénuée

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de sens, car les facteurs d'hérédité n'ont pas le moindre rap­port avec le- sang, sont indépendants les uns des autres, nese mélangent pas et même peuvent se modifier isolément.L'hérédité n'est pas un fluide transmis « par le sang », et iln'est pas plus exact de dire que les « sangs » des parentsse mélangent et se fondent dans leurs enfants.

Ce mythe du « sang» persiste encore de nos jours; il sertde critère décisif quant à la valeur du métissage et l'on con­tinue à parler du « sang» comme du véhicule de l'hérédité,à dire « de mon sang », « la voix du sang », « sang mêlé »,« sang neuf », « demi-sang », etc. Les expressions « sangbleu» et « sang plébéien » ont acquis droit de cité dans lelangage courant, où elles désignent les prétendus fils de famil­les aristocratiques ou du « peuple », ce dernier mot ayantune nuance méprisante. Le coneept de « sang» s'entend aussidans le sens de « nationalité »: « sang allemand », « sangespagnol », « sang juif », etc. Enfin ce critère trouve sonexpression la plus erronée aux Etats-Unis, où l'on en estvenu à considérer comme « nègres » ou comme « Indiens »les individus qui possèdent un seizième de « sang indien »ou de « sang noir », c'est-à-dire ceux dont un des seize ancê­tres directs, ou trisaïeuls, était nègre ou Indien.

Ceux qui pensent encore ainsi sont incapables de com­prendre la nature particulière des phénomènes héréditairesainsi que celle des phénomènes sociaux dans lesquels l'héré­dité joue son rôle. Comment expliquer par l' « hérédité dusang» le fait que les enfants nés des mêmes parents héritentde caractères distincts alors qu'ils sont du même sang? Com­ment expliquer, chez certains individus, la présence de traitsque possédaient leurs grands-parents et que leurs parents nepossèdent point?

De fait bien des gens ignorent que non seulement le sangest parfaitement étranger au processus génétique, mais qu'ilest même démontré que la mère ne fournit aucun sang aufœtus qui, dès l'origine, fabrique au contraire son propresang. (F.M. Ashley Montagu, The Myth of Blood, 1943). Ceciexplique d'ailleurs comment un enfant peut appartenir à ungroupe sanguin différent de celui de sa mère.

Enfin la possibilité de transfuser du sang avec succès entreindividus de « races » distinctes, pourvu que leurs typessérologiques le permettent, constitue une preuve nouvelle etévidente de ce que le « mythe du sang» ne repose sur aucunfondement biologique.

Toutes les grandes races ont incontestablement une origine

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hybride. Au cours des millénaires qui se sont écoulés depuisque le tronc humain commun s'est ramifié, les croisements sesont succédé sans cesse.

Dixon signale que les Alpins brachicéphales, méprisés parM. Grant et autres, ont constitué un élément important dansla formation de la culture babylonienne; que l'immigrationen Grèce des Doriens alpins a précédé l'apogée culturelle del'ère hellénique; que Rome n'a atteint sa splendeur qu'aprèsla conquête par les Alpins de la population caspio-méditer­ranéenne du Latium; que la culture chinoise a suivi l'absorp­tion des éléments caspiens par les types alpins et que le mer­veilleux essor de la civilisation européenne moderne s'estopéré dans la région où le mélange des Alpins, des Méditer­ranéens et des Caspiens a été plus complet que dans touteautre partie du monde. D'autres grandes civilisations, notam­ment celles de l'Egypte, de la Mésopotamie et de l'Inde, ontégalement surgi aux points de rencontre de peuples différents.

Un raciste comme Gobineau, pour qui le métissage présentedes caractères fatals, pousse l'absurdité jusqu'à dire que sixd'entre les dix civilisations les plus brillantes sont duesaux « Aryens », rameau supérieur de la race blanche (Hin­dous, Egyptiens, Assyriens, Grecs, Romains et Germains) etque les quatre autres grandes cultures (celles des Chinois, desMexicains, des Péruviens et des Mayas) sont les produits dela race blanche déjà mélangée avec des races inférieures. Ilaffirme, en conclusion, que de tcls croisements amènent dessignes de dégénérescence tels que: idées égalitaires, mouve­ments démocratiques, etc., et que le métissage crée des êtresmédiocres, qu'il compare à de'> troupeaux « accablés sous unemorne somnolence» et qui vivront dès lors « engourdis dansleur nullité comme des buffles ruminant dans les flaques sta­gnantes des marais Pontins ». Nous ne croyons pas utile deréfuter, une fois de plus, des affirmations aussi absurdes, quireposent uniquement sur des critères racistes du genre poli­tico-philosophique et sur des arguments pseudo-scientifiquesdu type biologique précédemment signalés et réfutés.

Voici maintenant quelques exemples de métissage qui con­cernent des nations que nous appelons civilisées.

L'Angleterre a été occupée, depuis les temps les plus recu­lés, par des groupes humains de type Cro-Magnon, nordique,méditerranéen, alpin, et plus tard l'île fut envahie par lesSaxons, les Norvégiens, les Danois et les Normands. Commentdonc parler aujourd'hui d'une race anglaise pure? L'Angle­terre est, au contraire, un hel exemple de mosaïque raciale.

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Depuis l'époque paléolithique la France a été occupée pardes peuples divers: Neanderthal, Cro-Magnon, Chancelade,(irimaldi. A la période néolithique diverses branches de larace méditerranéenne ct des Alpins primitifs vinrent de l'Est,puis, au vne siècle av. J.-C., les envahisseurs celtes vinrentdominer les premiers colonisateurs. Vers le 1er siècle de notre(.1'1' elle subit les débuts de l'invasion barbare, qui fut conte­nue momentanément par la domination romaine, mais deuxsiècles plus tard les Vandales faisaient la conquête de laGaule et les Wisigoths fondaient, dans le sud de la France,un royaume qui subsista jusqu'au vn" siècle. Ces rapides indi­cations donnent une idée du degré d'hétérogénéité de la racefrançaise et font ressortir l'importance et la valeur de l'hybri­dation. La France septentrionale semble être plus teutonneque le sud-ouest de l'Allemagne, et ce pays à son tour, dansIle nombreuses régions orientales, est peut-être plus slave quela Russie.

Des faits analogues se répètent sur les autres continents. S'ilnous semble que le mélange des races a atteint son pointextrême dans l'Amérique post-colombienne, c'est du fait seu­lement que le phénomène du métissage s'y déroule sous nosyeux, sans qu'il soit besoin de recourir à l'histoire. Il ne fautpas non plus oublier que, dès l'origine, la population amé­ricaine pré-colombienne eut également nn caractère hétéro­gène.

Dans toutes les reglOns de haute culture on a vu des peu­ples conquérir d'autres peuples. Le fait que les hybrides semultiplient chaque jour dans le monde entier vient démentirla prétendue thèse selon laquelle les métis dégénèrent.

Les groupes humains isolés n'ont pris qu'une part nulleou négligeable au progrès culturel de l'humanité; en revanchele croisement avec d'autres races favorise les circonstancesqui permettent à un groupe de jouer un rôle important dansla civilisation.

N'est-ce pas à la présence des immigrants caspio-méditer­ranéens que l'Italie du Nord doit d'avoir été l'un des plusbrillants foyers de la Renaissance? Faut-il voir une simplecoïncidence dans le fait qu'après la période barbare la cul­ture européenne a débuté au moment où s'était effectuée lafusion avec de nouveaux peuples? Les Etats-Unis, où le croi­sement des races a atteint son maximum, ne sont-ils pas enmême temps l'un des centres de la civilisation contemporaine?

Nous dirons donc pour résumer:1. Le métissage a existé depuis l'aube de l'humanité;

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2. Le métissage favorise les variations physiques et psychi­ques; il permet de nombreuses combinaisons nouvelles defacteurs génétiques, qui assouplissent les qualités hérédi­taires de la nouvelle population;

3. Du point de vue biologique, le métissage n'est ni bon nimauvais; tout dépend toujours des caractéristiques person­nelles des individus soumis à l'hybridation. En général lemétissage est surtout fréquent entre individus qui appar­tiennent à des couches sociales inférieures et dont la situa­tion sociale et économique est, par suite, arriérée; c'est àcette contingence, et non au métissage proprement dit,qu'il faut attribuer les anomalies relevées;

4. C'est exceptionnellement que, d'eux-mêmes, des groupesde « race pure» et des groupes humains isolés ont déve­loppé une haute culture;

5. Au contraire la plupart des régions de haute civilisationsont peuplées de groupes humains nettement métissés.

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III. LE PREJUGE DE COULEUR;- LE MYTHE NOIR

Aucun des traits physiques qui ont été utilisés pour classerles races humaines ne semble avoir de valeur fonctionnellepour l'individu qui les possède. Notre civilisation attribue uneimportance toute particulière à la eouleur de la peau. Unepigmentation plus ou moins foncée constitue pour de nom­breux groupes humains un signe distinctif qui les voue aumépris, à l'ostracisme et à une condition sociale misérable.Le sentiment aigu des différences de couleur provoque chezcertaines personnes des phobies presque pathologiques, quine sont pas innées, mais reflètent sous une forme extrêmeles préjugés de leur milieu. Dire d'un homme qu'il est infé­rieur parce qu'il est noir est aussi absurde que de prétendrequ'un cheval blanc est plus rapide qu'un cheval noir. Si malfondé que soit le préjugé de couleur, il n'en correspond pasmoins, dans beaucoup de pays, à un ensemble de sentimentset d'attitudes qui possèdent une force incontestable.

L'exploitation par les blancs des richesses du sol ct dusous-sol, dans les régions découvertes depuis le Xlv" siècle, lesconduisit à pratiquer l'esclavage, notamment celui des noirsct des Indiens américains. Ce fait contribua à accroître l'or­gueil des blancs et leur complexe de supériorité devant ~es

hommes de couleur, complexe que renforçait encore l'idéequ'ils étaient chrétiens, alors que les noirs ct les Indiensd'Amérique étaient païens.

Il y eut bien, redisons-le, un père Bartolomé de Las Casaspour prêcher âprement l'abolition de l'esclavage non seule­ment chez les Indiens, mais encore chez les nègres, « car laraison est la même chez eux que chez les Indiens », maisplus nombreux furent ceux qui, dans leur désir de maintenirle statu quo, tentèrent de le justifier en proclamant le noir« inférieur » au blanc. C'est ainsi que le révérend ThomasThompson publiait en 1772 une brochure intitulée Commentle commerce des esclaves noirs sur la côte d'Afrique respecteles principes d'humanité et les lois de la religion révélée.En 1852 le révérend Josiah Priest faisait paraître A BibleDefense of Slavery; enfin, dans son ouvrage intitulé The Negro

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as a Beast or in tlle Image of God C. Carroll (1900) consacreaux « preuves bibliques et scientifiques démontrant que lesnoirs n'appartiennent pas à la famille humaine» un chapitredans lequel il affirme: « Tous les travaux scientifiques mon­trent avec évidence que leur constitution est parfaitementsimiesque. »

Dans le dernier tiers du XIXe siècle les blancs s'approprientdéfinitivement l'exploitation et la domination des empirescoloniaux, domination officiellement consacrée par la Con­férence pour la répartition du continent africain entre lesdiverses puissances européennes, réunies à Berlin ("n 1855. Ilétait dès lors évident que ces puissances restaient totalementindifférentes devant le problème juridique et moral posé parle fait qu'aucune d'entre elles n'avait le moindre droit à dis­poser des régions africaines, et moins encore de la vie, desbiens et du travail de leurs habitants.

Assurément l'égalité des droits de l'homme fut proclaméedans la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis et dansle 15- amendement à la constitution de ce pays, spécifiantque dans aucun des Etats les droits de la personne ne peuventêtre limités en raison de la race ou de la couleur; assurément(les principes identiques figurent aussi dans la constitution dela plupart des pays et ont été solennellement reconnus dansl'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'hommeque les Nations Unies ont signée le 10 décembre 1948. Lesfaits n'en montrent pas moins que sévit un peu partout unediscrimination sociale, économique et politique dirigée con­tre les noirs et contre les hommes de couleur en général,discrimination qui repose essentiellement sur des conceptionsraciales fausses.

L'une des pires absurdités auxquelles le préjugé de couleurait conduit les Etats-Unis est que quiconque reconnaît avoireu un ancêtre africain y est considéré comme « noir », sansque son aspect extérieur entre en ligne de compte. Le « noir»n'est donc plus ici une entité biologique, mais un membred'un groupe culturel, économique et social. Certains de ces« noirs », étant pratiquement indiscernables des blancs, fei­gnent d'être blancs pour échapper à la discrimination exercéecontre les noirs. L'illogisme de cette attitude devient plU'>flagrant encore quand on réfléchit que si un individu pos­sédant une infime quantité de « sang noir » est tenu pournoir, il serait tout aussi raisonnable et juste de tenir pour« blanc» quiconque possède une infime quantité de « sangblanc ».

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On a estimé que les peuples de couleur représentaientapproximativement les trois cinquièmes de la populationtotale du monde. Il est bien évident qu'on ne saurait con­sidérer cette large portion du genre humain comme quantiténégligeable ni la réléguer à un plan secondaire et subordonné.Le respect mutuel s'impose; nous devons apprendre à vivre encommun sans crainte, sans haine, sans mépris, !>ans exagérerinutilement les différences aux dépens des ressemblances,en nous efforçant d'en comprendre la portée et la valeurvéritables. Si nous agissions autrement, peut-être verrions­nous se réaliser les prédictions que Dubois formulait en 1920,disant que la guerre de 1914-1918 n'était rien auprès de lalutte que devraient entreprendre les noirs, les bruns et lesjaunes pour recouvrer leur liberté et mettre un terme auxhumiliations et au mépris que le monde blanc leur inflige.« Le monde noir ne se résignera à son sort actuel qu'aussilongtemps qu'il ne pourra faire autrement. » De son côtéMarcus Gravey, autre leader noir, affirme: « La plus san­glante des guerres sera déchaînée lorsque l'Europe lutteracontre l'Asie et que le moment sera venu pour les noirs delutter, eux aussi, pour la rédemption de l'Afrique. »

Ce qui humilie les noirs plus que tout, ce sont les restric­tions sociales et les insultes personnelles: interdiction auxvoyageurs noirs de prendre certains trains et certains auto­bus, aménagement de véhicules de type spécial, salles d'at­tente réservées, écoles spéciales, restaurants et hôtels inter­dits, etc., toutes choses que les noirs trouvent dégradanteset ridicules. En Afrique du Sud, où le préjugé de couleur estsi violent, on a pu voir en 1944 divers fonctionnaires perdreleur situation pour s'être refusés à appliquer les instructionsdu gouvernement prescrivant l'emploi, dans les documentsofficiels, des mêmes formules de politesse, qu'ils soient adres­sés à des personnes de couleur ou à des blancs.

Les blancs de condition modeste semblent être ceux quirappellent et font prévaloir avec le plus d'insistance la règlede discrimination contre les noirs. Ils Se sentent en effetles premiers visés par la concurrence économique des noirs,et, ne disposant d'aucun autre argument pour justifier leurorgueil, ils accordent à la pigmentation une importance déme­surée.

Le préjugé de couleur n'a pas seulement servi à établirdans notre société un régime de caste; il a aussi été utilisécomme une arme par les syndicats ouvriers pour lutter contrela' concurrence d'un prolétariat noir ou jaune. Ces « bar-

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l'leres de couleur >1 élevées par les fédérations ou les syndi­cats américains ou sud-africains, qui s'inspirent des idéauxsocialistes et qui se donnent comme les défenseurs de laclasse ouvrière, jettent une lumière crue sur les rivalitéséconomiques qui se dissimulent sous les antagonismes raciauxet sous les mythes qui sont élaborés pour les justifier.

Dans des traités d'apparence scientifique on est allé jus­qu'à prétendre que les capacités intellectuelles dC's mulâtresétaient directement proportionnelles à la quantité de « sangblanc » qui coulerait dans leurs veines. Le succès ou l'insuc­cès que ceux-ci rencontrent dans la vie dépendrait de ce pour­,·l'ntage. A ceux qui signalent les obstacles de toutes sortesqui sc dressent contre les mulâtres les racistes répondentque ceux-ci auraient quand même réussi à percer, malgrél'hostilité du milieu, s'ils avaient été suffisamment doués. Unedes opinions les plus fausses, quoique des plus répandues,est que le nègre livré à lui-même est un parfait sauvage etqu'il n'a progressé que là où les blancs lui ont imposé leursidées et ont modifié son sang.

Prétendre lier à la couleur de la peau certaines caracté­ristiques psychologiques ct sociales est non seulement par­faitement absurde, mais c'est aussi une idée fausse que l'onfait varier selon les contingences du moment. Voyons, parexemple, les revirements qui se sont produits à l'égard desJaponais. La plupart des Américains du Nord qui, en 1935,les qualifiaient de « progressistes », « intelligents » et « tra­vailleurs » les trouvaient, en 1942, « rusés » et « traîtres ».Tant que la Californie manqua de travailleurs chinois ilsfurent jugés « frugaux », « sobres » et « respectueux deslois », mais dès que la concurrence devint sévère et qu'ilfallut les éliminer ils devinrent « malpropres », « répu­gnants », « inassimilables » et même « dangereux ». Nousretrouvons la même absence de critère objectif envers l'Inde;si les soldats nord-américains qualifiaient les indigènes de« s31es » et de « peu civilisés », les intellectuels hindoustrouvaient les Nord-Américains « rustres », « matérialistes »,« peu intellectuels» ct aussi « peu civilisés ».

En ce qui concerne les caractères physiques et psychiquesdu noir, prétendus inférieurs à ceux du blanc, certainsadmettent, avec Hankins, que le cerveau est moins volumi­neux chez les noirs et ils en déduisent que ses capacités men­tales sont moindres. C'est ainsi que H. L. Gordon (1933)attribue aux noirs du Kenya une déficience congénitale du

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cerveau due au fait que leur crâne a un volume moindre etune forme différente.

L'odeur particulière du noir et son prognathisme accentuéont souvent été donnés pour preuve de son infériorité biolo­gique, mais c'est surtout sur le terrain psychologique que l'ona tenté, avec le plus d'insistance, de démontrer la supérioritédu blanc sur le noir. Les recherches entreprises par Leakeyen Afrique et par Steggerda parmi les noirs de la Jamaïqueont démontré que leur capacité crânienne n'est pas inférieureà celle du blanc et lui est même parfois supérieure. Les tra­vaux de J. Huxley et de A. Keith concordent également surce point, que confirment en outre les études de J. H. F. Kohl­brugge (1935) sur la constitution du cerveau, aboutissant auximportantes conclusions que voici, approuvées d'ailleurs pard'autres éminents anthropologues et médecins, tels queRetzius, Weinberg, Sergi et Kappers :1. Le poids du lobe frontal, considéré comme siège de l'intel­

ligence, représente 44 pour cent du poids total du cerveauchez les individus des deux sexes, parmi les blancs commeparmi les noirs.

2. Le poids du cerveau ne correspond à aucune différenceraciale. En revanche des variations individuelles se mani­festent à l'intérieur de chaque groupe ou « race» humaine.

3. Le cerveau des hommes d'intelligence exceptionnelle n'estsupérieur ni en poids ni en volume à celui des autres.

4. L'examen comparatif des sillons et circonvolutions du cer­veau ne permet pas davantage de relever des différencesconstantes dans chaque race; on trouve toutes les variationsdans toutes les « races ». Si l'on mettait ensemble diverscerveaux, ceux des Australiens ne se distingueraient pasplus de ceux des Européens que ceux des individus d'intel­ligence supérieure de ceux des hommes d'intelligencemoyenne.

Les résultats des études de Sergi sur les noirs et de Kapperssur les Chinois détruisent les affirmations gratuites selon les­quelles les peuples de couleur auraient un cerveau de volumemoindre et d'une structure plus simple que celui des blancs.

Sans doute le prognathisme, fréquent chez les noirs, est-ilun signe physique d'évolution moins avancée, mais l'absencede poils sur le corps, l'épaisseur des lèvres, la texture descheveux, etc., impliquent un stade d'évolution plus pousséechez le nègre que chez le blanc. On peut dire, avec RuthBenedict et H. V. Vallois, que « nulle race ne peut prétendreêtre seule parvenue au stade final de l'évolution humaine;

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aucun argument ne permet d'affirmer valablement que cer­tains traits choisis plaident en faveur de la race blanche ».

« Bon » et « mauvais », « supérieur » et « inférieur »sont des expressions dénuées de sens, car elles sont subjec­tives. Il faudrait tout au moins préciser en disant parexemple: « En général les noirs sont supérieurs aux blancsquant à leur résistance au paludisme », ou bien: « En généralles blancs sont supérieurs aux noirs quant à leur résistanceà la tubereulose », etc. On verrait ainsi que les « supério­rités » et les « infériorités» se compensent en fin de comptedans chaque groupe humain.

Quiconque compare actuellement les peuples blancs etnoirs pourrait être tenté d'admettre l' « infériorité » de cesderniers, du fait que leur développement économique, poli­tique et culturel est très inférieur à celui des premiers. Il nes'agit cependant pas d'une « infériorité raciale innée» maisbien d'une infériorité accidentelle, due au régime d'exploita­tion auquel sont actuellement soumis presque tous les noirspar la colonisation et l'esclavage de fait, sinon de droit.

Trop souvent le noir vit encore dans un état de semi-escla­vage économique, enserré dans une série de restrictions,parfois légales, parfois aussi extra-légales. La pauvreté, lemépris et la maladie ont fait de lui ce qu'il est aujourd'hui.

Sans doute la prétendue paresse du noir, et ceci vaut égale­ment pour l'Indien d'Amérique, est-elle surtout due à l'absencede stimulant. Comme Burns le remarque à juste titre, l'énormeproduction des colonies de l'Ouest africain, où les noirs jouis­sent de leurs droits de propriété, prouve qu'ils ne sont pasparesseux par nature. Lorsque les noirs exécutent un travailqui les intéresse et qu'ils comprennent, ils dépensent leurénergie sans compter, mais ils veulent choisir eux-mêmesleurs heures de travail et ne pas se sentir emprisonnés dansun emploi dont l'horaire est rigide. De même l'Indien d'Amé­rique qui peut cultiver sa propre terre et jouir entièrement dufruit de ses efforts travaille indubitablement avec une énergie,un enthousiasme et une efficacité qu'il ne manifeste nullementlorsqu'il sait que le « maître » recueillera les bénéfices deson activité.

Selon Booker T. Washington le plus grand tort que l'escla­vage ait porté aux noirs, est de leur avoir ôté le sentiment del'autonomie personnelle, la méthode et l'esprit d'initiative.

Ce qui blesse le noir, à juste titre d'ailleurs, c'est qu'enraison de sa couleur il est systématiquement tenu à l'écart decertains milieux sociaux, qui accueillent cependant des blanes

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dont la culture et l'éducation sont très discutables. C'estl'attitude générale des blancs il leur égard, leur manque deconsidération, leur mépris, voulu ou non, qui font que chaquejour les noirs « désirent plus ardemment échapper à cetostracisme perpétuel, à cette dégradation qui les marquecomme s'ils appartenaient à une autre espèce, comme s'ilsétaient des sous-hommes ». (Mathews cité par Burns.)

Un complexe d'infériorité, d'ailleurs bien compréhensible,leur fait interpréter comme une preuve d'hostilité envers leurrace et un désir de les maintenir en état d'infériorité toutacte et toute décision pénibles, ou tout au moins désagréables,même lorsque cet acte ne vise que l'individu et est étrangeril tout préjugé de couleur. La rancœur et la haine accumuléesdevant les offenses d'autrefois, la méfiance devant les avancesdes blancs, une haine amère ct parfois ouvertement avouéede tout ce qui est blanc, tout cela il faut que les noirs puissentle dominer, le vaincre, l'oublier si l'on veut voir s'établir,entre ces deux groupes humains, un esprit de véritable com­préhension. -

A certains moments de l'histoire a succédé aux guerres dereligion la tolérance religieuse. De même nous croyons qu'ilest possible de prévenir les guerres raciales si les blancs dumonde entier cessent de mépriser et d'injurier les noirs, s'ilscessent d'être injustes envers eux et s'ils adoptent envers lesgens de couleur une attitude de civilité, de décence, de tolé­rance et de cohabitation amicale. Il ne faut pas que nousentendions répéter ce qu'un Hawaïen faisait remarquer il unmissionnaire: « Vous autres blancs, quand vous êtes arrivés,vous aviez la Bible et nous possédions la terre; c'est nousmaintenant qui avons la Bible, et vous qui possédez la terre. »Ce que la race noire, en tant que telle, et ce que les noirsindividuellement ont pu apporter jusqu'ici dans les diversdomaines de la civilisation mondiale ne permet pas d'évaluerce que ce groupe humain serait capable de faire à l'avenir,selon ses aptitudes, si le milieu et les circonstances socialeset économiques lui étaient plus favorables. Il ne faut pasoublier d'ailleurs, parmi les autres précédents, qu'auxII" siècle l'Université noire de Tombouctou pouvait avanta­geusement soutenir la comparaison avec les universités euro­péennes de son temps. On peut en dire autant du niveaugénéral de la civilisation dans les trois grands royaumes noirsde l'époque, et il est possible que le travail du fer, qui repré­sente l'un des progrès les plus importants de la techniqueactuelle, ait été introduit par les noirs.

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En résumé toutes les preuves biologiques, anthropologiques,évolutives et génétiques démontrent que la discriminationraciale par la couleur est un mythe dénué de tout caractèrescientifique sérieux et que la prétendue « infériorité racialedes hommes de couleur » est donc fausse. Seuls un milieu etdes circonstances politiques, économiques et sociales défavo­rables maintiennent ces groupes humains dans leur étatactuel,

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IV. LE MYTHE JUIF

Le groupe humain que constituent les Juifs a suscité unehaine profonde dans presque tous les pays et dans presquetous les temps.

L'antisémitisme, en tant qu'attituùe sociale et politiqueadoptée par de nombreux Etats et, dans certains autres, parde vastes groupes de la population - attitude plus ou moinsjustifiée par des raisons d'ordre religieux et économique ­est un vieil antagonisme dont les origines sont lointaines. Ilsuffit, pour montrer son intransigeance, de rappeler l'expul­sion en masse des Juifs d'Espagne au xv' siècle, la ségrégationdes Juifs dans l'Europe chrétienne au moyen âge, le procèsDreyfus en France, les fameux pogroms de Juifs à certainesépoques et dans certaines régions d'Europe orientale et cen­trale, enfin la publicité mondiale donnée aux faux Protocolesdes Sages de Sion en VUe d'exacerber l'esprit antisémite desmasses populaires.

A notre époque l'antisémitisme s'est emparé du mythe dela race juive pour tenter de Se justifier et de couvrir sesappétits politiques et économiques sous des arguments pseudo­scientifiques. En fait le type considéré comme caractéristiquedu « Juif» se retrouve fréquemment parmi les populationsdu Levant et du Proche-Orient, qui cependant ne sont etn'ont jamais été juives, ni par leur religion ni par aucunaspect de leur culture.

Le fait que certains Juifs sont reconnaissables au premiercoup d'œil est dû moins à des caractères physiques hérédi­taires qu'à des réactions et dispositions sentimentales d'autrenature que traduisent certaines expressions du visage, cer­taines attitudes corporelles, certaines manières caractéris­tiques, certain ton de la voix, enfin certaines tendances detempérament et de caractère dont il faut chercher l'originedans les coutumes juives et dans le traitement infligé auxJuifs par les non-Juifs.

Si les nazis avaient disposé de caractères véritables per­mettant de différencier les « Juifs », pourquoi les auraient·ils

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obligés à porter ostensiblement l'étoile de David, afin que les« Aryens » puissent les identifier?

Quant à Mussolini, après avoir déclaré en 1932 qu' « il n'ya pas de races pures », que « l'antisémitisme n'existe pas enItalie» et que « les Juifs italiens se sont toujours conduits enbons citoyens et en vaillants soldats », il n'en lança pasmoins, en 1936, sa campagne contre les Juifs, sous la con­trainte de l'alliance italo-allemande ; le racisme fut pourtantdifférent chez lui de ce qu'il était en Allemagne, le peupleitalien présentant une hétérogénéité historique plus évidente.Le manifeste fasciste du 14 juillet 1938 affirmait: « Il existeune race italienne pure. Le problème du racisme en Italiedoit être traité sur le plan purement biologique, sans consi­dérations d'ordre philosophique ou religieux. Le concept dela race en Italie doit être essentiellement italien et avoir uneorientation aryo-nordique »... « Les Juifs n'appartiennentpas à la race italienne. De façon générale aucun des Sémitesqui se sont établis sur le sol sacré de notre patrie au coursdes siècles n'y est resté. L'occupation arabe de la Sicile n'aelle-même laissé d'autre trace que le souvenir de quelquesnoms. »

L'attitude du fascisme revendiquant pour l'Italie une« pureté de race » du type « aryo-nordique » serait risible sielle n'était tragique, mais nous voulons surtout montrer quel'antisémitisme fasciste italien, grossière imitation du nazisme,repose également sur des affirmations biologiques erronées.

Quelles peuvent bien être ces prétendues caractéristiquesanthropologiques qui permettraient d'identifier la « racejuive» ?

Les Juifs ont formé une nation jusqu'à la prise de Jérusalempar Titus en l'an 70 après J.-C. Au début de l'ère chrétienne,ct peut-être même avant, les Juifs de Palestine ont émigrédans divers pays, d'où ils furent souvent expulsés par la suite,ce qui donna lieu à de nouvelles migrations, de nouveauxdéplacements, que l'on pourrait qualifier de secondaires. Ilserait intéressant de connaître les caractéristiques morpho­logiques et raciales de ces anciens Hébreux, ancêtres pro­bables des Juifs actuels; nous les ignorons cependant encoreet force nous est donc d'orienter nos recherches dans uneautre voie.

Très tôt les Sémites se mêlèrent aux peuples voisins del'Asie occidentale: Chananéens, Philistins, Arabes, Hit­tites, etc. A supposer même que les Hébreux aient constitué

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à l'origine une race pure, cette race a donc subi des métis­sages divers et profonds dès la plus haute antiquité.

Sans parler du nouvel Etat d'Israël, il existe en Asie degrandes colonies juives localisées, notamment en Transcau­casie, en Syrie, en Mésopotamie, au Yémen (Arabie), à Samar­cande, à Boukhara (Turkestan), en Perse et à Hérat (Afgha­nistan) .

L'établissement des Juifs en Afrique du Nord (Maroc etAlgérie) commence au x· siècle av. J.-C., bien que de nou­velles immigrations aient cu lieu plus tard. Dans cette régionon rencontre trois types de Juifs, qui varient selon leur ori­gine : a) les anciens, peu nombreux, qui présentent fréquem­ment le type hébraïque classique: peau blanche, yeux noirs,nez busqué, crochu et épais; b) les Juifs chez lesquels l'élé­ment espagnol prédomine; c) les Juifs du type arabe berbère,qui sont les plus nombreux et se distinguent peu de la popu­lation indigène parmi laquelle ils vivent. Ainsi donc, si cer­tains groupes juifs d'Afrique présentent entre eux des simi­litudes physiques, d'autres, en revanche, ressemblent davan­tage aux peuples asiatiques.

Une importante colonie juive s'établit en Espagne dès ledébut de l'ère chrétienne. Expulsés en 1492, les Juifs sedispersèrent en Afrique du Nord, dans les Balkans ct enRussie. Les Juifs d'origine espagnole ont la tête allongée,alors que les Juifs russes ont la tête ronde, différence quis'explique quand on observe que dans ces deux groupes laforme du crâne sc rapproche de celle que présentent lesEspagnols ou les Russes, aux côtés desquels ils vivent respec­tivement. La même observation générale peut être faite ausujet des Juifs de Pologne, d'Allemagne et d'Autriche. En cequi concerne les Juifs d'Angleterre, 28,3 pour cent sont doli­chocéphales, 24,3 pour cent mésaticéphales, 47,4 pour centbrachycéphales. Quant aux Juifs du Daghestan (Caucase),5 pour cent sont dolichocéphales, 10 pour cent mésaticéphaleset 85 pour cent brachycéphales.

Pour ce qui est de la forme du crâne, on peut dire, enrésumé, que les Juifs ù'Asie sont surtout brachycéphales bienque certains groupes soient dolichocéphales, que ceuxd'Afrique sont dolichocéphales en majorité absolue, et qu'enEurope nous trouvons ùes dolichocéphales (notamment enEspagne), des mésaticéphales et des brachycéphales.

Il n'est pas possible d'entrer dans le détail des chiffres quimontrent à quel point sont variables toutes les autres carac­téristiques physiques de ce qu'on appelle à tort « la race

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juive ». Disons seulement que 49 pour cent des Juifs polonaisont les cheveux blonds et 51 pour cent les cheveux noirs, que32 pour cent seulement des Juifs allemands sont blonds etque 30 pour cent des Juifs viennois ont les yeux clairs. Danscertains groupes le profil nasal convexe, apparemment sicaractéristique du Juif, se retrouve uniquement dans 44 pourcent des cas, le profil droit dans 40 pour cent, le sinueux dans9 pour cent et le concave dans 7 pour cent.

Tout ceci prouve donc que le peuple juif présente desvariations el manque d'unité morphologique.

Comme le remarque le fameux anthropologue américainF. Boas, « l'assimilation des Juifs par les peuples parmi les­quels ils vivent est beaucoup plus profonde que ne le sug­gèrent les observations superficielles. Dans la stature, laforme de la tête et les autres traits il existe un parallélismefrappant entre l'aspect physique des Juifs ct celui des autrespeuples au milieu desquels ils se trouvent ».

Le pourcentage des Juifs blonds aux yeux clairs, leur répar­tition irrégulière dans les divers centres juifs, le fait que leurindice céphalique varie au moins autant que celui des peuplesles plus divers de l'Europe, l'existence de Juifs dont le typeest négroïde, mongoloïde ou teuton, la variabilité de lataille, etc., sont autant de pretlYCS ùe l'inexistence d'une unitéraciale sémite préservée depuis les temps bibliques. La pré­tention qu'ont les Juifs d'être d'origine pure est donc aussivaine et mal fondée que sont faux les arguments sur lesquelsl'antisémitisme s'appuie pour établir une différence radicaleavec la race prétendue aryenne. (Fishberg.)

Les Juifs qui, aux diverses époques, ont abandonné leurpays d'origine étaient métissés de façon différente suivant ladate de leur émigration. Dans leur nouveau pays certains sesont mariés entre eux, perpétuant ainsi le métissage primitif,mais la plupart se sont croisés avec les indigènes. Ce n'estpas là une simple proposition, ct plusieurs faits prouventl'exactitude de cette affirmation, malgré la croyance généraleselon laquelle les Juifs se seraient tenus à l'écart:1. Dès les premiers siècles de l'ère chrétienne de nombreuses

lois ont interdit aux orthodoxes d'épouser des Juifs, notam­ment le Code de Théodore II au XI" siècle, le conciled'Orléans en 538, les lois promulguées en 589 par les auto­rités ecclésiastiques de Tolède, par Rome en 743, par le roiLadislas II de Hongrie en 1092, etc. Le fait même que detelles mesures prohibitives s'imposaient indique assez com­bien étaient fréquents les mariages entre Juifs et chrétiens.

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Spielmann signale de nombreux mariages entre Germainset Juifs déportés par les Mérovingiens dans diverses villesdu bassin du Rhin.

2. On calcule que 42 pour cent des mariages juifs célébrés enAllemagne entre 1921 et 1925 étaient mixtes; en 1926 ont étécélébrés à Berlin 861 mariages entre Juifs contre554 mariages mixtes. Ces chiffres, déjà éloquents, le devien­nent plus encore si l'on songe au nombre des époux chré­tiens qui viennent grossir les rangs du judaïsme sanspourtant rien avoir de commun avec les sémites quant àla race.

3. Il est évident que les groupes juifs sont extrêmementmélangés, quel que soit le pays où ils résident. S'ils ontparfois été tenus à l'écart, les mesures de ce genre n'ontjamais été strictement imposées ni observées pendant long­temps. Cela est si vrai que, d'après leur origine, les Juifsse classent généralement, à l'analyse, de la façon suivante:a) descendants d'ancêtres émigrés de Palestine (proportiontrès réduite); b) descendants de mariages entre Juifs(métissage de groupes asiatiques) ou entre Juifs et non­Juifs (en quelque sorte, métis de métis !) ; c) Juifs de reli­gion mais qui, du point de vue anthropologique, n'ont riende commun avec les Juifs de Palestine - c'est-à-dire indi­vidus appartenant à d'autres types humains, convertis à lareligion hébraïque. On peut citer comme exemple typiquecelui de Boulan, roi des Khazars, qui en l'an 740 se convertitau judaïsme avec une grande partie de la noblesse et dupeuple; bon nombre de leurs descendants se trouvent actuel­lement parmi les Juifs de Pologne et de Russie méridionale.

Ainsi donc, contrairement à l'opinion courante, le peuple juif,en tant que race, est varié; ses migrations constantes, sesrapports, volontaires ou non, avec les nations et les peuplesles plus divers l'ont soumis à un tel métissage que l'on trouve,dans ce que l'on appelle le peuple d'Israël, des traits de tousles autres peuples. Il suffit de comparer le Juif de Rotterdam,solide, lourd, au visage coloré, et son coreligionnaire deSalonique, par exemple, au corps débile et nerveux, dont lesyeux brùlent le visage émacié. Dans l'état actuel de nos con­naissances nous pouvons donc dire que les Juifs présentententre eux une variété morphologique aussi grande que celleque pourraient présenter deux ou plusieurs races distinctes.

Si l'on accepte facilement, du point de vue scientifique, ladémonstration de l'hétérogénéité du peuple juif et la non­existence d'une telle race, comment expliquer le fait qu'il

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est actuellement possible, du premier coup d'œil, de recon­naître presque infailliblement un certain nombre de Juifs?Il s'agit probablement de ceux qui ont conservé certainscaractères ancestraux: nez aquilin, peau claire, yeux et che­veux noirs. Mais un nombre beaucoup plus grand d'entre euxéchappent à notre examen et à toute identification: ils passentinaperçus parce qu'ils ont pris les caractères du peupleauprès duquel ils vivent.

Ce fait s'explique encore par une autre raison fondamen­tale. Les individus qui professent une même religion pré­sentent certaines similitudes dans leurs gestes, leurs habitudes,leur façon de se vêtir, etc., qui permettent de les reconnaître.Chez les Juifs, dont les rites et les coutumes sont si dogma­tiques, cette ressemblance extérieure, qui résulte d'affinitésethnographiques, linguistiques et religieuses, est très accen­tuée malgré la variété des types morphologiques.

La prétendue existence d'une race juive est donc une affir­mation dénuée de tout fondement et aucune attitude anti­sémite ne peut s'appuyer sur ce mythe biologique.

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V. LE MYTHE DE LA SUPERIORITE DE LA « RACEARYENNE OU NORDIQUE »

Le racisme ne s'est pas contenté de décréter la « supériorité '}du blanc sur les groupes humains de couleur, d'exercer unediscrimination contre les Juifs ct de condamner le métissageen affirmant a priori qu'il était dangereux et conduisait à la« dégénérescence de la race ». Il a encore jugé bon d'établirdes hiérarchies biologiques et psychiques au sein de la raceblanche eUe-même, tentant ainsi de justifier de nouvellesprérogatives de conquête, de domination et d'exploitation enfaveur d'une caste plus exclusive encore. C'est ainsi que nousvoyons surgir l' « aryanisme » ou le « nordisme » commedoctrine essentielle de supériorité raciale. Le mythe aryena donné naissance à d'autres mythes secondaires, qui tousdérivent de lui: teutonisme, anglo-saxonisme et celtisme, quisc sont développés parallèlement en Allemagne, en Angleterre,aux Etats-Unis ct enfin en France.

Nous verrons d'abord l'origine, la diffusion et les caracté­ristiques essentielles de cc « type aryen supérieur» et nousdémontrerons enfin son inexistence.

L'ORIGINE DES .\RYENS

Les ressemblances philologiques observées par W. Jones(1788) entre le sanscrit, le grec, le latin, l'allemand ct le celteamenèrent Thomas Young (1813) à employer le terme « indo­européen » pour désigner cette origine commune à certainsidiomes. J. G. Rhode (1820) fixa en Asie centrale le lieu d'ori­gine des « lndo-Européens », désormais considérés comme unpeuple. Plus tard J. von Kalproth proposa de remplacer ceterme par l'expression « indo-germain », que les travaux dePrichard (1831) ct de F. Bopp (1833) rendirent extrêmementpopulaire. En 1840 F. A. Pott situa le peuple aryen primitifdans les vallées de l'Oxus et de l'laxartes et sur les pentes del'Hindou-Kouch. Bien que dénuée de tout fondement, cettelocalisation fut acceptée jusqu'à la fin du XIX· siècle.

F. Max Müller (1861) répandit la croyance en l'origine asia-

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tique des Aryens. Il inSIsta à son tour sur la nécessité deremplacer les termes « in do-germain » et « indo-européen »par le terme « aryen », en s'appuyant sur le fait que lepeuple qui envahit l'Inde et parlait le sanscrit s'appelait« Arya ». Pour Müller l'existence d'une langue aryenne ori­ginale impliquait également celle d'une « race aryenne »,dont descendaient les Hindous, les Perses, les Grecs, lesRomains, les Slaves, les Celtes et les Germains. Plus tard,cependant, cet auteur réagit contre la « conception raciale»du terme « aryen» et, comme nous le verrons plus loin, s'entint exclusivement à son sens linguistique.

J. J. d'Omalïus d'Halloy (1848-64), R. T. Latham (1862),Bulwer Lytton (1842), Adolphe Pictet (1859-64) et d'autresencore nièrent la prétendue origine asiatique des Indo-Euro­péens. Pour Benfey (1868) les Aryens viennent: du nord de lamer Noire, entre le Danube et la Caspienne. Louis Leiger(1870) les situe au sud de la Baltique. J. C. Cunck (1871) leslocalise dans la région comprise entre la mer du Nord et lesmonts Ourals. D. G. Brinton (1890) croit les Aryens originairesde l'Afrique septentrionale. Pour K. F. Johanson (début duxxf siècle) le foyer d'immigration des Aryens se situe dansla Baltique. Peter GiIes (1922) SUPPOSe qu'ils viennent desplateaux de Hongrie. V. Gordon Childe (1892) leur donnepour origine la Russie méridionale. G. Kossina (1921) croitqu'ils viennent du nord de l'Europe. En outre certains, commeR. Hartmann (1876), G. de Mortillet (1886) et Houzé (1906),ont soutenu que les Aryens étaient un simple produit del'imagination de certains auteurs, une pure « invention dC'cabinet de travail ».

Des exemples comme ceux que nous venons de donnermontrent que les avis sont partagés au point d'être souventparfaitement contradictoires et opposés. Nous sommes doncportés à croire que l'existence de ce « peuple aryen» ou decette « race aryenne » primitive n'est qu'un mythe, lesauteurs qui ont cherché à les localiser s'étant uniquementappuyés sur des critères subjectifs, sans aucun fondementréel et scientifique.

L\ DOCTRINE DE L' « ARY.\NISME » ET DU « TEUTONISME »

Le comte Henri de Boulainvilliers (1658-1722) a exposé lepremier la théorie de l'aristocratie de « sang germain », maisc'est Arthur de Gobineau cui a donné toute son ampleur à la

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doctrine de l' « aryanisme » (Essai sur l'inégalité des raceshumaines, 1853) en proclamant la supériorité de la « racearyenne » sur les autres groupes blancs. Ses conceptionsexercèrent une grande influence sur l'orientation philoso­phique et politiqUe de l'Europe. Elles furent aussitôt connuesen Allemagne, où Gobineau rencontra R. Wagner, qui se fitle champion de ses idées; toutefois c'est plus tard seulementqu'elles devaient se répandre en France, dans son proprejlays, ct y exercer une influence.

Descendant d'une famille bourgeoise du xvII" siècle, ils'efforça de prouver la noblesse de son extraction, et sonœuvre est avant tout le fruit de recherches tendant à démon­trer la « supériorité » ùe sa propre l'asie. Le racisme dl'Gobineau n'est pas nationaliste: c'est un racisme de classe,celui d'un aristocrate qui défend sa position devant un pro­létariat bàtard. Sa « race arycnne » était une caste « supé­rieure », pure, minoritaire, choisie et privilégiée, destinéeùans tous les pays à gouverner ct à diriger le destin desmasses métissées et « inférieures ». Gobineau, qui n'était nifrancophile ni germanophile, a simplement affirmé la puretéet la supériorité de la race aryenne dans l'aristocratic partoutoù elle- sc trouvait.

Les rivalités de classe et le conflit des minorités s'apaisenten Europe à partir du derniers tiers du XIX" siècle, quand leconflit des nationalités devient menaçant. C'est après laguerre de 1870 que l' « aryanisme », en tant que doctrineaffirmant la supériorité innée d'une classe sociale, se trans­forme en un dogme de « supériorité des nations ».

S'il était déjà faux, comme nous le verrons, de soutenir lapureté biologique d'une classe sociale, il était plus absurdeencore d'affirmer la pureté raciale d'une nation. Parmi lesFrançais, les Allemands et les Anglo-Saxons il s'est trouvénéanmoins des hommes de lettres, des politiciens et despseudo-savants pour s'efforcer de démontrer que la civilisa­tion devait ses succès exclusivement à « leur race ». Les« aryanistes » exaltèrent l'élément « nordique» comme étantl'origine des civilisations supérieures et des hauts faits del'humanité, en tout temps et en tout lieu. Pour Gobineau, parexemple, la civilisation chinoise a été rendue possible grâceà l'infiltration de « sang aryen ».

Gobineau ne décrit pas avec grande exactitude les traitscaractéristiques des « Aryens »; leur tête est parfois rondeet parfois plate; leurs yeux sont également clairs, mais par­fois aussi foncés, et même noirs (n'oublions pas qu'il était

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Français et qu'il avait les yeux noirs). Ce sont ses disciplesqui accordèrent en exclusivité au « type aryen» une hautetaille, des yeux bleus, des cheveux blonds et une tête longue.Ils y ajoutèrent les qualités morales suivante's: vigueurdrill.', noblesse innée, agressivité naturelle, objectivité imper­turbable, horreur des mots inutiles et de la vaine rhétorique,haine de la masse amorphe, intelligence précise, sentimentd'indépendance, dureté envers soi-même et envers les autres,sens aigu des responsabilités, grande prévision, persévéranceobstinée, race de chefs, hommes à se lancer dans des entre­prises de grande envergure réglées selon des plans savam­ment combinés, etc.

C'est Houston S. Chamberlain (1899), Anglais germanisé,gendre de R. Wagner, qui soutint avec le plus d'enthousiasmela théorie raciste du « Nordique blond dolichocéphale»; ilemploya les expressions « race teutonne» et « sang teuton '>,

donnant ainsi une nuance nettement nationaliste à la thèse« classiste » de Gohineau. Si l' « Allemand hlond » a unemission providentielle à remplir et si « les Teutons consti­tuent l'aristocratie de l'humanité » alors que « les Latinsappartiennent à un peuple dégénéré », il en découle que,même dans les pays considérés comme slaves et latins, lacivilisation européenne doit être l'œuvre de la « race teu­tonne ». Ceci vaut pour la Grèce, Rome, la Papauté, la Renais­sance, la Révolution française et l'Empire napoléonien. Ilaffirme que « partout ou l'élément germain n'a pas pénétréil n'y a pas de civilisation de notre type » et que « ce sontles races germaines qui, au v" siècle, ont transformé l'espritoccidental », etc.

Voyons quelques exemples de cette théorie fantastique.Les « Grecs aryens» se distinguaient dans les arts, mais

ils étaient dénués d'esprit d'organisation en politique parsuite du métissage de leur race avec la race sémite, quicontenait à son tour une certaine proportion de sang noir.Une fois lancée, cette imagination déhordante nous montreque Jules César, Alexandre le Grand, Léonard de Vinci,Galilée, Voltaire, Marco Polo, Roger Bacon, Giotto, Galvani,Lavoisier, Watt, Kant, Gœthe l't bien d'autres encore étaientdes « Teutons ». Napoléon lui-même est considéré commedescendant probahlement des Vandales.

D'autres grandes figures de l'humanité nous sont présentéescomme résultant d'une fusion entre le « sang teuton » ct la« race brune méridionale ». C'est dans cette catégorie que serangent, par exemple, Dante, Raphaël, Michel-Ange et Shake-

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speare, hommes de genle non point en raison de leur métis­sage, mais malgré leur métissage. Leurs talents naturels repré­senteraient l'héritage dl" la race teutonne. Parlant de l'apôtresaint Paul et désirant le faire entrer dans le groupe « aryen »,les racistes en arrivent à dire qu'un aussi grand homme nepouvait pas être un « Juif pur sang » et, à côté d'un pèrejuif, lui découvrent une mère grecque. De Jésus, Woltmannaffirme: « Nous n'avons pas la moindre preuve que sesparents aient été de descendance juive; les Galiléens,sans doute, avaient un peu de sang aryen, et du reste l'arya­nisme du Christ se révèle dans son message... Qui plus est,Galiléen ou non, Joseph n'était pas son père, puisque Jésusn'avait pas de père. » Lorsque le nazisme hitlérien se dressacontre l'Eglise, aucun' des théoriciens « racistes » n'osacependant faire allusion à l'origine « aryenne » de saintPaul et de Jésus-Christ.

L'exaltation raciale des Teutons en arrive, avec Wo1tmann,à cette absurdité d'affirmer l'origine germanique de certainesautres grandes figures de la Renaissance en s'appuyant surdes homologies philologiques imaginaires entre les noms.C'est ainsi p..lr exemple que Giotto se serait en réalité appeléJothe ; Alighieri, Aigler ; Vinci, Wincke ; Le Tasse, Dasse ;Buonarotti, Bohurodt ; Velasquez, Valehise ; Murillo, Moerl ;Diderot, Tietroh, etc.

L'ANTHROPOSOCIOLOGIE ET LA THÉORIE DE LA SÉLECTION SOCIALE

Cette tendance, lancéc en France par G. Vacher de Lapougc(1896) et en Allemagne par Otto Ammon (1898), est une formeparticulière du « déterminisme racial ». Elle s'appuie surdes recherches statistiques d'un réel intérêt mais dont ils ontinterprété les résultats d'après leurs idées préconçues sur lasupériorité du type dolichocéphale blond.

Après avoir étudié à Montpellier des crânes des XVIIe etXVIIIe siècles, Lapouge crut être en mesurc de prouver que leshommes des classes sociales élevées avaient un indice cépha­lique inférieur à celui des hommes de la classe populaire, lecrâne de ces dernicrs étant plus arrondi ou brachycéphale.

Voici, en résumé, certaines de ses conclusions:1. Dans les pays de race métissée la richesse varie en raison

inverse de l'indice céphalique; autrement dit, les individusdont l'indice est le plus bas (dolichocéphales) sont les plusriches.

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2. Les groupes les plus dolichocéphales habitent les villes,alors que les brachycéphales dominent dans les zonesrurales.

3. La vic urbaine exerce une influence sélective défavorableaux éléments brachycéphales.

4. Les classes sociales supérieures sont plus dolichocéphalesque les inférieures; la lutte pour les plus hautes situationssociales tend à éliminer les têtes rondes, qui se trouvent leplus souvent parmi les ouvriers.

5. Depuis les temps préhistoriquC's, l'indice céphalique aug­mente constamment en Europe. Lapouge prévoyait ainsi uneextinction <lu « blond dolichocéphale '> nécessairementsuivie pour le monde d'une période <1e « ténèbres ».

Toutes ces conclusions découlent de ce que l'on appelle laloi d'Ammon, selon laquelle les dolichocéphales se concen­trent dans les villes ct sont « socialement supérieurs» auxbrachycéphales.

Les travaux de Livi (189lî) en Italie, d'Olorîz (1894) enEspagne, de Beddoe (1905) en Angleterre, et de Rouzé (190(\)en Belgique ont démontré non seulement que la loi d'Ammonétait fausse, mais que les déductions hâtivement tirées parses partisans ne l'étaient pas moins. Il est exact que, d'aprèsles statistiques d'Allemagne et d'Italie septentrionale, les étu­diants (considérés comme représentants des classes socialessupérieures) étaient plus dolichocéphales, mais c'est tout lecontraire que l'on observe en Italie méridionale. D'ailleurs les« anthroposociologues » eux-mêmes jugeaient le type médi­terranéen dolichocéphale « inférieur » au type alpin brachy­céphale, alors que, pour être fidèles à leur propre thèse, ilsauraient dû admettre les noirs, qui représentent le type leplus dolichocéphale qui soit, parmi les peuples « supérieurs ».Ammon signale d'ailleurs que certains intellectuels allient unetête plate à une peau brune, fait qu'il justifie en vertu duprincipe qu'un léger mélange de sang brachycéphale estavantageux. Il tendrait en effet à tempérer l'excessive ardeurdes Aryens et leur apporterait un esprit de persévérance etde réflexion qui les rendrait plus aptes aux études scienti­fiques. Certains individus de type germanique parfait quant àla couleur de la peau, des yeux et des cheveux ont cependantla tête ronde, ce qui fait d'eux des brachycéphales sur le planmoral. Toujours d'après Ammon ce serait la forme céphaliquequi offrirait de l'intérêt, en ce qu'elle détermine la forme ducerveau, donc le type psychique. Vachrr de Lapouge est allé

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jusqu'à affirmer qu'un « crâne brachycéphale est le signed'un individu qui ne peut s'élever au-dessus de la barbarie ».

Or, contrairement à ces affirmations, les statistiques - etcelles de Lapouge et d'Ammon eux-mêmes - ont montré queles intellectuels ont le plus souvent une tête étroite et arrondieet que les types bruns prédominent dans les classes ditessupérieures. Aussi, commettant un autre sophisme, Lapougequalifie--t-il l'intellectuel de « faux brachycéphale », expres­sion dénuée de toute signification anthropologique.

A dire vrai, l'étude somatique des hommes qui se distin­guent dans les sphères intellectuelles des divers pays mon­trerait une combinaison extrêmement variée de traits anthro­pologiques correspondant aux races dites essentielles.

Comme nous le voyons, les théories et les données avancéespar les anthroposociologues sont manifestement contradic­toires et ne prouvent rien quant à la prétendue « supérioritéintellectuelle du dolichocéphale ». Ils n'ont pas davantage puétablir que la prétendue action sélective des grandes métro­poles sur les immigrés repose- sur la forme du crâne et moinsencore que les « classes supérieures» renferment une majoritéde dolichocéphales.

L'anthroposociologie croyait en la supériorité des dolicho­céphales blonds, et elle a soutenu cette- thèse. Elle n'a réusstien fait qu'à renforcer considérablement l'arrogance raciale dessoi-disant « Aryens » ct à augmenter l'agressivité des chau­vins te-utons et pangermains en leur permettant de masquerleur intolérance sous un sentiment de droiture morale d'au­tant plus dangereux qu'il était faux.

L.\ THÈSE « ARYENNE » DU NAZISME ET DU FASCISME

CONTEMPORAINS

L'orientation nationaliste du « racisme aryen » trouva enH. S. Chamberlain, Woltmann, Théodor Pesche e-t Carl Penkades partisans décidés qui, avec R. Wagner, contribuèrentpuissamment à enraciner en Allemagne la thèse de la supré­matie de la « race aryenne » ou « teutonne ». En 1894 lacroyauce en la supériorité germanique par la grâce de Dieuprit l'aspect d'un véritable culte religieux, et la « GobineauVereinigung » fut créée à Fribourg sous la présidence deL. Schemann. C'est pourquoi les doctrines « de la pureté etde la supériorité de la race» eurent une importance politiquebeaucoup plus considérable dans ce pays que partout ailleurs,

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au point qu'elles se convertirent en article de foi et qu'enpartie tout au moins elles provoquèrent, avec la premièreguerre mondiale, une dangereuse situation: tandis que lesdirigeants allemands incitaient frénétiquement leur peuple àdéfendre la culture teutonne et sa diffusion parmi les autresraces « moins civilisées de l'Europe », celles-ci répliquaient,à leur tour, que les Allemands « blonds» n'étaient pas desEuropéens, mais qu'ils étaient d'origine asiatique, descendantsdes Huns, dénués de tous les éléments de la véritable culture,étrangers au concept de liberté et de démocratie, et qu'ilfallait les exterminer jusqu'au dernier.

L'inexistence du « type aryen ou nordique» est démontréepar un précédent historique qui vaut d'être rappelé. Avant1914 Guillaume II voulut dresser la carte raciale de l'Alle­magne pour faire ressortir l'élément aryen; or il fut impos­sible de publier les données recueillies : l'hétérogénéité étaitsi grande que, dans des régions entières (le duché de Bade,entre autres) il ne s'était pas trouvé un seul individu du« type nordique» pur.

Après la guerre (1919-1939) les relations entre les peuplesne s'améliorèrent pas, et le « mythe raciste aryen » vint denouveau servir les fins politiques des nazis et des fascistes.

J. L. Reimer (Ein Pangermanisches Deutschland) a eul'audace de proposer l'établissement d'un système de castesprenant pour base la proportion de « sang germain» : a) lacaste supérieure, faite d'Allemands « pur sang », de « parfaitsTeutons », qui jouiraient de tous les privilèges politiques etsociaux; b) la caste intermédiaire, possédant du sang « plusou moins germain », qui ne jouirait que de privilèges limités;c) les non-Allemands, qui seraient privés de tous droits poli­tiques et devraient être stérilisés pour sauver l'Etat et l'avenirde la civilisation.

De son côté, Hans F. K. Gunther <1920-37), théoricien duracisme hitlérien, a caractérisé, sur le plan psychologique, letype alpin masculin comme étant « tout indiqué pour devenirle propriétaire ébloui d'une maisonnette entourée d'un jardi­net» et la femme comme « une femme flétrie vieillissant dansun monde étriqué et mauvais ». Les Alpins, dit-il, sont « debas criminels, tricheurs dès le bas âge, puis voleurs et sexuel­lement pervertis », alors que les Nordiques sont « capablesde beaux crimes ». Mais il est des racistes fanatiques moinssérieux encore que Gunther. Pour Gauch (Neue Grundlagender Rassenforschung, 1933) la différence de structure ana­tomique et histologique (cheveux, os, dents et tissus) entre

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l'homme et l'animal est moins grande que celle qui existeentre le Nordique et les autres races humaines; seul le Nor­dique possède un langage parfaitement articulé, seul leNordique se tient correctement en station verticale; et ilpropose finalement de tracer une séparation nette entrel'homme « nordique » et tout le règne animal, dont faitpartie l'humanité non nordique.

Inutile de rappeler ici le rôle que la supériorité du Nordiquea joué dans l'idéologie hitlérienne. Le Führer ne cachait passon mépris des peuples de l'Amérique latine, qui représen­taient une humanité métisse et bâtarde. Dans Mein Kampfil affirme la supériorité de l'Américain du Nord, de race ger­manique, sur les autres nations du continent. Cependant ill'avertit qu'il ne restera le maître du Nouveau Monde qu'aussilongtemps qu'il maintiendra la pureté de son sang.

Ceci se passe de commentaires. Rappelons, comme nousl'avons dit au chapitre précédent, que le fascisme italien n'apas seulement proclamé son antisémitisme, mais encore son« racisme nordique », pour justifier son unité nationale etson alliance politique et économique avec le nazisme.

L'Amérique n'échappe pas davantage à cette tendance.Certains auteurs nonHlméricains, authentiques racistes,comme Madison, Grant (Passing of the Great Race, 1916),Clinton B. Stoddard (America's Race Heritage, 1922), LothropStoddard (The Revoit .tlgainst Civili::ation ; the Menace of theUnder Man, 1922), affirment et répandent leur conviction dela « supériorité du Nordique ». C'est ainsi que ces auteurssoutiennent que la place qu'un pays occupe dans le concertdes civilisations dépend de la proportion de sang nordiquechez ses habitants. Ils voient dans la « décadence » de laFrance un signe de l'affaiblissement de ce précieux liquide.Quant à la « stupidité /> de l'Espagnol actuel, elle serai,t entiè­rement due à la substitution d'individus de race alpine etméditerranéenne à l'élément nordique.

LE PRÉTENDU « TYPE ANGLO-SAXON »

La prétendue uniformité somatique de l'Anglo-Saxon appelleégalement des commentaires défavorables. Si les Américainsdu Nord descendaient directement des immigrants duMayflower et si l'Angleterre de l'époque pouvait être consi­dérée comme un pays nettement anglo-saxon, la thèse de la« pureté» de ce type aurait peut-être quelque fondement. On

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a dit, en effet, que « les envahisseurs teutons exterminèrenttous les habitants indigènes d'Angleterre dans une glorieusehécatombe générale ». Mais la vérité est que les conquérantsteutons n'ont constitué qu'un nouvel élément dans la mosaïqueraciale des îles Brihmniques; eux-mêmes, d'ailleurs, étaientbien loin de présenter une homogénéité morphologique.

Pour appuyer la thèse de la « supériorité anglo-saxonne»certains ont été jusqu'à affirmer qu'une partie au moins dupeuple anglais était constituée par les descendants directsdes dix tribus perdues d'Israël, le peuple élu, « prédestinépar la Providence à civiliser le reste de l'humanité », tentantainsi de justifier les visées impérialistes d'un pays qui voulaitles réaliser par la force. En ce qui concerne les Etats-Unis,il est certain que les habitants primitifs de la Nouvelle-Angle­terre venaient de diverses couches de la société anglaise etprésentaient donc entre eux de grandes différences soma­tiques. Dans le peuple anglais la stature et l'indice céphaliquevarient considérablement. Parson (1920) a d'ailleurs prouvéà l'aide des statistiques que moins de 25 pour cent des Anglaisprésentent la combinaison yeux noirs ct cheveux châtainsou noirs, que la combinaison yeux clairs et cheveux blonds nese rencontre que dans 20 pour cent dcs cas, qu'il est plusfréquent de trouver des yeux clairs associés à des cheveuxnoirs mais qu'on rencontre également des individus aux yeuxfoncés et aux cheveux blonds. Ricn dans les îles Britanniques,et naturellement bien moins encore aux Etats-Unis, ne justifiecette prétendue identification entre la nation et la raceanglo-saxonnes.

LE CELTISME

Le celtisme est une autre variante de l'aryanisme, issue de laforte poussée nationaliste qui s'est manifestée en Franceaprès la guerre de 1870. Il affirme que le type celte habitela France et lui attribue certaines caractéristiques somato­psychiques qui le rendent « supérieur» au reste des blancs.

Alors que Gobineau, Lapouge, Ammon, Chamberlain, Wolt­mann et autres attribuent à l'élément « aryen» et « teuton»le génie créateur de la France, le celtisme avance des argu­ments exactement aussi bons pour proclamer la « supérioritéraciale du Celte ».

A. de Quatrefages (la Race prussienne, 1872) considère queIf's Prussiens descenrlf'nt d'ancêtres d'une race très différente

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de celle des Français, au point d'affirmer que « les Prussiensne sont en aucune façon des Aryens» ; selon ce savant ilsse'faient plutôt Mongols. En 1871 Broca déclarait que la Franceétait une nation de Gaulois (Alpins) aux crânes arrondis etaffirmait la « supériorité» de ceux-ci sur les crânes plats du« Nordique ~, germain. Pour sa part, Isaac Tylor (TlIe Originof the Aryuas, 1890) considérait les Celtes, race d'hommes degrande taille et à la tête ronde, comme étant les seuls Aryens.

Pourtant la confusion des termes et des caractères soma­tiques augmente dès que l'on prétend décrire le Celte et leGaulois. Joseph Widney (1907) parle de deux types celtes:l'un grand, blond, dolichocéphale (comme l'Ecossais desmontagnes et les habitants du nord de l'Irlande), l'autre petit,brun, brachycéphale (comme l'Irlandais du Sud). Il considèreque seul le premier est un véritable Celte, alors que le second,descendant d'une race plus ancienne subjuguée, n'a faitqu'adopter la « langue celte ~. Malheureusement le Celten'aurait jamais conservé la pureté de son sang, ayant unepropension fatale au métissage. Widney affirme que le Celtedolichocéphale blond constitue l'élément prédominant enFrance; toutefois dans le pays même on identifie plutôt leCelte à l'Alpin hrachycéphale, de taille l't de complexionmoyennes.

La France se considère tantôt comme peuplée de Celtes ettantôt de Gaulois, sans que les savants français soient eux­mêmes d'accord sur le point de savoir qui étaient les uns etles autres, ou s'il s'agit d'une même race. Certains chercheursreconnaissent que le mot « celte » est une dénominationhistorique, scientifiquement mal précisée, qui désigne despeuples parlant des langues apparentée's et présentant toute lavariété morphologique, allant du dolichocéphale petit et brunau dolichocéphale grand et blond, en passant par les brachy­céphales modérément blonds et de taille assez élevée. Lebien-fondé de ces observations n'a cependant rien changé àla croyance populaire imbue de racisme.

En réalité, quel que soit le « type celte », il se trouvequ'entre l'an 2.000 av. J.-C. (fin de la période néolithique enFrance) ct les migrations teutonnes du v' sièclE' de notre èreon ne sait pas grand-chose de ce qui s'est produit en Europeoccidentale, bien qu'il semble prouvé qu'il y ait eu des infil­trations successives du type brachycéphale alpin, ou tout aumoins d'une population dans laquelle ce type prédominait.La France, tout comme l'Allemagne et l'Italie du Nord, a étéle point où se sont rencontrées, sans compter les groupes

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paléolithiques qui auraient pu survivre, les trois principalesraces d'Europe: a) les Méditerranéens, qui constituaient l'élé­ment indigène du sud de la France, où ils prédominent actuel­lement ; b) les Alpins, qui pénétrèrpnt jusqu'au Nord-Ouest etforment aujourd'hui la plus grande partie de la populationde la Savoie, de l'Auvergne ct de la Bretagne; c) les Nordiquesou Baltiques (Normands, Teutons, Saxons, Francs, Burgondes),tous hautement métissés, qui traversèrent la France du nordau sud et dont un groupe a donné son nom au pays. Les élé­ments germains prédominent encore actuellement dans devastes régions du nord, du sud et de l'ouest de la France.

En résumé, si nous tenons compte de la forme du crâne,de la taille, de la couleur des yeux, des cheveux ct de- la peau,il est évident que le peuple français a été et continue d'êtred'une extraordinaire hétérogénéité morphologique,

CRITIQUE ET RÉFUTATION DE CES THÉORIES

L'erreur fondamentale de l' « aryanisme ou nordisme :>, danstoutes ses manifestations, réside en une confusion d'idées qui,pour être très généralisée, n'en est pas moins antiscientifique àtous égards; on parle de race en en faisant un synonymed'idiome et de nation.

Nous l'avons déjà dit, le mot « race» a un sens exclusi­vement biologique, et malgré tout on entend fréquemment desexpressions telles que « race- latine », « race slave », « racegermaine» et bien entendu « race aryenne ». On tombe ainsidans l'erreur qui consiste à considérer comme uniformes, dupoint de vue anthropologique, des groupes humains qui, enréalité, ne sont homogènes qu'au point de vue linguistique.F. Max Müller, qui fut l'un des premiers à employer l'expres­sion « race aryenne» (1861), a lui-même réagi contre l'inter­prétation biologique donnée à cette expression; réaffirmantson sens linguistique il déclara: « Selon moi l'ethnologue quiparle de « race aryenne », de « sang aryen », d' « yeux etde cheveux aryens » se rend coupable d'une faute aussi graveque celle que commettrait un linguiste en parlant d'un « dic­tionnaire dolichocéphale » ou d'une « grammaire brachycé­phale 1> ... Le- concept de « race aryenne » s'était pourtantrépandu à tel point que la courageuse rétractation de Müllern'éveilla pratiquement aucun écho.

Il existe en effet un groupe de langues apparentées qu'onappelle famille « indo-européennp >", ou « aryenne ». Mais

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l'idiome se répand et se transmet d'Un peuple à l'autre parles migrations, les conquêtes ou même les échanges commer­ciaux, sans qu'il y ait à supposer pour autant que ceux quiparlent des langues similaires appartiennent, du point de vuebiologique, à un groupe humain. .

L'exemple le plus frappant nous est donné par les Etats­Unis. Le citoyen nord-américain est un type nouveau, formépar la fusion de nombreuses races venues de tous les pointsdu globe pour constituer cette masse de 150 millions d'habi­tants. Les uns sont blonds, au crâne plat et de taille élevée(type nordique); d'autres blonds, sub-brachycéphales et depetite taille (type européen orientaI) ; un troisième groupe estbrun, au crâne plat et de haute taille (type atlanto-méditez""ranéen). Ces trois groupes forment la majorité de ce peupleet tous parlent anglais. II existe donc divers groupes soma­tiquement distincts et un seul idiome, sans compter les Indiensaméricains, les noirs et les Chinois, dont beaucoup sontcitoyens nord-américains et qui, eux aussi, parlent anglais.

Une nation peut donc être formée de diverses races, etinversement diverses nations peuvent être constituées pardes groupes biologiquement semblables. Les habitants de l'Al­lemagne du Nord ressemblent davantage à ceux du Danemarket de la Suède qu'aux Allemands du Sud; physiquement, ceux­ci, à leur tour, ressemblent plutôt à certains groupes français,tchèques et yougoslaves. Comment, dans ces conditions, parIerde « race allemande », « aryenne » ou « anglo-saxonne »?

En résumé tout cc' qu'on a pu dire sur « la race aryenne etsa supériorité » repose sur des arguments dénués de toutevaleur objective, car ils sont faux, contradictoires et anti­scientifiques.

Nous avons déjà cité des exemples concernant la localisa­tion géographique primitive du « peuple aryen », et il sembleinutile d'insister sur l'ambiguïté de cc point essentiel: les« racistes nordiques» eux-mêmes indiquent pour cette loca­lisation des lieux extrêmement différents. Nous avons égaIe­ment signalé la confusion, involontaire ou préméditée, qu'ilscréent entre le sens linguistique et le sens biologique du mot« aryen ». Nous avons enfin mentionné quelques cas frappantsd'obsession en relatant les opinions absurdes de ceux quirangent dan~; la « race aryenne» ùes peuples, des civilisa,tions et des individus extrêmement divers et aussi éloignésles uns des autres sur le plan physique que dans le temps etl'espace. Tous sont exclusivement poussés par le désir dejustifier la thèse générale selon laquelle les « Aryens» seuls

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auraient été et seraient capables de créer de hautes cultureset des paradis de civilisation supérieure.

Mais c'est sur le terrain purement morphologique que lesincongruités atteignent un comble. Les recherches entreprisesconcernant la forme du crâne et les diverses caractéristiquesdes individus ou des groupes considérés comme authentique­ment aryens, teutons, anglo-saxons et celtes montrent unevariation considérable, tant dans le présent qu'au cours del'histoire. Il est démontré que des têtes rondes et des têtesplates ont coexisté en Europe depuis les temps les plus recu­lés. Les travaux de Von Rolder, de Lissauer et de Virchow(1870-1880) ont prouvé que les populations primitives de laBaltique étaient hétérogènes du point de vue morphologiqueet renfermaient un fort pourcentage de brachycéphales. Vir­chow a affirmé en 1889: « L'Aryen typique, dont la théoriesuppose l'existence, n'a jamais été découvert »; cet auteurs'est d'ailleurs prononcé en faveur de la supériorité du bra­chycéphale sur le dolichocéphale. Rien ne put cependantébranler la croyance en la supériorité des « dolichocéphalesblonds », déjà trop fortement enracinée dans l'imaginationpopulaire.

Le moment vint cependant où les créateurs mêmes du« mythe racial aryen» se rendirent compte peu à peu quele type physique qu'ils déclaraient « supérieur », tout commecelui du non-Aryen « inférieur », était une entité mystique.Ammon lui-même a reconnu n'avoir jamais rencontré un purAlpin brachycéphale: « Ces brachycéphales étaient tantôtblonds, tantôt grands; tantôt ils avaient le nez mince, ou ilsprésentaient quelque autre caractère qu'ils n'auraient pas dûposséder. »

Les contradictions à ce sujet dépassent toute mesure quandon voit Chamberlain, qui avait décrit le type « teuton blond »,refuser finalement toute valeur à l'anthropométrie, qui nesaurait caractériser aucune supériorité. Il admet que « lesTeutons de l'antiquité n'étaient pas tous des géants doli­chocéphales », mais, ajoute-t-il, « en les examinant avec atten­tion nous verrions qu'ils présentaient tous, intérieurementet extérieurement, les caractéristiques du peuple germain ».Et il affirme que cette appréciation subjective « nous enapprend plus long que ne pourrait nous en enseigner un con­grès d'anthropologie ». A un moment donné, se demandant« ,En somme, quelle espèce d'homme était l'Aryen? », il expli­que que ni la philosophie ni l'anthropologie ni l'ethnologiene peuvent nous donner une représentation exacte et précise

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du peuple aryen, et il ajoute cette phrase prophétique: « Quisait ce qu'on dira des Aryens en 1950? » Aussi affirmC'-t-iIsans hésiter que « le noble visage de Dante montre jusqu'àl'évidence son origine incontestablement teutonne » (ce quin'empêcherait pas 'Voltmann, comme nous l'avons vu, de voiren lui le produit d'un « métissage »). Luther, lui aussi, estconsidéré comme ayant le type teuton, bien que ses traits necoïncident pas avec ceux de Dante (lI.' premier avait en effetla tête plate, alors que le second l'avait ronde). Notre auteurne se démonte d'ailleurs pas pour si peu et déclare: « Danteet Luther se trouvent aux deux extrêmes de la magnifiquegamme physionomique des grands hommes de la race ger­maine. » Et il conclut par cette phrase lapidaire: « Quicon­que se révèle allemand par ses :.tctes est allemand, quel quesoit son arbre généalogique. »

Devant l'hétérogénéité somatique du prétendu « Nordique»ou « Aryen » (dont un bel exemple serait donné par un être« aussi grand que Gœbbels, aussi blond que Hitler et aussimince que Gœring ») le nazisme renonça à justifier par desconsidérations d'ordre biologique sa doctrine d'impérialismeet de domination économique des autres peuples, ct en vintà conclure « qu'une âme nordique peut habiter un corps nonnordique ». « L'homme nordique se reconnaît à ses actes etnon pas à la longueur dc son nez ou à la couleur de sesyeux. » (Nationalsozialislisclze-Korrespondenz, juin 1936.)

C'est reconnaître que l'aspect physique est pour le racismeun simple déguisement, que l'on dépouille comme inutiI~

lorsque les circonstances du moment l'exigent; et l'on ditalors: « La distinction entre les races humaines n'est pasune donnéc scien tifique; la perception immédiate nous per­met de reconnaître, par le sentiment, les différences que nousappelons raciales. » Pour le docteur Gross (1934): « La poli­tique ne saurait attendre que la science ait élaboré la théoriedes races. La politique doit passer par-dessus la science, ens'appuyant sur la vérité fondamentale intuitive de la diver­sité sanguine des peuples ct en en tirant la conséquence logi­que, c'est-à-dire le principe de la direction par les plusaptes. »

Le racisme n'est donc pas un produit de la science, maisde la politique. Les ennemis font appel il lui pour justifierla lutte qu'ils mènent l'un contre l'autre, bien qu'étant deconstitution raciale analogue, et les alliés pour découvrir une« fraternité raciale », alors même qu'ils sont morphologique­ment différents. Par principe les « Aryens ~) auraient dtl

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considérer, par exemple, le peuple japonais comme inférieuret formé de sous-hommes, en raison de la couleur de sa peau.Mais les accords politiques les obligèrent à temporiser, et l'onvit alors surgir l'explication selon laquelle les Aïnous blancsdu Japon se seraient fortement métissés avec les jaunes,raison pour laquellf' les Japonais actuels, bien que conser­vant leur aspect jaune, « n'en possèdent pas moins toutesles qualités morales et intellectuelles d'un peuple aryen ctmême nordique ». Cette extraordinaire théorie a permis àAlfred Rosenberg (1935) de déclarer officiellement que « lesdirigeants japonais offrent les mêmes garanties biologiquesque les dirigE"ants allemands ».

Ruth Benedict est dans le vrai lorsqu'elle dit: « Aucuntravestissement des données anthropomorphiques n'est assE"Zabsurde pour que la propagande ne s'en serve dès qu'ellE" estsoutenue par la force des armes et par les camps dE" concen­tration. »

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VI. CO~CLUSION

Il existe induhitahl!'ment des différence~ somato-psychiquesindividuelles; dans toute race, dans tout pays, dans touh'classe ou toute communauté, on rencontre des individus plusou moins doués, et ce fait biologique ne connaît pas d'excep­tion, Mais ces variaLions sont totalement indépendantes de laprétendue supériorité ou infériorité de certains groupeshumains,

C'est une vieille tendance que celle Ile considérer sa fam illeou sa race comme meilleure que les autres; la nouveautérelative consiste à vouloir justifier scientifiquement cette pré­tendue « supériorité >/ par la présence de caractères hiolo­giques innés.

Le mécontentement croissant des peuples de l'Inde, le déve­loppement du sentiment racial parmi les noirs d'Afrique, laconfiance en soi-même que manifestent les peuples japonais,chinois et indonésien sont autant de preuves, parmi tantd'autres, que des races jnsqu'alors méprisées en raison deleur prétendue infériorité sont de jour en jour moins dispo­sées à accepter le jugement que certains gl'oupes blancs por­tent sur leurs qualités.

La démocratie reconnaît qu'il existe des différenet"s cntn'les hommes, mais elle considère que tO/lS possèdent les mêmesdroits inaliénables; et elle s'efforce de donner à tous deschances égales dans le domaine politique, social et écono­mique.

Le totalitarisme, lui, s'il accepte également comme inévi­tables les différences entre les hommes et les peuples, lessubordonne au principe d'obéissance' à la volonté d'une « raccsupérieure >J, s'exprimant par le truchement de l' « hommesupérieur ». Il s'efforce de réduire en esclavage tous ceux quisc refusent à devenir de simples unités dans un monde tota­litaire. -

Le racisme actuel a dû revêtir une apparence scientifique,l:ar à notre époque de grandes découvertes et de progrès tech­nique la masse populaire, ou tout au moins une grande partiedu peuple, ne croit plus aux mythes purs <"t simples. Les

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mythes racistes du xx" siècle doivent faire mine de s'appuyersur la science, même, comme le dit Prenant, « au prix del'.entorses et des contradictions les plus éhontées ». Le racismea voulu s'emparer de l'anthropologie, de la physiologie dusang, des lois de l'hérédité, etc., ,~t les faire servir à ses objec­tifs. Mais en vain.

Les Alliés, victorieux en 1918, refusèrent en 1919 d'accepterla proposition de la délégation japonaise à la Conférence deParis tendant à inclure dans la Charte de la Société desNations une déclaration proclamant l'égalité des races. Mal­gré tout, depuis 1945, nous voyons collaborer à l'Organisationdes Nations Unies et à ses institutions spécialisées des doli­chocéphales blonds et grands, des dolichocéphales petits pt

bruns, des brachycéphales, des jaunes, des noirs, des métiset des représentants de nations qui englobent des centainesde peuples qui diffèrent par leur culture et leur morphologie.En décembre 1948 tous ont à l'unanimité élaboré et approuvéla Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'arti­cle 2 reconnaît que « chacun peut se prévaloir de tous lesdroits et de toutes les libertés proclamées dans la présentedéclaration, sans distinction aucune, notamment de race, decouleur, de sexe, de langue, de religion... de naissance... ».

Alors qu'il tentait de justifier la politique coloniale alle­mande, Burgess (1890) a formulé cette affirmation incroyable:« Les Allemands peuvent en toute justice... ravager le terri­toire des récalcitrants (il entend par là les peuples indigènes)et le convertir en résidence de l'homme civilisé. » C'est làun exemple révélateur de la façon dont la « supériorité "du racisme accepte, sans préoccupations d'ordre moral onjuridique, le critère selon lequel la force fait le droit devantles peuples « inférieurs ».

Jusqu'à quel point des individus d'hérédités analogues etvivant dans des milieux distincts peuvent-ils être différents'?D'autre part, quelles peuvent être les différences entre indi­vidus d'hérédité distincte qui vivent dans un même milieu'?La solution de ces deux problèmes ~ontribuera grandementà renverser les mythes raciaux.

Il faut voir dans les différences humaines des faits qu'ilimporte de comprendre et d'interpréter, et non pa~ des qua­lités qui méritent d'être condamnées ou louées.

Le préjugé racial peut être dû à des raisons économiquesou politiques, au complexe de supériorité de telle race ou aucomplexe d'infériorité de telle autre, à des différences bio­logiques, à l'instinct héréditaire ou à plusieurs de ces causes

.'il

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à la fois. Il est toujours fortement aggravé par la tendance àadmettre sans la moindre preuve les théories et les hypo­thèses les plus diverses.

Les doctrines de la supériorité raciale ont joué un rôleexceptionnel dans la haute politique des Etats, qui ont ainsitenté de justifier leur cruauté ct leur défaut d'humanité. Ellesont servi à prêcher l'expansion coloniale de l'Europe et ledéveloppement de l'impérialismr' moderne; elles ont attiséles haines de race, exalté le l)atriotisme et multiplié lesguerres.

On n'obtiendrait rien en promulguant de nouvelles loisou en imposant le respect de celles qui existent déjà, car ellesne peuvent être efficaces que dans la mesure où la majoritédes citoyens sont convaincus de leur nécessité ou de leurexcellence. On peut faire davantage pour vaincre les préjugésct les mythes raciaux en s'efforçant de modifier les situationsqui les ont fait naître.

Leur cause primordiale est la crainte: crainte de la guerre,crainte de l'insécurité économique, crainte qu'ont les indi­vidus et les groupes de voir diminuer leur prestige, etc. Sousune forme ou sous une autre, le préjugé de race persisteradans le monde tant que le sentiment de sécurité personnellene sera pas mieux établi.

Il faut faire comprendre à nos amis combien il est absurdede considérer certains groupes humains comme « parfaite­ment bons» ou « parfaitement mauvais ».

La science, les principes démocratiques et le sentimenthumanitaire refusent également que l'on condamne un hommeen raison de sa race, de sa couleur ou de l'état de servitudeauquel il aurait pu être réduit.

Le racisme fait fi des recherches scientifiques concernantle fait racial. Il implique que l'on considère cette inégalitécomme absolue et inconditionnée, une race étant jugée supé­rieure ou inférieure aux autres par sa constitution même,par sa nature et de façon absolument indépendante des con­ditions physiques du milieu et des circonstances sociales.

Au cours des cinquante dernières années nous avons assistéà l'épanouissement d'un nationalisme exagéré, que les hor­reurs de la guerre et les inquiétudes de la paix armée contri­buent grandement à perpétuer. Il est hors de doute qu'enéliminant les mythes raciaux par la persuasion individuelleet collective on aura grandement contribué à améliorer et àfaire mieux comprendre les relations humaines.

Mexico, octobre 1950.

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URUGUAY. Centra de Cooperacion Cientifica para la América latina, Unesco, BulpvarArtigas 1320,. Monlevideo.

Page 55: Les Mythes raciaux; La Question raciale devant la science moderne

QUELQUES PUBLICATIONS DE L'UNESCORapport du Directeur général sur l'activité de l'Organi.

sation d'octobre 1949 à mars 1950. 1950 ••••.•••••••••.•A cte!> de la Confhena ~pnPrale de l' llnc'«('o. cinquième

't'!Jsion. Florence. Résolutions. 1950 .•..•.............Compte rendus des débats. 1950 .....................•Rapports des Etats membres. 1950 .

Lil'rt>l di'S comrnisswns nationales. 1949 •..••.•..••..•••Rapport de la Conférence préparatoIre des représentants

des universités. Convoqupl' à Utre("ht. 2-13 août 1948,par l'Unesco, en collaboration avec It' gouvf"rnement desPays-Bas. 1948 ............•......••....•.....•.••..•

« Problèmes d'éducation » :I. L'enfance VlctUne de la Suerre, par le n r Thérèse

"Brosse, 1949 ..........................•.......•.II. L'éducatwn des adultes, tendancC''! et réalisations, 1950.III. L'pufancf' t-agabonde, 1950 .......•....•..•......••

« MonographIes sur l'éducation dt:' base» :1. L'éducation de base. Descnptwn f>t programme. IlIus·

tratIons de Mme Callullf' Bf'rg. 1950 ..•....•......II. Les coopérativeç et l'';ducatwn de base, par Maurice

Colombain. 1950 .................•..•...........III. Les mhsions culturelles lnf:'.:ucaines. par Llo)d H.

Hughes. 1950 •.••..•.........................•...La réforme des manuels scolaireç et du matériel d'ençei­

snement. Comment les mettre au service de la compré·hensJOn internationale. 1950 .•.......................••.

Rép~rtQlre des organISations scientIfIques internationales. 1950

Inventaires du matériel d'enseignement scit'ntifique.Vol. 1: Ecoles prImaireS, établîssf'ment!l d'enSf'lgnt'llu'nt

secondaire et écoles prufessjonnelles. 1950 .Vol. Il: Ulllvcrsltés. 1950 .Vol. III: Ecolf's supérieures tf'chmqut's: ~ ' .•

Fascicule 1 : Sci.ences vétérmairf's. 1950 •...... :.l.:t ..Fascicult' 2: EcolN d'mgéulf'urs (ph) slque.chiml'ë1. 1950.

Les droits de l'homme. Album expOSItion. 1950 •.•......PreS'lt!, film. radio. II. 1948 •.....•...•..•..•...........Presse, film, radio. III. 1949 ..•......•••.••..•..•••.....Presse, blm, radio. Second supplément. 1950 •.•....•.••.[,a radio et l'école. 1949 ••...•..•....••..••.••...•••••World CommunicatIOns. Press, Radio, Film. 1950 ..•..•..•.Le film sur l'art. Etudes cntique$ et catalogue internatio-

nal. Bru\.ellf'S et Pans. H49 ...................•.•....CatQ.losue de reproductions en couleurs de la peinture de

1860 à 1940. Trilingue (anglais-françaJs-espagnol). 1949 .•

Catalogue de reproductions en couleurs de peintures anté­rivures à 1860. Trihngue (anglais.fr.mçais.espagnol). 1950

Goethe, 1749-1949. Hommage de l'Unesco pour le dem.ièmecentenaire de sa naIssance. 1949 ..•.........•.••.•. , .•

Indt!x translationum. Répertoire international des traduc­lions. Nouvelle série, 1: 1948. 1949 .....•...•.••...•..•

~Ionuments et sites d' arr et d'hi~toire et fouilles art'héolo­Slques. Problèmt-'s aClueh. 1950 •..•..••.•.••..•.....•.•

« Manuels de l'Unesco à l'usage des bibllOthèqueç publique, )\:1. La formatwn du bIblIothécaire, p.lr J. Periam Dan-

ton. 1949 . ...••.••........II. L'exten~iQn de~ bibliothèques publiques, par LIOnel

R. MeColv,". 1950 .III. 1 e rôle des bIbliothèques publique~ dans ["éducation

des adultes. par Carl ThomSf'll, Edward Sydney etlHlrjanl D. Tonlpklns. 1950 ....•............•.•••••

Etude~ à l'étranger. RépertOIre internatIOnal df's bourseset echanges.Tome 111. 1950-1951 .Supplémf'nt au tome II, 1949" (·s~·; 'J~~' 'c~~'r~' 'd~ .~~~~;I:

R ce.). 1950 .

~~~:::94~~r ll~~~ficacité du travail de reconstruction 1947-......................................

S 1.00 6/_ 300 fr.

S 0.85 51- 250 fr.~ 5.70 35/_ 1.700 fr.S 3.00 18/6 900 fr.

S 1.00 6/· 300 fr.

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~ 0.50 3/_ 150 fr.S 0.75 4/_ 200 fr.~ 0.45 2/6 125 Cr.

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