les jésuites québécois et le cours classique après 1945… · tocqueville, alexis de, regards...

24
LES JÉSUITES QUÉBÉCOIS ET LE COURS CLASSIQUE APRÈS 1945 Claude Corbo SEPTENTRION Cahiers des Amériques Extrait de la publication

Upload: lytram

Post on 16-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

LES JÉSUITES QUÉBÉCOISET LE COURS CLASSIQUE APRÈS 1945

Claude Corbo

S E P T E N T R I O NCahiers des Amériques

Extrait de la publication

du même auteur

Mon appartenance. Essais sur la condition québécoise, Montréal, VLB Éditeur, « Étudesquébécoises », 1992. Ouvrage récipiendaire du prix Richard-Arès.

Matériaux fragmentaires pour une histoire de l’UQAM, Montréal, Éditions Logiques,« Théories et pratiques dans l’enseignement », 1994.

Lettre fraternelle, raisonnée et urgente à mes concitoyens immigrants, Outremont, LanctôtÉditeur, 1996.

À la recherche d’un système de déontologie policière juste, efficient et frugal (Avec lacollaboration de Michel Patenaude), Québec, Gouvernement du Québec, 1997.

Vers un système intégré de formation policière (Avec la collaboration de Robert Laplanteet Michel Patenaude), Québec, Gouvernement du Québec, 1998.

La mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récits autobiographiques,Montréal, Éditions Logiques, « Théories et pratiques dans l’enseignement », 2000.

Repenser l’école. Une anthologie des débats sur l’éducation au Québec de 1945 au rapportParent (Avec la collaboration de Jean-Pierre Couture), Montréal, Presses de l’Uni-versité de Montréal, «PUM-Corpus», 2000.

Pour rendre plus sécuritaire un risque nécessaire (Avec la collaboration de Ygal Leibu),Québec, Gouvernement du Québec, 2001.

L’idée d’université. Une anthologie des débats sur l’enseignement supérieur au Québec de1770 à 1970 (Avec la collaboration de Marie Ouellon), Montréal, Presses de l’Uni-versité de Montréal, «PUM-Corpus», 2001.

L’éducation pour tous. Une anthologie du Rapport Parent, Montréal, Presses de l’Uni-versité de Montréal, « PUM-Corpus », 2002.

En collaboration

BÉLAND, Claude, Inquiétude et espoir. Valeurs et pièges du nouveau pouvoir économique.Extraits de conférences choisis et ordonnés par Claude Corbo, Montréal, Québec-Amérique, 1998.

LAMONDE, Yvan et Claude CORBO, Le rouge et le bleu. Anthologie de la pensée politiqueau Québec de la Conquête à la Révolution tranquille, Montréal, Presses de l’Uni-versité de Montréal, «PUM-Corpus», 1999.

TOCQUEVILLE, Alexis de, Regards sur le Bas-Canada, Choix de textes et présentationde Claude Corbo, Montréal, Typo, 2003

Jésuites.set-up.00 3/11/04, 13:342

Extrait de la publication

les jésuites québécoiset le cours classique après 1945

collection science politiqueS o u s l a d i r e c t i o n d e C l a u d e C o r b o

Cahiers des Amériques 6

Jésuites.set-up.00 3/11/04, 13:343

Extrait de la publication

Cahiers des Amériques

Sous la présidence de Robert Lahaise et sous la direction deGilles Herman et Denis Vaugeois, éditeurs à l’enseigne du Septentrion,

avec la précieuse collaboration des directrices et directeurs de collectionLaurier Lacroix (Beaux-Arts), Michel Allard (Éducation),

Jean-Pierre Pichette (Ethnologie), Hugues Morrissette (Géographie),Lucia Ferretti (Histoire), Réginald Hamel (Littérature),

Marie-Thérèse Lefebvre (Musique), Claude Corbo (Science politique)et Jacques Beauchemin (Sociologie)

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:444

les jésuites québécoiset le cours classique après 1945

Claude Corbo

s e p t e n t r i o nCahiers des Amériques

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:445

Extrait de la publication

L’illustration de la couverture représente le blason du collège Jean-de-Brébeuf, fondé à Montréalen 1929 par les jésuites. En termes héraldiques, le blason se décrit comme suit :

Au premier, de gueules à une marmite suspendue par une chaîne et accostée de deux loupsdressés, surmontant deux flambeaux en sautoir, le tout d’or. Au second, d’azur à six bandes d’or.Pour cimier, un heaume de chevalier, colleté d’une chaîne portant une croix latine aveclambrequins, le tout d’or. Devise : « Viam veritatis elegi » (J’ai choisi de tendre à la Vérité), surlistel d’argent reposant sur une guirlande de feuilles d’érable au naturel. L’écusson est formé dedeux écussons de la famille d’Ignace de Loyola. Quant à la forme de l’écu et du cimier, elle estempruntée au blason de la famille d’Odet d’Orsennens en souvenir du premier recteur du Collège,le R.P. Ivan d’Orsennens, s.j. (Lexique héraldique : gueules : rouge ; azur : bleu ; cimier : ornementle plus élevé de l’écu ; heaume : casque du Moyen Âge ; lambrequin : bande d’étoffe descendant duheaume ; écu : corps du blason en forme de bouclier). Le blason et sa description héraldique sontreproduits avec l’aimable autorisation du collège Brébeuf.

Révision : Solange Deschênes

Mise en pages et maquette de la couverture : Folio Infographie

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :

www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :1300, av. Maguire Diffusion DimediaSillery (Québec) 539, boul. LebeauG1T 1Z3 Saint-Laurent (Québec)

H4N 1S2

Dépôt légal – 1er trimestre 2004 Ventes en Europe :Bibliothèque nationale du Québec Librairie du QuébecISBN 2-89448-384-8 30, rue Gay-Lussac

75005 Paris

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop-pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programmed’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pourl’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canadapar l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pournos activités d’édition.

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:446

À Louise Jouberten hommage à sa carrière (1964-2003)

dans l’enseignement secondaire québécois.

Jésuites.set-up.00 3/20/04, 11:187

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:448

Extrait de la publication

Introduction

Au milieu du xxe siècle, des lendemains immédiats de la DeuxièmeGuerre mondiale aux fiévreuses années 1960, pendant lesquelles la

Commission d’enquête sur l’enseignement reconstruit tout le systèmed’éducation québécois, le cours classique se trouve mis en question. Tantles multiples changements qui se déploient à travers le monde que desenjeux sociaux et culturels propres au Québec remettent en cause lapertinence et la valeur de cette formule de formation secondaire. Aussi, iln’est pas étonnant que les partisans du cours classique en élaborent unedéfense détaillée et, parmi eux, les Jésuites en particulier.

Le présent ouvrage, pour l’essentiel, examine le discours que lemilieu jésuite québécois développe à l’appui du cours classique. Ce milieua été privilégié pour diverses raisons. D’une part, les Jésuites québécoisétaient les héritiers d’une longue tradition pédagogique et le modèlejésuite du cours classique fut une source d’information. D’autre part, àcompter des années 1940, des publications de la Compagnie de Jésus, parexemple les recrues Relations et, surtout, Collège et famille, le Mémoire duCollège Jean-de-Brébeuf à la commission Tremblay sur les problèmesconstitutionnels ou un ouvrage collectif intitulé Mélanges sur les huma-nités, manifestent une volonté et une capacité de cette communautéd’élaborer un vigoureux plaidoyer en faveur du cours classique. LesJésuites ne furent pas les seuls théoriciens du cours classique ; cependant,ils l’ont défendu et justifié avec ténacité, passion et aussi beaucoup deforce intellectuelle et d’envergure conceptuelle. Enfin, l’auteur du présentouvrage, lui-même élève des Jésuites, éprouvait une naturelle curiositépour la pensée de ses éducateurs. Pour ces raisons, cet ouvrage s’intéressetout particulièrement aux idées et au discours des Jésuites sur le coursclassique et sa dernière période.

* * *

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:449

Extrait de la publication

les jésuites québécois et le cours classique après 194510

Sur les cendres à peine refroidies laissées par la Deuxième Guerremondiale, un nouveau conflit à dimensions planétaires divise le mondeen deux camps opposés tant par leur philosophie économique, sociale,politique et culturelle que par leurs intérêts matériels et stratégiques. Ceconflit, la « guerre froide », occupera l’essentiel de la deuxième partie dusiècle et sera vécu avec angoisse tant en raison de la profondeur de l’op-position idéologique, politique et économique entre les deux camps quepar l’ombre terriblement menaçante de l’armement nucléaire. L’irrup-tion de ce type d’armement illustre une autre donnée fondamentale dusiècle, qui ne manque pas de remettre en cause aussi bien les sagesses etles idées anciennes que les théories et pratiques éducatives, c’est-à-dire leprogrès prodigieux, omniprésent et ininterrompu de la science et de latechnologie. La civilisation tout entière semble entrée dans une nouvellephase sous l’effet conjugué de la science et de la technologie ; toutes lesdimensions de la vie humaine en sont influencées et cet état de choses nepeut manquer de remettre en question l’éducation elle-même. Dans lamouvance du développement de la science et de la technologie, denouveaux moyens de communication, de nouveaux langages artistiques,de nouvelles philosophies de plus en plus éloignées de l’héritage judéo-chrétien de l’Occident, sont autant de forces à l’œuvre qui interpellent lestraditions intellectuelles et culturelles, qui contestent un humanismevieux de plusieurs siècles, qui examinent les conceptions établies del’éducation dans l’ensemble des pays occidentaux. En même temps, unepoussée des aspirations démocratiques et l’évidente nécessité écono-mique et sociale d’accroître la scolarisation des populations forcent lespays à s’interroger sur la nature, les finalités, les caractéristiques et l’orga-nisation des systèmes d’éducation.

Dans cette partie du monde qui s’appelle encore le Canada français,toutes ces grandes forces planétaires de changement font aussi sentir leurpression. Certes, le gouvernement particulièrement conservateur deMaurice Duplessis, prudent et méfiant à l’endroit des réformes et desidées nouvelles, dirige la province de Québec et s’emploie à perpétuer desarrangements sociaux, un ordre institutionnel et un ensemble decroyances et de valeurs déjà anciens. Une autre grande autorité, l’Églisecatholique, règne majestueusement sur le Canada français et concourt àla direction et au maintien de l’ordre en animant des institutions qu’ellea mises en place depuis un siècle dans les domaines de l’éducation, de lasanté, des services sociaux. Parmi ces institutions, on retrouve un réseaud’établissements privés d’enseignement secondaire, les collèges classiques

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4410

Extrait de la publication

introduction 11

des communautés religieuses et les séminaires diocésains relevant desautorités épiscopales, lesquels dispensent le programme du cours clas-sique supervisé par les facultés des arts des Universités Laval et de Mont-réal. À certains égards, pendant la fin des années 1940 et pendant lesannées 1950, la province du Québec (ou la représentation qu’aime à endonner une partie de ses élites) semble constituer un îlot de stabilité etde permanence dans un monde en constante transformation. Mais cetteimage est trompeuse. Des forces d’innovation sont à l’œuvre au Canadafrançais, des agents de rupture s’activent et le sol bouge sous l’ordreinstitutionnel établi.

Ainsi, depuis une génération déjà, la population est majoritairementurbaine et vit de l’industrie, même si l’on chante encore les vertus del’agriculture. La radio, le cinéma, la télévision bientôt, introduisent depuissants ferments de changement social et culturel qui exercent despressions de plus en plus irrésistibles sur l’ordre institutionnel. Desavant-gardes culturelles audacieuses lancent des manifestes qui scanda-lisent et elles expérimentent des manières d’être nouvelles. Des groupessociaux (syndicats, femmes, étudiants universitaires) commencent àbousculer les certitudes acquises et les intérêts dominants. Sous une sur-face institutionnelle pesamment stable qui enserre la société comme laglace des lacs et des rivières, les flots du changement se font plus forts etplus inlassables dans la recherche de leur expression. Le xxe siècle québé-cois se tend vers une époque de transformations qui prendra le nomparadoxal de « Révolution tranquille ».

L’évolution du monde et ses répercussions au Canada français seferont sentir particulièrement dans le domaine de l’éducation. La Révo-lution tranquille se manifestera notamment par une transformation enprofondeur du système d’éducation du Québec. De façon générale, denombreux pays occidentaux procèdent à des ajustements ou à desréformes de leur système d’éducation. Dans le cas du Québec, cela estvisiblement nécessaire.

* * *

Aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, l’éducation québé-coise, particulièrement l’enseignement secondaire, vit un certain nombrede difficultés. Ainsi, malgré la création, en 1946, d’un ministère de laJeunesse et du Bien-Être social, il n’existe aucune autorité politique uni-fiée ayant compétence et responsabilité pour l’ensemble du système

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4511

les jésuites québécois et le cours classique après 194512

d’éducation québécois. Les écoles primaires et secondaires publiquesrelèvent d’un organisme appelé le Conseil de l’Instruction publique dontles pouvoirs sont en fait exercés par deux comités confessionnels, catho-lique et protestant. Mais, ni le Conseil ni ses Comités n’ont de pouvoirsur cette partie de l’enseignement secondaire que constitue le cours clas-sique. Ce programme est dispensé dans des établissements privés géréspar des communautés religieuses ou par les évêques et supervisés de loinpar les facultés des arts des Universités Laval et de Montréal, lesquellesattribuent le grade de baccalauréat ès arts aux finissants des collèges quiréussissent les examens imposés par les facultés. Cet arrangement nes’applique toutefois pas aux collèges de la Compagnie de Jésus ; lesjésuites ont, en effet, le privilège d’assujettir les élèves de leurs collèges àleurs propres examens et de communiquer aux universités la liste desélèves méritant le baccalauréat ès arts. Par ailleurs, le Conseil de l’Instruc-tion publique et ses comités n’ont pas autorité sur les universités elles-mêmes, non plus que sur une série d’établissements publics (écoles demétiers, écoles techniques, conservatoires, écoles des beaux-arts), lesquelsrelèvent de ministères du gouvernement comme le nouveau ministère dela Jeunesse et du Bien-Être social ou le Secrétariat de la Province.

À cette absence d’autorité politique et gouvernementale unifiée enmatière d’éducation correspond un éclatement des structures et des pro-grammes, particulièrement à l’ordre secondaire. L’enseignement secon-daire québécois demeure, jusqu’aux réformes des années 1960, un fouillisde structures et de programmes, notamment chez les franco-catholiques.La communauté anglo-protestante, suivant le modèle des autres pro-vinces canadiennes, a mis en place, sous l’égide du comité protestant duConseil de l’Instruction publique et grâce aux commissions scolaires pro-testantes, un programme secondaire public, uniforme, gratuit et acces-sible, de quatre années, qui conduit des élèves issus du cours primaire aumarché du travail ou à la porte de l’université, laquelle achève la for-mation préparatoire aux études professionnelles ou supérieures. Cettesimplicité de l’enseignement secondaire anglo-protestant contraste sin-gulièrement avec la situation qui existe chez les franco-catholiques.

En effet, l’enseignement secondaire franco-catholique se caractérisepar une multiplicité de filières de formation indépendantes, étanches lesunes aux autres, dont certaines ne conduisent nulle part en termes deformation supérieure, non coordonnées entre elles et qui, en plus,peuvent différer selon le sexe de l’élève, comme l’illustre le tableau quisuit.

Jésuites.set-up.00 3/15/04, 13:5712

Extrait de la publication

introduction 13

État de l’enseignement secondaire franco-catholiqueau Québec dans les années 1950

Programme Cadre institutionnel Autorité responsable Observations

Cours classique (8 ans) • Collèges classiques des • Faculté des arts des • Confère le baccalauréat ès artscommunautés religieuses Université Laval et donnant accès à toutes les

• Séminaires diocésains de Montréal facultés universitaires• Externats classiques • Offert aussi aux filles

« Sections classiques » • Écoles publiques des • Comité catholique du • Correspond aux quatrecommissions scolaires Conseil de l’instruction premières années du

publique et Département cours classiquede l’instruction publique • Accès à certaines facultés

universitaires (par leurprogramme préparatoire)

Cours secondaire public • Écoles publiques des • Idem • Problèmes de débouchés commissions scolaires vers une formation

supérieure

Enseignement • Écoles publiques et • Ministère de la Jeunesse • Formation pour le marchéprofessionnel instituts technologiques du travail ; pas de débouchéset technique • Écoles privées variées vers la formation supérieure

(collèges commerciaux,écoles d’infirmière, etc.)

Enseignement familial • Instituts familiaux • Enseignement « ménager »pour filles et culture « féminine » ;

articulation difficile avecla formation supérieure.

Ce n’est pas l’existence même de plusieurs filières d’enseignementsecondaire qui est problématique ; c’est plutôt le fait que ces filières sedéveloppent sans la supervision d’une autorité politique unique et,surtout, de façon indépendante, de façon étanche les unes par rapportaux autres, en l’absence de mécanismes appropriés de réorientations del’une vers l’autre. Par ailleurs, il est évident que l’apparition de « sectionsclassiques » dans les commissions scolaires et que la diversification ducours classique résultant de l’abandon par certains établissements del’enseignement du grec interpellent sans ménagements les tenants ducours et du collège classiques traditionnels.

À ces problèmes d’absence d’autorité politique unifiée ayant autoritésur l’ensemble de l’éducation et de multiplicité, de fouillis même, desstructures, des programmes et des filières de formation s’ajoute unesituation d’importante sous-scolarisation des franco-catholiquesquébécois. Ainsi, en 1946, alors que 80 % des jeunes anglo-protestants

Jésuites.set-up.00 3/15/04, 14:3413

Extrait de la publication

les jésuites québécois et le cours classique après 194514

atteignent la 8e année et 34 % la fin du secondaire, les proportions sontde 25 % et 2 % respectivement chez les franco-catholiques. La sous-scolarisation perdure tout au long des années 1950 ; à la fin de cettedécennie, 11 % des anglophones de 20 à 24 ans fréquentent l’universitécontre seulement 3 % des francophones. Au fur et à mesure que passentles années 1950, le problème de la sous-scolarisation, celui du sous-financement de l’ensemble du système d’éducation et du retard généraldu Québec en matière d’éducation seront dénoncés avec une vigueurcroissante par des éditorialistes comme André Laurendeau, mais aussipar d’autres milieux allant des syndicats aux dirigeants d’entreprise. Enfait, dès que la fin de la Deuxième Guerre mondiale permet aux sociétésde s’atteler à l’examen et à la solution de problèmes collectifs autres quemilitaires, l’éducation constitue l’un des enjeux importants. Au Québec,un intense débat de société sur l’éducation s’engage dans l’après-guerreet culminera avec les travaux de la Commission royale d’enquête surl’enseignement, qui se met à l’œuvre en 1961 et qui complétera ses tra-vaux au milieu de la décennie, et avec l’impressionnante série de réformesdes gouvernements des années 19601.

Cet âpre et durable débat de société sur l’éducation interpellera sansménagements le cours classique et son programme d’études nourri d’hu-manités gréco-latines et hérité d’une très ancienne tradition pédago-gique. En fait, la mise en cause du cours classique a débuté bien avant lafin de la guerre. Tout au long des années 1930, des éducateurs, des uni-versitaires, des journalistes et éditorialistes, des scientifiques, des intellec-tuels réclament des changements en profondeur de l’enseignementquébécois et du cours classique, par exemple en faisant une meilleureplace à l’enseignement des sciences2. Après la guerre, le débat reprend,ponctué d’un certain nombre de développements fort significatifs. Ainsi,à son congrès annuel de 1947, l’Association canadienne-française pourl’avancement des sciences organise un débat sur l’enseignement dessciences au secondaire et au cours classique en particulier, ce qui estl’occasion de mettre en cause l’importance accordée à l’étude du grecancien3. En 1952, les Universités Laval et de Montréal acceptent officielle-

1. Sur les débats en éducation au Québec, voir CORBO, Claude, Repenser l’école. Uneanthologie des débats sur l’éducation au Québec de 1945 au rapport Parent, Montréal,Presses de l’Université de Montréal, 2000. Ci-après : Repenser l’école.

2. Galarneau, Claude, Les Collèges classiques au Canada français, Montréal, Fides,1978, p. 221-228.

3. Repenser l’école, p. 39-42.

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4514

introduction 15

ment le principe d’un cours classique sans grec (version latin-science)qui conduirait aussi au baccalauréat ès arts. En 1953, un « Sous-comité decoordination de l’enseignement à ses divers degrés », institué deux ansplus tôt par le Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique,dépose un rapport proposant une meilleure intégration et un meilleurajustement des diverses filières de formation au secondaire ainsi que desajustements importants à l’esprit et aux composantes du cours classique4.Les travaux de la Commission royale d’enquête sur les problèmes consti-tutionnels (commission Tremblay, 1953-1956) seront aussi l’occasiond’un grand brassage d’idées sur l’éducation québécoise : 140 des quelque240 mémoires reçus traitent d’éducation.

Ces développements touchent directement le cours classique et lesétablissements qui le dispensent. Il serait sans doute excessif de dire quecette forme d’enseignement secondaire se trouve, à compter de 1945,dans le box des accusés et dans un procès décisif ; c’est plutôt le rapportde la Commission royale d’enquête sur l’enseignement, présidée parmonseigneur Alphonse-Marie Parent, qui tracera les lignes de force d’unnouvel enseignement secondaire québécois. Cependant, au milieu du xxe

siècle, des éducateurs engagés dans les collèges classiques et des penseurss’intéressant à l’éducation, particulièrement dans les milieux jésuites, nepeuvent plus ignorer les changements du monde et du Canada français,les défis que lance la modernité de pointe, les réformes que l’on proposeet que l’on appelle, la présence de plus en plus forte d’idées telles la placenécessaire des sciences et des « humanités modernes » dans l’enseigne-ment secondaire, le rôle des enseignants laïcs, l’accessibilité et la démo-cratisation de l’enseignement. Jusqu’à ce que le rapport Parent et lesréformes gouvernementales viennent mettre en place une nouvelle édu-cation au Québec, il se développe une théorie articulée du cours classiquequi s’emploie à répondre à un certain nombre de questions fondamen-tales. Qu’est-ce qu’une bonne éducation secondaire ? Qu’est-ce qui fait lavertu du cours classique ? En quoi est-il supérieur à d’autres types deformation ou, à tout le moins, en quoi est-il indispensable à la société ?De quoi doit-il se composer ? Quel est le rôle des enseignants ? À quis’adresse-t-il ? Quelle est la place du collège privé, notamment face àl’école publique et en regard du rôle de l’État ? En s’efforçant de répondreà ces questions et de démontrer les vertus du cours et du collège classique

4. Ibid., p. 99-110.

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4515

Extrait de la publication

les jésuites québécois et le cours classique après 194516

traditionnel, les éducateurs et les penseurs formuleront un discourscohérent et vigoureux qui s’affirmera avec force et ténacité.

Les années qui suivent la fin de la Deuxième Guerre mondiales’avèrent être le crépuscule du cours classique. Les débats sur l’éducationau Québec, de même que de multiples innovations que l’on introduitdans les collèges classiques, illustrent bien que de grands changementscommencent laborieusement à se réaliser. Cependant, beaucoup tiennentaussi le cours classique pour une formule d’éducation secondaire parti-culièrement précieuse et nécessaire. Aussi le crépuscule du cours clas-sique s’accompagne-t-il d’un véritable chant du cygne, c’est-à-dire d’undiscours théorique qui est la « défense et illustration » du cours et ducollège classiques. C’est ce discours théorique qu’il faut maintenant tenterde reconstituer, essentiellement sous la forme qui lui a été donnée dansles milieux jésuites.

* * *

Cette tentative de reconstitution, il faut le préciser, n’est en aucunemanière une apologie du cours classique. Ce cours classique a vécu et ilappartient à un passé révolu depuis une génération. L’intention du pré-sent ouvrage tient plutôt à la volonté de mieux connaître et mieux com-prendre une expérience éducative qui a coïncidé avec une longue périodede l’histoire du Québec et qui a façonné plusieurs générations québé-coises. La démarche, pour l’auteur et, peut-on le penser, pour ses contem-porains, relève d’une volonté de reconnaissance des origines ; pour lesplus jeunes générations, celles qui sont formées par l’école québécoiseissue du rapport Parent, la reconstitution vise à les aider à mieux com-prendre leurs propres origines, ne serait-ce que par effet de contraste.

Il convient d’ajouter, aussi, que cet essai appartient au genre de l’his-toire des idées. Un moment précis de l’histoire a été circonscrit, les deuxdécennies allant des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale audébut des années 1960. Il aurait été possible de mener l’étude sur uneplus longue période. La période choisie présente l’avantage de saisir lediscours sur le cours classique, et essentiellement celui des jésuites, aumoment où ce dernier se trouve à subir l’effet d’une intense moderni-sation de la société québécoise, laquelle sera complétée, à compter de1960, par la modernisation des institutions elles-mêmes. La périodechoisie correspond véritablement à un chant du cygne du cours classique.La légende dit que le chant du cygne mourant est le plus merveilleux ; le

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4516

introduction 17

dictionnaire signale plus sobrement que l’expression désigne le « dernierchef-d’œuvre d’un artiste avant sa mort ». C’est ainsi qu’il faut com-prendre le discours sur le cours classique à son terme.

Dans un autre ouvrage, je me suis efforcé de donner la parole à destémoins ayant vécu, depuis la fin du xixe siècle, le cours classique qué-bécois. Dans celui-ci, j’ai questionné et laissé parler ceux qui en furent lesderniers penseurs et les derniers défenseurs (lesquels, comme les réfé-rences et la bibliographie l’indiquent, sont surtout — mais pas uni-quement — jésuites ou associés à des collèges jésuites). Puisse le tableauainsi composé nous faciliter une meilleure compréhension d’une com-posante significative de l’aventure québécoise.

* * *

J’exprime ma reconnaissance à mesdames Marie-Claude Champagne,Marguerite Ducharme et Nicole Richard du département de sciencepolitique de l’UQAM, qui ont assuré la saisie et la mise en forme de cetouvrage.

Claude Corbo

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4517

Extrait de la publication

Jésuites.set-up.00 3/6/04, 12:4518

Extrait de la publication

chapitre 1

En quête de la bonne éducation secondaire

La défense et l’illustration du cours classique reposent avanttout sur une conception de la bonne éducation secondaire en regard

de l’état du monde et des besoins des adolescents que l’on se propose deformer. La réflexion sur ces thèmes conduit les penseurs du coursclassique à une définition de la nature et des finalités de la bonne édu-cation secondaire et à l’identification du cadre institutionnel le plus pro-pice à la réussite de cette phase de l’éducation des nouvelles générations.

Malaises et misères du monde contemporain

Les penseurs du cours classique s’attachent d’abord à bien comprendrel’état du monde et de la société dans lesquels ils veulent inscrire leuraction. À quoi donc ressemble le monde en ce milieu du xxe siècle ?

Il y a, dominant tout l’horizon, le grand affrontement planétaireentre les pays occidentaux et le bloc communiste, affrontement qui estsans doute le fruit le plus amer laissé derrière elle par la Deuxième Guerremondiale. Mais, ce qui préoccupe le plus, ce sont les malaises et lesmisères du monde contemporain qui étreignent les pays occidentaux,dont le Québec, et qui lancent un défi brutal et impitoyable aux édu-cateurs. Ces malaises et ces misères finissent par prendre la forme d’unecrise des valeurs et même d’une crise de civilisation, lesquelles sont d’au-tant plus périlleuses qu’elles atteignent l’âme même des sociétés occi-dentales et minent sourdement leur capacité de résister avec succès à lamontée des régimes marxistes. Pour mettre en place une bonne édu-cation secondaire, pour comprendre même quelle éducation secondaireles sociétés occidentales doivent privilégier, au moins pour leurs futuresélites, il faut comprendre les malaises et les misères du monde contem-porain et la crise de civilisation qu’ils révèlent.

Jésuites.set-up.01 3/6/04, 12:4519

Extrait de la publication

les jésuites québécois et le cours classique après 194520

Un certain nombre de phénomènes troublants affleurent à la surfacedes sociétés et sont immédiatement perceptibles. Ces manifestations desurface sont très préoccupantes en elles-mêmes et interpellent leséducateurs. Mais il faut aller au-delà de ces phénomènes et en rechercherla racine profonde, des causes qui touchent aux ressorts les plusfondamentaux de la civilisation occidentale et qui en nourrissent la crise.Cette crise de valeurs pèse évidemment lourdement sur l’éducation. Unebonne éducation secondaire repose sur une juste mesure des malaises etdes misères du monde contemporain.

Parmi les manifestations de surface de ces problèmes profonds, ilfaut d’abord évoquer cette désaffection croissante à l’égard de la foi et dela pratique religieuse qui prend le visage du « laïcisme ». Malgré la grandeforce institutionnelle que conserve encore l’Église catholique dans leQuébec du milieu du xxe siècle, certains s’inquiètent de la montée d’atti-tudes où s’estompent les vérités et les valeurs religieuses : « nos élèves,constate le jésuite René Latourelle en 1948, pensent et jugent plus oumoins en marge du Christ. Leur critère d’appréciation, ils le trouvent,non pas dans l’Évangile ou dans l’Église, mais en eux-mêmes et dansl’opinion […]. C’est l’attitude de l’homme moderne qui s’estime assezintelligent, assez développé, assez en progrès pour se passer de l’Église etde ses lumières1. » Cette désaffection à l’égard de la religion s’accompagneet nourrit à la fois des attitudes empreintes de relativisme et d’utilita-risme en matière morale. Observant les jeunes gens du collège dont il estle recteur, Paul Vanier s’inquiète des attitudes qu’ils manifestent : « Con-victions fermes, habitudes régulières, tables de valeurs fixées, maîtresincontestés : tout cela leur fait défaut. Avides et impatients, improvi-sateurs et aisément bâcleurs, ils ont la hantise de la vitesse, peu de sens del’effort et aucun sens de la durée. Terriblement positifs et utilitaires, ilsont souci du rendement et mépris de l’activité désintéressée2. » Mais il nefaut pas blâmer indûment les jeunes ; ils ne sont que les reflets de leursaînés et de la société à laquelle ils appartiennent. À cet égard, la petitebourgeoisie canadienne-française incarne particulièrement bien l’utilita-risme et le relativisme qui accompagnent l’affaiblissement des valeurs etdes convictions religieuses et qui manifestent une crise profonde de

1. LATOURELLE, René s. j., « La Muse et la Grâce », Collège et famille, 5 (1), 1948,p. 7.

2. VANIER, Paul s.j., « Professeurs ou maîtres », Bulletin du collège et des anciens, 1(11), 1955, p. 1.

Jésuites.set-up.01 3/6/04, 12:4520

Extrait de la publication

Table des matières

Introduction 9chapitre iEn quête de la bonne éducation secondaire 19Malaises et misères du monde contemporain 19Les besoins de l’adolescence 27Caractéristiques essentielles de la bonne éducation secondaire 30

Une vision théologique de l’éducation 31Développement intellectuel et vie de l’esprit 35Formation d’une élite 41

Le cadre institutionnel d’une bonne éducation secondaire 44

chapitre iiLe cours classique : modèle de la bonne éducation 49Une formation organique et unifiée 49Une formation générale complète et appropriée 53Une formation d’élite 60Les composantes essentielles du cours classique 68Valeur permanente et actuelle du cours classique 83

chapitre iiiLe collège privé 89Le collège : une institution aux racines anciennes 90L’essence du collège classique 94Une institution autonome et privée 104Le financement des collèges 115Perspectives d’avenir 126

chapitre ivLe programme du cours classique 133Un questionnement critique 133L’économie générale des disciplines 137Les langues 143

Une ascèse et une discipline nécessaires 143Les langues vivantes 147La vertu vivifiante des langues mortes 149

Jésuites.set-up.09 3/15/04, 14:12405

La littérature 168Objectifs de l’étude de la littérature 169Principes de méthode 179Les domaines de la littérature 185

Les arts 206Les sciences humaines 217

La géographie 218L’histoire 221Les sciences sociales 229

Les sciences 232Enseignement religieux, philosophie, théologie 241

chapitre vLa pédagogie du cours classique 265Les grands principes pédagogiques 266Pratiques et méthodes privilégiées 278

La prélection 278Méthode pour les langues anciennes 283La traduction 287Écriture et composition 296Lecture personnelle 303Pratiques pédagogiques complémentaires 309

chapitre viLe professeur 315Le rôle du professeur 315Le bon professeur 326La formation du professeur 333Clercs et laïcs dans l’enseignement classique 340

chapitre viiDes périphériques éducatifs 347L’organisation du temps 347La bibliothèque 350Clubs scientifiques 355Activités physiques et sport 362De la discipline 372La vie et la pratique religieuses 377

Conclusion 389Éléments de bibliographie 393

Jésuites.set-up.09 3/6/04, 13:06406

Jésuites.set-up.09 3/6/04, 13:06407

Extrait de la publication

composé en minion corps 10,8selon une maquette réalisée par josée lalancette

et achevé d’imprimer en mars 2004sur les presses de agmv-marquis

à cap-saint-ignace, québecpour le compte de denis vaugeois

éditeur à l’enseigne du septentrion

Jésuites.set-up.09 3/6/04, 13:06408

Extrait de la publication