les interprétations logiques, temporelles et causales de la conjonction

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  • 7/23/2019 Les Interprtations Logiques, Temporelles Et Causales de La Conjonction

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    Nouveaux cahiers de linguistique franaise 32 (2015), 71-83

    Les interprtations logiques, temporelles et causales dela conjonction. Une approche exprimentale.

    Joanna Blochowiak1, Thomas Castelain2, Jacques Moeschler1

    1Departement de Linguistique, Universit de Genve2Centre de Sciences Cognitives, Universit de Neuchtel

    RsumDiffrentes interprtations de la conjonction dans la langue naturelle sonttraditionnellement expliques dans une perspective pragmatique commele rsultat dune interaction entre sa signification logique et les principes

    pragmatiques rgissant le discours. Assez rcemment une perspectivesyntaxique mets en avant une thse dambigut structurelle entre lesusages symtriques (logiques) et asymtriques (temporelles et causales) dela conjonction. Cet article prsente une exprience pilote effectue pour leconnecteur franais etqui vise tester cette hypothse.

    Mots cls : syntaxe et pragmatique de la conjonction, approcheexprimentale

    1. Introduction

    Le but de cet article est dtudier exprimentalement le rle de lastructure et de la signification dans le traitement des phrases reliespar des connecteurs et, en particulier, par le connecteur (ou laconjonction)et.

    Il est bien connu que la conjonction et peut avoir desinterprtations varies dans une langue naturelle ; elle peut tre parexemple logique, temporelle ou encore causale. Tout en assumantluniformit structurelle entre les diffrentes interprtations, lesthories smantiques et pragmatiques expliquent ces diffrencesinterprtatives par des principes pragmatiques gnraux de lacommunication (Grice 1975, 1989, Posner 1980, Schmerling 1975,Carston 1993, Blakemore & Carston 1999, Blakemore & Carston 2005).Toutefois, assez rcemment, Bjorgman (2010) a avanc des argumentsen faveur dune division structurelle parmi les diffrentesinterprtations. En bref, les interprtations asymtriques (temporelleset causales) impliquent dans leur structure syntaxique la coordinationdes TP (temporal phrases) alors que les interprtations symtriques(logiques) mettent en uvre la coordination des CP (complementizer

    phrases).

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    Cet article prsente une tude pilote dont le but est dexaminerquels lments prvalent dans le traitement en-ligne des phrases avecle connecteur franais et. Si les considrations structurelles savrentavoir un cot dans le traitement de et, on peut faire lhypothse dunediffrence claire de traitement entre les interprtations asymtriques(temporelles et causales) et symtriques (logiques). Les deuximesdevraient avoir un temps de traitement plus lev parce quelles sontcomposes dune structure syntaxique plus lourde (CP), alors que lespremires devraient avoir un temps de traitement moindre parcequelles ont une structure syntaxique plus petite (TP). En revanche, si

    ce sont les principes pragmatiques qui jouent un rle prpondrantdans le traitement des phrases avec et, on peut sattendre ce quelinterprtation logique de et soit traite plus rapidement, puisquelleconstitue la smantique basique de et, alors que les deux autres typesdinterprtations devraient tre traits moins rapidement.

    La dtermination de la rapidit de traitement entre le ettemporel et causal est chercher du ct des thories pragmatiques.Par exemple, pour Levinson (1983, 2000) linterprtation temporelledevrait prcder linterprtation causale. Pour la Thorie de laPertinence (Sperber & Wilson 1986/1995), ceci nest pas forcment lecas. Le locuteur interprte les noncs en se basant sur sesconnaissances encyclopdiques contenant divers schmas mentauxqui permettent darriver la lecture correcte des noncs. Nous allonsdiscuter plus en dtails les deux approches dans la section 2.1.

    2. Background

    Selon les thories pragmatiques traditionnelles, la smantique de etsenracine dans la signification de loprateur logique de laconjonction !qui est minimale dans le sens o elle prend en compteuniquement les valeurs de vrit des propositions conjointes. Ainsi,une proposition complexe contenant la conjonction est vraieseulement si les deux propositions qui la composent sont vraies. Enconsquence, la conjonction logique a la proprit de symtrie, cest--dire que p ! q est quivalent q ! p. Le tableau 1 donne la table de

    vrit de !,o 1 = vrai et 0 = faux.

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    Conjonction logiqueP Q P !Q1100

    1010

    1000

    Tableau 1. La table de vrit de la conjonction.

    Il est toutefois bien connu que le spectre de relations pouvant treexprimes avec et est trs vaste et la nature de certaines de cesrelations rend la proprit de symtrie caduque. Plus encore, dans

    certains cas, cest la proprit inverse, celle dasymtrie, qui sappliquecomme dans les interprtations temporelles et causales.

    (1)

    Il pleut et il vente. (interprtation logique)(2) Jean sest rveill et il a pris sa douche. (interprtation temporelle)(3)

    Marie a pouss Max et il est tomb. (interprtation causale)

    De manire standard en pragmatique il est assum que le noyausmantique de et est constitu par sa signification logique et toutes lesautres interprtations sont explicables en faisant appel aux principeset rgles pragmatiques.

    2.1. Perspective pragmatique

    Grice (1989) a mis en avant lide selon laquelle il ny a pas de

    diffrence fondamentale entre la signification des mots logiques dansles langages formelles et la signification des mots leur correspondantdans la langue naturelle. Par exemple, le connecteur et dans lexemplede Grice ci-dessous, garde bien une signification logique et sa valeurtemporelle est une implicature, cest--dire quelle est infre grceaux principes pragmatiques gnraux rgissant la communication.

    (4)

    John a enlev ses bottes et il sest couch.

    En particulier, ici linterlocuteur suppose que le locuteur obit lamaxime dordre selon laquelle les vnements sont dhabitude narrsdans lordre dans lequel ils se sont produits.Toutefois, le recours la maxime dordre napporte pas dclairagepar rapport au problme des interprtations causales et Grice ny a

    pas fourni de solution. En revanche, les approches post-gicennes sesont penches sur ce sujet.Tout dabord, Levinson (1983, 146) a conu un algorithme

    incrmentiel destin calculer diffrentes significations de etcommeen (5).

    (5)

    Soit P et Q. Essayez de linterprter comme:(i) P et ensuite Q; si cela est possible, essayez:

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    (ii) P et donc Q; si cela est possible, essayez:(iii) P, et P est la cause de Q.

    Ainsi, la thorie de Levinson prdit quaprs linterprtation logiquevient linterprtation temporelle suivie de linterprtation causale.

    La Thorie de la Pertinence propose une explication diffrente(Sperber & Wilson 1986/1995). Tout dabord, la diffrence de Grice,les connotations temporelles et aussi causales ne sont pas considrescomme les implicatures mais ce sont les aspects de ce qui est ditdtermins de manire infrentielle (Carston 1988, 2002). Plusparticulirement, linterprtation dpend du degr de laccessibilit de

    prmisses contextuelles qui mettent en uvre divers schmasmentaux, par exemple de nature causale. Lexistence de tels schmasparmi diffrentes connaissances encyclopdiques des locuteurs assureune interprtation adquate dun nonc conjonctif donn. Parexemple, lassignation correcte des conditions de vrit pour lesnoncs causaux comme (6) est garantie par linteraction entre leprincipe de pertinence et les prmisses contextuelles.

    (6)

    Marie a laiss tomber le vase sur le carrelage et il sest cass.

    Tous les locuteurs et interlocuteurs partagent un schma causal quidit quun verre qui tombe sur un sol en carrelage se casse. Cesprmisses contextuelles sont rendues accessibles prcisment grceaux connaissances encyclopdiques que les locuteurs et interlocuteurspossdent sur ce type dventualits. Aussi longtemps que les

    prmisses contextuelles dlivrent des interprtations en accord avec leprincipe de pertinence, les autres interprtations possibles sontcartes1.

    2.2. Perspective syntaxique

    Bjorkman (2010) prsente une approche base sur une analyse desclauses enchsses selon laquelle il existe une diffrence syntaxiqueentre la coordination symtrique et asymtrique. Le point importantest que dans les contextes enchsss les interprtations asymtriquessont seulement accessibles pour la coordination des TP (temporal

    phrases) alors que les interprtations symtriques sont accessibles pourla coordination des CP (complementizer phrases). Considronslexemple de Bjorkman (2010).

    (7)

    a. Le journal a rapport que le maire a t lu et il y avait une meute.b. Le journal a rapport que le maire a t lu et quil y avait une meute.

    1Limportance des schmas causaux sous forme des lois est galement mise en avantdans le Modle de Relevance Nomologique (Blochowiak 2014a, 2014b).

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    La diffrence structurelle entre les deux exemples est claire. Dans (7)ale complmenteur que est prsent une seule fois ce qui suggre que laconjonction et relie deux structures du type TP. En revanche, queapparat deux fois dans lexemple (7)b impliquant la prsence destructure plus large que les TP, savoir : les CP. (8) illustre de manireschmatique la diffrence entre le deux structures.

    (8)

    a. a rapport [CPque [TP...] et [TP...]]

    b. a rapport [CPque...] et [CP que ...]

    Cette diffrence structurelle trouve son cho dans une diffrenciation

    interprtative. Quand la coordination des TP est implique, lesinterprtations possibles incluent les relations asymtriques, alors quedans le cas de la coordination du type CP, seules les relationssymtriques peuvent apparatre. Par exemple, (7)a tend vers uneinterprtation o le locuteur observe un lien causal entre les deuxvnements dcrits par les clauses enchsses. Selon cetteinterprtation lmeute a t causalement lie llection du maire. Enrevanche, (7)b ne suggre pas une telle interprtation. Les deuxvnements dcrits par les clauses enchsses sont plutt traits demanire indpendante, sans relation causale entre eux.

    Ainsi, la gnralisation propose par Bjorkman (2010) est lasuivante : la coordination des clauses enchsses du type TP donnelieu aux interprtations impliquant les relations asymtriques(temporelles ou causales) alors que la coordination des structures du

    type CP appelle les interprtations symtriques (logiques).Si le processus dinterprtation est sensible la taille des structures

    du langage, lhypothse de Bjorkman prdit que les interprtationssymtriques, impliquant des structures plus grandes, ncessitent plusde temps de traitement par rapport aux interprtations asymtriquesdont les structures sont plus petites.

    2.3. Une tude exprimentale sur and

    Lhypothse de Bjorkman a t teste exprimentalement dabord parThompson et al. (2011, 2012). Lexprience a considr les temps detraitement des phrases comme tant distinctes smantiquement : (i)logiques, (ii) temporelles et (iii) causales vs comme tant distinctesstructurellement : (i) asymtriques et (ii) symtriques.

    Lexprience a t mene avec la mthodologie RSVP (Rapid SerialVisual Presentation) (Foster 1970). Cette mthode consiste montreraux participants au centre dun cran dordinateur une phrase motpar mot avec une rapidit constante. Suite la prsentation de lasquence de mots, les participants devaient rpter voix haute la

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    phrase mmorise. Ainsi, la mesure de cette tude correspond autemps de production de nonces prsents.

    Leurs rsultats semblent confirmer partiellement la thsesyntaxique formule par Bjorkman (2010). Globalement, les phrasesimpliquant les interprtations symtriques ont t produites pluslentement que celles qui portent sur des interprtations asymtriques.Toutefois, la diffrence entre les lectures temporelles natteint pas unesignification statistique. Seule la diffrence entre les temps de lecturesde et logique et et causal est statistiquement significative.

    Avant daller plus loin, il convient de revenir sur le protocole

    utilis par Thompson et al. Tout dabord, leffectif de leur tude estrelativement rduit car porte seulement sur 8 participants. De plus, ilfaut se demander si la mthodologie utilise (RSVP) et plusparticulirement la mesure du temps de production, sont les plusadapts pour ltude des interprtations de et.

    Plus problmatiques encore sont les stimuli utiliss danslexprience. En effet, lanalyse des propositions complexes rvlequelques problmes dans leur construction.

    Tout dabord, certains enchanements ne peuvent pas tre jugscomme tant incontestablement temporels. Les exemples donns en(9) pourraient bien tre interprts comme causaux alors quils sontrangs dans lensemble de et temporel.

    (9)

    a. The player scored and the team won the game.b. The man fell and the woman laughed.

    c. She won the lottery and they bought a yacht.

    En plus, lensemble contenant les propositions complexes avec etlogique nest pas uniforme car il contient des propositionspisodiques (10)a, des propositions habituelles (10)b ainsi que despropositions gnriques (10)c.

    (10)

    a. Gabriel ordered the pasta and Lily had some chicken.b. Sarah studies in the library and Connie works from home.c. Wolves hunt in packs and lions run in prides.

    Le manque de nettet dans les exemples temporels aussi bien quela non-uniformit dans lensemble des exemples logiques ontpotentiellement impact les temps de production et, par consquence,les rsultats finaux de lexprience de Thompson et al. (2011, 2012).

    Afin de vrifier les rsultats de Thompson et al., nous avons conuune exprience pilote qui tient compte des points problmatiquesdtects dans le choix des stimuli et repose sur une mthodologiediffrente. Lexprience pilote, que nous allons prsenter dans lasection suivante, a t conduite pour la conjonction franaise et.

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    3. Une tude exprimentale sur et

    En rsum, on peut considrer deux types dapproches qui tententdexpliquer les diffrentes interprtations de et. Lapprochepragmatique prdirait que le traitement du et logique est le moinscoteux, suivi du et temporel et du etcausal (selon Levinson 1983) ouindistinctement du et causal et du et temporel dpendant delaccessibilit des prmisses contextuelles (selon la Thorie de laPertinence). Selon lapproche syntaxique, au contraire, les structuresasymtriques (et temporel et causal) devraient tre traitesindistinctement plus rapidement que les structures symtriques quisont plus lourdes (et logique).

    Pour apporter un clairage sur cette question, nous avonsconsidr les trois types de et, comme dans lexprience de Thompsonet al., la diffrence que notre exprience a t conduite en franaissur la conjonction et, et que la mesure employe diverge de celle deces auteurs.

    3.1. Une exprience pilote sur et

    3.1.1. Matriel et mthode

    ParticipantsTrente-deux tudiants (19 femmes,Mage = 24.23 ans, SD= 4.44, [18-34ans]) en Sciences Humaines lUniversit de Genve ont particip

    lexprience. La majorit tait de langue maternelle franaise (n = 26),les autres, avaient un niveau trs lev de franais (n = 6).

    DesignDans cette tude, nous avons tent de mesurer les temps de lecture depropositions complexes P et Q en fonction de trois typesdinterprtations possibles de et(logique, temporelle et causale).

    Elle se base sur deux expriences complmentaires, une exprience contrle et une exprience test . Les mmes propositions ont tutilises dans les deux expriences. La diffrence rsidant dans le faitque dans lexprience contrle le etest remplac par une virgule. Desorte que la proposition test (P et Q) Il a neig toute la nuit et lesautoroutes sont impraticables correspond la proposition contrle(P, Q) Il a neig toute la nuit, les autoroutes sont impraticables .

    Lexprience contrle a pour objectif de dterminer un temps moyende lecture de Qsans la prsence de la conjonction ; lexprience test dedterminer leffet de la conjonction et de ces diffrentesinterprtations sur le temps de lecture moyen de Q des participants en

    fonction de la condition exprimentale (logique, causal, temporel).

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    Afin de dissimuler le but de lexprience, la consigne donne auxparticipants tait de juger si les enchanements de propositionsprsents taient vraisemblables ou invraisemblables. Par exemple,lenchanement Marie a prpar les crpes et Jean a pass laspirateurdevait tre jug comme vraisemblable par les participants, alors quelenchanement Pierre est parti dans la montagne et il a vu lesextraterrestres en pyjamas, comme invraisemblable. Il leur taitgalement demand de rpondre le plus vite possible et le plus justepossible.

    Les propositions ont t construites selon trois critres : a) toutes

    les propositions suivant la conjonction (P et Q) sont au passcompos ; b) toutes les propositions sont formes des mots courants ;c) la longueur de la deuxime proposition (Q) est de 9 syllabes pour lacondition logique, 12 pour la condition temporelle et 10 pour lacondition causale. Le Tableau 2 prsente un chantillon de chacunedes catgories.

    Condition P QLogique(n = 6)

    Jean a jou de la guitare et Agns a dans leflamenco.

    Temporel(n = 6)

    Lavion a atterri et les passagers sontdescendus sur le tarmac.

    Causal(n = 6)

    Des pluies torrentielles sesont abattues sur le Jura

    et llectricit a t coupe.

    Invraisemblable(n = 10) Les policiers ont attrap lemalfrat et ils ont jou aux checsavec lui.

    Tableau 2 : Prsentation de chacune des catgories des propositions utilises.

    ProcdureAprs avoir sign un consentement, les participants ont t invits sasseoir devant lordinateur sur lequel ils allaient passer lexprience.Les participants taient assigns alatoirement lune des deuxexpriences.

    Lexprience dbute par la lecture des consignes, suivie dunephase dentranement (9 enchanements) et de la phase exprimentaleproprement dite (28 enchanements dont 18 tests). Pour chaque essai,une premire proposition (P) apparaissait au centre de lcran et le

    participant devait appuyer sur la barre ESPACE pour passer la suitede lenchanement (et Q). Aprs avoir lu tout lenchanement (P et Q),le participant devait dcider si lensemble lui paraissait vraisemblable(touche p) ou invraisemblable (touche q) (lordre des touches estcontrebalanc entre les participants). Les deux expriences ont tlabores avec le logiciel E-Prime 2.0 (Schneider, Eschman &Zuccolotto 2012). Toutes les propositions ont t prsentes de

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    manire alatoire au centre de lcran dun ordinateur de bureau (detype PC) en blanc sur fond noir (police Times New Roman, taille 18).

    3.1.1. Rsultats

    Lobjectif de cette exprience est de tenter disoler le temps de lecture(TL) moyen pour chaque type de et, afin de les comparer et tester lesprdictions prsentes prcdemment. Pour ce faire, nous avonsmesur le TL de la suite compose de la conjonction et de la secondeproposition (et Q) dans lexprience test et de la seconde propositionseule (Q) dans lexprience contrle. Afin davoir une approximation

    du TL de chaque type de et, nous avons soustrait la moyenne des TLde chaque proposition contrle (Q) au TL des propositionscorrespondantes (etQ) obtenues dans lexprience test. Soit, TL et = etQ Q. Ainsi, dans lexemple Marie a prpar les crpes et Jean a passlaspirateur, nous avons mesur les TL de la seconde proposition avecla conjonction (et Jean a pass laspirateur) pour en soustraire lamoyenne des temps de lecture de la seconde proposition sans laconjonction (Jean a pass laspirateur).

    Deux sujets ont t exclus des analyses car ils prsentaient un tauxde rponses correctes infrieur 75% (M= .93, SD = .24). Ainsi, lesanalyses qui suivent portent sur les rponses correctes aux 18propositions vraisemblables de lexprience test (n = 17) et delexprience contrle (n = 13).

    Exprience contrleUne premire analyse descriptive nous permet de dterminer le TL

    moyen de chacune des propositions (Q), ainsi que le TL moyen pourchacune des conditions : MLogique = 2260, SD = 1021 ; MTemporel =2225, SD= 757 ; MCausal= 2092, SD= 1433. Par ailleurs, une analysede variance ne rvle pas deffet de la condition sur le TL moyen desdiffrentes phrases, F(2, 206) = 2.37, p = .096. Les tests post-hoc deTukey associs ne rvlent pas de diffrence entre les diffrentesconditions, prises deux deux.

    Exprience testLanalyse descriptive prsente dans le tableau 3 et la figure 1

    permet de rendre compte des TL moyens de (et Q Q) dans chacune

    des conditions.TL (et Q Q) N Moyenne Ecart-typeLogique 86 -284,50 766,19Temporel 93 147,03 920,09Causal 94 326,60 1070,22

    Tableau 3 : TL moyens de (et Q - Q) en fonction de la condition exprimentale(logique, temporel ou causal).

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    Figure 1 : Box-plots des TL de (et Q Q) selon le type dinterprtation de laconjonction et (causal, logique et temporel). La ligne noire indique la valeur mdiane.

    Les botes reprsentent la moiti de lchantillon, entre les quartiles infrieurs etsuprieurs. Les moustaches reprsentent les valeurs les plus extrmes, mis part les

    outliers (cercles et astrisques).

    Par ailleurs, un test de rang sign de Wilcoxon chantillonsassocis montre que le TL de (et Q Q)de la condition logique (Mdn= -200) est significativement plus petit que la condition causale (Mdn=

    -.33, Z= -3.01, p< .01, r= .35) et que la condition temporelle (Mdn=132, Z = -3.19, p < .001, r = .59). Le mme test ne rvle aucunediffrence entre le TL de la condition causale et la conditiontemporelle (Z = -.35, p = .72). De plus, un test de rang sign deWilcoxon chantillons associs montre que les propositionssymtriques (Mdn = -200) sont lues plus rapidement que lespropositions asymtriques (Mdn= 293), Z= 2.63,p< .01, r= .32.

    En rsum, les rsultats prsents semblent indiquer que lespropositions symtriques sont traites plus rapidement que lespropositions asymtriques. De plus, linterprtation logique de et esttraite plus rapidement que les interprtations causale ou temporelle.Cependant, il na pas t possible de mettre en vidence unediffrence de temps de traitement entre linterprtation causale ettemporelle de et.

    3.2. Discussion

    Les rsultats obtenus dans lexprience sur le franais soutiennent lesprdictions des thories pragmatiques concernant la conjonction. Lesinterprtations logiques (symtriques) ont t traites le plusrapidement, suivies des interprtations causales et temporelles

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    (asymtriques). Les rsultats de notre exprience sont donc enopposition avec ceux de Thompson et al. (2011, 2012) et lesconsidrations des diffrences structurelles mises en avant parBjorkman (2010).

    Quels sont les lments qui peuvent expliquer une telledivergence ?

    Outre les problmes des stimuli que nous avons points dans lasection 2.3, lexprience de Thompson et al. prsente galement unediffrence mthodologique majeure. En effet, ces derniers ont utilis leparadigme de Rapid Serial Visual Presentationet lanalyse du temps de

    production alors que nous avons fait le choix du Self Paced Reading. Lepremier est plus rpandu dans les recherches portant sur le lexique, lasmantique ou le traitement smantique (Rayner & Sereno 1994). Lesecond, semble plus appropri dans le cas dtudes sur les processusde comprhension du discours (Garrod 2006). Quoiquil en soit, onpeut relever un manque de prcision dans la description de laprocdure et des analyses de cet article.

    Finalement, il est important de souligner que le nombre rduit departicipants (huit) constitue une autre faiblesse de leur protocole etquaucun rsultat des tests statistiques na t rapport dans larticlede Thompson et al. (2011, 2012), ce qui compromet la lecture desconclusions de leur tude.

    4. Conclusions

    Cet article a prsent une exprience pilote qui visait vrifierempiriquement les prdictions des thories syntaxiques etpragmatiques sur la conjonction. Dun ct, selon une thoriesyntaxique Bjorkman (2010) il y a une diffrence structurelle entre lesusages symtriques (incluant les interprtations logiques) quiimplique les structures plus grandes, savoir les CP, et les usagesasymtriques (incluant les interprtations temporelles et causales) quisont composs des structures plus petites, savoir les TP. De lautrect, les thories pragmatiques prnent que la signification de laconjonction en langue naturelle est base sur la signification de laconjonction logique, qui est symtrique. Les autres typesdinterprtations, comme temporelle ou causale, sont infrs par lesinterlocuteurs via les principes gnraux de la pragmatique. Ainsi, les

    prdictions de ces deux dapproches sont claires : les interprtationslogiques devraient tre moins coteuses pour lapproche pragmatiquealors que linverse serait le cas pour lapproche syntaxique.

    Nous avons rapport lexprience faite sur and (Thompson et al.2011, 2012) dont les rsultats pointent vers une confirmation partiellede la thorie syntaxique. Toutefois, ces rsultats semblentdifficilement exploitables (ou gnralisables) tant donn les

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    problmes dans la construction des stimuli que nous avons relev et lefaible nombre de participants.

    Nous avons fait une exprience en franais en vitant lesproblmes des stimuli observs dans lexprience de Thompson et al.,avec une mthodologie diffrente et les rsultats se sont rvls loppos de ceux obtenus pour langlais. Les interprtations logiquesont t traites le plus rapidement, suivies des interprtationstemporelles et causales avec une diffrence statistiquementsignificative entre les interprtations logiques et temporelles etlogiques et causales. Une nouvelle exprience avec davantage de

    participants sera mene prochainement afin de tenter de confirmer lespremiers rsultats obtenus dans notre exprience pilote.

    Bibliographie

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