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1 Les infractions de presse en ligne, ou la délicate question de la prescription de l’action publique I. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : des péripéties judiciaires porteuses d’espoir…. ................................................................................... 3 1. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse écrite . 3 2. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne ................................................................................................................................................ 4 A. Les solutions dégagées par les juges du fond ................................................................... 4 B. Un débat tranché par la Cour de cassation....................................................................... 6 II. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : une intervention législative nécessaire ................................................................................................. 8 1. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : une réforme incomplète ................................................................................................................. 8 2. La loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004................................... 9 A. L’amendement Trégoët : la fixation du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne au retrait du message litigieux ................................................................. 9 B. L’amendement Trégoët censuré par le Conseil constitutionnel ...................................... 10 C. La décision du Conseil constitutionnel : censure d’une rupture d’égalité ? ..................... 11 III. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : les différentes solutions proposées .................................................................................................. 12 1. Les propositions doctrinales .............................................................................................. 12 A. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une majorité de propositions liant prescription à consommation des infractions de presse ................................................................................................................................ 12 B. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une proposition innovante dissociant les notions de prescription et de consommation des infractions de presse ............................................................................ 13 C. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une proposition intermédiaire inspirée de l’adage Contra non valentem.................... 14 2. La proposition de loi ou l’allongement du délai de prescription applicable aux infractions en ligne : une solution souhaitable ?............................................................................................ 16 3. La proposition ordinale : la création d’une nouvelle « action en suppression d’une imputation diffamatoire »....................................................................................................... 17

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Les infractions de presse en ligne, ou la délicate question de la prescription de l’action publique

I. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : des

péripéties judiciaires porteuses d’espoir…. ................................................................................... 3

1. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse écrite . 3 2. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne

................................................................................................................................................ 4

A. Les solutions dégagées par les juges du fond ................................................................... 4

B. Un débat tranché par la Cour de cassation ....................................................................... 6 II. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : une

intervention législative nécessaire ................................................................................................. 8 1. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : une

réforme incomplète ................................................................................................................. 8

2. La loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 ................................... 9 A. L’amendement Trégoët : la fixation du point de départ du délai de prescription des délits

de presse en ligne au retrait du message litigieux ................................................................. 9

B. L’amendement Trégoët censuré par le Conseil constitutionnel ...................................... 10

C. La décision du Conseil constitutionnel : censure d’une rupture d’égalité ? ..................... 11 III. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : les

différentes solutions proposées .................................................................................................. 12

1. Les propositions doctrinales .............................................................................................. 12 A. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une majorité de propositions liant prescription à consommation des infractions de

presse ................................................................................................................................ 12 B. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une proposition innovante dissociant les notions de prescription et de

consommation des infractions de presse ............................................................................ 13 C. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en

ligne : une proposition intermédiaire inspirée de l’adage Contra non valentem… .................... 14 2. La proposition de loi ou l’allongement du délai de prescription applicable aux infractions en

ligne : une solution souhaitable ? ............................................................................................ 16 3. La proposition ordinale : la création d’une nouvelle « action en suppression d’une

imputation diffamatoire » ....................................................................................................... 17

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Les spécificités du droit de la presse ont conduit le législateur, dans la loi du 29 juillet 1881, à prévoir un régime dérogatoire en matière de délai de prescription de l’action publique. Alors que les délais de prescription de droit commun sont de un an pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes, l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte de poursuite ». En matière de presse écrite, la règle posée était donc claire : la prescription de l’action publique est de trois mois à compter du jour où la publication litigieuse est intervenue. Le délai de prescription de trois mois fixé par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, particulièrement bref, « achevé à peine commencé » selon la formule d’Emmanuel Derieux1, est le plus court de toute l'Europe (L'honneur et le droit : LGDJ, coll. "Bibl. dr. privé", 1995, t. 234, p. 180). Compte tenu de son régime, il a même été affirmé que ce délai de prescription « aboutit bien souvent à des dénis de justice » (A. Chavanne, note : JCP G 1969, II, 15841). L’exposé des motifs de la loi de 1881 le fonde en effet sur le caractère intrinsèquement éphémère de l’actualité, « caractère essentiel de la presse. Ainsi, la rapidité avec laquelle les circonstances viennent à changer, peut faire perdre, dans un très court laps de temps, à un écrit, tout ou partie de sa force injurieuse. Les articles des journaux, les discours des hommes politiques, sont lus, écoutés le jour même et oubliés le lendemain. L’idée de l’oubli, fondement de toute prescription, joue ici au maximum, renforcée par la rapidité avec laquelle s’efface l’impression produite par la nouvelle du jour »2. Ce postulat se trouve précisément balayé par la permanence de l’accessibilité du contenu litigieux sur les supports numériques. Le fondement de ce délai plus court réside dans l’intérêt de la presse et dans la protection de la liberté d’expression (Cass. Civ 2ème, 14 déc. 2000 : Bull. civ. II, n° 173), mise à mal tout au long du 19ème siècle. Depuis la révolution de 1789, en raison d’une volonté de contrôle du pouvoir politique en place, phases de proclamation de la liberté d’expression et rétablissement de la censure se succèdent sans relâche. Par exemple, l’entrée en vigueur d’une loi de 1822 introduit, en droit français, un « délit d’opinion » et la possibilité de punir un journal pour son « esprit ». Il fallait également une autorisation préalable pour diffuser un journal. En 1830, Charles X décide d’affirmer son pouvoir par le biais d’une ordonnance abolissant la liberté de la presse et rétablissant la censure. De nombreux journaux disparaissent ou souffrent d’une forte censure, tel que L’évènement, journal de Victor Hugo. Puis, sous le Second Empire, un décret de 1852 met en place un système d’avertissements administratifs qui, à défaut d’être respectés, sont sanctionnés par la fermeture de l’établissement concerné. Ainsi, « avant 1870, on ne relève pas moins de 145 lois, arrêts, décrets et règlements, sauf exception limitatifs et répressifs »3. Dans ces conditions, la loi de 1881, qui proclame la liberté de la presse dès son article 1er, ainsi que toutes les dispositions destinées à protéger et à assurer l’effectivité de cette liberté, parmi lesquelles figure en bonne place la courte prescription de trois mois, prennent tout leur sens. Il s’agissait d’assoir définitivement la liberté de la presse et de la protéger contre les incursions du pouvoir politique mais aussi de garantir la sécurité juridique en empêchant “l'injustice qui pourrait se

1 La loi du 29 juillet 1881 : RDP 1981, p. 1532

2 Code de la presse, André Toulemon, M. Grelard et J. Patin, 2

ème édition, p. 341

3 La difficile installation de la liberté de la presse en France :www.asmp.fr/travaux/gpw/pbpresse/pig2chap2.pdf

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produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé” (CEDH, 22 oct. 1996, Stubbings c/ Royaume-Uni, § 51). On pourrait pourtant considérer que si l'intérêt de la justice devait véritablement être pris en compte, ce serait plutôt en sens inverse : “la sagesse recommanderait qu'elle [la justice] opérât à froid dans cette délicate matière” (A. Bonnefoy, Comment punir la diffamation ? : Rev. sc. crim. 1953, p. 639). Il est intéressant d’observer que c’est l’oubli qui motive la courte prescription. Le développement du réseau internet a donc fait naître des difficultés particulières, notamment quant à la fixation du point de départ du délai de prescription, de sorte que la détermination de ce point de départ a fait l’objet de nombreuses péripéties judiciaires (I). D’abord tranchée par voie jurisprudentielle, le législateur a tenté en vain de mettre un terme aux incertitudes de la matière par la voie de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel (II). Le débat reste donc entier et différentes solutions peuvent être proposées afin de remédier aux incertitudes jurisprudentielles (III).

I. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : des péripéties judiciaires porteuses d’espoir…. Outre son fondement, porteur de diverses interrogations, la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse soulève de nombreuses questions. Si en matière de presse écrite, elle s’est faite naturellement (1), ce point de départ a soulevé de nombreuses difficultés en matière de presse électronique (2).

1. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse écrite

Cette prescription trimestrielle en matière de presse a donné lieu à une importante jurisprudence visant à en préciser le domaine ainsi que la computation des délais. S'agissant de la détermination du point de départ du délai de la prescription trimestrielle, il est apparu logique de le fixer au jour où la publication est intervenue, dans la mesure où la consommation de l'infraction résulte d'une publication. C'est en effet à partir de ce moment que l'écrit devient disponible pour le public et que se consomme donc l'infraction (Cass. crim., 13 oct. 1987 : Bull. crim., n° 349 ; Rev. sc. crim. 1988, p. 528, obs. Levasseur. – 8 janv. 1991 : Bull. crim., n° 13 ; D. 1992, somm. p. 97, obs. Pradel).

Avec le développement du réseau internet sont nées, en cette matière, des difficultés

particulières que les juges du fond ont été conduits à trancher.

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2. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne

Lorsque le message a été diffusé par le biais de l’internet, le point de départ du délai de prescription de l’action publique doit-il courir du jour de sa mise en ligne, du jour de sa constatation par l’individu s’en disant victime ou encore, du jour de son retrait ? Les juges du fond se sont montrés hésitants sur cette question (A) avant qu’elle ne soit tranchée par la Cour de cassation (B).

A. Les solutions dégagées par les juges du fond

Les juridictions ont été hésitantes sur cette question, avant d’adopter une solution audacieuse, mais répondant davantage aux réalités de la communication en ligne. - La fixation du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne au premier acte de publication Les tribunaux sont tout d’abord restés prudents en estimant que le délai de prescription courait à compter du premier acte de publication sur internet, sans opérer de distinction entre le réseau internet et les supports classiques4. En effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans un jugement en date du 30 avril 1997, a tout d’abord tenté de trancher cette question en déclarant irrecevable la demande formée plus de trois mois après la diffusion de l'information litigieuse sur internet, le point de départ de la prescription de l'action en diffamation étant situé non au jour où les faits ont été constatés mais le jour du premier acte de publication, et la diffusion de propos diffamatoires sur le réseau internet constituant un acte de publicité commis dès que l'information a été mise à disposition des utilisateurs éventuels du site (TGI Paris, 30 avr. 1997 : Bull. inf. C. cass. 1997, n° 1193 ; D. 1998, somm. p. 79, obs. Dupeux ; Gaz. Pal. 1997, 2, somm. p. 393, obs. Rojinsky). Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris fixait le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse électronique au jour de la mise en ligne du message litigieux en ne tenant compte ni de la date à laquelle le public prend effectivement connaissance du message (V. refusant de réduire « la notion de publication au seul fait de l'affichage sur un écran d'informations jusque-là numérisées », TGI Paris, 17e ch., 28 janv. 1999 : Comm. com. électr. 2000, comm. 58, obs. A. Lepage), ni du fait que l'acte ait pu échapper à la personne visée. Peu importe qu'elle se soit « trouvée dans l'impossibilité de connaître les attaques dont elle a été l'objet » (Cass. crim., 1er déc. 1981 : Bull. crim. 1981, n° 320). Il est ainsi jugé : « que la mise de l'écrit à la disposition du public, en un lieu quelconque, fait courir le délai prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, indépendamment du domicile de la personne diffamée » (Cass. crim., 14 mai 1991 : Bull. crim. 1991, n° 203). A défaut de réitérer l'infraction, est également sans effet sur le point de départ de la prescription initiale l'adjonction d'une nouvelle adresse facilitant l'accès au site où est communiqué au public un article diffamatoire (Cass. crim., 6 janv. 2009 : D. 2009, p. 1260, note Ch. Courtin ; Comm. com. électr. 2009, comm. 28, obs. A. Lepage). : Légipresse 2004, n° 210, III, p. 50, note A. Lepage. – le refusant, TGI Paris, 17e ch., 14 mars 2005 : Légipresse 2005, n° 222, I, p. 89). En effet, dès lors que ce

4 TGI Paris ord. Fer. 30 avril 1997, ESIG, R.B. c/C.B., Sté Groupe Express, Sté Compuserve : Gaz. Pal. 1997, 2,

somm. p.393 ; TGI Paris 17ème

ch. ; 28 janvier 1999, Costes c/Licra, Mrap, Uejf

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changement était destiné à accroître l'audience du site, l'on aurait pu admettre que l'infraction était renouvelée et que ce renouvellement faisait courir un nouveau délai de prescription. Mais il a été considéré qu’une telle modification ne concerne qu'indirectement l'article litigieux lorsqu'elle améliore l'accès à un site dans son ensemble. Dans ces conditions, l’on aboutissait à une solution absurde puisque, pour faire courir un nouveau délai, le directeur de publication aurait dû réitérer l’infraction et donc, supprimer l'article litigieux, avant de le republier à l’identique avec la nouvelle adresse. Une solution comparable a été dégagée s'agissant de la mise à jour d'un site contenant un article diffamatoire (Cass. crim., 19 sept. 2006 : Comm. com. électr. 2006, comm. 162, obs. A. Lepage ; Légipresse 2006, n° 237, III, p. 235, obs. B. Ader. – Idem pour la transformation du site gratuit en site payant, TGI Paris, 17e ch., 6 sept. 2004 : Comm. com. électr. 2005, comm. 34, obs. A. Lepage). Mais il en irait différemment en cas de modification du message lui-même (TGI Paris, 17e ch., 21 févr. 2005 : Légipresse 2005, n° 222, I, p. 88). Hésitantes, les juridictions, après avoir considéré que la prescription pour les délits de presse en ligne courait à compter du premier acte de publication, se sont montrées novatrices en adoptant une solution audacieuse, mais répondant davantage aux réalités de la communication en ligne. - Une solution audacieuse : la fixation du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne au retrait du message litigieux Face à la difficulté de dater la mise en ligne d’un contenu sur internet et eu égard à l’impossibilité pour les parties civiles de surveiller de manière constante et exhaustive les messages présents sur internet, il a ensuite été jugé que la date du constat du message litigieux sur internet pouvait être assimilée à la date de publication, sous réserve de la preuve d’une mise en ligne antérieure (TGI Paris, 13 novembre 1998). Puis, dans un arrêt Costes du 15 décembre 1999, la 11ème chambre de la Cour d’appel de Paris, tenant compte des « caractéristiques spécifiques » d’internet, infirmait la décision des premiers juges, et considérait de manière novatrice que l’acte de publication de propos diffamatoires sur internet était une infraction « continue ». Ainsi, l’acte matériel du délit se prolonge sur une certaine durée tant que perdure la volonté réitéré du délinquant de laisser le message en ligne, et le délai de prescription court à compter du jour où l’action a cessé, soit le jour du retrait de la publication5. En analysant l’acte de publication comme le résultat « d’une volonté renouvelée de l’émetteur qui place le message sur un site, choisit de l’y maintenir ou de l’en retirer quand bon lui semble. », cette décision se démarquait clairement de la conception traditionnelle considérant le délit de presse comme une infraction instantanée, et consacrait la spécificité de la communication sur internet. Dans un jugement du 6 décembre 20006, cette solution était suivie par la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, à cela près que le tribunal considéra la publication sur internet comme un acte successif. Cette solution, saluée par les partisans d’une juste et nécessaire répression des délits de presse commis sur internet, ne tardait pas à être dénoncée par le lobby de la presse en ligne. Elle permettait en effet qu’un article diffamatoire publié sur internet soit poursuivi tant qu’il se trouvait en ligne et jusqu’à trois mois après son retrait.

5 CA Paris, 11ème ch. A, 15 décembre 1999, Licra et a. c/ J-L. Costes

6 TGI paris, 17

ème ch., 6 décembre 2000, Carl Lang c/ réseau Voltaire

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Ainsi qu’il a l’été justement souligné7, « de là à y voir l’imprescriptibilité propre au crime contre l’humanité, il n’y a qu’une forme de banalisation que certains n’ont pas craint d’emprunter. »8 Nombreux sont ceux qui opposent à cette solution l’argument tiré de l’analogie entre délits de presse commis sur internet et délits de presse commis par voie d’affichage ou de tracts. S'agissant de ces derniers, ni leur nature (instantanée) ni le point de départ du délai de prescription (la mise à disposition du message au public, donc la première apposition de l'affiche) n’ont été remis en cause.9 Internet étant un média « comme les autres », il devrait en être de même pour les délits de presse en ligne et les trois mois de prescription devrait également courir à compter de la mise à disposition du message au public, c'est à dire dès sa mise en ligne. Mais comment envisager sérieusement une comparaison entre un simple affichage et un acte « aussi opaque que l’enregistrement de données sur un serveur, avec l’obligation en 90 jours seulement d’identifier en France ou à l’étranger l’auteur anonyme ou pseudonyme d’une provocation raciste par exemple, le directeur de la publication et de saisir le tribunal compétent... » 10 L’analogie peut en effet paraître téméraire et semble avoir pour unique justification de dépénaliser les délits de presse sur internet. Ainsi que l’avait justement souligné M. Charles KORMAN : « En réalité, l’édifice du droit de la presse tel que résultant de la loi du 29 juillet 1881 est branlant, devenu d’un coup obsolète par l’effet de l’irruption des moyens de communication électroniques, de moyens innombrables assurant une publicité tous azimuts – et de facto- impossibles à surveiller…Cette situation rend vaine le postulat d’un trouble social apaisé « après 3 mois » ou pire, consenti par les « lecteurs ». Ce qui est vrai pour le fournisseur d’accès qui « ne peut tout surveiller » l’est également pour le lecteur, et c’est pourquoi il n’est que parfaitement cohérent – et équitable- qu’au principe reconnu par le législateur par le nouvel article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 réponde une prescription à décompte nouveau ; qu’à l’évanouissement a priori du directeur de la publication réponde l’évanescence de la prescription trimestrielle. »11 La solution dégagée par la Cour d’appel de Paris a donc suscité de vives réactions, avant d’être remise en cause par la Cour de cassation.

B. Un débat tranché par la Cour de cassation

- Le délai de prescription des délits de presse en ligne court à compter du premier acte de publication Les évolutions jurisprudentielles laissant espérer une évolution dans le sens d’une meilleure répression des délits de presse en ligne ont fait long feu. La Cour de cassation s’est d’abord implicitement prononcée sur la question du point de départ du délai de prescription des délits de presse sur internet dans un arrêt du 30 janvier 2001.12 Dans son arrêt du 16 octobre 2001, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé sans ambigüité que : « le point de départ du délai de prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la Loi

7 Lilti Stéphane, “Pas de priorité absolue pour la liberté d’expression”, Expertises mars 2001, p.102

8 Voir en ce sens A. Valette, Légipresse n°212, Juin 2004, p. 91

9 B. Ader, Légipresse n° 214, septembre 2004, page 101, Rojinsky, Légipresse n°176, Novembre 2000 page 182

10 Lilti Stéphane “Pas de priorité absolue pour la liberté d’expression”, Expertises mars 2001, p.103

11 Ch. Korman, La répression des discours racistes en France : RTDH n°46, 31 mars 2001, p.400

12 Cass crim 30 janvier 2001

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du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication. », c'est-à-dire celle à laquelle « le message a été mis pour la première fois à disposition des utilisateurs du réseau. » 13 En estimant qu’aucune différence de traitement ne devait être marquée en matière de prescription entre la communication en ligne et les autres modes de diffusion, la Cour de cassation revenait à une position certes orthodoxe, puisque rappelant le caractère instantané des délits de presse et mettant un terme aux solutions en faveur d’un délit continu, mais source de difficultés pratiques quasi insurmontables pour les parties civiles, et en décalage par rapport aux réalités du numérique. - Une solution vivement débattue par la doctrine Plusieurs auteurs avaient alors dénoncé « le sacrifice délibéré des victimes de diffamations, d’injures, ou de provocations notamment à caractère raciste sur l’autel de la prescription » et s’interrogèrent sur le point de savoir en quoi une telle position était « censée servir la liberté d’expression. »14.

D'aucuns ont donc avancé que cette courte prescription éviterait aux journalistes la constitution de trop importantes archives dans la perspective d'une justification a posteriori de leurs propos (V. M.-Ch. de Percin, "Actualité de la loi de 1881", in Colloque Presse-Liberté 2000 : PUF 2001, p. 25). Mais, transposable à toute activité sociale, l'argument ne convainc guère.

D'autres, de ceux qui contestent qu'il y a en matière de presse une véritable forme de délinquance, ont soutenu que ce bref délai prendrait en compte la réalité d'un préjudice purement moral, aussitôt commis, aussitôt oublié (V. déjà M. Faustin-Hélie, Traité de l'instruction criminelle, préc., p. 698). La fugacité du trouble à l'ordre public serait le propre des atteintes médiatiques marquées, spécialement aujourd'hui, par une versatilité et une absence totale de mémoire : l'action qui ne serait pas immédiatement exercée ne mériterait pas d'être engagée par la suite ; le temps écoulé relativiserait à la fois le trouble et le préjudice (V. critiquant ces justifications Ph. Blanchetier, Point de départ du délai de prescription des délits de presse sur Internet : D. 2001, p. 2056). L'argument n'est pas sans intérêt. Mais précisément, compte tenu du peu de risques de voir des actions tardivement engagées, pourquoi empêcher d'agir celui que des circonstances exceptionnelles n'auront pas conduit immédiatement au prétoire (d'autant que la solution semble aller à contresens de l'évolution générale. – V. J. Danet, La prescription de l'action publique, un enjeu de politique criminelle : Arch. pol. crim. 2006, p. 86) ?

L'hypothèse devrait être si rare qu'elle ne peut menacer la liberté d'expression.

Dans ces conditions, «pourquoi ne pas reconnaître que la véritable finalité poursuivie à l'époque était de faire échapper aussi vite que possible les responsables des diffamations et autres infractions de presse aux feux de la répression ? » (M. Domingo, Atteintes à la réputation : Gaz. Pal. 1994, 2, doctr. p. 999).

La deuxième chambre civile l'a admis lorsqu'elle a jugé « que la courte prescription, édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, a pour objet de garantir la liberté d'expression » (Cass. 2e civ., 14 déc. 2000 : Bull. civ. 2000, II, n° 19 ; D. 2001, p. 1344, note B. Beignier).

Voici le fondement de « l'anomalie » plus encore que la « spécificité » du droit de la presse (nuances d'E. Derieux, La loi du 29 juillet 1881, préc., p. 1532). L'impunité est nécessaire à la

13

Cass. crim., 16 oct. 2001 Juris Data n°011587: JCP G 2002, II, 10028, note P. Blanchetier ; Comm. com. électr. 2001, comm. 132, obs. A. Lepage ; Légipresse 2001, n° 187, III, p. 205, note E. Dreyer. 14

Blanchetier Philippe , note précitée

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liberté ; elle s'exerce au détriment de la responsabilité. Et, pour la chambre criminelle, il n'y a rien là de contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme : « aussi bien l'existence d'un court délai de prescription que le point de départ de ce délai au jour de premier acte de publication, qui ont pour but de garantir la liberté d'expression, ne privent pas pour autant la victime de la diffamation de tout recours effectif si elle fait preuve de diligence » (Cass. crim., 2 oct. 2001 : Comm. com. électr. 2002, comm. 66, obs. A. Lepage). Aide-toi, le juge t'aidera...

II. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : une intervention législative nécessaire A défaut d’intervention du législateur, le droit applicable résidait donc dans la solution dégagée par la Cour de cassation et l’ancrage du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne se situait dans le premier acte de publication. Ainsi, il en résulte une impunité totale dès lors que trois mois se sont écoulés depuis la mise en ligne d’un message insultant ou diffamant. Le législateur, conscient qu’une telle solution n’est pas admissible, a tenté d’y substituer une autre, d’abord par le biais de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II (1), ensuite par celui de la loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004, dite loi LCEN (2).

1. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : une réforme incomplète

Il est sûr que, à ce jeu-là, l'intérêt des victimes se trouve sacrifié (V. P.-Y. Gautier, De la prescription des infractions commises sur l'Internet... et dans le monde physique : D. 2002, p. 1852). Pour surmonter l'objection, l'on pourrait donc allonger le délai de prescription "à six ou neuf mois" (A. Lepage, Libertés et droits fondamentaux à l'épreuve de l'Internet : Litec, 2002, p. 268). Ce serait marquer encore la spécificité du droit de la presse tout en atténuant sa rigueur à l'égard des victimes et de l'autorité de poursuite (V. déjà : L. 26 mai 1819, art. 29). Cela éviterait de retenir une solution propre à l'Internet qui n'est pas confronté, en l'espèce, à un problème spécifique. La loi Perben II15 s’était fait l’écho de ces critiques en allongeant à un an le délai de prescription des délits de presse à caractère racial et xénophobe, et ce quel qu’en soit le support (article 65-3 de la Loi du 29 juillet 1881). Eu égard aux difficultés qu’ont les victimes pour repérer les messages sur internet et identifier la date de première publication, la rédaction initiale de l’article 65-3 prévoyait que le délai de prescription des infractions commises sur internet serait porté à un an. Cette rédaction fut toutefois abandonnée au profit des seuls messages à caractère raciste et xénophobe. Les victimes des autres infractions de presse commises sur internet demeuraient donc soumises à l’observation du délai de trois mois courant à partir de la date de première publication.

15

Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO n° 59 du

10 mars 2004 p. 4637

9

Le droit applicable n’était donc toujours pas satisfaisant de sorte que le législateur a, dans la loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004, proposé une autre solution.

2. La loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004

Lors de la préparation de la Loi LCEN, un amendement (dit Trégoët du nom du parlementaire qui en fut l’initiateur) entérinant la solution consacrée par la 11ème chambre de la Cour d’appel de Paris dans son arrêt Costes16, fut adopté par l’Assemblée Nationale (A). Cet amendement a toutefois fait l’objet d’une censure de la part du Conseil constitutionnel (B).

A. L’amendement Trégoët : la fixation du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne au retrait du message litigieux

Attentif aux difficultés rencontrées par les victimes d’infractions de presse commises sur internet, le législateur prenait le contrepied de la jurisprudence de la Cour de cassation persistant à aligner le régime de ces infractions sur celui des infractions de presse classiques, et à faire fi des différences caractérisant les deux types de contenus quant à leur accessibilité dans le temps. Le texte initial de la loi du 21 juin 2004 proposait en effet de faire courir le délai de prescription des infractions de presse commises en ligne à compter de la « date à laquelle cesse la mise à disposition du public », sauf si la publication en cause reproduit une publication déjà éditée sur support papier. Ainsi, l’amendement répondait « à l’attente de ceux militant, non seulement pour la reconnaissance d’une spécificité du réseau internet, mais encore, et surtout, pour que l’effet salvateur de la prescription ne l’emporte pas sur la juste et nécessaire répression ».17 Cette disposition suscita un tollé dans le monde de la presse et de l’édition en ligne. Celui-ci y vit en premier lieu, et de manière légitime, une discrimination injustifiée à son encontre du fait de la dérogation opérée au profit de la reproduction en ligne d’articles publiés à l’identique sur le papier. Il y vit ensuite une tentation renouvelée de rendre « continues » les infractions de presse commises sur internet en contradiction avec le principe qui veut que les infractions de presse sont des délits « instantanés »,18 créant un risque d’ imprescriptibilité compromettant la diffusion d’archives en ligne19, argument déjà soulevé à l’époque des arrêts Costes et Réseau Voltaire. A l’argument d’un délai d’action trop bref du à la célérité imposée par la courte prescription de l’article 65, les détracteurs de l’amendement ont opposé la puissance des moteurs de recherche (qui permettrait une veille et une identification rapide des messages litigieux), ainsi que le principe du renouvellement du point de départ de la prescription à chaque réitération de l’acte de

16

CA Paris, 11ème ch. A, 15 décembre 1999, Licra et a. c/Costes 17

Blanchetier Philippe, note précitée 18

B. Ader, Légipresse n°211, mai 2004, p.100 19

A. Valette op.cit, B. Ader op.cit. p.102

10

publication (par modification, suppression puis nouvelle édition etc.). Ils ont également dénoncé le « fantasme » de l’idée qu’un site pouvait reste «caché » trois mois sans réaction, pour ensuite, et trop tard, être découvert.20 On pourra opposer à ces critiques les mêmes arguments que ceux développés à l’occasion des arrêts Costes et Réseau Voltaire. La fixation du point de départ du délai de prescription des délits de presse en ligne au jour du 1er acte de publication susciterait de nombreuses difficultés d’application en raison de la complexité résultant de la détermination de la date de mise en ligne d’un contenu sur internet. De plus, une telle solution supposerait la nécessité pour l’ensemble des citoyens exposés de surveiller de manière constante et exhaustive les messages présents sur internet, hypothèse manifestement impossible en pratique. Les citoyens se verraient contraints de contrôler régulièrement ce qui est publié à leur sujet sur internet, par le biais d’un moteur de recherche à partir de leur nom et prénom, puis de vérifier l’ensemble des liens affichés. Le citoyen ordinaire aurait fort logiquement bien des difficultés à s’acquitter d’une telle mission. Quant au citoyen jouissant d’une certaine notoriété, il se verrait confronté à l’étude hebdomadaire des nombreux articles les concernant… Il s’agirait donc de mettre en place, pour atteindre cet objectif, une véritable police des contenus, par hypothèse une police privée, avec des procédures d’alerte, ce qui serait en pratique impossible compte tenu de l’immensité et de la réactivité d’internet. Quant à la question de la mise en péril de l’archivage en ligne, il n’y a rien de particulièrement choquant à ce que cette nouvelle publication relève du régime correspondant au support qu’elle s’est choisie. Au grand soulagement de ses détracteurs, l’amendement ne résista pas à la censure du Conseil constitutionnel.

B. L’amendement Trégoët censuré par le Conseil constitutionnel

Dans sa décision du 10 juin 2004, le conseil des sages considéra en effet que la différence de régime instaurée au sein des éditeurs de presse sur internet, entre d’une part les éditeurs de presse en ligne reproduisant des publications éditées sur support papier, et d’autre part les éditeurs de publications en ligne inédites, dépassait manifestement « ce qui est nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur support informatique »21. Le Conseil constitutionnel a estimé que le choix du législateur « aboutirait par exemple à ce qu’un message exclusivement accessible sur un site internet pendant cinq ans serait exposé pendant cinq ans et trois mois à l’action publique ou civile, alors que le même message publié par écrit (par exemple dans un ouvrage) ne serait exposé à ces actions que pendant trois mois. »22 L’article 6 V de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, tel qu’il résulte de la décision du Conseil constitutionnel, prévoit donc l’application de l’article 65 de la Loi du 29 juillet 1881 aux délits de presse commis en ligne.

20

En ce sens B. Ader op.cit. p.102 21

Cons. const., 10 juin 2004, dec. n° 2004-496 DC, relative à la loi pour la confiance dans l’économie

numérique 22

Cahiers du Conseil Constitutionnel disponible sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-

constitutionnel/root/bank/download/2004-496DC-ccc_496dc.pdf

11

Il est difficile de désapprouver la décision du Conseil s’agissant du maintien dérogatoire du droit commun quand l'article en cause est diffusé à la fois par voie de papier et par voie d'Internet, la jurisprudence estimant de manière constante que la mise en ligne est assimilable à un nouvel acte de publication faisant courir un nouveau délai de prescription. Il est toutefois regrettable que le Conseil constitutionnel n’ai pas saisi cette occasion pour tirer les conséquences de la spécificité de la communication sur internet. Le texte final de la Loi LCEN, tout comme la jurisprudence de la Cour de cassation, laissent en suspens un certain nombre de questions : quel point de départ appliquer lorsque la date de première mise en ligne de la publication ne pourrait être établie avec certitude ? Quid d’une première mise en ligne d’une durée de quelques minutes et dès lors difficilement repérable, interrompue puis reprise après l’expiration du délai de prescription? Ces délits devraient-ils bénéficier de l’effet salvateur de la prescription?

Ainsi donc, liberté devrait rimer, du moins en matière de presse en ligne, avec impunité ?

C. La décision du Conseil constitutionnel : censure d’une rupture d’égalité ?

Au grand dam des éditeurs de presse en ligne, il ne faut toutefois pas voir dans la décision du Conseil constitutionnel la censure d’une rupture d’égalité du fait d’une potentielle différence de traitement entre publication en ligne et publication sur support papier. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle : « Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes, dès lors que cette différence de traitement est en rapport direct avec la finalité de la loi qui l'établit. » Il a ensuite précisé que « Considérant que, par elle-même, la prise en compte de différences dans les conditions d'accessibilité d'un message dans le temps, selon qu'il est publié sur un support papier ou qu'il est disponible sur un support informatique, n'est pas contraire au principe d'égalité ». Ainsi, le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas à ce que deux régimes distincts de prescription coexistent selon que le message est diffusé sur support papier ou sur Internet.

Toutefois, le Conseil ajoute que « la différence de régime instaurée, en matière de droit de

réponse et de prescription, par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait

nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement

disponibles sur un support informatique ». En réalité, il est permis de déduire de l’ensemble de ces dispositions que le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la différence de traitement entre messages publiés sur support papier et messages publiés par voie électronique, mais la différence de régime, au sein des éditeurs de presse en ligne, entre d’une part les éditeurs de presse en ligne reproduisant des publications éditées sur support papier, et d’autre part les éditeurs de publications en ligne inédites. Le législateur dépassait ainsi ce qui était nécessaire pour prendre en compte les spécificités du droit de la presse en ligne car il scindait les règles de prescription en matière d’infractions de presse non pas en deux mais en trois régimes distincts, dont deux étaient applicables aux éditeurs de presse en ligne :

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- Messages publiés uniquement sur support papier : la prescription de trois mois courait à compter du 1er acte de publication. - Messagers publiés sur support papier et reproduits sur internet : la prescription de trois mois courait également à compter du 1er acte de publication. - Messages publiés uniquement sur internet : la prescription de trois mois courait à compter de la « date à laquelle cesse la mise à disposition du public ». Toutefois, un régime distinct propre aux infractions de presse commises sur internet, dans lequel l’ensemble des éditeurs de presse en ligne se verrait appliquer des règles de prescription identiques, que le message soit publié uniquement sur internet ou également sur support papier, ne méconnaîtrait donc pas nécessairement le principe d’égalité devant la loi. Ainsi, du fait des conditions différentes dans lesquelles le public accède à un message selon qu’il est publié par écrit ou exclusivement mis à sa disposition sur un support informatique, le législateur serait libre de prévoir un aménagement approprié du régime de prescription dans le second cas.

III. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse : les différentes solutions proposées

Afin de remédier aux incertitudes relatives à la notion de prescription en matière d’infractions

de presse, de nombreuses propositions ont vues le jour, tant doctrinales (1) que législative (2)

ou ordinales (3).

1. Les propositions doctrinales

Si, pour une majorité, les solutions proposées en la matière dépendent de l’analyse que l’ont fait de l’élément matériel des infractions de presse (A), il serait sans doute bon d’innover en dissociant les questions de consommation de l’infraction et de prescription (B). Entre les deux, une réforme intermédiaire a été proposée, inspirée de l’adage Contra non valentem… (C).

A. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une majorité de propositions liant prescription à consommation des infractions de presse

En réalité, la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne dépendrait de la nature des infractions de presse. Infraction instantanée, la prescription court au jour de sa commission et donc au jour de la publication du message litigieux. Infraction continue, le délit se poursuit tant que le message demeure en ligne et la prescription ne courra qu’à compter du retrait du message litigieux. Entre ces deux options, certains auteurs ont analysé les délits de presse en ligne comme des infractions successives. Selon ces auteurs, le maintien d’une page sur internet (matérialisée par des éditions successives) constituerait la réitération du délit et les infractions de presse en ligne pourraient être considérées comme des délits successifs, une infraction instantanée pouvant être successive « dès lors que

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s’étant reproduite après sa première consommation, elle est de nouveau punissable ».23 Ainsi, chaque nouvelle

édition du message ferait courir un nouveau délai. Cette solution aurait pour avantage de faire courir le point de départ de la prescription de trois mois à compter de la date de la dernière infraction, soit à la date du dernier constat de mise en ligne de la publication, et serait cohérente avec la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle en cas d’éditions successives, chaque nouvelle édition détermine un nouveau point de départ du délai de prescription.24 Pour certains, l’alternative peut se résumer de la manière suivante25 :

- Les partisans de la prescription instantanée considèrent la publication sur internet comme une « infraction permanente », « sous catégorie de l’infraction instantanée, se réalisant en un trait de temps mais dont les effets se prolongent sans toutefois influer sur la question de la prescription » ; Ainsi, le délit de presse en ligne est « un acte instantané dont les effets perdurent dans le temps, et doté d’une prescription acquise trois mois après la première mise à disposition ».

- Ou au contraire, comme l’avaient estimé les juges dans les affaires Costes26 et Réseau Voltaire27, considérer la publication sur internet comme « un acte successif ou continu assorti d’une prescription adossée au retrait de la publication ».

Mais, peut-être, la réflexion doit-elle être poussée plus loin. Plutôt que de dénoncer une politique jurisprudentielle arbitraire, préférant l'injustice au désordre, la doctrine contestataire aurait intérêt à se demander s'il n'est pas nécessaire que soient enfin dissociées les questions de la consommation de l'infraction et du point de départ de la prescription.

B. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une proposition innovante dissociant les notions de prescription et de consommation des infractions de presse

C'est en sens qu'allait la proposition du Professeur Mayer de retarder la course du délai au jour où prennent fin les effets de l'infraction avec ces arguments de bon sens : « est-il possible “d'oublier” un délit dont le résultat subsiste, bien que le délinquant soit en mesure de le faire disparaître ? Est-il concevable “d'oublier” un affichage illicite, tant qu'on peut admirer l'affiche irrégulièrement placée ? Quant au dépérissement des preuves, il est loin d'être complet, tant que le résultat de l'infraction subsiste au grand jour » (D. Mayer, Plaidoyer pour la réhabilitation de la notion d'infraction permanente, préc., p. 25). Il serait possible d’admettre, en matière de presse, que l'infraction – consommée dès l'accord donné à la parution – se prescrit non à compter du premier acte de publication matérialisant cet accord mais à compter du moment où la décision de retirer le message délictueux est prise. Cette dissociation de la question de la consommation de l'infraction et de sa prescription est moins novatrice qu'il n'y paraît. En effet, la jurisprudence, qui retarde le point de départ du délai de prescription de l'action publique du jour du détournement au jour où l'abus de confiance est

23

Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit Pénal Général, Armand Colin, 5ème

édition, 2000 24

Cass crim 2 mars 1951, 27 avril 1982, 8 janvier 1991 25

Lilti Stéphane “Pas de priorité absolue pour la liberté d’expression”, Expertises mars 2001, p.101 26

CA Paris, 11ème ch. A, 15 décembre 1999, Licra et a. c/ J-L. Costes 27

TGI Paris 6 décembre 2000, 17ème

ch., 6 décembre 2000, Carl Lang c/ réseau Voltaire

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apparu « et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique », revient à traiter, au regard de la prescription, l'infraction instantanée comme si elle était continue (V. déjà Cass. crim., 27 nov. 1958 : Bull. crim. 1958, n° 698. – Cass. crim., 28 janv. 1959 : Bull. crim. 1959, n° 71. – et depuis Cass. crim., 7 mai 2002 : Bull. crim. 2002, n° 107). Et, la solution n'est pas isolée puisqu'elle s'applique de la même façon à l'abus de bien social (Cass. crim., 13 oct. 1999 : Bull. crim. 1999, n° 219. – Cass. crim., 5 mai 1997 : Bull. crim. 1997, n° 159), à la dissimulation du produit des jeux (Cass. crim., 29 oct. 1984 : Bull. crim. 1984, n° 323), à la publicité fausse ou de nature à induire en erreur (Cass. crim., 20 févr. 1986 : Bull. crim. 1986, n° 70), à la présentation ou communication de comptes annuels infidèles (Cass. crim., 18 mars 1986 : Bull. crim. 1986, n° 109), etc. Pourquoi ne pas déclarer, s'agissant de la localisation dans le temps de l'infraction de publication, qu'elle est « réputée » commise jusqu'au jour où elle a cessé d'être accessible au public ? Avec une telle formule, nul ne serait dupe de l'assimilation opérée par la jurisprudence.

La même solution devrait s'imposer s'agissant de la reprise d'informations, d’abord publiées par voie de presse écrite, à l'identique ou actualisées, sur Internet. Il n'y a pas, à proprement parler, « infractions successives » (formant un ensemble) mais succession d'infractions, indépendantes les unes des autres (V. D. Rebut, Prescription des délits de presse sur Internet : Légipresse 2001, n° 182, II, p. 67). Pour le comprendre, l'essentiel est de se rappeler que l'infraction de publication est, en son principe, une infraction instantanée (V. E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, préc., n° 474). Cette analyse de l'infraction est applicable quel que soit le mode de communication utilisé dans la mesure où elle n'est pas liée aux spécificités techniques du support employé mais à la décision prise de mettre l'information litigieuse à la disposition du public (ce qui suppose que la modification ait été faite sous l'autorité du directeur de la publication, et non d'un tiers, du fait de l'interactivité, V. N. Mallet-Poujol, La liberté d'expression sur l'Internet : aspects de droit interne : D. 2007, p. 596). Elle a été consacrée par la Cour d’appel de Paris qui a jugé, dans un arrêt du 27 février 2002, que « la mise en ligne du texte ne s'analyse pas en une opération d'archivage dans une bibliothèque mais en une nouvelle publication, même si le texte n'a subi aucune modification » (CA Paris, 11e ch., 27 févr. 2002 : Comm. com. électr. 2003, comm. 33, obs. A. Lepage ; LPA 27 mai 2003, n° 105, p. 15, note E. Garçon. – V. toutefois, critiquant cette solution, J.-L. Nadal, "Justice et information", in Justice et cassation : Dalloz, 2006, p. 90). En effet, « en choisissant de placer le texte sur un nouveau support, les prévenus ne se bornent pas à effectuer une opération de stockage en vue d'une consultation éventuelle, ils suscitent l'occasion pour un nouveau public élargi, qui ne se limite pas à ses adhérents, de prendre connaissance de leur écrit, grâce aux possibilités d'accessibilité offertes par l'Internet. La thèse selon laquelle le point de départ de la prescription de l'action publique serait celui de la diffusion initiale aux adhérents... ne saurait en conséquence être retenue » (ibid.). Entre ces deux solutions, une voie intermédiaire a peu à peu émergée, basant la notion de prescription sur l’adage Contra Non Valentem agere non currit praescriptio.

C. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière de presse en ligne : une proposition intermédiaire inspirée de l’adage Contra non valentem…

15

Certains ont suggéré une voie de réforme médiane28 consistant à « aménager tout en la conservant, la prescription de trois mois en s’inspirant de la maxime « Contra Non Valentem agere non currit praescriptio » qui permettrait sa suspension. »29 L’application aux délits de presse en ligne de cet adage signifierait que la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir. Elle permettrait ainsi de retarder le point de départ de la courte prescription, la jurisprudence considérant que « la prescription cesse d’être opposable dès l’instant que l’intéressé a pu légitimement ne pas être informé du fait donnant naissance à son action. »30, ce qui est précisément très souvent le cas sur internet. Cette solution intermédiaire aurait pour vertu de conserver le caractère instantané des infractions de presse, tout en prenant en compte l’intérêt des parties civiles et des spécificités de la publication en ligne. Compte tenu de ces spécificités, pour quelles raisons ne pourrait-on pas considérer que la diffusion de messages diffamatoires sur internet s’apparente – le plus souvent – de facto, à une publication clandestine ? Ainsi, la jurisprudence susvisée applicable à la prescription des infractions clandestines (abus de biens sociaux, abus de confiance, dissimulation du produit des jeux, publicité fausse ou de nature à induire en erreur, présentation ou communication de comptes annuels infidèles, etc.), selon laquelle le point de départ du délai de prescription de l’action publique est retardé au jour où l'infraction est apparue « et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique », pourrait être étendue aux infractions de presse. Lesdites infractions, par nature instantanées, verraient leur prescription repoussée au jour où la victime en aurait connaissance. Cette solution semble toutefois s’opposer à la jurisprudence qui refuse de manière constante de tenir compte de l’impossibilité pour les victimes de connaître les faits diffamatoires suffisamment tôt, en dehors des cas où cette ignorance résulte d’un obstacle de droit. Par ailleurs, une partie de la doctrine y est hostile, et au risque d'adopter une position quelque peu dogmatique (parce que la courte prescription des infractions de publication était aussi justifiée par « la facilité que leur constatation présente » : M. Faustin-Hélie, Traité de l'instruction criminelle, préc., p. 698), on ne peut transposer ici la jurisprudence sur les infractions «clandestines » pour lesquelles le point de départ de la prescription est retardé au jour où elles sont découvertes (V. M. Véron, Clandestinité et prescription : Dr. pén. 1998, étude 16). Cela reviendrait à faire jurer les mots. Bien sûr, il y va là aussi de « l'effectivité de la loi » (V. Cass. crim., 4 mars 1997 : Bull. crim. 1997, n° 83). Toutefois, les infractions prévues par la loi de 1881 ont la publicité pour élément constitutif. On ne saurait donc analyser, dans un premier temps, le fait de rendre accessibles au public des informations sur un site Internet, comme une publication et tirer, dans un second temps, prétexte du caractère incontrôlable des millions de pages web pour conclure à la clandestinité des informations que ces pages contiennent (V. mutatis mutandis au sujet d'une personne se trouvant en Égypte au moment de la parution en France d'un article diffamatoire à son égard : Cass. crim., 26 avr. 1890 : D. 1890, 1, p. 453).

28

C. Rojinsky, note ss CA Paris, ch. Acc., 23 juin 2000 : Légipresse nov 2000, p.184 29

La prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir 30

H. Roland et L. Boyer, Adages du droit Français, 3ème

édition, Litec, 1992, n°58, p.114

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La doctrine se montre donc très divisée quant à la solution à retenir en matière de délai de prescription de l’action publique des infractions de presse en ligne. En parallèle, une proposition de la loi visant à allonger ledit délai a été adoptée le 4 novembre 2008 par le Sénat.

2. La proposition de loi ou l’allongement du délai de prescription applicable aux infractions en ligne : une solution souhaitable ?

Le député Marcel-Pierre Cléach a déposé une proposition de loi « tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'Internet » 31. La proposition de loi, constituée d’un article unique, vise à insérer à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un dernier alinéa selon lequel : « Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables en cas de reproduction du contenu d'un message diffusé par une publication de presse ou par un service de communication audiovisuelle régulièrement déclaré ou autorisé lorsque cette reproduction est mise en ligne sous la responsabilité de leur directeur de publication. ».

Elle a donc pour objet d’allonger le délai de prescription à un an pour les infractions commises sur Internet. Cette initiative, louable en ce qu’elle dénonce l’absence de prise en compte des différences d’accessibilité d’un message dans le temps selon qu’il est publié sur support papier ou disponible sur un support informatique, n’est toutefois pas exempte de critiques. Allonger la durée du délai de prescription ne permet pas de pallier les difficultés inhérentes à la publication sur internet, celles-ci résidant pour l’essentiel dans l’identification de la date de première mise en ligne. Etendre le délai de trois mois à un an ne ferait donc que déplacer le problème et ne réduirait aucunement le risque de multiplication de contentieux aux issues incertaines. En proposant d’allonger le délai de prescription de trois mois à un an, une telle réforme s’inscrit de plus dans un mouvement de parcellisation de la prescription propre aux infractions de presse et va à l’encontre du souhait parfois émis d’unification des délais de prescription, notamment en matière de droit de la presse. Rappelons que l’unicité des délais de prescription est déjà largement compromise par le régime dérogatoire instauré par l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, issu de la loi Perben II, qui prévoit un délai d’une durée d’un an pour les diffamations et injures à caractère racial et discriminatoire. Cette proposition introduit par ailleurs une distinction entre les sites « régulièrement déclarés ou autorisés », c'est-à-dire la presse traditionnelle, restant soumis au régime actuel de trois mois, et les autres sites (sites d’information indépendants dits « pure players » tels que Rue 89 ou

31

Proposition de Loi n°423 (2007-2008)

http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do;jsessionid=3B6DC2DE9AF59511CA0A153DFE4D14F6.

tpdjo14v_1?idDocument=JORFDOLE000019726680&type=general

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Médiapart, sites associatifs, blogs…), qui se verraient appliquer le nouveau régime d’un an, beaucoup plus contraignant. Du fait de l’improbable nouvelle différence de traitement qu’elle instaure, cette proposition, qui reste à être entérinée par l’Assemblée Nationale, devrait donc logiquement être censurée par le Conseil constitutionnel. En parallèle, le Bâtonnier de Paris sortant, Christian Charrières Bournazel, a formulé d’autres propositions.

3. La proposition ordinale : la création d’une nouvelle « action en suppression d’une imputation diffamatoire »

Le Bâtonnier de Paris sortant, Christian Charrière Bournazel, a formulé pendant son Bâtonnat une proposition visant à créer une « action en suppression d’une imputation diffamatoire » 32 , qui consiste à permettre à toute personne concernée de demander la suppression de faits diffamatoires sur internet, sans limitation dans le temps. La solution, qui a pour mérite d’éviter toute remise en cause des délais de prescription, supposerait toutefois, préalablement au retrait des propos, de déclarer la diffamation constituée, mission que Monsieur Charrière Bournazel propose de confier à un juge qui « appréciera si la demande de retrait porte atteinte à la liberté d’expression. » Cette action serait soumise aux mêmes conditions que l’action intentée dans le délai de prescription et serait susceptible de se voir opposer les mêmes moyens de défense. Hormis les règles de prescription, les spécificités inhérentes aux procès en matière de presse demeureraient applicables, et notamment le régime de l’offre de la preuve. Ainsi, le défendeur aurait la possibilité, par la production de pièces et de témoignages, de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires. La charge de la preuve pèserait également sur l’individu soupçonné d’être responsable de la publication, quant à son éventuelle bonne foi. Une telle action reviendrait donc à juger des faits en dehors des délais de prescription, sans qu’y soient attachées les conséquences pénales d’une action en diffamation, puisque la seule mesure que le juge aurait le droit d'ordonner, la preuve de l’infraction établie, serait la suppression du message diffamatoire. Gageons que les personnes concernées seront nombreuses à recourir à une telle procédure une fois les trois mois écoulés. Toutefois, l’intérêt d’intenter des actions judiciaires dans les délais demeurerait, cette « action en suppression d’une imputation diffamatoire » ne permettant ni une condamnation pénale, ni de solliciter une réparation pécuniaire. Ainsi que le Bâtonnier de Paris sortant le reconnait lui-même, la mise en œuvre de la décision du juge ordonnant le retrait pose par ailleurs un certain nombre de questions : d’une part quant à la mise en œuvre pratique par ce nouveau juge des contraintes inhérentes aux procès de presse, d’autre part du fait des possibilités infinies de duplication et de conservation (mémoire cache etc.)

32

http://www.senat.fr/rap/r08-441/r08-44147.html

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de l’information sur internet, le simple retrait de l’information du site pourrait s’avérer inefficace. Les obstacles d’un retrait d’une page hébergée à l’étranger suffiraient en outre à décourager les plaignants les plus motivés. Quant à la solution consistant à ordonner aux moteurs de recherche de cesser d’indexer les pages contant les messages litigieux, même si elle ne porte pas atteinte à la publication en elle-même, le résultat est identique puisqu’en rendant l’accès à l’information plus difficile, on tend à opérer indirectement une censure privée que les éditeurs en ligne ne manqueront pas de dénoncer. En tout état de cause, eu égard aux libertés en cause, une telle action supposerait nécessairement l’intervention du juge. Ainsi, l’introduction d’une telle action dans notre droit reviendrait à contourner les problèmes posés par la prescription de l’action publique des délits de presse en ligne sans pour autant en donner la solution. Si le retrait ordonné par le juge sera de droit, à l’issue du délai de trois mois, la victime ne pourra, par exemple, demander la réparation pécuniaire du préjudice subi du fait de la publication litigieuse.

* * *

En réalité, à défaut d’intervention du législateur, le droit applicable demeure la solution posée par la Cour de cassation, à savoir un délai de prescription de trois mois courant à compter de la première publication du message litigieux. Les spécificités inhérentes au droit de la presse en ligne rendent cette solution insatisfaisante, et il conviendrait de revenir à la solution posée par l’arrêt Costes du 15 décembre 1999, qui faisait courir la prescription du jour du retrait de la publication. Toutefois, la Cour de cassation ayant adopté une solution opposée, seule une loi pourrait mettre un terme à ces divergences jurisprudentielles et rendre l’état du droit positif en harmonie avec les spécificités du droit de la presse en ligne et en accord avec les attentes, légitimes, des victimes. Il conviendrait d’introduire dans le droit de la presse un régime juridique spécifique aux éditeurs de presse en ligne en matière de prescription, dont le point de départ courrait à compter du jour du retrait du message litigieux. Ce régime ne poserait pas de distinction entre les messages publiés exclusivement sur internet et ceux constituant la reproduction de messages publiés sur support papier, de sorte qu’il n’y aurait aucune rupture d’égalité. Il s’agirait simplement, comme l’a admis le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2004, de prendre en compte les « différences dans les conditions d'accessibilité d'un message dans le temps, selon qu'il est publié sur un support papier ou qu'il est disponible sur un support informatique », ce qui « n'est pas contraire au principe d'égalité ». Ainsi, s’adaptant aux spécificités du droit de la presse en ligne, et ce, sans rupture d’égalité, coexisteraient deux régimes distincts, selon que le message est diffusé exclusivement sur support papier (le point de départ du délai serait le jour du 1er acte de publication) ou publié en ligne, qu’il s’agisse d’une reproduction ou non (le point de départ du délai serait le jour du retrait de la publication).

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Droit positif Proposition de loi Autres propositions

Presse écrite

- Le principe : Délai de trois mois à compter du jour où la publication litigieuse est intervenue (article 65 de la loi du 29 juillet 1881) - En matière de délits de presse à caractère racial et xénophobe : Délai d’un an à compter du jour où la publication litigieuse est intervenue (article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, issu de la loi Perben II)

Presse en ligne

- Le principe : Délai de trois mois à compter de la date du 1er acte de publication (article 65 de la loi du 29 juillet 1881 combiné à Cass. crim., 16 oct. 2001 Juris Data n°011587) - En matière de délits de presse à caractère racial et xénophobe : Délai d’un an à compter de la date du 1er acte de publication (article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 issu de la loi Perben II, combiné à Cass. crim., 16 oct. 2001 Juris Data n°011587)

Proposition de loi du 4 novembre 2008 « tendant à allonger le délai de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'Internet ». Elle a pour objet d’allonger le délai de prescription à un an pour les infractions commises sur Internet.

- Proposition du Bâtonnier Christian Charrière Bournazel de créer une « action en suppression d’une imputation diffamatoire », qui consiste à permettre à toute personne concernée de demander la suppression de faits diffamatoires sur internet, y compris à l’expiration du délai de trois mois. - Fixer le point de départ du délai de trois mois au jour du retrait du message litigieux (arrêt Costes du 15 décembre 1999, 11ème chambre de la Cour d’appel de Paris) - Proposition doctrinale : Retarder le point de départ du délai de prescription au jour où « l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique »