les découvertes de l'archéologie lacustre et fluviale

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LACS ET SITES HUMIDES Ulrich Ruoff Nt i Zurich en 1940. Études d'archtologie et de préhistoire à YUniversitt de Zurich. Archéologue de la ville de Zurich depuis 1962 et directeur adjoint du Baugeschichtliche Archiv (Archives d'histoire de l'architecture) depuis 1973. Président du Verband Schweizerischer Kantonsarchiologen (Syndicat des archéologues des cantons). Contacts avec les plongeurs intéressks par I'archbologie dans les années 60, suivis par le développement des méthodes en archkologie subaquatique et la création d'une équipe de plongeurs spécialisés, ainsi que d'un laboratoire de dendrochronologie. Les méthodes de fouilles archéologiques en eau douce dheloppées i Zurich ont été adoptées par de nombreuses équipes scientifiques européennes. Des méthodes de fouilles ultramodernes permettent des observations et une documentation des plus précises même sous l'eau. Plongeur en train d'effectuer le dessin des strates parmi lesquelles certaines datent de l'âge de la pierre. [P/30t0 : Bureau d'archéologie de la ville de Zurich.] Les découvertes de Z'arcbéoZogìe lczcztstre etflumàle Lorsqu'on parle de l'archéologie subaquatique et de ses fascinantes découvertes, on pense immédiatement au milieu marin. Rares sont ceux qui savent que les eaux intérieures, elles aussi, recèlent des trésors archéologiques, car, depuis les temps les plus reculés, les cours d'eau, même peu navigables, ont été des voies de communication naturelles et des milliers d'années d'utilisation intensive n'ont pu pas- ser sans laisser de trace. Voies de communica- tion, les fleuves étaient aussi des obstacles qu'il fallait franchir et, au cours des siècles, embar- cadères, gués et ponts ont vu passer des masses énormes de voyageurs et de marchandises. D'où, de temps à autre, des pertes inhitables, lorsqu'un bac était endommagé, lorsqu'un pont s'écroulait, lorsqu'un essieu se rompait, etc. ' Parfois aussi, les objets étaient délibérément immergés, qu'il s'agisse de les offrir aux divi- nités, un rite présent dans les cultures ancien- nes les plus diverses, ou de s'en débarrasser s'ils étaient compromettants. Les rives des lacs et les points de passage des fleuves ont toujours été des lieux de peuple- ment privilégiés. En effet, la proximité de l'eau était un atout considérable car de nom- breuses activités professionnelles s'exerçaient sur l'eau ou dans l'eau. N'oublions pas, enfin, la protection dont bénéficiaient les peuple- ments installés sur des îles, naturelles ou artifi- cielles, ainsi que les ouvrages fortifiés cons- truits dans l'eau. Généralement, ce qui tom- bait à l'eau était irrémédiablement perdu et ce n'est que depuis peu de temps que nous avons accès à ces richesses du milieu aquatique. Cer- tes, les objets récupérés sont souvent endom- magés mais, dans l'ensemble, leur séjour dans l'eau a été plutôt favorable à leur conserva- tion. La connaissance des textiles préhistori- ques en Europe centrale provient presque exclusivement de ce qui a été découvert dans des terrains marécageux ou dans des lacs. Le bois s'est conservé en terrain mouillé peqdant des milliers d'années, de même, bien entendu, que d'autres matières végétales telles que les restes d'aliments. Ce sont là des vestiges pré- cieux pour le spécialiste de la préhistoire, car ils en disent souvent davantage sur la vie à cette époque reculée que n'importe quel objet fabriqué isolé. Vidduges unciens uu bord du duc En Suisse et dans les pays voisins, d'importan- tes découvertes ont été faites dans les cités lacustres. Ces sites datent surtout du Néolithi- que et de l'âge du bronze, c'est-à-dire essen- tiellement de la période comprise entre la fin du cinquième millénaire et 750 av. J.-C. En général, la présence de milliers de pilotis dépassant du fond du lac signale l'existence d'un tel site. Ces villages étaient-ils, à l'ori- gine, construits sur la terre ferme et ont-ils été submergés par la suite ou bien avaient-ils été construits dans l'eau dès le départ? Cette question suscite depuis le siècle dernier des discussions très vives et souvent passionnées chez les spécialistes comme chez les profanes. L'image romantique de la cité lacustre, forgte au siècle dernier à partir de récits relatifs à des cités semblables dans les mers du Sud, était une vérité fermement établie, pour un grand nombre d'entre eux. Les recherches actuelles montrent cependant que les découvertes con- cernant tel ou tel site ne peuvent être générali- sées et qu'il existe à la fois des constructions de plain-pied et des structures sur pilous, ces dernières pouvant avoir été édifiées soit sur la terre ferme soit dans l'eau. Sur ces sites, on retrouve également un nombre important de petits objets, le plus souvent en excellent état, en particulier des poteries enfouies çà et dans les sédiments mous du lac, qui sont généralement parfaite- ment conservées, ainsi que des vestiges de matieres organiques révélateurs d'un mode de vie. Les plongées archéologiques que nous effectuons depuis quinze ans dans le lac de Zurich nous ont permis de retrouver des man- ches de hache de l'âge de la pierre et du

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Page 1: Les découvertes de l'archéologie lacustre et fluviale

LACS E T S I T E S H U M I D E S

Ulrich Ruoff

Nt i Zurich en 1940. Études d'archtologie et de préhistoire à YUniversitt de Zurich. Archéologue de la ville de Zurich depuis 1962 et directeur adjoint du Baugeschichtliche Archiv (Archives d'histoire de l'architecture) depuis 1973. Président du Verband Schweizerischer Kantonsarchiologen (Syndicat des archéologues des cantons). Contacts avec les plongeurs intéressks par I'archbologie dans les années 60, suivis par le développement des méthodes en archkologie subaquatique et la création d'une équipe de plongeurs spécialisés, ainsi que d'un laboratoire de dendrochronologie. Les méthodes de fouilles archéologiques en eau douce dheloppées i Zurich ont été adoptées par de nombreuses équipes scientifiques européennes.

Des méthodes de fouilles ultramodernes permettent des observations et une documentation des plus précises même sous l'eau. Plongeur en train d'effectuer le dessin des strates parmi lesquelles certaines datent de l'âge de la pierre. [P/30t0 : Bureau d'archéologie de la ville de Zurich.]

Les découvertes de Z'arcbéoZogìe lczcztstre etflumàle Lorsqu'on parle de l'archéologie subaquatique et de ses fascinantes découvertes, on pense immédiatement au milieu marin. Rares sont ceux qui savent que les eaux intérieures, elles aussi, recèlent des trésors archéologiques, car, depuis les temps les plus reculés, les cours d'eau, même peu navigables, ont été des voies de communication naturelles et des milliers d'années d'utilisation intensive n'ont pu pas- ser sans laisser de trace. Voies de communica- tion, les fleuves étaient aussi des obstacles qu'il fallait franchir et, au cours des siècles, embar- cadères, gués et ponts ont vu passer des masses énormes de voyageurs et de marchandises. D'où, de temps à autre, des pertes inhitables, lorsqu'un bac était endommagé, lorsqu'un pont s'écroulait, lorsqu'un essieu se rompait, etc. '

Parfois aussi, les objets étaient délibérément immergés, qu'il s'agisse de les offrir aux divi- nités, un rite présent dans les cultures ancien- nes les plus diverses, ou de s'en débarrasser s'ils étaient compromettants.

Les rives des lacs et les points de passage des fleuves ont toujours été des lieux de peuple- ment privilégiés. En effet, la proximité de l'eau était un atout considérable car de nom- breuses activités professionnelles s'exerçaient sur l'eau ou dans l'eau. N'oublions pas, enfin, la protection dont bénéficiaient les peuple- ments installés sur des îles, naturelles ou artifi- cielles, ainsi que les ouvrages fortifiés cons-

truits dans l'eau. Généralement, ce qui tom- bait à l'eau était irrémédiablement perdu et ce n'est que depuis peu de temps que nous avons accès à ces richesses du milieu aquatique. Cer- tes, les objets récupérés sont souvent endom- magés mais, dans l'ensemble, leur séjour dans l'eau a été plutôt favorable à leur conserva- tion. La connaissance des textiles préhistori- ques en Europe centrale provient presque exclusivement de ce qui a été découvert dans des terrains marécageux ou dans des lacs. Le bois s'est conservé en terrain mouillé peqdant des milliers d'années, de même, bien entendu, que d'autres matières végétales telles que les restes d'aliments. Ce sont là des vestiges pré- cieux pour le spécialiste de la préhistoire, car ils en disent souvent davantage sur la vie à cette époque reculée que n'importe quel objet fabriqué isolé.

Vidduges unciens uu bord du duc En Suisse et dans les pays voisins, d'importan- tes découvertes ont été faites dans les cités lacustres. Ces sites datent surtout du Néolithi- que et de l'âge du bronze, c'est-à-dire essen- tiellement de la période comprise entre la fin du cinquième millénaire et 750 av. J.-C. En général, la présence de milliers de pilotis dépassant du fond du lac signale l'existence d'un tel site. Ces villages étaient-ils, à l'ori- gine, construits sur la terre ferme et ont-ils été submergés par la suite ou bien avaient-ils été construits dans l'eau dès le départ? Cette question suscite depuis le siècle dernier des discussions très vives et souvent passionnées chez les spécialistes comme chez les profanes. L'image romantique de la cité lacustre, forgte au siècle dernier à partir de récits relatifs à des cités semblables dans les mers du Sud, était une vérité fermement établie, pour un grand nombre d'entre eux. Les recherches actuelles montrent cependant que les découvertes con- cernant tel ou tel site ne peuvent être générali- sées et qu'il existe à la fois des constructions de plain-pied et des structures sur pilous, ces dernières pouvant avoir été édifiées soit sur la terre ferme soit dans l'eau.

Sur ces sites, on retrouve également un nombre important de petits objets, le plus souvent en excellent état, en particulier des poteries enfouies çà et là dans les sédiments mous du lac, qui sont généralement parfaite- ment conservées, ainsi que des vestiges de matieres organiques révélateurs d'un mode de vie. Les plongées archéologiques que nous effectuons depuis quinze ans dans le lac de Zurich nous ont permis de retrouver des man- ches de hache de l'âge de la pierre et du

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bronze, des louches, des couteaux de silex au manche intact, du matériel de tissage, des arcs, des boîtes en écorce, des coffrets en bois, des débris de vannerie et de textile, des pelotes de fil et bien d'autres choses encore. Les produits semi-finis permettent de se faire une idée par- ticulikrement précise de ce qu'était la techno- logie préhistorique. Grâce à eux, le public peut se débarrasser du préjugG si rkpandu selon lequel l'artisanat de ces temps reculés aurait Et6 maladroit, grossier et dtnué de valeur artistique. Ce sont d'ailleurs ces objets, qui, exposés dans un musée, éveillent le plus d'in- térêt pour la préhistoire. Comment ne pas s'étonner qu'un manche de hache fabriqué voilà 6 000 ans ne le cède en rien à son équi- valent moderne, ni pour la qualité du bois choisi ni pour la finition, fonctionnelle et soi- gnée? De même, les ouvrages de vannerie de l'âge du bronze ressemblent à s'y méprendre aux nôtres, et les surpassent parfois en beauté.

Mais ce patrimoine culturel immergé est en péril, car il est menacé par la construction d'installations nouvelles sur les rives, les dra- gages destinés à faciliter la navigation et I'éro- sion accrue du rivage par les vagues en raison de la disparition progressive des roseaux. Ainsi nous recevons de nos collègues allemands du lac de Constance des nouvelles alarmantes sur la dégradation rapide des couches de peuple- ment préhistorique sur une rive aujourd'hui dénudée.

Sauver ponctuellement tel ou tel objet inté- ressant ne suffit pas. C'est seulement dans le contexte d'un ensemble de fouilles archéologi- ques qu'on peut comprendre l'importance des biens culturels remontés à la surface. En outre, il convient au moins de réunir une documen- tation sérieuse sur les objets qui, pour des rai- sons techniques ou finmcières, ne peuvent être préservés ou ne peuvent l'être que très partiel- lement; nous pensons, par exemple, aux der- niers vestiges de maisons, de structures ou de n'importe quelles autres installations.

Les responsables des musées ont tendance à s'intéresser surtout aux pièces originales. Aussi n'est-il pas rare que, devant un bel objet que leur propose un chasseur de trtsors, ils perdent un peu leur sens critique. Pressés de conclure, ils négligent d'étudier attentivement les tenants et les aboutissants de la découverte et ne tiennent pas compte des ravages infligQ aux sites par le pillage. Seuls quelques spécia- listes sont au courant des dégâts qui ont été commis et, comme on est toujours moins frappé, surtout dans le monde actuel saturé d'informations, par ce qu'on entend dire que par ce qu'on a constaté soi-même, il est sou- vent difficile de convaincre même des archéo- logues de l'urgence des mesures à prendre.

Heureusement, le grand public - y compris les visiteurs des muskes - exige désormais de plus amples informations. Contempler des objets dans une vitrine ne lui suffit plus. Si on lui montre des marmites, il désire savoir ce qu'on y cuisait; si on lui montre des coupes, ce qu'elles contenaient. Et les questions s'en- chaînent. O Ù et comment les hommes préhis- toriques se procuraient-ils leur nourriture ? Où

trouvaient-ils les matières premières necessai- res? Comment ont-ils appris à fabriquer ces objets? Et s'il s'agit d'armes, on veut savoir quelles étaient les relations entre les différentes tribus, s'il s'agit d'objets importés de contrkes lointaines, quelles étaient les relations com- merciales et les voies de communication, etc.

Des ressources éizomnes pour ka recherche et ka muséographie Les découvertes faites en Suisse dans les cités lacustres de l'âge de la pierre et du bronze sont extrêmement intéressantes, car, protégés par les sédiments humides, des fragments de végé- taux et même du pollen se sont très bien con- servés. Leur analyse stratigraphique fournit de nombreuses informations sur l'histoire du site. Par exemple, nous savons aujourd'hui que, dans la région du lac de Zurich, c'est lors de la transition entre l'âge de la pierre et celui du bronze que les forêts de hêtres ont peu à peu remplacé les forêts mixtes de chênes. Cette transformation a dû avoir de prqfondes réper- cussions économiques. En outre, les restes de végétaux retrouvés dans les sites révèlent ce que les hommes recueillaient à telle ou telle époque et, parfois, l'usage qu'ils en faisaient.

Lorsqu'on a la possibilité de reconstituer le plan des habitations ou, à tout le moins, le contour du site, on peut alors évaluer l'ordre de grandeur de la population d'un village prehistorique, et il est toujours important de pouvoir déterminer la date et la durée de l'éta- blissement. Là encore, les sites subaquatiques fournissent des données extrêmement intéres- santes. 11 est rare, sur la terre ferme, que la succession des couches se présente de façon aussi claire que dans le lac de Zurich. Distinc- tement séparés par les couches stériles de cal- caire, les divers niveaux d'occupation sont superposés, de sorte qu'il est possible, en creu- sant avec soin, de déterminer l'âge relatif des

Des poutres de bois d'œuvre datant de l'âge du bronze, dégagées après l'abaissement artificiel du niveau de l'eau sur un terrain de construction (environ 1600 av. J.-C.). Entre les poutres très longues des vestiges plus anciens de pilotis datant de l'âge de la pierre. [Photo : Bureau d'archtologie de la ville de Zurich.]

Sur le fond du lac de Zurich (Wollishofen c Haumesser D), des pilotis de l'âge du bronze (environ 1000 av. J.-C.). [Photo : Bureau d'archéologie de la ville de Zurich.]

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66 Ulrich Ruoff

BOWUET, Aimé. Lake-Bottom archaeology. Scient$c Amerikan, € h i e r 1979.

PERRINI, Renato. La palaíïtta di Fiavt-Carera, Preiftoria alpina, novembre I9 7 5 ,

RUOFF, Ulrich. Der (( Kleine Hafner O in Ziirich. Archäologie L r Scbweiz, avril 1 98 1. - . Tauchuntersuchungen bei prähistorischen

Seeufersiedlungen. Zeitschnyt fiir Archäologie und Kunstgerchichte, no 2, 19 7 I.

Pfahlbauromantik zur modernen archaologischen Forschung. Hehetia ardaelogia, décembre 1981.

archaehgica, novembre 1980.

Ziircher Seeufersiedlungen ; von der

5 O 0 si6cles d'archéologie neuchâteloise. Hehetia

objets à sauvegarder. Le bois, présent en abon- dance, est encore plus précieux à cet égard. La dendrochronologie, méthode de datation fon- dée sur la largeur des anneaux du bois, qui varie selon les fluctuations du climat, permet déjà, dans des conditions optimales, d'obtenir des dates précises à un an près jusqu'au troi- sième millénaire avant Jésus-Christ et nous ne doutons pas de pouvoir dans un avenir proche remonter jusqu'au quatrième millénaire. Nous connaissons déjà, pour celui-ci, la chronologie relative de villages très différents, et l'établisse- ment d'une échelle absolue n'est plus qu'une question de patience.

Aucun site préhistorique sur la terre ferme n'a autant enrichi les collections du Musée national suisse que ce que nous avons trouvé sous l'eau ou sous des rives jadis immergées. Une exposition des objets découverts au cours des fouilles du lac de Neuchâtel, organisée par les archéologues cantonaux compétents, a montré combien le public s'intéresse à des pré- sentations consacrées au déroulement techni- que des fouilles et aux problèmes de l'analyse scientifique. I1 aime se faire une idée de la façon dont les chercheurs obtiennent leurs résultats et, ainsi, il prend davantage cons- cience des soins qu'il faut apporter à la protec- tion des biens culturels immergés.

Malheureusement, il n'est guère possible de transporter dans un musée une partie impor- tante des vestiges d'un peuplement. En effet, lorsqu'on met au jour des vestiges particuliè- rement impressionnants - par exemple, l'im- mense plancher datant de l'âge du bronze découvert près de l'Opéra de Zurich ou les intéressants soubassements de la même période trouvés dans la tourbière de Fiad (Trentin, Italie) - la question se pose de conserver sur place ces témoignages du passé pour que cha- cun puisse les voir. Hélas, le problème de la conservation in sitg des matières organiques n'est pas encore résolu. Aussi adopte-t-on la formule de la reconstitution : on tente de reconstituer des habitations préhistoriques dans des musées en plein air. La grande popu- larité dont jouit la maison sur pilotis reconsti- tuée à Unteruhldingen, sur le lac de Cons- tance (République fédérale d'Allemagne), montre combien il est fade de susciter l'inté-

Rkcipients (environ 4 O00 av. J.-C.) retrouvks au cours de fouilles sur le site du Kleiner Hafner, 2. Zurich. [Pboto : Musée national suisse, Zurich.]

rêt du profane par des représentations visuelles de la vie à l'époque préhistorique. Aussi est-il d'autant plus regrettable qu'on trompe le public, dans ce cas comme dans d'autres, par un semblant d'authenticité scientifique ou qu'on veuille l'éblouir par des reconstitutions oh l'imagination a une trop grande part. A mon sens, il incombe aux musées de présenter des données authentiques dans des propor- tions justifiées scientifiquement et de les com- pléter pour présenter au public une vision d'ensemble et démasquer ainsi les charlatans. Les explorations archéologiques subaquatiques peuvent fournir des éléments de base qui se prêtent remarquablement à cela.

Eq'doration en eau douce Pour ces explorations, on dispose aujourd'hui de méthodes éprouvées. En ce qui concerne les techniques de fouille en eau douce, nous pou- vons apporter une contribution importante grâce, entre autres innovations, à la méthode dite de la lance d'incendie. Depuis 1967, date de notre première fouille subaquatique au site Kleiner Hafner, à Zurich (voir bibliographie), une petite équipe de plongeurs n'a cessé d'y travailler. Beaucoup des méthodes suivies se sont améliorées. Aujourd'hui, nous croyons pouvoir Armer qu'il est possible, sous quel- ques mètres d'eau, de procéder à une fouille stratigraphique avec le même degré de préci- sion que sur la terre ferme. On peut même prendre des photos en couleur de sections ver- ticales sous l'eau. Pour améliorer la qualité des clichés, nous avons récemment attaché devant l'appareil un énorme dispositif en forme d'en- tonnoir fait de plexiglas et d'acier chromé. Une fois rempli d'eau claire, il permet d'obte- nir, même en eau trouble, des images très net- tes de la stratification. L'idée de la lentille d'eau claire n'est certes pas nouvelle, mais elle avait été appliquée jusqu'à présent à une échelle beaucoup plus réduite qu'avec notre appareil, qui se termine par une surface d'un mètre carré.

I1 y a dix-huit mois, nous avons modifié notre méthode de travail : nous enlevons désormais une seule bande étroite à la fois, dont nous notons les caractéristiques avant de

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passer à la bande suivante. Cette étude pro- gressive de toute la hauteur de la section verti- cale a l'avantage de nous permettre de consi- gner précisément la position des Wkrentes couches, qui sont fines, déformées par les sédi- ments, déchiquetées, et qui parfois s'interrom- pent brusquement. Ainsi, avant même l'enlè- vement, nous savons à quelles subdivisions nous devrons procéder. Cette méthode a donné de si bons résultats que nous l'avons parfois adoptée pour des fouilles sur la terre ferme. I1 convient toutefois de souligner com- bien il est dangereux de schématiser en matière d'excavation. L'art du fouilleur con- siste précisément à savoir choisir la méthode la mieux appropriée.

Après quinze ans d'archéologie subaquati-

que, une tâche immense reste à accomplir. De nouvelles menaces surgissent, de nouvelles destructions apparaissent. I1 y a quelques jours, nous avons trouvé les fondations d'une habitation de la fin de l'âge du bronze dénu- dées par I'érosion. Trois troncs qui faisaient partie de la charpente étaient encore à leur emplacement initial, mais le quatrième avait déjà disparu. Au même endroit, des plongeurs bénévoles avaient trouvé, il y a deux ans, toute une série de petits récipients de l'âge du bronze dans une couche où se voyaient nette- ment les traces d'un incendie, mais qui avait déjà été mise à nu.

[Traduit de l'allemand]

Tête d'ours dkorant le manche dune écuelle, en provenance d'Usviaty IV. [Photo : Musée de l'Ermitage.]

Alexander M. Mikliaev

Né en 1934. Diplôme d'histoire et d'archtologie de I'UniversitC d'Éta de Leningrad (1958). Titulaire du diplôme de candidat des sciences (en histoire), haut fonctionnaire du Musk d'Érdt de l'Ermitage, spécialisé dans l'archéologie du nouvel âge de la pierre et de Pige du bronze du nord-ouest de l'URSS. Conservateur des objets néolithiques trouvés dans cette rtgion. A publit plus de soixante études scientifiques depuis 1960.

Dans les années 70, le Musée de l'Ermitage a lancé un projet d'archéologie subaquatique, au nord-ouest de l'Union soviétique.

La région est délimitée au nord par le bassin de la rivière Luga, qui s'étend à proximité de Leningrad, à l'est par les collines de Valdai, au sud par les sources des affluents de la rive gau- che de la Dvina occidentale et à l'ouest par les frontières de la Lettonie et de l'Estonie. Jus- qu'à une date récente, les pièces archéologi- ques les plus anciennes connues dans cette région étaient des tumulus slaves et des éta- blissements humains du début de l'âge du bronze. Pourtant, en dehors de cette région, de nombreuses zones de peuplement de la cul- ture à céramique incisée et de la culture nama ont été découvertes et fouillées. Tout se pas- sait comme si, dans les temps anciens, un peu- ple étrange avait réussi à tenir à distance tou- tes les tribus voisines. Puisque ce peuple n'avait laissé aucune trace, les spécialistes con- vinrent que des conditions physiques et géo- graphiques particulièrement défavorables avaient découragé les hommes de s'installer dans cette région. Mais les données recueillies par la paléographie infirmèrent cette hypo- thèse. Elles tendaient plutôt à prouver que les conditions imposées par le climat et l'environ- nement n'avaient pas été pires - et même dans certains endroits probablement meilleures - qu'en Carélie et dans les régions de la Bdtique et des Valdai.

Au début des années 60, des archéologues du Musée de l'Ermitage découvrirent les pre- miers établissements humains de l'âge du bronze, au sud de la région de Pskov. Un peu

plus tard, ils tombèrent sur une zone de peu- plement néolithique, à proximité du village d'usviaty. Au nord du lac du même nom, rempli de dépôts de tourbe, ils trouvèrent à leur plus grand étonnement des vestiges de maisons sur pilotis appartenant à la culture dite lacustre (d'après G. G. Childe), caracté- ristiques de la région alpine européenne. Dans les années 1964-1967, un chantier de fouilles de quelque 500 m2 permit aux archéologues de découvrir environ 2 000 pilots de chêne, d'orme, de bouleau et de pin reliés entre eux par des vestiges de planches épaisses. Dans les couches de sapropèle gorgées d'eau, on trouva des déments de charpente de maisons très bien préservés ainsi que de nombreux ustensiles ménagers, des outils et des armes de bois, de corne et d'os. Parmi ces objets se trouvaient des pisces uniques de l'art néolithique, notam- ment une idole sculptée dans une corne d'dan et un manche d'écuelle en bois en forme de tête d'ours. On trouva également des outils taillés dans le silex, des fragments de récipients décorés dans le style des vases caliciformes européens et des vestiges de cultures ultérieu- res qui ont provoqué une certaine surprise chez les archéologues, qui ne pensaient pas que l'influence de cette culture avait pénétré si profondément à l'est. Ces découvertes montrè- rent que les habitants de cette région avaient gardé des liens avec l'Europe de l'Est et du Centre. Mais ce qui reste encore totalement inexplicable, c'est que ces populations sem- blent n'avoir pas eu le moindre contact avec les peuples fabriquant des poteries qui se trou- vaient à 200 ou 300 kilomètres seulement.

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