les cahiers de n° 11 l’Éducation

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Les fondements idéologiques du “pédagogisme” Mai 2008 Par Henri Nivesse Certifié de lettres, professeur de civilisation française, journaliste indépendant. Édité par IRIÉ 8, rue Jean-Marie Jégo 75013 Paris www.recherche-education.org Contact : [email protected] Tél : 01 45 81 22 67 Fax : 01 45 89 67 17 Les Cahiers de L’Éducation Résumé : Naguère considéré comme l’un des meilleurs du monde, le sys- tème éducatif français traverse une crise profonde qui n’épargne aucun niveau d’enseignement, de l’école élémentaire à l’université. Cette crise, dont les premiers symptômes sont apparus dès les années soixante, va s’aggravant. Henri Nivesse, professeur de civili- sation française et journaliste, en analyse ici les causes profondes qui sont avant tout d’ordre idéologique. Depuis la naissance, des « sciences de l’éducation » au début du XX e siècle aux États-Unis jusqu’au pédagogisme de Philippe Meirieu, en passant par le béha- viorisme, le pragmatisme, le constructivisme, le communisme ins- pirateur du plan Langevin-Wallon, le néo-marxisme égalitaire de Bourdieu et de ses disciples, l’utopisme issu de Mai 68, notre auteur dissèque les différentes écoles qui ont conduit à un même résultat : le délitement de notre enseignement par la déconstruction des nor- mes et le dénigrement des savoirs. Les classements internationaux laissent clairement apparaître la conséquence sur l’éducation natio- nale d’un demi-siècle d’erreurs : la France est de plus en plus mau- vaise élève ! Henri Nivesse tire en conséquence la sonnette d’alarme. N° 11 © IRIE, 2008 Tous droits réservés

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Page 1: Les Cahiers de N° 11 L’Éducation

Les fondements idéologiques

du “pédagogisme”

Mai 2008

Par Henri NivesseCertifié de lettres, professeurde civilisation française,journaliste indépendant.

Édité par IRIÉ8, rue Jean-Marie Jégo75013 Pariswww.recherche-education.org

Contact : [email protected]él : 01 45 81 22 67Fax : 01 45 89 67 17

Les Cahiers deL’Éducation

Résumé :

Naguère considéré comme l’un des meilleurs du monde, le sys-tème éducatif français traverse une crise profonde qui n’épargneaucun niveau d’enseignement, de l’école élémentaire à l’université.Cette crise, dont les premiers symptômes sont apparus dès lesannées soixante, va s’aggravant. Henri Nivesse, professeur de civili-sation française et journaliste, en analyse ici les causes profondes quisont avant tout d’ordre idéologique. Depuis la naissance, des «sciences de l’éducation » au début du XXe siècle aux États-Unisjusqu’au pédagogisme de Philippe Meirieu, en passant par le béha-viorisme, le pragmatisme, le constructivisme, le communisme ins-pirateur du plan Langevin-Wallon, le néo-marxisme égalitaire deBourdieu et de ses disciples, l’utopisme issu de Mai 68, notre auteurdissèque les différentes écoles qui ont conduit à un même résultat :le délitement de notre enseignement par la déconstruction des nor-mes et le dénigrement des savoirs. Les classements internationauxlaissent clairement apparaître la conséquence sur l’éducation natio-nale d’un demi-siècle d’erreurs : la France est de plus en plus mau-vaise élève ! Henri Nivesse tire en conséquence la sonnette d’alarme.

N° 11

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Introduction

Notre système éducatif connaît une crise profonde qui, à des degrésdivers, l’affecte de l’école élémentaire à l’université. Du primaire, on sait quetous les élèves, quel que soit leur niveau, entrent au collège ; le lycée, poursa part, accepte des collégiens dont les compétences, notamment en français,sont souvent inférieures à celle d’un titulaire du certificat d’études d’avant-guerre ; enfin l’université accueille, sans la moindre sélection, des bacheliersqui ont obtenu moins de 10 sur 20 à l’écrit et que « sauve » un bienveillantoral de rattrapage.

Cette crise n’est pas nouvelle. Ses premiers symptômes sont apparusdans les années 60-70, mais, loin de s’atténuer, ils n’ont fait que s’aggraverau fil du temps, en dépit de multiples réformes, en particulier celle qui portele nom de son initiateur, le ministre de l’Éducation René Haby, instaurateurdu « collège unique ». Cette réforme et toutes celles qui ont suivi ont étéincapables de juguler le mal. Le diagnostic est, depuis déjà longtemps, à peuprès unanimement admis, mais nombreux encore sont ceux qui, à défaut detrouver les remèdes adéquats (la tâche, il est vrai, n’est pas aisée), refusent dereconnaître les causes de la crise. Celles-ci sont à l’évidence d’ordre idéolo-gique, c'est-à-dire, selon le sociologue Raymond Boudon, qu’elles reposent« sur une argumentation scientifique et dotée d’une crédibilité excessive ou nonfondée » 1.

C’est en effet à deux sources idéologiques, le pragmatisme et l’égali-tarisme, qu’a puisé le pédagogisme, responsable au premier chef des mauxdont souffre notre enseignement. Les offensives contre la conception tradi-tionnelle de l’enseignement ont trouvé un terreau particulièrement favora-ble dans le mouvement de Mai 68, porté en France, par un courant philo-sophique héritier de Marx et de Freud. Ses tenants – Foucault, Deleuze,Derrida, Bourdieu –, partageaient, à travers des démarches très diverses, unmême objectif : la déconstruction des normes, tant méthodologiques quemorales. Cette philosophie profondément anti-rationaliste débouche sur lacondamnation de l’universel, la dissolution de l’idée de vérité au bénéfice durelativisme et le culte des sciences sociales : il faut désormais comprendre lesdiscours, les normes ou les pouvoirs à partir d’une origine sociale, psycholo-gique ou politique déterminée.

Les vraiescauses de lacrise sont,à l’évidence,d’ordreidéologique

1 : L’idéologie ou l’origine des idées reçues, Seuil. 1986 et 1992.

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La gestioncentralisée et le

gigantisme duministère de

l’Éducationnationale,

adossés auxsyndicats,

rendent trèsdifficiles les

réformesgénérales du

systèmescolaire.

À ces causes idéologiques de la transformation de l’école en France sesont ajoutées des raisons d’ordre politique et structurel qui ont abouti à ladérive du système éducatif vers un quasi-monopole d’État et à l’échec del’école de masse. La gestion centralisée et le gigantisme du ministère del’Éducation nationale, adossés aux syndicats, empêchent les parents de choi-sir l'éducation de leurs enfants, interdisent aux chefs d'établissement et auxprofesseurs de dispenser un enseignement original de qualité et rendent trèsdifficiles les réformes générales du système scolaire. En outre, les acteurssociaux ne sont pas prêts à se battre pour empêcher cette dérive. Les associa-tions de parents d'élèves ne voient pas d’un si mauvais œil la réduction del’école à la fonction sociale de garderie et les syndicats d'enseignants n'onten vue que l'augmentation continue des postes.

Il ne suffira donc pas, pour sortir complètement de la crise, d’enrevenir à une pédagogie plus réaliste, centrée sur le savoir et soucieuse de satransmission. La haine du savoir résulte, chez les pédagogistes, de la mise enplace d’un système ingérable et producteur d’innombrables effets pervers.Seul un pluralisme scolaire, tant à l'intérieur du système public que par ledéveloppement d'un nouveau secteur privé, sera à même d’engendrer unvéritable renouveau pédagogique.

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La dégradation continue de l’enseignement en France n’est ni « la faute àVoltaire » ni même « la faute à Rousseau », mais à ce qu’il est convenu d’ap-peler les « sciences de l’éducation ». Celles-ci, qui n’ont de « sciences » quele nom, ont été définies par un de leurs théoriciens, Gaston Mialaret, suc-cesseur d’Henri Wallon à la tête du Groupe français d’éducation nouvelle,comme « l'ensemble des disciplines qui étudient les conditions d'existence,de fonctionnement et d'évolution des situations et des faits d'éducation » 2.Parmi ces disciplines, outre la pédagogie (« une scolastique pédante etvaine » selon Edouard Herriot 3), figurent la psychopédagogie, la psycholo-gie, la sociologie, l’économie de l’éducation, etc.

C’est aux États-Unis qu’elles naissent, au début du XXe siècle, lorsqueles responsables éducatifs américains décident de mettre en place un « ensei-gnement de masse » qui, de fait, va instaurer un authentique égalitarisme, aunom de l’émancipation de tous les enfants. Ils refusent de reconnaître unrôle aux aptitudes et aux dons et remettent en cause le système méritocrati-que qui, comme l’a fait observer la philosophe Hannah Arendt, contredit leprincipe d’une démocratie égalitaire 4.

Cette conception de l’enseignement est influencée en particulier parles travaux de John Dewey, spécialiste de psychologie appliquée et philoso-phe pragmatiste 5, dont l’idée-force est que l’école doit préparer les enfantsà la démocratie. Pour ce faire, il faut que l’institution scolaire devienne un« lieu de vie » (conception que reprendra à son compte la pensée éducativesoixante-huitarde), « où l’enfant soit un membre de la société, ait conscience decette appartenance et accepte d’apporter sa contribution » 6. Au sein de l’école,il importe par conséquent de créer un environnement social à même d’inci-ter les enfants à adopter une « conduite morale démocratique ». Prétendantréformer le système éducatif de son pays, Dewey entend transformer les éta-

Au début duXXe siècle, lesresponsableséducatifsaméricainsont décidéde mettreen place un« enseignementde masse ».

2 : In Les sciences de l’éducation, PUF, 1993.3 : In Normale, La Nouvelle Société d’Édition, 1932.4 : Voir « la crise de l’éducation » in La crise de la culture, Gallimard, « Idées », 1972.5 : Voir « la crise de l’éducation » in La crise de la culture, Gallimard, « Idées », 1972.6 : Voir notamment Démocratie et Éducation, Armand Colin, 1990, et L'école et l'enfant, Fabert, 2004.1895, « Plan of organization of the university primary school », in Early works of John Dewey. Carbondale,Southern Illinois University Press, 1972, cité par Robert B. Westbrook, in Perspectives : revue trimestrielled’éducation comparée, Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation, vol. XXIII, n° 1-2, 1993.

1 Du « modèle américain »à « la pensée 68 »

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D’inspirationcommuniste, leplan Langevin-

Wallon de 1947vise à changer

la société enformant tous

les enfantsdans un même

moule.

blissements scolaires en instruments de démocratisation radicale de la sociétéaméricaine. Sur le plan plus strictement pédagogique, il considère notam-ment comme inappropriées à « l’Éducation Nouvelle » qu’il veut créer lesnotions traditionnelles de discipline et de programmes. Ces présupposésidéologiques vont entraîner une série de conséquences pratiques qui abouti-ront, un demi-siècle plus tard, à un véritable désastre : un « illettrisme fonc-tionnel » touchant 60 millions d’Américains 7.

C’est ce « modèle américain » qui a été transposé en France. Le ter-rain avait été préparé, puisque l’idée d’une école unique et égalitaire a étélancée, dès 1921, par un cercle socialiste, les Compagnons de l’UniversitéNouvelle. De plus, en 1927 est créé un Comité d'étude et d'action pourl'école unique. En 1933, une décision hautement symbolique est prise : leministère de l’Instruction publique devient le ministère de l’Éducationnationale, ce qui signifie que la République, qui, depuis Jules Ferry, confiaità l’École le soin d’instruire tous les jeunes Français, considère que son rôleest désormais de les éduquer, c'est-à-dire de remplir une tâche qui étaitjusqu’alors du ressort de la famille.

Cette nouvelle philosophie éducative se retrouve dans le planLangevin-Wallon de 1947. Ce plan, qui s’inspire d’un projet élaboré dès1931 par la Fédération générale de l’éducation de la CGT, constitue lamatrice idéologique de la plupart des réformes de l’enseignement qui sui-vront, avec une mention particulière pour la loi d’orientation sur l'éducationde 1989 élaborée par Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation (voir plusloin). Le physicien Paul Langevin, militant pacifiste et antifasciste, et lemédecin et philosophe Henri Wallon, député communiste de 1945 à 1946,se fixent comme objectif d’établir l’égalité des chances, c’est-à-dire d’intro-duire la « justice à l’école » par la « démocratisation de l’enseignement ». Ils pro-posent d’établir une « école unique » qui mette en œuvre une pédagogienovatrice et souhaitent que la scolarité soit obligatoire jusqu’à dix-huit ans.Ils estiment enfin que « la structure de l’enseignement doit être adaptée à lastructure sociale ». De fait, dans la perspective marxiste qui est la leur, ce plandoit aboutir à mettre en œuvre un changement de société en formant lesenfants, de la maternelle jusqu’au baccalauréat, dans un même moule. Ilsreconnaissent toutefois que des différences d'aptitude existent (« Tous lesenfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont undroit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils nedoivent trouver d'autres limitations que celles de leurs aptitudes ») 8.

7 : Voir Jacques Barzun, Begin here. The forgotten conditions of teaching and learning, cité par Liliane Lurçat, in« La destruction de l’enseignement élémentaire fait partie de la destruction du monde », Conférence du 19 mai2001 à la Sorbonne. 8 : In Rapport Langevin-Wallon, réédition commentée par Claude Allègre, François Dubet, Philippe Meirieu, éd.Mille et une Nuits, 2004.

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Dès la fin des années 50, un premier débat sur le « collège unique »avance l’idée selon laquelle, compte tenu de l’hétérogénéité des élèves, il fautadapter l’enseignement à l’ensemble de la population scolaire. En mars1968, deux mois avant la révolte étudiante, un colloque réunit à Amiensquelque six cent personnes, responsables de l’Éducation nationale, ensei-gnants et journalistes spécialisés, qui s’accordent pour dénoncer « l’inadap-tation totale des enseignements ». Selon l’un des intervenants, conseillerd’État, le manque d’intérêt des élèves pour l’enseignement qui leur est dis-pensé provient de ce que « l’on tente de leur transmettre un patrimoine qui leurest indifférent, à travers des modèles qu’ils rejettent, à l’aide d’un système hiérar-chique que leur bon sens et leur dignité ne peuvent tolérer » 9. Ceux qui s’auto-proclament « rénovateurs pédagogiques » désignent donc leurs cibles : la trans-mission du patrimoine national, les modèles culturels traditionnels, la hié-rarchie. En conclusion de leurs travaux, ils affirment qu’il faut impérative-ment envisager « une révision déchirante des finalités de l’école » et qu’ilimporte de renoncer à « une conception exclusivement intellectualiste et ency-clopédique de la culture ». Tout ou presque était dit dans cette sorte de préam-bule aux « idées de mai 68 » en matière d’enseignement.

À peu près au même moment apparaissent d’autres signes indiquant quela vision du rôle de l’école dans la société se transforme, avec le développe-ment de ce que les « sciences de l’éducation » appellent la « pédagogie par objec-tifs ». Dans les textes qui justifient ce type de « pédagogie », le mot de « for-mation » (« initiale » et « continue ») 10 se substitue à celui d’enseignement.Il s’agit, en réalité, d’éradiquer la pédagogie traditionnelle, jugée incapablede résoudre les « difficultés des jeunes ». Les contenus que celle-ci transmet-tait ne sont plus que des moyens pour atteindre les objectifs sociaux. Cetteformation, qui s’appuie sur un ensemble de techniques, est en outre conçueen termes de « gestion ».

Les« rénovateurspédagogiques »désignentleurs cibles :la transmissiondu patrimoinenational,les modèlesculturelstraditionnelset la hiérarchie.

9 : R. Grégoire in Pour une école nouvelle. Formation des maîtres et recherches en éducation, Dunod, 1969.10 : Voir notamment Daniel Hameline, Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation conti-nue, éditions ESF, 1979.

2 Behaviorisme, pragmatisme,constructivisme

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Pour lepsychologue

américain JohnB. Watson, le

seul objetd’étude quicompte en

psychologieest le

comportement,et non pas

la conscience.

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Autre mot-clé de ce nouveau discours éducatif, celui de « comporte-ment » (behavior), emprunté à la psychologie, et qui, ainsi placé au cœur dela pratique pédagogique, la fonde sur le « behaviorisme ». C'est le psycholo-gue américain John B. Watson qui, en 1913, utilise pour la première fois ceterme dans un article intitulé « La psychologie telle que le behavioriste lavoit » 11. Pour lui, le seul objet d'étude qui compte en psychologie, c’est lecomportement et non la conscience. Les différences entre les individus s'ex-pliquent alors par les conditionnements produits par le milieu dans lequelchacun d’entre eux évolue. Ces conditionnements façonnent les comporte-ments qui constitueront la personnalité.

Dans les années 40 et 50, un autre psychologue américain, Burrhus F.Skinner, met en exergue la notion de « conditionnement opérant », qu’il dis-tingue du « conditionnement répondant », pavlovien (« réflexe conditionné »).« Ce que nous savons, à la lumière des travaux de laboratoire des mécanismes del’apprentissage devrait nous pousser à nous attaquer aux réalités de la classe et àles changer radicalement (c’est nous qui soulignons). L’éducation scolaire est sansdoute la branche la plus importante de la technologie scientifique » 12. Skinnermettra en application cette idée en inventant le concept d’« enseignement pro-grammé », fondé sur des « machines à enseigner », ancêtres des ordinateurs,concept qui connut un éphémère succès dans les années 60-70. « Enseignerquelque chose, dit-il encore, c’est inviter l’élève à s’engager dans de nouvelles for-mes de comportement … ». Par exemple, « enseigner l’orthographe, c’est simple-ment modeler des formes de comportement complexe pour insérer en douceur lapratique comportementale dans la pratique scolaire traditionnelle » 13.

En France, Henri Piéron, psychologue de formation et titulaire de1923 à1951 de la chaire de physiologie des sensations au Collège de France, consi-dère que le « comportement » doit être compris comme une « séquence d’actesaccessible à l’observation » 14. Dans son livre sur « les objectifs pédagogiques » 15,le spécialiste des « sciences de l’éducation », Daniel Hameline, lui fait écho,lorsqu’il note : « Pour qu’une intention pédagogique tende à devenir opération-nelle, elle doit décrire une activité de l’apprenant identifiable par un comporte-ment observable ». Il s’inscrit donc bien dans la perspective béhaviouriste,affirmant en outre qu’il faut adopter et se tenir impérativement à la « règlede fer » du behaviorisme, c'est-à-dire le schéma « stimulus-réponse », quiexclut tout ce qui se passe dans la « boîte noire » (la conscience, l’esprit). Pourlui, « les behavioristes ont cent fois raison de demander la prohibition d’un verbe

11 : In Psychological Review, 1913.12 : In La révolution scientifique dans l’enseignement, cité par Bernard Berthelot, voir note 13.13 : Ibid.14 : Cité par Bernard Berthelot in « L’imposture pédagogique », www.sauv.net/imposture.htm 15 : Voir note 6.

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comme “prendre conscience” ». Éduquer, c’est par conséquent produire unstimulus qui va déclencher une réponse comportementale, autrement dit «conditionner ». Dans cette option pédagogique, les contenus (connaissan-ces, savoirs) sont sacrifiés au bénéfice des compétences, des « savoir-faire » etdes « savoir être ».

Dans un article consacré aux « sciences de l’éducation », l’anciendoyen de l’Inspection générale de philosophie, Jacques Muglioni, soulignaitque « la “pédagogie par objectifs”, apport principal des “sciences de l’éduca-tion”, repose sur une psychologie du comportement qui a pris ses modèles dans lapsychologie animale » 16.

Au behaviorisme, ou « comportementalisme », s’ajoute donc le prag-matisme (les « objectifs ») que le sociologue Émile Durkheim définit noncomme « une entreprise destinée à favoriser l’action », mais comme « une ten-tative dirigée contre la spéculation pure et la pensée théorique » 17. Un de sesprincipaux théoriciens est encore une fois John Dewey qui, outre son hosti-lité aux disciplines et aux programmes, est également à l’origine de l’idée de« pédagogie du projet ». Pour la concrétiser, il a créé une école expérimentaledans laquelle le maître est un « guide » et l'élève apprend en agissant (lear-ning by doing). L’enfant, écrit-il, « vient en classe pour faire des choses : cuisi-ner, coudre, travailler le bois […], et c’est à l’occasion de ces actes que s’ordon-nent les études : lecture, écriture, arithmétique, etc. » 18. Dans ce laboratoire de« l’éducation nouvelle » qu’il veut promouvoir, les savoirs, sur lesquels étaitcentré l’enseignement traditionnel, sont désormais remplacés par les « réfé-rentiels », et la pédagogie est centrée sur les « apprenants ».

Cette « centration sur l’apprenant », véritable formule magique du« pédagogisme » (ou « constructivisme » ), est un concept hérité de la penséedu philosophe Granville Stanley Hall (1844-1924), pionnier de la psycho-logie expérimentale aux États-Unis qui proclame que l'enfant est au centredu système éducatif. Selon lui, l'éducation, qui était jusque là « scolocentri-que », doit devenir « pédocentrique ». À partir de ce constat, il se fixe pourobjectifs de réviser non seulement les programmes scolaires, mais la concep-tion même de l'idée de programme : « Nous devons, écrit-il, dépasser le féti-chisme de l'alphabet, de la table de multiplication, de la grammaire, des gam-mes, du livre » 19. Grammaire, rhétorique, syntaxe doivent être abandonnésau profit des « arts du langage », plus démocratiques, et de l'expression oraleen public. Dans son livre The high school as the People's College, il souligne la

Concept héritédu philosopheGranvilleStanley Hall,la « centrationsurl’apprenant »,véritableformulemagique dupédagogisme,place l’enfantau centre dusystèmeéducatif.

16 : « L’école ou le loisir de penser », éd. du CNDP, 1993.17 : Pragmatisme et sociologie, Vrin, 1955.18 : « A pedagogical experiment », in Early works of John Dewey, op.cit.19 : Cité par Liliane Lurçat in « Le pédagogisme facteur d’échec », Philosophie politique, « École et démocra-tie », n° 10, novembre 1999, PUF.

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Estimant que« la contrainteest la pire des

méthodespédagogiques »,

le psychologuesuisse

Jean Piagetconsidère quel’élève « doit

expérimenter entâtonnant

soi-même ».

nécessité d’accorder moins d'importance aux exercices répétitifs, à la disci-pline, au savoir faire ou à l'exactitude, mais davantage à la liberté et à l'inté-rêt personnel. Il affirme que la communauté des adolescents doit se dévelop-per et se gouverner elle-même, comme n'importe quelle autre communautéaux États-Unis.

Après les pionniers américains, le psychologue suisse Jean Piaget estconsidéré comme un des principaux théoriciens du constructivisme, qu’onpeut définir comme « une théorie de l’apprentissage fondée sur l’idée que laconnaissance est construite par l’apprenant sur la base d’une activité mentale » 20.En d’autres termes, face à une situation donnée, un individu mobilise uncertain nombre de structures cognitives que Piaget appelle « schèmes opéra-toires ». Ce dernier met également l’accent sur l’activité de l’élève, affirmantqu’« une vérité apprise n’est qu’une demi-vérité, la vérité entière étant recon-quise, reconstruite ou redécouverte par l’élève lui-même » 21. Selon lui, ce prin-cipe éducatif repose sur un postulat de la psychologie moderne, selon lequel« l’intelligence procède de l’action » 22. Partant de l’idée que « la contrainte estla pire des méthodes pédagogiques » 23, il considère que l’élève doit « expérimen-ter […] en tâtonnant soi-même, en travaillant activement… » 24 pour recons-truire par lui-même ce qu’il doit apprendre.

Cette nouvelle pédagogie vise à donner à l’élève des « compétences »qui lui permettront d’apprendre « les façons de penser, de sentir et d’agir quiont une valeur dans notre société » 25. Cette formule, extraite d’un des ouvra-ges–phares des « sciences de l’éducation », ne laisse pas d’être inquiétante.Outre ce qu’elle peut recouvrir (quelles valeurs ? pour quelle société ?), ellereflète une position utilitariste et fonctionnelle, qui tend à adapter l’individuaux besoins de la société. À la question « À quoi sert l’école ? », la réponse estdésormais « pluraliste » : il n’y a plus de consensus, « l’unanimité spontanée àpropos des buts plus ou moins implicites de l’éducation disparaît » 26.

Dans son article de 1993, déjà cité, J. Muglioni, observait que « l’ab-sence délibérée de référence philosophique est en réalité le signe d’un dogmatismeredoutable » 27. Avec un autre professeur de philosophie, Bernard Berthelot,

20 : Voir http://edutechwiki.unige.ch/fr/Constructivisme 21 : Discours du directeur du Bureau international d'éducation, in Treizième Conférence internationale de l'ins-truction publique : procès-verbaux et recommandations, Genève, Bureau international d'éducation, 1950.22 : Ibid.23 : Discours du directeur du Bureau international d'éducation, in Douzième Conférence internationale de l'ins-truction publique : procès-verbaux et recommandations, Genève, Bureau international d'éducation, 1949.24 : Ibid.25 : Gilbert et Viviane de Landsheere, Définir les objectifs de l’éducation, Brépols, 1980.26 : Ibid.27 : Voir note 10.

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28 : Voir note 14.29 : Voir note 1.30 : L. Tanguy, Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions dans l’école et l’entreprise, L’Harmattan,1994.

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auteur d’un remarquable article sur « L’imposture pédagogique ») 28, nousferons nôtre cette remarque d’Hannah Arendt : « Sous l’influence de la psy-chologie moderne et des doctrines pragmatiques, la pédagogie est devenue unescience de l’enseignement en général au point de s’affranchir complètement de lamatière à enseigner » 29. En d’autres termes, il faut « substituer, autant que pos-sible, le faire à l’apprendre », voire le « jeu au travail », comme l’illustre l’en-seignement des langues : « l’enfant doit apprendre en parlant, c’est-à-dire enfaisant et non en étudiant la grammaire et la syntaxe. » Avertissant que « Lacrise de l’éducation en Amérique annonce (…) la faillite des méthodes modernesd’éducation », Hannah Arendt conclut : « le rôle de l’école est d’apprendre auxenfants ce qu’est le monde, et non pas leur inculquer l’art de vivre. » Elle n’a,hélas, pas été entendue…

Application officielle de ces nouvelles conceptions pédagogiques, laCharte des Programmes, élaborée en 1991 par le Conseil national desProgrammes, « peut être considérée comme l’expression des principes qui orga-nisent et légitiment le passage d’un enseignement centré sur les savoirs discipli-naires à un enseignement défini par et visant à produire des compétences véri-fiables dans des situations et des tâches spécifiques » 30. Ce qui importe, ce nesont plus les contenus, mais la méthodologie mise en œuvre pour une« approche » de ces contenus. On est bien là au cœur des fondements idéo-logiques de la nouvelle pédagogie, tels qu’ils seront progressivement impo-sés dans le paysage éducatif français par les théoriciens des « sciences de l’édu-cation ».

Parmi ceux-ci, Louis Legrand, ancien directeur de l'Institut nationalde recherche pédagogique (INRP) est l’auteur d’un rapport intitulé Pour uncollège démocratique, remis en décembre 1982 au ministre de l'Éducation del’époque, Alain Savary. Dans ce document, il propose officiellement unenouvelle organisation des enseignements et des services des professeurs, avecnotamment l'instauration du tutorat. De fait, ce ne sont pas les impératifsde l’enseignement qui sont mis en avant, mais celui d’enseigner à une nou-velle population scolaire, caractérisée par la diversité des élèves sur tous lesplans. Ce qui est primordial pour l’école n’est donc pas tant la transmissiondes savoirs, que l’organisation de la vie de la communauté scolaire.

HannahArendtaffirmait que« le rôle del’école estd’apprendreaux enfants cequ’est lemonde, et nonpas leurinculquer l’artde vivre. »Elle n’a, hélas,pas étéentendue.

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31 : Éditions de Minuit.32 : In Les héritiers, op. cit.

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Constatant queles classes

sociales sontinégalement

représentéesdans

l’enseignementsupérieur,Bourdieu

l’explique par« l’héritage

culturel » dontbénéficientles enfantsissus de la

bourgeoisie.

À la caste des behavioristes dogmatiques, il faut ajouter celle des néo-marxistes qui se constitue vers la fin des années 50 et le début des années 60,lorsque le sociologue Georges Friedman demande à une de ses élèves,Viviane Isambert-Jamati, membre du Centre d’études sociologiques, d’obé-dience marxiste, de prendre le système éducatif pour objet de recherche. En1962, elle crée au sein du CNRS un premier pôle de recherche en« Sociologie de l’éducation ».

Un second pôle s’organise à peu près au même moment autour dePierre Bourdieu qui, nommé à la Sorbonne, crée la licence de sociologie en1958 et réunit autour de lui, dans le cadre du Centre de sociologie euro-péenne, des chercheurs qui réaliseront en particulier des enquêtes sur l’uni-versité. En 1968, il fait paraître Les héritiers : les étudiants et la culture 31,coécrit avec Jean-Claude Passeron, ouvrage dans lequel il observe que lesdiverses classes sociales sont inégalement représentées dans l’enseignementsupérieur en France. Les étudiants issus des milieux « défavorisés » (salariésagricoles, ouvriers) sont beaucoup moins nombreux que leurs homologuesprovenant de milieux « privilégiés » (cadres, professions libérales).

Ainsi, soulignent Bourdieu et Passeron, « L'expérience de l'avenir sco-laire ne peut être la même pour un fils de cadre supérieur qui, ayant plus d'unechance sur deux d'aller en faculté, rencontre nécessairement autour de lui, etmême dans sa famille, les études supérieures comme un destin banal et quotidien,et pour le fils d'ouvrier qui, ayant moins de deux chances sur cent d'y accéder, neconnaît les études et les étudiants que par personnes ou par milieux interposés. 32»Quant aux résultats obtenus par ces étudiants « favorisés », ils ne s’expliquentpas par leurs « dons » mais par leur « héritage culturel ». Cet héritage se com-pose d’un « capital économique », d’un « capital social » (les relations), maissurtout d’un « capital culturel » (bibliothèques, visites de musées, théâtre,environnement familial…). Ce capital, dans lequel la culture est acquise« comme par osmose » est constitué de connaissances, mais aussi de savoir-

3 Du néo-marxisme à l’utopismesoixante-huitard

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33 : Éd. de Minuit, 1970.34 : In Le Magazine littéraire, n°369, octobre 1998.35 : In La reproduction, op. cit.

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faire, de savoir-dire, de savoir-être, ce que Bourdieu appelle un « habitus ».Correspondant à celui de l’université, il est assimilé à un ensemble de « donspersonnels ». Par conséquent, cette « idéologie du don » n’est pour lui que leparavent d’une sélection sociale qui élimine les enfants des milieux populai-res.

Ces idées seront développées dans La Reproduction 33, où l’on peutlire notamment que « toute action pédagogique est objectivement une violencesymbolique en tant qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraireculturel ». La publication de cette étude apparaît comme l’événement majeurde l’institutionnalisation d’une certaine « sociologie de l’éducation ». Pour l’unde ses représentants, François Dubet, ce livre équivaut à « un renversementcritique des conceptions classiques de l'école et de l'éducation » 34.

Ces conceptions, notamment celle de l’école républicaine, impli-quaient que les enfants puissent accéder à une culture universelle et doncacquérir leur autonomie. Cet enseignement était dispensé dans des établis-sements « neutres », préservés de toute forme de domination socio-culturelle.Nos deux auteurs affirment, au contraire, que c’est un enseignement declasse qui est imposé, que les savoirs inculqués sont ceux de la « culture bour-geoise » et que l’école fonctionne ainsi comme une machine à reproduire lesinégalités sociales. L’égalité des chances n’existe donc pas, non parce que lesaptitudes et les talents sont différents, mais parce que l’école favorise les« habitus » des classes dominantes. Ainsi, certains types d’activités scolaires,comme le cours magistral, avec son registre de langue et ses références cul-turelles « élitistes », ou encore la dissertation, permettent de sélectionner lesenfants des milieux favorisés, qui disposent du capital culturel, et d’exclureles autres. Les inégalités sociales produisent des inégalités scolaires qui sontainsi considérées comme des inégalités de mérite.

Dans cette critique de l’école de la « reproduction », les enseignantsdu secondaire et du supérieur ne sont pas épargnés, puisqu’ils sont accusés,en tant qu’anciens bons élèves, d’oublier ce qu’ils doivent à leur « héritageculturel ». Bourdieu et Passeron n’hésitent pas à écrire : « En concédant à l'en-seignant le droit et le pouvoir de détourner au profit de sa personne l'autorité del'institution, le système scolaire s'assure le plus sûr moyen d'obtenir du fonction-naire qu'il mette toutes les ressources et tout le zèle de sa personne au service del'institution et, par là, de la fonction sociale de l'institution » 35.

PourBourdieu,l’écolefonctionnecomme unemachine àreproduireles inégalitéssociales.

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36 : Maspéro, 1971.37 : Jacques Guigou, http://recherche.univ-montp3.fr/cerfee/article.php3?id_art ic le=117.38 : Titre du livre éponyme de Luc Ferry et Alain Renault, Gallimard « Folio », 1988.39 : Citations extraites du Plan Rouchette, publié dans L’Enseignement public, février 1971. 40 : In Etudes et Recherches, n° 3, 1976.

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La « pensée68 » produit unepédagogie qui ne

procède plus duréel, mais relève

de l’idéal : unepédagogie de

« l’anti-raison ».

L’année suivante paraît L’École capitaliste en France 36 dont les auteurs,Christian Baudelot et Roger Establet, empruntent au philosophe marxisteLouis Althusser le concept d’« appareil idéologique d’État » et se réclament dumaoïsme et de la « révolution culturelle ». En accord avec Bourdieu etPasseron sur le constat de la « reproduction », ils affirment que l’école est res-ponsable des inégalités d’accès à l’éducation. Ils distinguent ainsi deux filiè-res étanches dans le système éducatif : le « secondaire supérieur » (S.S.) réservéau quart « favorisé » d’une classe d’âge, et le « primaire-professionnel » (P.P.)où sont regroupés les trois-quarts des « défavorisés ». L’école joue par consé-quent un rôle essentiel dans la production des classes sociales, puisqu’elleeffectue le « tri » destiné à sélectionner ceux qui feront fonctionner l’appa-reil de production capitaliste.

Cette « nouvelle sociologie de l’éducation », qualifiée par certains de« sociologie classiste de l’éducation » ou « léninisme sociologique » 37, s’imposerapendant de longues années comme un véritable paradigme, une vulgate quiconnaîtra un grand succès et fera d’innombrables adeptes.

Parallèlement va également sévir « la pensée 68 » 38, qui, en matièred’enseignement, engendrera le clan non moins redoutable des utopistes.Comme les néo-marxistes, ceux-ci écrivent des livres, mais aussi des rapportscommandés par les différents ministres de l’Éducation. Ainsi, en 1971, uninspecteur général du nom de Rouchette introduit un Plan de rénovation del’enseignement du français à l’école. D’inspiration très soixante-huitarde, ceplan pourrait avoir pour exergue la devise « liberté, spontanéité, créativité ».L’enfant doit se développer seul, le maître « doit expliquer le moins possible,parler peu …, être un observateur privilégié ... à l’écoute du groupe-classe … ».Les élèves, comme les murs de la Sorbonne en mai 68, ont désormais laparole ! Chacun d’entre eux, de « l’emploi du patois, ou du registre familier »aux « paroles sauvages », en passant par les « activités d’élocution spontanée »,doit pouvoir donner libre cours à son « élan créateur » 39.

Cette vision lyrique et libertaire débouche sur une pédagogie qui neprocède plus du réel mais relève de l’idéal, une pédagogie de « l’anti-raison »(Karl Jaspers), bref, une pédagogie devenue pathologique. Ce « malaise dansl’éducation », le professeur Raymond Picard, spécialiste de Racine et contra-dicteur de Roland Barthes, le nomme « pédagogite » et le journaliste FabriceValclérieux « pédagomanie » 40. En 1973, un philosophe canadien, Lucien

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41 : PUF, 1973.42 : André D. Robert, Actes et décisions dans l’Éducation nationale, L’Harmattan, 1999.43 : Jacky Beillerot, L’éducation en débats : la fin des certitudes, L’Harmattan, 1998.44 : In Le Nouvel Observateur, 31 août 2000.

Les« pédagomanes »ont sapé pierrepar pierre lesfondationsd’un systèmeéducatif quele mondenous enviait.

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Morin, publie un livre intitulé Les charlatans de la nouvelle pédagogie 41 où ildénonce avec brio ces « pédagomanes » pour qui l’évolution pédagogique selimite « à la prescience quasi messianique des nirvânas de demain », et stigma-tise leur « magnificence démentielle ». Formules brillantes et fortes, mais qui,hélas, n’empêcheront pas la « pédagomanie » de continuer à se développer età disloquer l’enseignement traditionnel.

Après avoir réussi à convaincre les ministres de l’Éducation de droite,comme Joseph Fontanet, qui déclarait, en 1974, que « l’école est le principallevier de la démocratisation », puis René Haby, père de la calamiteuse réformedu « collège unique » de 1975, les pédagomanes continueront à saper, pierreaprès pierre, les fondations d’un système éducatif que souvent le mondenous enviait.

Certains d’entre eux se réclameront (pour mieux brouiller les pis-tes ?) de la conception républicaine née avec la Révolution et des Mémoiressur l’instruction publique de Condorcet, qui font de l’École « la véritable ins-titutrice de la nation en même temps que la missionnaire de l’universalisme dansle monde » 42. Ce mythe républicain, qui institue le primat de l’éducationdans la société, deviendra, au fil du temps, « le projet démocratique par excel-lence, dont l’apogée est l’appel généralisé à la pédagogie […]. Un mythe quidonne parfois l’impression de s’épuiser mais qui ne cesse de renaître de ses cendressous des habillages divers » 43 . Le phénix pédagogique va donc revivre avec unnouveau plumage : d’abord celui de l’École comme « institution de la Cité »et non simple instrument de reproduction (Bourdieu), appareil idéologiqued’État (Althusser) ou lieu d’enfermement (Foucault), pour passer, selonJacques Julliard, de la « démopédie » proudhonienne à la « pédocratie », oupouvoir des enfants. Le summum de cette idéologie pédocratique consiste àvouloir « contre tout bon sens que l’école aplanisse les inégalités issues de lanature ou de la société » 44.

C’est ici qu’apparaît la figure de proue, le maître à penser de ceuxque les médias appellent aujourd’hui les « pédagogistes », (version soft des« pédagomanes »), à savoir Philippe Meirieu, le plus emblématique des ensei-gnants en « sciences de l’éducation ». Il réactualise les « principes » des théori-ciens américains du début du XXe siècle pour produire « une pensée progres-siste caractérisée par l’amour de la liberté et le désir d’innover » (Liliane Lurçat).Ces « néo-pédagogues » (autre appellation médiatique) sont donc libertaires,

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Exit les texteslittéraires : il

faut désormaisprivilégier

l’étude desarticles de

presse, deschansons

populaires etautres slogans

publicitaires,bref des

« activitésmotivantes ».

45 : In Michel Jarrety (dir) Propositions pour les enseignements littéraires, PUF, 2000.46 : In Le Monde, 19 mai 2000.

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« néophiles » (ils n’ont de cesse d’introduire dans l’enseignement des « prati-ques innovantes »), égalitaristes (après avoir obtenu la suppression des classe-ments, ils plaident pour celle des notes, afin de laisser aux élèves le soin de« s’auto-évaluer »). Pour eux, le but de l’enseignement n’est pas de transmet-tre « la culture », mais « une culture commune », « ouverte sur le monde et surla vie », impliquant le renoncement au découpage des disciplines et le refusdu « cours magistral ».

Les textes littéraires classiques, ceux que des représentants del'Association française des enseignants de français, considèrent comme un« cimetière de chefs-d'œuvre », dont les auteurs sont « morts ou en bonne voiede l'être », sont bannis au profit d’« un univers de signes, criblé de références,de réécritures sans fin » 45. Ce qu’il faut désormais privilégier, c’est l’étude desarticles de presse, des chansons populaires et autres slogans publicitaires, brefdes « activités motivantes ». Et lorsque les classiques sont maintenus, c’est,comme le rapporte Alain Finkielkraut 46, pour les mettre par exemple « auservice de la lutte contre l'exclusion », avec ce « travail d'écriture créative »donné à des élèves de première L à la suite d'un cours sur La Fontaine et laloi du plus fort : « Imaginez en prose le discours d'un SDF ou d'un sans-papiersà l'Assemblée nationale ». Quant aux langues vivantes, elles doivent être ensei-gnées sous le seul angle de la « communication », comme un « outil » et noncomme l’expression d’une culture ou d’une civilisation.

Pour le gourou Meirieu, les « vrais pédagogues » sont des « construc-teurs d’universalité ». Dans cette « construction de l’universel », le maître n’estplus celui qui possède le savoir et exerce l’autorité, mais un animateur, legentil organisateur d’un « espace démocratique », d’un « lieu de vie » danslequel les « jeunes » vont pouvoir « s’épanouir » (métaphore horticole qui, sil’on ose dire, a fait florès) en réalisant notamment un « projet personnel ».

Ces idées et croyances se retrouvent dans la loi d'orientation sur l'éduca-tion du 10 juillet 1989 présentée par Lionel Jospin. Dans ce texte, il n'estplus question d'égalité des droits, comme dans le Plan Langevin-Wallon,

4 L’Ordre du temple pédagogiste

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47 : Syros, 1999.

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mais d'égalité des élèves : « Pour assurer l'égalité et la réussite des élèves, l'en-seignement est adapté à leur diversité par une continuité éducative au cours dechaque cycle et tout au long de la scolarité ». « L'école de masse », celle quiaccueille tous les élèves quel que soit leur niveau, refusant ainsi de prendreen considération les particularités et les compétences individuelles, succède,en la dépassant, à « l’école unique » du Plan Langevin-Wallon. Cette loi estsoutenue notamment par la Fédération des conseils de parents d'élèves desécoles publiques (FCPE) qui affirme que l’école doit être « centrée sur l'en-fant et non sur les disciplines enseignées », et que « c'est à l'école de s'adapter àl'élève et non l'inverse ».

Les fondements idéologiques de cette nouvelle religion pédagogiquesont élaborés au sein d’une véritable Église, avec son prophète et ses livressacrés (Meirieu), ses grands prêtres (les chercheurs de l’Institut national dela recherche pédagogique ou INRP), ses apôtres (les professeurs de « sciencesde l’éducation »), ses disciples et son humble troupeau de fidèles (les ensei-gnants des Instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM desinistre réputation).

L’un de ses disciples les plus connus est une ancienne enseignante etchef d’établissement, militante du SGEN-CFDT, Marie-Danielle Pierrelée,qui a créé en Seine-Saint-Denis une structure de scolarisation appelée« Auto-école » [sic] pour jeunes « absentéistes, déscolarisés, marginalisés, délin-quants… », et a lancé un « Manifeste pour une École créatrice d’humanité »…Elle est l’auteur d’un livre intitulé Pourquoi vos enfants s’ennuient en classe 47.préfacé par Philippe Meirieu.

Dans ce manifeste, elle s’inspire, sans y faire référence, de l’œuvre dePauline Kergomard (1838-1925), une institutrice devenue inspectrice etfondatrice de l'école maternelle en France. Mme Pierrelée veut remplacerl’enseignement que dispensent les professeurs par le tutorat et l’utilisationsystématique de l’ordinateur, le rôle du maître se limitant au choix des logi-ciels adaptés aux compétences des élèves. Quant au tuteur, fonction quepourraient remplir « les bénéficiaires des emplois-jeunes », il devra jouer le rôleque « jouait autrefois la mère de famille cultivée, exigeante et confiante », ce quiétait la conception de l’école maternelle pour Pauline Kergomard. Il accom-pagnera un petit groupe d’élèves tout au long de leurs années de collège etpendant la plus grande partie de la journée scolaire. Ce groupe sera hétéro-gène, car les élèves doivent « apprendre à vivre ensemble quels que soient le

« L’école demasse », quirefuse deprendre encompte lescompétencesindividuelles,succède à« l’écoleunique » duplan Langevin-Wallon.

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Le rejet del’autorité est

symptomatiqued’une ruptureavec le passédélibérément

choisie.

48 : Cette citation de Marie-Danielle Pierrelée et toutes celles qui précèdent sont extraites de son livrePourquoi vos enfants s’ennuient en classe ?, op.cit49 : Editions F-X. de Guibert 1999, 2e éd. 2004.50 : In La crise de la culture, Gallimard, 1973.51 : Éd. Le bord de l’eau, 2004.

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milieu d’origine, l’âge, la religion ». À l’issue de tests passés en début d’annéedans chaque discipline, les élèves se verront prescrire un programme de coursque « la société considérerait comme minimal »…

Cette ancienne enseignante aspire ainsi à la suppression de l’ensei-gnement oral traditionnel – celui qui transmettait des connaissances – aubénéfice d’une pédagogie incitant les élèves à « s’entraîner sur ordinateur avecdes exercices auto-corrigés chacun selon son rythme d’apprentissage ». Le rôle duprofesseur devient ainsi celui d’un « accompagnateur d’apprentissage efficace ».Outre le temps passé avec ces deux nouveaux « maîtres », le tuteur et l’ordi-nateur, les collégiens devront consacrer « une part importante de leur temps[…] à travailler à la réalisation de projets concrets, la fabrication d'unemachine, la réalisation d'un journal, la préparation d'un concert, la création etl'entretien d'un jardin, le soutien moral des personnes âgées d'une maison deretraite ou, pourquoi pas, une recherche mathématique... ». Pourquoi pas, eneffet, mais peut-on encore appeler cela de l'enseignement ?

Cette conception de l’enseignement permettra la transformation ducollège qui ne sera définitivement plus un lieu « où les jeunes apprennentavant tout la nécessité de se soumettre à l’autorité, de se conformer aux nor-mes » 48. Dans une conférence prononcée à la Sorbonne, Liliane Lurçat, spé-cialiste de la psychologie de l’enfant, adversaire résolu du pédagogisme etauteur de La destruction de l'enseignement élémentaire et ses penseurs 49, adéclaré que le rejet de l’autorité était « le symptôme d'une rupture délibérémentvoulue avec le passé », en citant Hannah Arendt pour qui « la perte de l'auto-rité équivaut à la perte des assises du monde » 50.

Cette rupture avec le passé est, depuis plusieurs décennies maintenant,conçue, élaborée et mise en œuvre par la puissante et omniprésente secte des« pédagogistes », dont le philosophe Robert Redeker, auteur de Nouvelles figu-res de l’homme 51 dit fort justement : « [Ils] préfèrent voir l’école suivre la sociétéplutôt que la guider, adopter ses valeurs comme ses non-valeurs, abandonner ses

5 Les fruits amers du pédagogisme

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52 : In Le Monde, 9 février 2006.53 : « Qualité et efficience de l’école primaire française », Lisa Bydanova, Alain Mingat, Bruno Suchaut, IREDU,Université de Bourgogne, janvier 2008.54 : In L’enseignement en détresse, PUF. 1984.

À partird’un dogmeégalitariste,constructivisteet spontanéiste,on aboutit audélitement denotre systèmeéducatif.

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fonctions magistrales (dans la connaissance) et matricielles (dans la politique)pour devenir, non point l’enseignement de la haute culture, l’initiation à la viede l’esprit, l’apprentissage de l’existence politique, mais le simple reflet bariolé detout ce qui se fait dans la société ».

Les conséquences du pédagogisme sont dramatiques : à partir d’undogme égalitariste, constructiviste et spontanéiste, on aboutit à ce que lephilosophe Denis Kambouchner appelle « le délitement de grandeampleur » 52 de notre système éducatif qui se traduit par des résultats de plusen plus médiocres dans les enquêtes internationales. Ainsi, selon la troisièmeétude PISA (Programme for International Student Assessment), organiséeen 2006 par l'OCDE afin d’évaluer le niveau de 400 000 élèves de 15 ansreprésentant 57 pays, les jeunes Français se situent au 17e rang pour la lec-ture (10e en 2003) et au 19e pour les sciences. Rappelons qu’en tête de cetteévaluation, on trouve la Finlande, suivie de Hong-Kong, du Canada, deTaiwan et du Japon. Selon une étude de l’IREDU de janvier 2008 53, quisynthétise les résultats des principales enquêtes comparatives internationa-les sur le niveau de lecture des enfants de CM1, la France est passée du 3e

rang en 1990 au 11e rang en 2001, puis au 17e rang en 2006.

Les résultats ne sont pas meilleurs au niveau de l’enseignement supé-rieur, comme le montre le classement des meilleurs établissements universi-taires mondiaux publié pour la cinquième année consécutive par l’Institutd’enseignement supérieur de l’Université de Shanghai. Sur les 500 établis-sements représentés dans ce classement, la France en compte 22, mais seulstrois figurent dans les 100 premiers : Paris VI au 39e rang (46e en 2006),Paris-XI au 52e et l’École normale supérieure de Paris au 83e. Ce sont les uni-versités américaines et britanniques, Harvard, Stanford, Berkeley etCambridge qui occupent les premières places.

La lecture de ces résultats conduit malheureusement à penser que, siun coup d’arrêt n’est pas donné au déclin de notre système éducatif, l’onaboutira, comme le prédisait naguère Jacqueline de Romilly, à « une ruineirréversible » 54.

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Annexes

À propos de Philippe Meirieu

Il a été instituteur, professeur de français en collège et de philosophie enterminale, avant d’assumer des responsabilités pédagogiques et administrati-ves. Il a ainsi été formateur d'enseignants et directeur de l'Institut des scien-ces et pratiques d'éducation et de formation de l'université Lyon 2, puisdirecteur de l'Institut national de recherche pédagogique (INRP). Il estaujourd'hui professeur en sciences de l'éducation.

Après le vote de la loi d'orientation de 1989 élaborée par Lionel Jospin,il participe à la création des IUFM (il dirigera celui de Lyon) et à celle duConseil national des programmes. Il est l’auteur de nombreux ouvragesdont : L'école, mode d'emploi - des “méthodes actives” à la pédagogie différen-ciée ; Apprendre... oui, mais comment ; Le choix d'éduquer - Éthique et pédago-gie ; Faire l'École, faire la classe.

Il a également réalisé une série d’émissions sur France 5, L'éducation enquestions.

Outre ses livres, il a écrit d’innombrables articles dont les titres sontautant d’indices de ses thèses « pédagogistes », notamment : « Le projet d'ap-prendre », « Former à l'acquisition de capacités méthodologiques », « Vers unepédagogie contrôlée par l'élève ? », « L'école, lieu d'apprentissage de laDémocratie ? », « L’enseignant, acteur social », « L'enfant-citoyen », « Recherchessur les dispositifs d'apprentissage à la pensée divergente », « Faut-il en finir avecla classe ? », « Éloge de l'ignorance », etc.

Pour Philippe Meirieu, la pédagogie commence avec les Lumières, en par-ticulier avec le pédagogue suisse Pestalozzi, lui-même disciple de Rousseau.Depuis, elle est davantage une « activité » qu’une « discipline », aussi le péda-gogue construit-il des « savoirs pour l’action ».

Selon lui, l’acte éducatif doit mettre l'élève au centre du système scolaire,et non plus l’enseignant. L’école doit se persuader que l'élève est d'abord un

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enfant qui a besoin de « grandir », sur les plans physique, cognitif, affectif…En interactivité avec l'enseignant qui se trouve parmi eux, les élèves devront« construire la loi » qui leur permettra de s'accorder avec leurs camarades declasse, avec l’ensemble des enseignants et de l'institution. Le rôle de l'ensei-gnant sera plus celui d’un « entraîneur » que d'un passeur, un conseiller plu-tôt qu'un maître. Quant à l’éducation, elle ne consistera plus pour l’enfanten l’acquisition et la maîtrise d'une culture, mais en la prise de consciencede son autonomie et de sa citoyenneté.

L’école devra alors faire confiance aux élèves qui, bien « formés » et bienconseillés, auront la capacité de déterminer leur propres besoins en matièrede connaissances, de mettre en œuvre des compétences diversifiées, dessavoir-faire et des savoir-être. En d’autres termes, l’école devra « apprendre àapprendre ».

Ainsi parlent les « pédagogistes »

« Projet : dans le registre de la didactique, ce terme désigne d’abord l'attitudedu sujet apprenant par laquelle il se trouve en situation active de recueil et d'in-tégration d'informations ; les informations ainsi intégrées et mentalisées peuventêtre considérées comme des connaissances. Par extension, ce terme peut désignerla tâche qui finalise les activités de recueil d'informations du sujet. »

Philippe Meirieu,in Apprendre... oui mais comment ?, ESF, 1987.

« L'idéal, pour le collège, est à chercher du côté des pratiques sociales de l'écrit.De plus, et parce qu'un idéal n'est pas toujours possible à atteindre, nous avonsattaché beaucoup d'importance à ce que l'élève de collège n'écrive plus dans levide. Écrire dans le vide, c'est écrire une rédaction, pour un professeur. […]Nous pensons que tout écrit est destiné à un lecteur. Cette dimension-là doit êtremaintenue, y compris dans le domaine scolaire. Il s'agit donc de déscolariserl'écriture. »

Catherine Weinland, inspectrice générale de Lettres,in « La refondation de la discipline du collège au lycée », Éléments de docu-

ment d'accompagnement du programme de seconde, octobre 1999.

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« Actuellement, l'enseignement traditionnel est unidimensionnel (le professeurparle et l'élève prend des notes). C'est le même rapport qu'avec la télé...L'ordinateur change tout : il vous pose des questions, vous pouvez vérifier si vousconnaissez votre cours, vous l'interrogez et il répond, etc. Vous prenez l'habitudede l'interaction. Et on va aller dans l'interactif pendant les cours. On le sent déjà,ça rejoint une volonté des élèves. »

Claude Allègre,in L'Expansion 4-7 novembre 1999.

« La succession des cours traditionnels, donnés par des professeurs n´ensei-gnant qu´une seule matière, serait remplacée par une organisation de l´emploidu temps bâtie à partir d´une série de projets. Chacun de ces projets mobiliseraitune équipe pédagogique restreinte ou élargie, suivant les cas, associée à un ou plu-sieurs groupes d´élèves. En début d´année, une évaluation permettrait de définirl´ensemble des projets éducatifs de l´établissement dont les sujets seraient plutôtorientés vers les sciences pour certains élèves, plutôt vers les lettres pour d´autres,etc. »

Guy Pouzard, inspecteur général de l´Éducation nationale,in Le Monde, 31 octobre 2000.

« Bien que, par commodité et habitude, on emploie le plus souvent le termede “texte”, il importe de bien faire la distinction entre les mots “texte” et “dis-cours”. Si, comme nous l'avons précédemment défini, le terme de “discours” ren-voie à la mise en pratique du langage, dans un acte de communication à l'écritet à l'oral, on considèrera que le “texte” est la forme concrète que prend ce “dis-cours”. »

Catherine Klein,in Littérature et Langages, français 2e, Hachette, 2000.

« L’élève actuel […] n'est plus disposé comme autrefois à subir une pédagogietrès contraignante et très autoritaire : apprendre par cœur des listes, des règles. Selamenter sur cet état de fait n'y changera rien, d'autant plus que de nombreuxlieux de la société pratiquent délibérément et officiellement des orthographes

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« déviantes » : SMS, courrier électronique, forums de discussion, publicité. Lesfaçons d'écrire se diversifient comme les façons de parler. Le public des élèves adonc définitivement changé. […] D'une façon générale, la prise de conscience dece qu'est un système d'écriture utilisé par une société, de son caractère historique,bricolé, permettrait d'introduire aussi beaucoup plus de tolérance vis-à-vis de lanorme, aussi bien chez les parents que chez les enseignants et les élèves. »

Ghislaine Haas,professeur des universités à l'IUFM de Bourgogne

(interview réalisée pour le site BienLire, février 2005).

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N° 1 : Professeur en ZEP ou en Outre-mer : la vraie fracture sociale (septembre 2006).

N° 2 : Littérature-jeunesse à l’école : un constat alarmant - Florilège et propositions de réformes (mars 2007).

N° 3 : L’enseignement des JésuitesPar Philippe Conrad, historien, chargé de recherche à l’IRIÉ (octobre 2007).

N° 4 : Le coût de l’Éducation nationale hypothèque-t-il l’avenir de nos enfants ?Par Jean-Pierre Dutrieux, économiste, cadre supérieur de la fonction publique (novembre 2007).

N° 5 : L’école unique et la démocratisation manquéePar Philippe Conrad, historien, chargé de recherche à l’IRIÉ (décembre 2007).

N° 6 : La crise de l’école est une crise de la viePar Robert Redeker, philosophe et chercheur au CNRS (décembre 2007).

N° 7 : De l’école des citoyens à l’école des personnesPar Francis Marfoglia, professeur de lycée, agrégé de philosophie, chargé de recherche àl’IRIÉ (décembre 2007).

N° 8 : Une adaptation difficile de l’Éducation nationale à la diversité des élèves.Le cas de la précocité intellectuelle.Par Daniel Jachet, ancien principal de collège (février 2008).

N° 9 : 5 thèses sur la crise de l’Éducation nationale, d’après Philippe NemoPar Damien Theillier, professeur de philosophie, chargé de recherche à l’IRIÉ (février 2008).

N° 10 : Note critique de l’ouvrage de Stanislas Dehaene Les neurones de la lecturePar Ghislaine Wettstein-Badour, médecin, conférenciére. 35 ans de recherches appliquées sur l’apprentissage chez l’enfant (mars 2008).

N° 11 : Les fondements idéologiques du “pédagogisme”Par Henri Nivesse, certifié de lettres, professeur de civilisation française, journaliste indépendant (mai 2008).

Les Cahiers deL’ Éducation

Les Cahiers de l’Éducation sont des études, faites par desspécialistes, sur des sujets clés de l’éducation. Les opi-nions qui y sont exprimées sont celles des auteurs et nereflètent pas nécessairement les points de vue del’Institut.

Ces études sont également disponibles sur le sitewww.recherche-education.org ou sur demande au prix de3 €. Pour commander : par courrier à l’IRIÉ au 8 rue Jean-Marie Jégo 75013 Paris, par téléphone au 01 45 81 22 67ou par courriel à [email protected]