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0 Corisande Jover Master 2 Recherche Relations Internationales UFR de Science politique Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Les Anarchistes Contre le Mur Un mouvement social de contestation politique en Israël Réalisé sous la direction de M. Yves Viltard Septembre 2007

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Corisande Jover

Master 2 Recherche Relations Internationales

UFR de Science politique

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les Anarchistes Contre le Mur

Un mouvement social de contestation politique en Israël

Réalisé sous la direction de M. Yves Viltard

Septembre 2007

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Introduction

« Le nom lui-même sonne comme un hybride des Monty Python et de Pink Floyd : les

Anarchistes Contre le Mur »1. Le groupe évoqué par le journaliste du Jerusalem Post renvoie, il est

vrai, une apparence pour le moins singulière. Formé majoritairement de jeunes Israéliens dont le

style vestimentaire parfois exhibé n’est pas sans évoquer les mouvements punks des années 1970, il

semble aujourd’hui devenir l’un des acteurs phares du militantisme contestataire local. Son action se

situe directement au cœur du conflit israélo-palestinien, enjeu international s’il en est, que la plupart

des travaux n’envisagent pourtant qu’à travers le prisme de ses implications interétatiques ou de son

impact sur l’évolution des mouvements palestiniens nationalistes ou islamistes. Se voulant une

contribution nouvelle à l’analyse du conflit israélo-palestinien, l’intérêt de ce travail réside donc dans

l’étude d’un troisième type d’acteur, non-institutionnel, issu de la société israélienne. Il ne s’agira pas

ici de sous-estimer le rôle central joué par l’Etat israélien dans l’évolution actuelle du conflit, mais

davantage d’interroger les modalités d’une participation nouvelle, celle d’individus mobilisés dans la

contestation de la politique menée au sein des Territoires palestiniens.

Le choix des Anarchistes Contre le Mur dans la définition des contours de l’objet n’a toutefois

pas été immédiat. La dénomination du groupe laissant imaginer son insertion dans un « mouvement

anarchiste » global, il semblerait pertinent, ainsi que je l’avais d’abord envisagé, de ne le traiter qu’en

tant qu’une partie du tout, dans une étude consacrée à la rencontre de l’anarchisme comme

idéologie et mouvement avec le conflit israélo-palestinien. La recherche effectuée porterait alors sur

un grand nombre de mouvements anarchistes, à partir d’un cadre théorique associant les relations

internationales à l’histoire et la philosophie politiques. Néanmoins, les limites temporelles propres à

ce travail et la pluralité des questions suscitées par les seuls militants israéliens encouragent une

délimitation plus précise de l’objet, que nous choisirons donc de restreindre au groupe formé par les

Anarchistes Contre le Mur. La question du degré et du type d’adhésion de ses militants aux principes

fondateurs de l’anarchisme devra en effet être posée. Dans cette perspective analytique, la

démarche qui sera adoptée dans l’étude du mouvement rejoint celle proposée par Luc Boltanski dans

son étude sociologique des groupes professionnels2. Il s’agira d’envisager l’entité désignée par

l’appellation « Anarchistes Contre le Mur » comme étant socialement construite, selon une

1 Matthew Gutman, « Another brick in the wall », Jerusalem Post, 29/12/2003.

2 Luc Boltanski, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Editions de Minuit, 1982.

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dynamique mêlant l’intervention d’acteurs extérieurs aux perceptions développées par les individus

concernés. L’intérêt de l’enquête de terrain et de l’analyse ultérieure de ses résultats repose alors sur

la déconstruction de l’objet tel qu’il se donne initialement afin de mettre en évidence les processus

ayant abouti à sa formation, qu’il s’agisse des modalités de son apparition en tant qu’ensemble

reconnu ou des procédés symboliques à l’origine de sa définition idéologique. L’idée d’un « groupe »

constitué par les militants des Anarchistes Contre le Mur ne signifie donc pas qu’on l’accepte en tant

que tel, mais bien qu’on en interroge la cohérence et les caractéristiques : « essayer, derrière le

substantif, de trouver la substance », propose Ludwig Wittgenstein3.

Le nom même porté par le groupe introduit déjà la problématique qui sera celle de ce

travail : tandis que l’anarchisme se présente d’emblée comme un internationalisme, avec pour

objectif établi la réorganisation de la société selon des principes antiautoritaires préalablement

définis, la thématique portée par son opposition au mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie

situe sa mobilisation dans le temps et dans l’espace. La question soulevée par ce premier constat est

celle de l’identité du groupe en tant qu’acteur, que nous tâcherons de définir en fonction du type de

contestation qui lui est spécifique. Celle-ci pourrait être avant tout nationale, en réaction au contexte

précis du conflit israélo-palestinien et de la politique menée par l’Etat israélien, ou davantage

transnationale, dès lors qu’elle serait inscrite dans une revendication globale également partagée par

des mouvements non-israéliens actifs en d’autres lieux. L’une des ambitions de ce travail sera ainsi

de déterminer l’attache territoriale propre aux militants des Anarchistes Contre le Mur, selon une

problématique pouvant être résumée ainsi : quelle est l’articulation entre les échelles locale,

nationale et mondiale dans la mobilisation contestataire observée ? L’étude des militants israéliens

sera également l’occasion de nous interroger sur l’existence, ou non, d’acteurs non-palestiniens

susceptibles d’influer sur l’évolution du conflit israélo-palestinien. La notion de minorité active,

suggérée par le psychologue social Serge Moscovici, n’est pas dénuée d’utilité dans la définition de

cette perspective complémentaire : elle désigne les « groupes restreints actifs et idéologiquement

cohérents capables d’entrainer des conflits et des changements dans leur société d’appartenance »4.

Sans nous restreindre au cadre de la société israélienne, il s’agira ainsi d’évaluer tant la structure

organisationnelle et idéologique du groupe que les variations introduites par son existence dans et

autour du conflit israélo-palestinien.

3 Ludwig Wittgenstein, Le Cahier bleu et le cahier brun, Paris, Gallimard, 1965, p. 25.

4 Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979.

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Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’analyse de trois aspects essentiels à la

compréhension du groupe. Le premier a trait à sa formation au début des années 2000 (Partie 1).

Outre qu’elle nous renseignera sur les trajectoires militantes de ses membres, l’étude du processus

d’auto-identification des individus au groupe en tant que tel permettra de contextualiser

l’émergence de la contestation. Si la politique israélienne de construction d’une barrière séparant

Israël des Territoires palestiniens semble déterminante dans l’apparition du nouvel acteur, la mise en

évidence de l’existence d’un réseau mobilisable ainsi que des étapes successives de l’action collective

feront apparaître ses spécificités au sein du paysage contestataire israélien. La seconde thématique

que nous aborderons est celle de l’identité collective développée par les militants au fil de leurs

interactions (Partie 2). L’étude des discours produits par les membres du groupe sera centrale dans

l’identification de son idéologie spécifique, tant à l’égard du conflit israélo-palestinien que de ses

revendications sociales plus générales. La question de l’action déployée par les Anarchistes Contre le

Mur au sein du conflit israélo-palestinien retiendra également notre attention : élément essentiel de

l’élaboration d’une identité partagée, nous verrons qu’il en résulte une reconnaissance accrue du

groupe de la part d’acteurs multiples, israéliens ou non, en termes de légitimité et de visibilité. A

partir des éléments d’analyse fournis par ces deux premières parties, il conviendra enfin de nous

intéresser à l’inscription du groupe sur la scène mondiale (Partie 3). Son identité spécifique sera ainsi

mise en perspective avec un ensemble de mouvements non-israéliens dotés de caractéristiques

similaires, à la fois sources d’inspiration et de différenciation, parfois mobilisés à travers un processus

actif de mise en réseau. Nous tâcherons de définir la participation des Anarchistes Contre le Mur au

développement de la transnationalité, en fonction de leur implication en termes de réception et de

diffusion d’idées, de modes d’action et d’information à l’échelle mondiale.

La problématique et le plan de recherche ainsi définis nous encouragent à mobiliser deux

champs théoriques complémentaires, celui de la sociologie de la mobilisation ainsi que celui de la

sociologie des relations internationales. Le premier sera essentiel à l’analyse de l’action collective

engagée par les militants israéliens des Anarchistes Contre le Mur, qui nous situerons plus

particulièrement dans le domaine de la politique contestataire (contentious politics). Celle-ci est en

effet définie par Sidney Tarrow comme « l’activité collective menée par les revendicateurs ou par

ceux qui affirment les représenter, qui repose au moins en partie sur des formes non-

institutionnelles d’interaction avec les élites, les opposants ou l’Etat »5. Les Anarchistes Contre le Mur

seront ici envisagés en tant qu’acteur du conflit israélo-palestinien mais également en tant que

5 Sidney Tarrow, « Social Movements in Contentious Politics: A Review Article », American Political Science Review, 90 (4),

pp. 874-883, p. 74.

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mouvement social issu de la société israélienne. La notion de mouvement social relève selon

Florence Passy de deux définitions théorique : l’une, représentée par les travaux d’Alberto Melucci,

porte l’accent sur le rôle des identités ainsi que des perceptions entretenues par les individus sur le

mouvement et le conflit social auquel ils participent ; la seconde est celle développée notamment

par Charles Tilly et Sidney Tarrow, qui envisagent le mouvement social comme le résultat des

interactions successives entre les détenteurs du pouvoir et les groupes organisés de la société civile

dépourvus de représentation formelle6. Complémentaires dans l’étude des Anarchistes Contre le

Mur, ces deux perspectives sur l’action collective ont en commun d’interroger les processus

intervenant dans la mobilisation du groupe, de l’engagement individuel à l’élaboration de l’identité

collective nécessaires à son inscription en tant qu’acteur du conflit. Le second champ théorique sur

lequel reposera ce travail est celui des relations internationales, que nous choisirons d’aborder plus

particulièrement dans son approche transnationaliste. La question de l’évolution du mouvement

social national au sein d’un espace mondial caractérisé par la croissance des flux transnationaux sera

en effet l’une des lignes directrices de notre étude des Anarchistes Contre le Mur. Elle nécessitera de

recourir largement aux apports de la sociologie des réseaux, afin de rendre compte des interactions

entre les échelles micro-sociologique et macro-sociologique propres aux mouvements sociaux

contemporains, parfois transnationaux, que nous tâcherons d’identifier dans le cas des militants

israéliens. L’imbrication entre national et mondial ainsi mise en évidence contribuera dès lors à

l’analyse des relations internationales, en nous renseignant simultanément sur l’évolution des flux

transnationaux ainsi que sur le poids de l’Etat-nation dans la formation du militantisme. Appui

essentiel à la compréhension de notre sujet, cet éclectisme théorique inscrira les résultats de

l’enquête de terrain dans une perspective plus large de définition de l’action collective contestataire

au sein des réseaux transnationaux. Il convient à présent de revenir, dans un chapitre introductif, sur

les modalités méthodologiques de l’enquête ayant permis la réalisation de ce travail.

6 Florence Passy qualifie la première de « culturaliste » et la seconde de « politologique », voir Florence Passy, L’Action

altruiste, Genève, Librairie Droz, 1998.

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Chapitre introductif :

Notes méthodologiques sur l’enquête de terrain

********

L’enquête de terrain qui a rendu possible ce travail a été réalisée en février 2007, et repose

sur une combinaison d’entretiens et d’observations directes menées tant en Israël qu’en Cisjordanie.

La Bande de Gaza, dont l’accès est conditionné par l’octroi d’une autorisation préalable des autorités

israéliennes, demeure de fait une terre inconnue pour les Israéliens des Anarchistes Contre le Mur et

a par conséquent été exclue du terrain étudié.

Le présent chapitre vise à rendre compte des difficultés éprouvées lors de l’enquête, dans

une zone de conflit nécessairement empreinte de violence et porteuse d’interactions complexes avec

les acteurs en présence. La question de la posture du chercheur au sein du conflit et face aux

enquêtés est alors posée avec d’autant plus d’acuité que les données obtenues résultent d’une

double rencontre entre l’engagement scientifique et l’engagement militant : celle établie dans la

relation enquêteur-enquêtés, mais aussi celle touchant l’enquêteur lui-même, confronté à une

dualité des rôles lorsqu’il se joint aux activités militantes du groupe étudié7. Les modalités

méthodologiques de l’enquête par entretiens seront enfin abordées, afin de préciser les contours et

les limites propres au travail réalisé.

Enquêter en terrain difficile : le chercheur face à la violence quotidienne

En septembre 2006, les Palestiniens du village de Bil’in organisent une petite fête en

l’honneur d’un Israélien touché quelques semaines plus tôt par le tir d’un officier de la police des

frontières israélienne8. Limor Goldstein, 28 ans, qui porte les séquelles d’une blessure grave à la

tempe, demeure étrangement silencieux face aux chants et aux souhaits de bon rétablissement qui

affluent. Les retrouvailles avec les Palestiniens de Bil’in et ce premier retour sur le lieu de l’incident

semblent douloureux, malgré la présence à ses côtés de ses amis des Anarchistes Contre le Mur. Cet

7 Deux dossiers fourniront à cette note méthodologique des références précieuses : Cultures & Conflits (Éd.), « Dossier : Les

risques du métier : engagements problématiques en sciences sociales », (47), automne 2002, pp. 5-192, et la Revue

française de science politique (Éd.), « Dossier : Enquêter en milieu « difficile » »,57 (1), février 2007, pp. 5-90.

8 Bil’in est un village palestinien d’environ 1700 habitants situé à l’Ouest de Ramallah. Les terres appartenant aux villageois

de Bil’in sont aujourd’hui traversées par le mur de séparation israélien. Voir carte en Annexe 2, p. 122.

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épisode, qui fut pour moi la première rencontre avec le groupe que je déciderai plus tard d’étudier,

illustre à lui seul les difficultés présentées par l’enquête de terrain dans les Territoires palestiniens.

En premier lieu, il s’agit bien pour le chercheur de faire face à la charge émotionnelle forte

portée par les acteurs. En de telles circonstances, le vécu traumatique n’est plus seulement celui d’un

individu isolé : inscrit dans la mémoire collective des personnes témoins de l’incident, son empreinte

sur les villageois comme sur les activistes israéliens procède ensuite d’une « collectivisation du destin

individuel », susceptible d’atteindre de même le chercheur qui travaillerait à leur contact ou dans ce

même village9. D’autre part, cet exemple permet d’entrevoir la violence propre au terrain étudié, à

savoir la Cisjordanie, que Vincent Romani qualifie de diffuse et d’imprévisible10. Diffuse, car elle n’est

pas seulement celle des armes et de l’usage des armes. Les successions de contrôles d’identité

auxquels l’étranger est soumis au même titre que les Palestiniens, qu’ils aient lieu lors des passages

de checkpoints ou simplement dans la rue, les patrouilles policières et militaires fréquentes, les

interrogatoires parfois très longs subis au passage des frontières internationales, forment un

dispositif de coercition omniprésent dont résulte un sentiment d’insécurité physique constant.

L’enquêteur étranger est alors amené à modifier son comportement par des micro-mesures

routinisées de protection, en dissimulant notamment les raisons de sa présence en Cisjordanie, ou

d’information, pour faire face aux incertitudes sur les possibilités et durées des déplacements de

village à village, dues aux attentes répétées aux checkpoints. Les cas d’irruption soudaine de la

violence auxquels peut être confronté l’enquêteur sont de plusieurs natures : parfois attendue, lors

des manifestations routinières contre le mur par exemple, la violence peut également surprendre

l’enquêteur par son imprévisibilité. Ainsi, les affrontements opposant lanceurs de pierres et forces

israéliennes au checkpoint de Qalandya en février 2007, ou encore les attaques de colons contre des

militants israéliens et étrangers dans les collines du Sud d’Hébron, constituent ce que Valérie

Amiraux et Daniel Cefaï appellent des « situations limites », c’est-à-dire des contextes de menace –

réelle ou perçue – pour le corps de l’enquêteur11. Celui-ci se trouve alors physiquement exposé au

danger, sa citoyenneté étrangère ne garantissant plus nécessairement son intégrité physique.

9 Selon Vincent Romani, qui emploie cette notion de « collectivisation du destin individuel », le processus de projection,

voire de dilution, d’une trajectoire individuelle et de ses souffrances au sein d’un collectif permettrait de donner un sens au

traumatisme tout en en atténuant les effets sur l’individu. Voir Vincent Romani, « Enquêter dans les Territoires palestiniens.

Comprendre un quotidien au-delà de la violence immédiate », Revue française de science politique, op.cit., pp. 27-45, p. 31.

10 Ibid.

11 Valérie Amiraux, Daniel Cefaï, « Les risques du métier. Engagements problématiques en sciences sociales », Cultures &

Conflits, op.cit., pp. 15-48, p. 16. Le checkpoint de Qalandya est un point de passage obligatoire pour toute personne

souhaitant se déplacer entre Jérusalem-Est et le nord de la Cisjordanie ; il est situé entre Jérusalem et Ramallah.

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Toute enquête de terrain dans les Territoires palestiniens contient donc un engagement

corporel et psychologique de la part du chercheur, dont l’intensité dépend largement du choix du

lieu d’habitation retenu. Séjourner en Cisjordanie constitue indéniablement un gage de confiance

pour les Palestiniens, tout en n’altérant pas la qualité de l’enquête réalisée sur des militants

israéliens tels que les Anarchistes Contre le Mur. Une telle immersion en territoire palestinien

contient toutefois un risque important en termes d’intériorisation des craintes et des affects

collectifs, qui tend à troubler la perception de la violence inculquée par les référents européens de

même qu’à sous-estimer les situations de mise en danger de soi vécues par le chercheur. En résulte

une prise de risque accrue, potentiellement néfaste pour le bon déroulement de l’enquête :

l’attachement au sujet et l’envie de le mener à bout peuvent alors s’avérer salvateurs, lorsque la

crainte d’une blessure ou d’une arrestation qui marqueraient la fin du travail de recherche

encouragent l’enquêteur à s’éloigner d’une situation de danger. Consciente de ces risques, j’avais

pour ma part choisi le compromis en séjournant à Jérusalem-Est : vivant dans un environnement

palestinien, je limitais néanmoins mon appartenance au terrain et échappais ainsi au risque

du sentiment d’enfermement décrit par Vincent Romani par ma proximité avec la partie Ouest,

israélienne et plus touristique, de la ville12.

Cette introduction sur les spécificités de l’enquête en terrain difficile ayant posé le cadre

nécessaire à la compréhension de l’environnement de recherche, il s’agit à présent de s’intéresser

aux modalités concrètes de l’enquête en abordant la question des interactions avec les enquêtés et

des difficultés qu’elles comportent.

De la proximité à la distanciation, le dilemme de l’interaction avec les enquêtés

Les récits ayant trait au déroulement des enquêtes de terrain font émerger un schéma

relationnel du chercheur aux enquêtés partant d’une posture distanciée, progressivement mise à mal

par l’intensification des liens interpersonnels et aboutissant souvent à une proximité accrue.

L’application de ce schéma dans ce travail sur les Anarchistes Contre le Mur semblait d’autant plus

redoutable que les circonstances m’ayant amenée à l’envisager étaient déjà celles d’un engagement

militant commun dans les Territoires palestiniens. « L’engagement du chercheur dans son objet est

donc toujours problématique. Implications personnelles, intérêts professionnels, convictions

militantes : les raisons de la recherche sont souvent inextricables », écrivent Valérie Amiraux et

12

Vincent Romani, « Enquêter dans les Territoires palestiniens… », op.cit., p. 34.

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Daniel Cefaï13. A l’origine de ce travail se trouve une forme d’anthropologie militante, répondant au

désir de témoigner d’un mode de coopération entre Palestiniens et Israéliens tout en rendant

compte de la spécificité d’un groupe suscitant à maints égards la curiosité de l’observateur étranger.

L’observation directe se devait donc d’être partiellement participante, tandis que la sympathie

ressentie à leur égard risquait de compromettre la qualité scientifique de la recherche effectuée.

Outre ce biais originel, le rapport nécessairement affectif liant ensuite le chercheur-acteur aux

enquêtés dans les situations limites décrites précédemment peut aboutir à l’élaboration d’une

logique ami-ennemi partagée, fondée sur un vécu commun pendant la durée de l’enquête. Ceci

laissait craindre de ma part une difficulté accrue à contrôler la nature des informations transmises, et

plus généralement à maintenir une posture d’engagement distancié souvent érigée comme une

garantie de « vérité ».

Plusieurs remarques s’imposent néanmoins. L’immersion partielle, dans des séquences de vie

des enquêtés, ajoutée à la violence du terrain, semble rendre illusoire le modèle de neutralité et

d’extériorité auquel souhaiterait parvenir le chercheur. L’alternance entre deux pôles, du point de

vue des acteurs à l’intérieur du champ à la position critique de l’observateur extérieur, qui est rendue

possible par une participation limitée aux activités du groupe étudié, ne garantit nullement sa

capacité de distanciation affective. D’autre part, l’extériorité au terrain peut aussi apparaître comme

un désavantage face à des individus peu enclins à partager leurs récits de vie14. Outre le statut

d’étudiante à l’Université de la Sorbonne, qui m’a fait bénéficier d’une position sociale prestigieuse

dans mes rapports avec les Israéliens et jusque dans les Territoires palestiniens, mon engagement

militant et le partage de valeurs communes qui y était associé m’ont offert des opportunités

d’entretien non négligeables. A titre d’exemple, c’est à la suite d’une manifestation à laquelle je

participais avec certains membres des Anarchistes Contre le Mur que j’ai pu m’entretenir avec une

personnalité importante du Fatah à Ramallah, avant de l’interroger plus longuement sur la nature de

ses relations avec les Israéliens de ce groupe. Davantage que ces convictions militantes, ce sont

surtout les connaissances interpersonnelles qu’elles m’ont permis d’établir qui se sont révélées

décisives dès mon arrivée sur le terrain d’enquête. La confiance accordée par le représentant

palestinien de l’International Solidarity Movement (ISM), organisation dans laquelle je m’étais

engagée au cours d’un séjour précédant en Cisjordanie, ainsi que l’aide fournie par une militante

israélienne des Anarchistes Contre le Mur rencontrée en France, ont constitué le point de départ de

ma recherche. Si la mesure de ces contributions demeure impossible à évaluer, il semble néanmoins

13

Valérie Amiraux, Daniel Cefaï, « Les risques du métier… », op.cit., p. 46.

14 Voir à ce sujet l’article d’Elise Massicard, « Etre pris dans le mouvement. Savoir et engagement sur le terrain », Cultures &

Conflits, op.cit., pp. 117-143.

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qu’elles m’aient permis d’établir un contact plus rapide avec les acteurs israéliens comme

palestiniens, en les encourageant par ailleurs à répondre d’autant plus librement à mes questions

qu’ils savaient trouver en moi un écho favorable à leurs propos. Les craintes préalables que

j’éprouvais de voir mon enquête limitée par une méfiance des Anarchistes Contre le Mur à l’égard

d’un observateur étranger au groupe ont ainsi été rapidement dissipées : en me communiquant des

informations pratiques sur leurs activités, ou encore en me transmettant des documents susceptibles

de contribuer au travail de recherche que je menais, ils ont l’ont facilité sans toutefois en orienter les

résultats.

L’intervention du chercheur comme nouvel acteur du conflit n’est certainement pas sans

impact sur l’objet étudié lui-même. De l’aveu même des Palestiniens, le discours scientifique devant

être produit constituerait une ressource au moins aussi utile que le travail journalistique, en tant qu’il

remplit une fonction de témoignage et qu’il accroit la visibilité internationale des activités menées.

Ceci tient à une perception assez répandue de l’étranger en Cisjordanie sinon comme garantie, du

moins comme vecteur de protection physique face aux forces israéliennes ainsi que de légitimation

sur la scène médiatique internationale. Si les attentes semblent moindres de la part des Israéliens, il

n’en reste pas moins que le travail mené par le chercheur et sa présence à leurs côtés joue un rôle

certain dans l’existence même du groupe de conflit aux yeux de ses militants, de ses sympathisants,

de ses partenaires ou de ses opposants, c’est-à-dire dans les perceptions qui lui sont attachées.

L’intervention de la recherche dans le domaine de l’action peut ainsi créer une situation artificielle

devant être explicitement reconnue, bien que ses effets variables soient difficilement mesurables à

court terme.

Les limites de l’enquête par entretiens

Par la technique des entretiens, le chercheur est susceptible d’attirer l’attention des

enquêtés sur des thématiques parfois peu explorées, avec le risque de contribuer à l’élaboration d’un

discours « sur le vif » dont on pourrait surestimer le poids. De même, par l’application de l’enquête

rétrospective que m’imposait le temps court du travail de terrain, il ne m’a été permis d’obtenir des

enquêtés que des itinéraires de vie reconstitués a posteriori et peu détaillés. Une enquête

prospective aurait sans doute été plus fertile, qui aurait mis en évidence des trajectoires militantes

par observation directe en évitant l’écueil d’une reconstruction subjective des raisons d’agir par les

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acteurs, mais un tel travail ne pourrait être que celui d’une enquête de terrain longue inscrite dans le

cadre d’une recherche plus approfondie15.

Le temps court de l’enquête et le nombre limité d’entretiens pouvant être réalisés m’ont

également confrontée au problème épineux du choix des personnes interrogées. Luc Boltanski

souligne la tentation qui est celle du chercheur de constituer un « échantillon exemplaire » qui

n’inclurait que les cas paradigmatiques, susceptibles de condenser en quelques entretiens la majorité

des profils envisagés et excluant ainsi les cas limites situés aux marges du groupe16. De fait, la

difficulté d’entretenir une vue d’ensemble face à un mouvement dénué de système d’adhésion

officiel m’a conduite à cibler l’enquête sur les militants les plus investis dans la préparation de

l’action puis dans l’action elle-même, acteurs de référence pour la visibilité du groupe et sources

principales de l’élaboration de son discours. De même que le film Enraged consacré à la vie

quotidienne de quatre activistes des Anarchistes Contre le Mur ne rend pas compte de

l’hétérogénéité des profils militants, les contraintes temporelles propres à la réalisation de ce travail

ne m’ont pas permis de saisir de façon satisfaisante la pluralité des formes d’engagement17. Les

entretiens réalisés auprès d’Israéliens des Anarchistes Contre le Mur et de Palestiniens, ajoutés à

l’observation directe et aux recherches effectuées, ont néanmoins permis de mettre en évidence les

traits essentiels de cette mobilisation israélienne dans les Territoires palestiniens ainsi qu’en Israël.

Consciente des limites propres à la recherche effectuée, je tâcherai de rendre compte de ses

résultats avec clarté et précision tout au long de ce travail.

15

Cette difficulté est notamment mise en évidence par Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de

l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51 (1-2), février-avril 2001, pp. 199-215.

16 Luc Boltanski, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Editions de Minuit, 1982, pp. 468-469.

17 Enraged (« Les Enragés ») est un film documentaire (Israël, 2006, 58 minutes) réalisé par Eyal Eithcowich. Il porte sur le

quotidien militant de quatre Israéliens des Anarchistes Contre le Mur : Yonatan Pollak, Kobi Snitz, Leila Mosinzon et Matan

Cohen.

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Partie 1

**********

Une jeunesse israélienne

face au mur

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13

Les Anarchistes Contre le Mur forment un groupe que l’on peut qualifier de « jeune » pour

plusieurs raisons. Il s’agit tout d’abord de l’âge de ses militants, pour la plupart âgés de moins de 30

ans, qui en fait un mouvement non seulement original, par rapport aux autres groupes israéliens

actifs dans les Territoires palestiniens, mais également susceptible d’acquérir une visibilité différente

en raison des modes d’organisation et d’action retenus. D’autre part, la jeunesse des Anarchistes

Contre le Mur tient à leur apparition récente sur la scène du mouvement social israélien mobilisé

dans le conflit israélo-palestinien. Par commodité, nous retiendrons ici l’appellation « mouvement de

la paix israélien » pour caractériser cet ensemble hétéroclite de groupes et d’individus, dont la

caractéristique commune est l’opposition à la politique israélienne menée dans les Territoires

palestiniens, et dont l’objectif général est l’auto-détermination des Palestiniens en vue de la création

d’une entité autonome et souveraine sur l’ensemble des Territoires palestiniens18. Dans cette

première partie, nous tâcherons donc de contextualiser l’émergence des Anarchistes Contre le Mur

pour pouvoir mieux rendre compte, par la suite, de la singularité de sa mobilisation (Chapitre 1).

L’étude des trajectoires militantes de certains de ses membres constituera alors un élément essentiel

à la compréhension de son fonctionnement en réseau, afin de mieux saisir son insertion globale tant

dans le mouvement de la paix que dans la société israélienne (Chapitre 2).

Cette partie importante s’appuiera sur les apports théoriques de la sociologie de la

mobilisation, tout en jouant un rôle central dans la perspective de relations internationales qui est

aussi celle de ce travail : il s’agit bien, d’entrée de jeu, de comprendre l’ancrage national d’un groupe

impliqué dans un conflit international, et dont les caractéristiques en termes de mouvement social et

de relations transnationales – que nous étudierons par la suite – ne doivent pas occulter le caractère

précisément israélien qui lui est propre.

18

L’objectif de la création d’un Etat palestinien en tant que tel n’est pas revendiqué par la totalité des individus engagés

dans ce mouvement, c’est pourquoi nous lui préférons ici l’idée d’ « entité autonome et souveraine ». Notons également

que l’expression « mouvement de la paix israélien » est celle employée par les Palestiniens pour caractériser cet ensemble

diffus de groupes et d’individus israéliens. Dans la presse internationale, on trouvera aussi utilisée l’expression « camp de la

paix israélien » pour y faire référence.

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Chapitre 1 :

Du mur à l’émergence d’une contestation

********

Rendre compte du contexte politique au sein duquel ont émergé les Anarchistes Contre le

Mur n’est pas qu’une simple formalité. C’est en effet l’étude des conditions de mobilisation qui sont

celles de ce groupe dès le début de l’année 2003 qui permettra d’évaluer l’ampleur de son impact et

de la dynamique nouvelle insufflée dans le paysage contestataire israélien.

A. Une dynamique nouvelle dans le mouvement de la paix israélien

La nécessité de penser « structuralement » l’action protestataire, c’est-à-dire de considérer

l’apparition d’une mobilisation comme n’étant ni spontanée ni immédiate, nous encourage à ne pas

étudier les Anarchistes Contre le Mur indépendamment du système des revendications et des actions

portées par les autres organisations du mouvement de la paix israélien. Le concept de « structure

d’opportunité politique », développé dans les années 1970 pour rendre compte des conditions

d’apparition d’un mouvement social, nous ouvre une perspective d’étude intéressante. Herbert

Kitschelt en propose la définition suivante: « les structures d’opportunités politiques se composent

de configurations spécifiques de ressources, d’arrangements institutionnels et de précédents

historiques de mobilisation sociale, qui facilitent le développement des mouvements de protestation

dans certains cas et les contraignent dans d’autres »19. Dans le cas d’Israël, l’existence d’une

contestation ancienne et diversifiée de la politique menée dans les Territoires palestiniens a

constitué le fondement idéologique des Anarchistes Contre le Mur, en même temps que le contexte

politique particulier de l’année 2003 a conditionné l’apparition d’un type nouveau de mobilisation.

19

Herbert Kitschelt, « Political Opportunity Structures and Political Protest: Anti-Nuclear Movements in Four

Democracies », British Journal of Political Science, (16), 1986, pp. 57-85. La théorisation de ce concept par des chercheurs

américains tels que Sydney Tarrow, Charles Tilly et Doug McAdam met en évidence le rôle du système politique qui, par sa

structure institutionnelle et la disposition idéologique des acteurs au pouvoir, conditionne l’émergence des mouvements

sociaux. La formation pluraliste du système politique israélien, qui rend possible l’expression d’opinions contrastées et

d’opposition au sein de la société israélienne, ne sera pas davantage détaillée ici. Nous nous concentrerons en revanche sur

le contexte général du paysage contestataire israélien, ainsi que sur l’impact de la politique menée par le gouvernement

israélien sur l’état de cette mobilisation.

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Une mobilisation israélienne ancienne et diversifiée

En 1967, l’occupation par l’armée israélienne de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la

Bande de Gaza est à l’origine de l’apparition d’un mouvement contestataire, extrêmement

minoritaire mais durable, au sein de la société israélienne. Précurseur de ce mouvement,

l’Organisation Socialiste Israélienne connue surtout sous le nom de « Matzpen » présente des

similarités frappantes avec les Anarchistes Contre le Mur qui lui succéderont quelques décennies plus

tard20. Née d’une scission intervenue au sein du Parti Communiste Israélien sur la question de

l’allégeance à l’Union Soviétique en 1962, elle ne regroupe pas davantage que quelques dizaines de

sympathisants et militants. Toutefois, « leur lutte frontale contre l’occupation de 67, et contre le

sionisme en général, à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël, fit de ses membres une minorité isolée et

haïe », explique le réalisateur israélien Eran Torbiner dans son film documentaire intitulé Matzpen et

consacré à l’organisation21. S’appuyant sur les deux principes d’anti-sionisme et d’anti-capitalisme,

Matzpen plaide pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien et organise à cet

effet les premières manifestations portant le slogan : « A bas l’occupation »22.

Des militants de Matzpen lors d’une manifestation devant la Knesset, le 28 janvier 1969.

« Aujourd’hui Rafah, et demain –quoi ? », « Non à l’occupation »

20

« Matzpen », nom couramment employé pour désigner l’Organisation Socialiste Israélienne, est en fait le titre du journal

qu’elle publie. Le nom d’origine sera d’ailleurs transformé en 1977 en « Organisation Socialiste en Israël » pour mieux

exprimer l’internationalisme du groupe.

21 Eran Torbiner, Matzpen, Anti Zionist Israelis, Matar Plus, Israel, 2003, 54mn.

22 La charte des principes fondamentaux du Matzpen a été adoptée en 1973. Se dernière version amendée, datée de 1978,

peut être consultée sur son site internet dans la rubrique « Fundamental Principles » (http://www.matzpen.org).

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Avec l’exil des principaux militants du Matzpen, c’est l’organisation sioniste et modérée

Shalom Arshav (« La Paix Maintenant ») qui prend la tête d’un mouvement élargi pour le droit à

l’autodétermination du peuple palestinien et contre l’implantation de colonies dans les Territoires

occupés23. Essentiellement connue pour ses grandes manifestations à Tel Aviv dans les années 1980,

Shalom Arshav fait aujourd’hui partie d’un mouvement hétéroclite de contestation de la politique

israélienne dans les Territoires palestiniens.

Affaibli à l’aube de la décennie 1990 suite aux espoirs suscités par les accords d’Oslo au sein

de la société israélienne, le mouvement de la paix que l’on observe aujourd’hui résulte en réalité

d’une mobilisation nouvelle observée à la fin des années 199024. Sans prétendre établir une typologie

exhaustive des groupes et individus qui lui sont liés, un souci de clarté nous amène à distinguer, au

sein du paysage contestataire du début des années 2000, deux types de mobilisations distinctes.

L’une est celle représentée par Shalom Arshav ou par certains groupes refuzniks, et dont la

caractéristique commune est d’exprimer des revendications au sein même de la société israélienne25.

Ainsi, les activités de Shalom Arshav ne dépassent-elles pas le cadre du territoire israélien ou des

colonies israéliennes en Territoires palestiniens. C’est également à la société israélienne que

s’adressent ceux que l’on nommerait les « voix dissidentes », journalistes et universitaires, auteurs

d’ouvrages et d’articles publiés dans la presse nationale. Minoritaires et souvent malmenés par leurs

pairs, ils trouvent néanmoins à s’exprimer dans des quotidiens tels que Ha’aretz et Yediot Aharonot

ou par la publication d’ouvrages collectifs auxquels ils contribuent26. Parallèlement à ces expressions

d’opposition en Israël se sont développés des mouvements plus radicaux, dont la pierre angulaire est

23

Fondée par des officiers de réserve et des soldats de l’armée israélienne en 1978, Shalom Arshav est décrite par ses

militants comme un groupe politique extra-parlementaire proche de la gauche sioniste israélienne. Modérée, elle se

distingue donc de la frange radicale représentée alors par les militants du Matzpen et aujourd’hui par ceux des Anarchistes

Contre le Mur.

24 On désigne par l’expression « accords d’Oslo » l’ensemble des trois accords conclus entre Israël et les représentants

palestiniens au cours de la décennie 1990: la Déclaration de principe du 13 septembre 1993, les textes d’application du 9

février et du 4 mai 1994, et enfin l’accord de Taba, dit aussi accord d’Oslo II, du 28 septembre 1995. Ces textes visaient à

établir les modalités d’une autonomie des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.

25 Le terme « refuznik » caractérise les Israéliens ayant refusé d’effectuer tout ou partie de leur service militaire. Voir Karine

Lamarche, « Refuser l’occupation : de la désobéissance morale à l’action politique chez les Refuzniks israéliens », Cahiers du

Grip, (1), 2005, pp. 20-31.

26 En anglais, voir Roane Carey, Jonathan Shainin (Eds.), The Other Israel. Voices of Refusal and Dissent, The New Press, New

York, 2002. Parmi ces intellectuels : Ilan Pappé, professeur d’histoire contemporaine à Haifa, est l’un des premiers

historiens à avoir dénoncé les occultations de l’historiographie officielle concernant 1948 ; Tanya Reinhart (décédée en

2007), linguiste, auteur de Détruire la Palestine. Ou comment terminer la guerre de 1948, La Fabrique, Paris, 2002 ; Gideon

Levy, chroniqueur pour Ha’aretz ; Amira Hass, correspondante dans les Territoires palestiniens pour Ha’aretz ; Akiva Eldar,

journaliste pour Ha’aretz.

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l’organisation d’actions à l’intérieur même des Territoires palestiniens. Chronologiquement, le

premier d’entre eux est Gush Shalom (« Bloc de la paix »), fondé par l’ancien député Uri Avnery en

199327. Bien que ses positions soient souvent similaires à celles de Shalom Arshav, le militantisme

actuel de ses membres concrétisé par leur participation aux manifestations palestiniennes organisées

en Cisjordanie en fait un mouvement parfois plus proche de Ta’ayush. Fondé en 2000, ce dernier se

présente comme un « partenariat » israélo-palestinien, et se concrétise par un large panel d’actions

de solidarité menées dans les Territoires palestiniens : de l’aide humanitaire aux actions de

protection physique des Palestiniens en Cisjordanie, les activités menées par Ta’ayush apparaissent

au début des années 2000 comme les plus audacieuses28. D’autres groupes israéliens sont également

présents en Cisjordanie, qui y agissent de façon régulière mais selon des objectifs ciblés. Parmi eux se

trouve notamment Machsom Watch, groupe composé exclusivement de femmes, dont l’activité

consiste à assurer le respect des droits des Palestiniens dans les Territoires occupés en assurant une

présence continue de ses militantes sur les principaux checkpoints. Le Comité Israélien Contre les

Démolitions de Maisons (ICAHD) intervient pour sa part dans des actions directes de blocage contre

les démolitions et expropriations de terres en Territoires palestiniens, en même temps qu’il fournit

un soutien légal aux familles palestiniennes expulsées. A ces principales organisations se joignent

enfin des militants israéliens engagés dans un combat plus large pour le respect des droits de

l’Homme, parmi lesquels ceux des Rabbins pour les Droits de l’Homme et de la Coalition des Femmes

pour la Paix29.

L’opportunité à agir des Anarchistes Contre le Mur

C’est dans cet environnement que se forme, au début de l’année 2003, un groupe

d’Israéliens d’un type nouveau : les Anarchistes Contre le Mur. Inspirés par les activités de leurs

précurseurs, ils en reproduisent parfois les modes d’action comme lors de l’installation de tentes

protestataires dans le village de Mas’ha (Cisjordanie), tactique déjà employée par les futurs militants

de Gush Shalom devant le bureau du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1992. C’est également par le

27

Uri Avnery a été député à la Knesset de 1965 à 1973 et de 1979 à 1981. Gush Shalom est né d’une manifestation contre

l’expulsion de 415 membres du Hamas vers le Liban, décidée par le gouvernement d’Yitzhak Rabin en 1992.

28 Voir le témoignage de David Shulman, Ta’ayush. Journal d’un combat pour la paix. Israël Palestine 2002-2005, Paris, Seuil,

2006.

29 Ces différents mouvements partagent de même un socle commun de revendications, à savoir le retrait d’Israël des

Territoires palestiniens occupés et la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Sur le groupe Machsom

Watch, voir également Karine Lamarche, « Sous le regard des mères; des militantes israéliennes pour les droits de l'homme

aux checkpoints de Cisjordanie », Mémoire de DEA, EHESS, 2005, sous la direction de Michel Offerlé.

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biais de Ta’ayush que ces jeunes militants font pour la première fois l’expérience des Territoires

palestiniens. Ils en partagent les revendications et les objectifs essentiels : mettre un terme à

l’occupation israélienne des Territoires palestiniens, afin d’établir l’égalité des droits entre

Palestiniens et Israéliens.

Néanmoins, la participation accrue de ces militants dès 2003 semble s’expliquer par la

modification soudaine du système des opportunités politiques en Israël et dans les Territoires

palestiniens. Après le déclenchement de la seconde Intifada en septembre 2000, l’élection d’Ariel

Sharon au poste de Premier ministre en 2001 s’inscrit dans la continuité d’une campagne électorale

menée sur le thème de la sécurité. Le gouvernement d’union nationale, constitué de membres du

Likoud ainsi que du Parti Travailliste, approuve en juin 2002 la construction d’une barrière de sécurité

devant permettre un contrôle accru des déplacements de Palestiniens vers Israël dans le cadre de la

lutte contre les attentats-suicides. Le consensus national qui semble émerger dans la société

israélienne autour du principe même de la construction du mur s’accompagne alors d’un

militantisme accru de la part de la frange radicale du mouvement de la paix. La faiblesse de la

mobilisation en Israël pousse certains jeunes militants à participer à des actions ponctuelles de

protestation contre le mur sur les sites de sa construction dans les Territoires palestiniens. En 2003,

Ta’ayush apparait comme la seule organisation ayant choisi d’orienter certaines de ses actions sur les

régions concernées par ces travaux, mais ses activités sont inscrites dans une posture avant tout

humanitaire et défensive de protection physique des Palestiniens. La couverture relativement

restreinte de la presse israélienne de l’époque dans un contexte international marqué par la guerre

en Irak, ainsi que la faible mobilisation de la gauche traditionnelle sur la question du mur, ont été

déterminants dans la mobilisation des Anarchistes Contre le Mur. La fenêtre d’opportunité politique

ouverte dans le premier trimestre de l’année 2003 a vu ces militants se saisir de l’espace de la

contestation en agissant, progressivement, sous la forme d’un groupe autonome.

L’étude de la structure des opportunités politiques et de l’apparition des Anarchistes Contre

le Mur en termes d’opportunité à agir ne doit pas occulter la question des perceptions qu’ont les

acteurs de cette structure30. Alberto Melucci, dans son travail sur la dimension relationnelle de

l’identité collective, souligne le rôle de la capacité d’auto-identification des acteurs31. L’existence

propre des Anarchistes Contre le Mur tient en effet à la possibilité qui leur était alors offerte de se

30

Sur le concept de perception, voir notamment Robert Jervis, Perception and Misperception in International Politics,

Princeton, Princeton University Press, 1976.

31 Alberto Melucci, Challenging Codes. Collective Action in the Information Age, Cambridge, Cambridge University Press,

1996, p. 77.

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distinguer de la majorité de la société israélienne comme de l’ensemble des autres groupes du

mouvement de la paix. Le processus d’ « identization » décrit par Melucci pour qualifier la « façon

introspective (self-reflexive) et construite avec laquelle les acteurs contemporains tendent à se

définir » était nécessairement plus délicat à l’égard de Ta’ayush32. L’un d’entre eux y voit une

différence organisationnelle décisive sur la capacité à agir du groupe :

« Si nous sommes différents de Ta’ayush, je pense que c’est par le rythme et le type de

tâches effectuées. Ta’ayush était bien mieux organisée, avec de meilleurs comités, de

meilleurs processus [de décision], ce qui signifiait également que tout devait être planifié

longtemps à l’avance. Le processus de planification était plus long, et la réponse moins

rapide. Avec nous, parce que nous sommes moins structurés, nous pouvons recevoir un

appel la veille et cependant rassembler des personnes pour une manifestation » 33

.

La singularité des Anarchistes Contre le Mur semble en effet liée à leur capacité réactive, qui

s’explique tant par la structuration non hiérarchique du groupe soulignée ici que par la disponibilité

plus importante de ses militants, souvent étudiants, universitaires ou indépendants, qui bénéficient

de contraintes professionnelles réduites. Outre la rapidité d’action, la différenciation opérée se

fonde sur le choix des modes d’action effectué par ces militants. Alors que l’activité de Ta’ayush

demeure principalement axée sur le soutien humanitaire et la présence d’Israéliens dans des actions

dites de « bouclier humain », celle des Anarchistes s’inscrit plutôt dans une démarche de

participation active aux actions de manifestation organisées en Cisjordanie et vise souvent à faire

obstacle aux travaux de construction du mur. Le regard que portent les Anarchistes Contre le Mur sur

leurs propres actions dénote ainsi la perception d’être le seul groupe « physiquement » actif dans les

Territoires palestiniens34. « Je dirais que nous sommes les plus militants », résume l’un d’entre eux35.

Avant 2003, les types d’actions menées par les groupes israéliens plus anciens apparaissent

routinisés par une certaine stabilité du contexte politique. Malgré les contraintes conjoncturelles

induites par la situation de conflit, la mise en place de schémas classiques d’intervention par ces

groupes, notamment dans les opérations de récolte des olives en Cisjordanie ou de manifestation en

32

Ibid.

33 Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur, dans une interview pour Just Vision, 19 septembre

2005 (http://www.justvision.org).

34 Entretien avec Yoav et Sarah, militants des Anarchistes Contre le Mur.

35 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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20

Israël, semble correspondre à l’institutionnalisation des modes d’action mise en évidence par Sidney

Tarrow36. En introduisant de nouvelles formes d’organisation et d’action dans le paysage

contestataire israélien, l’émergence des Anarchistes Contre le Mur bouleverse alors la mobilisation

traditionnelle du mouvement de la paix. En effet, la radicalité nouvelle de ces acteurs s’inscrit dans

une perspective véritablement politique, qui n’est plus seulement celle de la protection des droits de

l’Homme mais qui est résolument orientée vers la modification de la politique menée. L’utilisation de

l’action directe par les jeunes Anarchistes va dès lors remodeler en profondeur les conditions de la

contestation37. Dans une perspective dynamique, Patrice Mann souligne l’impact que peut produire

le développement de nouvelles techniques protestataires sur la structure du jeu : l’émergence de

nouvelles grilles de lecture s’impose alors à l’ensemble des acteurs du conflit, contraints de s’adapter

à l’intervention des nouveaux venus38. Ce processus ne se fait pas sans peine, et la réaction méfiante

que j’ai pu observer chez certains militants de Ta’ayush en est peut-être significative : peu

enthousiastes à répondre aux questions que je souhaitais leur poser, ils dissimulaient mal l’irritation

que semblait leur causer l’intérêt porté par un observateur extérieur à l’égard des Anarchistes Contre

le Mur. Anecdotique, cette observation n’en soulève pas moins des interrogations sur les perceptions

mutuelles entre des groupes engagés dans un même type de mouvement social. Des recherches

approfondies sur ce sujet seraient certainement nécessaires pour en comprendre les dynamiques au

sein même du mouvement de la paix.

B. Du camp de Mas’ha à la formation d’un groupe

On ne saurait étudier les Anarchistes Contre le Mur en tant que groupe sans saisir, au

préalable, les conditions précises les ayant encouragés à s’identifier comme tel. Nous avons mis en

évidence la centralité de la structure des opportunités politiques dans la mobilisation de certains

Israéliens en 2003 ; il convient à présent d’étudier les modalités de leurs premières actions pour

pouvoir aborder, ensuite, la question du processus de nomination du groupe qui en a résulté.

36

Sidney Tarrow, Power in Movement. Social Movements, Collective Action and Politics, Cambridge, Cambridge University

Press, 1994, pp. 193-198.

37 Les modalités de l’action directe effectuée par les Anarchistes Contre le Mur seront détaillées ultérieurement, voir Partie

2 - Chapitre 4 : L’identité par l’action, consacré à l’impact des modes d’action retenus dans la formation de l’identité

collective.

38 Patrice Mann, « Les manifestations dans la dynamique des conflits », in : Favre Pierre (Éd.), La Manifestation, Paris,

Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, pp. 271-277.

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Mas’ha ou l’émergence d’une coopération durable

Le camp de Mas’ha est un élément central du processus de constitution de l’acteur cher au

sociologue Hank Johnston39. Au début de l’année 2003, la publication par Israël d’actes de

confiscation de terres dans le village de Mas’ha, situé à l’ouest de Salfit dans la partie nord-ouest de

la Cisjordanie, laisse présager l’imminence de la construction du mur à cet endroit. A quelques

kilomètres plus au nord, autour de la ville palestinienne de Qalqilya et notamment dans la région du

village de Jayyous, les travaux de construction avaient déjà suscité dès septembre 2002 l’organisation

de manifestations auxquelles s’étaient joints plusieurs Israéliens et militants étrangers, dits

« internationaux ». A Mas’ha, les Palestiniens envisagent alors de se mobiliser, et font appel aux

militants de l’International Solidarity Movement (ISM) et de l’organisation International Women’s

Peace Service (IWPS), ainsi qu’aux groupes israéliens déjà actifs dans la région40. Les témoignages

recueillis indiquent que l’idée d’une participation israélienne aux manifestations organisées à Mas’ha

avait été d’abord suggérée par les militants étrangers, puis rapidement adoptée par les Palestiniens.

En avril 2003, ces différents groupes décident conjointement de l’organisation d’un camp de

protestation non-violent sur le site même de la construction du mur. Des tentes sont alors érigées

afin d’y permettre une présence continue de Palestiniens, d’Israéliens et d’étrangers. Parmi les

Israéliens présents se trouvent notamment ceux que l’on appellera dès lors « les Anarchistes », bien

que l’appellation du groupe n’ait pas encore été formulée. L’idée d’une coalition contre le mur se fait

jour parmi les participants, et se concrétise par la mise en œuvre d’un réseau de communication par

téléphone ainsi que par une liste de diffusion visant à organiser la présence permanente d’Israéliens

dans le camp. Le 3 mai 2003, une manifestation regroupant plusieurs centaines de personnes célèbre

le premier mois de maintien du camp. Tandis que l’activation des réseaux de mobilisation israéliens

est effectuée, la perspective de leur participation accrue est perçue favorablement par les

Palestiniens de Mas’ha :

« A ce moment là, nous avions beaucoup d’Israéliens. Le message ne visait pas

seulement la communauté internationale. Pour susciter des changements… Le

39

Hank Johnston, « Let’s Get Small : The Dynamics of (Small) Contention in Repressive States », Mobilization: An

International Journal, 11 (2), juin 2006, pp. 195-212.

40 IWPS-Palestine est un mouvement de femmes, pour la plupart étrangères, agissant essentiellement dans le nord de la

Cisjordanie. Leurs objectifs sont précisés comme suit : « fournir un accompagnement aux civils palestiniens, rendre compte

et intervenir de façon non-violente dans les cas de violations des droits de l’Homme, soutenir les actes de résistance non-

violente en vue de mettre un terme à l’Occupation militaire illégale et de s’opposer au Mur de l’Apartheid » (site internet

d’IWPS-Palestine, http://www.iwps-pal.org).

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changement ne viendra pas de l’extérieur, il viendra de l’intérieur. Tu ne voteras pas en

Israël. Nous avons souligné ce point au cours d’une discussion : l’élément important dans

cette lutte, ce sont les Israéliens. Il s’agit de dire aux Israéliens que ce qui se passe ne va

pas dans le bon sens, et que cela les affectera dans l’avenir. Ils sont ceux qui peuvent

changer les choses, c’est pourquoi nous avons davantage concentré nos efforts sur les

Israéliens que sur les internationaux » 41

.

Le camp de Mas’ha

A mesure que le camp perdure se développent les liens personnels entre les participants

réguliers, consolidés par la formation d’un vécu commun au sein du camp et dans leurs interactions

avec les forces militaires israéliennes. Cette expérience collective, interrompue le 1er août 2003 par

l’arrestation des militants présents, a été décisive à plusieurs égards. Tout d’abord, elle a vu naître la

participation de nouveaux militants, souvent jeunes et peu initiés à l’action dans les Territoires

palestiniens, mobilisés par l’activation d’un réseau d’interconnaissances en Israël. L’un d’entre eux,

futur militant des Anarchistes Contre le Mur, raconte ainsi son expérience :

« Ça a changé notre vie. Jusque là nous étions des activistes en Israël, qui luttaient pour

la Palestine et faisaient des choses, mais avions peur de traverser la frontière. Et puis

avec ces quatre mois passés à vivre là-bas, à dormir avec des Arabes, à prendre nos

41

Entretien avec Raad Amer, Palestinien originaire de Mas’ha.

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repas avec des Palestiniens, à créer ensemble… Cela a vraiment changé notre façon de

penser, nous avons vaincu nos peurs » 42

.

L’émergence d’une nouvelle minorité active se fonde également sur un mode d’action

novateur, initié dans les derniers jours du camp de Mas’ha. En effet, en juillet 2003, la décision de

déplacer le camp établi vers le jardin d’une maison située sur le tracé du mur et menacée par un

ordre de confiscation comportait, pour la première fois, l’idée d’une action directe visant à empêcher

physiquement la construction du mur. Ce mode d’action allait être reproduit quelques semaines plus

tard, dans le village voisin de Deir Ballut, lorsque ces mêmes militants décidèrent d’établir un « Camp

de protestation alternatif contre le mur de l’apartheid » dans son école menacée de démolition. La

présence des Israéliens aux côtés des Palestiniens prend alors une dimension nouvelle : plus qu’un

acte de solidarité et de visibilité dans la mobilisation palestinienne, elle défie les autorités

israéliennes en interrompant momentanément la construction du mur par l’usage de l’action directe.

Enfin, la coopération établie à l’occasion du camp de Mas’ha instaure un climat de confiance durable

entre militants israéliens et palestiniens, point de départ des mobilisations conjointes entreprises

dans les mois qui suivront. A partir de 2003 se produisent en effet ce que Hank Johnston appelle des

« épisodes résistants », c’est-à-dire des actions contestataires situées dans le temps et dans l’espace

selon les sites de construction du mur43. Ces actions, initiées à Mas’ha et à Jayyous, s’étendront

progressivement vers le sud dans les villages de Deir Ballut, Az-zawiya, Budrus, Deir Qaddis,

Kharbatha, Bil’in, Beit Sira et Biddu, soit la plupart des villages situés sur le tracé du mur au nord de

Jérusalem. La présence accrue des Anarchistes Contre le Mur dans cette région n’est pas sans

susciter la méfiance de certains villageois, pour des raisons multiples liées tant à leur citoyenneté

israélienne qu’aux craintes de voir leurs habitudes vestimentaires et relationnelles (entre hommes et

femmes) affecter les traditions palestiniennes. Toutefois, c’est à l’initiative des Comités populaires

contre le mur instaurés dans les villages palestiniens que sont organisées les premières réunions

communes, sur la base des contacts établis par les villages voisins avec les Anarchistes:

« D’autres villages avaient entrepris des actions avant nous, nos voisins, Budrus, Biddu,

Mas’ha, Az-zawiya et Salfit, et nous avons un autre Comité contre le mur, pas à Bil’in

mais pour l’ensemble de la Cisjordanie. C’est ce comité qui nous a donné les

coordonnées, en nous les décrivant comme des personnes de confiance avec qui prendre

42

Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur.

43 Hank Johnston, « Let’s Get Small… », op.cit.

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24

contact pour organiser de vraies actions. Nous avons noté les numéros de téléphone, et

nous les avons appelés » 44

.

L’action des Anarchistes Contre le Mur prend ainsi la forme de micro-mobilisations locales,

au sein de villages devenus les « points focaux » de la lutte contre l’occupation israélienne des

Territoires palestiniens45. Avec l’extension des sites de construction du mur dans le sud de la

Cisjordanie, la participation des Anarchistes Contre le Mur aux actions palestiniennes s’est encore

diversifiée. Sollicités parfois simultanément au nord-ouest de Jérusalem et dans la région d’Hébron,

au sud de la Cisjordanie, ils sont à l’évidence parvenus à légitimer l’existence autonome de leur

groupe et sa participation aux actions de protestation dans un grand nombre de villages de l’ouest de

la Cisjordanie.

Le 26 décembre 2003 comme événement

L’enquête rétrospective effectuée auprès des Anarchistes Contre le Mur et de leurs

partenaires palestiniens permet de rendre compte du processus de formation du groupe, mais ne

parvient pas à saisir les perceptions qu’avaient à un moment t les acteurs de l’existence, ou non, de

ce groupe. En d’autres termes, il est difficile d’identifier l’apparition des Anarchistes Contre le Mur,

en tant qu’ensemble cohérent d’individus conscients de leur appartenance au groupe, à un

événement précis. Il semble toutefois que la démarche de nomination entreprise par ces militants au

cours de l’année 2003 dénote une tentative de représentation du groupe dirigée vers l’ensemble des

acteurs du conflit, y compris les media israéliens, palestiniens et étrangers. A plusieurs reprises, les

noms « Anarchistes Contre la Barrière », « Juifs Contre les Ghettos » et « Anarchistes Contre les

Murs » apparaissent dans des communiqués produits par les auteurs d’actions directes contre la

barrière de séparation dans la région de Mas’ha, entre juillet et décembre 2003. Si le processus

d’auto-identification est difficilement isolable, il semble en revanche qu’il soit intervenu avant le 26

décembre 2003, date à laquelle la médiatisation de ce groupe comme acteur du conflit rendra son

existence inéluctable.

Le 26 décembre 2003, un communiqué des « Anarchistes Contre le Mur » est en effet

transmis aux media, qui annonce une action conjointe d’activistes israéliens, palestiniens et

44

Entretien avec Abdallah Abu Rahma, Coordinateur du Comité populaire contre le mur de Bil’in.

45 Anthony Oberschall utilise l’idée de « points focaux » pour décrire les points sensibles autour desquels sont focalisées les

attentes, selon une situation ponctuelle créée par un contexte spécifique, ici la mise en œuvre des travaux de construction

du mur. Anthony Oberschall, Social Conflict and Social Movements, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1973, p. 139.

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25

internationaux dans le village de Mas’ha. Les images filmées ce jour-là montrent un groupe de jeunes

Israéliens tentant d’ouvrir une large porte grillagée du mur de séparation au moyen de cisailles et de

secousses prolongées sur cette porte46. « Tout au long du mur qui emprisonne, les portes restent

fermées et les résidents palestiniens n’ont plus aucun accès à leur unique source de revenus. L’armée

est présente aux portes [du mur de séparation] du village de Mas’ha […] mais nous ne savons pas

comment la confrontation entre l’armée et les activistes se terminera », explique le communiqué. La

situation se détériorera rapidement : la porte est ouverte, mais plusieurs militants sont blessés par

les tirs de l’armée israélienne. Parmi eux, l’Israélien Gil Na’amati, blessé aux deux jambes, tombe

dans le coma et sera hospitalisé pendant plusieurs semaines. L’usage de balles réelles par l’armée à

l’encontre de citoyens israéliens crée un précédent controversé au sein de la société israélienne.

Largement médiatisé, l’événement suscite également l’organisation de plusieurs manifestations par

les militants présents à Mas’ha, rejoints par des sympathisants et militants du mouvement de la paix,

à Tel Aviv. Un tract distribué devant le Bureau Israélien de la Guerre le 29 décembre 2003 dénonce

les conséquences de la construction du mur sur les Palestiniens de Cisjordanie :

« Non aux ghettos ! Non aux murs entre les peuples ! A bas l’occupation ! Hier, nous

avons vécu la réalité de nos frères palestiniens. En tirant sur des activistes israéliens,

l’armée israélienne a franchi une ligne rouge qu’elle n’avait jamais franchie auparavant,

mais cela doit nous rappeler les atrocités quotidiennes commises par l’armée dans les

régions occupées. Ce week-end aussi, les meurtres, les emprisonnements, l’asphyxie

continuent. Leurs tirs ne nous empêcheront pas de continuer à résister activement au

Mur de l’Apartheid construit sous nos yeux » 47

.

L’événement suscite de nombreuses réactions dans la sphère politique. Tandis que le leader

du Parti Travailliste Shimon Peres s’entretient avec le père de Gil Na’amati, Yossi Beilin estime quant

à lui que le soldat l’ayant blessé aurait du refuser d’obéir aux ordres de son commandement48. La

46

Il s’agit des dernières images du film Enraged réalisé par Eyal Eithcowich en 2006, op.cit.

47 Tract du 29/12/2003, répertorié par la Fédération des Anarchistes Communistes italienne (Federazione dei Comunisti

Anarchici) dans le document du 14/10/2004 intitulé « We are all Anarchists against the Wall ! », disponible sur leur site

internet.

48 Jerusalem Post, « IDF probes shooting of fence protesters », 28/12/ 2003. Yossi Beilin est membre du parti israélien de

gauche Meretz.

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presse israélienne et internationale consacre alors l’existence du nouveau groupe par la publication

de nombreux articles décrivant Gil Na’amati comme un membre des « Anarchistes Contre le Mur »49.

Interrogés à ce sujet, les militants rappellent souvent que le nom « Anarchistes Contre le Mur » était

celui du communiqué de presse diffusé le 26 décembre 2003, mais qu’aucun nom définitif n’avait

encore été décidé :

« Le groupe était si peu structuré que le nom en changeait chaque semaine. A chaque

fois qu’un communiqué de presse était fait, quelqu’un choisissait un nom. C’était d’abord

les « Juifs Contre les Ghettos », puis plus tard les « Anarchistes Contre le Mur » » 50

.

« Les médias nous ont demandé qui nous étions. C’est là que, certains d’entre nous étant

anarchistes et d’autres communistes, l’on s’est donné comme nom « Anarchistes contre

le Mur » » 51

.

L’identité publique véhiculée par ce nom est à l’évidence bien éloignée de celle qui aurait caractérisé

des « Juifs Contre les Ghettos ». Les media israéliens ont, en ce sens, joué un rôle central de

coproduction de la réalité tout en délestant les militants du travail de nomination propre à chaque

organisation. Peu valorisé par le schème interprétatif dominant, le caractère « anarchiste » du

groupe n’a pourtant pas fait l’objet d’une remise en cause explicite de la part de ses militants. La

visibilité acquise en est en partie l’explication :

« Le fait que le nom soit connu et reconnu, y compris par les Palestiniens, nous

encourageait à le conserver. De plus, si vous portez un nom faisant penser que vous êtes

fou, vous n’avez plus à vous préoccuper de relations publiques, ce qui est à mon avis

plutôt un avantage pour quelqu’un voulant véritablement agir sur le terrain. Nombre

d’organisations politiques et de mouvements sont pris en otages par les relations

49

Voir notamment : United Press International, « Israel shoots two peace demonstrators », 26/12/2003; BBC Worldwide

Monitoring, « Israeli army uses gas grenades at rally; “anti-fence anarchists” fired », 27/12/2003; AFP, « Soul-searching in

Israel over shooting of West Bank barrier protestor », 28/12/2003; Le Monde, « Des tirs de Tsahal sur un Israélien ont lancé

un vif débat en Israël », 29/12/2003; The Financial Times, « Shooting of Israeli protester sparks furor peace demonstration»,

29/12/2003; Christian Science Monitor, « Shooting of activist spurs Israeli scrutiny », 29/12/2003; The New York Times,

«Soldiers shoot Israeli protestor at barrier, and furor follows », 29/12/2003.

50 Kobi Snitz, interview pour Just Vision, op.cit.

51 Michal Raz, interview avec Robert Kissous, op.cit.

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publiques, et ne peuvent plus agir ou parler sans prendre en considération les relations

publiques. Nous sommes détachés de ces préoccupations 52

».

Bien que l’intérêt suscité dans les media à leur égard ne soit pas indifférent aux Anarchistes

Contre le Mur, l’identité publique de leur mouvement semble moins déterminante dans ce discours

que l’impact de la médiatisation du mouvement de contestation dans son ensemble. Les

communiqués de presse qu’ils publient ainsi sont souvent assortis d’une invitation aux media à venir

« constater par eux-mêmes » les implications de la construction du mur dans les Territoires

palestiniens53.

Les effets de la nomination du groupe sur ses propres militants méritent toutefois d’être

évoqués. Si nombre d’entre eux hésitent à se réclamer d’une idéologie anarchiste, leurs lectures et

l’intérêt accru qu’ils portent aux principes ainsi qu’aux formes d’organisation anarchistes, constatés

au cours de l’enquête de terrain, révèlent le poids de la représentation publique sur leurs

orientations. Sarah, militante des Anarchistes Contre le Mur interrogée lors de son passage à Paris en

janvier 2007, avouait sa curiosité récente à l’égard des mouvements anarchistes passés et présents

ainsi que sa volonté de se procurer plusieurs ouvrages à ce sujet au sein de la Librairie du Monde

Libertaire du XIe arrondissement, tout en se définissant elle-même comme une militante anarchiste

« en devenir ». Le sentiment d’appartenance au groupe, d’autant plus prononcé que celui-ci

demeure minoritaire et marginalisé à l’intérieur de la société israélienne, semble également

participer de cette volonté d’appropriation de l’identité publique. Décrit par Ian Hacking en termes

de fabrication des personnes, le processus de formation du groupe qui se poursuit après sa

nomination s’appuie en outre sur l’existence préalable d’un réseau d’individus déjà familiarisés aux

idées anarchistes. La question des trajectoires militantes et des modalités de l’engagement individuel

se pose alors, afin de mettre en évidence la dynamique nouvelle suscitée par la mobilisation des

Anarchistes Contre le Mur dans le mouvement de la paix.

52

Kobi Snitz, interview pour Just Vision, op.cit.

53 Ainsi les communiqués des 25/12/2003, 29/12/2003 et 02/01/2004, voir le dossier « We are all Anarchists against the

Wall ! », Federazione dei Comunisti Anarchici, 14 octobre 2004.

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28

Chapitre 2 :

Vers un renouveau du paysage contestataire israélien

********

De la mobilisation à la participation, le militantisme des Anarchistes Contre le Mur sera

analysé à travers deux perspectives distinctes. Nous aborderons tout d’abord l’étude de

l’engagement comme démarche individuelle, en nous appuyant sur les entretiens réalisés lors de

l’enquête de terrain ainsi que sur des interviews données par les militants au cours de ces quatre

dernières années. Les trajectoires militantes ainsi isolées montreront alors la pertinence d’une

approche en termes de réseaux, susceptible de mieux rendre compte des engagements différenciés

des individus.

A. Traverser le mur : le choix difficile de l’engagement

Pour les militants des Anarchistes Contre le Mur, participer à des actions menées dans les

Territoires palestiniens implique de franchir une double barrière. La première, physique et

géographique, se concrétise par une succession de fils barbelés, de murs en béton et de checkpoints

qui symbolisent le passage du territoire israélien vers les terres de Cisjordanie. A celle-ci s’ajoute une

barrière psychologique, induite par le contexte propre au conflit israélo-palestinien, et à laquelle les

Israéliens sont diversement confrontés selon l’environnement dans lequel ils évoluent. Comprendre

les conditions dans lesquelles se développe le militantisme des Anarchistes Contre le Mur, tout en

évitant l’écueil d’une approche par trop psychologisante, s’avère à ce stade indispensable. « Il est

difficile de comprendre ce qui pousse des gens ordinaires, vivant calmement dans le centre du pays,

à se laisser entraîner dans ce rituel quotidien et parfois à renoncer à leur liberté », note Asafa Peled

dans le quotidien Yediot Aharonot54. La question soulevée par la journaliste rejoint celle, plus

générale, de l’engagement dans un militantisme moral. Cette notion, introduite en France par

Emmanuelle Reynaud, distingue au sein des mouvements sociaux les membres potentiellement

bénéficiaires de la satisfaction de leurs revendications, des membres par conscience mettant leur

savoir-faire militant de même que leurs ressources personnelles au service d’une cause ne les

54

Asafa Peled, « Outside the Fence : Interview with three of the Anarchists Against the Wall », Yediot Aharonot,

14/04/2006.

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concernant pas directement55. La distance séparant les militants israéliens de la cause pour laquelle

ils s’engagent doit cependant être relativisée, du fait de la proximité géographique évidente, mais

aussi de la prégnance du conflit sur la société israélienne : davantage que les attentats-suicides

perpétrés à Tel Aviv, les obligations militaires auxquelles sont soumis les Israéliens font de chacun

d’entre eux un acteur potentiel du conflit, contraint par conséquent de se positionner en termes

politiques sur les modalités de sa gestion par le gouvernement et l’armée israéliens56. Le contexte

politique, nous l’avons vu, a particulièrement encouragé les militants des Anarchistes Contre le Mur à

se mobiliser. Cet élément d’explication s’avère néanmoins insuffisant pour répondre à la question du

« pourquoi » de la mobilisation que nous nous posons. Contexte collectif, il n’envisage pas la

particularité de contextes individuels que nous suggère Doug McAdam : l’activisme se produit « à

l’intersection de la biographie et de l’histoire », lorsque « biographies et identités sont modifiées en

accord avec la perception de nouveaux impératifs historiques », explique t-il57.

Des contextes individuels propices à l’engagement

L’étude des trajectoires individuelles de quelques militants révèle une certaine homogénéité

des contextes socio-culturels. La créativité de l’acteur est limitée, nous rappelle Bourdieu, et

les structures sociales dans lesquelles est enraciné l’individu déterminent en partie la palette des

actions qui lui sont disponibles58. Nombre des militants interrogés sont issus d’un milieu familial

propice à l’engagement politique. Yonatan Pollak cite à cet égard l’activisme de son grand-père

Nimrod Eshel, leader d’une révolte de marins dans les années 1950, et la participation ponctuelle de

ses parents à des manifestations : « La première manifestation à laquelle je suis allé, j’avais deux

mois. Pour ce qui est de la première dont je me souvienne, j’avais cinq ou six ans »59. Kobi Snitz

raconte de même son enfance dans un kibboutz proche du parti ouvrier Mapam, dont les campagnes

électorales étaient activement suivies par l’ensemble des habitants du Kibboutz. De fait, la plupart

des Anarchistes Contre le Mur ont été élevés dans un environnement familial de gauche,

communiste ou travailliste, dont ils ont en partie conservé le cadre interprétatif. Pour certains

55

Emmanuelle Reynaud, « Le militantisme moral », in : Henri Mendras (Éd.), La Sagesse et le désordre, Paris, Gallimard,

1980, pp. 271-286.

56 Les obligations militaires touchant les citoyens israéliens âgés de plus de 18 ans sont généralement de l’ordre de 36 mois

de service militaire (sherut sadir) pour les hommes et de 21 mois pour les femmes, suivis pour les hommes seulement de

périodes de réserve (milouim) d’environ un mois chaque année.

57 Doug McAdam, Freedom Summer, Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 11.

58 Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980.

59 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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d’entre eux, en rupture avec leur environnement familial, l’analyse semble plus complexe. Leila

Mosinzon exprime ainsi les difficultés suscitées par son engagement dans les relations qu’elle

entretient avec sa famille :

« Les membres de ma famille ont eu du mal à accepter mes activités, les choses que je

fais ou les endroits dans lesquels je vais. Cela a créé des situations dans lesquelles des

membres de ma famille m’ont sommée de ne plus aller en Cisjordanie, en menaçant de

rompre nos relations. Nous ne nous sommes plus parlé depuis longtemps, et j’espère… Je

sais que ces personnes traversent de nombreuses étapes dans leurs vies, cela amène du

changement, et ils changent tout le temps, nous changeons tout le temps. J’espère qu’un

jour ils m’aimeront à nouveau » 60

.

Dans le cas de Sarah, les représentations politiques ayant donné naissance à sa mobilisation

sont issues d’une socialisation plus tardive dans un environnement relationnel différent. C’est un ami

proche de Sarah qui l’a conduite à s’interroger sur ses propres croyances, en l’entrainant dans les

manifestations auxquelles il participait en Cisjordanie61. Son expérience révèle le déroulement d’un

processus de « désidentification » suivi d’une initiation à de nouvelles logiques cognitives, alors que

les tensions produites par la rencontre de cadres interprétatifs divergents étaient source d’un

découplage défini par Bourdieu en termes d’habitus déchiré ou clivé62. Les Anarchistes Contre le Mur

ne sont donc pas tous des « professionnels de la contestation », bien que certains profils militants

s’identifieraient volontiers à cette qualification : c’est le cas de Yonatan Pollak, dont les activités

militantes remontent à l’âge de 19 ans, et de Kobi Snitz, pour qui l’expérience des campus nord-

américains fut le point de départ d’une mobilisation « contre l’occupation » en Irak et dans les

Territoires palestiniens63.

Plus déterminants que les origines socio-culturelles, et bien que les deux ne soient pas

indissociables, ce sont le niveau d’éducation élevé et la sécurité économique relative dont ils

bénéficient qui semblent caractériser avant tout les militants du groupe. Ils appartiennent à ce que

Claus Offe appelle les « groupes sortis de la classe marchande », dont la situation sociale n’est pas

60

Leila Mosinzon, interview avec Eyal Eithcowich, Enraged, op.cit.

61 Entretien avec Sarah Assouline, militante des Anarchistes Contre le Mur.

62 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, pp. 187-193.

63 Sur la professionnalisation de la contestation, voir John Mac Carthy, Mayer N. Zald (Eds), The Trend of Social Movements

in America : Professionalization and Resource Mobilization, Morristown, General Learning Corporation, 1973.

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définie directement par le marché du travail64. Jeunes employés marginalement, étudiants,

universitaires ou artistes pour la plupart, nombre d’entre eux ont également étudié en Europe ou en

Amérique du Nord et parlent couramment l’anglais. Rendus disponibles par des activités

professionnelles peu contraignantes, l’engagement de ces militants s’explique enfin par le contexte

biographique qui les caractérise. La défense des droits de l’Homme « intervient à une étape

spécifique de la trajectoire de vie, surgissant souvent dans les interstices qu’ouvrent dans une

biographie les moments de rupture ou de réorientation professionnelle ou familiale », suggère Eric

Agrikolianski65. Dans le cas des militants les plus jeunes des Anarchistes Contre le Mur, la rupture est

souvent celle imposée par le service militaire qu’ils refusent d’effectuer : le choix politique opéré

consacre alors une transition sociale décisive, propice à une redéfinition de l’identité et à l’insertion

dans des réseaux de contestation qui encouragent la mobilisation de l’individu. Pour les plus âgés

d’entre eux qui ont effectué le service militaire quelques années auparavant, la rupture biographique

semble également exister, et ce généralement sous la forme d’un séjour à l’étranger. Les premières

actions auxquelles Yoav a participé en Cisjordanie ont eu lieu après son installation en France, de

même que la rencontre avec des groupes militant contre l’occupation des Territoires palestiniens à

Washington, D.C., semble avoir encouragé Kobi Snitz à se mobiliser :

« Aux Etats-Unis, il y avait un mouvement de désinvestissement sur le campus, et je suis

allé à l’une ou l’autre de leurs activités. Je crois avoir signé quelques pétitions. Il me

semble que c’était une antenne des « Students for Justice in Palestine ». C’était en

quelque sorte associé au mouvement général contre la guerre […]. C’était en 2002-2003.

Quand je suis retourné en Israël pour mon post-doctorat, j’ai entendu dire qu’il se passait

des choses en Cisjordanie, et cela m’intéressait plus que de simplement rentrer à Tel Aviv

donc je les ai rejoints66

».

64

Claus Offe, « Les nouveaux mouvements sociaux: un défi aux limites de la politique institutionnelle », Futur Antérieur,

(22), 1994, p. 34.

65 Eric Agrikolianski, « Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la LDH dans les années 1980 », Revue

française de science politique, 51 (1-2), février-avril 2001, pp. 27-46. Sur la notion de rupture biographique, voir aussi

Everett C. Hugues, Le Regard sociologique, (textes rassemblés par Jean-Marie Chapoulie), Paris, Edition de l’EHESS, 1996.

66 Kobi Snitz, interview pour Just Vision, op.cit.

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Le passage à l’acte, une nécessité

L’approche structurale ne permet pas de comprendre les modalités selon lesquelles des

agents jusqu’alors passifs font le choix de devenir actifs. Shai Carmeli-Pollak se rappelle ne pas avoir

été convaincu par les informations diffusées dans les media israéliens suite au déclenchement de la

seconde Intifada, et raconte ainsi les conditions dans lesquelles il a participé à sa première action :

« J’ai entendu parler de ce groupe, Ta’ayush. Un jour, aux informations, ils interrogeaient

une femme de Ta’ayush, elle expliquait ce qu’ils faisaient. J’ai cherché à les contacter, je

ne me rappelle plus comment, sur internet peut-être. On m’a donné ce numéro de

téléphone et j’ai appelé. Ils ont dit qu’il y avait une action dans le sud d’Hébron, et que je

pouvais venir. J’y suis allé, et depuis cela je me suis investi de plus en plus » 67

.

La connaissance sociologique des formes du passage à l’acte demeure opaque, « on ne sait pas

selon quelle modalité une disposition à se traduit par une action effective ou par l’inaction », résume

Olivier Fillieule68. Tentant d’y répondre, certains théoriciens du courant de la mobilisation des

ressources ont émis l’hypothèse de la rationalité des acteurs, pour définir la participation en tant que

résultat d’un calcul coûts-bénéfices. Olson propose ainsi un modèle fondé sur deux types

d’incitations, des incitations positives caractérisées par l’attente d’un bien strictement individuel

venant s’ajouter aux bénéfices de l’action collective, et des incitations négatives obligeant l’acteur à

participer69. L’hypothèse de la rationalité semble, à première vue, inadéquate dans l’étude des

« militants par conscience » que sont les Anarchistes Contre le Mur. En outre, la notion de cadre

d’injustice » définie par Gamson nous incite à analyser leur passage à l’acte comme le résultat d’un

sentiment d’injustice fort, qui justifierait le recours à des modes d’action non conformes au système

contesté70. Essentielle dans la compréhension du premier acte militant, cette idée ne semble

toutefois pas suffisante pour rendre compte des processus complexes qui encouragent, ou

restreignent, la participation à long terme des acteurs. Il apparaît en effet que les implications d’un

investissement prolongé dans les Territoires palestiniens sur le quotidien des militants amènent,

davantage que lors du premier acte, la nécessité d’un calcul rationnel des coûts et bénéfices

67

Entretien avec Shai Carmeli-Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

68 Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science

politique, 51 (1-2), février-avril 2001, pp. 199-215, p. 199.

69 Mancur Olson, Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1978.

70 William Gamson, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

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envisagés. L’analyse en termes de rationalité s’avère donc pertinente pour les militants réguliers des

Anarchistes Contre le Mur, sous deux conditions. Elle exige tout d’abord de prendre en compte le

poids des perceptions, considérant que les acteurs disposent d’un stock de connaissances issu de leur

socialisation et qui définira le cadre interprétatif selon lequel ils agissent : « L’engagement individuel,

comme tout processus social, balance entre faits objectifs et perceptions », rappelle Florence Passy71.

Il s’agit de mettre l’accent sur la capacité interprétative des agents, c’est-à-dire sur les significations

qu’ils accordent à leurs actes et aux situations de choix dans lesquelles ils se trouvent placés. D’autre

part, l’idée de rationalité appliquée à ce type de militants implique de considérer un calcul coûts-

bénéfices dans lequel les bénéfices ne sont pas envisagés individuellement mais collectivement, au

profit avant tout des Palestiniens initiateurs des actions menées.

Ainsi, la perception d’une efficacité individuelle dans l’action occupe une place centrale dans

la motivation à agir des Anarchistes Contre le Mur :

« Sachez que même dix Israéliens dans une manifestation peuvent changer le cours des

choses. Nous savons, d’après les déclarations de l’armée elle-même, que leur

comportement change dès lors qu’ils pensent que des Israéliens sont à proximité. Par

exemple, ils ne tireront pas à balles réelles quand des Israéliens sont là, et ils ne tireront

pas de balles en caoutchouc vers les endroits où des Israéliens peuvent se trouver. Un

petit nombre d’Israéliens peut donc faire la différence, et un grand nombre d’Israéliens

change certainement le cours des choses » 72

.

Outre l’impact de leur présence sur le déroulement des manifestations, les militants soulignent

également les résultats obtenus à plus long terme par leurs actions sur le traitement médiatique de

la question du mur de séparation en Israël :

« Notre succès pourra être évalué sur le long terme, pour savoir si notre mouvement a

été capable de générer quelques changements ou pas. Mais je pense que notre succès à

poser la question [du mur en Israël] peut être considéré. Quand nous avons commencé,

la question du mur ne se posait pas. C’était en 2002, et il était présenté comme un

moyen d’apaiser la situation, quelque chose de temporaire […]. Je pense qu’à travers la

71

Florence Passy, L’Action altruiste, Genève, Librairie Droz, 1998, p. 80.

72 Kobi Snitz, interview pour Just Vision, op.cit.

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lutte, le mur est devenu un problème. A présent, n’importe qui en Israël et n’importe qui

dans le monde qui s’intéresse de près ou de loin aux questions israélo-palestiniennes

peut être d’accord avec le mur, peut le condamner, mais sait que c’est un problème. Ce

n’est pas quelque chose d’insignifiant, c’est l’une des questions principales de

l’occupation. Et je pense que c’est un grand succès pour notre lutte » 73

.

Plusieurs militants interrogés insistent enfin sur l’impact durable de la coopération établie entre

Palestiniens et Israéliens dans la lutte conjointe contre le mur, ce qu’Uri Ayalon résume ainsi:

« La chose la plus efficace à faire face au mode de vie d’apartheid que nous connaissons,

c’est de créer une collaboration. S’ils veulent nous séparer, le plus efficace est peut-être

simplement d’être ensemble, de créer une communauté qui reliera des Israéliens et des

Palestiniens. A cet égard, les Anarchistes Contre le Mur ont engagé un véritablement

changement. De nombreuses communautés en Palestine nous perçoivent comme des

partenaires, comme partie prenante de leur combat. Nous aussi, à Mas’ha, nous nous

sentions comme chez nous, à Bil’in c’est aussi notre lutte. C’est l’un de nos succès, créer

une communauté74

».

Les bénéfices escomptés relèvent donc tant de la participation individuelle que de l’action collective,

et dénotent la perception par les acteurs d’une réalité sur laquelle il est possible d’agir75.

Parallèlement, la prise en compte des coûts individuels liés à l’engagement à long terme

s’impose aux militants. Conciliant contraintes objectives et contraintes perçues, la structure des

coûts possibles présente un large éventail de facteurs inhibiteurs dans le passage à l’acte.

Tout d’abord, la participation aux activités des Anarchistes Contre le Mur peut être source de

difficultés dans les rapports qu’entretient l’individu avec son environnement social et familial.

L’exemple de Leila Mosinzon évoqué précédemment est caractéristique des « principes de

73

Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

74 Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur.

75 Selon Alberto Melucci, cette perception s’appliquerait en particulier aux militants jeunes : les jeunes « deviennent des

acteurs de conflits, parce qu’ils parlent le langage du possible » : Alberto Melucci, Challenging Codes. Collective Action in the

Information Age, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 120.

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35

socialisation hétérogènes et parfois même contradictoires » évoqués par Bernard Lahire76. En

rupture avec les interprétations dominantes dans la société israélienne, les Anarchistes Contre le

Mur n’en font pas moins partie : « Nous sommes isolés politiquement, mais pas socialement. Nous

sommes plutôt bien insérés dans la société », rapporte Kobi Snitz77. Ces formes d’allégeances

multiples sont décrites par Philippe Gottraux en termes d’identités plurielles pouvant entrer en

conflit ou exiger des compromis : « L’insertion des agents dans le champ politique radical est en

tension avec les autres insertions de ces mêmes agents » 78. Les contraintes liées à l’environnement

du militant représentent néanmoins la facette subjective des coûts envisageables, et dépendent

largement du contexte individuel propre à chacun d’entre eux.

A ce premier élément s’ajoute une variété de contraintes liées à la pratique du terrain, et que

l’on peut répertorier selon les types de risques encourus, immédiats ou différés. Les premiers sont

ceux du moment manifestant, dont les participants prennent conscience à mesure que se forme

l’expérience collective. Le nombre élevé de blessures mais aussi leur gravité témoigne de la violence

de la confrontation qui les oppose aux forces militaires. Outre le cas de Gil Na’amati, sont souvent

citées les blessures par balles d’Itai Lewinsky le 21 mars 2004, de Matan Cohen le 24 février 2006, et

de Lymor Goldstein le 11 août 2006. Chaque manifestation porte son lot de blessés, palestiniens et

israéliens, dont la réunion de « débriefing » consiste généralement à évaluer le nombre. A la violence

physique vécue au cours de la manifestation s’ajoute parfois celle de l’arrestation, suivie le plus

souvent d’une nuit en centre de détention dans le cas des Israéliens. En amont, le risque principal

auquel font face les militants des Anarchistes Contre le Mur est celui d’une mise en examen que clôt

un procès parfois très long. Celui de Yonatan Pollak et d’une dizaine d’autres activistes du groupe à la

suite d’une manifestation dans les rues de Tel Aviv le 23 février 2004, et qui s’est achevé le 18 février

2007, a fait grand bruit au sein du mouvement de la paix. Tandis que la plupart d’entre eux seront

soumis à des travaux d’intérêt général allant de 80 à 120 heures, Yonatan Pollak a écopé d’une peine

de prison avec sursis de trois mois. Les Anarchistes Contre le Mur comptabilisent, en juin 2007, un

total de 63 inculpations, 3 condamnations et 5 acquittements, seule l’une d’entre eux ayant effectué

une peine de trois mois de prison ferme en 2006.

76

Bernard Lahire, L’Homme pluriel, les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998, p. 35 et p. 42.

77 Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

78 Philippe Gottraux, Socialisme ou Barbarie. Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre,

Lausanne, Payot, 1997, p. 182.

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Yonatan Pollak lors de l’ouverture de son procès, Tel Aviv, 2004

L’évaluation de l’opportunité d’agir par les acteurs est donc nécessairement celle d’un calcul

de l’impact escompté dans la satisfaction des revendications, en même temps qu’une prise en

compte des coûts individuels de l’engagement. « En fait, le plus souvent, l’action collective tend à

être orientée davantage par les chances de succès que les acteurs peuvent entrevoir que par les

coûts associés aux modes d’action accessibles » : l’hypothèse émise ici par Michel Dobry semble

confirmée par les militants interrogés, investis de longue date au sein des Anarchistes Contre le Mur

malgré les contraintes rencontrées79. A la question : « Etais-tu prêt à sacrifier ton œil pour la lutte

contre la barrière ? » que lui pose une journaliste, Matan Cohen, âgé alors de 17 ans, explique son

engagement comme une nécessité :

« Je ne pense pas que si quelqu’un m’avait dit que je serai blessé comme ça, j’aurais été

à la manifestation. Mais le risque d’être blessé ou tué plane toujours au dessus de la tête

de tout le monde. En ce qui me concerne, je continuerai à aller aux manifestations non-

violentes, car il n’y a pas d’autres choix. La barrière laisse des gens complètement

démunis, dans un total désespoir. Continuer la lutte est vital pour montrer que même

s’ils utilisent la violence quotidienne pour briser la lutte, ils n’y arriveront pas et ne nous

79

Michel Dobry, « Calcul, concurrence et gestion du sens. Quelques réflexions à propos des manifestations étudiantes de

novembre-décembre 1986 », in : Pierre Favre (Éd.), La Manifestation, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences

politiques, 1990, pp. 357-386, p. 368.

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feront pas taire. Je crois que les manifestations non-violentes ont beaucoup plus de

pouvoir que l’oppression violente80

».

La perception d’une obligation morale à agir est au cœur des explications données par les

militants pour caractériser leur engagement. L’une des lignes de défense adoptée lors de leurs

procès, mais rejetée par le tribunal, évoque en effet « un droit et une obligation d’enfreindre la loi, à

la lumière des choses accomplies par Israël en Cisjordanie »81. Les militants les plus actifs n’envisagent

pas de mettre un terme à leurs activités, quelles qu’en soient les conséquences juridiques, physiques

ou psychologiques :

« Aussi longtemps que je serai Israélien et que je vivrai ici, je ne pourrai pas être en paix

avec moi-même si je ne fais rien contre l’occupation. Et si jamais je devais faire ça

jusqu’à la fin de mes jours, j’espère que j’aurai toujours la force de continuer » 82

.

La nature de l’enquête de terrain, menée principalement auprès de militants actifs des Anarchistes

Contre le Mur, n’a cependant pas permis d’interroger les Israéliens qui auraient renoncé au

militantisme après avoir participé à des actions du groupe. Seul l’un d’entre eux, rencontré près de

Netivot (Neguev) dans la ferme écologique à laquelle il se consacre à présent, explique ainsi son

désengagement progressif :

« Au cours des dernières années, j’ai compris que ce n’était pas soutenable (sustainable),

d’être en permanence en Palestine, de s’exposer personnellement à la violence de

l’armée dans les manifestations… On ne peut pas le faire trop longtemps83

».

Un travail complémentaire auprès d’anciens militants permettrait sans doute d’approfondir

l’analyse du calcul coûts-bénéfices intervenant dans le passage à l’acte, afin de mettre en lumière les

raisons du désengagement militant ayant conduit certains Israéliens à se retirer de la scène

contestataire à laquelle appartiennent les Anarchistes Contre le Mur. Il s’agirait d’expliciter

davantage le poids des coûts physiques et psychologiques évoqués ici par Uri Ayalon, qu’ils soient

80

Matan Cohen, interview avec Asafa Peled, « Outside the Fence : Interview with three of the Anarchists Against the Wall »,

Yediot Aharonot, 14/04/2006.

81 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

82 Shai Carmeli-Pollak, interview avec Asafa Peled, « Outside the Fence…», op.cit.

83 Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur.

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directement liés au moment manifestant proprement dit ou issus de ses répercussions sur

l’environnement social et professionnel de l’individu.

B. Les Anarchistes dans un réseau élargi

L’observation des Anarchistes Contre le Mur révèle des niveaux de participation différents

selon les individus. Cette caractéristique, qui est le propre des organisations sociales, est ici

significative d’un fonctionnement en forme de réseau. Nous en étudierons les points saillants pour

comprendre la singularité de sa mobilisation au sein du mouvement de la paix.

Des sympathisants aux activistes, un engagement différencié

Le processus de conversion de la sympathie en actes n’étant pas égal pour tous, il apparaît

nécessaire de dépasser la dichotomie actif-passif pour rendre compte de ce que Florence Passy

appelle l’engagement différencié84. L’observation directe réalisée lors de l’enquête de terrain

constitue le point de départ de l’évaluation d’intensités différentes dans l’engagement, les entretiens

réalisés étant toutefois soumis aux perceptions qu’entretiennent les acteurs sur leur niveau de

participation, et insuffisamment représentatifs de la diversité constatée. Notons au préalable que les

Anarchistes Contre le Mur ne disposent pas d’une structure organisationnelle qui permette d’inclure

ou d’exclure des individus de l’organisation, en l’absence de système d’adhésion ou de cotisation

préalablement défini. A l’instar de nombreux militants interrogés, Michal Raz y voit d’ailleurs l’un des

attraits du groupe, considéré davantage comme un « cadre d’action » laissant chaque sympathisant

libre de participer ou non aux actions entreprises85. Mettre en évidence l’engagement différencié

nécessite donc de s’accorder sur des critères de classification des militants, tout en tenant compte la

porosité des frontières entre les différentes catégories. Le premier critère envisagé est celui du type

de militance, « à haut risque » ou « à faible risque », déjà utilisé pour caractériser les différentes

organisations du mouvement de la paix. Néanmoins, considérant que la plupart des actions menées

par les Anarchistes Contre le Mur relève de la militance à haut risque, et que le propre de ses

militants est d’y avoir participé une fois au moins, il apparaît que ce critère ne permette de distinguer

qu’entre militants et sympathisants, sans clarifier les niveaux de participation distincts selon les

84

Florence Passy, L’Action altruiste, op.cit.

85 Entretien avec Michal Raz, militante des Anarchistes Contre le Mur.

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militants. La question du temps consacré aux activités du groupe, principalement selon la fréquence

de l’engagement, semble plus appropriée. Certains individus ne participent aux actions menées dans

les Territoires palestiniens que de façon sporadique, lors de grandes manifestations symboliques

telle que celle organisée à Bil’in le 23 février 200786. La participation massive et la présence de

nombreux groupes du mouvement de la paix que l’on peut alors observer rend impossible

l’identification de ces individus à l’un d’entre eux. Leur nombre peut être évalué à quelques

centaines de personnes, que nous caractériserons encore de sympathisants des Anarchistes Contre le

Mur. La catégorie des « militants » correspondrait donc davantage à un engagement régulier,

concrétisé par une participation au moins mensuelle aux activités du groupe, et ne regrouperait

vraisemblablement pas davantage qu’une cinquantaine de personnes.

En son sein, un noyau dur d’environ une dizaine de personnes, que nous identifieront par le

terme d’ « activistes », manifestent un engagement continu dont plusieurs éléments permettent de

rendre compte. Tout d’abord, leur participation n’est pas restreinte aux activités menées dans les

Territoires palestiniens, mais prend forme en Israël lors de la préparation de ces activités. En contact

direct avec les Comités populaires contre le mur établis dans les villages palestiniens, ils organisent le

transport des Israéliens vers les lieux d’action et assurent le travail de coordination quotidien exigé

par l’organisation de l’action collective. Leur disponibilité et l’investissement personnel qu’ils

consacrent au groupe encouragent les militants israéliens et palestiniens à les identifier comme les

représentants patentés des Anarchistes Contre le Mur, et à les désigner comme interlocuteurs

privilégiés pour tout observateur extérieur, chercheur ou journaliste, qui manifesterait un intérêt

pour le groupe. Dans l’état actuel de la mobilisation, telle qu’observée entre janvier et juin 2007,

deux individus émergent par le rôle central qui est le leur au sein du groupe. Ils sont tous deux au

cœur du documentaire réalisé par Eyal Eithcowitch, et quoiqu’ils rechignent à être qualifiés de

leaders, ils n’en portent pas moins un certain nombre de caractéristiques. Le premier, Yonatan

Pollak, infographiste âgé de 24 ans et militant dans les Territoires palestiniens depuis 2002, est

aujourd’hui l’une des figures emblématiques du mouvement de la paix. Souvent cité par les

Palestiniens comme l’un des Israéliens les plus actifs à leurs côtés, il bénéficie également d’une

visibilité accrue en Israël et à l’étranger de par le nombre élevé d’arrestations qu’il a connues au

cours de ces dernières années. En février 2007, l’issue de son procès a ainsi fait l’objet de nombreux

commentaires dont un article détaillé dans le journal Ha’aretz, qui avait déjà publié son article « Le

désengagement, un écran de fumée » deux années auparavant87. Le second est Kobi Snitz, professeur

86

Cette grande manifestation visait à marquer l’anniversaire de deux années d’actions menées dans ce village.

87 « Leftist asks court for jail time after convicted of protesting illegally », Ha’aretz, 18/07/2007; Yonatan Pollak, « The

disengagement as smoke screen », Ha’aretz, 11/07/2005.

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de mathématiques à l’Université de Tel Aviv et militant des Anarchistes Contre le Mur depuis

décembre 2003, vers lequel les premiers interlocuteurs rencontrés aux prémices de l’enquête de

terrain m’ont rapidement orientée. Auteur d’articles publiés au sein de magazines anarchistes

étrangers, il est également cité par les militants des Anarchistes Contre le Mur et par les Palestiniens

rencontrés comme l’un des acteurs de référence du mouvement, en raison de son investissement

temporel important et de son rôle central dans l’organisation et la coordination des actions

militantes produites à l’intérieur des Territoires palestiniens. A titre d’exemple, il est le seul Israélien

ayant été pleinement associé par le Comité populaire de Bil’in à la préparation des deux Conférences

Internationales tenues dans ce village en février 2006 et mai 2007. Le profil militant de ces deux

personnages est significatif, en ce qu’il révèle les disparités d’engagement et de visibilité au sein du

mouvement. Malgré les efforts effectués par ses militants pour parvenir à un mode de

fonctionnement égalitaire et non-hiérarchique, la participation accrue de certains d’entre eux dans

l’organisation de l’action collective est source de dynamiques internes et externes favorisant

l’émergence de leaders de la contestation. Les exemples de Yonatan Pollak et de Kobi Snitz, dont les

professions exercées favorisent un investissement temporel dans les activités militantes supérieur

aux autres membres du groupe, illustrent l’existence de formes distinctes de militantisme. Davantage

que d’une structure hiérarchique pyramidale qui impliquerait un processus de décision de type

vertical, la silhouette interne du groupe semble procéder d’une succession de cercles concentriques

organisés autour d’un noyau restreint d’activistes et s’élargissant vers l’extérieur jusqu’au cercle des

sympathisants. Les variables caractérisant ces différents degrés d’engagement sont alors l’exercice

de prérogatives spécifiques dans la préparation et la mise en œuvre des activités militantes,

intrinsèquement lié au volume d’informations disponibles sur l’évolution du conflit et à l’intensité

des relations établies avec les acteurs palestiniens instigateurs des actions menées en Cisjordanie. Le

rôle exercé par les militants les plus actifs est ainsi primordial, en ce qu’il conditionne l’existence

propre du mouvement tout en lui conférant une visibilité décisive au sein du mouvement de la paix

et de la société israélienne dans son ensemble. Autour du noyau central se constitue en effet un

large bassin d’attraction, mobilisé par un réseau d’interconnaissance dense que les technologies de

communication utilisées permettent de solliciter de façon régulière. L’étude des groupes liés à ce

réseau sur lequel s’appuient les Anarchistes Contre le Mur et des modes de recrutement mis en

œuvre permettra de mettre en évidence la singularité de cette mobilisation récente par rapport aux

mouvements israéliens plus anciens.

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La mobilisation d’un réseau

La question posée ici est celle du secteur du mouvement social dans lequel les Anarchistes

Contre le Mur sont socialisés. L’approche en termes de réseaux, définis comme des mouvements

faiblement institutionnalisés obéissant à une logique associative et horizontale, semble pertinente

pour décrire les liens existant entre le groupe et son environnement88.

Les trajectoires militantes de certains membres des Anarchistes Contre le Mur révèlent les

liens étroits existant entre ce groupe et d’autres organisations du mouvement social israélien. Avant

de rejoindre les actions menées dans les Territoires palestiniens, plusieurs d’entre eux étaient

préalablement engagés dans des associations de défense des droits des animaux, telle que

l’organisation israélienne Anonymous for Animal Rights fondée en 1994. C’est notamment le cas de

Leila Mosinzon et de Yonatan Pollak, ce dernier étant par ailleurs issu du mouvement punk fréquenté

en Israël et aux Pays-Bas89. D’autres militants participaient au mouvement pour les droits des

homosexuels, porté notamment par l’organisation Black Laundry. Celle-ci se définit de façon

significative comme un groupe d’action directe composé de lesbiennes, de gays, de bisexuels, de

transsexuels et d’autres, luttant contre l’occupation et pour la justice sociale : « Kvisa Shchora [Black

Laundry] s’emploie à montrer le lien existant entre différentes formes d’oppression – notre propre

oppression en tant que personnes lesbiennes, gays et trans renforce notre solidarité avec d’autres

groupes oppressés »90. Le slogan « no pride in the occupation » (« pas de fierté sous l’occupation »),

employé initialement lors de la première gay pride organisée après le déclenchement de la seconde

Intifada, est aujourd’hui encore le mot d’ordre de Black Laundry. Yossi, également militant des

Anarchistes Contre le Mur, explique ainsi leur complémentarité :

« Nous essayons toujours de relier les luttes : la libération palestinienne, les droits des

animaux, les droits des homosexuels, la libération sexuelle, l’oppression du corps,

l’oppression capitaliste […]. Black Laundry n’a jamais mené d’actions à l’intérieur de la

Palestine. Les gens de notre groupe vont toujours aux manifestations palestiniennes,

mais nous n’avons jamais organisé nos propres activités là-bas. Il n’y a qu’à Mas’ha que

88

Sur la notion de réseau, voir Ariel Colonomos (Éd.), Sociologie des réseaux transnationaux, Paris, L’Harmattan, 1995.

89 Sur le profil militant de Leila Mosinzon, voir Asafa Peled, « Outside the Fence… », op.cit.Sur la défense des droits des

animaux chez Yonatan Pollak, voir l’entretien réalisé avec Yonatan Pollak.

90 Site internet de Black Laundry : http://www.blacklaundry.org.

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nous avions de bons contacts avec plusieurs femmes du village, et il y avait parfois des

réunions de femmes avec Black Laundry. C’est toujours très difficile » 91

.

Enfin, à l’instar de Michal Raz, certains militants des Anarchistes Contre le Mur se sont d’abord

investis au sein de New Profile, organisation visant à la démilitarisation de la société israélienne et

dont l’une des activités principales est l’aide juridique apportée aux jeunes refuzniks, ou encore de

Yesh Gvul, groupe pacifiste créé pour soutenir les soldats israéliens refusant d’obéir aux ordres de

nature répressive ou agressive92.

Non exhaustif, ce panorama des trajectoires individuelles ayant conduit certains Israéliens à

former ou à rejoindre les Anarchistes Contre le Mur témoigne de l’originalité du groupe. Issus d’un

vaste réseau souvent décrit comme constituant la gauche radicale israélienne, ils représentent à cet

égard un point de rencontre essentiel entre différents mouvements. La notion d’espace d’agrégation

développée par Alberto Melucci, ou encore l’idée de « réseaux de contacts entre militants de

collectifs différents » mise en avant par Eric Agrikolianski, permettent de rendre compte du travail de

coordination effectué par les Anarchistes Contre le Mur au sein de cet ensemble hétéroclite93. C’est

en effet sur ce réseau qu’ils s’appuieront pour mobiliser de nouveaux participants, avec la mise en

œuvre de divers moyens de communication et de recrutement. Le premier est la création d’une liste

de diffusion permettant l’échange d’informations pratiques sur l’organisation des actions, à laquelle

plusieurs centaines de personnes seraient inscrites selon ses modérateurs. Son efficacité peut être

évaluée au nombre élevé de participants : ils étaient plus d’une cinquantaine pour le seul mois de

juin 2007, avec un total de 129 interventions. Certaines informations échangées sur cette liste sont

en outre partagées avec les listes de diffusion d’autres groupes, notamment Ta’ayush, ou avec des

listes de diffusion plus générales consacrées à l’ensemble des actions menées par le mouvement de

la paix. Le rôle d’internet, central dans la mobilisation des militants, a encore été confirmé par la

création d’un site spécifique de coordination des actions sous la bannière kibush40, à l’occasion des

« 6 jours de protestation contre les 40 ans d’occupation » organisés du 5 au 11 juin 2007. La liste des

groupes participant à ce site internet est éloquente : aux côtés des Anarchistes Contre le Mur se

91

Yossi, interview avec Aaron Lakoff, « Israeli Anarchism – Being Young, Queer and Radical in the Promised Land », site

internet R.A. Forum (http://raforum.info).

92 Entretien avec Mikhal Raz, militante des Anarchistes Contre le Mur.

93 Alberto Melucci, « Mouvements sociaux, mouvements post-politiques», Revue internationale d'action communautaire,

(10), 1983, pp. 13-30. Eric Agrikolianski, « Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la LDH dans les

années 1980 », op.cit., p. 33.

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trouvent notamment Ta’ayush, Gush Shalom, New Profile, Coalition of Women for Peace, le Comité

Israélien Contre les Démolitions de Maisons (ICAHD), Yesh Gvul ou encore Indymedia Israël.

L’organisation de réunions participe également du travail de communication effectué par les

Anarchistes Contre le Mur. Aux réunions ne concernant que le groupe lui-même s’ajoutent des

réunions dites « de convergence » auxquelles participent de nombreux groupes, avec pour objectif

d’organiser des actions communes autant que d’informer l’ensemble des participants sur les activités

propres à chaque groupe. La coalition d’acteurs ainsi réunie, par le nombre accru de ses membres,

permet alors de créer des effets de seuil favorables à la visibilité et à la consolidation du pouvoir des

mouvements dans leur ensemble94.

La mobilisation d’un vaste réseau, composé tant des groupes du mouvement de la paix que

de ceux de la gauche radicale, voit ainsi les Anarchistes Contre le Mur réaliser le changement

d’échelle décrit par Sidney Tarrow, Charles Tilly et Doug McAdam95. Le processus est celui d’une

modification dans « le nombre et le niveau des actions contestataires coordonnées, menant à une

contestation plus large impliquant un nombre accru d’acteurs, et liant leurs revendications ainsi que

leurs identités » :

« A la première réunion de Tel Aviv, quand nous avons pour la première fois émis l’idée

de créer un ISM israélien, nous étions sept. A la manifestation de Mas’ha, je dirais que

nous étions une quinzaine de personnes […]. Aujourd’hui, je pense qu’il y a plus de 200

activistes inscrits sur la liste de diffusion, et lors des grandes manifestations, on peut

compter jusqu’à un millier d’Israéliens présents. Ils ne se considéreront pas tous comme

faisant partie des Anarchistes Contre le Mur, mais ils viennent à des manifestations des

Anarchistes Contre le Mur96

».

Ce changement d’échelle nécessite donc, de la part du noyau actif des Anarchistes Contre le

Mur, la réalisation d’un travail de communication et de coordination continu, facilité néanmoins par

le caractère local de ce réseau dont la plupart des participants sont situés à Tel Aviv. Le centre

d’information qui s’y trouve, similaire aux infoshops existants dans la plupart des grandes villes, est

94

Karen Cook, « Exchange and power in networks of interorganizational relations », The Sociological Quarterly, (18), hiver

1977, pp. 62-82.

95 « Scale shift », voir Doug McAdam, Sidney Tarrow, Charles Tilly, Dynamics of Contention, Cambridge, Cambridge

University Press, 2001, p. 311.

96 Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur.

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un point de rencontre essentiel pour les mouvements de la gauche radicale israélienne, qu’ils soient

pacifistes, anarchistes, écologistes, féministes, de défense des droits des homosexuels ou encore des

droits des animaux. La proximité locale des groupes et individus constituant le socle militant des

Anarchistes Contre le Mur ne suffit pourtant pas à en assurer la cohérence. La coalition construite

par les acteurs autour des Anarchistes est source d’une pluralité identitaire évidente, susceptible de

nuire à la légitimité d’agir du groupe en tant que tel. Face à cette hétérogénéité, la construction

sociale d’une identité collective s’est donc imposée aux militants, afin de garantir la cohérence

nécessaire à l’organisation de l’action collective.

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Exemples de trajectoires militantes

Yonatan Pollak (24 ans, infographiste)

Environnement familial : Militant, de gauche. Grand-père leader de la « révolte des marins » dans les années 1950, père acteur. Soutenu par sa famille.

Antécédents militants : Mouvements punks, anarchistes, défense des droits des animaux.

Première action dans les Territoires palestiniens : Manifestation contre le mur dans le village de Jayyous, en septembre 2002.

Militantisme au sein des Anarchistes Contre le Mur : Camp de Mas’ha, membre fondateur ; militant actif.

Kobi Snitz (34 ans, professeur de mathématiques)

Environnement familial : Communiste. Elevé dans un kibboutz proche du parti Mapam. Soutenu par sa famille.

Antécédents militants : Mouvements contre la guerre en Irak sur les campus nord-américains.

Première action dans les Territoires palestiniens : Manifestation contre le mur près de Mas’ha, le 26 décembre 2003.

Militantisme au sein des Anarchistes Contre le Mur : Depuis le 26 décembre 2003 ; militant actif.

Leila Mosinzon (31 ans, emplois divers)

Environnement familial : Non militant ; défavorable aux activités menées.

Antécédents militants : Défense des droits des animaux, Amnesty International.

Première action dans les Territoires palestiniens : Dans le village de Yanun, en 2003.

Militantisme au sein des Anarchistes Contre le Mur : Militante active de 2003 à 2006.

Michal Raz (22 ans, étudiante en philosophie)

Environnement familial : Mitigé.

Antécédents militants : Soutien aux refuzniks (New Profile).

Première action dans les Territoires palestiniens : A Jérusalem-Est, en 2004.

Militantisme au sein des Anarchistes Contre le Mur : Depuis 2004 ; militante active.

Uri Ayalon (27 ans, professeur d’histoire)

Environnement familial : Non précisé.

Antécédents militants : Défense des droits des animaux, de l’environnement et des droits des homosexuels (Queeruption).

Militantisme dans les Territoires Palestiniens : Depuis la mort de Rachel Corrie, en mars 2003.

Militantisme au sein des Anarchistes Contre le Mur : Membre fondateur ; militant actif pendant plusieurs années ; a à présent décidé de se consacrer à la protection de l’environnement.

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46

Partie 2

*********

La construction du « nous »

dans la diversité

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47

Les entretiens réalisés auprès de plusieurs militants des Anarchistes Contre le Mur révèlent

de fortes similitudes dans les réponses obtenues, significatives d’un schéma d’interprétation

commun. La notion d’identité collective que développe Alberto Melucci sera le point de départ de

cette seconde partie. Celui-ci la conçoit comme « une définition interactive et partagée produite par

un certain nombre d’individus (ou de groupes à une échelle plus complexe) concernant les

orientations de leur action ainsi que le champ des opportunités et des contraintes dans lequel

l’action se situe » 97. L’identité collective suggère ainsi une capacité des acteurs à analyser leurs

propres actions, c’est-à-dire à en évaluer les modalités et les objectifs dans un contexte donné.

L’existence d’une compréhension commune des lignes de conflit dans lesquelles s’engage le groupe

apparait en ce sens indispensable, dès lors qu’elle conditionne le choix des modes d’action retenus et

la cohérence interne entre les membres. Il en résulte l’émergence d’un collectif de pensée au sens de

Ludwik Fleck, c’est-à-dire d’une entité sociale dans laquelle l’élaboration puis le partage d’un style de

pensée par l’ensemble des agents est source d’harmonie98. Cette identité n’est toutefois pas

inhérente au groupe, et repose bien sur un processus complexe de framing, c’est-à-dire

d’élaboration de schémas d’interprétation par les acteurs eux-mêmes, au fil de pratiques sociales

reproduites sur le long terme99.

Considérer les Anarchistes Contre le Mur comme un groupe socialement construit nous

encourage donc à étudier les processus selon lesquels s’est progressivement forgée leur identité

collective. Cette analyse se déroulera en deux temps. Tout d’abord, nous nous intéresserons aux

représentations collectives spécifiques développées par les militants à l’égard du conflit israélo-

palestinien, à partir de l’analyse des discours produits depuis la formation du groupe (Chapitre 1).

Dans un second temps, nous envisagerons l’action comme une ressource essentielle à la cohérence

du mouvement, en tant qu’elle témoigne d’un consensus sur les modes d’action adoptés et qu’elle

permet la formation d’une expérience commune entre les militants (Chapitre 2). Cette double

perspective nous permettra de comprendre les dynamiques propres à la construction de l’identité

collective, sur laquelle repose l’identification des Anarchistes Contre le Mur en tant que groupe social

à part entière et en tant qu’acteur du conflit israélo-palestinien.

97

Alberto Melucci, Challenging Codes. Collective Action in the Information Age, Cambridge, Cambridge University Press,

1996, p. 70.

98 Ludwik Fleck, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, les Belles Lettres, 2005.

99 La notion de framing, qui ne rencontre pas de traduction courte et satisfaisante en langue française, sera employée telle

quelle dans la suite de cette seconde partie.

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48

Chapitre 3 :

Vers une lecture commune du conflit

********

James Wilson définit la notion d’ idéologie comme la combinaison de trois données

essentielles : le diagnosis, c’est-à-dire la détermination des causes du mécontentement et

l’imputation des responsabilités ; le prognosis, qui est une indication des solutions envisagées ; et

enfin le rationale, comme identification des acteurs et moyens d’action susceptibles d’intervenir

dans la résolution du conflit100. Il s’agira dans ce chapitre d’en étudier d’abord les deux premiers

aspects, diagnosis et prognosis, fondements du rationale que nous aborderons par la suite. Suivant la

démarche de David Snow, l’idéologie des Anarchistes Contre le Mur sera envisagée dans une

perspective dynamique mettant en valeur son processus d’élaboration, dit « framing ». Celui-ci

engendre des modifications dans les cadres d’interprétation par lesquels les individus perçoivent les

événements et le conflit qui les mobilisent. Il convient donc de nous interroger tant sur la lecture

commune développée par les Anarchistes que sur les processus y ayant abouti.

A. L’élaboration d’un discours émancipateur

La construction identitaire issue du camp de Mas’ha est celle d’un groupe d’opposition ad

hoc formé en réaction à la construction du mur. Cette spécificité soulève la question de son

développement dans la temporalité, avec pour corollaire de déterminer s’il s’agit, ou non, d’un

épiphénomène voué à disparaître avec la cause défendue. Hors de toute projection spéculative sur

l’avenir du conflit israélo-palestinien, la perspective de réflexion amorcée en ces termes est avant

tout celle de la permanence d’un mouvement non pas protestataire, mais véritablement

contestataire. La précision terminologique mise en évidence par Isabelle Sommier permet en effet de

différencier entre protester, soit s’opposer à la mise en œuvre d’une politique spécifique, et

contester, qui ajoute au refus la mise en doute du fondement idéologique sur lequel repose la prise

de décision101. Le second élément essentiel à la survie du groupe s’attache à la solidité des liens

établis entre les agents au sein du réseau d’interconnaissance. Dans le cas des Anarchistes Contre le

100

James Q. Wilson, Political Organizations, New York, Basic Books, 1973.

101 Isabelle Sommier, Le Renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003,

p. 27.

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Mur, la fréquence et l’intensité des interactions sont inextricablement liées à la production d’un

discours émancipateur, fondement idéologique du mouvement et garant de son existence au-delà

des contours spécifiques de la question palestinienne.

De l’interaction à la production d’une idéologie

L’approche interactionniste nous encourage à analyser l’élaboration des représentations

collectives comme le résultat d’échanges, de négociations et de conflits qui ne sont pas

nécessairement visibles pour l’observateur extérieur, processus de construction actif et durable dont

l’action collective est le signe apparent. Turner et Killian proposent un développement intéressant

par l’idée de la norme émergente : l’impression d’unanimité est due à l’existence d’un phénomène

social, l’apparition d’une nouvelle norme élaborée au fil des interactions symboliques entre les

participants. Cette norme agit ensuite sur les comportements individuels en développant une

définition commune des situations vécues, et favorise de ce fait la production d’un comportement

collectif102. Le réseau de relations actives développé par les Anarchistes Contre le Mur suscite des

interactions fréquentes, productrices de norme, qui prennent forme sous différents aspects.

Le cadre d’interaction le plus évident est celui des réunions ponctuelles organisées à Tel Aviv.

Elles visent à organiser le déroulement de l’action collective en attribuant des responsabilités aux

personnes volontaires, réparties selon des tâches précises : dans le cas d’une manifestation prévue

en Cisjordanie, il s’agit notamment d’établir une liste préalable des participants israéliens,

d’organiser le transport vers le lieu de manifestation au départ de Tel Aviv et/ou de Jérusalem, de

maintenir le contact avec le Comité populaire du village palestinien initiateur de la manifestation,

d’informer les participants peu expérimentés et potentiellement de prévoir une « équipe médicale »

formée à l’administration des premiers soins médicaux. La demande de soutien d’un village

jusqu’alors peu fréquenté ou l’afflux d’invitations pour des manifestations ayant lieu simultanément

peuvent être à l’origine de ces réunions essentiellement réactives. D’orientation pratique, elles sont

le lieu de discussions portant sur les stratégies d’action, les comportements manifestants et les

rapports aux populations palestiniennes. L’émergence de problématiques nouvelles liées au

changement d’échelle et à l’inscription de l’action collective sur le long terme a par ailleurs suscité

l’organisation de réunions prospectives, indépendamment du contexte particulier d’une

manifestation. A titre d’exemple, un week-end de réflexion organisé en mars 2007 à Tel Aviv a

conduit les militants présents à s’interroger sur des thématiques aussi diverses que l’efficacité des

102

Lewis M. Killian, Ralph H. Turner (Eds.), Collective Behavior, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1972.

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modes d’action, les outils de communication favorisant le recrutement, l’accueil et la formation des

nouveaux militants, les relations entre le groupe et les villages palestiniens parcourus lors de

manifestations passées, l’attribution des tâches ou encore le harcèlement sexuel au sein du

mouvement. Décrit par certains militants comme un week-end de « thérapie de groupe », il

symbolise la capacité introspective (self-reflexive) chère à Alberto Melucci dans l’élaboration d’une

identité collective.

A ces réunions portant spécifiquement sur les activités menées dans les Territoires

palestiniens s’ajoute une multiplicité de rencontres entre les individus actifs de la gauche radicale. Le

lieu privilégié d’échange entre les différents mouvements est l’infoshop Salon Mazal, situé à Tel Aviv

et créé en 2001. Il s’agit à la fois d’un café végétalien et d’un centre d’information sur « le

changement social, environnemental et politique », institué lieu de réunion et proposant

ponctuellement des débats, projections documentaires et expositions. L’objectif affirmé est d’y offrir

une « alternative à la culture dominante » et de promouvoir « une vie en communauté ouverte »

selon les principes anarchistes de non-hiérarchie et d’égalité entre les membres103. Le Salon Mazal

est un lieu central de production du discours contentieux, cité par Hank Johnston comme le premier

pas dans la constitution de l’acteur en ce qu’il s’apparente à un acte politique d’opposition à part

entière104. Les interactions qu’il suscite entre les acteurs sont également la clé d’un rapprochement

entre des mouvements mobilisés sur des questions sociales spécifiques, et conditionnent

l’émergence d’une vision du monde commune. Cette dimension relève de ce qu’Alberto Melucci

appelle le processus d’apprentissage : à force d’interactions répétées, les groupes en présence

évoluent dans le sens de la formation d’un acteur empirique unifié doté des caractéristiques d’un

mouvement social105.

Il apparait que la production de représentations communes résulte d’un contact prolongé

entre les militants en dehors des moments manifestants. Si le lieu de l’action est avant tout situé

dans les Territoires palestiniens, celui de l’élaboration du discours est largement concentré dans la

ville de Tel Aviv. La proximité géographique entre les composantes du mouvement social israélien

entraine ainsi, au sein même des Anarchistes Contre le Mur, l’élaboration d’un cadre d’interprétation

élargi à des thématiques multiples, sans lien direct apparent avec la question du mur de séparation.

103

Site internet de Salon Mazal, http://www.salonmazal.org.

104 Hank Johnston, « Let’s Get Small : The Dynamics of (Small) Contention in Repressive States », Mobilization: An

International Journal, 11 (2), juin 2006, pp. 195-212.

105 Alberto Melucci, Challenging Codes…, op.cit., p. 75.

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La société israélienne en ligne de mire

Selon David Snow, plusieurs processus permettent l’élaboration de schémas interprétatifs

par les acteurs. L’un d’entre eux est le frame bridging, qui s’identifie par le regroupement d’une

combinaison de problématiques distinctes au sein d’un ensemble idéologique unifié et cohérent106.

Le discours produit par les militants des Anarchistes Contre le Mur, qui associe à la question

palestinienne des thématiques sociales en apparence éloignées, en est l’illustration.

La mise en œuvre du processus de frame bridging implique tout d’abord une différenciation

binaire opposant un mouvement formé par le groupe et ses alliés à un ou plusieurs adversaires, voire

à l’ensemble de la société n’adhérant pas aux idées promues par le mouvement. L’intensité des

questions soulevées par le conflit israélo-palestinien facilite l’instauration et la lisibilité d’une ligne de

fracture au sein de la société israélienne. L’éditorial rédigé par un militant des Anarchistes Contre le

Mur pour la revue anglaise Anarchist Studies témoigne de l’isolement politique perçu par le groupe :

« Nous ne nous sentons plus à même de communiquer avec la majorité des Israéliens qui

semblent se replier vers un patriotisme macho et un sombre traumatisme collectif autour

de l’annihilation imminente du peuple juif et de l’Etat d’Israël » 107

.

L’utilisation du pronom « nous » dans cet extrait est porteuse d’interrogations : à qui, à quelle

identité collective l’auteur fait-il référence ? Ecrit en 2006 après la guerre du Liban, ce texte décrit les

relations entre les différents acteurs selon des termes fortement antinomiques, laissant transparaître

l’idée d’une rupture profonde entre l’ensemble désigné par le « nous » et le reste de la société

israélienne. Les références faites à la gauche radicale israélienne nous éclairent davantage sur les

représentations entretenues depuis l’été 2006 : « Pendant ce temps, un épais brouillard a enveloppé

la gauche radicale israélienne (y compris les anarchistes), la seule en Israël à s’être opposée à la

guerre dès le début ». Uri Gordon fait état de manifestations ayant rassemblé plusieurs milliers de

pacifistes à Tel Aviv, et dépeint une politique répressive exercée à l’encontre de ces opposants :

106

Snow D., Rochfort Jr B., Worden S. K., Benford R. D., “Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement

Participation”, American Sociological Review, (51), 1986, pp. 464-481, p. 464. Margaret Keck et Kathryn Sikkink évoquent

quant à elles des stratégies de reframing, voir Margaret Keck et Kathryn Sikkink, “Transnational Advocacy Networks in the

Movement Society”, in: Sidney Tarrow, David Meyer (Ed.), The Social Movement Society. Contentious Politics for a New

Century,Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 1998, pp. 217-238.

107 Uri Gordon, « After the War », Anarchist Studies, 14 (2), 2006. Cet article m’a été transmis directement par Uri Gordon,

mais l’impossibilité de consulter la revue Anarchist Studies ne me permet pas d’en préciser la pagination exacte.

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« On assiste clairement en Israël au durcissement du sentiment selon lequel « vous êtes

avec nous ou vous êtes contre nous », et tandis que les gauchistes israéliens avaient

toujours été traités avec dérision et hostilité, il semble à présent que la dissidence

politique mérite une balle dans la tête » 108

.

Cette représentation duale de la société israélienne, accentuée par la guerre du Liban mais

déjà vive depuis le déclenchement de la seconde Intifada, est à l’origine d’un rapprochement

progressif entre les groupes distincts de la gauche radicale. L’idée d’un mouvement des mouvements

prend alors corps avec la formation d’un ensemble idéologique commun porté vers la critique de la

société israélienne. Le lien entre militarisme, paternalisme et inégalités sociales est ainsi opéré par

l’organisation New Profile, à laquelle participent certains militants des Anarchistes Contre le Mur, et

qui se veut un mouvement « de femmes et d’hommes féministes » engagés dans une

démilitarisation de la société israélienne. Leur critique porte aussi sur l’impact du rôle joué par

l’armée et le service militaire, tant en termes d’inégalités entre les populations arabes israéliennes et

juives israéliennes qu’à l’égard du développement économique autonome des Territoires

palestiniens. L’idée d’un lien entre ces différentes luttes est également prégnante dans les discours

individuels des Anarchistes Contre le Mur. Yonatan Pollak explique ainsi son double engagement

dans la défense du droit des animaux et contre l’occupation israélienne des Territoires palestiniens

comme un choix rationnel inscrit dans un combat d’ensemble contre la souffrance :

« En fait, je ne vais pas te dire que mettre un terme à l’occupation est à mon sens plus

important que l’émancipation (liberation) des animaux. Je ne pense pas que ce soit plus

important, je pense qu’il s’agit de la même lutte. Je crois d’ailleurs que les animaux

souffrent plus, en terme d’échelle de souffrance » 109

.

De même, l’entretien mené avec Uri Ayalon révèle une volonté de penser l’opposition à l’occupation

des Territoires palestiniens, le végétalisme, la lutte contre les inégalités économique, contre les

discriminations touchant les Mizrahi et pour les droits des homosexuels comme des formes de micro-

militantisme inséparables d’une perspective globale : « cela a toujours été lié », explique t-il110.

108

Ibid.

109 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

110 Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur. Les Mizrahi sont les descendants des

communautés juives du Moyen-Orient.

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L’élaboration de ce discours suscite parfois des explications confuses de la part des militants,

ainsi qu’en témoigne cet extrait d’une interview avec l’une d’entre eux :

« Notre société produit de la violence et croit la régler en coupant une nouvelle forêt et

en construisant un nouveau centre commercial. Le découvert en banque continue de

croître parce que nous ne nous aimons pas et nous devons alors consommer toujours

plus de choses dont nous n’avons pas réellement besoin. Et cela nous est égal si le lait

que nous buvons provient d’une vache qui souffre l’enfer dans une ferme industrialisée.

Est-ce que nous nous inquiétons des personnes sans abris qui dorment dans nos rues ?

Nous avons créé une société aliénée. Je veux détruire cette aliénation, pour traverser les

barrières qui encerclent le cœur humain » 111

.

La production d’un discours émancipateur est au cœur du processus de frame bridging. La

particularité des revendications des Anarchistes Contre le Mur est diluée dans l’affirmation d’un

mouvement global ayant pour objet essentiel la lutte contre la domination, entendue par les acteurs

comme une domination tant coloniale que sociale, sexuelle ou humaine sur les autres espèces

vivantes. La construction d’une nouvelle idéologie repose sur un corpus de valeurs érigées en lignes

directrices du mouvement, telles que la justice, la liberté, la dignité et l’émancipation des êtres

vivants. « Pour moi, la liberté est une seule question. Que ce soit en Cisjordanie ou vis-à-vis de la

ségrégation des animaux, ou à l’égard des femmes », résume Yonatan Pollak112. Dès lors, la centralité

de ces valeurs confère aux Anarchistes Contre le Mur ce que Louis Pinto appelle une vocation à

l’universel, caractéristique souvent attribuée aux mouvements sociaux contemporains dont les

revendications particulières tendent à s’inscrire dans une perspective politique élargie113. Le parallèle

avec le processus de frame extension décrit par David Snow pourrait être établi, celui-ci

correspondant à l’agrégation de thématiques nouvelles sur les revendications initiales afin d’étendre

les soutiens potentiels du mouvement. Il semble néanmoins que cette perspective doive être

inversée dans le cas des Anarchistes Contre le Mur : les trajectoires individuelles ont en effet révélé

111

Leila Mosinzon, interview avec Asafa Peled, « Outside the Fence : Interview with three of the Anarchists Against the

Wall », Yediot Aharonot, 14/04/2006 .

112 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

113 Louis Pinto, « La vocation à l’universel. La formation de la représentation de l’intellectuel vers 1900 », Actes de la

recherche en sciences sociales, (55), novembre 1984, pp. 23-32.

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une adhésion idéologique à ce socle commun antérieure à l’engagement militant dans les Territoires

palestiniens. C’est donc à partir d’un cadre d’interprétation partagé que s’est construite l’identité

particulière des Anarchistes Contre le Mur, à travers la contestation de la politique spécifique menée

par Israël dans le conflit israélo-palestinien.

B. La contestation de la politique israélienne

Loin de ce que pourrait indiquer la qualification anarchiste du groupe, son implication dans le

conflit israélo-palestinien tient davantage de la contestation de la politique menée par le

gouvernement israélien que d’une opposition à l’existence même d’une autorité étatique. Le travail

de décodage du réel qu’ils ont entrepris relève ainsi de deux ordres. Il s’agit d’une part d’identifier le

problème, de le qualifier en termes politiques et de désigner les acteurs responsables de son

apparition. D’autre part, l’élaboration de ce schéma interprétatif leur permet de proposer des

solutions au conflit cohérentes avec le socle de valeurs sur lequel ils s’appuient. L’ensemble de ces

éléments permettra alors de légitimer l’organisation de l’action collective qu’ils ont initiée et de

mobiliser de nouveaux soutiens, en Israël ou à l’étranger.

Le mur comme symbole d’une opposition

« Mas’ha fut ma première occasion de rencontrer des Palestiniens et leurs familles

comme des êtres humains […]. A Mas’ha, 92% des terres agricoles étaient annexées par

le Mur, et sur ces terres les Israéliens construisaient tout de suite des maisons. Après

avoir vu cela on se reposait la question de la sécurité : pourquoi déraciner des oliviers,

installer des checkpoints, développer les colonies ? En quoi est-ce que ces maisons et ce

Mur étaient construits pour la sécurité de Tel-Aviv ? » 114

.

Ce témoignage d’un militant des Anarchistes Contre le Mur illustre la centralité du mur dans

la mobilisation. Toutefois, si le mur fut souvent l’élément déclencheur du passage à l’acte, il est avant

tout le symbole d’une profonde remise en cause de la politique israélienne menée dans les

Territoires palestiniens depuis 1967. « Occupation », « colonisation » : le vocabulaire utilisé vise à

inscrire la mobilisation dans l’histoire des mouvements anticoloniaux de l’après-Seconde guerre 114

Matan Cohen dans une interview avec Robert Kissous, Pour la Palestine, (48), décembre 2005, pp. 42-43. Pour la

Palestine est la revue trimestrielle de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS).

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mondiale, tandis que l’emploi fréquent des expressions « apartheid israélien » ou « barrière de

ségrégation », notamment sur le site internet des Anarchistes Contre le Mur, résume l’identification

du problème opérée dans le processus de framing115. En effet, le discours des Anarchistes Contre le

Mur présente peu de similitudes avec celui des organisations non-gouvernementales actives dans les

Territoires palestiniens, en ce qu’il fait rarement référence aux indices de développement humain

que sont la santé, l’éducation ou le niveau de vie. Sans visée humanitaire, il s’inscrit en revanche

dans un mode discursif hautement politique, caractérisé par la dénonciation des opérations militaires

en Cisjordanie et à Gaza ainsi que des choix politiques ayant conduit à la construction du mur et au

maintien de la présence israélienne sur ces territoires. L’intervention de Yonatan Pollak au tribunal

de Tel Aviv, lors de la séance du 18 février 2007, permet de saisir cette particularité du discours

élaboré par les Anarchistes Contre le Mur :

« Ce procès, s’il n’avait pas eu lieu dans un tribunal de l’occupation, dans une

démocratie imposée à 3,5 millions de sujets palestiniens privés des libertés

démocratiques fondamentales, aurait été le procès du mur ; ce même mur qui a été

déclaré illégal par la plus haute autorité légale au monde ; ce même mur qui est utilisé

comme un instrument politique dans la campagne de nettoyage ethnique entreprise par

Israël dans les Territoires Occupés ; ce même mur qui dans son tracé précédent […] était

rejeté par les tribunaux israéliens ! Ce ne sont pas nous qui devrions être ici dans le box

des accusés, mais plutôt les architectes et ceux qui ont mis en œuvre l’Apartheid

israélien » 116

.

Cet extrait amène plusieurs observations. Tout d’abord, le problème identifié n’est pas seulement

celui posé par la construction d’une barrière de séparation, mais bien par ses implications locales au

sein des Territoires palestiniens. L’emploi du terme fort de « nettoyage ethnique », s’il est peu

fréquent chez les militants interrogés, correspond en revanche à la représentation partagée par une

majorité d’entre eux d’une politique de colonisation accrue de la part du gouvernement israélien,

susceptible de provoquer le départ de nombreuses populations palestiniennes vers les régions

éloignées du mur. Egalement, l’idée d’une privation des libertés fondamentales exprimée ici se réfère

davantage aux effets de la multiplication des checkpoints à l’intérieur de la Cisjordanie qu’à

l’existence même du mur. Une seconde remarque porte sur la référence faite au droit international

115

Voir également l’article d’un militant des Anarchistes Contre le Mur : Uri Gordon, « Right of Reply : Anarchy in the Holy

Land ! », The Jerusalem Post, 12/06/2007.

116 Yonatan Pollak, intervention du 18 février 2007, tribunal de Tel Aviv.

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public comme instrument de légitimation de l’action collective. Si celle-ci semble pour le moins

surprenante de la part d’un militant anarchiste, elle n’en est pas moins une pratique courante au sein

du mouvement de la paix israélien. L’argumentaire fait ici référence à l’avis consultatif rendu par la

Cour Internationale de Justice de La Haye le 9 juillet 2004, déclarant l’édification du mur contraire au

droit international en vigueur117. Souvent cité par les opposants israéliens à la construction du mur,

cet avis contribue largement à l’effort de délégitimation de la politique israélienne auquel participent

les Anarchistes Contre le Mur. A la suite du procès, Yonatan Pollak qualifiera d’ailleurs l’Etat israélien

de « criminel récidiviste du droit international », en faisant notamment appel aux Conventions de

Genève118. Enfin, la dernière phrase de cet extrait met en évidence le processus d’identification des

responsabilités. Celles-ci sont avant tout attribuées au gouvernement israélien, auteur du projet de

construction du mur comme de sa mise en œuvre. De façon générale, ce sont bien les politiques

israéliennes successives qui sont visées par les revendications et l’action collective des Anarchistes

Contre le Mur. Lorsque sont évoquées les initiatives de rapprochement entre populations

israéliennes et palestiniennes opérées dans les années 1990, et connues sous le nom de « People-to-

People », la réponse des militants s’apparente bien souvent à celle de Kobi Snitz :

« […] le racisme n’existe pas parce que les gens ne se comprennent pas, ou sont

incapables de communiquer. Les vraies sources du racisme sont les positions politiques

israéliennes, selon lesquelles les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les

Israéliens, et selon lesquelles chaque Palestinien est un suspect, chaque Palestinien est

dangereux. Je pense que le racisme est le produit d’une situation et de positions

politiques, et non l’inverse. Le racisme ne vient pas de nulle part, il sert un objectif

politique pour quelqu’un » 119

.

117

Cour Internationale de Justice, Avis consultatif du 9 juillet 2004, « Conséquences juridiques de l'édification d'un mur

dans le territoire palestinien occupé », in : C.I.J., Recueil 2004, pp. 136-203. 118

Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur. La référence faite aux Conventions de Genève

s’accompagne toutefois d’une méfiance générale à l’égard du droit international : « Le droit international est le droit fait

par les peuples, par les pays au pouvoir pour faciliter la façon dont ils occupent, et la façon dont ils traitent les perdants, le

côté des perdants. Et même à cela Israël ne se tient pas, Israël n’est pas en accord avec la Convention de Genève. La

Convention de Genève est une foutaise, elle donne beaucoup trop de force à l’occupant, et restreint [le droit des] oppressés

de beaucoup trop de façons. Et même à cela Israël ne se tient pas ».

119 Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur. Sur les initiatives dites « People-to-People » (P2P), voir

notamment : Palestine-Israel Journal (Ed.), « Focus Section : The Future of People-to-People », Palestine-Israel Journal, 12

(4) & 13 (1), mai 2006, pp. 5-106.

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57

L’explication proposée par les Anarchistes s’éloigne ainsi des thèses culturalistes mettant en

valeur l’incompréhension mutuelle entre populations, pour aborder le conflit israélo-palestinien sous

l’angle d’un différend territorial porteur d’enjeux politiques. Dès lors, l’élément essentiel que révèle

l’analyse du discours est la volonté des acteurs de délégitimer la politique menée par le

gouvernement israélien. Celle-ci procède de deux démonstrations concomitantes, la première

portant l’accent sur les conséquences humaines de l’occupation militaire dans les Territoires

palestiniens, tandis que la seconde s’emploie à démontrer son inefficacité à garantir la sécurité des

Israéliens, thème central dans l’élaboration de la politique extérieure. Le discours s’adresse alors à la

société israélienne dans son ensemble, pour remettre en cause le bien-fondé et l’efficacité de la

politique d’occupation militaire :

« A mon avis, quand des milliers de citoyens palestiniens meurent dans cette Intifada, on

ne peut pas s’imaginer que ça n’atteindra pas les bus de Tel Aviv. Seuls les Palestiniens

mourront, mais ils adhèreront entièrement aux principes de moralité et n’attaqueront

que des soldats ? Ça ne veut pas dire qu’il est moral de faire exploser des bus, mais il

faudrait être stupide et extrêmement partial pour ne pas voir cela » 120

.

Pointant l’incapacité structurelle des institutions politiques à garantir la sécurité des citoyens

israéliens, le discours tend à produire ce que Doug McAdam appelle une libération cognitive des

individus : il s’agit préalablement d’évaluer la capacité et l’efficacité d’action des acteurs

institutionnels en des termes défavorables, pour soumettre ensuite au récepteur du discours un

schéma d’interprétation alternatif121. Le groupe devient un acteur du conflit à part entière, et

acquiert de ce fait la légitimité de proposer des solutions au conflit. Nous verrons à présent comment

s’articulent les revendications des Anarchistes Contre le Mur au sein du conflit israélo-palestinien, de

la poursuite d’un idéal sociétal à l’élaboration d’un projet pragmatique.

120

Yonatan Pollak, interview avec Eyal Eithcowitch, Enraged, Israël, 2006, 58mn.

121 Doug McAdam, Political process and the development of black insurgency 1930-1970, Chicago, University of Chicago

Press, 1982.

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De l’ambition au pragmatisme

Il s’agit ici d’étudier le projet politique proposé par les Anarchistes Contre le Mur dans la

perspective d’une résolution du conflit israélo-palestinien. De par le nombre restreint d’entretiens

réalisés et la durée nécessairement limitée de chacun d’entre eux, l’analyse du discours collectif

portant sur les solutions envisagées tend à privilégier les discours individuels produits par deux des

protagonistes déjà évoqués, Yonatan Pollak et Kobi Snitz. Ce qui pourrait apparaître comme le signe

d’une insuffisance dans la recherche effectuée amène toutefois deux remarques. Tout d’abord,

l’observation participante a révélé le rôle central joué par ces deux personnages au sein du groupe,

désormais porteur d’un schéma interprétatif cohérent élaboré au fil des interactions entre les

militants. S’ils ne s’expriment pas explicitement au nom du collectif auquel ils appartiennent lors de

la réalisation des entretiens, leurs discours individuels n’en sont pas moins représentatifs d’un style

de pensée partagé par le groupe. La seconde remarque est qu’il n’existe pas de matériel produit par

l’ensemble des Anarchistes Contre le Mur sur la question des objectifs à long terme de leur action.

Elle n’est en effet abordée ni par les communiqués de presse transmis à l’occasion des

manifestations, ni par le site internet qu’ils entretiennent, et n’est pas davantage évoquée lors des

réunions ponctuelles qu’ils organisent. Ce constat nous permet de comprendre la spécificité du

discours produit, axé sur la définition d’objectifs à court et moyen terme tout en demeurant évasif

sur l’idéal sociétal envisagé.

Les entretiens réalisés avec Yonatan Pollak et Kobi Snitz sont donc particulièrement

intéressants, car ils font apparaître l’uniformité manifeste du discours produit tout en nous

renseignant sur le projet de société qu’ils souhaitent promouvoir. Dans les deux cas, la référence

faite au kibboutz comme modèle de société témoigne de la spécificité locale, israélienne, des

Anarchistes Contre le Mur comme mouvement social. L’accent est porté sur l’organisation interne

des kibboutz et leur proximité avec les modèles anarchistes, selon les principes d’égalité des

individus, d’auto-gestion et d’entraide entre les membres. Une seule et même critique émerge

néanmoins de la part des deux militants, qu’ils définissent comme le caractère « raciste » de

l’application de ce modèle sur le territoire israélien :

« Je pense que le kibboutz serait une société assez idéale, si ce n’est qu’il est raciste. Il n’y

a pas d’Arabes dans un kibboutz. L’objectif de former un kibboutz et la raison pour

laquelle l’Etat les soutient sont les mêmes que lorsque l’Etat soutient les colonies. Parce

qu’ils sont précisément comme les colonies : ils sont situés stratégiquement, et on leur a

donné la terre volée… Mais en interne au moins, je pense qu’ils sont assez avancés. Et il

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est dommage que ce résultat (achievement) ait été obtenu avec l’aide d’un mouvement

nationaliste raciste… Mais c’est tout de même un progrès, une société sans classes, et

sans autorité » 122

.

Ce propos tenu par Kobi Snitz est étonnamment similaire à celui de Yonatan Pollak, qui fait ainsi

référence au modèle précurseur des kibboutz, les kvoutza :

« Leur problème a toujours été d’être racistes. Ils faisaient partie d’un effort colonialiste.

Il s’agissait de judaïser la terre, d’instaurer un control juif, de créer une utopie socialiste

juive […]. Par rapport aux kvoutza, je pense qu’ils comportent fondamentalement de

mauvaises choses, mais en tant que modèle économique, communautaire, ça peut être

une très bonne base. En clair, si l’on supprime le racisme, ils sont plutôt un bon

modèle »123

.

Les entretiens réalisés ont toutefois mis en évidence le rôle secondaire octroyé à la

promotion de leur idéal sociétal dans l’élaboration du discours, au regard de la centralité des

revendications liées aux enjeux immédiats du conflit israélo-palestinien. L’attention des Anarchistes

Contre le Mur est en effet centrée sur les objectifs à court terme de leur action collective,

essentiellement l’arrêt de la construction du mur : « La barrière ne sera pas construite et si elle est

construite, elle tombera », affirmait Yonatan Pollak lors de l’ouverture de son procès en décembre

2004124. La volonté du groupe d’influer sur la prise de décision politique à l’échelle nationale est

manifeste, à l’image des luttes décrites par Alain Touraine, « conflits analysés comme mécanismes

de modification de décisions, donc comme facteurs de changement, forces politiques au sens le plus

large du terme »125. A l’instar des nouveaux mouvements sociaux, l’une des caractéristiques

principales des revendications énoncées est leur non-négociabilité. Il existe en effet différents types

d’opposition au sein du mouvement de la paix. Certains groupes, tels Shalom Arshav (La Paix

Maintenant), dénoncent le tracé géographique du mur en raison de ses écarts avec la Ligne Verte.

Dans le cas des Anarchistes Contre le Mur, il s’agit avant tout d’une opposition rigoureuse au principe

122

Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

123 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

124 Etgar Lefkovits , « Anti-fence activists go on trial », Jerusalem Post, 17/12/2004.

125 Alain Touraine, Le Retour de l’acteur, Paris, Fayard, 1984, p. 107.

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même de l’existence d’un mur, quel qu’en soit le tracé, tout en réclamant le retrait immédiat des

colonies et des forces armées israéliennes des Territoires palestiniens.

Cependant, l’ambition originelle du groupe fait place au pragmatisme lorsqu’il s’agit de

définir avec précision les objectifs poursuivis, notamment à l’égard des revendications nationales des

populations palestiniennes. Généralement partisans d’un modèle de société sans Etat, résumé dans

l’expression « no-state solution », les militants des Anarchistes Contre le Mur sont confrontés au

dilemme des attentes institutionnelles exprimées par leurs alliés palestiniens. Force est de constater

que s’il n’existe aucun positionnement collectif sur cette question, la plupart des militants interrogés

ne s’avouent pas défavorables à la création d’un Etat, perçue comme une étape dans le processus

d’émancipation qu’ils encouragent :

« Cela mène peut-être à un Etat, mais c’est mieux que l’occupation israélienne. Il vaut

mieux un Etat palestinien que de vivre dans un Etat et ne pas en être citoyen. Je serais

favorable à la Révolution française parce que c’est mieux que le féodalisme, ou la

monarchie » 126

.

Ce pragmatisme dénote l’impact du contexte particulier de leur action sur l’identification de leurs

objectifs. Néanmoins, des divergences apparaissent rapidement au sein des Anarchistes Contre le

Mur, certains privilégiant la formation d’un Etat palestinien, d’autres celle d’un Etat binational

incluant Palestiniens et Israéliens. C’est le cas de Yonatan Pollak :

« Je suis anarchiste, je préfèrerais l’absence d’Etat… Mais à plus court terme, je pense

qu’il n’y a pas d’autre solution que l’existence d’un seul Etat, avec des réformes très

radicales portant notamment sur la question de la terre, des réformes juridiques, des

réformes économiques au profit des Palestiniens […]. [La coexistence de deux Etats]

signifierait tout simplement l’esclavage colonialiste des Palestiniens, qui seraient

totalement dépendants de la bonne volonté de l’économie israélienne, de l’exploitation

de l’économie israélienne » 127

.

126

Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

127 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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L’existence d’opinions divergentes sur la question étatique encourage alors les Anarchistes

Contre le Mur à proposer une interprétation du conflit satisfaisante pour l’ensemble des membres,

autour de l’idée d’auto-détermination du peuple palestinien. Elément central du discours collectif,

elle en assure la cohérence en minimisant les particularismes exprimés par les discours individuels.

« Il s’agit en premier lieu d’un choix palestinien », explique Yonatan Pollak. De même, pour Kobi Snitz,

« les principes fondamentaux des droits de l’Homme portés par la Révolution française suffisent pour

soutenir l’auto-détermination palestinienne » 128. On est ici en présence de ce que Luc Boltanski

appelle la cohésion par le flou, étape nécessaire à la permanence du groupe. Inspirée par les travaux

de Marcel Mauss, cette idée souligne le rôle des positions suscitant l’unanimité dans l’éviction des

divergences secondaires, afin d’empêcher qu’une différenciation trop forte n’entraine la formation

de sous-ensembles129. Le consensus obtenu sur la question de l’auto-détermination permet alors au

groupe d’éluder celle de l’Etat dans l’élaboration du schéma interprétatif.

Des interactions répétées entre les militants des Anarchistes Contre le Mur résulte

l’émergence d’une lecture commune du conflit, fondée sur un socle partagé de valeurs et de

revendications en même temps que sur des compromis parfois ambigus. L’identité collective ne

saurait toutefois prendre forme sans que ne soit organisée l’action collective, ciment de la

permanence du groupe dans le temps. Celle-ci sera donc l’objet de notre quatrième chapitre, dans

lequel nous examinerons son rôle en matière de cohésion interne et de légitimité externe du groupe

tout en abordant la question du répertoire d’action mobilisé.

128

Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

129 Luc Boltanski, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Editions de Minuit, 1982, p. 474 ; Marcel Mauss, « La

cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires », (1932), in : Marcel Mauss, Œuvres, Tome 3, Paris, Éditions de Minuit,

1969, pp. 11-26.

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62

Chapitre 4 : L’identité par l’action

********

Au-delà de l’élaboration d’un discours collectif, c’est par l’action que se forge

progressivement l’identité propre des Anarchistes Contre le Mur. Le choix initial de l’action directe

au sein des Territoires palestiniens sera ici détaillé, afin d’en comprendre le contenu et les

implications immédiates. Devenant acteur du conflit, le groupe s’inscrit dans un schéma complexe de

relations avec l’ensemble des autres acteurs, dont dépend sa légitimité à agir. L’action sera dès lors

analysée comme une ressource essentielle, garantie de l’existence même du groupe au sein du

conflit israélo-palestinien. Puis, en vue d’identifier le rôle joué par les Anarchistes Contre le Mur au

cours de ces quatre dernières années, nous reviendrons sur le répertoire d’action qui lui est

spécifique. Il conviendra de mettre en évidence des formes multiples d’institutionnalisation et

d’innovation dans le déroulement de l’action collective, dynamiques significatives de son inscription

dans la durée.

A. Les Anarchistes au cœur du conflit israélo-palestinien

Selon Sidney Tarrow et David Meyer, la prééminence relative des groupes de conflit tend à se

modifier au cours du cycle de protestation130. Dans le cas des Anarchistes Contre le Mur, l’emploi de

l’action directe le long du tracé du mur semble les avoir rapidement propulsés sur le devant de la

scène. Après seulement quatre années de participation au conflit, elle demeure leur principale

ressource tant comme facteur de cohésion interne que par la légitimité qu’elle leur confère.

Le choix de la confrontation

Afin d’éclaircir les contours de la notion d’action directe, il semble judicieux de s’appuyer sur

la définition proposée par Nonna Mayer et Pascal Perrineau. Ceux-ci la présentent comme un

ensemble d’actions contestataires « qui mettent face à face les citoyens et les détenteurs du pouvoir,

sans passer par la médiation des élites, les canaux habituels de la démocratie représentative. Ce sont

des actions autonomes et expressives qui échappent à la contrainte d’un cadre juridique et

institutionnel ». Il s’agit ainsi d’une confrontation directe initiée par des individus ou des groupes

130

Sidney Tarrow, David Meyer (Ed.), The Social Movement Society. Contentious Politics for a New Century, Lanham,

Rowman & Littlefield Publishers, 1998, p. 19.

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d’individus à l’encontre des symboles ou des représentants de l’autorité, « qui remettent en cause

l’ordre établi, les institutions existantes, le cours normal des choses» 131 . Ajoutons que ce type

d’intervention collective, loin d’être spontanée, nécessite au contraire un niveau minimum

d’organisation interne et de préparation de la part de ses protagonistes. Elle se concrétise sous des

formes diverses, ainsi que les énumère Alberto Melucci, notamment : manifestations, pétitions, sit-

ins, grèves sauvages, boycotts, refus de payer des taxes ou encore désertion (draft evasion) 132.

L’emploi de ces différents modes d’action par les Anarchistes Contre le Mur ne permettrait sans

doute pas de les différencier des autres groupes du mouvement de la paix si celui-ci se limitait au

seul territoire israélien. En revanche, l’usage de l’action directe au sein des Territoires palestiniens ne

peut être attribué qu’à ces trois groupes : l’International Solidarity Movement (ISM) du côté

palestinien, ainsi que Ta’ayush et les Anarchistes Contre le Mur. Entre les deux groupes israéliens, la

singularité des Anarchistes Contre le Mur tient principalement de la cible visée, du degré de

confrontation éprouvé et de la fréquence des actions. En effet, les actions directes menées dans les

Territoires palestiniens au cours de ces quatre dernières années ont majoritairement eu lieu sur les

sites de construction du mur, avec pour objectif avoué d’en interrompre les travaux ou d’en ouvrir

des brèches. Il s’agit de ce que l’on peut qualifier d’ « actions de blocage » et d’ « actions de

destruction » du mur, généralement suivies d’une confrontation violente entre militants et forces

militaires israéliennes. Leur rythme hebdomadaire, avec parfois plusieurs interventions simultanées

au sein de plusieurs villages, assure de fait la prééminence du groupe dans le paysage contestataire

israélien.

Le choix de l’action directe dans les Territoires palestiniens provient d’une volonté de

dépasser le mode manifestant initié par les membres du Matzpen à Tel Aviv et à Jérusalem, en vue

d’obtenir des résultats immédiats et quantifiables sur l’évolution du conflit :

« Nous pensons qu’il est possible de faire plus que de manifester à l’intérieur d’Israël ou

de participer à des actions d’aide humanitaire. L’occupation et l’apartheid israélien ne se

termineront pas d’eux-mêmes – ils se termineront quand ils seront devenus

ingouvernables et ingérables. Il est temps de s’opposer physiquement aux bulldozers, à

l’armée et à l’occupation »133

.

131

Nonna Mayer, Pascal Perrineau (Éds.), Les Comportements politiques, Paris, Armand Colin, 1992, p. 112.

132 Alberto Melucci, Challenging Codes… op. cit., p. 378.

133 Site internet des Anarchistes Contre le Mur, consulté le 05/07/2007.

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Dans cet extrait du site internet des Anarchistes Contre le Mur, l’action directe semble être perçue

comme le seul mode d’action efficace, à même de satisfaire leurs revendications. Son usage, qui

dépasse le plus souvent les frontières légales de l’action collective, suscite par ailleurs un second type

de justification. En effet, les lieux d’action dans lesquels évoluent les militants relèvent généralement

d’un statut particulier, dit « zone militaire fermée » (closed military zone). Décrété par les autorités

militaires israéliennes à l’approche d’une manifestation, ce statut plonge l’action directe dans

l’illégalité et expose ses protagonistes à des sanctions judiciaires postérieures. Il est alors courant de

voir les militants des Anarchistes Contre le Mur s’appuyer sur le droit international public, en vue de

justifier ce qui s’apparente de fait à des actes de désobéissance civile. Il ne s’agit plus ici de

dénoncer l’illégalité du mur, comme nous l’avons précédemment observé dans l’étude du discours,

mais de soutenir par le droit international l’accomplissement d’actes déclarés illégaux par les

juridictions nationales. Voici comment l’exprime Yonatan Pollak suite à sa condamnation en février

2007 :

« Selon le Tribunal de Nuremberg, nous avons le droit d’enfreindre la loi, la loi locale,

pour défendre le droit international. Et selon le Tribunal de Tokyo, nous avons

l’obligation d’enfreindre la loi pour faire en sorte que le droit international soit appliqué.

De plus, selon le droit israélien, on a le devoir d’empêcher un crime si on a l’opportunité

de le faire. Dans presque chaque législation pénale, il y a cette obligation. Et ce que nous

avons dit, c’est que nous avons enfreint la loi afin de mettre en lumière le fait qu’Israël

commet des crimes, et qu’en ce sens nous essayions d’empêcher Israël de commettre des

crimes » 134

.

L’idée d’un devoir moral à agir, souvent cité par les militants eux-mêmes pour expliquer leur passage

à l’acte, est donc aussi un élément essentiel du discours collectif légitimant a posteriori l’usage de

l’action directe.

Au consensus acquis autour de l’action directe comme mode d’intervention privilégié

s’ajoute celui du principe de non-violence. Selon Judith Stiehm, l’étude des origines de la non-

violence permet d’en isoler deux formes distinctes : la non-violence par conscience, issue d’une

croyance religieuse ou morale qui interdit de porter atteinte à l’intégrité physique d’un autre

134

Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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individu, et la non-violence pragmatique, en tant que méthode politique visant à atteindre un

objectif135. Celle des Anarchistes Contre le Mur semble relever d’une fusion de ces deux formes, et

tenter de définir la primauté de l’une ou l’autre dans le choix de leur mode d’action serait

certainement hasardeux. Il convient néanmoins de préciser les modalités d’application de la non-

violence par le groupe dans le contexte spécifique du conflit israélo-palestinien. Celle-ci est en effet

entendue comme un principe s’appliquant aux individus, et non aux symboles matériels de l’autorité

politique israélienne. Les actions visant à « couper le mur » (cut the fence) ne sont dès lors pas

comprises par les Anarchistes dans la catégorie des actions violentes, malgré le malaise qu’elles

pourraient susciter chez un observateur extérieur au groupe. La question de la perception de la

violence est ici centrale, qui fait émerger des comportements multiples parmi les acteurs associés à

une même action collective. A titre d’exemple, l’action de jeunes Palestiniens lanceurs de pierres au

sein d’une manifestation conjointe mêlant Israéliens, Palestiniens et militants étrangers est

susceptible d’attirer la désapprobation d’une partie de ces militants. La réponse des Anarchistes

Contre le Mur à cette question peut être résumée par cette phrase de Kobi Snitz : « Ce n’est pas du

ressort des Israéliens de donner des leçons aux Palestiniens sur la façon de mener leur lutte » 136. Au

principe de non-violence adopté par le groupe s’ajoute donc celui de non-intervention, issu d’une

volonté souvent exprimée par le mouvement de la paix israélien de ne pas intervenir sur le répertoire

d’action de leurs alliés palestiniens.

La centralité de l’action directe dans la formation de l’identité collective du groupe n’est pas

sans être accompagnée d’une cohésion accrue entre ses membres. En effet, la diversité des niveaux

d’engagement et le particularisme des discours individuels que nous avons observés évoquent

l’existence de degrés d’appartenance au groupe aussi nombreux qu’il y a de militants. L’adhésion au

mode d’action directe et la participation régulière qui caractérise précisément ces individus tend

donc à supplanter l’antinomie de l’authenticité face à l’inauthenticité, signalée par Luc Boltanski137.

Réunies dans l’action collective, les divergences individuelles s’estompent au profit d’une entité

d’apparence uniforme lors du moment manifestant.

135

Judith Stiehm, « Nonviolence is two », Sociological Inquiry, (38), hiver 1968, pp. 23-30. Voir également: Paul Hare,

Herbert Blumberg (Ed.), Nonviolent direct action. American Cases : Social Psychological Analyses, Washington, D.C., Corpus

Books, 1968, p. 447.

136 Kobi Snitz, interview pour Just Vision, op.cit.

137 Luc Boltanski, Les Cadres… op.cit., p. 477.

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Agir pour exister

L’identité des Anarchistes Contre le Mur, comme toute identité collective, n’existe pas

isolément des autres groupes de conflit. Elle se construit dans un schéma relationnel complexe

impliquant une variété d’autres acteurs, dont les perceptions et les réactions déterminent la

légitimité à agir du groupe en tant que tel. Davantage que dans le discours, c’est à travers l’action

collective que se produisent les interactions susceptibles de leur attirer la reconnaissance de ces

acteurs. Trois d’entre eux peuvent être facilement identifiés, suivant l’ordre chronologique des

interactions caractérisant l’émergence du groupe en 2003, de même que le déroulement habituel

d’une manifestation menée dans les Territoires palestiniens : les populations palestiniennes, les

représentants de l’Etat israélien et les media.

Les populations palestiniennes jouent un rôle essentiel dans l’existence des Anarchistes

Contre le Mur138. En premier lieu, il leur revient l’initiative des manifestations d’opposition au mur,

organisées au sein des villages palestiniens situés sur son tracé. Libres d’inviter ou non les militants

israéliens à y participer, elles déterminent dès lors la capacité d’action du groupe au sein des

Territoires palestiniens. Se pose ainsi la question des perceptions portées sur lui par les habitants de

l’ouest de la Cisjordanie. Prompts à décrire les liens d’amitié qu’ils entretiennent avec les militants

israéliens, les Palestiniens hésitent souvent à évoquer les difficultés rencontrées lors de leurs actions

communes. Interrogé sur cette question, le représentant du Fatah Mohammed al-Mansour, dit Abu

Alaa, n’envisage guère de qualifier leur relation autrement que par les termes de « confiance » et de

« grande aide » de la part des Israéliens, eux-mêmes décrits comme des « amis » voire comme de

« bons combattants »139. L’emploi d’un vocabulaire largement favorable à leur égard masque

vraisemblablement la complexité de ces rapports. Dans le cas précis des Anarchistes Contre le Mur,

les problématiques soulevées par les Palestiniens ne sont pas toujours celles auxquelles l’on pourrait

s’attendre. Insistant fréquemment sur le végétalisme d’un grand nombre d’entre eux comme source

de difficulté dans la préparation des repas, ils évoquent aussi le scepticisme parfois suscité par le

mode vestimentaire des jeunes militants arborant tatouages, piercings et vêtements sombres ou

dépareillés. C’est toutefois la question des mœurs attribuées aux militants des Anarchistes Contre le

138

Il existe bien entendu un grand nombre d’acteurs distincts parmi les Palestiniens. En évoquant les « populations

palestiniennes », il ne s’agit pas d’en nier la diversité mais de rendre compte des traits généraux de la relation entre les

acteurs palestiniens, quels qu’ils soient, et les Anarchistes Contre le Mur.

139 Entretien avec Mohammed al-Mansour « Abu Alaa », représentant du Fatah dans la région de Ramallah.

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Mur qui semble être l’objet principal des inquiétudes partagées par certains villageois, ainsi que le

suggère ce Palestinien du village de Bil’in :

« Parce que nous avons des personnes religieuses dans le village, nous vivons dans un

village, pas à la ville. Lorsqu’ils entendirent parler de sexe et de drogues, ils

dirent : « nous ne voulons pas de cela, et nous voulons que tous les internationaux et les

Israéliens quittent notre village ». Mais nous avons parlé aux gens, nous avons organisé

beaucoup de réunions, nous leur avons dit que ce n’était pas vrai. Et nous avons

demandé si quelqu’un avait quoi que ce soit à nous dire sur une situation, une mauvaise

situation qui se serait produite avec des internationaux ou avec des Israéliens, et nous

avons réussi. Le Shabak a parlé de beaucoup de choses mais nous avons réussi à stopper

les rumeurs, les mensonges. Nous avons réussi à stopper toutes ces choses. Si quelque

chose de mal était arrivé dès le début, nous n’aurions pas continué pendant deux ans, et

peut-être plus, deux ou trois ans » 140

.

Le rôle de médiation décrit ici est celui effectué par les Comités populaires contre le mur instaurés au

sein des villages qu’il traverse. Ses membres, généralement des pères de famille, sont en contact

permanent avec les militants israéliens les plus actifs dans leurs régions respectives, et assurent

l’organisation de l’action collective autant que la coordination des différents groupes qui y

participent. Abdallah Abu Rahma, coordinateur du Comité de Bil’in, ne nie pas les difficultés

éprouvées deux années auparavant, lors des premières manifestations conjointes organisées avec les

militants des Anarchistes Contre le Mur. De son propos, il ressort que la participation aux actions

palestiniennes et l’exposition au danger des militants israéliens ait été le facteur déterminant dans la

légitimité à agir qu’ils y ont acquise :

« Au début, pour les Palestiniens, il était difficile d’être sereins envers des personnes

juives ou israéliennes à Bil’in. Mais nous leur avons parlé, et nous avons vu un grand

nombre d’entre eux participer aux actions. Nous les avons vus être frappés par les coups

de matraque, se faire tirer dessus, beaucoup d’entre eux étaient blessés et arrêtés. Au

début, les soldats israéliens les traitaient vraiment très mal, davantage que les

Palestiniens dans les deux premiers mois. Quand nous avons vu cela, les Palestiniens ont

140

Entretien avec Abdallah Abu Rahma, coordinateur du Comité Populaire contre le mur de Bil’in. Cet extrait fait référence

à des rumeurs portant sur les militants des Anarchistes Contre le Mur, diffusées selon ce Palestinien par le Shabak, service

de la sécurité intérieure israélien (renseignement et contre-espionnage, connu aussi sous le nom de Shin Bet).

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été rassurés sur la question de savoir qui venait soutenir les habitants de Bil’in, et qui

venait prendre la terre et détruire les oliviers. Nous avons fait la différence entre les

soldats et entre les volontaires qui venaient nous soutenir »141

.

Dans le cas précis du village de Bil’in, c’est avant tout la régularité de la présence des Anarchistes

Contre le Mur, lors des manifestations hebdomadaires organisées chaque vendredi ainsi que lors

d’événements ou d’actions ponctuelles, qui leur a conféré un statut d’acteur privilégié au sein du

mouvement de la paix israélien. « Ce dont nous avons besoin, c’est de ce triangle : les Palestiniens, les

Anarchistes, et l’ISM », conclut Abdallah Abu Rahma.

Ainsi instituée par les Comités populaires de Cisjordanie, la légitimité à agir des Anarchistes

Contre le Mur se double d’une reconnaissance de facto de la part des représentants de l’Etat

israélien. C’est encore par l’action directe qu’est validée l’identité propre du groupe, en tant

qu’acteur du conflit et mouvement d’opposition politique à l’autorité étatique israélienne. Décrit par

Craig Calhoun comme la principale agence symbolique de reconnaissance, l’Etat se matérialise ici par

l’action de l’armée israélienne et de la police des frontières lors du moment manifestant, puis par les

procédures judiciaires intentées à l’encontre des militants les plus actifs. Il est difficile de connaître

les modalités exactes du contrôle social opéré par les diverses autorités israéliennes sur les

Anarchistes Contre le Mur. La fréquence des arrestations, et l’abandon des poursuites offert aux

militants en échange de leur engagement à ne plus pénétrer en territoire palestinien, révèlent

toutefois la volonté de ces autorités de restreindre la capacité d’action du groupe. Reconnus par

l’Etat, les Anarchistes Contre le Mur le sont aussi par les media israéliens, palestiniens et étrangers.

La médiatisation suscitée par la blessure de Gil Na’amati le 26 décembre 2003 s’est en effet étayée

au cours des années suivantes, avec la publication d’un grand nombre d’articles de presse relatant

les actions directes menées en Israël et dans les Territoires palestiniens ainsi que le déroulement des

procès qui leur ont succédé. Contactée non pas par les militants israéliens, mais par les Palestiniens

des Comités populaires contre le mur, la presse écrite et audiovisuelle assure une couverture

régulière des manifestations auxquelles participent les Anarchistes Contre le Mur. A titre d’exemple,

la manifestation organisée à Bil’in le 23 février 2007 a fait l’objet de plusieurs articles de presse

publiés par Ha’aretz, The Guardian, BBC World Service, ainsi que de reportages par les chaînes Al-

Jazeera et CNN.

141

Ibid.

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La participation des Anarchistes Contre le Mur aux actions initiées par les Comités populaires

palestiniens leur confère ainsi visibilité, reconnaissance et légitimité. Afin d’expliciter l’identité

collective qui en résulte, il s’agit à présent de détailler les types d’action directe choisis au sein du

répertoire sur lequel ils s’appuient.

B. Vers une diversification des modes d’action

La notion de répertoire d’action sera étudiée selon la définition proposée par Charles Tilly,

c’est-à-dire comme un « modèle où l’expérience accumulée d’acteurs s’entrecroise avec les

stratégies d’autorité, en rendant un ensemble de moyens d’action limités plus pratique, plus attractif

et plus fréquent que beaucoup d’autres moyens qui pourraient, en principe, servir les mêmes

intérêts » 142. Cette définition nous encourage à ne pas considérer le répertoire comme les seuls

moyens d’action mis en œuvre par le groupe, mais davantage comme l’ensemble des moyens

d’action historiquement disponibles, parmi lesquels le groupe ne retiendra que les plus performants

en fonction du contexte donné.

La manifestation comme rituel indispensable à la pérennité du mouvement

Le répertoire d’action sur lequel s’appuient les Anarchistes Contre le Mur se situe à la

rencontre d’expériences contestataires multiples. Il s’agit d’une part des formes d’action directe

initiées par les nouveaux mouvements sociaux à partir des années 1960, large éventail constitué

notamment de sit-ins, de boycotts, de pétitions, de manifestations, de désobéissance civile ou de

grèves sauvages, ainsi que le signale Alberto Melucci143. D’autre part, les activités antérieures

menées en Israël et, dans une moindre mesure, au sein des Territoires palestiniens par des

organisations telles que le Matzpen, Shalom Arshav, Gush Shalom et Ta’ayush ont largement

contribué à la prééminence des manifestations, des tentes protestataires et des actions de « bouclier

humain » dans le contexte particulier du conflit israélo-palestinien depuis 1967. Le répertoire

disponible des Anarchistes Contre le Mur est ainsi constitué d’une vaste gamme de modes d’action

collective lors de son apparition en 2003.

142

Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l’action contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième

siècle. Revue d’histoire, (4), octobre 1984, pp.89-108, p. 99.

143 Alberto Melucci, Challenging Codes… op. cit., p. 378.

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De ces précisions liminaires découlent deux remarques importantes. En premier lieu,

l’ensemble de ces modes d’action expérimentés par des mouvements antérieurs répond au principe

de non-violence. Ce constat porte un éclairage nouveau sur la question abordée par Judith Stiehm en

termes de non-violence par conscience ou pragmatique, en ce qu’elle apparait également comme le

résultat d’un répertoire d’action limité aux pratiques contestataires des pays du Nord. Notons que les

modes d’action perçus comme violents sont d’emblée écartés du choix effectué par le groupe. En

second lieu, la volonté d’intervenir sur le déroulement des travaux de construction du mur situe les

lieux d’action à l’intérieur même des Territoires palestiniens. Pour le groupe, il ne s’agit alors pas de

mener ses activités indépendamment des actions organisées par les Palestiniens, mais au contraire

d’y participer en y apportant une ressource supplémentaire, celle de leur citoyenneté israélienne :

« Je crois que les choses que nous faisons à Tel Aviv sont principalement… Elles sont

immédiatement stoppées. Elles sont un moyen d’attirer l’attention, mais elles ne vont

pas changer la situation. Je pense que la lutte pour la libération doit essentiellement être

menée par les oppressés eux-mêmes, dans ce cas les Palestiniens. Il est donc très

important pour nous de coopérer, de participer à la lutte palestinienne elle-même, à leur

mouvement de résistance populaire. Il est important pour nous d’être là-bas en tant que

personnes détenant la citoyenneté israélienne » 144

.

Cette idée d’un soutien apporté à la lutte palestinienne est déterminante dans l’utilisation du

répertoire d’action disponible. En Cisjordanie, le choix du mode d’action est ainsi opéré par les

Palestiniens des Comités populaires contre le mur, et se porte principalement sur la manifestation

non-violente. Celle-ci se déroule de façon régulière, au départ d’un village palestinien puis sur la

route menant aux champs traversés par le mur en construction.

La marge de manœuvre des Anarchistes Contre le Mur y est nécessairement limitée. Il s’agit

avant tout pour les militants israéliens de participer à la manifestation conjointe, puis, à l’approche

du barrage mis en place par l’armée israélienne, de se placer en première ligne du cortège afin de

signaler leur présence. C’est à ce moment seulement que peuvent intervenir des pratiques

contestataires nouvelles, néanmoins étroitement dépendantes de la réponse apportée par les

agences de contrôle social, ici l’armée et la police des frontières israéliennes.

144

Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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Manifestation du 3 mars 2007 dans le village de Bil’in (Cisjordanie)

Doug McAdam, Sidney Tarrow et Charles Tilly soulignent à juste titre que les actions puisées dans le

répertoire et mises en œuvre dans le conflit ne sont pas le fait des seuls acteurs du mouvement

social, mais sont plutôt le produit des interactions des protagonistes du mouvement avec leurs

opposants145. Deux éléments déterminent à ce stade l’action des Anarchistes Contre le Mur :

l’emplacement du barrage, selon qu’il se situe au niveau du mur ou plus avant sur la route

empruntée, et le degré de violence caractérisant la riposte militaire israélienne. Si le contexte y est

favorable et si la forme spécifique du mur le permet, les militants entreprennent alors des actions de

destruction du mur en marge de la manifestation146. Celles-ci consistent le plus souvent à cisailler les

barbelés formant la barrière de séparation, voire à forcer l’ouverture des portes qui permettent de le

traverser, à l’instar de l’action menée le 26 décembre 2003 à proximité du village de Mas’ha. En

Cisjordanie, les modes d’action employés par les militants des Anarchistes Contre le Mur répondent

donc à une double contrainte : celle de la primauté des choix effectués par les manifestants

palestiniens, et celle de la réaction aléatoire de l’armée israélienne, généralement fonction du

commandement spécifique à chaque manifestation.

145

Doug McAdam, Sidney Tarrow, Charles Tilly, « Pour une cartographie de la politique contestataire », Politix, 41, 1998,

pp.6-32, p. 15.

146 Le « mur » est en fait constitué de multiples tronçons, dont les matériaux varient selon les villages et selon l’avancée des

travaux de construction. Il s’agit alternativement d’un mur en béton d’une hauteur de six à huit mètres ou d’une barrière

constituée de fils barbelés et de fossés, que surplombent de nombreux miradors.

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Une action contre le mur dans le village de Bil’in

Avec la répétition régulière d’une même pratique manifestante émerge alors une forme

d’institutionnalisation du protocole d’action. L’exemple du village de Bil’in en fournit un exemple

probant, également caractéristique des manifestations initiées en d’autres endroits sur le tracé du

mur. Organisées depuis le 20 février 2005, elles s’y sont déroulées chaque jour au cours des deux

premiers mois, puis deux fois par semaine, avant d’adopter un rythme hebdomadaire à raison d’une

manifestation chaque vendredi. Il s’agit pour les Anarchistes Contre le Mur d’organiser le transport

des manifestants israéliens vers le centre du village de Bil’in, de prendre connaissance des modalités

de l’action auprès du Comité populaire palestinien, de participer à la manifestation puis d’organiser

le retour des militants en Israël. L’innovation y est marginale, et le déroulement caractérisé par la

répétition systématique d’un même protocole d’action. Devenue routinière, la manifestation relève

ainsi de ce qu’avec Hank Johnston nous appellerons une manifestation symbolique, « clairement

publique et transgressive »147. Elle peut être considérée comme une fin en soi, en tant que moment

privilégié pour la reconnaissance de l’identité du groupe et occasion d’interagir avec l’ensemble des

acteurs du conflit. Elle permet également la prise de conscience par le groupe du rapport de force

créé face à l’adversaire, dans la perspective d’un effet quantitatif pouvant être converti en une

ressource symbolique par l’intermédiaire des media présents. Patrice Mann souligne à ce propos

l’existence d’effets de seuil, impulsés par l’image d’un flot grossissant de participants et pouvant

147

Hank Johnston, « Let’s Get Small : The Dynamics of (Small) Contention in Repressive States », Mobilization: An

International Journal, 11 (2), juin 2006, pp. 195-212, p. 195.

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encourager le passage à l’acte de sympathisants148. Ressource nombre et représentation de soi sont

ainsi les caractéristiques essentielles des actions collectives inscrites dans la durée, telles que celles

de Bil’in.

Avec l’apparition d’une logique itérative émergent donc différents types de manifestations.

Les plus récentes relèvent vraisemblablement du « premier degré » de l’action collective identifié par

Patrick Champagne, qui se soucient peu de l’image et visent avant tout la satisfaction immédiate des

revendications. En 2007, elles se produisent pour la plupart dans le sud de la Cisjordanie, aux

environs des villes de Bethléem et Hébron, notamment dans les villages de Beit Ummar, Umm

Salamuna et Wadi Nis. Celles dites de « second degré » s’apparentent alors à des manifestations plus

anciennes et ritualisées, parfois proches d’une forme de pèlerinage, la construction du mur de

séparation y étant achevée et l’effet de démonstration privilégié149.

Un militantisme en quête d’innovation

Mode d’action privilégié, la manifestation conjointe israélo-palestinienne en Territoire

palestinien n’offre qu’une marge de manœuvre limitée aux participants des Anarchistes Contre le

Mur, l’initiative des variations symboliques sous la forme d’objets, photos ou peintures portés par le

cortège relevant essentiellement des Comités populaires mis en place dans les villages. A l’inverse,

l’organisation d’activités militantes sur le territoire israélien semble plus propice à l’apparition

progressive d’innovations impulsées par les jeunes militants israéliens, qui y bénéficient en outre

d’un terrain d’action moins répressif ainsi que d’un accès accru aux symboles matériels de l’autorité

étatique israélienne à laquelle ils s’opposent150. D’une fréquence moins élevée que celle des

manifestations étudiées précédemment, ces actions n’en jouent pas moins un rôle de représentation

du groupe essentiel à son existence comme à la diffusion de ses revendications parmi la société

israélienne. En effet, principalement situées à Tel Aviv, elles consistent avant tout en des actions

symboliques de rue sollicitant directement le public israélien, hors des canaux habituels constitués

par la presse écrite et audiovisuelle. Patrice Mann nous rappelle le rôle central du public dans la

pérennité d’une mobilisation de mouvement social, en tant que témoin et réserve mobilisable dont il 148

Patrice Mann, « Les manifestations dans la dynamique des conflits », in : Pierre Favre (Éd.), La Manifestation, Paris,

Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, pp. 271-303, p. 278.

149 Patrick Champagne, « La manifestation : la production de l’événement politique », Actes de la recherche en sciences

sociales, 52-53, juin 1984, pp. 18-41, p. 23.

150 Notamment les locaux du Ministère de la Défense israélien à Tel Aviv, devant lesquels se sont déroulées plusieurs

manifestations au cours de ces dernières années.

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convient préalablement pour les groupes de conflit de capter l’attention, en vue de gagner son

adhésion à la cause défendue151. Dans ce type d’action, la concentration des groupes du mouvement

de la paix à Tel Aviv et Jérusalem et la plus grande propension des sympathisants et militants

ponctuels à participer aux activités militantes à faible risque suscitent des conditions favorables à la

production d’un effet quantitatif, source d’une visibilité accrue pour les groupes mobilisés. De plus, la

nationalité israélienne et l’usage de la langue hébraïque par les participants facilitent, davantage que

lors des manifestations palestiniennes, la transmission d’informations de nature à modifier le

contenu des représentations entretenues par le public à l’égard du groupe et de ses revendications.

A partir du répertoire d’action qui leur est disponible, le choix des Anarchistes Contre le Mur

tend ainsi à se porter vers un panel plus diversifié d’activités militantes, selon une perspective

essentiellement symbolique visant à solliciter l’attention des passants avant que ne soit dispersée la

manifestation ou que ne disparaissent les signes d’une action passée. Il s’agit bien ici de ce que Hank

Johnston nomme les « hit-and-run protests », actions dans lesquelles l’image d’un cortège nombreux

ou la force des symboles employés compensent la fugacité de leur exposition au regard du public152.

Les signaux qu’elles envoient désignent l’existence de brèches dans la légitimité de la politique

contestée, participant ainsi au processus de constitution de l’acteur tout en favorisant le

recrutement de soutiens supplémentaires. Pour ce faire, les Anarchistes Contre le Mur s’appuient sur

des formes innovantes d’action, puisées dans le répertoire des nouveaux mouvements sociaux et

rompant avec les traditions manifestantes de leurs prédécesseurs du mouvement de la paix israélien.

Il convient d’en isoler deux types distincts, selon qu’elles reposent sur la forme classique de la

manifestation ou qu’elles s’en éloignent de par leur protocole d’action.

Dans le premier cas, l’innovation relève du « travail d’invention permanente des groupes

dans l’art de manifester » décrit par Patrick Champagne, et consiste à habiller la forme usuelle de la

manifestation de pratiques originales, porteuses d’un message supplémentaire ou aptes à gagner

l’attention de ses témoins. Un exemple probant en est la manifestation organisée à Tel Aviv le 5 juin

2007, en vue d’inaugurer la campagne militante d’une semaine devant marquer l’anniversaire de

l’occupation israélienne en Cisjordanie et à Gaza. Inspirée des pratiques des mouvements écologistes

nord-américains et européens, la manifestation a pris la forme d’un cortège de militants à vélo selon

l’idée de « masse critique », procédé non-polluant garantissant la visibilité de la manifestation tout

151

Patrice Mann, « Les manifestations dans la dynamique des conflits », op. cit.

152 Hank Johnston, « Let’s get small… », op. cit., p. 205.

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en réduisant les risques d’arrestation habituellement suscités par un rassemblement non-autorisé

dans les rues de Tel Aviv : « Nous ne gênons pas la circulation, nous sommes la circulation ! »,

rappelait un document préparatoire communiqué sur la liste de diffusion des Anarchistes Contre le

Mur. Organisée au départ de la Cinémathèque de Tel Aviv où se tenait un événement organisé par le

groupe de surveillance des checkpoints Machsom Watch, la manifestation s’est ensuite dirigée vers

les bâtiments du Ministère de la Défense, avant d’emprunter les principales avenues de Tel Aviv.

Masse critique dans les rues de Tel Aviv, 05/06/2007

En marge du modèle de la manifestation, divers autres modes d’action ont été

progressivement développés par les membres des Anarchistes Contre le Mur sur le territoire

israélien. Non orientés vers la création d’effets de seuil, leur caractéristique commune est au

contraire l’effacement de leurs auteurs derrière la disposition de symboles forts, visant à imprégner

les lieux de vie israéliens d’images représentant l’occupation des Territoires palestiniens. Trois

exemples issus des actions effectuées entre le 5 et le 11 juin 2007 nous permettront de les

appréhender. Il s’agit tout d’abord des opérations de blocage des rues, pratiques déjà expérimentées

à plusieurs reprises par les Anarchistes Contre le Mur depuis leur formation en 2003. Elles consistent

à interrompre la circulation par la mise en place de fils barbelés au travers des rues, semblables à

ceux utilisés sur certains tronçons du mur de séparation, et accompagnés de pancartes et de textes

explicatifs rédigés à l’intention des automobilistes. L’objectif, tel que décrit par les Anarchistes

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Contre le Mur, consiste à faire éprouver aux habitants de Tel Aviv les difficultés rencontrées par les

Palestiniens de Cisjordanie lors de leurs déplacements quotidiens, entravés par la présence de

nombreux checkpoints : « L’interruption qu’a créé notre barrage n’est rien comparée aux

interruptions causées par les checkpoints de l’armée, les routes de l’apartheid, les colonies et le mur

de séparation », affirmait l’un d’entre eux, cité par le quotidien Ha’aretz153.

Action de blocage à Tel Aviv, Rothschild Street,03/02/2007

Un second mode d’action abondamment employé lors des « Six jours contre l’occupation »

du mois de juin 2007 consiste en l’affichage sauvage de pancartes, banderoles, graffitis ou

photographies en de multiples lieux de la ville de Tel Aviv, offrant à la vue des passants des slogans

anonymes d’opposition dénonçant les conditions de l’occupation militaire israélienne. C’est dans

cette même perspective qu’a été exposée, avec l’aide des Anarchistes Contre le Mur, la série de

photographies « 40 ans depuis la victoire » réalisée par les jeunes photographes du collectif israélien

Activestills. Répondant à un protocole opératoire anonyme et nocturne, l’affichage sauvage de ces

clichés effectués en Cisjordanie et à Gaza s’assimile fortement à un acte politique proche des

manifestations de type hit-and-run, en ce qu’il repose également sur la brièveté d’une image forte

destinée à interpeller le passant sur l’objet de la contestation.

153

Ha’aretz, « Activists block T.A. road with material from W. Bank separation fence », 03/02/2007.

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Poster accompagné d’un graffiti à tel Aviv, janvier 2007 : « Abir Aramin, 1995-2007, tuée par la police

des frontières israélienne »

Cette pratique est encore celle ayant caractérisé un troisième mode d’action employé dans la nuit du

10 au 11 juin 2007 par les Anarchistes Contre le Mur , lors de laquelle des bombes de peinture rouge,

symbolisant le sang des populations palestiniennes, ont alternativement été projetées contre les

bâtiments des Forces de Défense Israéliennes (IDF) puis vers les fontaines ornant la ville, rapidement

teintées d’une coloration rouge.

Tel Aviv, 11/06/2007

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L’identité collective développée par les Anarchistes Contre le Mur au fil des interactions

individuelles entre militants se matérialise ainsi par la production d’un discours et de modes d’action

dont l’attache semble à la fois locale, nationale et régionale, leurs auteurs comme le public visé étant

essentiellement israéliens, tandis que le terrain d’action qu’ils occupent se situe alternativement à

Tel Aviv et dans les Territoires palestiniens. L’étude micro-sociologique que nous avons jusqu’alors

privilégiée nous a permis d’inscrire le groupe dans son environnement immédiat, en nous

interrogeant sur les modalités d’une mobilisation spécifique grâce aux outils d’analyse développés

par la recherche sociologique portant sur les mouvements sociaux. Cette étape était à l’évidence

indispensable pour pouvoir envisager ensuite l’étude du groupe dans la perspective de relations

internationales que nous suggère son intervention dans le conflit israélo-palestinien. Le prochain

chapitre y sera donc consacré, dans lequel nous nous pencherons sur les dimensions transnationales

ayant caractérisé l’évolution récente des Anarchistes Contre le Mur.

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Partie 3

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D’un territoire à l’autre,

des anarchistes dans l’espace mondial

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L’accroissement des flux de personnes, de capitaux, d’idées ou de connaissance à l’échelle

mondiale est à l’origine d’une analyse des relations internationales en termes de réseaux

transnationaux d’individus et de groupes. La notion de réseau, que nous avons eu l’occasion

d’exploiter en amont de ce travail lors de l’étude micro-sociologique du groupe, semble à nouveau

pertinente dans la perspective d’une analyse macro s’intéressant à son inscription au sein de la

société mondiale. Selon Bertrand Badie, « réelle par les sociabilités nouvelles qu’elle entretient et par

les conflits […] qu’elle génère, la société mondiale tire son sens de cette nouvelle lecture du social à

laquelle nous conduit l’hypothèse des réseaux transnationaux » 154. La formation puis l’évolution des

Anarchistes Contre le Mur ne pourrait être pleinement saisie en dehors d’une perspective

transnationale la confrontant aux développements de l’espace mondial. Il ne s’agit pas seulement,

dans le cas qui nous intéresse, de considérer les réseaux de personnes auxquels tendent à s’intégrer

les militants. La spécificité de la mobilisation, dans ses pratiques internes, ses modes d’action et ses

revendications, nous amènera ici à considérer la proximité constatée avec d’autres types de

mobilisations sociales en termes de territorialisation de la contestation. C’est en effet sur un

ensemble idéologique vaste, à la croisée de l’anarchisme et des nouveaux mouvements sociaux,

qu’émerge en Israël la contestation des Anarchistes Contre le Mur. Nous nous intéresserons donc

dans cette partie à la spécificité de l’anarchisme développé par le groupe dans le cadre particulier du

conflit israélo-palestinien, que nous contextualiserons par ailleurs en nous appuyant sur l’idée d’une

diffusion des pratiques des nouveaux mouvements sociaux ainsi que des mouvements dits

« alternatifs » (Chapitre 5). Nous envisagerons ensuite l’insertion des Anarchistes Contre le Mur dans

un mouvement transnational de type altruiste, en nous attachant à préciser les conditions d’une

mise en réseau récente et active de la part du groupe (Chapitre 6).

L’exemple des Anarchistes Contre le Mur, inscrits dans la transnationalité en de multiples

facettes, nous permettra de donner du sens à l’idée d’un espace mondial au sein duquel

interagissent les acteurs non-étatiques. L’émergence récente du groupe constituera ici un éclairage

précieux, en ce qu’elle nous renseignera sur les processus d’insertion intervenant au sein des réseaux

transnationaux lors de l’apparition d’une mobilisation nouvelle. Elle nous conduira enfin à

comprendre les dynamiques concomitantes de réception (Chapitre 5) et de production (Chapitre 6)

des flux transnationaux par un acteur intervenant directement face à l’Etat dans un conflit

international tel que le conflit israélo-palestinien.

154

Bertrand Badie, Préface, in : Ariel Colonomos (Éd.), Sociologie des réseaux transnationaux, Paris, L’Harmattan, 1995,

p.16.

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Chapitre 5 :

La territorialisation d’une contestation

********

Il s’agira dans ce chapitre d’examiner l’hypothèse de la territorialisation d’une contestation

observée en de multiples lieux de la scène mondiale, principalement dans les pays développés de

l’Europe occidentale et du continent américain. Nous nous intéresserons tout d’abord aux

spécificités de l’anarchisme israélien développé par le groupe, en tant qu’appropriation locale d’une

idéologie à visée universaliste, que nous nous attacherons ensuite à inscrire dans la dynamique plus

générale des mouvements sociaux et alternatifs ayant émergé depuis les années 1970.

A. Vers l’élaboration d’un anarchisme israélien

Il est peu aisé de définir avec précision la nature idéologique des revendications sociétales

portées par les Anarchistes Contre le Mur. Le soutien apporté par le groupe aux mouvements

palestiniens dits « de résistance populaire », souvent porteurs de revendications nationales

encourageant la formation d’un Etat palestinien, est source d’interrogations légitimes sur le

caractère anarchiste pourtant sous-entendu par son appellation.

L’anarchisme comme culture politique

Malgré la complexité et la diversité des théories anarchistes développées en Russie, en

Europe puis aux Etats-Unis depuis la seconde moitié du XIXe siècle, il apparait ici nécessaire d’en

rappeler quelques traits fondamentaux. Le socle idéologique commun aux différents courants

anarchistes semble bien se trouver dans la critique de l’autorité, quelle qu’en soit la forme

empruntée. « Les Anarchistes partagent le désir d’une société libre de toute institution coercitive

politique et sociale qui ferait obstacle au développement d’une humanité libre », écrivait Rudolf

Rocker en 1937155. Plus précisément, l’objet de la contestation exprimée à l’égard des institutions

réside dans leur structure organisationnelle pyramidale, perçue comme une hiérarchie contraignante

et contraire aux valeurs de liberté et d’égalité défendues. L’idéologie anarchiste se veut alors une

proposition alternative orientée vers la mise en place d’une structure organisationnelle nouvelle,

155

Rudolf Rocker, Anarcho-Syndicalism. Theory and Practice, Edinburg, AK Press, 2004, p.9.

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ainsi que le résume L. Susan Brown : « les Anarchistes s’opposent à l’idée que le pouvoir et la

domination sont nécessaires pour la société, et prônent au contraire des formes plus coopératives,

anti-hiérarchiques d’organisation sociale, politique et économique »156. Face à l’idée d’un

gouvernement « non seulement inutile, mais aussi extrêmement pernicieux », l’anarchie, entendue

comme absence d’autorité, fait figure de modèle émancipateur susceptible de porter « ordre

naturel, unité des besoin humains et des intérêts de tous, liberté totale dans une solidarité totale »,

selon les termes d’Errico Malatesta157. Les entretiens réalisés avec certains membres des Anarchistes

Contre le Mur ont mis en évidence la prégnance de cette pensée anti-autoritaire dans le discours

énoncé. Kobi Snitz s’appuie notamment sur l’exemple d’un kibboutz dénué de force policière, et dans

lequel ne se serait produit qu’un seul meurtre depuis sa création, pour illustrer son propos :

« S’il n’y a pas d’autorité, cela fait vraiment la différence. Personne ne vit dans un stress

et une pression constants. Sais-tu qu’à Trieste, ils ont aboli le confinement non-volontaire

dans les institutions de santé mentale, il y a de cela une trentaine d’années ? On ne peut

pas placer quelqu’un dans une institution de santé mentale contre sa volonté. Il y a des

personnes qui te diront que c’est impossible, que c’est trop dangereux, qu’il y a des gens

fous… Mais apparemment, les dégâts causés par les institutions de santé mentale sont

sans doute plus importants que le risque engendré par ces quelques fous. De même pour

la police et les prisons, il se peut que les dégâts qu’elles occasionnent soient plus

importants que les dégâts potentiellement causés par ces personnes antisociales, [aux

symptômes] pathologiques… Il est difficile d’imaginer ce type de personne, qui serait

antisociale sans raison. S’il n’y a pas de manque (scarcity) »158

La vision du monde développée par ce militant rejoint alors une critique profonde de l’organisation

économique de la société, désignée comme le « système capitaliste », dont est mise en question la

structuration en « classes » sociales hiérarchisées : « Le capitalisme ne se résout pas lui-même, il a

tendance à s’étendre. La seule chose qu’il fasse par lui-même est d’étendre et d’accroître l’inégalité et

l’oppression », affirme Yonatan Pollak159. De même, pour Kobi Snitz, « il ne peut pas y avoir de société

de classes sans répression. Les gens ne sont pas volontairement pauvres. Si l’on élimine la structure de

156

L. Susan Brown, The Politics of Individualism: Liberalism, Liberal Feminism and Anarchism, London, Black Rose Press,

1993, p. 106.

157 Errico Malatesta, Anarchy, London, Freedom Press, 1974 (première publication 1891), p. 16.

158 Entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

159 Entretien avec Yonatan Pollak, militant des Anarchistes Contre le Mur.

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83

classes, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit d’inhérent à la société qui nécessite la

répression »160.

La terminologie employée, à travers les concepts d’autorité, de domination et de classes

sociales, permet de mesurer le poids de l’ascendance anarchiste sur le discours de certains militants

parmi les plus actifs. Il est d’ailleurs fréquent de les voir arborer les symboles de l’anarchisme,

notamment le drapeau noir, lors des manifestations contre l’occupation des Territoires palestiniens

organisées à Tel Aviv. Ces signes se font toutefois plus discrets dans le cas des actions conjointes

menées en Cisjordanie au cours desquelles l’identité israélienne du groupe semble primer sur son

identité anarchiste, les militants n’y évoquant qu’en de rares occasions les problématiques sociales

dénuées de lien direct avec le contexte immédiat du conflit israélo-palestinien. De fait, au sein même

du groupe, l’attachement aux idées et aux revendications portées par l’anarchisme semble se

matérialiser en des formes disparates d’auto-identification par les militants. A la lumière des

résultats obtenus dans l’enquête de terrain et de l’ensemble des documents produits par le groupe

(articles, interviews), deux catégories d’individus peuvent être relevées. La première est constituée

de militants ayant identifié en tant que telle leur appartenance idéologique au mouvement

anarchiste, qu’ils entretiennent principalement par la lecture de revues, d’ouvrages et de sites

internet dédiés aux théories et à l’histoire de l’anarchisme. Yonatan Pollak se définira ainsi comme

un « anarchiste classique, anarcho-communiste », tandis que Kobi Snitz se souvient l’avoir découvert

lors de ses études à l’Université de Toronto, à la lecture de textes de Noam Chomsky161. Deux

militants du groupe sont également auteurs d’articles portant tant sur les caractéristiques de leur

lutte entreprise dans les Territoires palestiniens que sur ses liens avec la défense plus générale des

idées anarchistes : Uri Gordon, 30 ans, dont plusieurs textes ont été publiés par la revue britannique

Anarchist Studies, et Ilan Shalif, 71 ans, ancien membre de Matzpen et auteur de contributions

régulières au site d’information anarchiste A-Infos. La seconde catégorie de militants se révèle plus

problématique. A la question « vous considérez-vous comme anarchiste ? », leur réponse est souvent

semblable à celle du héros de Nabokov, Timofeï Pnine : « Et d’abord, que comprenons-nous par le

terme : Anarchisme ? »162. La prudence qu’ils affichent quant à la définition de leur ascendance

idéologique se voit généralement justifiée par une connaissance incomplète des théories de

l’anarchisme, qu’ils semblent toutefois inscrire dans un processus long d’apprentissage politique

160

Entretien avec Kobi Snitz.

161 Entretiens avec Yonatan Pollak et Kobi Snitz.

162 Timofeï Pnine relate alors, devant ses étudiants, son arrivée aux Etats-Unis et les questions politiques auxquelles il a

du répondre. Il ajoute : « Anarchisme pratique, métaphysique, théorique, mystique, abstrait, individuel,

social ? ». Vladimir Nabokov, Pnine, Paris, Gallimard, 2006, p. 17.

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84

favorisé par la proximité de militants convaincus163. L’environnement dans lequel ils sont mobilisés,

défini comme la « gauche radicale » non communiste, les encourage de fait, par le biais

d’interactions prolongées, à développer des représentations du monde semblables au système

d’interprétation anarchiste. L’identification du groupe opérée par le processus de nomination semble

donc se doubler de la mise en place progressive d’une « structure mentale spécifique », ainsi que la

désigne Alain Pessin, caractérisée par l’adhésion commune, bien qu’à des degrés variés, de ses

militants aux modes de pensée anarchistes. C’est bien en ce sens que peut être définie l’existence

d’une culture politique partagée par les membres des Anarchistes Contre le Mur, en tant que

« réservoir de symboles dans lequel peuvent choisir les futurs entrepreneurs du mouvement »164.

L’empreinte locale d’une aspiration universaliste

L’idéologie revendiquée par les Anarchistes Contre le Mur soulève naturellement la question

de leur rapport au nationalisme palestinien, vigoureux dans l’ensemble des lieux qu’ils fréquentent

au cours de leurs actions. Il n’est pas exclu de voir, occasionnellement, les militants du groupe

manifester aux côtés de membres du Fatah, à l’instar de la manifestation de Bil’in du 5 janvier 2007,

ou encore du Front Démocratique pour la Libération de la Palestine (FDLP) comme lors de celle

organisée le 2 mars 2007 dans le même village. Interrogés sur ces deux exemples, certains militants

expliquent avoir rapidement surmonté leurs hésitations initiales pour rejoindre des manifestations

« palestiniennes, [qui] sont contre l’occupation »165. La question des liens entre l’anarchisme, qui

constitue par définition un anti-colonialisme, et les mouvements locaux appelés « luttes de libération

nationale » - ou souvent dans les Territoires palestiniens « de résistance populaire » - n’est pas

nouvelle. Elle a d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs publications, dont le livret Des luttes de

libération nationale… à l’anarchisme rédigé par les groupes Louise Michel et Pierre Besnard en

1985166. « Disons-le tout net, aujourd’hui comme hier, le mouvement libertaire est largement divisé

quant à l’attitude à adopter par rapport aux luttes de libération nationale », commence le texte, qui

décrit ensuite l’existence de deux positions antinomiques, l’une soucieuse de la dérive nationaliste

163

Entretien avec Yoav et Sarah, militants des Anarchistes Contre le Mur.

164 Sidney Tarrow, “Mentalities, Political Cultures, and Collective Action Frames: Constructing Meaning through Action”, in:

Aldon D. Morris, Mueller Carol McClurg (Eds.), Frontiers in Social Movement Theory, New Haven, Yale University Press,

1992, p. 197.

165 Voir notamment l’entretien avec Kobi Snitz, militant des Anarchistes Contre le Mur.

166 Groupe Libertaire Louise Michel, Groupe Pierre Besnard (Éds.), Des luttes de libération nationale… à l’anarchisme, Paris,

Editions La Rue, 1985. Les groupes Louise Michel et Pierre Besnard, tous deux situés à Paris, font partie de la Fédération

Anarchiste française.

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portée par de tels mouvements et favorable au processus préalable de révolution sociale, l’autre

privilégiant l’apport d’une réponse immédiate à « l’oppression colonialiste »167. Dans le cas du conflit

israélo-palestinien, la première perspective envisagée est notamment celle des syndicalistes

britanniques de la Solidarity Federation qui la décrivent en ces termes : « Nous soutenons le combat

du peuple palestinien… [et nous] sommes aux côtés de ces Israéliens qui protestent contre le

gouvernement raciste… Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est soutenir la création d’un nouvel Etat

au nom de la ‘libération nationale’ »168. A l’inverse, c’est essentiellement dans la seconde approche

que s’inscrit l’analyse portée par les Anarchistes Contre le Mur sur leurs propres actions, par ailleurs

signal de la capacité introspective (self-reflexive) décrite par Alberto Melucci. Afin d’étudier les

caractéristiques de l’anarchisme développé par le groupe, nous nous appuierons sur les travaux de

l’Israélien Uri Gordon, membre des Anarchistes Contre le Mur et dont la thèse de doctorat

« Anarchisme et Théorie Politique : Problèmes Contemporains » s’applique en son chapitre 8 à

justifier l’intervention des anarchistes israéliens dans le conflit169.

Significatif des positions défendues par les militants du groupe interrogés au cours de

l’enquête de terrain, l’argumentaire repose sur quatre propositions principales. La première est

énoncée en ces termes : « dans une situation imparfaite […], la solidarité en vaut toujours la peine,

quand bien même elle s’exprimerait au prix de l’incohérence »170. Confronté au dilemme de

l’anarchisme face au nationalisme palestinien, Uri Gordon avance ici une proposition pragmatique

fondée sur un engagement avant tout anti-impérialiste et humanitaire. L’exercice de la solidarité est

alors entendu comme une fin en soi dans le cadre général d’une « lutte contre l’injustice »,

considérée indépendamment des objectifs supposés des Palestiniens initiateurs du mouvement. Il

s’agit bien ici d’affirmer la primauté du principe de l’anti-impérialisme sur celui de l’anti-étatisme,

dans une perspective de compromis menant à considérer l’Etat palestinien comme « la seule solution

à court terme, quoiqu’imparfaite, face à leur oppression actuelle ». La seconde idée développée par

Uri Gordon apparait plus audacieuse à l’égard de l’anarchisme traditionnel, en ce qu’elle vise cette

fois à démontrer l’absence de contradiction réelle opposant la création probable d’un Etat

palestinien aux idéaux anarchistes. « Les Palestiniens vivent déjà sous un Etat – Israël », rappelle t-il,

167

Ibid.

168 Solidarity Federation, « Human Rights : Yes – State of Palestine : No », Direct Action, (23), été 2002. Solidarity Federation

est la section britannique de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT).

169 Uri Gordon, « Anarchim and Political Theory : Contemporary Problems », Thèse de doctorat en Philosophie, Department

of Politics & International Relations, Mansfield College, University of Oxford, 2005, 353 pages.

170 Ibid., pp. 303-304.

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86

arguant dès lors que la formation d’un nouvel Etat n’apporterait qu’un changement d’ordre

quantitatif peu signifiant dans le processus visant à établir une organisation sociale nouvelle à

l’échelle mondiale. Loin du compromis perçu comme imparfait dans la première proposition, Uri

Gordon envisage ici la possibilité d’un développement véritablement positif à travers la formation

d’un Etat palestinien, qui remplacerait en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza un Etat israélien

qualifié de « brutal » : « le control par une autorité civile, bien qu’elle soit largement pire que

l’anarchie, demeure bien meilleure que l’autorité militaire d’Israël, avec son lot d’humiliation

implacable et de control sur la quasi-totalité du quotidien des Palestiniens »171. Une optique

qualitative est ici privilégiée, reléguant au second plan les préoccupations anti-étatistes d’un

anarchisme intransigeant. Le troisième argument, loin des développements théoriques précédents,

s’appuie davantage sur des considérations stratégiques envisageant la promotion de conditions

favorables à la diffusion des idées anarchistes. L’établissement d’un Etat palestinien doublé de la

mise en œuvre d’un processus de paix israélo-palestinien à long terme apporterait alors un élément

nouveau au système des opportunités politiques régional, susceptible d’offrir un espace politique

élargi aux luttes anarchistes. « Dans la région telle qu’elle est aujourd’hui, tous les autres agendas

anarchistes (anti-capitalisme, féminisme, écologie, etc.) sont submergés par la conflit actuel »172.

Apaiser les tensions entre Palestiniens et Israël constituerait dès lors une étape indispensable

permettant d’encourager, par la formation d’un Etat palestinien, l’émergence de nouveaux

mouvements sociaux favorables aux principes anarchistes. Enfin, la quatrième proposition

développée par Uri Gordon tend à relativiser l’importance du débat sur l’Etat formulé

précédemment, considérant sa création, ou non, comme un processus échappant inévitablement aux

partisans de l’anarchisme. La participation des Anarchistes Contre le Mur pourrait ainsi être

considérée en dehors de tout questionnement sur l’évolution du conflit ou sur les intentions

nationales des Palestiniens rejoints, ces problématiques apparaissant, selon l’auteur, peu pertinentes

dans le contexte des actions quasi-quotidiennes entreprises par les militants sur le terrain.

La rencontre entre anarchisme et lutte de libération nationale trouve donc une application

particulière dans le cadre du conflit israélo-palestinien, ainsi qu’en témoigne l’approche développée

par certains membres des Anarchistes Contre le Mur, synthétisée ici par Uri Gordon. La

réorganisation théorique de certains principes fondamentaux, dont ceux d’anti-impérialisme et

d’anti-étatisme, marque déjà la territorialisation de l’idéologie effectuée par des militants devenant à

leur tour producteurs de norme, dans le cadre d’une contestation d’un type nouveau.

171

Ibid., p. 305. 172

Ibid., p. 306.

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B. La formulation d’une alternative face aux Etats

Au-delà de l’anarchisme, la contestation de la politique menée par l’Etat israélien qui est

celle des Anarchistes Contre le Mur semble s’inscrire dans un ensemble plus vaste de mouvements

sociaux. Leur évolution contemporaine, marquée par une capacité accrue à s’étendre dans l’espace

mondial, est à l’origine de la formulation d’une alternative aux Etats à laquelle participe l’action des

anarchistes israéliens.

Un nouveau mouvement social dans l’espace mondial

A ce stade de l’analyse, il s’avère assez aisé d’identifier dans le groupe étudié les traits

distinctifs de ce que l’on appelle les « nouveaux mouvements sociaux », au regard tant du discours

que des pratiques développés lors de ces quatre années de mobilisation. L’objet même de leur

action, qui prend forme autour de la contestation d’une politique spécifique menée par l’Etat

israélien depuis 1967, nous permet d’établir un premier parallèle avec l’ensemble des mouvements

issus des années 1960 et dont l’essor est caractéristique de la décennie 1970. Féminisme,

écologisme, pacifisme : la contestation nouvelle qui apparait alors se distingue rapidement de ce que

l’on considère aujourd’hui comme les « anciens mouvements sociaux » par la pratique plus

directement participationniste sur laquelle elle repose. L’engagement des militants dans des activités

de « concurrence des élites », ainsi que les qualifie Ronald Inglehart, rompt avec l’orientation de

« direction des élites » auparavant dominante173. La volonté d’agir sur une politique donnée

indépendamment des partis politiques n’est pas indissociable de la critique de l’expert formulée par

Kobi Snitz :

« Il n’y a pas besoin d’être un si grand expert pour décider de l’action politique, des

priorités ou de comment interagir avec les gens. Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit

qui nous force à laisser les gens intelligents ou les experts prendre les décisions pour les

autres. C’est un mythe bourgeois très populaire que [de penser que] les gens au pouvoir

sont des experts »174

.

173

Ronald Inglehart, The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles Among Western Publics, Princeton,

Princeton University Press, 1977.

174 Entretien avec Kobi Snitz.

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La perte de confiance dans les organisations traditionnelles de représentation, essentiellement les

partis politiques dans le cas des Anarchistes Contre le Mur, prend forme dans un discours critique

décrivant l’inaction de partis « en compétition » peu à même de prendre en compte les

préoccupations sociales portées par le groupe175. Celles-ci interviennent par ailleurs le plus souvent

dans ce qu’Alain Touraine nomme « le temps des émotions », avec pour objet principal la défense

des droits de l’être vivant, qu’il soit humain, animal ou végétal176 : « Les actes quotidiens de

résistance auxquels participent […] les anarchistes en Palestine et Israël sont des mesures

immédiates qui aident à préserver les moyens d’existence et la dignité des gens […] », explique Uri

Gordon177.

La proximité ainsi constatée entre le groupe et l’ensemble plus vaste des nouveaux

mouvements sociaux paraît enfin évidente à la lecture des quatre caractéristiques idéales-typiques

établies par Claus Offe178. La première s’intéresse aux acteurs, qu’il décrit comme n’étant plus issus

d’un groupe socio-économique impliqué dans un conflit de redistribution des ressources. S’ils

appartiennent souvent à une catégorie sociale identifiable, ils n’agissent toutefois pas en tant que tel

mais au profit d’un ensemble diffus de bénéficiaires. La seconde met en avant la nouveauté des

revendications, non plus portées sur la croissance économique, la redistribution, la sécurité sociale

ou militaire, mais davantage sur le terrain des luttes de préservation de l’environnement, des droits

ou de la paix. Les valeurs sur lesquelles elles reposent, troisième caractéristique envisagée,

s’attachent alors à promouvoir l’autonomie de la personne face au contrôle centralisé d’une forme

institutionnalisée d’autorité. Dignité, intégrité des conditions de vie physiques, participation

égalitaire, formes pacifiques et solidaires d’organisation sociale : l’ensemble de ces idéaux

universalistes et émancipateurs tendent à orienter l’action des nouveaux mouvements sociaux, loin

des principes de liberté et d’égalité de la consommation privée ou de progrès matériel privilégiés par

l’ancien paradigme. L’analyse de Claus Offe se porte enfin les structures organisationnelles et les

modes d’action mis en œuvre. Il y voit une évolution majeure, menant les mouvements sociaux à

délaisser les formes d’organisation interne formelles qui accompagnaient auparavant les associations

représentatives de grande taille, au profit de structures informelles d’apparence spontanée

marquées par un faible degré de différenciation verticale.

175

Ibid.

176 Alain Touraine, Le Retour de l’acteur, Paris, Fayard, 1984, p. 43.

177 Uri Gordon, « Anarchim and Political Theory : Contemporary Problems », op. cit., p. 307.

178 Claus Offe, Disorganized Capitalism. Contemporary Transformations of Work and Politics, Cambridge, Polity, 1985.

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L’existence de mouvements sociaux toujours plus nombreux et similaires en de nombreux

points de vue s’accompagne, dans la période contemporaine, d’une reconnaissance mutuelle faisant

émerger l’idée d’un « mouvement des mouvements », également évoquée par les militants dans la

perspective d’une « convergence des luttes ». Celle-ci peut être analysée comme le résultat d’un

phénomène de diffusion de la contestation, dont l’exemple des anarchistes israéliens permet

d’identifier deux formes concomitantes. Il s’agit tout d’abord d’une diffusion spatiale, exercée d’un

pays ou d’un continent à un autre, et par laquelle sont transférées en de nouveaux lieux de conflit les

représentations et modes d’action déjà éprouvés. Si les nouvelles technologies de l’information et de

la communication sont le plus souvent citées pour expliquer ce phénomène, les trajectoires

militantes des membres les plus actifs du groupe semblent également y participer. Rappelons que

Kobi Snitz et Yonatan Pollak ont tous deux fait l’expérience de l’action militante à l’étranger,

respectivement en Amérique du Nord et aux Pays-Bas, le premier y ayant essentiellement côtoyé les

mouvements pacifistes et syndicalistes étudiants, tandis que le second s’y engageait dans

l’anarchisme, la défense du droit des animaux et les mouvements punks. A l’instar d’Uri Gordon,

plusieurs militants ont en outre participé aux grandes manifestations de l’altermondialisme, telles

que celles de Washington en avril 2000, de Gênes en juillet 2001 ou plus récemment de Rostock en

juin 2007. Il n’est alors pas surprenant de les voir reproduire certaines pratiques militantes,

observables notamment dans les modes d’action et d’organisation interne, au sein des mouvements

sociaux qu’ils initient en Israël. Le second type de diffusion est relatif à la transmission de la

contestation d’un secteur du mouvement social à un autre. Il s’agirait, selon Sidney Tarrow et David

Meyer, d’une institutionnalisation accrue de la protestation sociale faisant intervenir une multiplicité

d’acteurs et de revendications, doublée en Israël d’une forme de professionnalisation de militants

transversaux intervenant dans différents mouvements179. Nous l’avons vu, l’engagement militant des

membres des Anarchistes Contre le Mur se réduit rarement à la seule question palestinienne, la

représentation collective développée au cours de ces dernières années ayant fait émerger l’idée

d’une lutte plus générale contre toute forme de domination. La création du Salon Mazal en 2001 en

est un signe probant, qui matérialise sur le plan local la convergence des luttes souhaitée par les

militants. L’inflation du nombre des mouvements observée à Tel Aviv depuis la fin des années 1990

témoigne également de la familiarité et de la légitimité acquises par la manifestation, ainsi que le

souligne Charles Tilly : familiarité, dès lors que des acteurs non ou peu expérimentés deviennent

susceptibles de la reproduire en d’autres formes de contestation, et légitimité, le recours à la

manifestation étant de fait synonyme de « normalité », voire d’ « honorabilité » dans la perception

179

Sidney Tarrow, David Meyer (Ed.), The Social Movement Society. Contentious Politics for a New Century, Lanham,

Rowman & Littlefield Publishers, 1998, p.4.

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des militants180. La transmission des répertoires d’action s’effectue donc d’un lieu à l’autre comme

d’un secteur thématique à l’autre, les Anarchistes Contre le Mur apparaissant à cet égard

doublement impliqués, en tant que récepteurs de pratiques observées à l’étranger ou dans d’autres

types de mouvements sociaux antérieurs, puis producteurs d’innovations susceptibles d’être

reproduites au sein du mouvement des mouvements.

L’horizon du quotidien dans la réinvention de l’anarchisme

Les similarités observées entre les mouvements impulsés par les anarchistes israéliens et

ceux appartenant à la catégorie des « nouveaux mouvements sociaux » traduisent une évolution plus

profonde de l’anarchisme contemporain. Celui-ci semble en effet marqué par une différenciation

nouvelle opposant aux formes traditionnelles des groupes anarchistes, souvent réunis au sein de

fédérations nationales, une frange « mouvementiste » issue des mouvements sociaux des années

1970 et des mouvements antiglobalisation du début des années 2000181. Selon David Graeber dans

un article intitulé « Les Nouveaux Anarchistes », « il est difficile de penser à une autre époque qui

aurait été marquée par un tel fossé entre intellectuels et activistes ; entre théoriciens de la

révolution et ceux qui la mettent en pratique »182. L’idée de l’apparition d’une forme nouvelle

d’anarchisme commence à se faire jour parmi ses militants, dont certains évoquent une mutation

engagée au cours du XXe siècle. C’est le cas de Ronald Creagh qui en distingue deux grandes

époques, l’ « âge classique », caractérisé par les groupes traditionnels, et l’ « âge des alternatives »,

auquel appartiendraient alors les jeunes militants des Anarchistes Contre le Mur : « c’est tout

l’imaginaire collectif qui se repense au sein du mouvement social », ajoute t-il183. Parfois qualifiées de

mouvements « a minuscule », par opposition au « A majuscule » des groupes organisés, ces formes

nouvelles semblent pouvoir se définir par deux caractéristiques majeures : une pratique accrue de

l’action protestataire, et une primauté accordée à la culture libertaire sur l’anarchisme politique.

L’exemple des Anarchistes Contre le Mur permet de rendre compte de ces deux éléments. En effet,

alors que l’action des anarchistes patentés consiste essentiellement en la publication de revues,

ouvrages et prospectus ainsi qu’en l’organisation de réunions de réflexion, celles des Anarchistes

180

Charles Tilly, From Mobilization to Revolution, Reading, Addison-Wesley, 1978, chap. 5.

181 Isabelle Sommier emploie le terme « antiglobalisation » pour qualifier « l’opposition à la mondialisation économico-

financière d’inspiration néolibérale » de ces mouvements. Isabelle Sommier, Le Renouveau des mouvements contestataires

à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 30.

182 David Graeber, « For a new anarchism », New Left Review, (13), janvier-février 2002, pp. 61-73, p. 61.

183 Ronald Creagh, « L’anarchisme en mutation », in : Alain Pessin, Mimmo Pucciarelli (Éds.), La Culture libertaire, Actes du

colloque international de Grenoble, mars 1996, Lyon, Atelier de création libertaire, 1997, pp. 25-39.

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Contre le Mur s’inscrit plus volontiers dans le domaine de l’action directe, dans une confrontation

régulière avec les autorités représentantes de l’Etat. De ce premier aspect en découle le second, le

rythme hebdomadaire de l’action déployée dans les Territoires palestiniens et en Israël ayant

rapidement fait émerger la nécessité d’une organisation interne performante. On assiste alors, au

sein du groupe, au développement de ce que l’on appelle les « prefigurative politics », également

observables en de nombreux mouvements antiglobalisation d’inspiration libertaire. Le choix ici du

terme « libertaire » n’est pas anodin. Souvent assimilé à l’adjectif « anarchiste », il permet toutefois

de rendre compte de la différenciation que nous décrivons, entre l’idéologie politique anarchiste au

sens classique du terme, anti-autoritaire, et la mise en pratique des principes dits « libertaires » dans

les modes de vie et d’organisation interne. L’ « horizon du quotidien » décrit par Ronald Creagh y est

prépondérant, et les pratiques journalières constituent dès lors un domaine d’action relativement

autonome des idées politiques s’intéressant aux transformations à plus grande échelle de la société.

Cette caractéristique, observée chez les Anarchistes Contre le Mur, explique certainement les

réticences de certains militants à se dire véritablement « anarchistes », de même qu’elle permet de

mieux saisir, a posteriori, l’origine des premières difficultés rencontrées lors de l’enquête de terrain.

Intéressée par l’idéologie des militants, je tentais alors de les interroger sur leurs perceptions des

théories développées au XIX et XXe siècle par les principaux auteurs de l’anarchisme. Il est

rapidement apparu que l’intérêt des enquêtés se portait davantage sur les questions liées aux

dynamiques internes d’organisation du groupe et de vie en communauté réduite, que sur celles

ayant trait à l’organisation du travail, de la propriété ou de la société en général. Leur conception de

l’ « anarchisme » se révélait alors assez différente de celle que m’inspirait l’anarchisme traditionnel

des pays européens. La nouveauté se situe bel et bien sur le terrain de la pratique quotidienne,

comme l’indiquent ces propos d’Uri Ayalon :

« Il y a un an, j’ai commencé à penser à ce que je pouvais faire dans mon activisme, qui

apporterait un modèle plutôt que de simplement lutter contre l’ennemi. Pour ne pas

simplement résister aux soldats, aux tribunaux, à l’Etat, ce que j’ai déjà beaucoup fait

dans ma vie. Qu’est-ce que je pouvais faire qui signifierait : « regardez, c’est comme ça

que je veux vivre » ? Pour moi c’est ça l’anarchisme, ne pas attendre la révolution –

comme dans le communisme – qui va venir et nous sauver, mais changer la réalité dès

maintenant. Ce mode de vie, qui est déconnecté de l’Etat et qui repose sur la

communauté, c’est ça pour moi l’anarchisme »184

.

184

Entretien avec Uri Ayalon, ancien militant des Anarchistes Contre le Mur.

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La pratique développée par Uri Ayalon dans la région de Netivot est issue d’un imaginaire écologique

libérateur, à la fois proche de la culture libertaire et de l’altermondialisme dans sa double critique de

la société de consommation et de la dépendance des individus à l’Etat. La vie en communauté

instituée dans ce qu’il nomme sa « commune anarchiste » repose sur une autonomie quasi-complète

des services de l’Etat, dans une optique non-polluante impliquant notamment l’auto-production des

aliments et l’organisation du recyclage par compostage. Proche de l’ « écologie profonde » qui

envisage l’humanité comme l’une des parties de l’écosystème, l’environnementalisme d’Uri Ayalon

trouve un répondant chez un certain nombre de jeunes militants anarchistes de Tel Aviv, notamment

chez ceux ayant opté pour le végétalisme. Cette pratique systématique d’une forme de « révolution

silencieuse » n’est toutefois pas sans susciter des réactions prudentes de la part des militants les plus

actifs des Anarchistes Contre le Mur, qui y voient parfois le risque d’une dépolitisation de l’activisme

anarchiste contraire aux objectifs du groupe :

« Je crois qu’il y a une tendance très dangereuse de l’anarchisme actuel à être dépolitisé,

à oublier complètement la société et à se concentrer seulement sur le mode de vie. Je

pense que le mode de vie est important, mais si on ne se préoccupe que du mode de vie,

si tout ce que l’on veut est vivre sa vie tranquillement… Mais je pense que c’est

important, comme la liberté personnelle, la passion, les désirs, parce que ce sont des

éléments que la société oppresse en vue de contrôler les gens. Il y a différents niveaux de

control : il y a le niveau de la police et de l’armée qui sont assez évidents, mais il y a aussi

les niveaux sociaux qui sont plus difficiles à remarquer, qui sont plus difficiles à identifier,

mais qui sont importants »185

.

Pour les Anarchistes Contre le Mur, la pratique quotidienne majeure se situe donc sur le terrain de

l’organisation interne. Impulsée par la fréquence des actions et par le nombre croissant de

participants, la réflexion portant sur les dynamiques internes au groupe semble aujourd’hui susciter

une attention particulière. L’entretien réalisé avec Kobi Snitz est à cet égard significatif des

discussions engagées entre les militants :

« Il y a un petit groupe de personnes qui détient toute l’information. La question n’est

pas que certaines personnes soient accusées de prendre des décisions qu’elles n’auraient

185

Entretien avec Yonatan Pollak.

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93

pas l’autorité de prendre : dépenser de l’argent, organiser une action ou pas… Personne

n’a l’autorité de prendre une telle décision par soi-même. C’est à propos de petites

choses, comme… combien de personnes prennent la parole en réunion. Cela semble

insignifiant mais ça contribue aux dynamiques de groupe, si ce sont les mêmes personnes

qui parlent pendant les réunions et que les autres ne parlent pas, ça crée une certaine

hiérarchie entre les personnes qui parlent et les autres. Ceux qui parlent ont plus

d’influence. S’il y a des personnes qui prennent les décisions, pas des décisions

importantes, mais… Dans les manifestations par exemple, si nous devons aller à gauche

ou à droite : ce n’est pas une décision importante, mais si ce sont toujours les mêmes qui

prennent la décision, même si elle n’est pas majeure, ça crée une certaine hiérarchie. De

l’extérieur cela semble bête et insignifiant, mais ce sont les vrais questions auxquelles

nous réfléchissons »186

.

La création de « comités » ad hoc et la désignation de coordinateurs auxquels sont attribués des

responsabilités ponctuelles constituent ainsi l’objet principal des réunions organisées à l’approche

des manifestations. L’enjeu, pour les militants, est bien de parvenir à une structure organisationnelle

égalitaire et non-discriminatoire laissant à chacun des participants la possibilité d’intervenir selon ses

moyens, tant dans le temps de l’action que lors de sa préparation en amont. D’application

immédiate, les efforts fournis dans le domaine des dynamiques internes n’en représentent pas moins

les prémices d’un modèle de relations interpersonnelles conforme aux principes anarchistes, dont les

résultats obtenus seraient alors susceptibles d’être étendus à d’autres types de groupement,

anarchistes ou non. C’est en cela que les Anarchistes Contre le Mur s’apparentent à un mouvement

social de type « alternatif », appellation vide de contenu dans son acception théorique, mais qui

prend corps ici avec la formulation d’une alternative aux modes d’interaction modernes fondée sur

les valeurs et les principes organisationnels de la culture libertaire.

186

Entretien avec Kobi Snitz.

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94

Chapitre 6 :

Des militants en réseau

********

En s’inscrivant dans la durée, l’action développée par le groupe tend à le plonger dans un

second type de transnationalité. De la participation active des Anarchistes Contre le Mur au conflit

israélo-palestinien résulte en effet leur insertion progressive au sein de réseaux militants favorables

aux revendications qu’ils portent, non plus seulement israéliens mais véritablement transnationaux.

Il s’agit en premier lieu de ce que nous qualifieront de « réseau de solidarité avec la Palestine », dont

la mobilisation intervient spécifiquement autour des questions posées par le conflit israélo-

palestinien et dans lequel l’inscription du groupe semblait quasi-naturelle. Il conviendra ensuite de

s’intéresser à la visibilité croissante des Anarchistes Contre le Mur dans l’espace mondial : ses

dynamiques récentes, signes d’une évolution nouvelle engagée par le groupe, nous renseigneront

simultanément sur les difficultés qu’il rencontre au sein de l’espace national israélien.

A. Un acteur nouveau du conflit israélo-palestinien

L’apparition récente des Anarchistes Contre le Mur limite nécessairement le nombre

d’indices susceptibles de nous renseigner sur leur participation au réseau transnational que nous

allons décrire. Les données recueillies nous permettent toutefois d’y voir les premiers signes du

processus de mise en réseau dans lequel ils s’engagent, et dont découle une reconnaissance plus

large, hors des frontières nationales, du groupe en tant qu’acteur du conflit.

Les Anarchistes Contre le Mur dans le réseau de solidarité avec la Palestine

Qu’il s’agisse de répressions à l’encontre d’une population donnée, de guerres de

décolonisation ou de conflits internationaux, les politiques intérieures et extérieures menées par les

Etats ont régulièrement suscité, depuis la Seconde guerre mondiale, l’émergence de coalitions

protestataires dépassant le cadre des frontières nationales. Encouragées par le développement des

nouvelles technologies de l’information et des communications, elles prennent la forme de

combinaisons ad hoc, provisoires et informelles, que Frédéric Charillon décrit comme des « réseaux

de facto à logiques multiples » entre des acteurs répondant à des motivations distinctes, mais réunis

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95

« par connivence, par convergence d’intérêt »187. Le flou résultant de cette multiplicité d’acteurs

rend difficile la compréhension précise du phénomène observé, et ce plus particulièrement dans le

cas de ce que nous appelons ici le « réseau de solidarité avec la Palestine ». Dissimulant une grande

diversité d’appellations dans ses formes locales et nationales, avec des variantes allant de la défense

d’une « Palestine libre » à celle d’ « une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens », il

repose essentiellement sur la critique de la politique israélienne menée dans les Territoires

palestiniens depuis 1967 et revendique l’exercice de la souveraineté et de l’auto-détermination

palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza. La diversité des positions pouvant être défendues hors de

ces grandes lignes nécessite toutefois, davantage que pour les mouvements sociaux nationaux,

l’existence de rendez-vous symboliques ponctuels lors desquels semble converger l’ensemble des

militants mobilisés. La Journée de la Terre, célébrée le 30 mars de chaque année, ainsi que le 40ème

anniversaire de la guerre des Six Jours célébré les 9 et 10 juin 2007, en sont des exemples manifestes.

Commémorant la mort de six Palestiniens lors d’une manifestation contre les expropriations de terre

organisée en Israël en 1976, la première est aujourd’hui perçue comme le « symbole de la résistance

palestinienne » par l’ensemble des groupes et individus formant le réseau de solidarité, tandis que la

seconde visait plus explicitement à influer sur la nature des politiques nationales à l’égard du Proche-

Orient dans la logique quantitative des grands rassemblements. Ce type de manifestation présente

parfois l’occasion d’y associer les Anarchistes Contre le Mur, par le biais de ses militants séjournant à

l’étranger. Ce fut le cas le 21 novembre 2005 lors d’un meeting organisé dans le Gymnase Japy de

Paris par le Collectif National pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens : « A la

tribune, outre Christian Picquet, secrétaire du Collectif, se tenaient Pierre Vidal-Naquet, Monique

Chemillier-Gendreau, le palestinien Mohamed Khatib, membre du comité du village de Bil’in,

l’israélienne Mikhal Raz de l’association israélienne « Anarchistes contre le Mur », Majed Bamya et

Leïla Shahid dont c’était le dernier meeting à Paris en tant que Déléguée Générale de la Palestine en

France », rapporte Brahim Senouci sur le site internet de l’Association France Palestine Solidarité

(AFPS), en ajoutant par ailleurs : « L’image forte de ce meeting, c’est celle de Leïla Shahid, levant les

bras de Mikhal et Mohammed sous un tonnerre d’applaudissements »188.

187

A propos notamment des groupes réclamant l’arrêt des sanctions économiques contre l’Irak dans les années 1990.

Frédéric Charillon, « La connivence des acteurs non étatiques dans la guerre du Golfe : les réseaux de contestation de la

logique d’Etat », in : Ariel Colonomos (Éd.), Sociologie des réseaux transnationaux, Paris, L’Harmattan, 1995, pp. 73-109, p.

84.

188 Brahim Senouci, « Le 21 novembre à Paris : un succès de la mobilisation unitaire », site internet de l’AFPS, 27/11/2005.

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96

Plus encore que les meetings ne réunissant essentiellement que les acteurs locaux du réseau

de solidarité, les rencontres effectuées par les militants des Anarchistes Contre le Mur sur le lieu

même de leurs actions, principalement en Cisjordanie, sont à l’origine de relations durables dont

découle une interconnaissance accrue entre les groupes, ainsi qu’une visibilité à plus long terme pour

les militants israéliens. Les deux Conférences internationales de Bil’in ont en ce sens joué un rôle

intéressant au cours de ces deux dernières années. Tenues en février 2006 puis en avril 2007 dans

l’un des villages les plus médiatisés de Cisjordanie, elles visaient à réunir quelques centaines de

militants et sympathisants à la fois Palestiniens, Israéliens et étrangers – dont une cinquantaine de

militants français - autour de discussions portant sur les stratégies non-violentes mises en œuvre par

les différents mouvements. Action directe, désinvestissement, médiatisation : ce large panel de

thématiques abordées a également suscité l’intervention de plusieurs personnalités proches du

réseau de solidarité, dont Ilan Pappé, historien israélien, Amira Haas, journaliste pour le quotidien

Ha’aretz, Azmi Bishara, député arabe israélien, Jean-Claude Lefort, député communiste français,

Luisa Morgantini, députée européenne et Stéphane Hessel, diplomate et ambassadeur français. Ce

type d’épisode transnational, ponctuel mais répété, constitue bien le lieu et le moment d’une

articulation entre mouvements nationaux et mobilisations contestataires thématiques. Avec Isabelle

Sommier, nous pouvons en définir différents types de ressources pour le réseau de solidarité189. La

plus évidente d’entre elles est certainement le processus de mise en relation entre des acteurs

mobilisés sur un même type de revendication, ce que Sidney Tarrow appelle le « courtage », qui

demeure toutefois fragile en l’absence d’interaction régulière et prolongée190. Si ses implications sur

l’évolution du mouvement demeurent souvent difficiles à discerner, il arrive qu’elles se concrétisent

par des initiatives militantes communes, définies par Isabelle Sommier comme un second type de

ressource. La campagne internationale conjointe pour le boycott des entreprises participant à la

construction du mur ou des colonies israéliennes en Territoires palestiniens en est le signe, avec

notamment la multiplication des actions militantes contre le groupe Caterpillar en Israël, en Europe

ainsi qu’aux Etats-Unis191. Se produit alors un échange d’expériences militantes entre des

mouvements sociaux avant tout nationaux, mais entre lesquels la circulation de mots d’ordre ou de

189

Isabelle Sommier, Le Renouveau des mouvements contestataires… op. cit., pp. 214-216.

190 Sidney Tarrow, « La contestation transnationale », Cultures et Conflits, (38-39), été-automne 2000, pp. 187-223.

191 Caterpillar est en effet l’une des cibles privilégiées de ce boycott, en particulier depuis la mort de l’américaine Rachel

Corrie, militante de l’International Solidarity Movement écrasée par un bulldozer de cette marque le 16 mars 2003. De

nombreuses manifestations et distributions de tracts ont été menées devant les usines de construction Caterpillar depuis

cette date, notamment à Genève (mai 2004), Peoria (Etats-Unis, décembre 2004), Grenoble (février 2005). Cette campagne

est également menée dans le cadre du mouvement antiglobalisation prônant la responsabilité sociale des entreprises, ainsi

que le signale l’action du mouvement War on Want.

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répertoires d’action est au fondement d’une dynamique transnationale nouvelle. La rencontre ainsi

opérée entre différents types d’acteurs se situe bien dans ce qu’Ariel Colonomos qualifie de

« relations par le bas », hors du schéma des relations interétatiques habituellement indiqué par

l’idée de « conférence internationale »192. Isabelle Sommier souligne enfin l’impact de ces rendez-

vous sur l’émergence progressive d’une forme d’identité collective élargie, fondée sur l’élaboration

de thématiques et d’alternatives communes, dont il semble qu’elle soit tant le résultat que

l’antichambre d’un militantisme local de groupes appartenant désormais à un même réseau

thématique et transnational. Plus diffuse que l’identité propre d’un mouvement national tel que les

Anarchistes Contre le Mur, celle suscitée par la constitution d’un réseau repose toutefois davantage

sur l’idée d’une communauté d’intérêts ou de valeurs qui n’est pas sans laisser apparaître une

véritable pluralité des modes d’action et des profils militants. Il semble ainsi que la participation

croissante des Anarchistes Contre le Mur à ce réseau, essentiellement produite par leur présence lors

des Conférences internationales de Bil’in et des manifestations organisées en Europe ou aux Etats-

Unis, ajoute à leur implantation israélienne une perspective d’action transnationale nouvelle sans en

affecter pour autant la mobilisation spécifique décrite précédemment, tant dans ses pratiques

militantes que dans ses objectifs politiques.

Un investissement prudent dans le militantisme transnational

Le concept de réseau transnational de défense d’une cause (transnational advocacy network)

développé par Margaret Keck et Kathryn Sikkink, qui s’applique indéniablement au réseau de

solidarité évoqué jusqu’alors, nous permet de mieux comprendre l’insertion des Anarchistes Contre

le Mur sur la scène transnationale193. Les deux auteurs décrivent ce type de réseau comme un

regroupement d’acteurs cherchant à « faire gagner les demandes, les revendications et les droits des

moins puissants sur les intérêts supposés des plus puissants »194. L’apport de ce concept réside

principalement dans la distinction opérée entre les idées de « réseau transnational » et de

« mouvement social transnational », à partir de l’étude des modes d’action retenus. En effet, s’ils

s’appuient sur l’existence de mouvements sociaux nationaux, les réseaux décrits par Keck et Sikkink

reposent essentiellement sur l’idée d’ « information », qu’elle soit échangée entre les différents

acteurs du réseau ou présentée à une audience plus large de récepteurs. « Alternatives à l’action de

192

Ariel Colonomos, Sociologie des réseaux transnationaux, op. cit., p. 48.

193 Margaret Keck, Kathryn Sikkink (Eds.), Activists beyond Borders, Advocacy Networks in International Politics, New York,

Cornell University Press, 1998.

194 Ibid., p. 217.

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masse » mise en œuvre par les mouvements sociaux, les stratégies développées par le réseau

consistent davantage à « collecter de l’information crédible et la déployer stratégiquement dans des

endroits déterminés »195. Conversation téléphoniques, emails, bulletins d’information, tracts :

l’activité du réseau vise alors à promouvoir le changement par le biais de l’information plutôt que par

l’action collective contestataire engageant la présence physique des militants. Deux formes de

militantisme émergent ainsi, distinctes mais non-exclusives, entre celle habituellement déployée par

un groupe d’action directe tel que les Anarchistes Contre le Mur et celle des réseaux transnationaux

de défense d’une cause, fondée sur ce que Keck et Sikkink appellent une « politique d’information ».

Certaines pratiques observées chez les militants du groupe nous permettent de déceler les

signes d’une participation volontaire à ce réseau. Il s’agit tout d’abord de l’entretien régulier de leur

site internet, alimenté des comptes-rendus de leurs actions en même temps que des articles de

presse y étant consacrés. Les détails fournis sur le déroulement des manifestations ainsi que sur

l’évolution des travaux de construction du mur de séparation jouent indéniablement un rôle

d’information à l’intention du public comme de l’ensemble du réseau de solidarité. Chiffres, dates,

identité des personnes blessées : l’ensemble de ces renseignements est ensuite appuyé par les

photographies nombreuses du groupe Activestills, ainsi que par les vidéos amateurs souvent filmées

lors de leurs actions. Le site internet des Anarchistes Contre le Mur participe en outre d’un effort de

témoignage ne visant pas uniquement le public israélien, sa rédaction en langue anglaise plutôt

qu’en hébreu indiquant sa portée internationale tant dans l’intention de ses concepteurs que dans le

résultat obtenu. Un second exemple du travail d’information produit se trouve dans la réalisation du

film Bil’in Habibti par Shai Carmeli-Pollak, frère de Yonatan Pollak et également militant des

Anarchistes Contre le Mur. Financé par la chaîne de télévision israélienne Channel 8, le film produit

en 2006 rend compte des manifestations organisées en Cisjordanie à travers les témoignages de trois

Palestiniens du village de Bil’in. La dimension transnationale de ce film est identifiable selon deux

perspectives. La première s’attache à souligner le rôle joué par son auteur dans la diffusion du film

hors de ses lieux de production – Israël et la Cisjordanie : sous-titré en hébreu, arabe, anglais et

français, le film a ainsi été présenté en de multiples festivals étrangers, dont le Film Festival de

Rotterdam où il a obtenu en 2006 la mention spéciale pour la catégorie « Movies that matter »196.

195

Ibid., p. 226.

196 Film Festival de Rotterdam, 2006. La catégorie « Movies that matter » a été instaurée en 2003 par Amnesty International

pour promouvoir les films portant sur « les droits de l’homme et/ou la dignité humaine »

(http://www.filmfestivalrotterdam.com). Les films sélectionnés dans cette catégorie sont ensuite diffusés dans le cadre du

Festival du Film d’Amnesty International. Bil’in Habibti a également remporté le premier prix du film documentaire au

Festival du Film de Jérusalem en 2006.

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Une tournée de projections en France a alors été organisée par Shai Carmeli-Pollak au début de

l’année 2007, en région parisienne mais également en Normandie et en Bretagne, donnant lieu à une

couverture médiatique importante au sein de la presse régionale française. « Non à la construction

du mur par Israël », titrait Ouest-France en février 2007, avant d’évoquer un village « transpercé par

le mur de la colère » ainsi que l’action non-violente des militants palestiniens et israéliens197.

L’impact de Bil’in Habibti en Europe n’est ici pas indifférent de la volonté d’informer un large public,

hors d’Israël, exprimée par son auteur :

« Mon espoir était d’apporter une information différente, rarement évoquée, sur le

thème d’Israël et de la Palestine. Une façon de dire : regardez, il existe un mouvement

non-violent contre l’existence de ce mur, avec des Palestiniens et des Israéliens unis

contre la même absurdité. Et avec une forte répression en face. Le film est diffusé en

Europe et au Canada, et je suis là pour en parler, avec mes amis Wagee et Rani, pendant

une grosse semaine, entre ici, Paris et Rotterdam : j’espère ainsi interpeller le maximum

de monde »198

.

Ces propos tenus par Shai Carmeli-Pollak laissent apparaître une volonté nouvelle de témoignage par

certains militants des Anarchistes Contre le Mur, à travers l’utilisation de l’image comme outil

d’information et de mobilisation en dehors des frontières israéliennes. Le second élément révélé par

la diffusion du film a trait à la mobilisation des réseaux transnationaux effectuée par le groupe,

préalablement à son exportation. C’est en effet à l’initiative de deux mouvements français qu’a été

organisée la majorité des projections réalisées en France, l’Association France Palestine Solidarité et

le Mouvement de la Paix.

« Après Rotterdam nous sommes allés en France, nous étions invités par des groupes

d’activistes, ils ont cette sorte de réseau… Ils ont donc organisé cette tournée à Paris et

autour de Paris, aussi à Rouen […]. Je connaissais certaines personnes auparavant, de

Bil’in. Donc je connaissais les gens, nous avions ce lien avant, ils savaient que nous

197

Serge Concarneau, « Non à la construction du mur par Israël », Ouest-France, 12/02/2007. Voir aussi : « Bil’in mon

amour », Le Progrès de Cornouaille, 02/02/2007 ; « Film et débat sur la lutte non-violente en Palestine », Ouest-France,

Page Concarneau, 06/02/2007 ; « Un documentaire sur la lutte non-violente en Cisjordanie », Le Télégramme, Page

Cornouaille, 06/02/2007 ; « Aujourd’hui à Kerfeunteun – Film-conférence sur la Palestine », Le Télégramme, 10/02/2007 ;

« Un documentariste israélien et deux villageois palestiniens à la MPT », Ouest-France, Page Quimper, 10-11/02/2007 ;

« Shai Carmeli Pollak : « Plus un militant qu’un réalisateur » », Le Télégramme, Page Cornouaille, 12/02/2007.

198 Shai Carmeli-Pollak, interview pour Le Télégramme, « Shai Carmeli Pollak : « Plus un militant qu’un réalisateur » »,

12/02/2007.

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venions à Rotterdam et ils ont pensé que c’était une bonne occasion pour nous de venir

aussi en France »199

.

L’insertion des Anarchistes Contre le Mur dans le réseau transnational de solidarité avec la

Palestine est ici révélée par l’organisation d’un événement précis, la projection en France du film

Bil’in Habibti. Toutefois, si les contacts établis lors des actions de Cisjordanie sont sources de

relations prolongées dépassant le cadre du territoire palestinien, peu d’exemples nous permettent

de constater une participation véritablement volontaire du groupe aux activités traditionnelles

d’information et de lobbying propres au réseau. Initiative individuelle plus que collective, le film de

Shai Carmeli-Pollak relève avant tout d’une volonté de faire connaître l’existence de la lutte conjointe

israélo-palestinienne, sans qu’aucun indice ne nous permette d’y percevoir le signe d’une action

politique visant à influer sur les décisions des acteurs institutionnels, israéliens ou étrangers. La

projection du film dans l’enceinte du Sénat le 7 avril 2007 résulterait en effet d’une initiative des

militants français du réseau de solidarité soutenus par la sénatrice communiste Nicole Borvo,

davantage que d’une demande de son réalisateur200. La méfiance exprimée par un grand nombre de

militants du groupe à l’égard des activités de médiatisation explique certainement le faible nombre

d’actions menées dans cette direction. Kobi Snitz la résume ainsi, en référence au travail

d’information produit notamment par le film Bil’in Habibti :

« Ce ne doit pas être confondu avec une réussite (achievement). Ce n’est pas la même

chose. Même s’il y a beaucoup de personnes qui savent ce que nous faisons, et pensent

que c’est bien… Je veux dire que cela a un certain objectif, ce n’est pas mal, mais nous

devons prendre garde à ne pas penser que nous avons obtenu quelque chose parce que

les gens savent ce que nous faisons. Cela ne signifie pas tant que ça »201

.

Emerge ici la spécificité des Anarchistes Contre le Mur au sein du réseau de solidarité. Peu enclin à

recourir aux modes d’action induits par le militantisme transnational, le groupe se distingue des

autres membres du réseau par son implantation géographique propice au développement de l’action

directe. « Si plus de personnes venaient, cela aurait une signification plus importante, plutôt que les

gens soient informés, et soient seulement informés. C’est la seule force que nous avons. Si nous étions

199

Entretien avec Shai Carmeli-Pollak.

200 Entretien avec Jacques Richard, membre du comité La Courneuve-Palestine.

201 Entretien avec Kobi Snitz.

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plus nombreux… »202. La question du résultat attendu est ainsi primordiale dans le choix des modes

d’action du groupe, la perception du degré d’efficacité en fonction du temps investi le menant à

privilégier l’action de terrain sur la politique d’information plus souvent déployée par les groupes

non-israéliens.

B. L’exportation d’une lutte dans les circuits transnationaux de protestation

La participation encore ténue des Anarchistes Contre le Mur aux activités de médiatisation et

de lobbying du réseau de solidarité avec la Palestine n’exclut pas l’entrée progressive du groupe dans

un second type de transnationalité. Mouvement pour le moins original au sein du conflit israélo-

palestinien, l’évolution qui le caractérise aujourd’hui tend à inscrire son identité dans un

environnement élargi à l’espace mondial, selon des réseaux transnationaux de protestation peu

explorés par les autres acteurs du mouvement de la paix israélien.

Vers une capitalisation de la ressource transnationale

L’étude des réseaux transnationaux de défense d’une cause effectuée par Keck et Sikkink

nous encourage à nous intéresser au rôle joué par la structure d’opportunité politique nationale sur

l’évolution du mouvement. « Les réseaux de défense d’une cause sont les plus visibles en des

situations dans lesquelles l’accès interne des revendiquants est bloqué ou quand ceux qui produisent

les demandes sont trop faibles politiquement pour se faire entendre », analysent-elles203. Le réseau

est ainsi examiné dans la perspective d’une contrainte institutionnelle pesant sur un mouvement

local ou national, empêchant la formulation ou la satisfaction de ses revendications. Nous avons

précédemment insisté sur la perception qu’ont les acteurs de leur environnement social et politique :

dans le cas des Anarchistes Contre le Mur, le sentiment d’isolement voire de marginalisation est en

effet apparu dominant dans la qualification de leur action politique au sein de la société

israélienne204. Cette caractéristique nous amène à envisager le processus de transnationalisation

opéré actuellement par le groupe comme le résultat de difficultés réelles et/ou perçues éprouvées

lors de son insertion sur l’échiquier politique interne. En résulte une démarche que nous qualifierons

202

Ibid.

203 Margaret Keck, Kathryn Sikkink, « Transnational Advocacy Networks in the Movement Society », in: Sidney Tarrow, David

Meyer (Ed.), The Social Movement Society. Contentious Politics for a New Century, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers,

1998, pp. 217-238, p. 221.

204 Voir Partie 2 – Chapitre 3 : « Vers une lecture commune du conflit ».

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d’ « exportation de la lutte » du territoire israélien vers l’étranger, semblable à un processus de

diffusion menant les militants des Anarchistes Contre le Mur à interagir avec un ensemble d’acteurs

non-israéliens. La mise en réseau effectuée par le groupe s’apparente alors à une quête active de

soutiens extérieurs, susceptibles d’accroître ensuite sa légitimité et/ou son efficacité à l’intérieur

même du territoire national. Il s’agit ici de ce que Keck et Sikkink appellent « l’effet boomerang »,

dans la qualification d’un processus menant les ONG à s’attirer les faveurs d’une autorité extérieure

– étatique ou non-étatique – susceptible d’exercer à son tour des pressions sur l’Etat d’origine.

L’objectif, pour les Anarchistes Contre le Mur, semble bien être une modification de la structure des

opportunités politiques israélienne en leur avantage, bien que celle-ci soit attendue d’un soutien

direct apporté au groupe plutôt que de pressions exercées sur l’Etat. La sphère transnationale

apparait dès lors comme un terrain d’action nouveau, propice à la captation de ressources externes

pouvant être retranscrites au sein de l’espace interne par le groupe de conflit.

Outre l’isolement du groupe sur la scène politique israélienne, les difficultés financières qui

en résultent semblent constituer le point de départ essentiel de son entrée dans la transnationalité.

L’illégalité manifeste des actions protestataires menées par les Anarchistes Contre le Mur en Israël et

dans les Territoires palestiniens est à l’origine d’une multiplication des procédures judiciaires à

l’encontre de ses militants. Rassemblement illégal, émeute, atteinte à la propriété publique : si les

peines prononcées pour ces chefs d’inculpation se limitent le plus souvent à la réalisation de travaux

d’intérêt général, l’ampleur des frais engagés a rapidement encouragé le groupe à rechercher de

nouvelles sources de financement205. Aux ressources personnelles des militants initialement

privilégiées va s’ajouter, progressivement, une multitude de pratiques facilitant la collecte de fonds,

de la vente de produits annexes à la demande de dons effectuée notamment par le biais de leur site

internet. Bien que déployées en Israël à travers la mobilisation des réseaux de sympathisants dans

lesquels le groupe est inscrit, l’évolution récente observée au cours de ces deux dernières années

semble marquée par la sollicitation croissante de soutiens à l’étranger. L’originalité du groupe à cet

égard est de ne pas s’adresser seulement aux mouvements issus du réseau de solidarité évoqué

précédemment. On constate en effet, de la part des Anarchistes Contre le Mur, un effort croissant

visant à la mobilisation de soutiens nouveaux hors des circuits traditionnels, en direction

principalement des groupes anarchistes européens et américains. Nous relèverons deux types

d’actions employées dans cette perspective. Il s’agit en premier lieu de contacts établis en l’absence

de rencontre directe entre militants anarchistes israéliens et étrangers. L’initiative en revient

205

Essentiellement lié au remboursement des frais avancés par leur avocate Gaby Lasky, le niveau de la dette contractée

par les militants s’élèverait, selon eux, à une somme d’environ 25 000 euros.

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essentiellement aux premiers, qui sollicitent le soutien des seconds, groupes informels ou

fédérations patentées appartenant à l’Internationale des Fédérations Anarchistes, par la publication

d’articles au sein de leurs revues. De cette mise en réseau initiale peut ensuite résulter un soutien

accru et explicite de la part de militants anarchistes qui participeront dès lors au financement des

activités du groupe en Israël et dans les Territoires palestiniens. Les relations établies avec la

Fédération Anarchiste française en fournissent une illustration significative. Déjà intéressée au conflit

israélo-palestinien et à l’action des Anarchistes Contre le Mur, elle avait publié le 2 novembre 2006

un communiqué faisant état d’ « un jour sombre de plus pour les antimilitaristes et antiautoritaires

en Israël et en Palestine », à propos du 15 octobre 2006 : « ce même jour a vu partir en prison une

militante palestinienne active au sein du collectif des Anarchists Against The Wall et un jeune

objecteur de conscience qui a refusé de porter l’uniforme de l’armée israélienne », expliquait l’article

publié sur le site internet du Secrétariat aux Relations Internationales de la Fédération Anarchiste206.

Le 30 janvier 2007 est alors publié, sur ce même site internet ainsi que dans Le Monde Libertaire, un

premier article rédigé par Yonatan Pollak. « Sur l’Apartheid et des petites victoires en Palestine »

relate le choix de la désobéissance civile des Anarchistes Contre le Mur à l’encontre du décret

israélien du 19 novembre 2006 interdisant la conduite de Palestiniens par des citoyens israéliens en

Cisjordanie207. C’est à cette même période, en janvier 2007, que Shai Carmeli-Pollak et Sarah, tous

deux militants du groupe, organisent au sein de la Librairie du Monde Libertaire de Paris une

projection du film Bil’in Habibti suivie d’une réunion-débat portant sur les conditions de leur action

au Proche-Orient. Enfin, dans le numéro du 15 mars 2007 du Monde Libertaire, la publication d’un

article de Kobi Snitz simplement intitulé « Anarchistes contre le mur » est l’occasion d’un appel aux

dons au bénéfice du groupe et de ses activités. L’introduction rédigée par la fédération anarchiste se

présente comme suit :

« Il y a quelques mois les Relations internationales de la Fédération anarchiste sont entrées en

contact avec des membres d’Anarchistes contre le mur. A travers divers échanges, des articles écrits

pour le monde libertaire, et lors de rencontres en France avec des membres du collectif, il est devenu

évident que ce groupe mène une lutte permanente contre l’Etat d’Israël et pour l’abolition de

l’apartheid au Proche-Orient. Confrontés aux réalités de l’action directe, les Anarchistes contre le mur

ont de gros problèmes financiers pour combler les amendes encourues, les frais d’avocats et les coûts

206

Secrétariat aux Relations Internationales de la Fédération Anarchiste, « Israël-Palestine. Un jour sombre de plus », 2

novembre 2006 : http://international.federation-anarchiste.org.

207 Yonatan Pollak, « Sur l’Apartheid et des petites victoires en Palestine », Site internet de la Fédération anarchiste, 30

janvier 2007 (http://international.federation-anarchiste.org).

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d’actions régulières. C’est pourquoi la Fédération anarchiste lance aujourd’hui un appel à soutien

pour aider nos camarades des Anarchistes contre le mur. L’argent récolté ira en partie pour payer les

frais du collectif et en partie pour développer et pérenniser le mouvement et la pensée libertaires en

Israël et en Palestine (affiches, tracts, publications, info-kiosk, etc.) »208.

S’ils se présentent initialement sous la forme de « liens faibles », ainsi que les définit Mark

Gravonetter, les contacts d’abord indirects initiés par les Anarchistes Contre le Mur avec un

ensemble de mouvements anarchistes étrangers aboutissent à la formation d’un réseau de soutien

durable et signifiant susceptible de contribuer au renforcement du groupe dans l’espace politique

interne209. Témoin de son évolution transnationale, cette démarche se trouve encore complétée par

un second type d’action impliquant un contact direct avec une multitude d’acteurs, anarchistes ou

non : les tournées de récolte de fonds. Initiées par Yonatan Pollak aux Etats-Unis en 2005, elles

consistent en l’organisation de conférences sur le thème de la « résistance non-violente israélo-

palestinienne » et sont l’occasion d’appels aux dons par les militants210. La multiplication de ces

épisodes transnationaux au cours de ces derniers mois semble être le signe d’une volonté croissante

du groupe à recourir aux ressources produites par la mise en réseau. Deux tournées européennes

ont ainsi été effectuées par Matan Cohen et Sarah, respectivement en 2005 et 2006, la seconde

ayant amené la militante francophone à parcourir entre les 15 et 31 septembre 2006 une totalité de

douze villes réparties sur trois pays, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni211. Les acteurs

rencontrés à ces occasions apparaissent pour le moins diversifiés. S’il s’agit le plus souvent des

militants européens du mouvement de solidarité ou de groupes anarchistes, quelques invitations ont

parfois amené les jeunes Israéliens à intervenir devant un public plus hétéroclite de sympathisants de

gauche. Ainsi de Sarah lors de son passage en France en septembre 2006. Par l’intermédiaire de Lisa

Braff, associée de Juliano Mer Khamis dans la réalisation et la diffusion du film Les Enfants d’Arna,

cette militante des Anarchistes Contre le Mur est mise en relation avec le comité La Courneuve-

208

Introduction de la Fédération Anarchiste et article de Kobi Snitz, « Anarchistes contre le mur », Le Monde Libertaire, 15-

21/03/2007, pp. 11-12.

209 Mark Gravonetter, « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, 78 (6), mai 1973, pp. 1360-1380.

210 Sur la tournée de récolte de fonds effectuée par Yonatan Pollak aux Etats-Unis, voir notamment : Corcoran Katherine,

« Two sides, one goal », The Mercury News, 01/11/2005. Uri Ayalon a également donné 11 conférences décrivant l’action

des Anarchistes Contre le Mur lors de ses vacances au Royaume-Uni en 2005, en vue de récolter des fonds (entretien avec

Uri Ayalon).

211 Voir l’affiche réalisée par le groupe Proudhon de la Fédération anarchiste lors de la tournée de Matan Cohen en octobre

2005, Annexe 7, p. 130.

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Palestine dès avant son arrivée212. Ces derniers organisent alors, à sa demande, la tenue d’un stand

d’information et de collecte de dons lors de la Fête de l’Humanité 2006, à laquelle s’ajoute une série

de rencontres avec notamment les militants du MRAP, les représentants de l’Association Nationale

des Elus Communistes et Républicains et certains élus locaux de La Courneuve.

A gauche et au centre, deux militants des Anarchistes Contre le Mur

A droite, Jacques Richard, du comité La Courneuve-Palestine

Stand du MRAP, Fête de l’Humanité, septembre 2006

« Entre temps, ils avaient donc rencontré la nouvelle déléguée générale de la Palestine, Hind Khouri.

Ce n’est pas elle, je pense que c’est quelqu’un de l’organisation de la Fête de l’Huma qui a voulu que,

au moment où Hind Khouri pour le final de la Fête de l’Huma… Quand Marie-George Buffet vient

prendre la parole, il y a donc un certain nombre de prises de parole qui précèdent. Hind Khouri était

invitée à parler pendant deux minutes, comme l’année précédente Leila Shahid, mais tout d’un coup

ils ont voulu que Sarah soit là. Il y a donc eu deux mots, deux phrases sur les Anarchists Against The

Wall », se souvient Jacques Richard du comité La Courneuve-Palestine213.

212

Juliano Mer Khamis est le fils d’Arna Mer Khamis et le réalisateur du film documentaire Les Enfants d’Arna (Israël, 2004,

84’).

213 Entretien avec Jacques Richard, membre du comité La Courneuve-Palestine.

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Une visibilité croissante en dehors des frontières israéliennes

La succession rapide des actes de transnationalisation opérée par les Anarchistes Contre le

Mur depuis 2005 doit toutefois faire l’objet d’un examen prudent. S’il s’agit d’une évolution

indéniable, l’évaluation de ses résultats sur la légitimité, l’efficacité et la pérennisation des activités

du groupe n’en demeure pas moins incertaine. A propos de l’impact attendu des mouvements

sociaux transnationaux, Smith, Pagnucco et Chatfield notent à juste titre que « peu d’entre eux sont

couronnés de succès, si par succès l’on entend qu’ils ont engendré des changements politiques

spécifiques »214. Cette remarque peut être transposée dans l’étude de la mise en réseau

transnationale observée ici : en termes de capitalisation des ressources au sein de l’espace interne,

l’exploitation du ticket transnational par les Anarchistes Contre le Mur n’apparait pas nécessairement

rentabilisée. De l’aveu même de ses militants, les fonds jusqu’alors récoltés par le biais des tournées

européennes et américaines n’auraient que peu contribué au remboursement des frais de justice

engagés, en raison du coût déjà élevé lié à l’organisation de ces voyages. Il serait de même hasardeux

de se prononcer sur les gains de légitimité pouvant être traduits au sein de la société israélienne.

Tant la nature des soutiens recueillis, essentiellement anarchistes ou issus du réseau de solidarité

préexistant, que l’absence de lobbying direct en direction des instances décisionnelles israéliennes

semblent en compromettre l’efficacité. Il résulte de ces éléments que ni la satisfaction des

revendications portées, ni la pérennisation des activités du groupe ne puissent être envisagées

comme les résultats potentiels du processus d’exportation de la lutte mis en œuvre. L’élaboration

d’un schéma de cause à effet entre la transnationalité nouvelle du groupe d’une part et son

évolution locale d’autre part demeure donc fortement hypothétique, aucune donnée ne permettant

à l’heure actuelle d’en mesurer les conditions précises.

L’impact des actions transnationales développées par les Anarchistes Contre le Mur semble

donc se situer à l’extérieur des territoires israélien et palestinien. Il se caractérise par une visibilité

croissante du groupe et de ses activités à l’échelle mondiale, dont nous définirons deux processus

concomitants. Le premier prend la forme d’une visibilité virtuelle, issue d’une exploitation intensive

de l’outil internet tant par les militants israéliens eux-mêmes que par le réseau de mouvements et

d’individus y faisant référence. A titre indicatif, le moteur de recherche Google affichait en

septembre 2007 1 080 000 entrées pour les mots « Anarchists Against the Wall », ainsi que 282 000

214

Jackie Smith, Charles Chatfield, Ronald Pagnucco (Eds.), Transnational Social Movements And Global Politics: Solidarity

Beyond The State, Syracuse, Syracuse University Press, 1997, p. 73.

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pour la traduction française « Anarchistes Contre le Mur »215. Trois sources principales peuvent être

identifiées. Il s’agit en premier lieu des sites internet spécialement dédiés à la pensée et aux activités

anarchistes, sur lesquels figurent essentiellement des articles descriptifs rendant compte des

revendications et des actions du groupe, ainsi que des événements de soutien prévus en Europe et

en Amérique du Nord216. Les sites internet des mouvements appartenant au réseau de solidarité avec

la Palestine se concentrent pour leur part davantage sur les comptes-rendus des manifestations

organisées au sein des Territoires palestiniens, qui sont parfois l’occasion de descriptions et

interviews plus détaillées des militants anarchistes israéliens217. Il s’agit enfin des sites d’orientation

anticapitaliste et altermondialiste parmi lesquels les antennes française, britannique, irlandaise,

espagnole et américaine de l’Independent Media Center (Indymedia) occupent une place de choix. La

mobilisation de l’ensemble de ce réseau virtuel par les Anarchistes Contre le Mur est

significativement illustrée par la publication, sur la quasi-totalité des sites évoqués, de l’appel aux

dons diffusé en juillet 2007 : « Chers amis, l’augmentation des frais judiciaires liés à la lutte conjointe

israélo-palestinienne contre l’occupation nous oblige à vous envoyer cet appel aux dons de toute

urgence. Nous vous demandons votre soutien afin de poursuivre le travail du groupe israélien

Anarchistes Contre le Mur », commence le communiqué218. De cette démarche d’appel aux

financements découle un second processus, par lequel la visibilité du groupe s’étend à un public plus

large que celui des internautes consultant les sites précédemment cités. Notons par exemple l’envoi,

en juillet 2007, du document d’appel aux dons traduit en français à certains députés de l’Assemblée

nationale219. Les actions de sensibilisation et de collecte de fonds organisées par certains groupes

anarchistes au bénéfice des militants israéliens participent également du processus d’exposition

transnationale caractérisant le mouvement. Si les événements de soutien tels que celui organisé le 7

septembre 2007 par les anarchistes irlandais du Workers Solidarity Movement sont

vraisemblablement peu propices à la visibilité du groupe hors des réseaux anarchistes, il en va

215

Consultation du 10 septembre 2007. Les « Anarchists Against the Wall » et Yonatan Pollak sont également répertoriés

sur Wikipedia.

216 Notamment les sites suivants : Anarkismo (http://www.anarkismo.net, information anarchiste), A-Infos

(http://www.ainfos.ca, information anarchiste), R.A. Forum (http://raforum.info, recherches sur l’anarchisme),

Confédération Nationale du Travail et Association Internationale des Travailleurs (http://cnt-ait.info, actualité de l’anarcho-

syndicalisme).

217 Voir par exemple : Robert Kissous, « Anarchists against the wall », site internet de l’Association France Palestine

Solidarité, 26/01/2006 ; International Solidarity Movement (ISM), « Anarchists Against the Wall block Central Tel Aviv », site

internet de l’ISM, 28/12/2006 ; ISM, « 3 mois de prison avec sursis pour le militant anarchiste israélien Jonathan Pollak »,

site internet de l’ISM, 20/02/2007.

218 Annexe 6, p. 129.

219 Document reçu notamment par la députée Odile Saugues, le 28 juillet 2007. Il est toutefois difficile de connaître la liste

exacte des destinataires institutionnels de cet appel.

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différemment des actions de rue menées par exemple lors de la « Journée internationale de

solidarité anarchiste contre le mur et l’occupation en Israël-Palestine » du 22 octobre 2004220. De

multiples tracts avaient alors été diffusés par la Fédération des Anarchistes Communistes italienne à

Gênes, Florence, Palerme, Crémone et Fano, dont le document de soutien intitulé « Nous sommes

tous des Anarchistes Contre le Mur »221.

L’entrée dans la transnationalité des Anarchistes Contre le Mur apparait donc comme un

processus volontaire engagé par les militants eux-mêmes. Des difficultés rencontrées en Israël

résulte ainsi leur insertion au sein de réseaux multiples, transnationaux, régulièrement mobilisés en

vue de soutenir les activités menées localement à l’intérieur des Territoires palestiniens. Si la

transposition de la ressource transnationale au sein de l’espace interne semble encore peu effective,

il n’en résulte pas moins l’acquisition par le groupe d’une visibilité accrue hors des frontières

israéliennes. La multiplication des rencontres de type transnational constatée au fil de

l’institutionnalisation des activités du groupe en Cisjordanie témoigne donc d’un processus

significatif de diffusion, celle d’une perspective originale sur le conflit israélo-palestinien, opéré à

l’initiative du groupe et par le biais des réseaux transnationaux mobilisés.

220

Sur la soirée de soutien organisée le 7 septembre 2007 par le Workers Solidarity Movement irlandais, voir l’affiche en

Annexe 8, p. 131.

221 Federazione dei Comunisti Anarchici (fdca), « We are all Anarchists Against the Wall », 14/10/2004.

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Conclusion

Le sujet de cette recherche, de par sa double inscription dans les champs théoriques de la

sociologie de la mobilisation et des relations internationales, nous a conduits à nous interroger sur

un grand nombre de thématiques : des engagements individuels dont a résulté l’émergence des

Anarchistes Contre le Mur à leur entrée récente et progressive dans une forme d’action

transnationale, le panorama ainsi présenté a permis d’apporter de nombreux éléments de réponse à

la problématique énoncée. Rappelons qu’il s’agissait de comprendre l’articulation entre les échelles

locale, nationale et mondiale, spécifique à un mouvement contestataire israélien engagé dans le

conflit israélo-palestinien, en précisant les caractéristiques de sa mobilisation telle qu’elle a pu être

observée depuis la formation du groupe en 2003.

L’élaboration d’une identité originale

La pluralité identitaire constatée parmi les membres du groupe a révélé tout l’intérêt d’une

étude approfondie mettant en évidence le processus de formation d’une entité cohérente, dissimulé

derrière l’appellation commune des « Anarchistes Contre le Mur ». Les profils militants ont en effet

fait apparaitre des formes différenciées d’engagement, en fonction tant des intensités de

participation à l’action collective que des antécédents militants et des attaches idéologiques propres

à chaque individu mobilisé. L’analyse du processus d’élaboration de l’identité collective a dès lors

permis de définir le cadre de représentation commun à l’ensemble des membres, établi selon deux

lignes directrices : le choix des modes d’action et la perception des enjeux du conflit. Puisée dans le

répertoire d’action issu des nouveaux mouvements sociaux des années 1970 comme de

l’anticapitalisme libertaire des années 2000, l’action collective développée par les Anarchistes Contre

le Mur s’inscrit dans le cadre de l’action directe, définie comme non-violente et dirigée contre le

symbole de la politique contestée : le mur de séparation entre Israël et les Territoires palestiniens.

Socle commun et fondement de la légitimité du groupe parmi la multitude d’acteurs de conflit,

l’action collective s’accompagne aujourd’hui d’une redéfinition du cadre idéologique sous-tendant la

mobilisation. La représentation du conflit en termes de rapports dominants/dominés est intimement

liée aux trajectoires militantes de ses membres les plus actifs, préalablement impliqués dans une

pluralité de luttes émancipatrices, et coïncide significativement avec le modèle d’organisation

interne souhaité par les militants interrogés. L’intérêt croissant manifesté à l’égard des dynamiques

de groupe repose en effet sur l’idée d’une application « ici et maintenant » des principes libertaires

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anti-hiérarchiques et anti-autoritaires. S’ils ne semblent pas effectifs au sein même du groupe, ainsi

que le démontre l’existence de leaders de facto de la contestation, ils n’en signalent pas moins la

prégnance d’une forme nouvelle d’anarchisme. Nous la qualifierons de contemporaine, de par

l’accent qu’elle porte sur le domaine du quotidien plutôt que sur ses objectifs à long terme, mais

également de locale, en raison de l’adaptation originale du principe d’anti-étatisme réalisée par les

militants anarchistes dans le cadre du conflit israélo-palestinien. L’identité collective ainsi

développée par le groupe se présente donc comme une synthèse d’agrégats idéologiques divers,

élaborée au fil des interactions successives et cimentée par une forme de contestation partagée,

l’action directe contre le mur.

Une articulation locale unique pour un mouvement contestataire israélien

L’implication des Anarchistes Contre le Mur dans une pluralité de dynamiques réticulaires se

manifeste tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle mondiale. La circulation des idées, des

revendications et des modes d’action que nous avons constatée au long de ce travail est source

d’une interrogation légitime sur la structure contemporaine des relations internationales, au sein

desquelles le poids croissant des flux transnationaux semble concurrencer le cadre de référence

habituellement constitué par l’Etat-nation. Mise en évidence par l’orientation idéologique ainsi que

par l’évolution récente des Anarchistes Contre le Mur, l’existence de réseaux transnationaux

d’acteurs non-étatiques semblerait confirmer l’hypothèse d’une globalisation du politique, marquée

par des processus de diffusion échappant aux frontières nationales. L’étude de la transnationalité

spécifique au groupe et à ses militants a toutefois permis de définir un cadre d’analyse en terme de

territorialisation, avant tout celle des idées et des pratiques recueillies au sein de l’espace mondial

puis transposées, non sans être préalablement reformulées, dans l’environnement politique

immédiat des militants. La mise en réseau constatée dans la période récente semble répondre d’un

processus similaire, la ressource transnationale n’étant en effet capitalisée que par son insertion

potentielle dans l’espace et le conflit internes, en fonction de sa contribution directe ou indirecte en

termes de légitimité et de pérennité du mouvement. La structure d’opportunité nationale apparait

dès lors déterminante dans l’évolution de l’action comme des représentations collectives sur

lesquelles repose l’existence même des Anarchistes Contre le Mur. La formation réactive du groupe,

inextricablement liée à la politique régionale définie par les décideurs institutionnels israéliens,

souligne la centralité du rôle joué par l’Etat non seulement sur l’évolution géopolitique du conflit

israélo-palestinien mais également sur l’état de la mobilisation qui est celle du mouvement

contestataire israélien. L’ensemble des données recueillies nous conduit donc à constater la

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primauté de l’échelle nationale sur l’échelle mondiale dans l’élaboration de l’identité collective

nécessaire à l’inscription dans la durée des Anarchistes Contre le Mur, confirmant le sentiment

partagé par Charles Tilly, Sidney Tarrow et Doug McAdam : « Nous suspectons que la politique

institutionnelle, les interactions politiques régulières et les réseaux sociaux autochtones

continueront à structurer la dynamique de la politique contestataire »222.

Perspectives de recherche

L’enquête de terrain effectuée en février 2007 n’a pas permis d’aborder dans ce travail

l’ensemble des questions posées par la contestation des Anarchistes Contre le Mur. L’une d’entre

elles, sur laquelle il convient de revenir, est celle de l’impact du mouvement au sein de l’espace

interne israélien. Nous en définirons deux aspects. Il s’agit en premier lieu des perceptions

développées dans la société israélienne à l’égard des militants du groupe, qu’il s’agisse de leurs

revendications ou de leurs modes d’action. La technique de l’enquête par questionnaire, de par le

nombre élevé d’individus qu’elle permet d’interroger, serait vraisemblablement à même de nous

informer sur la visibilité des Anarchistes Contre le Mur à l’intérieur de leur société d’appartenance,

tout en nous éclairant sur la portée du discours et de l’action collective qu’ils mettent en œuvre. La

seconde question laissée en suspens au cours de ce travail est celle, essentielle, de l’impact du

mouvement sur la politique étatique israélienne, à l’égard notamment de l’objet principal de sa

contestation : le mur de séparation. Davantage que le caractère récent de leurs activités, la

multiplicité des acteurs intervenant dans le conflit et les spécificités locales propres à chaque tronçon

du mur contesté rendent particulièrement hasardeuse l’évaluation des résultats de leur action

collective. L’exemple de Bil’in, souvent dépeint comme le symbole de la « résistance non-violente » à

laquelle ils participent, est représentatif de cette difficulté. L’arrêt de la Cour Suprême israélienne du

4 septembre 2007, par lequel était ordonnée une modification du tracé du mur autour de ce village,

peut à bien des égards être envisagé comme une victoire des Anarchistes Contre le Mur. C’est

d’ailleurs ce que titrait la tribune de Meron Rapoport dans le quotidien Ha’aretz, « Une victoire pour

les anarchistes », décrivant des manifestations hebdomadaires soutenues par certaines organisations

de la gauche non-sioniste, mais initiées par les jeunes militants du groupe223. Malgré l’investissement

régulier des Anarchistes Contre le Mur aux côtés des Palestiniens de Bil’in, la participation de

nombreux Israéliens ne s’identifiant pas comme tel et le rôle joué par le Comité populaire

222

Doug McAdam, Sidney Tarrow, Charles Tilly, « Pour une cartographie de la politique contestataire », Politix, 41, 1998,

pp.6-32, p. 28.

223 Meron Rapoport, « A victory for the anarchists », Ha’aretz, 07/09/2007.

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palestinien, à l’origine de la procédure judiciaire engagée, signalent néanmoins la prudence

nécessaire à l’évaluation de l’impact produit par l’un de ces acteurs. Outre qu’elle se situe en dehors

de notre recherche sur la mobilisation et la transnationalité du groupe, la question ainsi posée ne

semble pas pouvoir faire l’objet d’une analyse pertinente : il reviendra donc à chacun d’en formuler

la réponse, nécessairement subjective, en fonction des développements ultérieurs qui ne

manqueront pas de marquer la contestation des Anarchistes Contre le Mur.

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Ha’aretz Service, « Activists block T.A. road with material from W. Bank separation fence », Ha’aretz,

03/02/2007.

Hasson Nir, « Leftist asks court for jail time after convicted for illegal protest », Ha’aretz, 18/02/2007.

Lefkovits Etgar, « Anti-fence activists go on trial », The Jerusalem Post, 17/12/2004.

Peled Asafa, « Outside the Fence : Interview with three of the Anarchists Against the Wall », Yediot

Aharonot, 14/04/2006.

Rapoport Meron, « A victory for the anarchists », Ha’aretz, 07/09/2007.

Singer-Haruti Roni, « Left wing activists block Tel Aviv street with part of separation fence », Ha’aretz,

28/12/2006.

Yoaz Yuval, « Court acquits activists accused of rioting during anti-fence protest », Ha’aretz,

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Documents produits par les Anarchistes Contre le Mur

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Philosophie, Department of Politics & International Relations, Mansfield College, University of

Oxford, 2005, 353 pages.

Gordon Uri, « After the War », Anarchist Studies, 14 (2), 2006.

Pollak Yonatan, « The disengagement as smoke screen », Ha’aretz, 11/07/2005.

Pollak Yonatan, « Sur l’Apartheid et des petites victoires en Palestine », site internet de la Fédération

anarchiste, 30 janvier 2007 (http://international.federation-anarchiste.org).

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Annexes

1 - Liste des entretiens réalisés

2 - Carte de Cisjordanie : village de Bil’in

3 - Extraits d’un entretien avec Yonatan Pollak

4 - Extraits d’un entretien avec Kobi Snitz

5 - Extraits d’un entretien avec Uri Ayalon

6 - Appel aux dons des Anarchistes Contre le Mur

7 - Affiche « Rencontre avec Matan Cohen »

8 - Affiche « Anarchists Against the Wall – A fundraiser in support of AATW »

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1. Liste des entretiens réalisés

Anarchistes Contre le Mur

Sarah et Yoav - Paris, 19/01/2007.

Yonatan Pollak - Tel Aviv, 18/02/2007.

Kobi Snitz - Tel Aviv, 19/02/2007.

Uri Ayalon - Netivot, 27/02/2007.

Shai Carmeli-Pollak - Tel Aviv, 28/02/2007.

Mikhal Raz - Paris, 07/06/2007.

Acteurs palestiniens

Mohammed al-Mansour « Abu Alaa », représentant du Fatah - Bil’in, 16/02/2007.

Abdallah Abu Rahma, coordinateur du Comité populaire de Bil’in - Bil’in, 21/02/2007.

Raad Amer, participant au camp de Mas’ha - Ramallah, 22/02/2007.

Réseau de solidarité avec la Palestine

Jacques Richard, membre du comité La Courneuve-Palestine - La Courneuve, 24/05/2007.

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2. Carte de Cisjordanie : village de Bil’in

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3. Extraits d’un entretien avec Yonatan Pollak

If you do direct actions in Tel Aviv, maybe you can just raise awareness, and bring more people to the

demos?

We do it, it is important, but I think it can no way be the main emphasize of resisting the occupation.

How many of you have been to the demonstrations?

It varies. But over a year, I would say thousands.

It is a lot.

Well, it is not that much considering there are six million people in Israel. And it is not in one time, it

is over the year. It’s not much. If you think of the situation here, if you take into consideration the

situation here, how great it is, and you think of European activism, there are much larger segments of

the society that are politically active. Here everyone is politically minded, politics is part of

everyone’s everyday life, everyone has a political opinion and most people are one way or another

involved in politics and have a political opinion. But a very small number of people would take an

active role and are actually doing something. And a very small minority of people is opposed to the

state of things that we are in. I think what is happening here is a general mechanism of oppressing

society, that people have the ability to not notice what their society is doing. There are all sorts of

defense mechanisms… It is much easier to live your life if you don’t notice what your country is

doing, what is happening in your name, what your sons and daughters are doing… When the

Apartheid ended in South Africa, people said “we did not know it was that worse”. Of course they

knew, but it is this mechanism of… After the Holocaust in Germany, the vast majority of Germans

said “we did not know”. Ok, so they were not… And it is true, they did not know, they were able to

create this psychological barrier of not knowing. They were not told exactly where the Jews were

coming from, but you had to be blind to not see the ghettos, the blowing up of the Jews, of the

communists, of the gays… And I think it is a general mechanism of oppressing societies; people, in

order to continue living in that society, continue living a normal life, are able to develop mechanisms

of not knowing.

Who is there in Israel, people like you who have dissent voices?

In every society there is a small minority of dissidents. You had the Communist Party in South Africa,

you had them in Germany and occupied Europe, you had the White Rose, you had the resistants in

France… So there are always dissidents, and we are dissidents. It is a minority, an insignificant

portion of society. […]

Who brought you there?

I don’t even remember.

Did you know other people who were to go there?

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I think I was alone there, the only Israeli. I think somehow through the ISM [International Solidarity

Movement] or something like that, I’m not sure.

But you were aware of that and decided to go.

Yes. I heard somewhere that there was a demonstration. It was the first time I found out that the

Wall is not on the Green Line. It was about six kilometers inside the Green Line, and the people in

Jayyus were talking about ethnic cleansing, about transfer, about having to leave their lands because

they had no way to provide food for the children. About 75% of their land, all irrigated, was to be left

on the other side of the Wall, and they were saying “in two years, six years, ten years, we will not be

able to stay here, we will have to move deeper into the West bank because there is no way to

provide for us all”. And that was a shock because we did not know that this is what the Wall is about.

It was a non-issue. And I think through the struggle, the Wall became an issue. And now everyone in

Israel and anyone in the world that somehow had anything to do with Israel-Palestine issues, they

can agree with the Wall, they can condemn it, but everyone knows that it is an issue. It is not

something insignificant; it is one of the main issues of the occupation. And I think that is a big success

for our struggle. Because even the PA, the Palestinian Authority, did not understand first that it is a

big issue.

And another thing is that we were able to create a truly joint struggle between Israelis and

Palestinians. It is Palestinian-led and all the decisions are made by Palestinians, but it is the first time

I am aware of Israelis crossing the Line in such a manner, and taking part in the Palestinian struggle in

such ways. Ta’ayush was doing some things that are somewhat similar, but they were… Once every

few months they would do a demonstration, and would also have humanitarian pretexts to it with

Palestinians. And in 2004 was the first time that Israelis massively and so intensively joined the

Palestinian struggle, took part in it. We would go there everyday in 2004, there were demonstrations

every day, sometimes a few demonstration every day.

Was it around Mas’ha?

No, it was more around Budrus, after Mas’ha. It was half a year after the [Mas’ha] camp ended, and a

few days after they shot… after we opened the gate in Mas’ha. It was around Budrus, Biddu, and

then Deir Qaddis and Kharbata near Bil’in, then back to the area of Mas’ha and Az-Zawiya. And also

in the Hebron area, Beit Awwa, Beit Ula… So it was very intensive, and it was the first time Israelis

were taking that step, joining Palestinian resistance as a mean to take a part of that resistance. We

would go to the village and just go with the villagers stop the bulldozers. And there was also an

element… It was not protest, it was resistance. We would come and we would go not to protest

anything but to stop the bulldozers. There was a revolutionary sense to it. It was an uprising. It was

not quite the same now in Bil’in as it used to be, today it has more elements of protest. But then it

was really a popular uprising aimed at stopping the Wall. Just stopping it, not letting it pass, if it

passes it passes on us. And we failed. We failed for many reasons. One of them is the extreme

violence that the Israeli army used. All these demonstrations were unarmed, completely unarmed.

Never was there any use of arms, of weapons. And ten people died, ten people were shot death

during the demonstrations, ten Palestinians. And thousands were injured seriously. […]

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Would you prefer a one-state solution?

I think it is the only solution. Well I’m an anarchist, I would prefer a no-state solution… But in the

shorter term, I think that there is no solution but a one-state solution with very, very radical reform,

like very radical land reform, legal reforms, and economic reforms on behalf of Palestinians. Every

occupation also has an economic side, especially in the light of recent globalization and these kinds

of things. The World Bank and the IMF have a very strong impact on what is going on here. They

were one of the main marketers of the disengagement from Gaza, and they had very complete plans

for paving an export economy out of the besieged West Bank and Gaza, with the Wall and without

the Wall. If you look at World Bank reports for Gaza: Gazan economy traditionally is completely

based on work in Israel, and on agriculture, agriculture is one of the main sectors; if you look at the

World Bank reports on Gaza, the only mention of agriculture is for export. There is no sustainable

agriculture mentioned. The green houses projects that Wolfensohn so favoritely supported:

Palestinians are not able to buy the products of these green houses, they are too expensive!

Palestinians need to buy this water to Israel, and Palestinians are not able to afford the strawberries

that they grow in the green houses, it is only for export. And that is the way the World Bank exploits

many weak economies, to provide cheap products for the rich West, or to provide cheap labor for

the rich West. What we have here is something very similar to what we have between the US and

Central America, Mexico essentially, where you have a very strong economy and a very weak

economy right by each other. A two-state solution would mean even more than in the case of Mexico

and the States, it would mean mere colonialistic slavery for the Palestinians because they will be

completely dependent on the good will of Israeli economy and on the exploitation of Israeli

economy. There are huge plans for massive industrial parts on the buffer zones between the Wall

and Israel, so these Palestinians could work there and have no legal rights that they would have in

Israel. And they would be exploited by foreigners and Israelis.

So you think that if there was just one state, or rather no state, there would have to be social and

economic equality among Palestinians and Israelis?

All these issues have to be addressed, as nothing solves itself. Capitalism does not resolve itself, it

has a tendency to expand. The only thing it does on itself is to expand and deepen inequality and

oppression. But I think that we will not be able to address these issues with a two-state solution,

without addressing the issue of Israel as a Jewish oligarchy, without addressing the dissonance

between a Jewish state and a democratic state, without resolving the problem of the refugees. I

don’t think it is reasonable that the refugees will only be able to go back to the West Bank or be

naturalized in the country they are in now. I think Israel has no right to take away the right of these

refugees to return to their land. There is no simple solution, you don’t do 1,2,3 and everything is

solved. There are lots of issues that need to be addressed in a long period of time, maybe in stages,

but it is not as simple as “oh, we have a two-state solution, the Palestinians are free, the occupation

is over”. There is over a hundred years of Zionist colonial efforts in this region, and there are 40 years

of very destructive and repressive... to the economy and all aspects of the civil society of the West

Bank and Gaza. And they are not just resolved by Israel saying “ok we are sick of the occupation, we

are going away now”.

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4. Extraits d’un entretien avec Kobi Snitz

So the people-to-people initiatives, they can still contribute to build real relationships.

Yes, they can break down racism, that is true. But again, racism does not exist because people don’t

understand each other, or are unable to relate. The real source of racism is Israeli political positions

that Palestinians don’t have the same rights as Israelis, and that every Palestinian is a suspect, every

Palestinian is dangerous. I think racism is a product of political positions and situation, not the other

way around. Racism never develops out of nowhere, it serves a political purpose for someone.

Do you think that if the occupation ends, that would stop much of the hatred, or misunderstanding?

Well… Are there bad relations between the French and Germany, except when the football players

do play each other? A million times more people died in those wars than died here. And within half a

generation there is no problem. I think that in general, cultural differences are greatly exaggerated,

and they are a way to not talk about real issues. […]

You talked about the binational state. What do you think about it?

I think it is for the Palestinians to decide, because they are the ones most influenced by it. As far as I

see it right now, the majority of the Palestinians do not want it, because it probably means waiting a

much longer time. The resistance to binational state in Israel is nearly 100%. If Palestinians insisted

for a binational state, it could mean that they would stay under the occupation for a hundred years,

or forever. There is no guarantee that they are ever going to win, not at all. All this stuff about it

being impossible to suppress a popular movement is just not true. Movements are destroyed all the

time, and Israel is doing a very good job of it. So the reason to support a two-state solution is not

because it is just fair, it is more pragmatic, it is because it is more likely to be a reality, sooner. But

even that is pretty distant right now. It is just that a binational state would be more distant. […]

It is something that you wish would happen, more people coming to join…

Yes, that is the only strength that we have. If we have more people… That is actually something we

have also been thinking about for a couple of years, trying to find the right political action… The

typical answer to this is: to do something is to direct yourself based on public relations, the measure

of action based on how much attention it gets in the newspapers, on television or on the radio. It has

meaning, but if this is the primary way that you measure the value of what you do, then you are

managed by the editors of the television stations. That is again another typical trap that people fall

into. In that sense, we have advantage… If your action doesn’t depend on having good image, you are

more free to act. If you don’t have to worry about what people will say about you, you are more free

to act. I have known some groups who for every action, they would have a public relations

consultant, they would have to ask him: “what do you think of this?”. When you work that way, you

don’t… We also have to make a lot of compromises in every action that we make. We canceled a lot

of things, and it was on our agenda. We should at least be conscious of trying to direct ourselves, and

not have the agenda dictated by newspapers’ editors or television editors. That is one meaning for

action… That something actually happens, not just people say that something happened. That you

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move something, you break something, or you build something, not just the people say what you

say, or what someone else said. To have something that actually happened.

What would be the effects of your actions?

I think that we have made it possible… We have made it a lot harder to violently repress Palestinian

popular demonstrations. By being there. I think that it is maybe our main achievement. And it is

something that actually happened, it is not just that someone said that we wish it would happen, or

that we think it should happen… It is something that was achieved. […]

What if self-determination will lead to a state?

I know that Palestinian self-determination would lead to a state, sure. It is not hard for me to decide,

because I only need to believe that that state is going to be better than the Israeli occupation. It does

not need to be a utopia for ma to support it. If I only supported things that I thought are going to be

utopian, I wouldn’t do very much… I couldn’t go to the demonstrations because of the contribution

to air pollution; I couldn’t buy a bus ticket or a sign to take to demonstration because the taxes

would go to the army; when I get a job, I would pay taxes that would go to the army. If I wasn’t able

to make such comprises, to set up a priority, that I would be completely paralyzed… It possibly leads

to a state, but it is better than the Israeli occupation. Better a Palestinian state, than leaving in a

state and not be a citizen. I would be in favor of the French Revolution because it is better than

feudalism, or monarchy. And you know that the bourgeoisie capitalists have made a lot of

improvements over monarchy and feudalism. […]

So the struggle against the occupation, for you, is more important than your own political ideas about

what a society should be?

Yes… Of course, up to a limit. There are certain things I wouldn’t do, even for Palestinian liberation: I

wouldn’t support violent, even if it did serve some purpose for Palestinian liberation, I wouldn’t do it.

That was a big compromise just to march together with the Fatah.

On Friday, there were people from the Fatah.

Yes, but that particularly was a demonstration to mark the anniversary of the foundering of Fatah, so

it was particularly a Fatah demonstration, more than another day.

So because of this priority of self-determination, you are not against the creation of a state.

I would prefer it if they had an anarchist revolution in the West Bank, and would organize a society

on anarchist principles, but… The fact that they are not going to does not stop me from supporting

Palestinian self-determination. Yes, it is a choice. I would be surprised if there are many people who

honestly wouldn’t support Palestinian self-determination because they don’t like the Palestinian

society that is going to emerge. […]

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5. Extraits d’un entretien avec Uri Ayalon

Do you make a link between these different aspects of anarchism?

I think this is the modern anarchism. Not to talk only about the workers, or only about borders, but

to understand the link. The state is no longer the only enemy, the capitalist system is not a state. So

our way of thinking should be different, our struggle should be different. […]

Maybe the big change for me was four years ago, when Rachel Corrie was murdered in Gaza Strip,

she was an activist in my age, she was 23 years old, and I understood that people in my age are giving

their lives for my sake, to end the occupation which is also my concern. And then, me and another

group decided to create an Israeli ISM, an Israeli International Solidarity Movement, which is

Anarchists Against the Wall. So it’s an Israeli group bringing direct action in the Occupied territories.

For me, the death of Rachel Corrie made me understand my responsibility, to the occupation and to

put an end to the occupation. Until then I was an activist in animal rights movements, in

environmental movements, in gay and lesbian…

Before your activism in Palestine?

Yes. It was all connected all the time. But then I decided to put all of my efforts in Palestine, and in

the last few years I had a sense that it was not sustainable, to be in Palestine all the time, to expose

yourself to the violence of the army in demonstrations. You can’t do it for long. […]

What about a shot-term solution, about the Israeli-Palestinian issue?

I always say that as an anarchist, my dream, my vision is no state at all, so this is my solution to the

conflict. I can put it on side and compromise, and say “ok, one state solution”. This is the only fair

solution right now, to have one state for the Palestinians and for the Israelis, and to try to learn to

live together. In the meantime, I can also put this vision aside, and compromise about a two-states

solution. The Israelis would live in the 67 borders and the Palestinians would live in Gaza and the

West Bank.

A two-state solution. Why? Is it because it is easier to achieve?

Also, but also because the hate is so high that you need to separate before you collaborate. So you

need to give one generation to recover from the hate, and to live in a separate way. Not by a wall,

but to live in two states and then to try to build commune life. After you get to know each other,

after you forgive each other. […]

All of us agreed on anarchist way of acting, to do our meetings in a consensus way, to change the

facilitators, to empower other people. This is an anarchist thing, to change roles, not to have one

manager.

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6. Appel aux dons des Anarchistes Contre le Mur (juillet 2007)

*** PLEASE DISSEMINATE WIDELY ***

Dear friend,

The mounting legal cost of the joint Palestinian-Israeli struggle against the occupation is forcing us to

send this urgent appeal for funds. We are asking for your support to continue the work of the Israeli

group Anarchists Against the Wall (AATW).

For the past four years, the group has supported the Palestinian struggle against Israeli occupation

and specifically against Israel's segregation wall. Week after week, AATW joins the Palestinian

popular resistance against the wall, in diverse areas of the West Bank, including the villages of Bil'in

west of Ramallah, al-Ma’asara, and Ertas, south of Bethlehem, and Beit Ummar, north of Hebron.

Activists have often been arrested and indicted for their participation in the struggle. Fortunately,

the group is represented by a dedicated lawyer, Adv. Gaby Lasky. Adv. Lasky has tirelessly worked to

defend activists arrested at demonstrations or direct actions in the West Bank and in Israel. Though

the legal defense she provides AATW is almost a full-time job, she has agreed to be paid only a token

fee. However, the group has not managed to cover even this sum, and now owes approximately

$40,000 in legal expenses for over 60 indictments. In addition to this enormous legal debt, AATW

activists are forced to spend large sums on transportation and phone bills.

Please make a donation that will enable us to continue this struggle.

Thank you for your solidarity.

Anarchists Against the Wall

For more information about AATW, our actions and how to make a donation, visit our website:

www.awalls.org or contact us at [email protected].

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7. Affiche du groupe Proudhon de la Fédération Anarchiste

(Besançon, octobre 2005)

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8. Affiche du groupe anarchiste irlandais Workers Solidarity

Movement (Dublin, septembre 2007)

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Table

Introduction ……………………………………………………………………………………………………………………………… 1

Chapitre introductif …………………………………………………………………………………………………………………… 5

Partie 1 : Une jeunesse israélienne face au mur…………………………………….. 12

Chapitre 1 : Du mur à l’émergence d’une contestation…………………………………………………………… 14

A. Une dynamique nouvelle dans le mouvement de la paix israélien…………………………………………. 14

Une mobilisation israélienne ancienne et diversifiée………………………………………………………………….. 15

L’opportunité à agir des Anarchistes Contre le Mur……………………………………………………………………. 17

B. Du camp de Mas’ha à la formation d’un groupe………………………………………………………………….. 20

Mas’ha ou l’émergence d’une coopération durable……………………………………………………………………. 21

Le 26 décembre 2003 comme événement………………………………………………………………………………….. 24

Chapitre 2 : Vers un renouveau du paysage contestataire israélien………………………………………… 28

A. Traverser le mur : le choix difficile de l’engagement ……………………………………………………………… 28

Des contextes individuels propices à l’engagement …………………………………………………………………… 29

Le passage à l’acte, une nécessité ……………………………………………………………………………………………… 32

B. Les Anarchistes dans un réseau élargi …………………………………………………………………………………… 38

Des sympathisants aux activistes, un engagement différencié ………………………………………………… 38

La mobilisation d’un réseau ………………………………………………………………………………………………………. 41

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Partie 2 : La construction du « nous » dans la diversité…..…………………….. 46

Chapitre 3 : Vers une lecture commune du conflit .………………………………………………………………… 48

A. L’élaboration d’un discours émancipateur …………….……………………………………………………………… 48

De l’interaction à la production d’une idéologie ………………………………………………………………………… 49

La société israélienne en ligne de mire …………..……………..…………………………………………………………… 51

B. La contestation de la politique israélienne ……………….…………………………………………………………… 54

Le mur comme symbole d’une opposition ………………………………………………………………………………… 54

De l’ambition au pragmatisme ……………………………………..…………………………………………………………… 58

Chapitre 4 : L’identité par l’action...…………………………………………………………………………….………… 62

A. Les Anarchistes au cœur du conflit ………………………….…………………………………………………………… 62

Le choix de la confrontation……………………………………………………………………………………………………….. 62

Agir pour exister………………………………………………………………………………………………………………………… 66

B. Vers une diversification des modes d’action………………………………………………………………………….. 69

La manifestation comme rituel indispensable à la pérennité du mouvement……………………………… 69

Un militantisme en quête d’innovation…………………………………………………………………………………….… 73

Partie 3 : D’un territoire à l’autre, des anarchistes dans l’espace mondial 79

Chapitre 5 : La territorialisation d’une contestation…………………………………………………………….… 81

A. Vers l’élaboration d’un anarchisme israélien…………………………………………………………………………. 81

L’anarchisme comme culture politique…………………………………………………………………………………….… 81

L’empreinte locale d’une aspiration universaliste………………………………………………………………………. 84

B. La formulation d’une alternative face aux Etats…………………………………………………………………….. 87

Un nouveau mouvement social dans l’espace mondial……………………………………………………….……… 87

L’horizon du quotidien dans la réinvention de l’anarchisme……………………………………………………… 90

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Chapitre 6 : Des militants en réseau………………………………………………………………………………………. 94

A. Un acteur nouveau du conflit israélo-palestinien………………………………………………………………….. 94

Les Anarchistes Contre le Mur dans le réseau de solidarité avec la Palestine……………………………. 94

Un investissement prudent dans le militantisme transnational………………………………………………….. 97

B. L’exportation d’une lutte dans les circuits transnationaux de protestation……………………………. 101

Vers une capitalisation de la ressource transnationale………………………………………………………………. 101

Une visibilité croissante en dehors des frontières israéliennes…………………………………………………… 105

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………………. 109

Bibliographie……………………………………………………………………………………………………………………………… 113

Annexes…………………………………………………………………………………………………………………………………….. 120