l’école, une spécificité des soins palliatifs pédiatriques : réalité et vicissitudes

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2009) 8, 96—98 PÉDIATRIE L’école, une spécificité des soins palliatifs pédiatriques : réalité et vicissitudes School, a specificity of palliative paediatric care: Realness and vicissitudes Hélène Dufresne a,1,, Christine Bodemer a,b , Smail Hadj-Rabia a,b a Service de dermatologie, centre de référence des maladies génétiques à expression cutanée (MAGEC), hôpital Necker—Enfants Malades, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France b Université Paris-V—René-Descartes, 12, rue de l’école de médecine, 75006 Paris, France Rec ¸u le 4 d´ ecembre 2008 ; accepté le 13 d´ ecembre 2008 Disponible sur Internet le 20 mars 2009 MOTS CLÉS Scolarité ; Soins palliatifs pédiatriques ; Loi du 11 février 2005 Résumé À partir d’un cas clinique, les auteurs présentent une exigence typiquement pédia- trique — celle de l’école — alors que l’enfant requiert des soins palliatifs pour plusieurs années. La maladie dont elle est atteinte — une épidermolyse bulleuse — met en conflit deux valeurs, celles des soins et celle de la scolarisation, sans qu’aucune structure adaptée ne soit trouvée de fac ¸on satisfaisante. Les exigences légales de scolarisation des enfants porteurs de maladies graves et chroniques sont difficiles à satisfaire en l’état et demandent une analyse au cas par cas, avec beaucoup de bonne volonté pour lutter contre les préjugés. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Schooling; Palliative paediatric care; February 11 2005 law Summary From a clinical case, the authors report a typical paediatric requirement — schooling — although the child requires palliative care for several years. The disease she is suffering from — dystrophic epidermolysis bullosa — put into conflict two values, care and school, without any satisfactory setting found whatsoever. Legal requirements for schooling of children having severe and chronic diseases are difficult to satisfy nowadays and require a case-to-case analysis, with a lot of goodwill to struggle against bias. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Service social pédiatrique, hôpital Necker—Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] (H. Dufresne). 1 Photo. 1636-6522/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2008.12.006

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Page 1: L’école, une spécificité des soins palliatifs pédiatriques : réalité et vicissitudes

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2009) 8, 96—98

PÉDIATRIE

L’école, une spécificité des soins palliatifspédiatriques : réalité et vicissitudes

School, a specificity of palliative paediatric care: Realness and vicissitudes

Hélène Dufresnea,1,∗, Christine Bodemera,b,Smail Hadj-Rabiaa,b

a Service de dermatologie, centre de référence des maladies génétiques à expression cutanée(MAGEC), hôpital Necker—Enfants Malades, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 149, ruede Sèvres, 75015 Paris, Franceb Université Paris-V—René-Descartes, 12, rue de l’école de médecine,75006 Paris, France

Recu le 4 decembre 2008 ; accepté le 13 decembre 2008Disponible sur Internet le 20 mars 2009

MOTS CLÉSScolarité ;Soins palliatifspédiatriques ;Loi du 11 février 2005

Résumé À partir d’un cas clinique, les auteurs présentent une exigence typiquement pédia-trique — celle de l’école — alors que l’enfant requiert des soins palliatifs pour plusieurs années.La maladie dont elle est atteinte — une épidermolyse bulleuse — met en conflit deux valeurs,celles des soins et celle de la scolarisation, sans qu’aucune structure adaptée ne soit trouvéede facon satisfaisante. Les exigences légales de scolarisation des enfants porteurs de maladiesgraves et chroniques sont difficiles à satisfaire en l’état et demandent une analyse au cas parcas, avec beaucoup de bonne volonté pour lutter contre les préjugés.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSchooling;Palliative paediatric

Summary From a clinical case, the authors report a typical paediatric requirement— schooling — although the child requires palliative care for several years. The disease sheis suffering from — dystrophic epidermolysis bullosa — put into conflict two values, care and

care;February 11 2005 law

school, without any satisfactory setting found whatsoever. Legal requirements for schoolingof children having severe and chronic diseases are difficult to satisfy nowadays and require acase-to-case analysis, with a lot of goodwill to struggle against bias.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

∗ Auteur correspondant. Service social pédiatrique, hôpital Necker—Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.Adresse e-mail : [email protected] (H. Dufresne).

1 Photo.

1636-6522/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.medpal.2008.12.006

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Introduction

6 juillet 2005, journée décisive dans mon orientationcomme assistante sociale au sein du Centre de référencedes maladies génétiques à expression cutanée de l’hôpitalNecker. Nafi a six ans, elle est hospitalisée pour un épisodeaigu de son épidermolyse bulleuse1. Après des heuresd’histoires et de dessins, Nafi me parle enfin d’elle. Ellesouhaite que je cherche un centre dans lequel elle pourraitvivre. C’est une surprise car elle est déjà accueillie dansun centre proche de sa famille. Mais elle veut un centre oùelle pourrait aller à l’école pour apprendre à lire. Lors dela réunion pluridisciplinaire hebdomadaire, j’apprends quel’état de santé de Nafi se dégrade. Je transmets le souhaitde Nafi ; l’équipe est d’accord sur ce projet à condition quele centre soit formé aux soins complexes de cette maladie.Je commence la recherche d’un lieu d’accueil en France quiaccepterait de réaliser les soins et de scolariser une petitefille de six ans. Des courriers sont adressés au ministèrede l’Éducation Nationale, au ministère de la Santé, àla Commission départementale d’éducation spéciale, àl’inspection académique, au préfet, au député, au maire.En quatre mois, nous essuyons 18 refus et deux rencontressans suite. En retour, on nous propose des centres maispas de scolarisation, puis enfin, un service d’assistancepédagogique à domicile (SAPAD). Un petit espoir. . . L’équipemédicale projette une sortie à domicile pour la semainesuivante. La maman, enceinte de sept mois, se déplace dif-ficilement. Le SAPAD est contacté. Quelques jours plus tard,le SAPAD répond : il interviendra dans 15 jours « à raison dedeux heures par semaine ». Nafi décède en mars 2006, sansmême avoir commencé à apprendre à lire. C’était un anaprès la loi de février 2005 [1] prônant que l’école est undroit pour tous. Cette expérience questionne : les enfantsporteurs d’une maladie chronique sévère peuvent-ilsréellement bénéficier d’une scolarisation ?

La scolarisation des enfants malades

La loi de juin 1975 [2] pose le principe d’obligation éduca-tive pour tous. La scolarisation en milieu ordinaire doit êtrerecherchée en priorité. Lors des années 1980, la législationrenforce la politique d’intégration scolaire [3—5], avecsoutien et soins spécialisés en milieu scolaire. En 1990,les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté

sont créés [6]. En 1995, un dispositif d’intégration dansle second degré est mis en place (unités pédagogiquesd’intégration) [7]. En 1999, le programme Handiscol [8]réaffirme le droit fondamental à la scolarisation de tous

1 Épidermolyse bulleuse dystrophique récessive est une maladiegénétique rare, de révélation néonatale, caractérisée par une fra-gilité de la peau et des muqueuses, se manifestant par des bullesspontanées, érosions et plaies de cicatrisation difficile, retentissantsur le développement (retard à la marche) et la socialisation del’enfant. Les soins cutanés sont prolongés, douloureux et difficiles.L’espérance de vie, pour les formes les plus sévères, est gre-vée d’une grabatisation progressive, d’un risque de cancer cutanésévère et de décès chez lz jeune adulte. La partie : de quelquesannées. . . mais ne dépasse pas 20 ans ne figure plus dans cette notede bas de page.

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es enfants quelles que soient leurs déficiences. En 2003,n plan quinquennal annonce la continuité des parcourscolaires et la formation des personnels pour garantir ceroit. La loi de février 2005 va plus loin et souligne le droit’inscrire à l’école tout enfant qui présente un handicap.ette loi repose sur deux notions, l’accessibilité de tout

tous et la compensation, favorisant la scolarisationn milieu ordinaire des enfants malades — posée commerincipe de six à 16 ans. Des aides sont proposées selones besoins et les souhaits de la famille : projet d’accueilndividualisé, équipe de suivi, projet personnalisé de sco-arisation, auxiliaire de vie scolaire, aides à la scolarisationes élèves handicapés, conditions d’examens, transports etervice d’assistance pédagogique à domicile. Si la famillee souhaite, la scolarisation peut débuter avant six ans. Siécessaire, un enseignement à distance est proposé, mais’élève reste inscrit dans son établissement de référence.a scolarisation en établissement médico-éducatif estroposée aux parents par la Commission des droits et de’autonomie des personnes handicapées au sein des maisonsépartementales des personnes handicapées [9].

a scolarisation des enfants atteints dealadie chronique sévère

a scolarisation d’enfants porteurs d’une maladie grave,omme l’épidermolyse bulleuse, rencontre de nombreuxbstacles. Pour les parents, la constitution du dossier decolarisation de leur enfant est une épreuve, révélant à nou-eau sa déficience et sa différence, et exacerbant l’angoissee le confier à un milieu inconnu. Les enfants atteints’épidermolyse bulleuse ont une apparence qui peut êtreiolente et déroutante. La scolarisation d’un enfant maladeose la question du regard sur sa différence. Pour les équipesédagogiques et les familles, elle est source d’un question-ement : l’enfant malade va-t-il être rejeté, moqué par sonntourage ? Où se trouve l’intérêt supérieur pour l’enfant ?

L’inscription en maternelle, bien que possible et souhai-able (pour rompre l’isolement social), n’est que rarementéalisée, la majorité des enfants n’ayant acquis ni laarche, ni la propreté à l’âge de trois ans. Pour les parents,

ne incompréhension subsiste : pourquoi l’inscription admi-istrative obligatoire ne se matérialise-t-elle pas toujoursar une scolarisation dans l’établissement ? Si, l’absencee scolarisation ordinaire résulte parfois d’un choix dans’intérêt de l’enfant, ailleurs, ce sont des obstacles maté-iels (inaccessibilité des locaux) ou des réticences de’équipe éducative qui limitent l’accueil de l’enfant etébouchent sur une scolarisation à temps partiel danses conditions difficiles pour tous. Quand la scolarisationn milieu ordinaire est acquise, sa continuité est mise enéfaut par les absences répétées, même si tout est fait pouraintenir le niveau scolaire pendant les hospitalisations.es difficultés traduisent un manque de communication et’organisation entre le milieu médical et milieu scolaire.

onclusion

a scolarisation des enfants atteints de maladie chroniqueévère n’est pas toujours une priorité pour les médecins,

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[[[5] Loi du 10 juillet 1989.[6] Circulaire du 9 avril 1990.[7] Circulaire 95-125 du 17 mai 1995.

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as plus que ne l’est le projet de soins pour l’équipe pédago-ique. Les parents, souvent livrés à eux-mêmes, tentent deransformer la difficile réalité en un projet de vie pour leurnfant. Le défi des soins palliatifs pédiatriques est d’aidercette prise en charge commune — médicale et scolaire —

n conciliant le devoir de soigner et le désir d’apprendre.l convient de lutter contre l’handiphobie qui reste leremier frein à la scolarisation et d’apaiser la culpabilitée chacun : celle des parents d’avoir mis au monde unnfant malade et celle des médecins de ne pas avoir pu leuérir. Les soins palliatifs pédiatriques ont une spécificité :

ls peuvent s’étendre sur plusieurs années, voire quelquesécennies. Un projet de vie ne se concoit qu’avec tous lescteurs autour de l’enfant malade afin de lui permettre deivre pleinement le temps qui lui reste à vivre comme unutre enfant. L’école fait partie de la vie de tout enfant.

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H. Dufresne et al.

éférences

1] Loi no 2005-6102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits etdes chances, la participation et la citoyenneté des personneshandicapées.

2] Loi no 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des per-sonnes handicapées.

3] Circulaires de janvier 1982 (1982-2 et 1982-048).4] Circulaire de janvier 1983 (1983-4).

8] Circulaire n 99-188 du 19 novembre 1999.9] Décret no 2005-1589 du 19 décembre 2005.