le thanatopouvoir_politiques de la mort

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  • 7/27/2019 Le Thanatopouvoir_politiques de La Mort

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    f af l /w L oH I V E R2006 - 2007

    leharrat-

    ZuLU deam

    GraldArboitPierre-Yvesaudot

    ,q,nne-griac iliFranckCorrn".ui,

    Eric DesmonsSverineacombe-Rinck

    Serenellaonnis VigilanteDenisPiraro

    FranoisP.orr"nrunoFlorence .nr..,

    Philippe ,.in.,Emmanuel aieu

    politiquos

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    UADERNI N62 - HIVER 2006-2007 AVANT-PROPOS 1

    avant-propos :du biopouvoir au

    thanatopouvoir

    Docteur en Science Politiqueniversit Paris I (CRPS)

    EmmanuelTae

    s s e r

    La mort nest quaccessoirement naturelle, elleest surtout politique. De la mort du chef d aou du roi, qui menace la stabilit du r ime, ladcouverte au XIX sicle de lint airevivre es populations, et d velopper une m -decine capable de repousser lemprise de la mort,investissement politique autour de la mortalit

    est ancien et multiple. Lambition de ce numde Quaderni est la fois disoler systmatique-ment le concept qui dsigne ces politiques, le

    thanatopouvoir , et de proposer une analysediversifi e de ses r imes daction actuels ethistoriques. Si le terme est construit commeun antonyme du biopouvoir , popularis parFoucault et largement sur-employ depuis, la

    alit quil recouvre nen fait pas seulement unpouvoir de donner la mort. A cette dimensionprsente de la mort inflige un individu ou

    une population enti re, il faut aussi ajouter laprise en charge par le thanatopouvoir de la mortdj advenue, de lexposition la mort, voire durefus de la mort, visible par exemple dans touses d bats concernant la bio hique. Lusage du

    vocable thanatopouvoir possde lavantage deposer une distinction smantique ferme entre cequi relve du biopouvoir , dans sa dimension

    rale dune action politique sur le vivant (ac-

    centue ici par le prfixe ios, a vie , et ce quiserait un biopouvoir mortif re, cest--dire unentervention sur le vivant ne prenant que la forme

    de sa mise mort. Deux acceptions diff rentes dubiopouvoir aujourdhui largement confondues.

    Un tel vocable manquait donc, pour opposer uneestion positive du vivant, hier dans la volont

    tatique dam iorer le sort des populations parce

    quelles sont une ressource dans laccroisse-ment de la richesse et de la puissance militaire ,

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    d sormais dans un d sir politique marqulindividualisation qui veut limiter lentropiemortif re (que lon songe aux campagnes pourla scurit routire, ou aux questions de sant

    publique ev es au statut de chantiers politiquesprioritaires, comme le renouvellement de la luttecontre le cancer initie par Jacques Chirac en2002), une gestion mortif re des populations.Au fond, lemploi de thanatopouvoir permetde mettre fin une assimilation du biopouvoir une politique de la mort, du aire mourir , quirend mal compte de ses autres volants.

    Biopouvoir et phobie d tat

    Nombre de travaux,dAgamben et de ses continuateurs, ont proposune lecture biologico-politique univoque des ph-

    es politiques contemporains, en faisant dela biopolitique une forme renouvel e de rationalitinstrumentale tatique tourne vers lcrasemendu corps et loppression des populations. Ou bienen posan une continuit herm neutique en re

    biopolitique et totalitarisme Dune part, cela aautoris la proli ration du prfixe bio pourdsigner des ralits et des concepts suppossressortir au biopouvoir (biom decine, biom -

    trie, bioscurit, biotechnologies, biol itimit,etc.). Dautre part, le biopolitique a rabattusur des politiques o l est directement engag(sant , ation m dicalement assist e, Ieuthanasie, dons dorganes), parce que ce sontdes politiques conomiques du corps en ce quilest vivant ou mort, comme sur des politiques oil appara moins pr nant (politiques pnales,encadrement de la prostitution, de limmigra-

    tion). Et si le biopouvoir est ainsi assimil sonversant mortif e cest pour d noncer, dans des

    approches parfois non d es de militantisme,omniprsence dun nouveau pouvoir oppresseur

    dans les sphres sociales et politiques.

    orsquelle sint resse au biopouvoir, donc,analyse politique contemporaine rencontrenralement deux cueils thoriques. Le pre-ier consiste consid rer que si des politiques

    publiques croisent le corps pour atteindre la po-pulation, elles sont une forme de pouvoir sur la

    ie. Mais cela conduit une inattention au statutattribu au corps par ces politiques. Est-il le pointdapplication ultime du pouvoir, ou un simple

    oyen au service dune gestion plus large desndividus pris en nombre ? Comme lcrit Fou-

    cault, out pouvoir est physique, et il y a entree corps et le pouvoir politique un branchement

    direct. 3 La rencontre entre le corps et laction

    politique a en fait travers ensemble des formespolitiques institu es, du pouvoir pastoral, o echef-berger est dans lobligation de se proccuperde chaque individu constituant son roupeau 4,

    la soci disciplinaire, et jusquau biopouvoir.t chez Bourdieu, comme chez Elias , le corps

    est toujours-d politique, a fois le lieu o epouvoir sexerce et le lieu du pouvoir sur soi.

    artir du seul contact entre laction politique et

    e corps nest alors pas suffisant pour dterminera dimension bios dune politique publique.Car partout o il y a du politique, il y a du corps,

    ais pas n cessairement un pouvoir sur le vivantet une volont de lencadrer en tant que tel.

    e second cueil concerne la phobie d aqui a accompagn ces trente dernires annes lesravaux ayant replac ltude de l a au cur

    de leur probl atique. Si sous cette expressionoucault visait notamment la critique par le

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    la d cision sur la vie se transforme en d cisionur la mort, et o a biopolitique peut ainsi se

    renverser en thanatopolitique. 1

    Des r ponses adress es aux th ories du type decelle dAgamben, la plus ironique est sans doutecelle de Zygmunt Bauman, qui crit Si toutce que nous connaissons ressemble uschwitz,alors on peut vivre uschwitz et m e, dans denombreux cas, y vivre assez bien. Si les princi-pes qui r issaient la vie et la mort des d enusdAuschwitz ressemblaient eux qui nous gou-vernent aujourdhui, alors quoi riment touteses protestations et lamentations pass ? 12

    Bauman ne nie pas la violence politique con-temporaine, mais il regrette surtout le fait quelholocauste soit peru comme un paradigmede la civilisation moderne, au point de rduire

    la singularit de lextermination des juifs en larendant indissociable es autres souffrancesque la soci oderne engendre coup sr quo-idiennement 13. Ce qui nous int esse est moins

    de savoir comment Agamben op re pour unifiersous la seule bannire du paradigme biopolitiquedes rgimes aussi diff rents que le IIIe eich etles dmocraties contemporaines, mais de com-

    prendre comment il glisse du biopolitique au

    thanatopolitique, et ce quil met sous ce terme.

    Toute la thorie dAgamben repose sur une per-ception fixiste de lhistoire, d dla sociologie dveloppementaliste qui affirmequil est heuristiquement plus f cond dobserverle changement plut t que lapparente immobi-lit. Comme lnonce Stephen Mennell, dansla perspective dElias, il ne faut pas reprer des

    constantes sous-jacentes au changement, maisun processus s ruc ur de changement . Or

    gamben fait pr cis ment le contraire, en partantde la persistance de la violence tatique dans lessoci s contemporaines pour poser son origineunique dans une biopolitique anhistorique, et

    tuation actuelle. Non seulement il nedistingue pas entre ce qui relve de la violence

    politique au sens du recours a force, et ce quiappartient la violence mortif re, mais encore il lige ses olutions voire son affaiblissement.ans son systme thorique, le prolongement de

    exception concentrationnaire dans la modernitnterdit de noter la pacification du jeu politique,a pacification des murs , la ncessit moindre

    du recours a violence contre les individus, etentre les individus, ou ladoucissement continude la p nalit , visible par exemple dans laboli-ion europenne de la peine de mort, mme si laiolence punitive ne sy rduit pas.

    our poser le retournement du biopouvoir enhanatopouvoir, Agamben procde une dilution

    du principe de souverainet. A plusieurs reprisesdans ses crits, lexistence premi re de la bio-

    politique est substitue des formes politiqueselevant de la souverainet. Dans LOuvert, il

    affirme ainsi que la politique occidentale est(...) cooriginairement biopolitique. ,

    ndiquer la seconde instance concerne par leco- Ailleurs, il rabat le biopolitique sur lasouverainet, par exemple en posant quelle est

    a structure originaire dans laquelle le droit sere a vie et linclut en lui ravers sa pro-

    pre suspension 17 Il assimile droit souverain etiolence mortif re, en expliquant via Hobbes que

    a souverainet se pr ente ainsi comme unencorporation de l at de nature dans la soci

    u, si lon pr re, comme un seuil dindifntre nature et culture, entre violence et loi, et

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    est justement cette indistinction qui constituea spcificit de la violence souveraine. Donc,

    dans son approche, le fondement du pouvoir po-itique est la violence de tous contre tous que le

    souverain absorbe, sur laquelle il fonde son droit,dont il fait sa prestation originaire , et quil res-itue sous la forme dun pouvoir de mort 9 Ila un toujours-d j l du biopolitique, un aireourir que la souverainet sest contente

    daccompagner par des montages juridiques etormatifs, que la soci disciplinaire a syst a-is s avec la surveillance et la prison, mais quiont jamais servis qu dominer le vivant. Pourgamben, le camp et la prison nappartiennent

    dailleurs pas au m e ordre, le premier relevantde l tat dexception, la seconde de lordre carc -al traditionnel. Si bien que le camp nest pas un

    excs de lordre carc o-disciplinaire, mais plut

    e r ateur du triomphe du biopolitique donta prison n tait quune fa ade imaginsouverainet sous dpendance du biopouvoir20.

    our Agamben, la souverainet se confond doncavec le pouvoir de mettre mort qui est inh entau con r e biopolitique des populations. Mais siluse par endroits du mot thanatopouvoir , pourd signer le basculement mortif re du biopouvoir,

    gamben se limite en faire un synonyme deise mort, sans le doter dun contenu autre. Aa limite, puisquil considre que la forme primor-

    diale de la biopolitique est une thanatopolitique,l devrait renoncer au premier terme au profit du

    second. Foucault, qui considrait que le aireourir tait un attribut, ou une potentialit , de

    a politisation du vivant, navait pas prouv ebesoin de forger un autre terme pour dsigner le

    devenir-mortif e possible du biopouvoir. Parcequil voulait davantage insister sur la prise en

    charge de la vie des populations que sur leur mise mort collective, dont lusage m e est contraireaux principes qui fondent le biopouvoir.

    La th orie politique du thanatopouvoir en faitdonc alternativement un rgime daction ayantcontamin ensemble du biopouvoir (Agamben),une simple dimension n gative du biopouvoir(Foucault), la rencontre de lancienne puissancemortif re souveraine et de la biopolitique (Ro-

    berto Esposito21), ou enfin, une forme politiqueautonome, qui ne doit pas tout au biopouvoir,mais plutt a souverainet, et possde ses pro-

    pres moyens et fins ; cest cette dernire formero explore.

    Le thanatopouvoir, attribut de la souverai-et

    Lassimilation agambenienne du biopouvoir authanatopouvoir repose sur un raisonnement parnduction frquent, qui revient considrer la

    violence extr me de la Shoah non pas commeun vnement singulier pouvant en grande partiesanalyser dans un contexte politique allemande europen prcis, et des conomies psychiques

    particuli , mais comme le point le plus

    visible dun mode politique dominant que lamodernit r lerait. Cela rejoint dailleurs lunedes critiques adress a sociologie dElias, et sa mise en vidence dun abaissement progressifdu seuil de sensibilit la violence qui limite lerecours tatique la violence et a des effets sur laviolence interpersonnelle. Alors m me quElias a abor son modle du processus de civilisationen ayan esprit la violence morti re sans ale

    du XXe

    sicle23

    , certains auteurs ont considr inverse que lexistence m e de ces niveaux

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    de violence inou s ruinait lapproche entidElias.

    Ces approches critiques ne font pas de la mortde masse un nement possiblement isol dansla modernit, ou sappuyant sur ses instruments,mais llment paradigmatique de cette moder-nit e. Ainsi pour Michel Wieviorka, silautocontr e individuel (qui freine le recours la violence et condamne son usage) sest affaibli,cest sous laction dune modernit qui produitde la violence Sous lappellation d tat dex-ception , Agamben thorise une suspension dudroit devenue rapidement la norme, et qui connaaujourdhui son plein dveloppement dans

    e totalitarisme moderne [qui] peu re d fini(...) comme linstauration, par l at dexception,dune guerre civile l gale, qui permet l imina-

    ion physique non seulement des adversaires poli-iques, mais de cat or es en e de citoyensIci, la confusion entre pouvoir sur la vie et

    pouvoir de mort succde la confusion entre le ra-cisme dEtat o extermination des juifs a trouvhistoriquement son substrat idologique, et les

    politiques publiques de gestion des populationsdo Agamben induit un nouveau racisme qui nedit pas son nom, mais produirait les m mes effets

    morti res. Ce qui le conduit naturellement airede ltat dexception devenu permanent la preuvede lexistence dun euil dind terminationentre d ocratie et absolutisme , d ocratieet totalitarisme.

    En faisant du thanatopouvoir produit par lins-tauration dun tat dexception qui ne dit passon nom, le moyen de prouver la filiation directe

    entre des rgimes habituellement opposs dans lath orie politique, Agamben le transforme en un

    outil dindistinction alors que pr cis men sescarac ristiques varient et permettent de srieret les formes de violence politique et les formesde rgimes. Dune part, son peu dusage dune

    perspective historique ong terme le conduitconfondre la capacit politique de recourir aiolence et lobligation de le faire. Lorsquil fait

    des habitants des camps des homines sacri,des individus quil est possible de tuer sans en-courir le chtiment de la loi commune, et en en-dant ce statut exceptionnel dans lhistoire ouses citoyens des nations modernes en posant que

    quand la politique se fait biopolitique lhomosacerse confond virtuellement avec le citoyen 28,

    gamben fait de lusage de la violence politiqueortif re le seul horizon fonctionnel du pouvoir

    en place. Or les approches socio-historiennes onton r que la monopolisation des moyens de la

    iolence physique l gitime conduit un moindrea force dans la r solution des conflits,des formes de routinisation du maintien de lordredans lvitement de la violence, et apparitiondindividu d sormais incapables de se battre

    pour rsoudre leurs diff rends, et pr rant enpasser par linstitution judiciaire. Mme lorsquece monopole ntait pas achev (lest-il jamais ?)a mort est entr e tardivement dans lorbite du

    souverain, et par exemple lutilisation de la peinede mort na jamais rivalis avec la mort de massecontemporaine et va dcroissant en France partirdu XIX si cle

    a modernit ne se confond pas avec le thanato-pouvoir exterminationniste, pas seulement parcequon en trouve des mod es trs proches danse pass (ce qui reviendrait admettre la validit

    de largument fixiste dAgamben)0

    , mais bienplut t parce que concomitamment au nazisme,

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    des tats de droit, ayant lapanage de la techni-que et de la modernit, nont pas bascul dans ladestruction physique de leurs populations 1. Poserque biopouvoir et thanatopouvoir se confondentistoriquement emp che la fois de comprendreapparition et les usages politiques du biopou-oir, et les formes de thanatopouvoir qui sont irr-

    ductibles les unes aux autres . Surtout, Agambenombe dans une critique inflationniste de ltat, en

    posant que dmocratie et totalitarisme drivent dea mme souche, et possdent un thanatopouvoir

    aux carac es communs. A linverse, on peutpenser avec Foucault que ltat nazi nincarnepas une exaltation de lEtat, mais au contraireson amoindrissement , la captation de sesnstruments par un parti, au profit dune -ernementalit de parti qui pervertit l a

    bureaucratis du XIXe sicle. Prcisment, la

    riode nazie marque une inversion de l quili-bre des forces au sein de la soci allemande, etappropriation par un groupe donn, e son seul

    profit, du monopole de la violence, sans le con-sentement du peuple, et contre des parties de sa

    population LEtat nazi ne sest confondu avece thanatopouvoir que parce quil tait justement

    dans loubli du pouvoir sur la vie qui traverse lepouvoir pastoral, l tat de police, la soci dis-

    ciplinaire ou mme la socit de scurit.

    onc, non seulement Agamben modifie a for-ule de la biopolitique de Foucault afin quelle

    puisse capter lenjeu du camp de concentrationazi 5, mais il refuse de considrer que eamp dans sa version nazie ne r lise pas lairtualit de la modernit ais la virtualit ungime totalitaire 36, o la biopolitique naurait

    plus de limites, et o l at se met au service duihilisme, sans gouverner la population dans son

    vivant collectif. Apr s lui, nombre danalysesdes politiques atiques, omettent de remarquersi laction publique vise un sujet civil ou unsujet vivant, alors m me que cette distinctionest dirimante pour pouvoir affirmer la nature po-tentiellement bios dune politique. Il devientalors ncessaire de mettre fin au dterminisme

    biologique de ce type danalyses en posant que lethanatopouvoir nest pas que le versant mortif redu biopouvoir.

    En rupture plus ou moins explicite avec Agam-ben, dautres approches ont explor es formesdu biopouvoir sans le confondre avec un thana-topouvoir. A commencer par celle de Foucault,qui trouvait lorigine du biopouvoir dans le

    pouvoir pastoral dhritage judo-chrtien o leroi, berger de son troupeau, peut effectivement

    me re mort lune de ses brebis, pour sauvertoutes les autres, mais se pr occupe surtout deeur subsistance, de leurs soins et de leur salut37.

    Si le pastorat annonce le droit de vie et de mortde la soci de souverainet , il annonce surtout tat de police du XVII sicle, cest--direensemble des moyens par lesquels on fait cro rees forces de l tat, en sintressant aux activits

    des hommes, en g rant leur nombre, en vitant

    eur surmortalit, et en organisant un cadre leurpermettant de vivre, de ivre et faire un peumieux que vivre . Le biopouvoir sera ensuiteessentiellement la d couverte que le vivant peutet doit tre politis. Selon Foucault, cest en-emble des m canismes par lesquels ce qui, dansesp ce humaine, constitue ses traits biologiques

    fondamentaux va pouvoir entrer int rieurdune politique, dune strat gie politique, dune

    ra ie g rale de pouvoir9

    . Pas ncessaire-ment pour abolir la vie, mais plut t pour inventer

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    une administration du vivant qui tient compte dela corpor t et de la mortalit des individus, sansavoir le camp pour modle. Au XXe siclesopre alors un partage trs net entre ce qui re-l ve du biopouvoir ( biom decine , politiques

    publiques de sant, campagnes de prvention descompor emen s risque, dispositifs pragmatiquesautour du corps et anthropotechnique, fabricationdune subjectivit menant au souci de soi ) et cequi relve du thanatopouvoir (pouvoir de donnerla mort, pouvoir sur la mortalit et la mort, gestionde la mort advenue).

    Il nous semble alors important de penser le thana-topouvoir sans r rence au biopouvoir, sans con-sid rer quil est uniquement son retournement,mais dans sa rationalit propre, visible dans sesmoyens daction et dans les reprsentations des

    acteurs qui initient cette politisation de la mort.Le pouvoir sur la mort doit donc tre comprisdans les formes de son autonomisation vis--visdu pouvoir sur la vie, non pas seulement commeson envers, mais comme un champ autonomegnrant des politiques publiques particulireset nombreuses. Dfinir le thanatopouvoir commeun ensemble de dispositifs et de technologies de

    pouvoir qui prennent en charge et r ifient le corps

    dans sa dimension mortelle, permet de saisir quesi le pouvoir sest longtemps intress au vivantil a dsormais fait entrer la mort dans son giron.Et aujourdhui lEtat est m de trou-ver des solutions lgislatives satisfaisantes auxconsquences que la mortalit des individus fait

    peser sur le corps social. La multiplication desdbats lgislatifs autour des questions du corpset de la mort (euthanasie, avortement, statut des

    individus en coma dpass, dons dorganes, etc.)montre dailleurs bien que nos soci s ne son

    pas uniquement dans la violence mortif e, eadmettent que le bio et le thanatopolitique soientsoumis a discussion politique lgitime.

    du biopouvoir, le thanatopouvoir appar-ient la souverainet. Il nen est pas simplement

    une forme de survivance archaque dans dessoci s post-souveraines (disciplinaires, decontr e, de scurit , il marque bien au con-raire que la souverainet na pas disparu de la

    politique contemporaine, et que ses prrogativesestent visibles (s re du territoire, assise desrontires, conduite des relations internationales,

    etc.), sans tre un pouvoir sur la vie. Cest doncdans ce cadre souverain que le faire mourirdune part, et la gestion de la mort dautre part, sedploient. Le aire mourir de la souverainetdiff e de celui dun Etat qui ne serait que thana-

    opolitique. Et on peut les distinguer par diverscrit le nombre de morts, l tablissement dedispositifs permanents ddis la mise mor ,eur inscription dans une idologie dominante

    qui ne fait pas que les encadrer mais dont ilssont au fondement m e, et le nombre dacteursdisposant dun pouvoir de mort au sein du r ime.

    ar exemple dans les pays ayant recouru long-emps la peine de mort, le pouvoir souverain

    de punir par la mort a fait un nombre infinimentplus faible que les exterminations et massacresdu XX sicle, le lieu du ch timent a rapidement

    d tre fixe, pour se d placer, de minstrument du supplice (la Rvolution franaisenvente la guillotine portative ), la peine deort na jamais constitu a colonne vert brale

    des idologies et mythes nationaux, et elle aoujours rserve un bourreau stipendi par

    at, contrairement aux rgimes totalitaires oe nombre dex cuteurs improvis s atteint un

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    point culminant.

    l y a donc un thanatopouvoir propre aux r imesotalitaires, et un autre qui ne concerne que les r-imes d mocratiques o a souverainet

    un pouvoir de tuer, soit via une excution lgale,dont larticulation avec les valeurs rpublicainesa pu historiquement faire probl me (cest cequexamine notre article dans ce numro), soit enexigeant un sacrifice guerrier hroque, devenu

    problmatique l o riomphe lindividualismeoderne (Eric Desmons). Le aire mourir

    est donc contest, comme le montrent les dbatsautour de leuthanasie, o a soci civile sommeun personnel hospitalier rticent daccder auxdemandes de mort (S verine Lacombe-Rinck).

    e thanatopouvoir prend galement la formedune gestion de la mortalit Par exemple, de-

    puis Kantorowicz, on sait que la mort des chefsdEtat fait peser une menace sur la stabilit desnstitutions et du rgime, et entrane des rponses

    politiques spcifiques (Pierre-Yves Baudot). Lapolitisation de la mort sattache enfin au statut ducorps mort ou mourant, a fois travers la dfi-ition juridique de la mort encphalique, ouvranta voie une productivisation -optimisation dea transplantation dorganes (Philippe Steiner),

    et les sensibilits complexes qui organisent lestatut des cendres, lissue de la crmation, encours de lgif ration (Serenella Nonnis). Loinde pr tendre puiser la vari des politiques dea mort, ce numro de Quaderni plaide pour leur

    exploration plus systmatique, dans une pers-pective pluridisciplinaire, et le d passement des

    sistances culturelles propres aux chercheurs quiparfois les oignent dun sujet aussi charg ,

    ais aussi dense, que la mort.

    1 Michel Foucault, urit , territoire, population,

    Cours au Collge de France (1977-1978), Paris,

    Gallimard-Seuil, coll. autes tudes , 2004, p. 1.

    2 Ro erto Espos to, Tota tar sme ou opo t que ,

    Tumultes, a fabrication de lhumain. Techniques

    et politiques de la vie et de la mort , volume 2, 26,

    mai 2006.

    3 M c e oucau t, Le pouvoir psyc iatrique, Cours

    au Collge de France (1973-1974), Paris, Gallimard-

    Seuil, coll. autes tudes , 2003, p. 15.

    4 M c e Foucau t, Omnes et s ngu at m : vers

    une cr t que e a ra son po t que 1979 , nDits et

    rits. 1954-1988. IV. 1980-1988, Paris, Gallimard,

    coll. iblioth que des sciences humaines , 1994.

    5 On verra notre art c e Pouvo r et n v uat on.

    Une lecture de Foucault et dElias ,Labyrinthe, a

    biopolitique (d)aprs Michel Foucault , 22, 2005.

    6 Michel oucault,Naissance de la biopolitique, Cours

    au Co ge e France 1978-1979 , Par s, Ga mar -

    Seuil, coll. autes tudes , 2004, p. 193.

    Giorgio Agamben, Homo Sacer. Le pouvoir

    souverain et la vie nue, Paris, Seuil, coll. ordre

    p osop que , 1997 1995 , p. 12.

    8Ibid., p. 163.

    9Ibid., p. 133.

    10Ibid., p. 179.

    11Ibid., p. 132.

    12 Zygmunt Bauman, odernit et holocauste, Paris,

    La fabrique ditions, 2002 [1989], p. 149.

    13I i ., . 28.

    14 Stephen Mennell, Fran ais et Anglais table

    du moyen e nos jours, Paris, Flammarion, 1987,

    p. 31.15D viance et Soci , La pac cat on es murs

    O S

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    10 AVANT-PROPOS UADERNI N62 - HIVER 2006-2007

    l preuve , vol. VII, 3, septembre 1993.

    16 G org o Agam en, LOuvert. De omme et e

    lanimal, Paris, Rivages, 2002, p. 120. Agamben

    voque ici un conflit originel entre lhomme et

    lanimal.

    17 G org o Agam en,Homo sacer, . c t ., p. 36.

    18Ibid., p. 44.

    19Ibid., p. 93.

    20 On notera au passage a contra ct on se on

    aque e e opo t que est consu stant e au pouvo r

    ds son origine, mais reste historiquement hors de

    lordre normal du droit. Comment expliquer que le

    on ement opo t que u pouvo r ne se so t ama s

    lgitim, par exemple par un quelconque montage

    juridique, et persiste appara tre comme exorbitant

    du droit commun ? Par ailleurs, si Agamben insiste

    eaucoup sur e opo t que ans Homo sacer,

    le perd de vue dans le second tome de cet ouvrage,

    au profit du seul tat dexception, analys sous unangle juridique. Giorgio Agamben,Etat dexception.

    Homo sacer, II, 1, Par s, Seu , co . Lor re

    philosophique , 2003.

    21 On verra une lecture clairante de son ouvrage

    en ta en Bios. Biopo itica e oso a Tur n,

    Einaudi, 2004), par Marie Gaille-Nikodimov, Les

    deux voies de la biopolitique , Critique, 703,

    d cembre 2005.

    22 Cest par exemp e approc e e Nor ert E as ansThe Germans. Power Struggles and the Development

    of Habitus in the Nineteenth and Twentieth Century,

    Cambridge, Polity Press, 1998, 1 re d. en allemand

    1989 1961-1980 .

    23 Eric Dunning, Norbert Elias, la civilisation et

    la formation de lEtat : propos dune discussion

    a sant sp c a ement r rence A emagne et

    Ho ocauste , n Yves Bonny, Jean-Manue e

    Queiroz, Erik Neveu (dir.),Norbert Elias et la th oriede la civilisation. Lectures et critiques, Rennes,

    resses universitaires de Rennes, coll. Le sens

    soc a , 2003, p. 40-41.

    24 Andr Burguire, Roger Chartier, Arlette Farge,

    Georges Vigarello et Michel Wieviorka, Table

    onde : Luvre de Norbert Elias, son contenu et

    cept on , Ca iers internationaux e socio ogie,

    Norbert Elias : une lecture plurielle , vol. 99,

    juillet-d cembre 1995, p. 221.

    25 G org o Agam en,Etat dexception, . cit., pp. 29

    & 11. En France, a quest on e tat except on

    a donn lieu depuis longtemps une abondante

    litt rature, en particulier autour de larticle 16 de

    a Const tut on e 1958. Pour es ve oppements

    cents, on verra Pasquale Pasquino, Urgence et

    tat de droit. Le gouvernement dexception dans la

    h orie constitutionnelle ,Les Cahiers de la s urit

    nt r eure, S cur t et mocrat e , 51, prem er

    rimestre 2003.

    26 Giorgio Agamben, Etat dexception, op. it.,p. 12.

    27 Lexpress on m e se scute. On n a te pas

    le camp. Il nest pas une maison de l tre, mais de

    lan antissement.

    28 G org o Agam en,Homo sacer, . t., p. 184.

    29 Claude Gauvard, Violence et ordre public au

    oyen Age, Paris, Editions A. et J. Picard, coll. es

    di vistes franais 5 , 2005 Hugues Lagrange,

    La pac cat on es murs : ns cur tet les atteintes prdatrices , D iance et Soci ,

    op. cit.

    30 Michael Freeman, Genocide, civilization and

    o ern ty , T eory, Cu ture & Society, vo . 46,

    2, June 1995. Selon cet auteur, le gnocide ne doit

    pas ou la modernit , et emprunte motivations et

    s ruc ures es p o es p us anc ennes.

    31 P ppe Burr n, Ressentiment et apoca ypse.

    Essai sur lantis itisme nazi, Paris, Seuil,coll. XXe si cle , 2004, p. 10.

  • 7/27/2019 Le Thanatopouvoir_politiques de La Mort

    12/12

    UADERNI N62 - HIVER 2006-2007 AVANT-PROPOS 11

    32 Cela entra e dailleurs des comparaisons

    stor ques n on es. Entre Guant namo e un

    camp nazi, par exemple ( commencer par le

    fait que lobjectif de la dtention Guantnamo

    nest pas lextermination planifi e des d tenus).

    G org o Agam en, Etat exception, . c t ., . 13.

    On verra des dveloppements critiques dans Eric

    arty, Agamben et les t ches de lintellectuel. A

    propos Etat dexception , Les Temps modernes,

    59 e, 626, anv er- vr er 2004. Pour une

    analyse de Guantnamo comme centre de dtention

    et dinterrogatoire, cf. Sandra Szurek, Guant namo,

    une pr son except on , n P ppe Art res, P erre

    ascoumes, Gouverner, enfermer. La prison, un

    od e ind passable ?, Paris, Presses de Sciences

    o, 2004.

    33 M c e oucau t, Naissance e a iopo itique,

    op. cit., p. 196.

    34 Ian Burkitt, Civilization and ambivalence , TheBritish Journal of Sociology, vol. 47, 1, March 1996,

    p. 140.

    35 Martine Leibovici, iopolitique et comprhension

    du totalitarisme. Foucault, Agamben, Arendt ,

    umu tes, La a r cat on e uma n. Tec n ques

    et politiques de la vie et de la mort , volume 1, 25,

    octobre 2005, p. 34.

    36Ibid., p. 42.

    37 M c e Foucau t, Omnes et s ngu at m ,ar . cit, p. 139.

    38 Michel oucault, S urit, territoire, population,

    . cit., p. 334.

    39I i ., . 3.

    0 Didier Fassin, Dominique emmi (dir.), Le

    ouvernement des corps, Paris, Editions de lEHESS,

    co . Cas e gure , 2004.