le suicide et tentatives de suicides chez l’enfant et l’adolescent
DESCRIPTION
Le Suicide et Tentatives de Suicides chez l’Enfant et l’Adolescent ; Quelles particularités et quelles préventions? Mémoire pour le D.U. de Pédopsychiatrie Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat Année 2010-2011 Présenté par : Docteur. IBANNI HAMID Médecin psychiatreTRANSCRIPT
Le Suicide et Tentatives de
Suicides chez l’Enfant et
l’Adolescent ;
Quelles particularités et quelles
préventions?
Mémoire pour le D.U. de Pédopsychiatrie
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat
Année 2010-2011
Présenté par : Docteur. IBANNI HAMID
Médecin psychiatre
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Sommaire
I. introduction
II. le sujet dans son environnement
III. particularités des enfants et adolescents
IV. Épidémiologie
V. Deux particularités émergentes
VI. De l’effet Werther à l’effet bouazizi
VII. Impact des médias sur le suicide
VIII. Comment réduire l’impact négatif des médias
IX. Prévention
X. Quatre propositions
Conclusion
Bibliographie
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« J'ai rassemblé avec soin tout ce que j'ai pu recueillir,
et je vous l'offre ici » (mot au lecteur)
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I. introduction
« Il y a dans l'histoire de l'humanité un fait irrécusable que peuvent
voiler les magnificences de la pensée, les créations merveilleuses du génie
moderne, mais qu'elles ne sauraient détruire, c'est le caractère d'universalité de
la souffrance. En quelque lieu que se rencontre un homme, on est sûr d'entendre
un soupir, une plainte. À chaque instant, il se fait autour de nous un double
travail d'analyse psychologique et de statistique qui met à nu les plaies cachées
de notre coeur et les misères de notre race. Aujourd'hui, comme autrefois,
malgré la formule hégélienne : Eritis secut Deus, la douleur est le lot du genre
humain. Parmis les maux qui nous affligent et dont tant d'écrivains honorables
sont les éloquents interprètes, nous avons pris pour notre part de labeur, l'étude
de la dernière manifestation du désespoir : le suicide. »
A. Brierre de Boismont, Du suicide et de la folie suicide, 1856
C’est parce que l’on veut vivre que l’on doit mourir, pensait Nietzsche,
c’est parce que leur vie ne peut continuer ainsi que de nombreux jeunes
précipitent leur mort. Que répondre à leur souffrance sans risquer de s’enliser
dans de sinistres banalités ? Qu’il faut être fort et arrêter de se plaindre ?
Que ce sont des jeunes privilégiés ? Que l’amour de leurs parents leur
interdit de se tuer ? Entre ceux qui souffrent et ceux qui doivent les aider,
l’alliance semble souvent, dès le début de la relation, être compromise.
Or à travers un tel acte, le sujet veut susciter une réaction de l'adulte.
Une tentative de suicide n'est pas un acte vide de sens. Mais quelques soient les
raisons que le jeune lui donne, il arrive difficilement à atteindre à travers son
geste « à la fois ce qu’il fuit et ce qu’il vise ». Le message étant, alors, peu ou
mal perçu, le risque de récidive est donc extrêmement élevé. L’aide d’un tiers
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peut, dans ces situation de crise, permettre au sujet de parler et à l’entourage de
l’écouter.
penser l’impensasable, comprendre l’incompréhensible ; nos sociétés
contemporaines commencent juste à prendre conscience de la tragédie sombre
qui se déroule devant nous depuis quelques années déjà. Comment concevoir,
comment commencer à penser ou, à élaborer une théorie, à modéliser cet
homicide de soi, cet auto-assassinat chez des petits agés de 7,8,ou 9ans? Ces
enfant qui ont toute la vie devant eux. Et pourtant ils décidenet de mettre fin à
leurs jours. Un tabou commence juste de tomber. Comment ne pas rappeller que
le suicide , ce fléau s’installant sournoisement dans la vie psychique des
individus est la deuxième cause de mortalité des jeunes de 16-24 ans, juste
après les accidents de la circulation?
Jusqu’à présent personne, n’a oser aborder cette triste réalité du
suicide des enfants, préférant souvent la nier en la dissimulant derrière des jeux
dits interdits.oui le suicide touche aussi les petits, les enfants et les
préadolescents.
Quant un enfant se donne la mort, est-ce un suicide ? l’assassinat de soi
est impenssable. Chaque époque, chaque culture a interprété ce fait d’une
manière différente. Mais ce n’est qu’au siècle des lumières que le suicide est
devenu un sujet de débat. Jean-jacques rousseau défend le droit de se délivrer
de la vie, tandis que les prȇtres s’appliquent à en faire un tabou. Bien sȗr, c’est
Emile Durkheim, le fondateur de la sociologie, qui pose le problème en termes
actuels : « le suicide est uniquement un problème social », ce qui est bien
insuffisant. Ce phénomène est encore plus difficile à observer et à comprendre
quand il s’agit d’un enfant.
Quant un préadolescent se donne la mort, que se donne t-il ? opte t-il
pour une fin de vie irrémédiable ou une violence autodestructrice, comme ces
enfants qui se cognent le front par terre, se mordent ou se griffent le visage ?
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veut t-il simplement faire de la peine à ceux qui l’ entourent ? souffre t-il d’une
volonté impulsive de se soulager d’une tension émotionnelle insupportable ?
toutes ces émotions différentes se rencontrent. Il n’en reste pas moins que,pour
un adulte, de penser l’impenssable, de comprendre ce fait irrémédiable.
Je ne peux ȇtre exhaustif, au cours de ce mémoire, en ce qui concerne
la cause qui explique tout suicide : un déterminant biologique, une cause sociale,
une faiblesse psychologique, une maladie mentale ou un trouble familiale. Je
vais plutȏt tenter de raisonner de façon systémique donnant l’importance à
certains parametres qui appartir de leur integration nous pourrons nous former
une idée de la manière dont les relations entraȋnent le fonctionnement du
cerveau et dont les milieux affectifs, scolaire, socioculturels tutorisent certains
développements. Après cette approche multifactirelle je proposerais une
stratégie de prévention contre le suicide.
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II- Le sujet dans son environnement :
• Suicide et événements de vie :
La part des événements de vie dans le suicide relève actuellement d’un
schèma conceptuel plus complexe qui implique l’interactiond’un vaste ensemble
de facteurs : génétiques, biologiques, psychologiques, cliniques et
environnementaux. De façon générale un événement de vie (EV) est défini
comme un changement extérieur au sujet suffisamment rapide et important pour
entraȋner une discontinuité dans la vie de clui-ci. Les événements de vie peuvent
à la fois constituer une cause directe ou un facteur déclenchant mais aussi
interagir avec d’autres causes. La relation entre événements de vie et autres
facteurs de risque de suicide est donc complexe. De façon à clarifier ces
relations, un paradigme du processus de stress a été proposé distinguant la
source de stress(EV) des processus de médiation (les éléments de résilience
individuelle tels que le jugement , la capacité à générer des solutions efficaces
face à un probnème) et des facteurs de modération(les éléments qui
augmententla vulnerabilité téls que l’abscence de soutien social, les affects
négatifs). Les événements de vie peuvent faire partie d’un enchainement de
cause constituant en eux-mêmes des facteurs de modération pour d’autres
événements ou même être la conséquence d’une tentative de suicide. De plus
l’impact d’un événement de vie peut ne pas être le même selon le moment de sa
survenue dans le cours de la vie.
• Evénements de vie dans l’enfance :
Les événements de vie graves qui se produisent dans l’enfance, au
moment où le développement du cerveau est incomplet, peuvent avoir des
conséquences à long terme sur les mécanismes nerveux impliqués dans la
gestion du stress et entraȋner dès lors une vulnérabilité accrue à la dépression et
au comportement suicidaire. Les mauvais traitements dans l’enfance ont retenu
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plus particulièrement l’attention, des études neurobiologiques ayant montré que
les abus dans l’enfance peuvent conduire à une reprogrammation des systèmes
de réponse au stress glucocorticoïde, noradrénergique et vasopressine entraȋnant
une sur-réaction au stress ultérieurs. Ces changements rendent l’enfant
vulnérable à un risque accru de dépression au cours de l’enfance et aussi chez le
jeune adulte. Les abus dans l’enfance ont été reliés à la fois de façon directe au
suicide chez l’adolescent et indirectement par les addictions et également au
comportementsuicidaire ainsi qu’à l’auto-agressivité chez l’adulte. L’association
entre abus sexuelet idéation suicidaireest plus importante si l’auteur de l’abus vit
avec l’enfant.
La perte d’un parent constitue un autre événement majeur susceptible de
répercussions sur le devenir de l’enfant.
• À l’adolescence :
Il est difficile de dire si les adolescent suicidaires ont subi plus
d’événements de vie car la plupart des études ne précisent pas si les événements
précédent la tentative. Les tentatives de suicide faisant suite à des événements de
vie sont souvent influencées par des états psychopathologiques tels que la
dépendanceà la drogue et à l’alcool et la dépression. En ce qui concerne les
événements déclencheurs, interviennent principalement les problèmes au sein de
la famille, surtout les soucis financiers et les désaccords familiaux, suivis par les
conflis avec le ou la partenaire et les problèmes scolaires.
Même si les suicidants ont plus de probabilité d’avoir vécu une
séparation de leur parents, la perte d’un amis serait plus susceptible d’etre à
l’origine d’un suicide qu’une rupture des parents, une histoire d’abus sexuel est
très fréquente chez les adolescents suicidaires. Dans le domaine scolaire, la
perception plus que la réalité d’un échec sera aussi un facteur déclencheur. Une
pichenette peut en effet pousser l’enfant à l’acte mortel, comme une autre peut
l’en préserver.
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• Impact des maltraitances dans l’enfance :
La compréhension des mécanismes impliqués dans la pathologie
suicidaire est un objectif essentiel pour le dépistage des sujets à risque et la
prévention. Toute la littérature de ces dernières années reconnaȋt que les
antécédents de maltraitances dans l’enfance sont des facteurs de risque qui
entrent dans la constitution d’une diathèse spécifique pour les conduites
suicidaires.
• Définition de la maltraitance dans l’enfance :
Différents types de matraitance doivent être distingués, de même qu’il
peuvent être isolés ou coexister.les abus physiques, les abus sexuels, les abus
émotionneles, la négligence. La maltraitance doit survenir au plus tard avant
15ou 18 ans selon les études et la plupart des travaux signalent que l’abuseur
doit avoir au moins 5 ans de plus que l’abusé.
Les abus physiques concerneraient surtout le jeune enfant, alors que
les abus sexuels impliquent plutȏt des enfants à partir de 8 à 9 ans et leur
prévalence reste très difficile à éstimer. Il faut prendre en compte les bias de
mémorisation possibles pour les abus physiques et sexuels car les données sont
généralement receuillies de façon rétrospective.
• Impact du type d’abus :
Parmi les différents type d’abus, les abus sexuels seraient ceux qui
augmenteraient le plus le risque suicidaire. Ce type d’abus est souvent associé à
des dysfonctionnements familiaux majeurs, et entraȋne chez l’enfant abusé un
plus grand sentiment de honte, de culpabilité, avec un impact majeur sur
l’estime de soi. L’association de plusieurs types d’abus majore le risque
suicidaire. Par ailleurs l’impact des abus augmente quand l’abuseur est un
membre de la famille, quand le début est précoce, et quand les abus sont répétés
et réguliers. Des facteurs de protection peuvent moduler les conséquences
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psychologiques des abus et des négligences : la présence d’un adulte attentif
dans l’entourage de l’enfant, les liens familiaux , des attachements sécures,
l’engagement dans la scolarité, la pratique d’un sport ou l’affiliation religieuse
sont classiquement cités.
Les conséquences à long terme de la maltraitance, et particulièrement
l’émergence de conduites suicidaires, résultent de trajectoires
développementales marquées par un cumul de risques. À une éventuelle
vulnérabilité génétique transmise par des parents ayant des comportements
d’abus et souvent atteints de troubles psychiatriques s’ajoutent les perturbations
des interactions famililes et l’impact direct des abus et des privations associées
sur le neurodéveloppement de l’enfant.
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III. Particularités des enfants et
adolescents :
La pathologie suicidaire chez le jeune est un problème majeur de santé
publique qui retrouve différentes problématiques. Tout d’abord la mortalité par
suicide en fait la deuxième cause de décès chez l’adolescent de 15 à 24 ans :
derrière ce chiffre se devinent les conséquences dévastatrices pour l’entourage
familiale et social ; si la mort d’un jeune est toujours tragique, les conséquences
suicidaires majorent la culpabilité de l’entourage et parfois le risque suicidaire
des pairs. Ensuite la morbidité suicidaire représentée pas les tentatives de suicide
atteint une prévalence maximale chez l’adolescent. Loin de banaliser les gestes
suicidaire de l’adolescent et de relier au mal-être et aux traits impulsifs inhérents
à cet âge, les données actuelles pointent le pronostic défavorable, le haut taux de
psychopathologie, de comorbidités et de récidives de ces passages à l’acte.
• Pathologie suicidaire chez l enfant :
L’étude des conduites suicidaires chez l’enfant est rendue difficile par
différentes limites, tenant à la fois au développement psychologique de l’enfant
et aux représentations des adultes. Tout d’abord la possibilité d’une idéation
suicidaire implique qu’il y ait une conscience de la mort qui n’est classiquement
pas acquise avant l âge de six ans ; cependant cette acquisition est très variable
et dépend de facteurs cognitifs et environnementaux (par exemple la
confrontation au décès d’un proche). Par ailleurs il s’agit d’un problème mal
connutant par les professionnels que par les familles, et de fait sous –estimé.
Peu de travaux ont exploré la pathologie suicidaire chez l’enfant ;la
plupart des résultats présentent une population âgée de moins de 14ans. En
réalité les géstes suicidaire de cette population surviennent surtout chez les 12-
14 ans.
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IV. Epidemiologie :
Tous les travaux recueillent des informations qui permettent de repérer la
fréquence des suicides , leur répartition selon les groupes sociaux et leur
évolution selon les cultures ou les décisions politiques qui réduisent les facteurs
de risque ou les augmentent.
Aujourd’hui, au Maroc, le phénomène n’est pas connu, en conséquence,
aucune décision politique ou une politique de prévention ne sont mise en place,
il en découle une absence totale de données statistiques. pourtant l’idée de se
donner la mort n’est pas rare chez les petits, mais la réalisation du suicide est
assez difficile, surtout chez les filles. Manque de techniques ? impulsivité qui
empêche la planification du geste ?
En effet, ce que je retrouve souvent chez les adolescent lors d’un
môment de tension agressive ou de détresse extrême, la mort paraît un éclair
d’idée. Puis un certain nombre d’entre eux y pensent régulièrement, ils
planifient et organisent sa venue, ils constituent une cachette de médicaments,
repèrent les ponts et les endroits dangereux.
Pour se donner la mort, l’enfant cherche autour de lui les moyens qui
pourraient la lui donner : se faire renverser par une voiture, se pencher par la
fenêtre, traverser la rue en courant, sauter d’un autobus qui roule à vive à allure,
plonger dans les tourbillons d’un torrent qui le fascinent. De nombreux suicides
d’enfants sont masqués par des comportements quotidiens qui les mènent à la
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mort. L’accident n’est pas accidentel quand une conduite le rend probable.
Pourtant, l’entretien avec sa famille et ses amis disent que son émotivité etait
intense, inhibé puis explosive, ou encore que son impulsivité était difficile à
controler. Un tel trouble émotionnel n’est ni une pathologie psychiatrique ni une
maladie somatique, mais un enfant qui se tue ne se donne pas forcément la mort.
Aujourd’hui, en France, sur cent mille personne, quatre mille pensent
que le suicide pourrait apporter une solution à leurs souffrances. Trois cents
tenteront le geste qui donne la mort et dix-sept aboutiront à cette issue fatale.
Le suicide accompli du jeune enfant reste exceptionnel : aux États-unis
le taux de suicide pour les 5-9 ans était de 0,01/100 000 en 2004. pour les 5-14
ans le taux de suicide accompli est de 0,4/100 000 en France en 2003 pour
l’OMS et de 0,6/100 000 aux États-unis en 2002. l’idéation suicidairechez
l’enfant semble en revanche répandue, même si peu d’études le confirment :
pour une cohorte française 16 p. 100 des jeunes de moins de 13 ans ont eu des
idées suicidaires.la proportion de décès par suicide est faible chez l’enfant : cela
pourrait être lié à l’imaturité cognitive qui ne lui permet pas de planifier et de
réaliser des tentatives de suicides de haute létalité : le taux de suicide augmente
avec l’âge de l’enfant.
Le taux de suicide accompli chez les 15-24 ans avoisine 10/100 000
habitants en France, il s’agit de la deuxième cause de décès après les accident de
la circulation. Les tentatives de suicides (TS) sont beaucoup plus difficiles à
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recenser, n’entraînant pas toujours de prise en charge spécifique. Pour une
enquete hospitalière de l’OMS le taux masculin de (TS) chez les adolescents
dépasserait 300/100 000 et le taux féminin dépasserait 600/100 000, mais moins
d’une TS sur quatreserait traitée médicalement. Les TS sont plus fréquentes chez
les filles, mais il existe une surmortalité masculine par suicide.
Il faut souligner que la gravité des gestes suicidaires augmente avec les
récidives, et qu’une proportion importante des adolescents décèdés par suicide
avaient déjà commis une TS.
Pour le suicide accompli la méthode la plus employée réste la pendaison
(36 p. 100)puis l’arme à feu(31 p.100) et enfin l’intoxication (10 p.100). comme
chez l’adulte, les garçons ont plus recours à des moyens violents.
Parallèlement, 90 p. 100 des TS sontdes intoxications médicamenteuses
volontaire, soulevant la question de l’accés aux médicaments dans les familles
d’adolescents à risque.
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V. deux particularités émergentes :
1. Le suicide et tentatives de suicides chez les jeunes Homosexuelles
Les recherches en Sciences Sociales sur le taux de suicide des
homosexuels sont encore à leur stade embryonnaires, notamment en France.
Aux USA, il a déjà été établi que le suicide est plus élevé chez les homosexuels
que chez les hétérosexuels. En Afrique, le thème du suicide lié à
l’homosexualité, ne fait tout simplement pas partie des centres d’intérêts actuels
des chercheurs. En outre le phénomène de l’homosexualité en Afrique, reste
encore mal connu et largement marginalisé. Dans ces sociétés dans une large
mesure, l’homosexualité est déniée. Comme argument, on fait appel au « Vide
conceptuel » (JEAY :1991,68) et linguistique qu’on peut constater au niveau des
langues locales, pour ce qui est de la qualification même de l’homosexualité,
puisqu’on ne peut « se sentir quelque chose dont on à pas le mot »
(JEAY,Idem,64).
Si d’après cette thèse l’homosexualité n’existe pas en Afrique, comment
peut-on en plus parler de suicide chez une catégorie de la population, qui est
déniée ? Cependant l’étude récente que je mene au maroc, a mis en exergue
l’existence de l’homosexualité en Afrique en général, L’homosexualité au maroc
ne relève pas du mythe, c’est une réalité observable. Les homosexuels forment
aujourd’hui, une sorte de communauté plus ou moins cohérente, ils ont leur
propre marché sexuel. De ce fait, la problématique du suicide liée à
l’homosexualité, peut bien se poser dans cet environnement social, et c’est ce à
quoi nous allons nous essayer, sans prétendre aucunement épuiser le sujet de
long en large. Cet essai sera juste une modeste contribution, car l’homosexualité
au Maroc est un champ intéressant, un trésor encore plein pour le chercheur
toutes Sciences confondues. Dans cette contribution, nous allons nous limiter à
un seul facteur, susceptible d’expliquer le taux élevé de suicide chez les
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homosexuels. Il s’agira de la société, qui à travers son attitude, pousserait
certains homosexuels au suicide. C’est loin d’être le seul facteur, mais nous
allons essayer d’établir notre propos autour de ce dernier, pour limiter notre
champ d’investigation. Il s’agira alors pour nous d’essayer de voir si au Maroc,
le regard hostile de la société, face à l’homosexualité, amène les homosexuels à
se suicider. Bien avant, essayons de donner un petit aperçu sur ladite situation
sociale.
1.2. Le Regard De La Societe Sur Les Homosexuels :
Ce n’est un secret pour personne, les homosexuels sont plus sensibles au
regard que leur porte leur société, leur environnement proche. La plupart du
temps, leur désir est d’être accepté dans leur différence et si possible avec
indifférence. Cependant, en raison du fait que cette pratique sexuelle n’est pas
toujours en accord avec « l’imaginaire social et ses mœurs, ses règles et ses lois
» (MENDES-LEITE :1991,152), la société n’ouvre pas spontanément ses bras
aux individus ayant une telle orientation sexuelle. A ce niveau, la société est très
souvent inquiète, et ce qui l’inquiète, c’est la transgression de la loi, la
multiplication des partenaires, mais aussi la sodomie (paedicatio) selon
AGACINSKI (1998 :120-121) Bien avant elle, HENDIN résumait cette situation
sociale des plus sévères par ces propos :
“Certainly the pain and suffering experienced by homosexuals is partly
the outgrowth of social disapproval, repression, and discrimination”
(1975,115)
Par extension, on peut dire que cette souffrance, ces regards hostiles et
critiques en la personne des homosexuels, est en grande partie responsable du
suicide chez les homosexuels, puisqu’ils se sentent rejetés. Ce taux de suicide
serait alors étroitement lié à la perception que la société aurait de ces acteurs
sociaux. Et, cette situation peut se vérifier dans les sociétés, où l’homosexualité,
à travers les lois, est officialisée au même titre que l’hétérosexualité.
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L’homosexuel qui sensible à ce regard désapprobateur disions nous, finit par
développer la « culpabilité sociale », pour reprendre les termes d’ANATRELLA
(1993 :211). Cette culpabilité sociale naît du reproche que certains homosexuels
font à leur société de ne pas les accepter tels qu’ils sont, tout simplement parce
qu’ils ne parviennent pas à désirer un partenaire différent. De cette culpabilité
sociale, il nous semble qu’il ne suffit que d’un pas pour arriver au suicide ?
Qu’en est-il du cas précis du Maroc ?
1.3. Suicide Et Homosexualite Au Maroc :
Si de manière générale il est établi que les homosexuels à travers le
monde connaissent une certaine marginalisation, au MAROC, ils le sont plus
encore. D’une part parce que leur existence est déniée par le politique, d’autre
part l’activité homosexuelle est condamnée par le code pénal. Face à l’obstacle
social qui empêche tout épanouissement des homosexuels au Maroc, ceux-ci ont
développé une stratégie de camouflage de leurs activités sexuelles réelles. C’est
ainsi que, bien que s’identifiant et s’acceptant comme homosexuels, certains
d’entre eux, pour faire bonne figure sociale, ont également choisi d’entretenir
des rapports factices avec des partenaires de l’autre sexe.
D’autres sont même allé jusqu’à établir des unions officielles avec ces
partenaires de circonstance, tout en ayant une activité sexuelle intense avec leur
partenaire habituel ou autres. C’est ainsi qu’au cours de l’exercice de mes
fonctions en tant que psychiatre s’occupant de trois provinces et ce durant sept
ans ; sur environs 400 cent jeunes que j’accueillais en consultation ou aux
urgences par année, avec une majorité féminine, vue que les tentatives de
suicides les concernent plus ; 4% des jeunes femmes et 1% des garçons parlent
de l’Homosexualité à la suite d’une tentative de suicide, et dans un esprit
d’approcher le ou les faits qui avaient éventuellement motivé leur passage à
l’acte suicidaire je me suis particulièrement intéressé à l’Homophobie
intériorisée :
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« C’est une étape incontournable.la personne prend conscience de
quelques chose d’extrêmement dévalorisant par rapport à la relation de moi à
moi. Cela se situe soit du cȏté de la maladie (il faut aller voir un psychiatre),
soit du coté de la morale et de la religion (je suis un dépravé, je ne suis pas
digne de la morale du groupe auquel je m’identifie) »
Il existe aussi un autre fait, c’est que le suicide dans la société Marocaine
est mal perçu. Les individus qui se suicident jettent l’opprobre sur eux et sur leur
famille, car le suicide est synonyme dans l’imaginaire social, à la malédiction.
Les homosexuels Marocains pour la plupart sont ancrés dans ces croyances,
étant donné qu’ils ont été socialisés dans cet univers social. Ils préfèrent soit
souffrir leur rejet dans les coulisses, soit alors adopter des stratégies de
camouflage, soit enfin se confier tout à un proche. C’est certes rare, mais j’ai eu
à rencontrer quelque rare cas.
De tout ce qui précède, il ressort que l’attitude sociale réprobatrice vis-à-
vis de l’homosexualité, peut être un facteur majeur, mais pas principal, de
suicide chez les homosexuels.
1.4. L’homophobie :
«Peur, haine et/ou désapprobation envers l’homosexualité.
L’homophobie désigne ainsi l’intolérance, le mépris, les préjugés, les attitudes et
sentiments négatifs, les aversions et les discriminations envers les personnes
homosexuelles, ou supposées comme telles, ou envers l’homosexualité en
général. L’homophobie peut également exister envers soi-même, c’est
l’homophobie intériorisée avec comme conséquences possibles : mauvaise
estime de soi, honte, culpabilité, et parfois pensées ou actes suicidaires.
« L’homophobie est une discrimination au même titre que la xénophobie,
le racisme, le sexisme, les discriminations sociales, liées aux croyances
religieuses, aux handicaps, etc.
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Une discrimination est une attitude, une action, une loi qui vise à
distinguer un groupe humain d’un autre à son désavantage. Elle concerne plus
facilement certaines minorités. […].
L’homophobie se traduit par des réactions, avouées ou non, de rejet,
d’exclusion ou de violence (verbales, écrites, physiques, dégradation de biens) à
l’encontre des homosexuel(le)s ou des personnes supposées l’être » notamment
« les personnes dont l’apparence et le comportement ne correspondent pas
aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité ».
L’homophobie recouvre tout ce qui concourt à l’infériorisation ouverte et
affichée de l’homosexualité ou de celles et ceux qui semblent être
homosexuel(le)s. Il en existe une forme plus subtile et insidieuse qui se
manifeste au travers de ce que l’on estime devoir mentionner ou non.
C’est une forme d’homophobie courante parmi les adultes qui
constituent l’entourage des jeunes (parents, enseignants, animateurs, personnels
de santé…). Exemple : les relations amoureuses et sexuelles entre hommes et
femmes seront abordées très tôt avec les jeunes alors que nombre d’adultes
considèrent que les relations entre personnes d’un même sexe ne peuvent pas
être évoquées avant un âge mature. Cette attitude peut être interprétée (et
intériorisée) par les jeunes
comme une preuve d’un statut problématique de l’homosexualité.
« Traitements institutionnels et individuels signifiant l’infériorité de
l’homosexualité devant l’hétérosexualité. Il peut s’agir, par exemple, de doubles
standards juridiques, de discrimination dans l’emploi, d’agressions physiques,
de bousculades, de harcèlement, de mise à distance,
d’insultes, de discours pathologisants, de marques d’appréciation
différenciée de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, d’occultation des réalités
Homosexuelles, etc.
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Différents travaux menés depuis une quinzaine d’années à l’étranger puis
en France ont permis de mettre en évidence des prévalences de suicide plus
importantes dans la population « lesbienne, gay et bisexuelle » (LGB) et
d’identifier la discrimination comme un facteur associé à une importante
souffrance psychologique qui peut se traduire par des tentatives de suicide. La
prise en compte de l’orientation sexuelle dans le cadre de la prévention du
suicide chez les jeunes a d’ailleurs trouvé un écho à l’OMS
(Organisation mondiale de la santé) en 2006 et a été inscrite en 2007
comme axe d’investigation de l’Union nationale pour la prévention du suicide
(UNPS).
De façon générale, les enquêtes internationales menées en population
générale confirment l’existence d’un risque plus élevé de tentatives de suicide
parmi les minorités sexuelles en comparaison des hétérosexuels exclusifs.
On retiendra de ces études que le risque le plus important d’avoir
effectué une tentative de suicide chez les homo/bisexuels, en comparaison des
hétérosexuels exclusifs, s’observe dans les enquêtes portant sur les échantillons
les plus jeunes aussi bien chez les hommes de 12 à 19 ans que chez les femmes
de 15 à 17 ans.
Le sociologue américain Stephen Russell insiste d’ailleurs sur la
spécificité de l’adolescence, pendant laquelle la construction de l’identité
sexuelle et la découverte de leur orientation sexuelle rendent les jeunes plus
vulnérables aux préjudices causés par une attitude hostile à l’homosexualité. Il
est important de retenir qu’en croisant les différentes statistiques issues de ces
études, l’homophobie représenterait l’un des premiers facteurs de causalité dans
le passage à l’acte suicidaire des jeunes hommes.
De plus, dans son rapport, le GRIS identifie également le décrochage
scolaire, la consommation de drogue et les pratiques sexuelles à risque comme
des conséquences de l’homophobie.
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La perception sociale négative et dévalorisante de l’homosexualité est
ressentie par les jeunes des minorités sexuelles comme une atteinte à leur égard.
Elle est vécue comme particulièrement déstructurante pour les plus
jeunes.
À l’âge où se construit leur masculinité ou leur féminité, ils se trouvent
confrontés aux rôles sociaux et sexuels correspondant à la « norme » sociale
dominante.
Pour se détacher de leurs parents (ce qui constitue une des « tâches » de
l’adolescence), les jeunes s’appuient sur leur groupe de pairs. Or, celles et ceux
qui sont différents, par leur orientation sexuelle, leur identité sexuelle ou de
genre, sont fréquemment rejetés (ou craignent de l’être en cas de dévoilement)
par leurs camarades.
Dans ce cadre, l’attention des adultes, par exemple celle des
psychologues scolaires, des conseillers principaux d’éducation ou des
enseignants peut se révéler utile pour pallier la détresse et l’atteinte à l’estime de
soi chez les jeunes lesbiennes, gays et bisexuel(le)s.
Ces jeunes vivent non seulement cette expérience du rejet de la part des
autres, mais aussi l’invisibilité de leur souffrance.
Les parents ne sont pas non plus toujours une base sécurisante et se
montrent d’ailleurs rarement prêts à accepter cette différence chez leur enfant.
Dans l’enquête Presse Gay de 2004, moins d’un tiers des répondants de
moins de 20 ans ont annoncé leur orientation sexuelle à leur père et 55 % l’ont
annoncée à leur mère 18.
La discrimination des populations lesbiennes, gays ou bisexuelles
apparaît donc comme un élément explicatif majeur de la souffrance psychique et
de la forte prévalence des tentatives de suicide observées dans ces populations.
22
Une action visant à sensibiliser le plus grand nombre (professionnels du
milieu socio-éducatifs, parents, pairs) au rejet et à la souffrance psychique des
jeunes lesbiennes, gays et bisexuel(le)s semble donc constituer un premier pas
vers la prévention du suicide dans cette population.
Certains facteurs de risque de tentative de suicide sont les mêmes que
ceux de la population hétérosexuelle : la consommation d’alcool, la dépression,
le fait d’avoir subi récemment une agression, des abus durant l’enfance ou
encore le fait d’avoir une faible estime de soi.
Néanmoins, l’étude de Jay Paul et ses collègues identifie plusieurs
facteurs de risque spécifiques chez les lesbiennes, gays et bisexuel(le)s de moins
de 25 ans :
• le dévoilement (coming out) récent, surtout s’il est involontaire ;
• les harcèlements « anti-gay » durant l’enfance et l’adolescence ;
• la prise de conscience récente de son orientation homosexuelle ou
bisexuelle ;
• une déception récente suite à une première expérience homosexuelle ;
• le fait de présenter un comportement ou une attitude non conforme aux
stéréotypes de genre (par exemple une attitude efféminée pour un
homme et masculine pour une femme).
À ces facteurs peuvent également s’ajouter :
• le manque de soutien de la part de la famille qui peut rester attachée à
des préjugés (culturels, religieux…) ;
• la difficulté à chercher et à trouver de l’aide auprès des amis ;
• une entrée dans la sexualité souvent plus brutale et avec une plus
grande prise de risque émotionnel, ce qui n’est pas sans répercussion
sur le bien-être et l’estime de soi ;
23
• la difficulté, voire l’impossibilité pour ces jeunes d’exprimer les
raisons de leur mal-être et l’attention parfois insuffisante des adultes
face à leur souffrance.
Certains facteurs de protection du risque de tentative de suicide chez
les jeunes homosexuels et bisexuels ne sont guère différents de ceux des
populations hétérosexuelles 20 :
• des liens forts avec la famille ;
• l’écoute et le soutien d’adultes (entourage, associatifs, enseignants…) ;
• l’engagement dans une relation de couple.
Un autre facteur de protection est un univers scolaire et de loisirs non
menaçant, c’est-à-dire des lieux dans lesquels le jeune évolue en permanence et
dans lesquels il doit pouvoir se sentir en sécurité.
Travailler avec ces jeunes sur l’estime de soi, les compétences
psychosociales,
les projets d’avenir, l’implication dans la communauté (sports, loisirs,
arts) sont autant d’actions qui permettent de renforcer ces facteurs de protection.
Q uelques éléments
de connaissance
Les facteurs de risque et les facteurs de protection
24
VI. De l’effet Werther à l’effet
Bouazizi :
2.1. Étymologie et historique du problème
En 1774, parut au foire du livre de Leipzig la première édition du roman
« Les Souffrances du jeune Werther », œuvre qui a sorti de l'anonymat son
auteur, Johann Wolfgang Von Goethe, âgé de 25 ans seulement au moment de la
publication.
Le retentissement du livre a été colossal, de loin supérieur à l'impact
Habituel d'un volume écrit à l'époque. Il s'agit de la première fois qu'un roman
dépasse les frontières allemandes et qui étend son influence non seulement dans
toute l'Europe, mais dans le monde entier.
Déjà réédité plusieurs fois jusqu'en 1775, il fut pour la première fois
Traduit et publié l'année suivante (1776) en France où il a signé le début du
Romantisme et a influencé de nombreux artistes comme Lamartine, Mme de
Staël, Alfred de Musset ou Victor Hugo.
Le roman est écrit sous une forme épistolaire et particulièrement
Susceptible d'influencer le public, fait accentué par le mot au lecteur.
Le mode d'expression est chargé d'induire une empathie avec beaucoup
de valeur artistique.
Une étude américaine montre que le langage est un potentiel indicateur
Suicidaire dans le cas des poètes.
Dans les textes émanant des futurs suicidés, les mots utilisés
témoigneraient d'une individualisation et d'une préoccupation pour soi-même, au
dépit d'une vue intégrant l'auteur dans la société ou au sein d'un groupe (usage
des pronoms au pluriel, des mots suggérant la communication comme "parler",
"partager", etc.). Si la théorie est vraie, on peut imaginer également la
25
réciproque, c'est-à-dire qu'un texte s'adressant à l'individu et non pas à la
collectivité entière sera plus "compréhensible" et plus proche de l'état d'âme
associé avec la crise suicidaire, comme si le lecteur se sentait mieux compris et
plus apte à comprendre le message écrit.
La vie de Goethe pourrait expliquer aussi une partie de cette charge
émotionnelle, car l'histoire de Werther est d'inspiration autobiographique.
L'auteur avait lui-même vécu en 1772 un chagrin d'amour avec une jeune
femme de 19 ans, Charlotte Buff, son prénom étant repris à l'identique dans le
roman.
Werther, lui, ressemble remarquablement au jeune écrivain (ils ont le
même âge au moment de la publication, le même anniversaire – 28 août) mais
aussi à un ami proche de Goethe, Karl Wilhelm Jerusalem, qui s'est en effet
suicidé suite à une histoire sentimentale.
Bien sûr, en 1774 les recommandations de l'OMS concernant la
description des suicides dans les médias n'existaient pas, mais d'un point de vue
purement expérimental il est possible de les appliquer aux "Souffrances du jeune
Werther". Cela montre que plusieurs principes aujourd'hui reconnus pour la
prévention du suicide n'ont pas été respectés:
– la mort du personnage n'est pas présentée comme "sensationnelle",
mais en tant que héros romantique Werther est un modèle
exceptionnel;
– le vécu et le parcours du jeune suicidé, à partir de son amour naissant
jusqu'au passage à l'acte, semblent légitimes ou "normaux"; il n'y a pas
de signe identifiable par le lecteur comme une pathologie mentale (ou
"folie") même si le spécialiste peut retrouver les symptômes d'une
dépression;
26
– les détails du suicide (préparation, contenu de la lettre d'adieu, moyen
utilisé, conséquences immédiates) sont racontés avec soin;
– le livre ne propose aucune autre alternative au jeune Werther, ainsi
donnant l'impression que la seule "solution", inévitable, a été choisie.
Après le succès artistique initial une autre célébrité, funeste cette fois, a
été associée au livre. Plusieurs cas de suicide rappelant le modus
operandi de Werther ont été remarqués: jeunes hommes vêtus du même costume
bleu avec veste dorée, utilisant une arme à feu. Dans d'autres situations,
l'attention fut attirée par le fait que le livre avait été trouvé sur le lieu du décès à
coté des victimes, ou bien encore le cas d'une jeune femme, Christine von
Laßberg, qui en 1778 s'est noyé à Weimar traînant dans sa poche une copie de
"Werther", juste derrière la maison de Goethe.
Ce processus d'imitation dans un but autodestructeur fait partie d'un
autre, appelé déjà à l'époque "Wertherfieber" (la "fièvre" Werther), qui consistait
à reproduire le comportement du personnage au sens large: comme lui, on lit
Homère, on adopte sa façon de parler et de s'habiller, on se promène dans la
forêt, on utilise des tasses "style Werther".
Très tôt après les premiers suicides mis en lien avec le livre, les
premières réactions ont été de limiter la diffusion de l'ouvrage. Dès 1775 le
Conseil de la ville de Leipzig avec l'appui de la Faculté de Théologie interdit sa
circulation, décision qui reste en vigueur pendant cinquante ans. Une
interdiction similaire frappe l'Italie et au Danemark un débat national se lance au
même sujet.
Dans ces mesures on identifie les premières tentatives de prévention
primaire.
Le livre marque aussi un tournant dans la conscience collective face au
suicide, geste qui jusque là était explicable par une faillite ou autre souci
27
financier majeur, mais tout à fait condamnable et inacceptable pour d'autres
raisons.
L'église jouait un rôle important dans la préservation de cette idée, et
Goethe le souligne aussi en choisissant un enterrement laïque:
« Il mourut à midi. [...] Il fut enterré de nuit, vers les onze heures, dans
l'endroit qu'il s'était choisi. [...] Des artisans le portèrent. Aucun ecclésiastique
ne l'accompagna. »
Après “Werther”, le suicide gagne une certaine légitimité. Se suicider
par chagrin d'amour ou par désillusion philosophique est un choix possible et
non plus un sujet tabou. Penser à la mort et à se donner la mort devient
désormais l'apanage de l'esprit romantique.
Plus d'un siècle plus tard, le premier qui parle de "imitation" et qui a
essayé de faire une synthèse du phénomène était Durkheim. Il conclut que l'effet
de la médiatisation d'un suicide particulier se limitait à la précipitation du
passage à l'acte chez des sujets qui, statistiquement, l'aurait inévitablement fait
plus tard. Des nouveaux cas ne seraient pas ajoutés. Selon son avis, seulement la
distribution dans le temps serait influencée et il n'y aurait pas d'augmentation au
long terme du nombre de vies perdues.
Durkheim parle aussi d'une théorie selon laquelle le suicide serait un
"mal nécessaire" pour la société. Le rôle des suicidés et suicidants serait
d'exprimer le pessimisme dans la forme la plus radicale (renoncer à la
vie qui rend mécontent), fait qui assure la pérennité de cette forme de pensée
pour équilibrer la balance de la conscience collective. Cette théorie expliquerait
pourquoi le taux de suicide ne peut pas baisser sous un certain seuil et ce taux
"irréductible" serait normal pour une société saine.
Gabriel Tarde, sociologue et statisticien judiciaire à l'époque, publie
"Contre Durkheim à propos de son Suicide" la même année que l'ouvrage de
28
son adversaire idéologique. Avec cette étude, ainsi que dans des articles
ultérieurs, il affirme que, au contraire, il n'y a aucun lien entre le modèle d'un
suicide et des cas observés. Les arguments qu'il apporte ne suffiront pas pour
renverser ceux de Durkheim, et c'est la pensée de ce dernier qui va prévaloir
pour les prochaines décennies.
Les investigations menées au XIX ème siècle peuvent être critiquées car
la fiabilité des données recueillies peut être moindre que de nos jours. Une
comparaison est néanmoins possible. Selon les chiffres véhiculés à l'époque, le
gradient nord-sud n'existait pas et le taux de suicide était au moins comparable à
celui d'aujourd'hui. Selon les cartes de Durkheim, l'incidence la plus importante
était concentrée dans la capitale et les régions avoisinantes. Par exemple, en
1827 on avait calculé une incidence de presque 50 pour 100.000 habitants dans
la ville de Paris et le département de Seine-et-Oise (Tarde, 1897). Dans la
période moderne, le taux départemental le plus élevé est de 44,7 (Côtes d'Armor,
1987). Dans l'hypothèse d'une moyenne plus élevée, toute augmentation
ponctuelle due à un effet d'imitation risque d'être plus discrète, et le rapport
suivant serait rapproché de zéro:
Cet aspect peut expliquer pourquoi on aurait eu des difficultés à dépister
un impact important du processus d'imitation avec des données plus anciennes.
"L'effet Werther" est défini aujourd'hui comme un phénomène de
contagion interhumaine (épidémie) par suggestion et imitation d'un
comportement suicidaire à partir de un (ou quelques) cas initial (initiaux)
médiatisés.
En 1974, David Phillips a baptisé d'après le personnage de Goethe cet
effet dont il a tenté de vérifier l'existence ou l'absence. Il a appliqué une méthode
de comparaison du nombre de suicides dans le mois après des suicides célèbres
avec un "témoin" (même période dans l'année précédente et/ou suivante). Pour
qu'un suicide puisse être considéré comme significatif, le critère-seuil choisi a
29
été la parution d'articles le concernant sur la première page des journaux de
grand tirage (par exemple, New York Times).
Outre la croissance absolue observée des cas de suicide, l'auteur apporte
aussi des arguments indirects en sa faveur:
Nombre de suicides en excès du à l ' effetWerther
Nombre total de suicides obervés
– la chronologie des faits montre que les suicides en surnombre se
trouvent strictement après le décès médiatisé; à l'aide de cette preuve, l'auteur
écarte une autre cause possible de l'effet Werther: la préexistence de conditions
sociales aboutissant aussi bien au suicide célèbre qu'au suicide des concitoyens
inconnus, sans lien direct entre eux;
– il semble exister un lien de proportionnalité ou un continuum entre le
degré de célébrité de la personne, la "publicité" faite au suicide et l'ampleur
observée de l'effet;
– si le nombre total de suicides ne serait pas touché par l'effet Werther
(hypothèse de Durkheim), l'accumulation des gestes suicidaires précipitées par
la suggestion devrait être suivie d'une période de baisse pour préserver un taux
moyen stable; or cette "vallée" suivant le "pic" initial n'a pas été dépistée.
Une autre théorie, très intéressante du point de vue théorique, est celle de
la classification de la cause du décès. Selon elle, les suicides en excès constatés
après un cas de référence pourraient s'expliquer par un biais involontaire
d'interprétation. Le diagnostic de suicide comme cause de décès est établi par le
médecin qui le constate. Mais le fait d'avoir appris dans les journaux la noyade
de Virginia Woolf (par exemple), peut favoriser la classification des noyades
accidentelles comme suicides.
Dans cette optique, l'effet Werther ne s'exerce pas dans la conscience des
victimes, mais des médecins, et l'augmentation du taux serait artificielle.
30
Simultanément, le nombre de décès par autres causes devrait baisser
(quelques cas étant "reclassés" comme suicides).
Le phénomène n'est pas sans précédent. Un effet apparenté "de halo" est
familier aux jeunes étudiants en médecine qui auront tendance à diagnostiquer
avec plus de facilité les maladies qu'ils viennent d'apprendre récemment, voire à
s'auto-diagnostiquer au fur à mesure qu'ils gagnent d'expérience clinique mais
tant qu'ils n'ont pas suffisamment d'objectivité.
2.2. Existe-t-il vraiment un effet Werther ?
Malgré le raisonnement et les données statistiques minutieuses des
critiques ont été apportées à l'étude de Phillips, notamment en matière de
méthodologie.
En effet, plusieurs constatations ne sont pas concordantes avec
l'existence de l'effet. À titre d'exemple, une grève des journalistes devrait
influencer négativement le taux du suicide, car elle limiterait la "publicité" du
suicide auprès du large public. Pourtant, cette hypothèse se montre invalide
après observation de tels mouvements sociaux dans la ville de Detroit (JA
Motto, 1970). Ensuite, dans certains cas de personnes publiques décédées le
nombre de suicide diminue au lieu d'augmenter selon les prédictions, La
médiatisation peut-elle donc avoir uneffet protecteur?
L'étude de quelques séries télévisées qui étaient susceptibles de
suggérer un passage à l'acte a donné des résultats contradictoires.
Toutes ces contradictions mettent en évidence qu'il est difficile
d'envisager la mise en route d'une étude ayant comme seule variable la
suggestion. Comme nous le savons, le suicide est un phénomène à faible
prévalence. Il est d'autant plus difficile de faire une sélection rigoureuse qui
prend en compte l'objectivité de l'information, son taux de diffusion, le profil du
31
public, la personnalité et le degré de célébrité du cas-index, l'accessibilité du
moyen, sa létalité, les références des victimes aux articles ou reportages...
2.3. Le suicide célèbre :
Les personnes célèbres suscitent la curiosité du grand public et les
informations les concernant font partie habituellement du paysage médiatique
contemporain. Une partie de consommateurs des médias ont tendance à
emprunter des éléments de l'image de leurs idoles, à imiter leur façon de
s'habiller, de parler, de se comporter. Il s'agit là d'un aspect bien connu de la
psychologie humaine, qu'on peut vérifier facilement: prenons le cas de la
publicité qui vise à vendre un produit en lui associant l'image d'un acteur ou d'un
sportif de succès.
Ce processus plus ou moins conscient et volontaire, qui est en général
accepté et qualifié de normal, peut se montrer très dangereux si le comportement
pris en tant que modèle est celui d'un suicide, comme on faisait autrefois durant
la Wertherfieber.
2.3.1. Gaétan Girouard
Le 14 janvier 1999 Gaétan Girouard, un journaliste québécois de
presque 34 ans, se donne la mort par pendaison. Une longue lettre
d'adieu est trouvée à son côté. Il était marié et avait deux filles.
Son image publique était celle d'un citoyen engagé dans la défense des
plus démunis, un professionnel avec une très bonne éthique qui luttait
lui-même contre le suicide, moralement intègre et en général une personne
heureuse qui avait toutes les raisons de vivre.
La vérité était en quelque sort différente. Le journaliste souffrait d'une
surcharge au travail, des attentes très hautes que son succès lui demandait et il
32
avait développé une dépression quelque temps avant son geste. Son père a
déclaré avoir senti un changement dans son comportement quelques jours avant.
Vu sous cet angle-là, le passage à l'acte semble moins paradoxal.
Dans la presse, c'était surtout l'image publique de Gaétan Girouard qui
s'était suicidée. Presque une centaine d'articles ont commenté l'événement dans
la presse régionale, dont un tiers dans les deux jours suivant les faits. La
tendance était de préserver l'image d'un héros, à la fois pour récompenser à titre
posthume ses mérites et pour accentuer le contraste entre son style apparent de
vie et son choix de mort.
La tragédie a été présentée la plupart des fois sans respecter les
consignes habituelles adaptées au sujet. Elle était accompagnée par une
iconographie suggestive dans un quart des articles, racontant en détail le moyen
employé (14 articles) et le déroulement. L'émotion de ceux impliqués s'appuyait
sur les mots des proches, de la famille, des collègues et des lecteurs, dont les
extraits montraient une image positive ou acceptable de son suicide à 15
occasions.
Six ans plus tard, Tousignant et ses collaborateurs ont analysé l'impact
que ce suicide et sa médiatisation ont eu dans le Québec et ont montré qu'il y a
bien eu un "effet Gaétan Girouard".
Utilisant une méthode similaire à celle de Phillips (1974), une
augmentation de 50 cas de suicide a été observée pour la période janvier-février
1999, par rapport au même intervalle des années 1998 et 2000 (majoration de
presque 50 %). Au delà d'un mois après l'incident initial, l'influence était plus
difficile à mettre en évidence. Il s'est probablement manifesté avec une moindre
intensité, comme le témoigne le nombre annuel de suicidés (195 cas et 14,2 %
de plus qu'en 1998) et le "virage" des chiffres concernant le moyen utilisé, au
profit de la pendaison (3% de plus) face aux autres moyens confondus (3 % de
moins).
33
Notamment dans la municipalité de Sainte-Foy, où le journaliste s'est
donné la mort, la distribution chronologique des suicides par pendaiso
témoignait d'un pic dans les 38 jours après le 14 janvier 1999. La concentration
(clustering) était près de dix fois supérieure à la moyenne sur les trois ans (1998-
2000) exceptant cette même période de 38 jours.
À remarquer aussi qu'au sein de ce malheureux groupe la ceinture (un
moyen assez inhabituel dans le passé de la région) a été employée par une
proportion significative. C'était le même modus operandi pour le cas-index.
Comme dans le cas de "Werther", d'autres indices ont pu montrer le lien
direct avec le modèle initial. Dans les suites immédiates, pour 10 décédés on a
trouvé à leur côté soit des découpages d'articles concernant M. Girouard, soit des
photos ou des références directes à son nom dans les lettres d'adieu.
Pour d'autres,l'entourage a pu reconnaître qu'ils avaient parlé du
journaliste, souvent avec empathie à son égard, ou qu'ils avaient suivi avec
beaucoup d'intérêt les informations liées à sa mort.Les auteurs avaient aussi
étudié l'activité des centres téléphoniques de prévention du suicide comme
mesure de l'impact dans la population. Dans les quatre premiers jours (période
coïncidant à l'inondation d'information dans la presse), les appels ont été presque
trois fois plus nombreux et les chiffres sont restés augmentés encore les jours
suivants (15 % de plus au mois de mars 1999).
Examinée avec un oeil critique, cette augmentation peut avoir plusieurs
causes:
– majoration globale des tendances suicidaires suite à la façon de
présenter les faits dans les médias ("effet Werther" proprement dit);
– plus grande susceptibilité des tiers à alerter les secours devant une
situation qui aurait été interprétée comme moins inquiétante à un autre moment
34
(l'élévation des pourcentages concernait plutôt les appels de l'entourage que les
appels "primaires", c'est-à-dire émanant directement des personnes en détresse);
– diffusion plus importante des coordonnées des centres d'appel, suite à
leur publication accompagnant les articles ou les reportages.
Probablement elles sont intriquées et une seule ne peut pas justifier
entièrement le phénomène. Par exemple, la courbe du nombre d'appels (élevée
pendant environ deux mois) n'est pas parallèle à la diffusion des numéros de
téléphone (limitée à quelques jours seulement).
Selon une des théories expliquant la contagion, la médiatisation d'un cas
s'ajoute à une vulnérabilité préexistante pour aboutir au geste létal. Cette théorie
a trouvé plusieurs arguments en sa faveur dans l'étude québécoise.
Par définition, la médiatisation s'adresse à la population entière, et toutes
les catégories semblent avoir reçu l'empreinte psychologique de la tragédie.
Mais une partie seulement est passée à l'acte.
Le portrait d'un homme idéalisé qui malgré ses bonnes capacités
psychiques apparentes finit par "choisir de prendre sa vie" a pu bouleverser
l'équilibre fragile des personnes déjà en détresse et ayant les facteurs de risque
habituels: trouble psychiatrique, antécédents de tentative, perte récente ou
séparation, difficulté sociale ou isolement. Le stress supplémentaire a induit un
sentiment d'impuissance et désespoir, ainsi qu'aggraver les symptômes
dépressifs déjà patents.
Cette conséquence délétère s'est manifestée dans un sens rétrograde,
c'est-à-dire pour les personnes qui avaient un trouble préexistant, ainsi que
antérograde (ou "sleeper effect"), c'est-à-dire des personnes qui sont restées sous
l'influence des événements de janvier, mais qui sont passées à l'acte plus tard,
suite à des événements de vie ou des troubles apparus ultérieurement.
35
Conscientes du potentiel néfaste, les autorités ont demandé expressément
aux médias de ne plus adresser le sujet, sans effet notable sur les éditeurs.
3. L’effet Mohamed Bouazizi :
De son vrai nom Tarek Bouazizi , né le 29 mars 1984 et mort le
4 janvier 2011, est un vendeur ambulant tunisien dont la tentative de suicide par
immolation le 17 décembre 2010, qui conduit à son décès deux semaines plus
tard, est à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la
révolution tunisienne évinçant le président Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir,
et sans doute par extension aux protestations et révolutions dans d'autres pays
arabes connues sous le nom de Printemps arabe. Tarek bouazizi est rapidt
appelé Mohamed, pour le distinguer d'un homonyme, puis porte jusqu'à l'âge
adulte le surnom de Besbouss donné par sa mère Manoubia.
Son père, Taïeb, est ouvrier agricole. Mohamed a un frère, Salem, et une
sœur, Leïla. Il a trois ans lorsque son père meurt ; sa mère se remarie avec son
beau-frère, avec lequel elle a quatre enfants. La famille Bouazizi connaît un
revers de fortune après la perte de terres hypothéquées.
À six ans, le jeune Bouazizi participe aux travaux des champs ; à 14 ans,
tout en suivant des études au lycée, il est occasionnellement maçon. Assumant le
rôle de soutien de famille qui lui est confié, Mohamed Bouazizi reste à Sidi
Bouzid, ville agricole de 40 000 habitants, malgré la découverte et l'attrait de
Sfax, ville maritime économiquement développée. Abandonnant le lycée au
niveau de la terminale, il s'inscrit dans une association de jeunes chômeurs.
Faute de mieux, à 19 ans, il devient marchand ambulant, vendant des fruits et
légumes, cette activité constituant le seul revenu d'une famille de sept
36
enfants.Son rêve est de pouvoir s'acheter une camionnette pour ne plus avoir à
pousser sa charrette. Ne possédant pas d'autorisation officielle, il subit une
administration à laquelle il ne peut verser de pots-de-vin et qui, pendant sept
ans, se sert dans sa caisse, lui applique des amendes ou lui confisque sa
marchandise, voire sa balance. À sa sœur Leïla, il déclare : « Ici, le pauvre n'a
pas le droit de vivre ».Le 17 décembre 2010, on lui confisque encore une fois
son outil de travail (une charrette et une balance). Essayant de plaider sa cause et
d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock auprès de la municipalité
et du gouvernorat, il s'y fait insulter et chasser. Sa sœur Leïla explique : « Ce
jour-là, les agents municipaux lui avaient confisqué son outil de travail et l'un
d'eux l'avait giflé. Il s'est alors rendu à la municipalité, puis au gouvernorat pour
se plaindre, mais ici, à Sidi Bouzid, il n'y a personne pour nous écouter. Ils
marchent à la corruption et ne travaillent que pour leurs intérêts. »
Humilié publiquement, désespéré, Mohamed Bouazizi s'immole par le
feu devant le siège du gouvernorat. Il est transporté à l'hôpital local, puis à Sfax,
et enfin au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, près de
Tunis.
Le décès de Mohamed Bouazizi est annoncé le 4 janvier 2011 à Ben
Arous où il était hospitalisé.
Alors que les réactions à cet acte sont d'abord ignorées par le
gouvernement tunisien, sa mère et sa sœur sont reçues le 28 décembre par le
président Zine el-Abidine Ben Ali, qui limoge le gouverneur de Sidi Bouzid et
les agents municipaux concernés. Une auxiliaire municipale accusée d'avoir
giflé Bouazizi est mise en détention provisoire sur ordre de Ben Ali; la gifle est
contestée par des témoins et la policière bénéficie d'un non-lieu le 19 avril 2011
après plusieurs mois de détention provisoire. Six mois après la mort de Bouazizi,
sa famille a dû quitter Sidi Bouzid pour La Marsa, accusée de s'être enrichie, et
le portrait de Mohamed Bouazizi a été décroché à Sidi Bouzid.
37
Il s'est avéré après coup que Bouazizi n'a pas été giflé mais que cette
rumeur a été inventée pour pouvoir faire de cet homme un martyr et renforcer
l'effet de contestation. Lamine al-Bouazizi (sans aucun lien de parenté avec
Mohamed), responsable syndical de Sidi Bouzid et anthropologue, explique :
« En fait, on a tout inventé moins d'une heure après sa mort. On a dit
qu'il était diplômé chômeur pour toucher ce public, alors qu'il n'avait que le
niveau bac et travaillait comme marchand des quatre-saisons. Pour faire bouger
ceux qui ne sont pas éduqués, on a inventé la claque de Fayda Hamdi. Ici, c'est
une région rurale et traditionnelle, ça choque les gens
../../AppData/Local/Microsoft/Windows/Users/Fadoua/Desktop/Mohamed_Bouazizi.htm -
cite_note-17.
D'autres suicides ont suivi ainsi que des manifestations de grande
ampleur réprimées dans le sang, dans le centre et le sud-ouest du pays.
38
VII. Impact des médias sur le suicide et
Comment trasformer « l’effet werther »
en prévention du suicide ?
1-théories expliquant l’effet des médias sur le suicide :
Différentes théories expliquent ou prédisent un effet des medias sur le
suicide.
• Contagion comportementale :
Un comportement peut diffuser rapidement et spontanément dans un
groupe.
• Théorie de l’apprentissage social :
Développée par Bandura(1977).pour celui-ci , la plus part des
comportements sont appris par l’observation et l’imitation d’un modèl.
• Modèle des maladies infectieuses :
Ce modèle reconnaîtles rôles respectifs de « l’agent » (ici le modèle), de
« l’hote » (ici la personne vulnérable)et de « l’environnement » (ici le contexte)
dans le processus global de transmission.
À l’heure actuelle, la majorité des travaux publiés sur ce sujet s’accorde
pour confirmer qu’une couverture journalistique importante dans la presse écrite
exerce un effet de facilitation des comportements suicidaires dans les zones de
lectorat des journaux concernés.
L’ampleur de cette augmentation est liée à l’attractivité, à la notoriété de
la personne dont le suicide est relaté, à la durée et à l’importance de la publicité
résérvée à l’événement.
La majorité des travaux portent sur l’influence de la presse écrite , en
revanche il existe moins de données relatives aux reportages
39
télévisés.cependant, une étude Australiènne publiée en 2006, avait observé que
les informatios diffusées à la télévision, comparées aus informations diffusées à
la radio ou dans les jounaux, sont significativement plus souvent associées à une
augmentation du nombre de suicides, que ce soit chez les hommes que chez les
femmes.
Ces études sont à contraster avec celles portant sur l’effet du suicide des
chanteurs sur le taux de suicide en population générale. La plupart d’entre elle
n’ont pas montré de phénomène de contgion.
Les auteurs de ces études expliquent cette constatation essentiellement
par la manière plutôt négative dont les médias auraient décrit ce décès, et
l’intervention des proches pour réduire l’aspect sensationnel de ce suicide, et le
doute sur suicide ou homicide.
2- rôle des médias dansla propagation de nouvelles de nouvelles
Manières de suicide :
Un phénomène récent qui s’est déroulé au cours du printemp arabe est
celui de cas de suicides qui ont étaient largement couvert par les médias, faisant
usage d’un moyen très peu répandu au monde arabe : L’immolation par le feu.
Cette méthode a été présentée comme un moyen facile de se donner la mort.
Avant que les médias ne rapportent ce fait, peu de personne avait utilisé ce
moyen auparavant, mais depuis, plus de 38 cas eurent lieu entre le 1er janvier et
le 17 septembre 2011, les personnes mentionnent qu’il avaient apris ceci via les
médias ayant couvert le suicide de Bouazizi à en Tunisie.
3- facteurs influençant le suicide par imitation :
a/ caractéristiques structurelles du récit :
l’ampleur de l’augmentation des comportements suicidaires survenants
dans les suites de la parution d’articles de journaux est corrélée selon une re
lation « dose- dépendante » à la pulicité faite à l’histoire du suicide, à sa place
40
éditoriale au sein du journal (première page, à la une, en couverture), à
l’importance qui lui est accordée (taille de l’article, gros titres, photos,
intervenants, etc.) et à la répétition,au fil des jours, des reportages et articles
concernant le même cas.
b/ caractéristiques du modèle ou contenu des récits :
parmis les caractéristiques susceptibles d’avoir un effet d’imitation, les
plus étudiés sont le statut de célébrité et la notoriété de la personne suicidée,
l’existence de difficultés conjuguales ou de divorce de la victime seraient
potentièllement capable d’induire un effet d’identification chez des personnes
vulnérables ou suicidaires.
c/ mode narratif et contenu du récit :
les méthodes d’analyse de contenu ont pu mettre en évidence que les
facteurs les plus incriminés sont une présentation romanesque ou romancée, la
glorification ou l’apologie de la personne suicidée, l’utilisation d’explications
simplicites, univoques ou tendant à justifier l’acte suicidaire, les déscriptions
détaillées du lieu, du moyen utilisé et l’emploi de photos.
d/ caractéristiques de la personne :
Favoriseraient une plus grande réceptivité à l’imitation. L’âge sembleun
facteur important : ce sont les adolescent(e)s et les adultes jeunes qui sont
vulnérables au risque d’imitation. En revanche les résultats sont beaucoup plus
contradictoires en ce qui concerne le sexe.
e/ correspondances entre l’hôte et l’agent :
globalement, l’effet d’imitation est le plus important dans les groupes de
personnes qui sont les plus proches de la victime au niveau des circonstances de
vie, caractéristiques démographiques et histoire individuelle.
41
VIII. Comment réduire l’impact négatif
des médias :
1- Recommandations de l’OMS :
1-1- ce qu’il faut faire :
• Collaborer étroitement avec l’autorité sanitaire en présentant les faits ;
• Parler du suicide en termes de suicide « accompli » et non du suicide
« réussi » ;
• Publier uniquement les données appropriées dans les pages
intérieures ;
• Donner les informations sur les services d’assistance et les possibilités
locales ;
• Mettre l’accent sur les indicateurs de risque et les signes d’alerte ;
1-2- ce qu’il ne faut pas faire :
• Publier des photos ou des lettres de personnes suicidées ;
• Donner de détailes précis sur la méthode employée ;
• Donner des raisons simplistes ;
• Glorifier ou faire du sensationalisme à propos d’un suicide ;
42
• Utiliser des stéréotypes religieux ou culturels ;
• Chercher des résponsables ;
• Rapporter un comportement suicidaire comme réponse
compréhensible aux changements sociaux et culturels ou à une
récession.
Il est important de pouvoir évaluer l’effet et la mise en œuvre de telles
recommandations par les médias sur les suicides par contagion. La plupart des
recommandations actuelles n’ont pas encore été soumises à une validation et
restent dans une grande mesure empiriques.
43
préventions
44
Prévenir c’est prendre des dispositions qui empêchent l’acte suicidaire.
Une fois compris ce qui nous pousse dans la mort, il faut intervenir à chaque
étape de ce processus afin de l’inverser et de nous pousser vers la vie, ce qui
n’est pas toujours facile.
Dans notre contexte Marocain, bâtir une politique de prévention
spécifique du suicide et de la promotion de la santé sont indispensables. Les
stratégies de prévention reposent sur la compréhension des causes du
phénomène à prévenir.
Dans le cas du suicide, cette exigence est difficile à satisfaire dans la
mesure ou celui-ci n’a pas une cause identifiable mais des origines divers. Les
modéles étiologies sont donc complexes et tributaires de nos connaissances
actuelles des facteurs suseptibles d’exposer un jeune à risque de suicide. Or il
n’existe pas de risque spécifique au suicide ; il existe en revanche des facteurs
plus ou moins fortement associés au risque suicidaire.
Nous serons donc amener à ne plus morceler le savoir, mais au
contraire à intégrer les informations biologiques, affectives psychologiques,
sociologiques et culturelles, et la seule donnée fiable à 100%, c’est que si l’on ne
45
fait rien, on laissera venir tout ce qui mène à la mort. Mais si l’on prend des
decisions médicales, familiales, éducatives, scolaires et culturelles, on aura un
retour sur investissement qui a été déjà évalué : plus on investit tôt, plus les
résultats sont bénéficiaires.
Cette politique de prévention devra s’orienter :
1- Sur le développement de la personne : génétique, conditions de
grossesse, structure de la niche affective des premiers mois, modèles
identificatoires familiaux, fratries.
2- 2- Sur les structures d’alentours : fonctionnement familiale, culture
de quartiers, école, activités périfamiliales, loisirs.
46
X. Quatre propositions :
1- autour de la naissance :
stabiliser les interactions precoces en fin de grossesse, au cours des
premiers mois de la vie, attachement sécure
2- autour de la famille ;
3- autour de l’école ;
4- autour du suicidé.
La pathologie suicidaire du jeune a pu être perçue comme une quête
ultime de limites, dans un contexte social ou familiale désorganisé, en manque
de repères et non contenant. Cependant les données montrent que si le rôle de
l’environnement est essentiel, il ne saurait résumer l’étiologie des gestes
suicidaires du jeune : d’une part le taux élevé de psychopathologie et de
dépression doit être pris en compte, d’autre part l’existence d’une vulnérabilité
spécifique pour les conduites suicidaires doit être recherchée. Enfin l’impact
même du geste suicidaire sur un cerveau en développement est préoccupant,
notamment avec le risque d’installation de schémas cognitifs perturbés : le
danger est que le geste suicidaire devienne une réponse acceptable face aux
problèmes, ce qui aggraverait d’autant plus les capacités déjà menacées de
recherche de solutions alternatives.
47
Conclusion
48
Notre société post –moderne met chaqu’un d’entre nous face au risque
de l’individualisme qui nous laissede plus en plus face à nos décision, la
téchnique recule sans cesse les limites de nos capacités, et seul les interdits et
d’autres téchnologies scientifiques sont censés nous permettre de contrôler nos
actes.
L’existence de conduites potentiellement à risque, inscrites dans la vie
de chacun et apportant parfois plus de satisfaction que d’inconvénients est un
fait. Ce n’est pas nier ces inconvénients que de le dire.
Pourtant, on ne trouve guère de traces de cela dans les politiques envers
les conduites à risque. Une prévention est à inventer qui saura aborder les
expériences vécues, notamment avec le suicide, des les stades précoces, dans
leur globalité, tenant compte à la fois de leur dimensions de plaisir/satisfaction,
comme de déplaisir/souffrance, et des relations entre les deux.
Une éducation préventive qui respecte un fondement de notre vie en
société : construire son autonomie, en accord avec les valeurs individualistes de
notre époque, mais dans le respect des autres et de cequi fait lieu, en accord avec
ce besoin d’appartenance qui nous reste essentiel.
Un accompagnement thérapeutique est à redéfinir, dans une approche
transdisciplinaire du suicide. Il demande un cadre rigoureux qui integre : aide,
soins traitement et apprentissages multidimentionnels, pour permettre de
49
développer des compétences nouvelles, pour apporter un mieux etre, et, surtout
davantagede moyens et de plaisir à s’autodétérminer.
Rien de tout cela ne peut s’accomplir sans le suicidant ou celui qui est en
situation de crise suicidaire, sans sa parole, son expertise, ses choix.
Si l’on endoutait encore, le suicide n’est décidément pas qu’une
« maladie du cerveau », ce n’est pas qu’une question pour la science ni même
pour la santé publique. C’est une question qui touche au devenir de l’homme.
Une question de société et la société ne doit pas en être dépossédée.
50
Bibliograp
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