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Paulina Garbiec Le recours à une expertise privée dans le cadre d’une procédure pénale : un risque accru d’erreurs judiciaires ? La contribution s’intéresse à la problématique des expertises privées et au risque d’erreurs judiciaires qu’elles représentent en matière pénale. Plus précisément, étant donné qu’une expertise erronée est considérée comme pouvant être à l’ori- gine d’une erreur judiciaire, nous analyserons en premier lieu les éléments qui, selon nous, peuvent conduire à l’établissement d’une expertise erronée. Ensuite, nous nous demanderons si, dans le contexte des expertises privées, le risque d’éta- blissement d’une telle expertise et par la suite le risque de commission d’erreurs judiciaires sont accrus par rapport à l’expertise mandatée par l’autorité judiciaire. Catégories d’articles : Contributions Domaines juridiques : Procédure pénale Proposition de citation : Paulina Garbiec, Le recours à une expertise privée dans le cadre d’une procédure pénale : un risque accru d’erreurs judiciaires ?, Jusletter 10 août 2015 ISSN 1424-7410, http ://jusletter.weblaw.ch, Weblaw AG, [email protected], T +41 31 380 57 77

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Paulina Garbiec

Le recours à une expertise privée dans lecadre d’une procédure pénale : un risqueaccru d’erreurs judiciaires ?

La contribution s’intéresse à la problématique des expertises privées et au risqued’erreurs judiciaires qu’elles représentent en matière pénale. Plus précisément,étant donné qu’une expertise erronée est considérée comme pouvant être à l’ori-gine d’une erreur judiciaire, nous analyserons en premier lieu les éléments qui,selon nous, peuvent conduire à l’établissement d’une expertise erronée. Ensuite,nous nous demanderons si, dans le contexte des expertises privées, le risque d’éta-blissement d’une telle expertise et par la suite le risque de commission d’erreursjudiciaires sont accrus par rapport à l’expertise mandatée par l’autorité judiciaire.

Catégories d’articles : ContributionsDomaines juridiques : Procédure pénale

Proposition de citation : Paulina Garbiec, Le recours à une expertise privée dans le cadre d’uneprocédure pénale : un risque accru d’erreurs judiciaires ?, Jusletter 10 août 2015

ISSN 1424-7410, http ://jusletter.weblaw.ch, Weblaw AG, [email protected], T +41 31 380 57 77

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Table des matières

I. IntroductionII. Les expertises dans le cadre d’une procédure pénale

1. L’expertise judiciaire2. L’expertise privée

III. Les sources potentielles d’une expertise erronée1. Les risques au niveau de la personne même de l’expert – les compétences profession-nelles requises

1.1. Les expertises psychiatriques/psychologiques1.1.1. L’expertise concernant la responsabilité pénale1.1.2. L’expertise de crédibilité

1.2. Les expertises comptables1.3. Les expertises d’ADN

2. Les risques au niveau de l’exercice de l’activité de l’expert2.1. La méthodologie

2.1.1. En général2.1.2. Les méthodes scientifiquement reconnues

2.1.2.1. L’expertise psychiatrique/psychologique2.1.2.2. L’expertise comptable2.1.2.3. L’expertise d’ADN

2.2. Les informations mises à la disposition de l’expert2.3. Les secrets

IV. Le risque d’erreur est-il plus probable dans les expertises privées que dans les expertisesjudiciaires ?

1. Les compétences professionnelles requises1.1. Le risque d’erreurs judiciaires dans le domaine des expertises privées psychia-triques/psychologiques, expertises privées comptables et expertises privées d’interpré-tation des résultats d’une analyse d’ADN1.2. Le risque d’erreurs judiciaires dans le domaine des expertises privées d’ADN

2. L’exercice de l’activité de l’expert2.1. La méthodologie2.2. Les informations mises à la disposition de l’expert

2.2.1. Dans le cadre d’une expertise judiciaire2.2.2. Dans le cadre d’une expertise privée

2.3. Les secrets2.3.1. Dans le cadre d’une expertise judiciaire2.3.2. Dans le cadre d’une expertise privée

V. La conclusion

I. Introduction

[Rz 1] Etant donné la limite des connaissances des magistrats dans certains domaines spécifiqueset techniques, le législateur suisse a prévu la possibilité de recourir à un expert. L’article 183 al. 1du Code de procédure pénale (CPP)1 définit l’expert comme « une personne physique qui, dans ledomaine concerné, possède les connaissances et les compétences nécessaires ». Celui-ci apporte aumagistrat sa collaboration en utilisant ses connaissances particulières et en donnant un avis éclairéprésenté sous forme d’une expertise2 qui permet au magistrat d’interpréter et d’apprécier

1 Code de procédure pénale (CPP), RS 312.0.2 Gerard Piquerez / Alain Macaluso, Procédure pénale suisse, 3ème éd., Zurich 2011, N 1099.

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les preuves de manière adéquate3. En procédure pénale, une expertise présente une importanceprimordiale, que ce soit dans les domaines médical, forensique ou encore comptable par exemple.[Rz 2] Les expertises devraient en principe aider les magistrats dans la prise de décisions. Toutefois,elles peuvent en même temps être sources potentielles d’erreurs judiciaires4. Dans le cadre de notresujet, l’établissement d’une expertise erronée5 est considéré comme facteur de risque pouvant êtreà l’origine d’une telle erreur6. Dès lors, il convient de se demander si le risque d’établissement d’uneexpertise erronée et, étant donné le principe de la libre appréciation des preuves7, la commissiond’erreurs judiciaires n’est pas accru lorsqu’une expertise privée est en cause.[Rz 3] Pour répondre à cette question, nous nous intéresserons dans un premier temps au statutdes expertises en procédure pénale (II). Ensuite, nous nous concentrerons sur les risques que pré-sentent les expertises en ce qui concerne la personne même de l’expert et au regard de l’exercicede son activité et nous nous demanderons dans quelle mesure ils peuvent conduire à l’établisse-ment d’une expertise erronée et, par conséquent, générer des erreurs judiciaires (III). Puis, nousnous demanderons si ce risque est plus probable à la suite d’une expertise privée que d’une ex-pertise judiciaire (IV). Pour cela, nous nous concentrerons sur les expertises auxquelles il est leplus fréquemment recouru, à savoir l’expertise psychiatrique/psychologique, l’expertise comptableet l’expertise d’ADN.

II. Les expertises dans le cadre d’une procédure pénale

[Rz 4] Le droit pénal distingue deux principaux types d’expertises : l’expertise judiciaire et l’ex-pertise privée.

1. L’expertise judiciaire

[Rz 5] Une expertise judiciaire est « confiée par le procureur ou le juge à un ou plusieurs spé-cialistes pour qu’ils l’informent sur des questions de fait excédant sa compétence technique ouscientifique »8 et suit les règles procédurales des articles 182 et ss CPP9. En principe, le juge oule procureur est libre de décider selon sa propre appréciation et de mandater un expert lorsqu’il

3 Jo Pitteloud, Code de procédure pénale suisse, Commentaire à l’usage des praticiens, St-Gall 2012, N 414.4 « (…) seule une modification de verdict résultant d’une procédure de révision consacre ce qu’il convient de

qualifier juridiquement d’erreur judiciaire. », Nathalie Dongois, L’erreur judiciaire en matière pénale : Re-gards croisés sur ses contours et ses causes potentielles, Genève 2014, p. 7. La procédure de révision est régiepar les articles 410 ss CPP.

5 En droit pénal suisse, une expertise est fausse notamment lorsque l’expert affirme avoir fait une constata-tion qu’il n’a en réalité pas faite, s’il ne livre qu’une partie de ses constatations, s’il ne renseigne pas de ma-nière correcte et complète sur l’état de connaissances scientifiques, Bernard Corboz, Les infractions en droitsuisse, précis de droit Stämpfli, Volume II, 3ème éd., Berne 2010, ad. art. 307, N 37.

6 Nathalie Dongois, op. cit. ad note 4, p. 76.7 En droit suisse, « le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l’intime conviction qu’il retire de

l’ensemble de la procédure » (art. 10 al. 2 CPP). En effet, il n’existe aucune hiérarchie entre les moyens depreuve. Le magistrat « évalue la valeur de persuasion des moyens de preuve à disposition et pondère ces dif-férents moyens de preuve afin de parvenir à une conclusion sur la réalisation – ou non – des éléments de faitpertinents pour l’application du droit pénal matériel », Jean-Marc Verniory, ad. art. 10, N 29, in : AndréKuhn / Yvan Jeanneret, Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011.

8 Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2, N 1101.9 Caterina Antognini, L’appréciation des expertises scientifiques, in : Jusletter 6 juin 2011, Rz 3ss.

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estime qu’il n’a pas les connaissances nécessaires pour pouvoir traiter une question. Cependant,il existe des situations dans lesquelles un recours à une expertise lui est imposé10.[Rz 6] Il nous paraît nécessaire de préciser que l’expert judiciaire n’est pas imposé aux partiesde manière arbitraire. En effet, selon l’article 184 al. 3 CPP, « la direction de la procédure donneaux parties l’occasion de s’exprimer sur le choix de l’expert »11. Cette exigence est liée audroit de parties à un procès équitable12 et, bien que le magistrat ne soit pas obligé de suivre l’avis exprimé par les parties13, ce dernier sera pris en compte si la partie concernée présente desmotifs valables et sérieux contre la nomination de l’expert. En outre, pour garantir le respectdes principes d’indépendance et d’impartialité des experts judiciaires, les motifs de récusationmentionnés à l’article 56 CPP leur sont aussi applicables14.[Rz 7] De surcroît, l’expertise judiciaire, considérée comme un moyen de preuve parmi d’autres,est soumise à la libre appréciation des preuves et, en principe, ne lie pas le juge15.

2. L’expertise privée

[Rz 8] L’expertise privée est définie comme « la mission accomplie par un expert sous la directionde la partie qui l’a choisi »16 et n’est soumise à aucune réglementation du droit pénal.[Rz 9] Dans le cadre d’une procédure pénale, les parties ont, en principe, la possibilité de produireune expertise privée dans les mêmes domaines que ceux dans lesquels il est envisageable d’établirune expertise judiciaire. Cependant, le statut de l’expertise privée est controversé. Selon unepartie de la doctrine, il serait possible de traiter une expertise privée comme n’importe quel autremoyen de preuve17. D’autres auteurs suggèrent que, à la différence d’une expertise judiciaire, uneexpertise privée ne peut pas être considérée comme un moyen de preuve mais seulement comme unsimple allégué de partie18. La question de savoir si une expertise privée a la même valeur qu’uneexpertise judiciaire et si le magistrat est libre ou non de l’admettre comme un moyen de preuve faitdonc l’objet de débats au niveau de la doctrine. Le Tribunal fédéral a quant à lui indiqué que lesexpertises privées « ne possèdent pas la valeur de moyens de preuve, mais constituent les simplesallégations d’une partie »19. Cela étant, même si le magistrat est tenu de prendre connaissanced’une telle expertise20, il ne peut pas se fonder exclusivement sur elle pour prendre une décision

10 Notamment le recours à une expertise selon l’article 20 du Code pénal suisse (CP, RS 311.0) s’agissant de laresponsabilité pénale.

11 Sauf les cas énumérés à l’article 184 al. 3 CPP in fine, et l’article 183 al. 2 CPP (Joelle Vuille, ad art. 184,N 18 in : André Kuhn / Yvan Jeanneret, Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011).

12 Niklaus Schmid, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 2ème éd., St-Gall 2013, ad art. 184,N 13.

13 Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 184, N 17.14 Art. 183 al. 3 CPP.15 Francesca Pedrazzi,L’expertise privée au regard du CPP, in : Jusletter 25 août 2014, Rz 9ss.16 Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2, N 1102.17 Niklaus Schmid, op. cit. ad note 12, ad art. 182, N 7 ; Francesca Pedrazzi, op. cit ad note 15, p. 8.18 Jo Pitteloud, op. cit. ad note 3, N 415 ; Marianne Heer, ad art. 182, N 10, in : Marcel Alexander Niggli

/ Marianne Heer / Hans Wiprächtiger, Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, Bâle 2011 ;Gerard Piquerez / Macaluso Alain, op. cit. ad note 2, N 1102 ; Carolina Isabela Marques Lopes, Laparticipation de la défense aux expertises pénales, in : Jusletter 6 janvier 2014, Rz 3ss.

19 ATF 132 III 83, JdT 2006 I 338, c. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_49/2011 du 4 avril 2011, c. 1.4.20 Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2, N 1102, p. 381.

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importante21.[Rz 10] En matière de responsabilité pénale, l’expertise privée présente une particularité. En effet,dans le cadre d’une application de l’art. 20 du Code pénal (CP), le Tribunal fédéral a dans unpremier temps admis que le juge ou l’autorité d’instruction peut se fonder sur une expertise privéesi l’expert, pour l’établir, « s’est basé sur des informations complètes et a effectué une explorationexhaustive »22. Toutefois, plus récemment, le Tribunal fédéral a exprimé sa réticence vis-à-vis d’un tel procédé sans cependant l’exclure de manière définitive23. Cette réticence, partagée par unelarge doctrine peut s’exprimer par le fait qu’un tel procédé ne satisfait pas les réquisits de laloi24.[Rz 11] Ainsi, bien que le recours à une expertise privée soit reconnu dans une procédure pénale,il existe toujours un flou en ce qui concerne son statut. Le fait que l’expert privé n’offre pas lesmêmes garanties d’indépendance et d’impartialité que celles imposées pour les experts judiciairesest souvent considéré comme faisant obstacle à l’admission d’une expertise privée comme un moyende preuve25. En effet, l’expert est payé par une partie, ce qui fait naître des doutes sur son im-partialité, mais il peut aussi avoir un intérêt personnel dans l’affaire ou encore avoir des liens defamille ou d’amitié avec la partie concernée.

III. Les sources potentielles d’une expertise erronée

[Rz 12] Dans la présente partie, nous nous demanderons quels facteurs liés à la personne même del’expert puis à l’exercice de son activité peuvent être considérés comme sources potentielles d’uneexpertise erronée.

1. Les risques au niveau de la personne même de l’expert – les compé-tences professionnelles requises

[Rz 13] Si le législateur donne une définition de l’expert (art. 183 al. 1 CPP), il ne donne pas deprécisions quant aux exigences spécifiques qui devraient être remplies par une personne pour qu’onpuisse considérer qu’elle possède les qualités d’expert, notamment en ce qui concerne la formationqu’elle doit avoir suivie dans le domaine en question26.[Rz 14] Le Conseil fédéral, de son côté, précise dans son message relatif à l’unification du droit dela procédure pénale qu’un expert n’a pas besoin d’être agréé ou d’avoir une autorisation d’

21 Marianne Heer, op. cit. ad note 18, ad art. 189, N 6.22 ATF 113 IV 1, c. 2, JdT 1987 IV 66, c. 2. Cette jurisprudence ne s’applique que dans le cadre de l’article 20

CP.23 Arrêt du Tribunal fédéral 6P.223/2006 du 9 février 2007, c. 2.4.3 : « Une expertise privée ne possède pas la

même valeur qu’une expertise demandée par la cour selon le droit procédural. Un expert privé n’est pasindépendant et impartial comme un expert judiciaire, mais il est mandataire de l’accusé, donc d’une partie »(traduction personnelle).

24 Felix Bommer, art. 20, N 18, in : Marcel Alexander Niggli / Hans Wiprächtiger, Basler Kommentar, Straf-recht I, Art. 1–110 StGB, 3ème éd., Bâle 2013.

25 Bernhard Strauli, ad art. 20, N 24–25, in : Robert Roth / Laurent Moreillon, Commentaire Romand, Codepénal I, Art. 1–110 CP, Bâle 2009 ; arrêt du Tribunal fédéral 6P.223/2006 du 9 février 2007, c. 2.4.3.

26 Sous réserve des articles 252 et 253 CPP.

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exercer délivrée par un tribunal ou de posséder un diplôme particulier27. La doctrine, quant à elle,mentionne qu’il n’est pas impératif qu’un expert soit membre d’une quelconque organisationprofessionnelle28. Dans ce contexte, le fait déterminant pour qu’une personne soit nommée commeexpert est donc sa capacité à répondre, grâce à ses « connaissances effectives et techniques », auxquestions qui lui sont posées29. De surcroît, il n’existe pas en Suisse de liste officielle d’expertsau niveau national30.[Rz 15] Ainsi, dans la mesure où le choix de l’expert n’est pas imposé de manière précise danstous les domaines, le risque qu’une personne incompétente soit saisie reste présent. Dans une tellesituation, nous pouvons envisager deux possibilités : soit la personne saisie, en s’estimant inapteà établir une expertise, refuse le mandat31, soit elle décide d’effectuer l’expertise au risque derendre une expertise erronée. Par conséquent, pour éviter ce risque, le magistrat devrait s’assurerdes compétences de la personne mandatée.[Rz 16] Etant donné la formulation assez floue de l’article 183 al. 1 CPP et au regard des précisionsdu Conseil fédéral et de la doctrine, quelles sont les personnes dont les compétences sont, enpratique, jugées comme suffisantes pour établir les différentes expertises ?

1.1. Les expertises psychiatriques/psychologiques

1.1.1. L’expertise concernant la responsabilité pénale

[Rz 17] Selon l’article 20 CP, une expertise doit être ordonnée lorsqu’il existe des doutes sérieuxquant à la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction. Il est majoritairement admis qu’enprincipe seul un spécialiste ayant une formation médicale en psychiatrie et en psychothérapie ales qualités requises pour effectuer une expertise sur le degré de responsabilité d’un auteur32, les

27 Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale (ci-après Message CPP), FF 2006 1057, 1192.Bien que le Code de procédure pénale ne s’applique qu’aux experts judiciaires et que le statut d’un expertprivé n’y est pas précisé, à notre avis, on peut appliquer aux experts privés la définition de l’expert prévue àl’article 183 al. 1 CPP ainsi que les précisions du Conseil fédéral et de la doctrine concernant sa formation.

28 Niklaus Schmid, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrecht, 2ème éd., Zurich 2013, N 935.29 Laurent Moreillon/ Aude Parein-Reymond, Code de procédure pénale, Petit commentaire, Bâle 2013, ad

art. 183, N 5.30 Niklaus Schmid, op. cit. ad note 28, N 935 ; Caterina Antognini, op. cit ad note 9, p. 5. Cependant, l’ar-

ticle 183 al. 2 CPP permet à la Confédération et aux cantons de recourir à des experts permanents ou offi-ciels dans certains domaines. Notamment dans le domaine forensique s’agissant des employés de la policescientifique (Caterina Antognini, op. cit. ad note 9, Rz 5), ou encore dans le domaine des expertises psy-chiatriques/psychologiques (voir notamment dans le canton de Zurich la « Verordnung über psychiatrische undpsychologische Gutachten in Straf- und Zivilverfahren (PPGV) » (LS ZH 321.4). Le Tribunal fédéral a jugécette ordonnance conforme à la loi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2011 du 9 août 2011)).

31 Dans le domaine des expertises privées, les relations entre l’expert et la partie qui le nomme sont régies parle droit privé. Il peut s’agir d’un contrat de mandat (art. 394 ss du Code des obligations (CO), RS 220) oud’un contrat d’entreprise (art. 363 ss CO). ATF 127 III 328, JdT 2001 I 254, c. 2. Concernant le mandatrégissant la relation entre l’expert judiciaire et l’Etat, il s’agit d’un contrat de droit public (MarianneHeer, op. cit. ad note 18, ad. art. 184, N 6.

32 Sur ce point, voir notamment Gunter Stratenwerth / Wolfgang Wohler, Schweizerisches Strafgesetz-buch, Handkommentar, 3ème éd., Berne 2013, ad art. 20, N 1 ; Felix Bommer, op. cit. ad note 24, ad art. 20,N. 27. Pour pouvoir se prévaloir d’un titre de psychiatre, il faut être au bénéfice d’un diplôme particulier déli-vré suite à l’accomplissement d’une formation complexe qui comprend des études à la faculté de médecine, cequi n’est pas le cas des psychologues. En effet, seules les personnes ayant un titre de médecin conformément àla Loi fédérale sur les professions médicales (LPMéd, RS 811.11) peuvent obtenir un diplôme de psychiatre. Enrevanche, selon l’article 4 de la loi sur les professions relevant du domaine de la psychologie (LPsy, RS 935.81)seule « la personne qui a obtenu un diplôme en psychologie reconnu conformément à la présente loi peut faireusage de la dénomination de psychologue ». Ce titre (la formation de base sans spécialisation) est reconnu auxpersonnes qui ont obtenu « les masters, licences et diplômes en psychologie délivrés par une haute école suisse

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connaissances d’un psychologue n’étant pas suffisantes33. En analysant la jurisprudence, il sembleclair que le Tribunal fédéral partage l’opinion de la doctrine majoritaire34.[Rz 18] En outre, le recours à un psychiatre s’explique aussi par le fait que dans une étape ultérieurede la procédure, le magistrat peut être amené à prononcer des mesures35 et, dans ce contexte, seulun psychiatre est compétent pour apprécier la nécessité et les chances d’un traitement, le risquede dangerosité de l’auteur ainsi que la possibilité de faire exécuter la mesure en question36. Pourcette raison, il est préférable de saisir, dès le début de la procédure, un psychiatre.

1.1.2. L’expertise de crédibilité

[Rz 19] Une autre expertise prévue par le Code de procédure pénale est l’expertise de crédibilité. Lefait de s’assurer de la fiabilité des déclarations d’une personne peut être un moyen d’éviter que letémoignage (s’il s’agit d’un témoin) ou la dénonciation (s’il s’agit d’une victime37) ne deviennentla source d’erreurs judiciaires38. Ainsi, selon l’article 164 al. 2 CPP, l’autorité judiciaire, en casde doutes, a la possibilité de recourir à un expert qui s’assurera de la crédibilité de la personneconcernée39. Toutefois, cette disposition ne précise pas qui peut effectuer une telle expertise. Laquestion de savoir si, dans ce contexte, seul un psychiatre est compétent peut donc se poser.Cependant, dans ce domaine, la question de la compétence d’un psychiatre ou d’un psychologueest moins controversée. La doctrine et la jurisprudence sont apparemment moins strictes en ce qui

ayant droit aux subventions au sens de la loi du 8 octobre 1999 sur l’aide aux universités ou par une hauteécole suisse accréditée au sens de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les hautes écoles spécialisées » (Art. 2LPsy). Pour la reconnaissance de diplômes étrangers, voir l’article 3 LPsy.

33 Bernhard Strauli, op. cit. ad note 25, ad. art. 20, N 27.34 Toutefois, force est de constater qu’il existe des formations spécialisées proposées aux psychologues comme la

formation postgrade en psychologie légale de la Fédération Suisse des Psychologues, pour la description de laformation voir le site de la Fédération Suisse de Psychologues : http://www.psychologie.ch/fr/formation_et_perfectionnement/formation_postgrade_titre_de_specialisation/formations_postgrades/cursus_reconnus/sspl_formation_postgrade_en_psychologie_legale_de_la_societe_suisse_de_psychologie_legale_ssplsgrp.html (4 juin 2015). Pourtant, dans l’ATF 140 IV 49, JdT 2014 IV 281, le Tribunal fédéral a considéré que cesformations spécialisées, faute de formation médicale, ne donnent pas aux psychologues les connaissances suf-fisantes pour pouvoir procéder à une expertise dans le cadre de l’article 20 CP. Cet arrêt analyse de manièredétaillée la question de la compétence des psychiatres et des psychologues dans le domaine de la responsabilitépénale. En outre, il précise que les cantons sont libres de prévoir une réglementation concernant les compé-tences professionnelles des experts (c. 2.8). Cependant, peut-on considérer que le Tribunal fédéral tranche laquestion de la compétence des psychologues dans le domaine d’application de l’article 20 CP de manière défini-tive ? L’arrêt précité (ATF 140 IV 49, JdT 2014 IV 281) examine cette controverse de compétence sous l’anglede l’article 20 CP et de l’article 56 al. 3 CP. Ainsi, le Tribunal fédéral précise, de manière claire, que l’expertmandaté dans ce contexte doit avoir une formation médicale (c. 2.8.), ce qui n’est pas le cas d’un psychologue,malgré les formations spécialisées dans le domaine de la psychologie légale. Etant donné la position de la doc-trine majoritaire et le fait que le Tribunal fédéral traite cette question complexe de manière précise, à notreavis, il est envisageable d’affirmer que le fait qu’un expert doit avoir une formation médicale pour pouvoir seprononcer sur la responsabilité pénale de l’auteur est tranché de manière définitive. Toutefois, pour l’affirmerde manière certaine, il serait préférable d’attendre les autres décisions du Tribunal fédéral allant dans le mêmesens.

35 Sur la base des articles 56 à 65 CP.36 Art. 56 al. 3 CP.37 Dans le contexte analysé, une expertise de crédibilité devrait sûrement être demandée lorsqu’on a affaire à la

dénonciation d’un enfant qui se prétend victime d’abus sexuels.38 En effet, le faux témoignage est l’une des principales sources d’erreurs judiciaires. Sur ce point, voir Martin

Killias / Gwladys Gillieron / Nathalie Dongois, Erreurs judiciaires en Suisse de 1995 à 2004, Rapportau Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, Zurich 2007.

39 L’article 164 al. 2 CPP s’applique s’il y a « des doutes quant à la capacité de discernement d’un témoinou que celui-ci présente des signes de troubles mentaux et si l’importance de la procédure pénale ou du témoi-gnage le justifie ».

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concerne la profession et la formation de l’expert mandaté. Ainsi, pour examiner la crédibilitéd’un témoin ou d’une victime, il est possible de saisir soit un psychologue, soit un psychiatre, ouencore un pédopsychiatre s’il s’agit de s’assurer de la crédibilité d’un enfant40. Dans tousles cas, il doit s’agir d’une personne ayant « une formation scientifique à la psychologie dutémoignage » ainsi qu’une formation d’expert judiciaire41.

1.2. Les expertises comptables

[Rz 20] En procédure pénale la mise en œuvre d’une expertise comptable est envisageable notam-ment dans le cadre de la criminalité économique42. Il s’agit par exemple des infractions de fauxdans les titres et de blanchiment d’argent visées par les articles 251 et 305bis CP. Une telle exper-tise permet au juge « de vérifier un fait dont l’appréciation exige des connaissances professionnellesliées à tout ce qui touche à la comptabilité (…). Il faut entendre le terme comptable dans son sensle plus large (…) »43.[Rz 21] Le Code de procédure pénale ne prévoit pas d’exigences particulières concernant la forma-tion ou la profession des personnes qualifiées pour effectuer une expertise comptable. Toutefois, ilexiste en Suisse une formation spécifique permettant d’obtenir un diplôme fédéral d’expert comp-table44. Ainsi, est-il nécessaire que l’expert mandaté dans le cadre d’une procédure pénale soittitulaire de ce diplôme ? Ou, au contraire, est-il possible de saisir n’importe quelle personne quipossède une formation dans le domaine de la comptabilité pour effectuer une telle expertise ?[Rz 22] La pratique montre que dans le cadre d’une expertise comptable il est envisageable de saisirdes experts comptables ou encore des réviseurs45. Cependant, cette liste ne paraît pas exhaustive.

40 Voir notamment ATF 131 IV 191 ; ATF 118 Ia 28 c. 1c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2011 du 7 juin2011 c. 3.4.1 ; Andreas Donatsch, ad. art. 164, N 16, in : Andreas Donatsch / Thoams Hansjakob / ViktorLieber, Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, Zurich, 2010 ; Laurent Moreillon/ AudeParein-Reymond, op. cit. ad note 29, ad. art. 164, N 10.

41 Xavier Company / Gloria Capt, Exigences et pratique judiciaire de l’expertise de crédibilité, in : Jusletter27 avril 2015, Rz 5ss.

42 Il n’existe pour l’instant pas de définition légale de la criminalité économique. Cependant, nous pouvons citerla définition suivante : la criminalité économique vise « les activités illégales qui se déroulent dans le contextede la vie économique, des affaires et de la finance et qui concernent les organisations (entreprises privées etd’économie mixte ainsi que l’Etat). La criminalité économique est réalisée par des moyens qui se caractérisentle plus souvent par des procédés astucieux (tromperies) ou frauduleux (faux et contrefaçons), des abus de pou-voir (corruption) ou encore l’exploitation de secrets commerciaux ou de données confidentielles (délits d’ini-tiés). En principe, ces activités illégales exigent des connaissances et des compétences propres aux acteurs dumonde économique, commercial ou financier » (Isabelle Augsburger-Bucheli, Le point sur la lutte contre lacriminalité économique, in : L’expert comptable suisse 87/2013, p. 383).

43 Jean-Noel Jaton, L’expertise comptable ordonnée par le juge en procédure civile vaudoise, in : Les informa-tions fiduciaires, Mélanges en l’honneur de Louis Lombard, Genève 1992, p. 35.

44 C’est seulement lorsque l’examen de diplôme a été réussi que le candidat obtient le diplôme fédéral d’expertcomptable et qu’il est autorisé à porter le titre d’ « Expert comptable diplômé ». Pour des précisions concer-nant les conditions d’admission à l’examen ainsi que ses modalités voir notamment l’art. 3.3. du Règlementde l’examen professionnel supérieur d’experts comptables ainsi que « Le Guide d’examen complétant le Règle-ment de l’examen professionnel supérieur d’expertes comptables et experts comptables » . Les deux disponiblessur le site de la Chambre Fiduciaire Suisse : http://www.treuhand-kammer.ch/fr-CH/examens-federaux-expert-comptable (4 juin 2015).

45 ATF 112 V 265 ; ATF 116 IV 88, JdT 1991 IV 182, c. 2c. En ce qui concerne les réviseurs, l’arrêt en questiondate de l’année 1991. Il est nécessaire de souligner que le 16 décembre 2005 il y a eu une révision du Code desobligations, notamment des articles 727a et 727b qui précisaient les exigences auxquelles les réviseurs devaientrépondre pour pouvoir effectuer les révisions des différentes sociétés (Message concernant la révision du droitdes sociétés anonymes du 23 février 1983, FF 1983 II 757, 955). S’agissant des qualifications générales, l’anciendroit précisait uniquement que les réviseurs devaient avoir « les qualifications nécessaires à l’accomplissementde leur tâche auprès de la société soumise à révision » (art. 727a aCO). Cependant, s’il s’agissait de situations

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Pour les infractions pénales où l’établissement d’une expertise comptable entre en ligne de compte,il est aussi possible de mandater notamment un expert fiscal ou encore un expert fiduciaire. Il nousparaît nécessaire de préciser que les réviseurs ainsi que les experts fiscaux ou fiduciaires ne sontpas tous titulaires d’un diplôme fédéral d’expert comptable46.[Rz 23] Ainsi, étant donné le niveau de formation et de spécialisation de personnes telles quel’expert comptable, le réviseur, l’expert fiscal et l’expert fiduciaire, il est peu probable qu’unepersonne qui ne possède pas un même niveau de connaissances soit considérée comme expert ausens de l’article 183 al. 1 CPP. En effet, pour attester de la crédibilité d’un expert et par la suitede son expertise, les autorités judiciaires ou les parties se concentrent souvent sur sa formationprofessionnelle. Ensuite, la complexité et/ou la spécificité de l’affaire sont déterminantes quant auchoix de l’expert.

1.3. Les expertises d’ADN

[Rz 24] Les expertises forensiques touchent de nombreux domaines, notamment l’analyse d’ADN47,et aident à mettre en avant des preuves dites « techniques » qui permettent « de déterminer l’existence ou la nature d’un acte délictueux ou aide à préciser des liens entre les trois élémentsengagés dans un événement délictueux, typiquement l’auteur, la victime et les lieux »48.[Rz 25] En matière pénale, le domaine de l’ADN est régi notamment par la loi fédérale sur l’utilisation de profils d’ADN dans les procédures pénales et sur l’identification de personnes in-connues ou disparues49. Ainsi, c’est uniquement les laboratoires reconnus en vertu de la législation

visées par l’article 727b al. 1 aCO, les réviseurs devaient posséder des qualifications professionnelles particu-lières qui étaient énoncées à l’art. 1 de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 15 juin 1992 sur les qualificationsprofessionnelles des réviseurs particulièrement qualifiés (RS 221.302 ; abrogé le 1 septembre 2007). En revan-che, depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit le 1 janvier 2008 (RO 2007 4791, 4793 ; Message concernantla révision du code des obligations (Droit de la société à responsabilité limitée; adaptation des droits de la so-ciété anonyme, de la société coopérative, du registre du commerce et des raisons de commerce), FF 2002 2949)les articles 727b et 727c prescrivent que toutes les personnes, pour être considérées comme réviseurs, doiventêtre soumises à la loi fédérale sur l’agrément et la surveillance des réviseurs (LSR, RS 221.302) et doivent res-pecter notamment les conditions des articles 3–6 LSR.

46 Pour être agréé en tant qu’expert réviseur ou réviseur, il faut remplir les conditions prévues aux articles 4 et5 de la loi sur la surveillance de la révision (LSR) selon lesquelles il n’est pas nécessaire d’être titulaire dudiplôme fédéral d’expert-comptable. Pour les experts fiscaux, voir l’article 3.31 let. a du Règlement d’examenprofessionnel supérieur d’expertes fiscales et experts fiscaux disponible sur le site du Secrétariat d’Etat à laformation, à la recherche et à l’innovation : http://www.sbfi.admin.ch/bvz/hbb/index.html?detail=1&typ=hfp&lang=fr&item=466&abfragen=Chercher (4 juin 2015). Pour les experts fiduciaires, voir article 3.31 let. adu Règlement concernant l’examen professionnel supérieur d’experte et d’expert fiduciaire disponible sur lesite du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation : http://www.sbfi.admin.ch/bvz/hbb/index.html?detail=1&typ=hfp&lang=fr&item=492&abfragen=Chercher (4 juin 2015).

47 Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2, N 1105.48 Christophe Champod / Franco Taroni, Les préjugés de l’Accusation ou de la Défense dans l’évaluation

de la preuve technique, in : Revue pénale suisse (RPS) 111/ 1993, p. 223.49 Loi sur les profils d’ADN, RS 363. Le Message du Conseil fédéral souligne qu’afin « de garantir un stan-

dard de qualité uniforme et, partant, une valeur probante élevée des profils d’ADN enregistrés dans le systèmed’information, les cantons ne pourront confier l’analyse qu’aux laboratoires agréés par le DFJP » (Mes-sage relatif à la loi fédérale sur l’utilisation de profils d’ADN dans le cadre d’une procédure pénale et surl’identification de personnes inconnues ou disparues, FF 2001 19, 38). Sur la base de l’article 22 de la Loisur les profils d’ADN, le Conseil fédéral a arrêté une Ordonnance sur l’utilisation de profils d’ADN danslesprocédures pénales et sur l’identification de personnes inconnues ou disparues (Ordonnance sur les profilsd’ADN, RS 363.1). Cette Ordonnance précise que ce type d’analyses forensiques peut être effectué seulementpar les laboratoires d’essais en génétique forensique reconnus (art. 2 al. 1 de l’Ordonnance sur les profilsd’ADN). Ainsi, l’article 2 al. 2 de cette Ordonnance définit les laboratoires qui peuvent être reconnus. Enoutre, les exigences de prestations et de qualité requises pour les laboratoires forensiques d’analyse d’ADN

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précitée qui peuvent effectuer des analyses d’ADN utilisables en justice50.[Rz 26] Il paraît clair que, lors d’une procédure pénale, l’article 7 de la Loi sur les profils d’ADNdonne uniquement aux autorités judiciaires la compétence d’ordonner l’établissement d’un profild’ADN à partir de traces biologiques comme le sperme, les cheveux, etc. Dans ce cadre, il estimpossible en principe pour une personne privée d’avoir accès aux traces biologiques pouvant êtreanalysées par ces laboratoires et de ce fait de demander à titre privé l’exécution d’une expertise.[Rz 27] Malgré le monopole apparent des autorités judiciaires dans le domaine des analyses d’ADNen procédure pénale51, en principe, rien ne s’oppose à ce qu’une expertise privée soit effectuée en cequi concerne l’établissement de la filiation s’agissant d’un viol52 ou de la violation d’une obligationd’entretien53 par exemple. Cependant, il convient de se demander qui doit être saisi pour exécuterune telle expertise.[Rz 28] Etant donné que le domaine de la filiation est régi par le droit civil54, il paraît clairque ce sont uniquement les laboratoires reconnus en vertu de la législation spécifique qui régitl’analyse d’ADN en matière civile et administrative55 qui peuvent être mandatés par les personnesprivées. Bien qu’une telle analyse soit effectuée dans le cadre d’une procédure civile ou mêmehors procédure56, il reste envisageable que, par la suite, elle soit présentée lors d’une éventuelleprocédure pénale.[Rz 29] En outre, la question de savoir qui peut être l’expert qui interprètera les résultats obtenuspeut aussi être posée. En principe, ni la loi, ni la jurisprudence ne précise les exigences spécifiquesen ce qui concerne sa formation. Il peut en effet s’agir d’une personne qui travaille dans un des la-boratoires reconnus comme d’une personne indépendante qui possède des connaissances nécessaires

sont précisées par l’Ordonnance du DFJP sur les laboratoires d’analyse d’ADN (RS 363.11). Pour la listedes laboratoires reconnus, voir infra note 50.

50 L’article 8 de la Loi sur les profils d’ADN accorde au Département fédéral de justice et police la compé-tence de désigner les laboratoires habilités à procéder à des analyses d’ADN. Il s’agit notamment de l’In-stitut de médecine légale d’Aarau et du Centre universitaire romand de médecine légale de Lausanne. La listedes laboratoires reconnus pour effectuer des analyses d’ADN en matière pénale est disponible sur le site duDFJP. https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/sicherheit/personenidentifikation/dna-profile/die_dna-analyselabors.html (4 juin 2015).

51 Les laboratoires reconnus en matière pénale peuvent être saisis uniquement par les autorités judiciaires (art. 7Loi sur les profils d’ADN).

52 Art. 190 CP.53 Art. 217 CP.54 Art. 252 ss Code civil (CC, RS 210).55 En matière civile et administrative, c’est la Loi fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH, RS 810.12) et

l’Ordonnance sur l’établissement de profils d’ADN en matière civile et administrative (OACA, RS 810.122.2)qui constituent les bases légales permettant ce type d’analyse dans le domaine de la filiation. Elles précisenten outre que ce sont uniquement les laboratoires reconnus qui peuvent effectuer les analyses d’ADN (art.8 LAGH, art. 3–8 OACA). La liste des laboratoires reconnus selon la législation concernant la filiation setrouve sur le site du DFJP : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/sicherheit/personenidentifikation/abstammung/anerkannte_labors.html (4 juin 2015). A notre avis, la différence de législation entre les matièrespénale et civile/administrative peut être expliquée notamment par la complexité des affaires traitées en procé-dure pénale, par le fait que les profils analysés soient saisis dans le système d’information fondé sur les profilsd’ADN (art. 10 ss Loi sur les profils d’ADN, art. 8 ss Ordonnance sur les profils d’ADN), ainsi que par l’aspectcontraignant des analyses effectuées dans le cadre pénal. En effet, dans ce contexte, le consentement de la per-sonne concernée n’est pas nécessaire alors qu’en matière de filiation l’analyse d’ADN n’est possible en principequ’avec le consentement préalable des personnes impliquées (art. 5, 32 et 34 LAGH).

56 Art. 32, 34 LAGH. Pour une expertise privée « hors procédure » voir Philippe Meier / Martin Stettler,Droit de la filiation, 5ème éd., Genève 2014, N 424 ; Dominique Manai, Droits du patient face à la bioméde-cine, Berne 2013, p. 437.

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pour répondre aux questions posées par l’autorité judiciaire57.

2. Les risques au niveau de l’exercice de l’activité de l’expert

2.1. La méthodologie

2.1.1. En général

[Rz 30] En principe, l’expert a une liberté en ce qui concerne le choix de la méthode qu’il estimejudicieuse pour effectuer une expertise pour autant qu’elle ne viole pas la dignité humaine58.Cependant, dans tous les cas, il doit s’agir d’une méthode scientifiquement reconnue59. Il n’existe pas de définition juridique de la notion de méthode scientifiquement reconnue. Toutefois,dans plusieurs domaines, le Tribunal fédéral a examiné les critères qui devraient être réunis pourque l’on puisse considérer qu’une méthode est effectivement scientifiquement reconnue60. Celanous permet de préciser qu’en général, il s’agit d’une méthode qui est largement admise parles milieux scientifiques, c’est-à-dire par les chercheurs et les praticiens.[Rz 31] Ainsi, nous pouvons envisager trois facteurs principaux en lien avec la méthode utilisée quipeuvent être considérés comme facilitant l’établissement d’une expertise erronée et la commissiond’erreurs judiciaires. En effet, soit l’expert utilise une méthode qui n’est pas reconnue scientifique-ment, soit il se fonde sur une méthode reconnue mais il l’utilise de manière inadéquate ou encore ilutilise une méthode reconnue par les milieux scientifiques mais sans tenir compte des changementsou développements de cette méthode61.[Rz 32] Cependant, quelles sont les méthodes qui, en pratique, sont jugées comme scientifiquementreconnues ?

57 Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 184 CPP, N 25 et 26. Ainsi, il peut s’agir notamment d’un statisti-cien, Joelle Vuille, Ce que la justice fait dire à l’ADN (et que l’ADN ne dit pas vraiment), Thèses, Univer-sité de Lausanne, Lausanne 2011, p. 66.

58 Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 185, N 1 ; Robert Hauser / Erhard Schweri / Karl Hart-mann, Schweizerischer Strafprozessrecht, 6ème éd., Bâle 2005, N 15.

59 « Le choix de la méthode utilisée doit toutefois être fondé. Il convient d’observer les critères scientifiques éta-blis (…) » ATF 128 I 81, JdT 2004 IV 55, c. 2 ; « (…) selon l’état des connaissances scientifiques et l’expéri-ence (…) » art. 139 al. 1 CPP.

60 Dans le domaine médical, une « méthode de traitement est considérée comme éprouvée par la science médicaleet, par conséquent, satisfait à l’exigence du caractère scientifiquement reconnu si elle est largement reconnuepar les chercheurs et les praticiens ; l’élément décisif réside dans l’expérience et le succès d’une thérapie déter-minée » (ATF 113 V 42, c. 4d). Dans le domaine d’une preuve scientifique notamment en ce qui concerne lafiliation, le Tribunal fédéral considère qu’on ne peut « admettre une preuve scientifique que si elle s’impose àla généralité des spécialistes avec une évidence suffisante pour que, dans la branche considérée, elle soit recon-nue comme sûre. Sans faire nécessairement l’unanimité, elle doit être admise par l’opinion générale des milieuxscientifiques intéressés. Ce n’est que si cette condition première est réalisée que les tribunaux, après avoir éven-tuellement encore pris l’avis d’experts, pourront imposer cette preuve comme une méthode sûre, reconnue etéprouvée. Tant qu’une méthode demeure controversée, qu’elle n’est appliquée que par un nombre restreint despécialistes, la plus grande retenue est de rigueur et les tribunaux ne peuvent l’imposer ni l’autoriser » (ATF98 II 265, c. 5).

61 On considère qu’une expertise est incomplète notamment lorsqu’elle « ne tient pas compte de l’état actuel desconnaissances techniques ou scientifiques » (Tribunal cantonal du canton Vaud, Chambre des recours pénale,Jug/2012/194 du 17 juillet 2012, publié le 16 août 2012, décision n° 423, c. 2 b).

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2.1.2. Les méthodes scientifiquement reconnues

2.1.2.1. L’expertise psychiatrique/psychologique

[Rz 33] Le législateur suisse, ne s’estimant pas compétent pour imposer l’utilisation d’une méthodeprécise dans le domaine des expertises psychiatriques/psychologiques, laisse véritablement le choixde la méthode aux experts. Ainsi, s’agissant des expertises visant à s’assurer de la responsabilitépénale de l’auteur au moment de la commission de l’infraction, les méthodes utilisées respectenten principe trois étapes : « die Untersuchung »62, « die Diagnose »63 et « die Verhaltenanalyse »64.En ce qui concerne en revanche les expertises de crédibilité, la jurisprudence du Tribunal fédéralprécise les exigences méthodologiques qui doivent être respectées par les experts pour permettrenotamment de s’assurer que les déclarations faites par la personne expertisée correspondent à lavérité65, surtout s’il s’agit d’un enfant. Actuellement, c’est la méthode Statement ValidityAssessment qui respecte ces exigences posées par le Tribunal fédéral et qui, par conséquent, « s’est imposée comme la seule méthode valable en Suisse pour évaluer la crédibilité des déclarationsd’abus sexuel faites par des enfants »66.

2.1.2.2. L’expertise comptable

[Rz 34] Dans le domaine des expertises comptables, la Chambre fiduciaire suisse a conçu le Manuelsuisse d’audit qui précise les principes préconisés sur lesquels un expert peut se baser pour examinerle contenu des comptes. Ce manuel, considéré par les praticiens comme un ouvrage de référence67,garantit le recours à une méthode valable68 pour établir une expertise.

62 L’enquête, l’instruction (traduction personnelle) comprend notamment les entretiens avec l’expertisé, l’étudedes documents mis à la disposition de l’expert ainsi que de l’environnement de l’expertisé (la famille, lesamis etc.). Klaus Laemmel, Der psychiatrische Gutachter im Spannungsfeld zwischen Richter, Anklage undVerteidigung, in : Revue Suisse de Jurisprudence (RSJ) 90/1994, pp. 247 s.

63 Le diagnostic (traduction personnelle) notamment selon la Classification statistique internationale des maladieset des problèmes de santé connexes (CIM 10). Klaus Laemmel, op. cit. ad note 62, p. 248.

64 L’analyse, l’évaluation du comportement (traduction personnelle) de la personne expertisée qui fait appel àdes compétences de l’expert ainsi qu’à son expérience. Klaus Laemmel, op. cit. ad note 62, pp. 249 s.

65 Voir ATF 128 I 81, JdT 2004 IV 55, c. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6P.155/2005 du 17 mars 2006 c. 1.1.3 :« L’expert doit examiner si la personne interrogée, compte tenu des circonstances, de ses capacités intellectu-elles et des motifs du dévoilement, était capable de faire une telle déposition, même sans un véritable contexteexpérientiel. Dans ce cadre, il analyse le contenu et la genèse des déclarations et du comportement ainsi queles caractéristiques du témoin, son vécu, son histoire personnelle, sa constellation systématique et les diverséléments extérieurs » . Il s’agit de la méthode d’analyse du témoignage « qui repose sur des critères générauxqui rendent la méthode applicable à tout type de témoignages aussi bien que de témoins, adultes ou enfants »arrêt du Tribunal fédéral 6B_539/2010 du 30 mai 2011, c. 2.2.5 ; Xavier Company / Gloria Capt, op. cit.ad note 41, Rz 7ss.

66 Gerard Niveau / Michel Bercalz / Marie-Jose Lacasa / Stephanie With, Mise en œuvre du protocoled’évalution de crédibilité SVA dans le contexte médico-légal francophone, in : Swiss archives of neurology andpychiatry, 2013 164(3), p. 99, http://www.sanp.ch/index.php?id=44&tx_eps_in%5Byear%5D=2013&tx_eps_in%5Bissue%5D=03&tx_eps_in%5Baction%5D=index&tx_eps_in%5Bcontroller%5D=IssueNumber (4 ju-in 2015). La SVA consiste en trois parties : une interview demi-structurée, une échelle d’évaluation (CriteriaBased Content Analysis) et la « Validity Checklist » (John C. Yuille, The systematic assessment of child-ren’s testimony. Canadian Psychology, 29, 247 (1988), pp. 257 ss). Voir notamment arrêt du Tribunal fédéral6B_729/2008 du 8 juin 2009, c. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_537/2010 du 4 novembre 2010, c. 4.3.

67 Reto Zemp, Le nouveau manuel suisse d’audit 2005 vient de paraître, in : L’expert comptable suisse (ECS),84/2010, 1-2, p. 13.

68 Arrêt du Tribunal fédéral 6B_617/2010 du 24 novembre 2010 c. 1.3.2.3.

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2.1.2.3. L’expertise d’ADN

[Rz 35] Dans le domaine des expertises d’ADN, la législation en vigueur (qu’elle soit pénale oucivile) pose les exigences de base en la matière69. En outre, la Société Suisse de Médecine Légale(SSML) a rédigé des recommandations pour les expertises génétiques en filiation70 ainsi que pourl’analyse ADN des traces biologiques71. Concernant en revanche l’interprétation des résultatsobtenus par les analyses effectuées, dans le domaine de la filiation, c’est la méthode basée sur lerapport de vraisemblance qui semble être considérée comme « la plus performante »72.

2.2. Les informations mises à la disposition de l’expert

[Rz 36] En principe, c’est l’expert lui-même qui est le mieux placé pour juger quelles informations luisont nécessaires pour établir une expertise complète. Cependant, en pratique, la communicationdes informations est contrôlée soit par l’autorité judiciaire concernant les expertises judiciaires,soit par la partie en ce qui concerne les expertises privées. Dans un tel contexte, nous pouvonsenvisager deux facteurs facilitant l’établissement d’une expertise erronée et la commission d’erreursjudiciaires.[Rz 37] Premièrement, il peut arriver que l’expert ne possède pas toutes les informations pertinentespour pouvoir établir une expertise complète.[Rz 38] Deuxièmement, l’introduction de biais dans le raisonnement d’un expert en mettant à sadisposition un trop grand nombre d’informations ainsi que le manque d’objectivité de celui-ci àla suite de la communication d’informations qui n’étaient pas nécessaires pour l’établissement del’expertise doivent être aussi perçus comme facilitant l’établissement d’une expertise erronée.

2.3. Les secrets

[Rz 39] Un magistrat, pour pouvoir fonder sa décision sur une expertise, doit connaître toutesles observations et constatations faites par l’expert. Cependant, dans le cadre d’une expertise, unexpert peut être soumis notamment à deux types de secrets : le secret professionnel et le secretconvenu entre les parties dans le cadre d’un contrat. Le premier concerne les personnes énuméréesà l’art. 321 al. 1 CP et sa violation est sanctionnée par le droit pénal. Le second peut être prévu,conformément à la liberté contractuelle, dans le contrat conclu entre l’expert et la partie qui lemandate.

69 En matière pénale, voir notamment les articles 1 à 14 de l’Ordonnance du DFJP sur les laboratoires d’analysed’ADN. En matière de filiation, voir les articles 13 à 14 OACA.

70 Disponibles sur le site de la SSML : http://www.sgrm.ch/uploads/media/Recommandations_filiation.pdf (4juin 2015).

71 Disponible dur le site de la SSML : http://www.sgrm.ch/uploads/media/Recommandations_traces.pdf (4 juin2015).

72 « Le rapport de vraisemblance est le rapport entre deux probabilités : d’une part, la probabilité de la corres-pondance partielle entre la trace et le candidat (= indice) dans l’hypothèse où la personne ayant laissé latrace et la personne fichée sont frères et, d’autre part, la probabilité de l’indice dans l’hypothèse où lapersonne ayant laissé la trace et la personne fichée ne sont pas apparentées. Lorsque ce rapport est supérieurà 1, l’indice soutient la première hypothèse ; lorsqu’il est inférieur à 1, il soutient l’alternative. Lorsque lerapport de vraisemblance est égal à 1, cela signifie que l’indice ne nous permet pas de départager les deuxhypothèses considérées, autrement dit que sa valeur probante est nulle ». Joelle Vuille / Tacha Hicks /André Kuhn, Les recherches familiales basées sur les profils d’ADN (ou recherches en parentèle) en droitsuisse, in : Revue pénale suisse (RPS) 131/2013, pp. 150 s.

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[Rz 40] Dans la mesure où l’expert est lié par ces secrets, on pourrait envisager deux facteursprincipaux facilitant l’établissement d’une expertise erronée et la commission d’erreurs judiciaires.D’une part, un expert ne pourrait pas transmettre au magistrat toutes les informations permet-tant à ce dernier de bien comprendre le processus d’expertise et les éléments sur lesquels l’experts’est basé pour arriver à ses conclusions. D’autre part, il ne pourrait pas transmettre toutes sesconclusions.[Rz 41] Dans les deux cas, un magistrat baserait son intime conviction sur une expertise « lacun-aire »73 ce qui constitue un risque de commission d’erreurs judiciaires.

IV. Le risque d’erreur est-il plus probable dans les expertises privées quedans les expertises judiciaires ?

[Rz 42] Dans le présent chapitre, nous examinerons quelle est l’incidence de recourir à une expertiseprivée plutôt qu’à une expertise judiciaire. Plus précisément, nous nous demanderons si l’établis-sement d’une expertise erronée et la commission d’erreurs judiciaires sont plus probables à la suited’une expertise privée que d’une expertise judiciaire.

1. Les compétences professionnelles requises

1.1. Le risque d’erreurs judiciaires dans le domaine des expertises privées psychia-triques/psychologiques, expertises privées comptables et expertises privées d’in-terprétation des résultats d’une analyse d’ADN

[Rz 43] Comme nous l’avons mentionné, dans le cadre de l’application de l’art. 20 CP, leTribunal fédéral a estimé qu’une expertise psychologique représenterait un risque dans le sens oùelle pourrait être erronée74. En conformité avec cette récente prise de position du Tribunal fédéral,c’est effectivement un psychiatre qui est mandaté par une autorité judiciaire75.[Rz 44] S’agissant des expertises privées en revanche, malgré les exigences doctrinales et jurispru-dentielles, il peut arriver qu’une partie saisisse un psychologue pour réaliser une expertise privée.Cette situation est surtout imaginable si une partie n’est pas assistée par un avocat (qui est censéconnaître la position de la doctrine et de la jurisprudence sur cette question). Cependant, en prin-cipe, les parties font recours aux experts ayant la même formation que ceux mandatés par lesautorités judiciaires, c’est-à-dire des psychiatres76.[Rz 45] En ce qui concerne les expertises privées de crédibilité77, ainsi que les expertises privées

73 Caterina Antognini, op. cit. ad note 9, Rz 4.74 Dans le domaine de la responsabilité pénale c’est effectivement le manque de formation médicale des psycho-

logues qui peut être considéré comme faisant obstacle à la réalisation d’une expertise pénale (ATF 140 IV 49,JdT 2014 IV 281). Voir supra III, 1.1.1, p. 6.

75 Voir notamment ATF 102 IV 15 ; ATF 115 IV 221 ; ATF 129 IV 22 ; ATF 137 IV 59 ; arrêt du Tribunal fédé-ral 6B_111/2010 du 29 juin 2010 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_ 341/2010 du 20 juillet 2010 ; arrêt du Tribu-nal fédéral 1B_452/2013 du 16 avril 2014.

76 Voir notamment ATF 113 IV 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6P.140/2006 du 10 novembre 2006 ; arrêt du Tribu-nal fédéral 6P.48/2007 du 18 juin 2007 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_200/2013 du 26 septembre 2013 ; Tribu-nal cantonal du canton de Vaud, Cour d’appel pénale Jug/2012/327 du 16 novembre 2012, publié le 28 mars2013, décision n° 165.

77 Concernant la crédibilité d’un témoin (voir supra note 38), rien ne s’oppose à l’établissement d’une expertise

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comptables et celles concernant l’interprétation des résultats d’une analyse d’ADN, comme nousl’avons vu, le choix de l’expert n’est pas imposé de manière précise ni par la loi, ni par la doctrineou la jurisprudence78. Ainsi, les parties peuvent faire recours à de nombreuses personnes qu’ellesconsidèrent comme ayant les connaissances nécessaires pour pouvoir répondre aux questions posées.Cela implique que, selon les circonstances de l’affaire, le magistrat devra examiner quel niveau deconnaissances doit être requis par la personne mandatée pour effectuer une telle expertise et si, dansle cas concret, cette exigence est respectée. C’est notamment l’expérience et la renommée acquises,de même que les diplômes obtenus, qui peuvent être considérés comme des signes indiquant que lapersonne mandatée possède les compétences nécessaires79. Cependant, dans ces domaines, étantdonné le choix des personnes compétentes, il nous paraît peu probable qu’une partie mandate unspécialiste avec une autre formation que celui qui est en principe saisi dans le cadre d’une expertisejudiciaire. En effet, les parties, pour pouvoir attester de la crédibilité du travail effectué par l’expertprivé, ont tout intérêt à faire recours aux personnes ayant les mêmes qualifications professionnelles.[Rz 46] Ainsi, dans le contexte analysé, à notre avis, le risque que le choix de l’expert privé soità l’origine d’une expertise erronée et conduise à la commission d’une erreur judiciaire nousparaît minime, pour ne pas dire inexistant.

1.2. Le risque d’erreurs judiciaires dans le domaine des expertises privées d’ADN

[Rz 47] En ce qui concerne les expertises privées d’analyses d’ADN, il est important de préciserque les laboratoires reconnus pour effectuer ce type d’analyse selon la législation civile ne sont pasexactement les mêmes que ceux reconnus dans le cadre d’une procédure pénale. La question estdonc de savoir si une telle expertise privée représente un risque accru d’erreurs judiciaires. Dansles deux cas il s’agit de laboratoires qui sont agréés par la Confédération et qui doivent suivrecertains standards80 ; ce qui nous laisse présumer qu’étant donné la réglementation en vigueur,les personnes qui effectuent les expertises d’ADN dans ces laboratoires possèdent les compétencesnécessaires pour le faire, peu importe qu’elles soient mandatées par les autorités judiciaires ou parune partie81. Dans ce contexte, le risque qu’une telle expertise privée puisse être à l’origine d’uneerreur judiciaire ne nous paraît pas important.[Rz 48] Toutefois, la question d’une expertise privée effectuée dans un laboratoire qui n’est pasreconnu par la Confédération, qu’il s’agisse d’un laboratoire suisse ou étranger, peut s’avérer pro-blématique.[Rz 49] En ce qui concerne les laboratoires privés suisses, selon la législation en vigueur (qu’elle

privée. En revanche, une partie ne peut pas se baser sur l’article 164 al. 2 CPP pour obliger un témoin à sesoumettre à une telle expertise. En effet, cet article ne s’adresse qu’à la direction de la procédure. Par consé-quent, une expertise privée de crédibilité est possible uniquement avec le consentement de la personne concer-née.

78 Voir supra III.79 Gregory Bovey, Le juge face à l’expert, p. 100, in : Christine Chappuis / Benedict Winiger, La preuve en

droit de la responsabilité civile, Genève, Zurich, Bâle 2011.80 Dans le domaine de la filiation, voir notamment les articles 3–8 OACA en ce qui concerne les conditions de

l’agrément, les articles 9 ss OACA en ce qui concerne les obligations des laboratoires reconnus ainsi que lesarticles 17 ss OACA concernant la surveillance de ces laboratoires. Dans le domaine de la procédure pénale,voir l’article 2 de l’Ordonnance sur les profils d’ADN et les précisions se trouvant dans l’Ordonnance du DFJP.

81 Concernant les qualifications du personnel ou du responsable, voir notamment l’article 2 al. 2 lit. d de l’Ordon-nance sur les profils d’ADN (cette disposition a été modifiée suite à une révision et la nouvelle version entreraen vigueur le 1 janvier 2018), l’article 15 de l’Ordonnance du DFJP, l’article 6 OACA.

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soit civile ou pénale), il est nécessaire qu’ils soient agréés. Ainsi, s’ils ne sont pas reconnus, ilparaît certain que leurs analyses seraient considérées comme non conformes à la loi. En effet, ceslaboratoires ne sont pas soumis aux contrôles prévus par la législation concernant les analyses d’ADN82.[Rz 50] En revanche, concernant les laboratoires étrangers83, la loi ne précise pas explicitement surquelle base on peut estimer que les analyses effectuées par ces laboratoires respectent les standardsde qualité requis. De ce fait, pour éviter qu’une telle expertise ne devienne une source d’erreursjudiciaires, il nous paraît judicieux de vérifier si le laboratoire en question est reconnu dans le paysconcerné et quelles sont les conditions d’agrément prévues par sa législation.

2. L’exercice de l’activité de l’expert

2.1. La méthodologie

[Rz 51] A notre avis, la question de la validité d’une méthode se pose de la même manières’agissant des expertises judiciaires ou privées. Etant donné que chaque expert peut, selon sesconnaissances et l’expérience, choisir la méthode qui lui convient le mieux, le risque d’erreursjudiciaires n’est pas véritablement accru en ce qui concerne les expertises privées par rapport auxexpertises judiciaires84. En outre, un expert est en principe au courant des exigences concernant lesméthodes scientifiquement reconnues et utilisera les mêmes méthodes pour effectuer une expertiseprivée ou judiciaire. Il n’existe pas de motifs raisonnables pour recourir à des méthodes différentess’agissant de ces deux types d’expertises. Ainsi, lorsqu’une partie saisit un expert qui effectuerégulièrement aussi des expertises judiciaires, le risque que ce dernier utilise une mauvaise méthodeest quasi inexistant. Cependant, il nous paraît important de relever que le fait qu’une méthode nesoit pas reconnue ne signifie pas qu’elle est mauvaise. En effet, au vu de l’évolution technologique,une méthode qui n’est pas validée aujourd’hui peut l’être demain et inversement.[Rz 52] Toutefois, il existe des différences quant aux expertises privées d’analyses d’ADN85. D’unepart, les rapports rendus par les laboratoires reconnus en vertu de la législation suisse laissentprésumer que l’expert (qu’il s’agisse d’une expertise judiciaire ou privée) a recouru à des méthodesvalidées scientifiquement. En effet, le système d’accréditation mis en place86 permet de s’assurer de

82 Pour les laboratoires reconnus en matière pénale, voir notamment l’article 2 al. 2 let. c Ordonnance sur lesprofils d’ADN ; en matière civile et administrative , voir l’article 9 OACA.

83 Voir notamment arrêt du Tribunal administratif fédéral C-940/2012 du 23 décembre 2013, c. 6.2 ; ATF 136 III593, c. 6.1.2. Les deux arrêts précités concernent respectivement la procédure civile et la procédure administra-tive. Cependant, rien ne s’oppose à ce qu’une expertise d’ADN effectuée par un laboratoire étranger soit aussiprésentée lors d’une procédure pénale.

84 Il est tout à fait possible que même dans le cadre d’une expertise judiciaire l’expert recourt notamment àune méthode qui, par la suite de la procédure, n’est pas considérée comme scientifiquement reconnue et quiest inappropriée. Dans le domaine des expertises de crédibilité, voir notamment ATF 129 I 49, JdT 2005 IV141 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_140/2008 du 26 décembre 2008 c. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_79/2009du 9 juillet 2009 c. 3.3. En outre, même s’il ne s’agit pas d’une expertise, il nous paraît intéressant dementionner l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_123/2013 du 10 juin 2013 c. 1.3. Le Tribunal fédéral a estimé qu’en« l’absence de toute description, que ce soit dans le rapport de police ou dans les déclarations de l’inspectrice,de la méthode utilisée par celle-ci pour aboutir à la conclusion que la trace d’oreille relevée sur la porte del’appartement avait été faite par le recourant, il n’est pas possible de juger de la validité scientifique de laditeméthode, ce qui constitue également une violation du droit d’être entendu du recourant ».

85 Dans le contexte qui nous intéresse, il s’agira d’une analyse d’ADN effectuée pour établir l’existence ou l’ab-sence d’un lien de parenté, notamment dans le cadre d’un viol.

86 Art. 4 Ordonnance sur les profils d’ADN ; Art. 18 OACA.

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la qualité des analyses, peu importe qu’elles soient effectuées à la demande des autorités judiciairesou d’une personne privée.[Rz 53] D’autre part, un problème en termes de doutes quant à la qualité des analyses peut survenirs’agissant des laboratoires suisses non reconnus ou étrangers. Dans le premier cas, ledit laboratoiren’est pas soumis aux contrôles prévus par la législation concernant les analyses d’ADN87. Dès lors,on considèrera que son analyse n’offre aucune garantie par rapport à la méthode utilisée. Dansle deuxième cas, n’ayant aucune garantie concernant la méthode utilisée, il serait effectivementnécessaire de se renseigner correctement afin de s’assurer du caractère scientifiquement reconnu deladite méthode avant de la prendre en compte dans le cadre d’une procédure pénale.

2.2. Les informations mises à la disposition de l’expert

2.2.1. Dans le cadre d’une expertise judiciaire

[Rz 54] Le Code de procédure pénale offre aux experts judiciaires plusieurs moyens leur permettantd’obtenir toutes les informations qu’ils jugent nécessaires pour établir une expertise complète :• selon l’art. 184 al. 4 CPP, la direction de la procédure remet à l’expert les pièces et les objets

nécessaires à l’établissement de l’expertise. Cependant, en principe ce n’est pas l’entierdu dossier pénal qui est transmis à l’expert et c’est la direction de la procédure qui effectuele tri concernant ces documents88 ;

• selon l’art. 185 al. 2 CPP, l’expert peut assister aux actes de procédure et poser des questionsaux personnes entendues89 ;

• selon l’art. 185 al. 3 CPP, l’expert peut aussi faire une demande pour obtenir des complémentsdu dossier90 ;

• selon l’art. 185 al. 4 CPP, l’expert, s’il a été dûment autorisé par la direction de la procédure91,peut procéder lui-même à des investigations complémentaires qui ont un rapport étroit avecson mandat, notamment interroger l’expertisé et son entourage dans le cadre d’une expertiseconcernant la responsabilité pénale92.

[Rz 55] Ainsi, on peut considérer qu’un expert judiciaire possède toutes les informations nécessairesà l’établissement d’une expertise complète et précise. Toutefois, comme nous l’avons déjàmentionné93, il est important de relever que, dans le domaine des expertises judiciaires, le risqued’erreur peut aussi se présenter en ce qui concerne l’accès aux informations que la direction dela procédure accorde aux experts judiciaires. En effet, la question de savoir quelles informations

87 Supra note 82.88 Laurent Moreillon/ Aude Parein-Reymond, op. cit. ad note 29, ad. art. 184, N 33.89 Cette disposition vise notamment les auditions de prévenus ou de témoins au sens des articles 142 ss CPP,

mais aussi les inspections/reconstitutions (art. 193 CPP) et les perquisitions (art. 244 ss CPP), NiklausSchmid, op. cit. ad note 12, ad art. 185, N 3. En outre, un expert peut en particulier poser des questions auprévenu, au lésé, à la personne appelée à donner des renseignements ou aux témoins (Laurent Moreillon/Aude Parein-Reymond, op. cit. ad note 29, ad art. 185, N 7).

90 Il ne s’agit pas seulement de compléter le dossier par des pièces disponibles mais qui n’ont pas encore étéversées dans le dossier, l’expert peut aussi demander l’administration de preuves supplémentaires (MessageCPP, p. 1193).

91 La direction de la procédure serait rapidement dépassée en raison de son manque de connaissances scientifi-ques, si elle devait interroger elle-même les sujets de l’expertise (Message CPP, p. 1193).

92 Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 185, N 8.93 Voire supra III, 2.2., p. 12.

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devraient être mises à la disposition d’un expert est assez controversée, surtout dans le domainedes expertises forensiques94.

2.2.2. Dans le cadre d’une expertise privée

[Rz 56] La loi n’accorde pas expressément le droit de consulter un dossier à un expert privé95.Par conséquent, c’est uniquement grâce à la partie qui mandate l’expert que celui-ci peut avoiraccès aux informations se trouvant dans un dossier pénal. Cependant, malgré le droit des partiesde consulter le dossier d’une procédure pénale96 et d’en faire une copie97, rien ne les oblige à leprésenter à l’expert mandaté. En outre, c’est la partie elle-même qui fait le tri parmi toutes lesinformations auxquelles elle a accès et décide de ce qui sera transmis à l’expert privé.[Rz 57] D’autre part, nonobstant la possibilité qu’un expert privé procède à des entretiens, no-tamment avec l’entourage de la personne expertisée s’il s’agit d’une expertise psychiatrique, celan’est envisageable qu’avec le consentement des personnes concernées. En effet, il n’existe aucuneobligation légale pour les tierces personnes d’accepter la demande d’entretien avec un expert privédans le cadre d’une procédure pénale98.[Rz 58] Par conséquent, les informations ainsi que la description des faits auxquelles un expertprivé a accès proviennent en principe de la personne qui l’a mandaté et il n’a généralement pasla possibilité de vérifier l’exactitude des éléments présentés. Ainsi, il peut se fonder sur des in-formations incomplètes et subjectives. Ces éléments constituent un facteur de risque en ce quiconcerne l’établissement d’une expertise privée du fait que, sur la base d’informations incomplètesou incorrectes, un expert privé peut plus aisément produire une expertise erronée.

2.3. Les secrets

2.3.1. Dans le cadre d’une expertise judiciaire

[Rz 59] Un expert judiciaire agit comme auxiliaire de l’autorité qui l’a mandaté99. Par conséquent,il est soumis au secret de fonction (art. 320 CP). En revanche, le secret professionnel (art. 321CP)100 auquel un expert devrait normalement être soumis est levé101, soit sur initiative de l’autorité qui l’a nommé, soit à la demande de l’expert lorsque celui-ci accepte le mandat. En

94 Sur le sujet voir notamment : Michael D. Rosinger / Michael J. Saks / William C. Thompson / RobertRosenthal, The Daubert/Kumho implications of Observer Effects in Forensic Science: Hidden Problems ofExpectation and Suggestions, In : California Law Review, 2002, volume 90, No 1, pp. 1–56 ; Nathalie Dongo-is, op. cit. ad note 4, p. 79 ; Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad. art. 184, N 28.

95 Et selon le Tribunal fédéral, l’accès au dossier pénal constitue « un élément central de l’analyse de l’expertjudiciaire, (…) » (arrêt du Tribunal fédéral 6B_415/2008 du 10 juillet 2008, c. 3.3).

96 Art. 101 al. 1, art. 104 CPP. Laurent Moreillon/ Aude Parein-Reymond, op. cit. ad note 29, ad art. 101,N 3.

97 Art. 102 al. 3 CPP.98 Cela est par contre le cas dans le cadre d’une expertise judiciaire. En effet, selon l’art. 185 al. 4 CPP l’expert

judiciaire peut convoquer les personnes qu’il veut entendre dans le cadre de ses investigations. Ainsi, les per-sonnes convoquées ont une obligation de donner suite à cette convocation ; sinon, la police peut les amenerdevant l’expert. Sous réserve de l’article 185 al. 5 CPP.

99 Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 185, N 2.100Le secret professionnel protégé par l’art. 321 CP ne concerne que les personnes qui exercent l’une des profes-

sions énumérées à l’alinéa 1. Cela peut être par exemple le cas dans le domaine des expertises psychiatriques.101Joelle Vuille, op. cit. ad note 11, ad art. 185, N 2.

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outre, il n’existe aucune relation contractuelle entre l’expert judiciaire et les parties102. Parconséquent, toutes les observations et constatations faites par l’expert doivent être communiquéesà l’autorité103. Cela garantit notamment l’établissement d’une expertise complète, claire etprécise et, par conséquent, aide à éviter la commission d’erreurs judiciaires.

2.3.2. Dans le cadre d’une expertise privée

[Rz 60] Contrairement à l’expert judiciaire, l’expert privé reste en principe lié par le secret pro-fessionnel s’il exerce une des professions énumérées à l’article 321 al 1 CP. La levée du secret estpossible avec le consentement de la personne intéressée ou à la suite de la décision d’une auto-rité104. En outre, s’agissant notamment des personnes qui ne sont pas concernées par le secretprofessionnel, étant donné que la relation entre l’expert et la partie qui le mandate est une relationcontractuelle, une clause de confidentialité peut être prévue par le contrat. Dans ce contexte, ilfaut distinguer deux cas de figure :• dans le premier, l’expert privé rend uniquement un rapport écrit ;• dans le second, l’expert privé est entendu en tant que témoin105.

[Rz 61] Dans la mesure où l’expert privé rend uniquement un rapport écrit, bien que la partiequi fasse l’objet de l’expertise lève le secret notamment pour prouver que l’expertise qu’elleallègue est complète, il n’en reste pas moins que c’est elle qui décide des informations quipourront être divulguées106. Par conséquent, nonobstant le fait que l’expert privé se soit basésur des informations exhaustives, son expertise peut être considérée comme lacunaire étant donnéque, le cas échéant, il ne pourra pas communiquer tous les éléments que la partie concernée luia confiés et sur lesquels il s’est fondé pour établir son expertise107. A notre avis, dans de tellescirconstances, l’expert n’est pas toujours en mesure de présenter au magistrat une expertisecomplète et claire. Par conséquent, étant donné qu’il peut arriver que son rapport ne contiennepas toutes les constatations qu’il a faites et qui sont nécessaires pour la meilleure compréhensionde l’expertise et de l’état de fait, la commission d’erreurs judiciaires est plus probable que dansle cadre d’une expertise judiciaire.[Rz 62] Est-ce que la situation est différente si l’expert privé est entendu comme témoin et qu’enest-il si les questions posées par le magistrat, en vue de clarifier le rapport d’expertise, concernentles éléments que l’expert devrait garder secrets ?[Rz 63] L’art. 163 al. 2 CPP prévoit une obligation de témoigner108 et de dire la vérité. Cependant,

102Bjorn Bettex, L’expertise judiciaire, Etude de droit fédéral et de procédure civile vaudoise, Berne 2006, § 1,p. 271.

103Robert Hauser / Erhard Schweri / Karl Hartmann, op. cit. ad note 58, N 15 a ; Joelle Vuille, op.cit. ad note 11, ad art. 185, N 2. Dans le domaine des expertises judiciaires, un expert qui ne communique pastoutes ses constatations peut se rendre coupable d’un faux rapport en justice selon l’article 307 CP (NathalieDongois, op. cit. ad note 4, p. 92).

104Art. 321 al. 2 CP.105En effet, il est reconnu que si un expert privé est entendu durant une procédure pénale, il est entendu en qua-

lité de témoin, Niklaus Schmid, op. cit. ad note 12, ad art. 182, N 7.106Bernard Corboz, op. cit. ad note 5, ad art. 321, N 49.107Il s’agit d’informations qui, selon le droit pénal, sont considérées comme « un secret ». Pour la notion du

secret voir Bernard Corboz, op. cit. ad note 5, ad art. 320 CP, N 10–16.108Si les conditions de l’art. 163 al. 1 CPP sont remplies.

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les articles 168 ss CPP prévoient un régime spécifique concernant le droit de refuser de témoigner109.[Rz 64] Ainsi, conformément à l’art. 171 CPP, si l’expert privé fait partie des personnes soumisesau secret professionnel, il peut refuser de témoigner « sur les secrets qui lui ont été confiés en vertude sa profession ou dont il a eu connaissance dans l’exercice de celle-ci »110, mais uniquement dansla mesure où il n’est pas soumis à l’obligation de dénoncer ou s’il n’est pas délié du secret par lemaître du secret ou par l’autorité compétente111. Ainsi, il reste toujours possible que l’expert necommunique pas tous les éléments nécessaires au magistrat.[Rz 65] S’agissant en revanche d’un secret convenu entre les parties dans le cadre d’un contrat,il n’est pas expressément protégé par le droit pénal et l’expert privé soumis à un tel secret al’obligation de déposer. Cependant, quid si le contrat qui lie l’expert privé et la partie prévoit unesanction en cas de violation du secret auquel l’expert serait soumis ? A notre avis, le magistrat doitêtre informé de l’existence de cette clause. En tout état de cause, cela ne doit pas permettre dedétourner la règle pénale et, par conséquent, ne doit pas être un moyen qui pourrait être invoquépar l’expert privé pour refuser de témoigner.[Rz 66] Pourtant, dans tous les cas, pour donner une force probante à l’expertise privée, il est dansl’intérêt de la partie de lever le secret auquel l’expert qu’elle a mandaté est soumis.

V. La conclusion

[Rz 67] La présente analyse démontre que la réticence vis-à-vis des expertises privées est en principejustifiée. Le travail effectué par l’expert privé pose plusieurs problèmes dans le cadre de la recherchede la vérité car, comme nous l’avons vu, malgré ses excellentes compétences professionnelles etune bonne application des méthodes scientifiquement reconnues, il peut plus aisément aboutir àl’établissement d’une expertise erronée, notamment faute d’informations nécessaires. Ainsi, c’estla phase de l’appréciation d’une telle expertise qui peut être considérée comme la dernière étapepouvant éviter la commission d’erreurs judiciaires. Il appartient alors au magistrat, lorsqu’il fondeson intime conviction, de prendre en considération tous les éléments penchant en faveur ou endéfaveur d’une expertise privée. Etant donné que les expertises privées ne sont pas réglementéespar le droit pénal et qu’il n’existe aucune règle concernant leur appréciation, le magistrat auratendance à accorder peu de crédibilité à une telle expertise.[Rz 68] Cette position peut permettre d’éviter la commission d’erreurs judiciaires lorsque l’expertiseprivée est en effet erronée. Cependant, même s’il est vrai que, lorsqu’une partie présente uneexpertise privée, cette expertise va toujours dans le sens des conclusions de la partie concernée,cela ne signifie pas nécessairement qu’elle soit fausse. Par conséquent, un magistrat devrait aussiprendre en compte que même une expertise privée peut revêtir toutes les qualités d’une expertisefiable.[Rz 69] En outre, il nous paraît important de préciser que, selon la jurisprudence, les expertisesprivées peuvent aider la recherche de la vérité, même si le juge peut avoir tendance à leur accorder

109Notamment lorsqu’il existe des liens personnels entre le témoin et le prévenu ou s’il existe le risque pour letémoin d’engager sa responsabilité civile ou pénale.

110Art. 171 al. 1 CPP ; Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2, N. 1064.111Art. 171 al. 2 CPP, sous réserve de l’art. 171 al. 3 et 4 CPP.

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une force probante moindre112. D’une part, elles peuvent remettre en question les faits retenus etinciter le magistrat à mettre en oeuvre l’établissement d’une expertise judiciaire pour clarifier lasituation. D’autre part, elles peuvent mettre en exergue les lacunes ou les défauts d’une expertisejudiciaire déjà existante et ainsi remettre en question sa fiabilité113.[Rz 70] Ainsi, quelles perspectives s’offrent aux expertises privées dans le cadre d’une procédurepénale ? Nous pouvons envisager trois situations.[Rz 71] Premièrement, le législateur continuera d’ignorer cette problématique et n’interviendra paspour régler cette question. Dans ce cas, un magistrat sera, à chaque fois, placé devant un dilemmes’agissant de la fiabilité d’une expertise privée.[Rz 72] Deuxièmement, pour pallier le risque que constituent les expertises privées, la solution qui,selon nous, peut s’imposer, consiste dans la rédaction de dispositions spécifiques qui règlemente-raient l’activité de l’expert privé et les points qui présentent un risque dans le domaine des erreursjudiciaires. Il s’agit notamment des conditions d’accès à des informations nécessaires pour l’éta-blissement d’une expertise (notamment l’accès au dossier pénal), de la levée des secrets auxquelsil serait soumis (s’il existe une obligation de garder secret certains éléments portés à sa connais-sance) ainsi que de la problématique de l’absence de sanction en cas d’une fausse expertise. Etantdonné que cette problématique existe déjà depuis plusieurs années, une telle codification mettraitde l’ordre dans ce domaine et permettrait de respecter le principe de la liberté de la preuve enmatière pénale énoncé à l’article 139 CPP.[Rz 73] Troisièmement, il serait aussi envisageable de prévoir des règles d’appréciation des expertisesprivées obligeant le magistrat à examiner certains points pour s’assurer de la crédibilité d’une telleexpertise.[Rz 74] C’est en effet uniquement dans la mesure où une expertise privée présenterait les mêmesgaranties qu’une expertise judiciaire que le magistrat aurait la possibilité de se fonder sur ce typed’expertise. Ainsi, un magistrat pourrait apprécier la valeur probante d’une telle expertise toujoursselon son intime conviction mais avec plus de confiance dans le travail exécuté par l’expert privé.Paulina Garbiec a obtenu un Bachelor en Droit de l’Université de Lausanne en 2012. Elle estégalement titulaire d’un Master en Droit, en sciences criminelles, mention Magistrature. Elle occupeactuellement un poste de juriste auprès de Carrard Consulting SA.

L’auteure remercie Madame Nathalie Dongois, Maître d’enseignement et de recherche, pour sonaide et ses conseils.

112En effet, dans le domaine des expertises judiciaires, il existe deux éléments pouvant être considérés commelimitant le risque de commission d’erreurs judiciaires. D’une part, l’établissement d’une expertise judiciaire estencadré par la loi, ce qui permet au magistrat d’avoir plus de confiance dans le travail effectué par l’expertet lui accorder, à juste titre, plus de crédibilité. D’autre part, le principe de la libre appréciation des preuvesest limité. En effet, selon la jurisprudence et la doctrine, le magistrat ne peut s’écarter des conclusions d’uneexpertise technique que pour des motifs sérieux (Gerard Piquerez / Alain Macaluso, op. cit. ad note 2,N 1127 s ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2011 du 7 juin 2011, c. 3.3.2.). Etant donné que l’expert est saisipar l’autorité puisque celle-ci n’a pas de connaissances nécessaires pour constater ou juger un état de fait, cettelimite à la libre appréciation est compréhensible.

113Arrêt du Tribunal fédéral 6B_715/2011 du 12 juillet 2012, c. 4.3.1.

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