le propre de la comédie est de susciter le rire ou le sourire en...
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Le propre de la comédie est de susciter le
rire ou le sourire en mettant l'accent sur
le ridicule des personnages, les travers de
la société, l'aspect caricatural des
situations…De tous les genres qui
composent la famille du cinéma comique, la
comédie est le plus vaste mais aussi le plus
difficile à cerner pour plusieurs raisons :
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la variété de ses expressions et les
nombreux sous genres qu'elle génère, ses
relations étroites avec d'autre genres
visités par le cinéma… Film comique par
excellence, Robert Chazal écrivit à propos
de La Grande Vadrouille : "C'est le type de
film sur lequel on aurait aimé qu'un
reportage fût fait de A à Z pour en
montrer les circonstances de tournage".
Bien plus que le film en lui-même, c'est
sans aucun doute toute la carrière de
Gérard Oury qui mériterait d'être passée
au peigne fin, tant celle-ci fût, à bien des
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égards, variée, riche, bouleversante et
instructive. Réalisateur de talent, acteur
sans doute trop précoce, dénicheur de
génies et surtout grand et bon public
auprès de ses acteurs, nombre de ses
films, devenus cultes, témoignent de
l'empreinte indélébile que Gérard Oury
laisse sur le cinéma français. Petits et
grands s'extasient tour à tour face au
petit écran devant des chefs d'œuvre tels
que Le Corniaud, La vengeance du serpent
à plumes ou Le cerveau.
En 1963, Gérard Oury est en passe de
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devenir un réalisateur comique. Situation
risquée ! Beaucoup de gens de métier,
connaissant ses productions mélo
dramatiques, ne parient pas beaucoup sur
les projets futurs de ce jeune ambitieux
n'ayant pour l'instant rien démontré de
très probant ! Son film alors le plus
notoire Le Crime ne paie pas ne casse pas
trois pattes à un canard. Oury doit
frapper un grand coup, rentrer dans le
"cercle" immédiatement. Les années de
vaches maigres et de productions
médiocres doivent être mises au rebut
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sous peine de s'enterrer définitivement.
Et Oury résume d'ailleurs bien sa situation
dans son autobiographie "Mémoires
d'éléphants" : "Je suis assis le cul entre
deux chaises : plus tout à fait acteur , pas
encore metteur en scène consacré, ma
carrière flotaille". L'un des challenges
principaux sera entre autres d'améliorer
le succès d'estime pour Le crime ne paie
pas qui a totalisé 1 327 403 entrées. Des
amis en poste dans différentes sections
de la Marine nationale lui parlent tour à
tour de l'histoire originale d'un certain
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lieutenant de vaisseau qui, au cours de la
Seconde Guerre Mondiale coula plusieurs
sous marins allemands avant de
transformer son propre bâtiment en lieux
de débauches. La trame directrice séduit
immédiatement Oury mais il apprend alors
que non seulement un livre existe sur le
sujet mais qu'il est de plus l'œuvre d'un
de ses amis…un certain Marcel Jullian dont
on aura l'occasion de reparler ! Les deux
hommes travailleront d'arrache pied sur
les possibilités d'adaptation
cinématographique du livre mas celui
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restera sous sa forme littéraire.
Sentant le vent en poupe, Gérard Oury
veut directement enchainer sur une
nouvelle idée. Le talent créateur, dévorant
et méticuleux se forge petit à petit. Il
imagine ses sujets, ses trames, son style
et surtout son équipe. Et c'est
paradoxalement avec des acteurs qu'il a
côtoyés lors de ces années de disette qu'il
entend repartir de plus belle. Et pour se
faire il n'oublie pas son prodigieux second
rôle Louis de Funès ! Car en effet si celui-
ci fut le déclic pour son penchant à la
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réalisation de films comiques, ces deux là
sont néanmoins de vieux briscards qui se
croisent depuis…1948 et le théâtre de
Pigalle où ils jouèrent pour neuf soirs
seulement la pièce Thermidor face à un
public des plus restreint ! Et Oury
d'ajouter "Est-ce à cette époque que j'ai
pris conscience du génie qui habitait ce
petit personnage ? Peut être." Et Bourvil
alors ? Rencontré sur Le Passe murailles
de Jean Boyer en 1951, Oury confiera lui-
même que leur amitié s'est construite sur
les paires de claques qu'il a reçues pour
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une réplique du costaud paysan normand !
N'oublions pas non plus les nombreux
techniciens qu'il a rencontrés au cours de
ses premiers films et auxquels, pour
certains, il attribuera à nouveau et pour
longtemps sa confiance ! C'est cela qui
frappe dans le cinéma d'Oury : son passé,
au lieu de l'enfouir et pour lequel il avoue
sa frustration va au contraire lui servir de
moteur, de réacteur ! Il tire sa force de
son expérience passée, de sa confiance
envers les gens qui l'ont aidé et ne lui ont
pas tourné le dos. On trouve déjà au
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tournant de sa carrière les valeurs qui
seront siennes pour le restant de sa vie :
confiance, respect, humanité et chaleur
humaine. Il est redevable de tous ces gens
qui ont galéré à ces cotés alors que
d'autres cieux leur tendaient les bras et
par conséquent, cette nouvelle chance qui
s'offre à lui le sera pour chacun d'entre
eux ! Ainsi en a-t-il décidé ! Vincent
Chapeau le résume d'ailleurs fort bien
dans son livre Sur la Route de la Grande
Vadrouille : "Désormais leurs destins
seront liés. La vie est ainsi faite : sans cet
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itinéraire commun, sans cette amitié
naissante, la filmographie de Gérard Oury
eut été peut être bien différente et celles
de De Funès et Bourvil amputées de
quelques perles ! Ouf !"
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Sur le point de partir en vacances, Antoine
Maréchal (Bourvil) est victime d'un
accident provoqué par Léopold Saroyan
(Louis de Funès). Ce dernier profite alors
de l'occasion pour proposer à Maréchal
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d'emmener une de ses voitures de Naples
à Bordeaux. Maréchal s'empresse
d'accepter.
Mais il ignore que la voiture, suivie de près
par Saroyan, recèle en ses flancs de l'or,
de l'héroïne, et le "you koun-koun", le plus
gros diamant du monde.
Bientôt, une bande rivale projette de la
récupérer par tous les moyens.
Le Corniaud fait partie de ces films si
appréciés, qu'il y a foison d'anecdotes de
tournage.
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Après la projection des rushes des deux
premières semaines de tournage, de Funès
trouvant qu'il n'était pas assez présent à
l'écran fera une « grève du masque »
pendant près de 24 heures. Oury imagine
alors la célèbre scène de douche, où
l'acteur compare sa musculature avec celle
d'un « grand balèze », l'ex-catcheur
Robert Duranton. L'idée lui est inspirée
par une rencontre étonnante faite lors
d'un voyage en Italie « ... j'avais
rencontré à Capri un couple étrange, lui :
un homo maigrichon américain, ridaillé mais
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milliardaire, elle : un colossal biquet
français culturiste ! L'opposition physique
entre ces deux êtres dépassait les limites
de la bouffonnerie ».
L'aventure de La Grande vadrouille
commence ... sur le tournage du Corniaud
où Gérard Oury raconte aux deux
comédiens le scénario du film à venir.
La 2CV était équipée de 250 boulons
électriques afin qu'elle se disloque au
moment voulu. Cette scène, la dernière
tournée le 7 décembre 1964, fut peut-
être inspirée à Oury par sa « rencontre »
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cinématographique avec Bourvil sur le
tournage du Miroir à deux faces. Dans ce
film dramatique d'André Cayatte réalisé
en 1958, Bourvil au volant de sa 2CV est
percuté par Gérard Oury, acteur mais
aussi Co scénariste du film, au volant
d'une grosse américaine.
Lorsque Bourvil/Maréchal dit «elle va
marcher beaucoup moins bien, forcément »
juste après l'accident de la 2CV, on voit
de Funès baisser la tête pour rire. Cette
réplique n'était pas prévue et cette scène
aurait difficilement été rejouable, ce qui
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aurait du être le cas si de Funès n'avait
pas eu la présence d'esprit de se
dissimuler le visage. On remarque
également qu'au moment où la 2CV de
Bourvil se disloque, ce dernier tire
plusieurs fois sur le volant pour qu'il se
décroche de son axe et ainsi assurer le
gag et surtout la continuité de la scène.
Le scénario du Corniaud s'inspire de la
mésaventure d'un présentateur de la
télévision française, Jacques Angelvin, qui
fut arrêté aux États-Unis en 1962 au
volant d'une Buick provenant de France et
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dans laquelle plus de cinquante
kilogrammes d'héroïne pure avaient été
dissimulés. Lors de son arrestation, la
voiture ne contenait plus la drogue et
Angelvin clama d'abord son innocence en
prétendant avoir été dupé, d'une manière
semblable au héros du Corniaud. Il fut
pourtant prouvé que la voiture du Français
avait bien servi à transporter la drogue
depuis Marseille jusqu'aux Etats-Unis et
qu'il avait touché dix mille dollars pour
cela. Plaidant coupable lors de son procès,
le présentateur de Paris-Club fut
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incarcéré pendant cinq ans. Cette
arrestation est un des épisodes du
démantèlement de la « French
connection».
Le cachet de Bourvil pour ce film est trois
fois plus important que celui octroyé à de
Funès.
La Cadillac conduite par Bourvil est un
modèle Eldorado1964.
N°1 au box-office en 1965 : 11,74 millions
d'entrées.
Lors du Festival de Cannes 1965, Oury et
son producteur se voient proposer par des
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américains de réaliser et produire un
remake avec Dean Martin et Jack Lemmon.
Malgré une offre importante (« Budget
doublé, salaires versés en Suisse
promesses de deux autres films dans les
cinq ans »), les Français ne donneront pas
Cette comédie précède de peu l'énorme
succès que fut La Grande vadrouille.
Louis de Funès et Bourvil s'étaient déjà
brièvement rencontrés dans la Traversée
de Paris, mais bien furtivement. Cette
fois, un film entier leur est consacré.
Certaines répliques sont aujourd'hui
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connues de tous: le "Elle va marcher
beaucoup moins bien maintenant,
forcément" de Bourvil, précédé du "Quoi,
quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? C'est pas
grave, qu'est-ce qu'il y a ?" de de Funès...).
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Venantino Venantini à propos du tournage
du Corniaud
- C'était un grand film, j'aimais beaucoup
Gérard, un grand seigneur du cinéma
français comme on n'en trouve plus
aujourd'hui malheureusement. Je me
souviens lorsque je l'ai vu à Naples la
première fois pour le casting. Il me disait
que je lui plaisais mais que je devais
bégayer dans le film. Je me suis mis à
rigoler car dans la vie parfois je bégaie...
imaginez ! Au tournage, je n'arrivai pas
toujours à bégayer.
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- Y a t-il eu une scène difficile à tourner ?
- Pour moi, c'était la scène de nuit sur la
plage de Saint-Tropez avec Beba Loncar (à
ce sujet, voir la page "Cap Dramont" (83)
dans "les lieux de tournages"). C'était
l'hiver et BRRRR !!!Put**n, quel froid !
Mais la fille était si belle que la froideur
s'en allait. Mais tout de même, il faisait
très froid !
- A l'exception de Lando Buzzanca tous
les acteurs de ce film sont
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malheureusement aujourd'hui décédés (il
reste néanmoins les actrices). Quel
sentiment cela vous apporte ?
- De la nostalgie et de l'émotion. En plus,
on sait que les femmes vivent plus
longuement que les hommes. Alors,
hommage aux femmes, tant pis pour les
machos !
- La meilleure scène vous concernant est
probablement celle où vous menacez
Bourvil avec votre revolver pour vous
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emparer de la Cadillac. Pouvez-vous nous
parler un peu de ce merveilleux acteur ?
- On parlait de tout avec lui. Un autre
géant du cinéma français ! Pensez qu'à
chaque tournage, le soir, sa femme venait
me demander timidement : "Venantino,
est-ce qu'il a bien tourné mon Bourvil ?" Et
moi je lui répondais : "bien sûr !" (rires) En
plus, Bourvil racontait toujours de petites
histoires sur le plateau...
- Pour en finir avec "Le Corniaud", c'est
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un film que vous revoyez régulièrement ?
- Oui, quelque fois de temps en temps...
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Louis De Funès rend hommage à sir Charlie
Chaplin qu'il admirait, dans la scène culte
où il « emprunte » en pleine nuit l'atelier
d'un garagiste pour réparer la Cadillac (à
la 54e minute du film). Il s'agit d'un clin
d'œil évident au Temps modernes et plus
encore à Le Dictateur.
La musique est très proche de celle d'une
scène du film de Chaplin : la pause
déjeuner (1h01m). Il s'agit ici de la
Tarantelle extraite de La Boutique
fantasque de Gioachino Rossini (arrangée
par Ottorino Respighi).
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De Funès est toujours en mouvement dans
la scène, son bras ne peut s'empêcher de
faire des gestes circulaires ce qui parodie
bien sûr le travail à la chaine critiqué dans
le film de Chaplin.
On peut remarquer à la fin de la scène
(lorsque De Funès est debout sur la
voiture) des rouages sur le côté : le plan
est très proche de l'affiche des Temps
modernes.
Cette scène du garage est encore plus
proche de celle de la séance de rasage
dans Le Dictateur où Chaplin rase un client
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au son de la cinquième des Danses
hongroises de Brahms. Les deux
«chorégraphies» sont très similaires par
la coordination des gestes et de la
musique.
Robert Duranton et la scène de la douche :
A soixante quatorze ans, Robert Duranton
n'a rien perdu de sa gouaille parisienne,
continuant d'appeler un chat, un chat et
n'esquivant jamais le moindre sujet.
«Je suis ne dans le IXe arrondissement
prés de l’opéra, j’étais fait pour être
danseuse». Ça commence fort. L’homme a
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été élu cinq plus bel athlète de France, a
obtenu également ce titre au niveau
européen. Il a même été sacré Monsieur
Univers et qui trente années plus tard,
affiche encore le poids respectable de
quatre-vingt dix kilos sur la balance « Et
de noire temps, les anabolisants
n'existaient pas on ne pouvait au moins pas
se doper. Mois attention, je ne dis pas que
je n'en aurais pas pris s'il y en avait eu.
Mm je tournais à la viande rouge, au
Bordeaux et au miel »
Sa superbe plastique, doublée d'une vraie
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gueule (dlxit) et des yeux bleus qui en ont
fait tomber plus d'une l'entraînent aux
quatre coins du monde pour présenter son
numéro de culturisme. Il se retrouve ainsi
deux années durant dans la revue de
Shirley Mac Laine sur les scènes illuminées
de Las Vegas et enchaîne à Los Angeles,
Hong Kong ou aux Indes.
«J'avais ia belle vie, je faisais le tour du
monde, je gagnais quatre fois plus d’argent
qu'un ouvrier mais dix fois moins qu’une
vedette de la chanson ou du cinéma ».
Des organisateurs cherchent une nouvelle
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star du catch, Duranton est enrôlé, là
encore, grâce à son physique. « Les poids
lourds avaient tous du bide, pas moi» Sur
les rings, il se distingue particulièrement
par son sens du spectacle et sa mauvaise
foi n'hésitant pas à tricher constamment
et à se sortir de postures délicates grâce
à l'aide de son valet Fîrmin,
« Il y avait du pognon à faire dans ce ce
créneau » Les spectateurs hurlent au
scandale, devant leurs télés, les Français
hurlent. De rire ?
Quant aux arrangements éventuels avec
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l'adversaire, l'Apollon du ring est on ne
peut plus clair:
« Vous croyez qu'a Tokyo je parlais
japonais et a Hawaï l’américain ? » .
Au fait, l'entraîneur de Duranton avait
pour nom Ventura, Lino de son prénom
« Un type bien mais je lui en veux
d'avoir toujours dit qu'il était lutteur
alors qu'il a catché prés de dix ans. »
De Ventura au cinéma, le rapprochement
est vite fait. Mais c'est une fameuse
scène du Corniaud, le film de Gérard Oury,
qui va faire connaître son corps au monde
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entier. Sous la douche d'un camping
italien, Louis De Funès soutient la
comparaison physique avec un colosse lui
faisant admirer pectoraux et dorsaux.
Combien de générations se sont-elles
écroulées de rire devant ses images ?
« De Funès était un sacré bosseur,
répéter des scènes pendant dur heures
pour trois minutes de tournage, moi je
n'aurais pas pu.
Robert participa ensuite a d'autres films
pour des séquences passées inaperçues.
De la politique, « ce sont tous des pourris
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à l'argent, «je ne comprends pas que l’on
fasse des quêtes pour la recherche
médicale alors que des sportifs gagnent
des centaines de millions par mois, en
passant par ses voisins,
« les Savoyards sont froids et disant » ou
l'avenir,
« je m'en fous de mourir, bien sûr le plus
tard sera le mieux je vis pour mes deux
mômes ».
Duranton n'a pas la langue dans sa poche
et sa porte est toujours ouverte,..
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Quelques répliques :
Maréchal : Ah non, alors non ! Ah non !
C’est une catastrophe !
Saroyan : Qu’est ce qu’il y a ?
Maréchal : Regardez ... Regardez moi ça !
Saroyan : Qu’est ce qu’il y a ?Ah non ! C’est
une catastrophe !
Maréchal : Qu’est ce qu’il y a ! Qu’est ce
qu’il y a !
Saroyan : C’est pas grave ! Qu’est ce qu’il y
a ?
Maréchal : Qu’est ce qu’il y a ! J’vois bien,
qu’est ce qu’il y a !
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Saroyan : Qu’est ce qu’il y a ? Bah y’a rien !
Maréchal : Ben maintenant elle va marcher
beaucoup moins bien, forcément ! Mais je
vous en prie, ne vous gênez pas ! Marchez
dessus ! Olala !
Saroyan : Mais c’est pas grave !
Maréchal : C’est pas grave, ah vous en avez
d’bonnes ! C’est pas grave !
Saroyan : Mais non, mais non, mais non ...
Maréchal : Qu’est ce que je vais devenir
moi ?!
Saroyan : Hé ben un piéton !
Saroyan : Vous m’avez été tout de suite
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sympathique.
Saroyan : Alors ...
Maréchal [Voyant un tube arriver] : Hey
hey hey hey ! Qu’est ce que c’est ?
Saroyan : C’est rien, c’est rien ça.
Maréchal : Qu’est ce que c’est ?
Saroyan : C’est rien. Oui ben tenez,
attendez ... oh ben tiens, j’vous en donne
un tiens. J’vous l’donne.
Maréchal : Ah bon merci.
Saroyan : Et alors il reçois un télégramme,
il reçois, non mais j’vous l’enlève parce que
vous m’écoutez pas.
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Saroyan : Voilà votre billet Paris – Naples
en caravelle.
Maréchal : Oh oh oh.
Saroyan : Et 500.000 lires pour vos frais
de voyage.
Maréchal : Oh oh oh, Monsieur Saroyan
c’est trop ! Je consomme beaucoup moins
qu’une Cadillac.
Le bègue : On tire aussi bien les faisans
que les pigeons.
Saroyan : Alors maintenant, garde bien la
distance : trop près il nous verrait, trop
loin on ne le verrait plus.
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Maréchal : Señor. Señor. Buon giorno. Vous
parlez Français ?
Le garagiste : No : Napolitano !
Maréchal : Oh, ben ça va être commode.
Bon venez. Euh ... pare-choc, défoncé à
l’arriera et démoli à l’aventi. Alors vous
réparer en vitessa, parce que moi à Napoli
depuis deux journo. Alors finita la
vadrouilla. [Le garagiste parle en Italien]
Non mais la macchina pas à moi.
Le garagiste : Va bene ! [Il continue de
parler en Italien]
Maréchal : Hein ? Hein ? Hein ?
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Le garagiste [Toujours en Italien] : No le
possibile.
Maréchal : No le possible. Peut être pour
un prix ordinaro, mais pour 20.000 lires,
c’est une autre affaira ? [ Le garagiste
acquiesce en Italien et prends les billets]
Ah non non non, domano matini, hein ? Euh
... domani matino, enfin vous m’avez
compris quoi.
Maréchal : Ah ba c’est rigolo : maintenant
je vous entends très bien ! Comme si on
étais tout près l’un de l’autre.
Maréchal [Entendant Saroyan éternuer] :
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Y’a quelqu’un ?
Saroyan : Non y’a personne.
Maréchal : Quel corniaud alors. Il
comprend même pas sa langue.
Saroyan : Ah ! La schnouff ! La schnouff
qui fout l’camp !
Saroyan: Trois là d’dans, c’est intolérable !
Ca fais des heures qu’on est là d’dans.
Regardez ce désordre, ce désordre.
Qu’est ce que c’est ça ? C’est à vous ça,
c’est à vous ? Tiens ! Ca c’est à vous ?
Allez ! Tiens ! Ca c’est à vous ? Tiens ! Et
puis ça c’est à vous ? Voilà ! ah ça dites
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hey, ça précieusement, hein ?
Saroyan : Mais c’est fini, oui ?
Maréchal : Quel point de vue, hein ? C’est
magnifique ! Ah ça vraiment, ça mérite
d’être fixé sur la pellicule.
Le bègue : Passez moi votre appareil : je
vais vous mitrailler !
Le chef douanier : Je regrette.
Saroyan : Oh, ça ne fait rien ...
Le chef douanier : Je regrette de pas
pouvoir te coffrer !
Policier : Monsieur Saroyan !
Maréchal : Monsieur Saroyan. Mais qu’est
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ce que vous faites là ? J’suis bien content
d’vous revoir. Si vous saviez ce qui m’est
arrivé. J’en ai des choses à vous raconter.
Comment ça va ?
Saroyan : Ecoutez Monsieur, je n’ai pas le
plaisir de vous connaître, vous faites
confusion.
Maréchal : Vous plaisantez.
Saroyan : Pas du tout Monsieur.
Maréchal : Maréchal ! Maréchal !
Saroyan : Ah c’est pas moi Monsieur.
Maréchal : Mais c’est moi ! Hey dites donc
la voiture ...
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Saroyan : Hey bey bey bey ! Assez, hein !
N’insistez pas, la !
Le bègue : Terminus : tout le monde
descend. Envoi les clés. Et fais ta prière.
Maréchal : Ecrase, hein. Ta voulu foutre
dans l’bain mais ... j’sais nager. Alors tu ...
tu veux m’flinguer ? Moi ?
Le bègue : Barre toi de là, ou tu vas
souffrir.
Maréchal : Oh oh oh, me fais pas marrer ...
j’ai les lèvres gercées. Patate, va. Vise un
peu. Ca sonne creux. Un héros et pas
d’héroïne. Pousse ta viande, veux tu.
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Regarde un peu, la batterie, tu peux
visiter. Y’a peau d’balle. Et l’pare-choc,
c’est pas d’l’or. C’est d’la bonne ferraille.
Le bègue : Je je je le savais pas que tu
étais dans le coup.
Maréchal : Pauvre cave, va. T’as pas encore
compris que cette bagnole là c’est du bidon
Le bègue : Et l’yuuuuuuu ...
Maréchal : Le yuyuyuyu, le yukunkun,
comme le reste. Tout est dans la vieille
Rolls. En dessous. Allez, refile moi mes
clés.
Le bègue : Si t’es un pote à Saroyan,
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pourquoi tu le balances ?
Maréchal : Disons que ... il a pas été très
correct avec moi.
Serveuse : Petit déjeuner pour ses
Messieurs ?
Saroyan : Trois cafés au lait.
Homme de Saroyan : Sans sucre, hein !
Saroyan : Allô ?
Maréchal : Allô ? Sa sa sa sa sa Sarayan ?
Saroyan : Oh ! Le bègue ! Saligaud va !
Qu’est ce que tu veux ?
Maréchal : Fifty – fifty.
Saroyan : Rien du tout !
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Maréchal : Réfléchis ... un poco nan ?
Saroyan : Bon écoute ... Non mais je pense
à quelque chose, attends. On peut peut-
être discuter. Sur les remparts par
exemple, hein ? Et on s’rait bien tranquille,
PANG ! PANG ! hum ?
Maréchal : D’acordo.
Saroyan : Pour m’annoncer, je sifflerai ...
« Plaisir d’amour », Plaisir d’amour ... La la
la laaa, PANG ! La la la la la la, PANG !
PANG !
Maréchal : Mais ... tu viens solo. Sinon tf
tf !
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Maréchal : Dites donc, pendant que j’vous
ai là, vous m’avez foutu dans un drôle de
pétrin vous !
Saroyan : Mais j’vous en sortirai, j’vous
l’garantie. Ahlala.
Maréchal : Ah non mais je n’suis pas
inquiet, puisque j’suis innocent. Puis au
fond, j’vous en veut pas parce que ... quel
voyage hein ? Haha. Et ça, ça compte dans
la vie d’un homme.
Saroyan : Vous allez toucher les cent
millions.
Maréchal : Cent millions ?
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Saroyan : Cent millions : la prime
d’assurance du yukunkun. Non mais
regardez ... le yukunkun, c’est vous qui
l’avez trouvé ?
Maréchal : Ah oui.
Saroyan : Bon, y’avais des témoins.
Maréchal : Ah, plein oui.
Saroyan : Alors vous allez avoir la
récompense de cent millions pour le
yukunkun !
Maréchal : Ben j’suis pas si kunkun que j’en
ai l’air alors !
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En 1942, pendant l'occupation allemande
en France, le bombardier de cinq aviateurs
britanniques est abattu au-dessus de Paris
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par la Flak lors d'un retour de raid aérien.
Ses occupants sautent alors en parachute.
Deux sont faits prisonniers, les trois
autres parviennent à échapper aux
Allemands. Le premier, Sir Reginald Brook
(Big Moustache), atterrit dans le zoo de
Vincennes, le second, Peter Cunhingam, sur
la nacelle d'un peintre en bâtiment,
Augustin Bouvet (Bourvil), et le dernier,
Alan Mac Intosh, sur le toit de l'Opéra
Garnier puis se réfugie dans la loge d'un
chef d'orchestre acariâtre, Stanislas
Lefort (Louis de Funès). Les deux
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Français, aidés de Juliette (Marie Dubois)
doivent alors, malgré eux, cacher les
aviateurs puis concourir à leurs
retrouvailles parisiennes avant les
accompagner et fuir avec eux pour
rejoindre la zone libre. Ces militaires
pourront ainsi rejoindre l'Angleterre.
Pourchassés par les Allemands et
notamment par le major Achbach, les
fugitifs vont connaître de nombreuses
péripéties lors de leur voyage vers la
Bourgogne. Ils franchiront enfin la
fameuse « ligne », grâce à l'aide de
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Germaine (Colette Brosset), hôtelière «
très à cheval sur la literie ».
Les anecdotes de tournage :
Le duo comique avait déjà été réuni pour le
film Le Corniaud deux ans plus tôt ainsi
que pour La Traversée de Paris, Poisson
d'avril et Les Hussards.
Lors de ce tournage, Bourvil et Louis de
Funès ont dit en riant que c'était leur
dernier film ensemble. Ce fut la vérité.
Après les 17 millions du film, de Funès
souhaitait attendre quelques années avant
de retrouver Bourvil. Après Le Cerveau
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(1968, Bourvil et Gérard Oury), de Funès
souhaite retrouver Oury et Bourvil.
Gérard Oury écrit alors le scénario de La
Folie des grandeurs mais Bourvil, atteint
d'un cancer, meurt avant le début du
tournage le 23 septembre 1970. La Folie
des grandeurs, avec Yves Montand comme
remplaçant de Bourvil, finira quatrième au
box-office français de 1971 avec 5,5
millions d'entrées.
Il est encore possible de voir la carcasse
de la voiture ayant servi à la cascade
finale avec les planeurs près de
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l'aérodrome de Mende - Brenoux en
Lozère. Il en est de même pour le planeur
de la cascade finale à Albert (Somme) au
musée privé de l'épopée aéronautique.
La scène finale devait se conclure par une
poursuite à ski. Pour des raisons
météorologiques, elle ne put se faire et
fut remplacée par une fuite en planeur.
Sorti en décembre 1966, le film a totalisé
pendant longtemps le plus grand nombre
d'entrées en France avec plus de 17
millions de tickets vendus. Il est
finalement dépassé par Titanic de James
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Cameron en 1997 mais également par
Bienvenue chez les Ch'tis de Dany Boon2
en 2008. Cependant, en proportion de la
population française de l'époque, La
Grande Vadrouille reste devant tous les
autres films français avec 34 % des
Français qui sont allés voir ce film, contre
31 % pour Bienvenue chez les Ch'tis.
Le film connut un succès international, y
compris en Allemagne où il fut la première
comédie présentée à l'écran consacrée à
la Seconde Guerre mondiale. Il fut même
retenu pour une nomination étrangère aux
58
Oscars en 1967.
Louis de Funès/Stanislas Lefort dirige la
Marche Hongroise de la Damnation de
Faust d'Hector Berlioz avec les
mouvements réels que devrait avoir un
chef d'orchestre. Pour cela, il a répété
trois mois devant la glace de son salon et a
pris quelques leçons avec le directeur de
l'Orchestre national. À la fin de la
première répétition, l'orchestre de
l'Opéra se lève et l'acclame en « tapant
archets contre violons, flûtes contre
pupitres3 ». En effet, ces
59
applaudissements étaient totalement
improvisés.
Dans la scène des bains turcs, c'est l'air
de la chanson Tea for two, extraite de la
comédie musicale américaine No, no,
Nanette, qui sert de signal de
reconnaissance aux personnages ayant
rendez-vous.
Gérard Oury avait vendu au producteur
Henry Deutchmeister un scénario où deux
jumelles font traverser la France à
l'équipage d'un bombardier britannique
abattu par la Flak. Le réalisateur récupéra
60
les droits du projet et substitua Bourvil et
De Funès aux deux sœurs. « Les rôles
principaux : deux filles ? Et alors ? Je les
transformerai en hommes3! » De ce
scénario originel ne subsiste que la
séquence des Hospices de Beaune.
La scène durant laquelle Louis de Funès se
retrouve sur les épaules de Bourvil4 et est
baladé par celui-ci n'était pas prévue à
l'origine dans le scénario et était de la
pure improvisation des deux acteurs. En
effet, au départ, Louis de Funès devait
escalader le mur et devait ensuite tomber
61
sur Bourvil jusqu'au sol. Pour cela il était
prévu une doublure pour De Funès. Mais
elle eut tant de succès qu'elle servit pour
la réalisation de l'affiche du film, et est
aujourd'hui considérée comme une des
plus grandes scènes du cinéma comique
français. L'ensemble de cette séquence a
été tournée dans le Chaos de Montpellier-
le-Vieux.
Lors de la poursuite entre les Allemands
et les héros, le motard qui reçoit la
citrouille et chute n'est autre que Rémy
Julienne, l'un des cascadeurs du film.
62
Suite à la disparition de Gil Delamare le
responsable des cascades du film, Rémy
fut par la suite chargé de toutes les
actions voitures et motos du film.
Le thème du récit présente de
nombreuses analogies avec le film Jeanne
de Paris (1942) où un équipage de
bombardier américain trouvait refuge à
Paris et le soutien d'une courageuse petite
Française (Michèle Morgan dont le fils a
tourné dans La Grande Vadrouille). Le film
américain est dramatique, même si le
surréalisme de sa description de Paris est
63
riche de comique involontaire. Et là aussi,
on trouve une fuite par les égouts.
Au commencement du film, le bombardier
anglais est présenté comme un Avro
Lancaster. Mais plus tard, on voit qu'il
s'agit d'un avion Boeing B-17.
Probablement était-il l'un des
quadrimoteurs américains utilisés par
l'Institut Géographique National jusqu'à la
fin des années 80, qui ont participé aussi
au tournage du film Memphis Belle.
Les aviateurs anglais sont engagés dans
une mission nocturne, mais malgré cela, ils
64
sautent en parachute en plein jour. (La
mission nocturne était un bombardement ;
mais, touché par les tirs de DCA
allemands, l'avion a subi des avaries, ce qui
a compliqué son retour, d'autant plus que
la carte des aviateurs était elle-même
endommagée ; c'est ainsi que, au matin, et
survolant Paris alors qu'ils estimaient être
au dessus de Calais, les aviateurs ont dû
sauter en parachute. il n'y a donc aucune
incohérence entre la mission nocturne et
le parachutage diurne!)
65
Jacques Bodoin se souvient du tournage :
« J'ai peu tourné au cinéma, mais j'ai pas
mal travaillé avec Pierre Tchernia,
notamment dans "Le Viager". Il m'a pris
car il montait quelque chose sur les gens
qui venaient du cabaret, notamment avec
Michel Serrault. Et puis il y a eu "La
Grande Vadrouille". Donc ce furent des
sacrés coups de bol car j'ai trouvé le
moyen de tourner dans deux films qui
passent régulièrement à la télévision !
Aux premiers mois de 1966, je me
produisais à la Tête de l'Art, cabaret
66
alors très en vogue et fréquenté par une
clientèle que je dirais par euphémisme
attentive, pour ne pas dire exigeante. Je
jouais alors un sketch qui s'appelait "La
Leçon d'anglais". Un soir, Gérard Oury se
trouvait dans la salle avec Michèle Morgan.
A la fin de mon "four", ils m'invitèrent à
boire un verre avec eux. Et Oury me dit :
"je prépare actuellement un truc assez
important avec Bourvil et de Funès. Est-ce
que vous accepteriez un petit rôle ? Je ne
sais pas encore lequel... ". Comme Oury
savait que je chantais, ce fut le rôle de
67
Méphisto, chef du réseau de l'Opéra qui
m'échut.
Le tournage fut très agréable car je
retrouvais mon vieux copain Bourvil, avec
qui j'avais débuté, notamment dans une
opérette qui s'appelait "Le Marhadjah" et
qui n'avait pas bien marché à l'époque.
Nous nous étions inspirés des spectacles
du Châtelet, avec des machineries
considérables (des locomotives, des
éléphants etc...) qui entraient en scène.
Nous jouions à l'Alhambra et il y avait sur
scène un sous-main de poche duquel
68
Bourvil et moi sortions pour remonter à la
surface. En arrière plan était projeté un
fond bleu avec des poissons. C'était une
scène difficile à jouer et, le soir de la
générale, alors que Bourvil remontait à la
surface, le filin qui le guidait se bloqua.
Immobilisé, il continuait quand même à
nager et tournait sur lui-même. Le public
voyait donc son profil, puis son
postérieur... et lorsqu'il se retrouva face à
l'auditoire, il dit : "je ne peux pas vous
parler, j'aurais de l'eau plein la bouche."
Bourvil était quelqu'un de très charmant
69
avec qui il était vraiment agréable de
travailler. Et il pouvait jouer plein de
personnages, il était bon partout, que ce
soit dans "La Grande Vadrouille" ou dans
"Le Miroir à deux faces". Techniquement,
le tournage à l'Opéra de Paris ne fut pas
évident. De grandes précautions étaient
nécessaires car la ville de Paris ne prêtait
pas aussi facilement l'Opéra pour un
tournage, d'autant plus qu'il s'agissait
d'une grosse production. J'ai tourné
pendant trois jours sur ce film. Mon
premier plan avec de Funès concernait la
70
répétition de l'orchestre. Nous nous
connaissions bien sûr (j'avais vu ses
interprétations de music-hall dans "Ah !
les belles bacchantes" et "La Grosse
valse") mais nous n'avions jamais oeuvré
ensemble. Si bien que lorsque je suis
arrivé pour tourner le premier plan, je l'ai
vu à son pupitre avec un authentique chef
d'orchestre qui lui montrait les
anticipations qu'il devait avoir. Certes,
Louis de Funès était musicien mais pas de
là à diriger un orchestre. Aussi était-il
sous la férule de Jacques Metehan, chef
71
d'orchestre au long cours, et paraissait
tendu. Lorsqu'il me vit, de Funès ne me
serra pas la main et, de loin, se contenta
de me demander si j'allais bien. Et puis il
précisa : "attention, ici, il n'y en a qu'un
qui fait rire" en se montrant lui-même du
doigt. C'était pour rire bien entendu, en
tout cas sa manière de nous mettre à
l'aise. Bourvil était d'un commerce
beaucoup plus aisé. En effet, entre les
prises, il passait son temps à faire le
"couillon", ce qui déplaisait à de Funès qui
se montrait beaucoup plus concentré. Par
72
exemple, dans les coulisses de l'opéra,
lorsque je plaquais contre le mur Bourvil
déguisé en officier allemand, sa casquette
bougeait et manquait de tomber. Il
s'ingéniait au cours des "prises" à
provoquer, grâce à des "happening" de son
cru, une faille dans la posture atrabilaire
du kapelmeister. Cet effet faisait rire
Bourvil qui en rajoutait ! Et Louis de
Funès, se rendant compte que la scène
était à refaire, lui reprochait "mais enfin
merde, arrête un peu tes conneries"
(rires) ! C'est un formidable souvenir car
73
Louis de Funès et Bourvil étaient très
complices. Mais, au delà de cette
anecdote, je me suis très bien entendu
avec de Funès, qui était musicien comme
moi et qui avait le sens du rythme.
Sur le tournage, il s'imposait et il avait
raison car il était non seulement doté
d'une intelligence incroyable, mais savait
aussi donner du rythme à ses films. Il
n'était pas auteur de "La Grande
Vadrouille", la plupart des gags venaient de
Gérard Oury, Danièle Thompson et leurs
gagmen. Le grand mérite de De Funès
74
était le perfectionnisme qui le poussait à
l'efficacité. Et à cet égard, il était
stupéfiant. Finalement, il avait mérité sa
réputation et son statut après avoir ramé
pendant tant d'années tout en conservant
ce génie en lui. Personnellement, il m'avait
déjà impressionné dans "La Traversée de
Paris" où il avait un rôle à contre-emploi en
interprétant un épicier minable et
dégueulasse. La scène des égouts fut
tournée aux studios de Boulogne-
Billancourt où le décor entièrement
reconstitué était un modèle d'ingéniosités.
75
Dans le scénario initial, les frères Tabet
avaient imaginé un échange "oecuménique"
entre Méphisto et le kapelmeister au
moment où la barque s'éloignait. Alors que
je regardais le petit groupe fuir en bateau
l'armée allemande, je leur lançais "Dieu
vous garde", ce à quoi Louis de Funès
devait ajouter "c'est un bon diable". A la
première répétition, de Funès fit la moue
et dit à Gérard Oury. "- Non. - Quoi non ?
- Je le sens pas, c'est pas mon truc !"
Oury était la tolérance incarnée, il
n'insista pas. Il se tourna vers Bourvil et
76
lui demanda "André ? ça t'intéresse ?" "Si
tu veux..." répondit Bourvil. La "chose" fut
donc "mise en boîte" à la deuxième prise
avec un gros plan "c'est un bon diiââble"
dans la plus parfaite tradition de ce
"benoit satisfait" où Bourvil excellait.
C'était exact, apaisé et en situation. Et
naturellement drôle. Cependant, pour des
raisons que j'ignore, cela fut coupé au
montage.
Ce film est une totale réussite car il est
beau. Qu'il s'agisse des paysages ou des
acteurs, tout ce qui est filmé y est
77
extraordinaire ! Rien n'est dérangeant ou
vulgaire, même la scène des égouts avec
les péripatéticiennes. Je trouvais que les
dialoguistes du film, les frères Tabet,
avaient trouvé de très bons trucs comme
"y a plus d'hélices hélas c'est là qu'est
l'os". "La Grande vadrouille" est un
monument qui regorge de trouvailles en
situations, en répliques savoureuses, sans
parler de l'esthétique des images et de la
qualité des cadrages.
Louis de Funès était un inventif
extraordinaire qui a créé un personnage
78
nouveau. Les gags visuels qu'il trouvait et
sa vivacité incroyable montrent qu'il était
un génie comique. Mais vous ne pouviez pas
lui demander de faire dans l'émotion forte
comme Bourvil dans "Le Miroir à deux
faces" car cela ne collait pas à son
personnage. C'est vrai que Louis de Funès
était le patron sur les plateaux de
tournages et que c'est plus lui - plutôt que
le réalisateur - qui faisait le film. Mais il
avait raison ! D'ailleurs, la plupart des
metteurs en scène n'ont jamais fait de
carrière comme acteur car il y avait
79
quelque chose qui coinçait dans leur jeu. Et
Oury a fait de bons films justement parce
qu'il avait été comédien avant.
Quant à Gérard Oury, c'était un type
vraiment très charmant avec qui il n'y
avait aucun problème. Nous sommes
d'ailleurs restés très amis. Il savait
parfaitement ce qu'il faisait en faisant
jouer côte à côte ces deux géants du rire
car ils les avaient testés dans "Le
Corniaud". Il savait où ce tamdem
conduirait le film. Et d'ailleurs ce duo
comique - qui a parfaitement fonctionné
80
pendant le tournage - perdure car il n'a
pas perdu un gramme de son efficacité. La
religiosité que plusieurs générations
portent aujourd'hui à ce film est
formidable. Ce n'est d'ailleurs pas
étonnant : lorsque l'on a vu le film, nous
sommes sous le charme car c'est un
comique séduisant, dont quelques scènes
sont irrésistibles. "La Grande Vadrouille"
est un film à la fois tendre, charmant,
délicat, sensible et dégage comme un
enchantement. »
81
Quelques répliques :
Commandant anglais : Where the bloody
hell are we ? (Où diable sommes-nous ?)
Pilote 1 : Right here sir ! [il montre un
trou dans la carte]
Commandant anglais : No seriously, where
are we ?
Pilote 1 : We should be fly on Calais, Sir
(Au dessus de calais, sir)
82
Commandant anglais : Calais ?
[les nuages s'écartent et on aperçoit la
tour Eiffel]
Commandant anglais : Calais...
[Le pilote anglais vient de tomber dans la
fosse aux otaries d'un zoo, le gardien
acours]
Commandant anglais : Hello, elle est froide
ce matin, n'est-il pas ?
Stanislas : Qu'est-ce que vous cherchez ?
Toujours votre anglais ?! C'est pas moi ?!
Commandant allemand: nein.
Stanislas : C'est pas lui ?!
83
Commandant allemand: nein
Stanislas : Venez avec moi, allez venez ! [il
ouvre une armoire] il est pas là ?!
Commandant allemand: Gut [Stanislas en
ouvre une autre] je vois c'est bien.
Stanislas : Tenez venez voir [il ouvre le
piano ] il est pas là ?
[...]
Stanislas : Tenez venez voir par ici, là il
est pas là non ? [il écarte un rideau] bon là
qu'est-ce qu'il y a ? Bon là il est plus là...Et
là regardez, qu'est-ce qu'il y a là ? [il
ouvre le tiroir où il y a le parachute de
84
l'anglais]
Commandant allemand: Permettez ! [il
ouvre un autre tiroir rempli de nourriture]
Arzo, marché noir...
Stanislas : Euh non c'est pour l'entracte,
c'est pour l'entracte, j'ai toujours faim,
alors j'ai l'estomac qui...alors il faut que je
mange. Petites provisions
Commandant Allemand : Grosse filou
Stanislas : Nooooooon, petit filou
Stanislas : If I go to the Turkish Bath, I
risk… I risk énormément
McIntosh : Yes.
85
Stanislas : But, if you, you go out, si vous
sortez, the germans, les allemands, ils
vont vous attraper puis Crrrr, vous allez
parler et moi I risk encore plus
McIntosh : Yes.
Stanislas : Donc I risk on the deux
tableaux.
McIntosh : Yes.
Stanislas : Oui, mais enfin vous dites
toujours yes
McIntosh : Yes.
Stanislas : Ben oui… Alors écoutez : do you
promise me que if I bring ici the Big
86
Moustache, you partez avec lui ?
McIntosh : Yes.
Stanislas : Mais définitivement ?
McIntosh : Yes.
Stanislas : Bon… Alors , I accept to go to
the Turkish Bath, I accept the Big
Moustache, I accept tout.
[la scène se passe avec un accent français
à faire avoir un infarctus à un irlandais]
Augustin : Are you ?
Stanislas : You are ?
Augustin : Happy (enchanté)
Stanislas : Delighted (ravi)
87
[...]
Stanislas : Where is big moustache ?
Augustin : I don't know, and if you don't
know, I don't know.
Stanislas : I don't understand.
Augustin : You, You come with me to pick
up Peter.
Stanislas : Nan, you, you come with me to
pick up Mc Intosh
Augustin : Non, non, non, you ! And if you
don't come, I...ah merde alors comment on
dit ?
Stanislas : Comment ça "merde alors" ?
88
But alors you are french ?!
Augustin : You are not english ?
Stanislas : Non !
Commandant anglais : Gentlemen je suis
big moustaches... J'étais big moustaches,
I had to cut it off, trop dangerous, too
english, trop anglais ! Suivez moi !
Augustin : Il a un bon accent, on peut le
suivre je crois.
Commandant allemand : Parlez ! Allons !
Stanislas : Eh bé, b...bin, i...il, il est b.., il
est..., il est bé....
Commandant allemand : Votre explication
89
ne me suffit pas !
Stanislas : Mais c'est pourtant clair.
Méphisto : C'est la rivière souterraine qui
serpente sous l'opéra.
Augustin : Et ça ressort où ?
Méphisto : D'après Victor Hugo : nulle
part.
Commandant anglais : Mac, look at this
lovely thing over there (Mac, regardez
cette beauté !)
Mac Intosh : The nun, sir ?
Commandant anglais : Bloody fool, the car !
(Non, la voiture !)
90
Augustin : Évidemment, c'est pas des
chaussures pour la marche que vous avez
là.
Stanislas : Puisque vous me le proposez si
gentiment, j'accepte.
Augustin : Quoi ?
Stanislas : Que vous me prêtiez vos
souliers.
Augustin : Bah, vous chaussez du combien
?
Stanislas : C'est du comme vous.
Augustin : Evidement c'est pas des
chaussures pour la marche que vous avez
91
Ah ben dites donc ! ça fait deux fois
qu'vous m'faites ça : vous m'avez dèjà
pris mes chaussures, maint'nant mon vélo !
[Le commandant anglais se fait examiner
par la mère supérieur des hospices où ils
sont cachés]
La mère supérieure : Vous aimez bien tout
ce qui est bon ?!
[Le commandant hoche la tête]
La mère supérieure : C'est trèès mauvais !
[les aviateurs anglais sont caché chez les
malades des soeurs]
Mère supérieure : Dites 33, 33, eh bien ?!
92
[le commandant anglais hésite, la soeur qui
l'a caché lui fait signe que c'est bon]
Commandant anglais : Thirty three !
Mère supérieure : Oui, oui, oui...
La soeur : C'est moi qui ai fait entrer ces
deux urgences, docteur. Celui-ci et l'autre
à coté.
Mère Supérieure : Je ne vois qu'un
remède : changement d'air immédiat.
Mac Intosh : You feel alright, sir ?
Commandant anglais : Yeah, I'm never feel
so good in my life. (Jamais été aussi bien
de ma vie)
93
And we are lucky ! Another cellar ! (Quelle
chance ! Une autre cave !)
Mac Intosh : German, sir !
Commandant anglais : Yeah but the bottles
are french ! (Les bouteilles sont
françaises !)Augustin : En tout cas ils
peuvent me tuer je ne parlerai pas !
Stanislas : Mais moi non plus ! Ils peuvent
vous tuer je ne parlerai pas !
Augustin : Je savais qu'on pouvait compter
sur vous. Commandant allemand : Qui est
ce maréchal !!
Stanislas : Je ne sais plus, parce qu'il
94
m'interrompte tout le temps, y tousse, y
crache, y r'nifle, y tousse, y crache, y
renifle ! Voilà !
Commandant allemand : De moi vous osez
vous foutez ? Je sais qu'il nous manque
deux aviateurs anglais !
Stanislas : Combien ?
Commandant allemand : Deux !
Augustin : Oh ça fait pas tellement...
[le commandant anglais vient de monter
dans une voiture allemande pour s'enfuir,
et Mac Intosh qui ne l'a pas vu crève le
pneu]
95
Commandant anglais : Mac Intosh, why
don't you get back Canada ? (Retournez
donc chez vous, au canada)
(là je suis septique...)
Augustin : Ya pas d'hélice hélas.
Stanislas : C'est là qu'est l'os.
"Tea for two and two for a tea
me and you and you and me for a tea !"
96
Le soir de la première de "La Grande
vadrouille", au cinéma des Ambassadeurs,
à Paris, le producteur Robert Dorfmann,
Gérard Oury et ses deux acteurs fétiches
mettent près de 30 minutes, à la fin du
spectacle, pour remonter les 14 rangs de
fauteuils qui les séparent de la porte de
sortie. Comme le souligne Pierre Billard de
L'Express, "les embrassades affectueuses
dont ils étaient l'objet n'étaient pas
toutes sincères, mais elles étaient toutes
significatives. Le Tout-Cinéma qui, depuis
deux ans, surveillait d'un oeil narquois la
97
préparation de ce hold-up du rire, volait au
secours de la victoire." Le lendemain à 14
heures au même endroit, une file
d'attente de spectateurs dépassant les
quatre-vingt mètres trépigne
d'impatience. Dès sa première semaine
d'exclusivité, le film attire 108 000
spectateurs.
Avec ses 17 267 000 spectateurs, "La
Grande Vadrouille", sorti le 1er décembre
1966, devient numéro 1 au box-office
français. Il faudra attendre 1998, et les
20 millions d'entrées de "Titanic" de
98
James Cameron, pour que le record soit
battu, avant d'être dépassé par
"Bienvenue chez les Ch'tis" de Dany Boon
en avril 2008. Par ailleurs, le film fut
sélectionné dans la catégorie "Nomination
étrangère" aux Oscars du cinéma en
Allemagne en 1967.
Dans un article paru dans L'Express en
décembre 1966, le journaliste Pierre
Billard remarque "un petit énergumène
frénétique d'un mètre soixante-trois".
Selon lui, Louis de Funès a profité du film
"pour se faire la courte échelle à lui-même
99
et s'installer définitivement parmi les
grands de l'humour." Effectivement, à 52
ans et avec plus de 100 films derrière lui,
Louis de Funès arrive enfin à l'apogée de
sa carrière. En pleine possession de ses
moyens, il devient le comédien le plus
convoité du cinéma français. Le journaliste
Jean-Marc Loubier considère "son rôle
dans "La traversée de Paris" comme l'un
de ses plus grands rôles mais bien
évidemment la collaboration avec Oury
reste fondamentale. Il y a véritablement
quelque chose qui s'est passé entre eux,
100
une alchimie, ils se comprenaient et c'est
d'ailleurs Louis qui a amené Oury à faire
du comique."
Fort d'un pareil succès, Oury peut
sereinement envisager un troisième film.
Pourtant, il n'y aura pas dans la foulée une
nouvelle confrontation Bourvil - de Funès.
Certains ont raconté que le Normand
n'aurait pas souhaité tourner
immédiatement avec la nouvelle valeur du
cinéma français, de peur de lui "servir la
soupe". Il est vrai que, en deux années à
peine, de Funès est devenu le comédien
101
préféré de l'hexagone qui enchaînera par
la suite les plus grands succès
commerciaux des années 1960 et 1970.
Bourvil préférera partager l'affiche avec
un autre comédien. Ce sera Jean-Paul
Belmondo, dans "Le Cerveau", réalisé par
Gérard Oury et son équipe habituelle.
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106
107
La Folie des Grandeurs :
Don Salluste (Louis de Funès) est ministre
du roi d'Espagne. C'est un être fourbe,
hypocrite et cupide qui collecte lui-même
les impôts, qu'il détourne en partie à son
profit. Il est détesté par la population
108
qu'il opprime. Accusé par la reine, une
belle princesse bavaroise, d'avoir fait un
enfant illégitime à une de ses dames
d'honneur, il est déchu de ses fonctions et
condamné à se retirer dans un monastère.
Décidé à se venger, il entre en contact
avec son séduisant neveu, César, devenu
brigand, mais ce dernier refusant
d'entrer dans sa machination, il le fait
capturer par ses sbires et l'envoie comme
esclave aux Barbaresques. Il décide alors
d'utiliser pour sa vengeance Blaze, son
valet récemment congédié (Yves Montand)
109
et dont il a découvert les sentiments pour
la reine : il le fera passer pour César et
l'aidera à séduire la reine.
Le jour même de sa présentation à la cour,
Blaze déjoue un attentat ourdi contre le
roi par les Grands d'Espagne. Il s'attire
ainsi les faveurs du couple royal et devient
rapidement ministre. Suivant de loin
l'évolution de la situation, Salluste
découvre que les Grands ont décidé de se
venger de Blaze, ce qui risque de faire
capoter sa machination. De son côté,
Blaze, à la suite d'une méprise, déclare sa
110
flamme non pas à la reine mais à son
acariâtre duègne (Alice Sapritch) dont
l'appétence sexuelle est ainsi attisée. La
situation se complique encore avec le
retour du vrai César, échappé des
Barbaresques...
Anecdotes autour du tournage :
En novembre 1960, Gérard Oury se voit
proposer de jouer Don Salluste dans "Ruy
Blas" de Victor Hugo, à la Comédie-
Française. L'atmosphère n'est pas des
plus agréables. Robert Hirsch quitte la
pièce une semaine avant la première à la
111
suite de désaccords violents avec le
metteur en scène, et en rend Oury
responsable dans la presse. Les deux
acteurs vont jusqu'à en venir aux mains
dans l'enceinte de la grande maison !
Jean Piat remplace Hirsch dans le rôle de
Don César. Malgré ces tensions, il vient à
Gérard Oury une grande idée. "À chaque
représentation, pendant l'acte II dont je
ne suis pas, ou tandis que mort j'attends
de me relever, je pense qu'on pourrait
faire de ce drame une irrésistible comédie
: quiproquos valet-maître, maître déguisé
112
en laquais, duègne folingue, Barbaresques
chez lesquels Salluste expédie son cousin
César, maison truquée, reine d'Espagne
somme toute complètement idiote. Et ce
Salluste, pourquoi toujours le faire jouer
en troisième couteau ? Moi, je le
distribuerais à un acteur comique, Louis
De Funès par exemple. Je sais, il est
inconnu mais il a du génie, on s'en
apercevra bientôt."
Il lancera De Funès cinq ans plus tard avec
Le Corniaud en l'associant à Bourvil. Le
duo est reformé pour La Grande Vadrouille
113
pendant le tournage duquel Oury lui parle
de son idée de parodie de "Ruy Blas". Le
projet est lancé (avec Alain Poiré comme
producteur à la Gaumont) mais ne sera
annoncé qu'en 1970, sous le titre Les
Sombres Héros. Oury écrit le scénario
avec Marcel Jullian et sa fille Danièle
Thompson. Chacun a en tête le mauvais
état de santé de Bourvil, qui parvient tout
de même à tourner Le Mur de l'Atlantique
et Le Cercle rouge, mais personne ne voit
arriver le drame. Le 23 septembre, Oury
apprend sa disparition alors qu'il est à
114
New York pour fignoler le script avec sa
fille. Le choc est immense. L'homme vient
de perdre un ami et le metteur en scène
doit renoncer à son film...
Une semaine plus tard, Gérard Oury se
rend à une soirée mondaine à Paris.
"Soudain, je tombe nez à nez avec Simone
Signoret. " Tu ne vas pas bien, j'imagine ?
" me dit-elle. (…) " Par qui comptes-tu
remplacer Bourvil ? " Je réponds que le
film ne se fera sans doute pas parce que
personne n'est capable de jouer le rôle. "
Lui ! " fait-elle alors, pointant l'index vers
115
quelqu'un derrière moi. Je me retourne et
découvre Montand, dos à nous, en
conversation avec Michel Auclair. Je dois
avoir l'air stupéfait. " Si tu réécris le rôle
en l'orientant un peu différemment et si
j'ai pigé le sens de ton histoire, seul
Montand peut éventuellement faire couple
avec De Funès. " " Ce dernier, qui pensait
se retirer du projet, est ravi par cette
idée et Alain Poiré y voit un duo en or.
Mais si l'interprète de Z a déjà tourné
deux comédies (Le Milliardaire et Le
Diable par la queue), il ne s'est encore
116
jamais frotté au burlesque, et il hésite. Il
téléphone alors à Jean Gabin pour lui
demander conseil, comme le raconte la
fille de ce dernier, Florence Moncorgé.
"Mon père, pragmatique, lui posa la
question : " Combien on te donne ? " " Une
somme assez conséquente... " " Alors, dis
oui tout de suite. " "
Mais en décembre, Yves Montand prévient
Oury que si Franco fait condamner à mort
les seize nationalistes de l'ETA jugés
(pour la première fois en public) à Burgos,
il ne se rendra pas en Espagne... Le
117
cinéaste sait que son acteur restera fidèle
à ses engagements politiques. A la
Gaumont, on fulmine mais que faire sinon
attendre l'issue du procès ? Le 28
décembre, six condamnations à mort sont
prononcées et les autres écopent de plus
de cinq cents ans de prison. Deux jours
jours plus tard, sous la pression
internationale, le Caudillo gracie les
Basques et transforme les peines en
années de prison. Yves Montand peut donc
se rendre en Espagne.
Le tournage de La Folie des grandeurs
118
(désormais son titre définitif) débute le
19 avril 1971 à Almeria, au sud de
l'Andalousie. "Quand Montand débarqua en
compagnie de Louis De Funès, se souvient
le régisseur Jean Pieuchot, les reporters
se précipitèrent d'abord vers lui car
L'Aveu de Costa-Gavras obtenait un grand
succès à Madrid. Chacun le harcela de
questions au point que De Funès, qui
parlait couramment espagnol, eut lieu de
se sentir négligé. Je suivais la scène avec
attention et le vis, pâle et silencieux,
abandonné par la presse, s'asseoir dans un
119
coin avec son épouse ulcérée. Je me
disposais à intervenir, mais Yves Montand
avait pris conscience de la situation et me
devança. Habilement, il amena les
journalistes à son partenaire et ami en le
prenant par le bras pour le mettre face
aux caméras. L'équilibre était rétabli."
Sur place, deux autres films sont en
tournage : Soleil rouge de Terence Young
et Adios Sabata de Gianfranco Parolini.
Dans le seul hôtel luxueux d'Almeria,
l'équipe d'Oury croise ainsi Alain Delon,
Charles Bronson, Ursula Andress et Yul
120
Brynner. "Dès la sortie du parking, raconte
l'assistant Jean-Claude Sussfeld, une
multitude de flèches de couleurs
différentes, plantées au sol, ou
accrochées à des poteaux, indiquent la
direction des autres tournages. " Ce qui
n'empêche pas un matin Alain Poiré de
confondre le symbole du soleil rouge du
film du même nom avec celui de la Gaumont
et de se retrouver en plein western dans
un rio éloigné...
La région d'Almeria a beau être
désertique, et avoir pour cela attiré des
121
cinéastes comme David Lean ou Sergio
Leone, le climat est exceptionnellement...
pluvieux ! Impossible dans ce cas de
tourner. L'herbe s'est même mise à
pousser dans le sable et il faut engager
des équipes pour désherber le désert !
Avec du retard, l'équipe se rend ensuite à
Grenade. "Il y faisait un froid de canard !
se souvient Poiré. Les habitants disaient
n'avoir pas vu un temps pareil depuis
cinquante ans. Nous avions planté des
fleurs artificielles - en mai ! - dans les
célèbres parterres de l'Alhambra pour
122
donner un air de gaieté à notre Espagne
transie. " Le film se poursuit à Madrid où
des scènes doivent se tourner dans les
salles du palais de San Lorenzo de El
Escorial. " Mais quand nous fûmes sur
place, raconte le décorateur Georges
Wakhevitch, l'autorisation ne nous fut pas
donné. Nous avons donc été contraints
d'en construire des répliques à échelle
plus réduite sur les plateaux de Madrid et
de Paris. De même, l'impossibilité de
tourner dans de vieilles rues, nous obligea
à édifier tout un complexe de places, de
123
ruelles et de patios." L'ambiance entre les
deux stars est très bonne, l'alchimie a
pris. Ils s'isolent parfois dans un coin du
plateau et viennent ensuite faire des
propositions à leur réalisateur qui "achète"
ou pas. Mais les deux hommes n'ont pas le
même tempérament devant la caméra et
Oury se retrouve avec le même problème
qu'avec le duo Bourvil-De Funès. "Yves
Montand est un acteur très raisonné, qui
apporte à son métier une qualité de travail
exemplaire, explique le producteur Alain
Poiré. (…) Comme pour Michel Simon, trop
124
recommencer les prises lui était un
supplice. Inversement, Louis De Funès
était retenu par une sorte de pudeur, que
Gérard le forçait à surmonter en le
poussant, en l'excitant comme un boxeur.
Impossible de prévoir quand allait se
déclencher cette forme de folie - la
création est toujours une folie - qui le
faisait se dépasser et faire des choses
imprévues, insensées et irrésistibles. Le
pauvre Montand, à refaire dix, douze, dix-
huit fois la même chose, devenait fou ! Il
lui a fallu une bonne dose de patience, de
125
considération pour son partenaire et de
conscience professionnel pour l'endurer !"
Alice Sapritch (qui vient de jouer la
femme de De Funès dans Sur un arbre
perché) interprète Doña Juana, la duègne
convaincue que Don César est amoureux
d'elle. Sa scène de strip-tease devant
Yves Montand, si elle deviendra
mémorable, lui a demandé beaucoup de
travail. Oury l'a confiée à Alain Bernardin,
le patron du Crazy Horse Saloon, qui lui a
donné comme professeur une "spécialiste",
Sophia Palladium. La scène est tournée à
126
Madrid le 26 mai. "Sapritch danse, roule
des yeux énamourés, se déloque devant un
Montand dont l'expression terrifiée met
en valeur le travail d'Alice. Mais quand
arrive le petit coup de cul que la duègne
doit donner vers l'arrière, c'est la panne.
Sapritch, si je peux me permettre, a
perdu la main ! On s'acharne en vain. Je ne
fais ni une ni deux. La production
téléphone à Paris et Sophia Palladium
rapplique par le premier avion.
L'effeuilleuse enfile la culotte à frou-
frous et je filme en gros plan le petit
127
derrière de Sophia Palladium se
déhanchant en cadence au son du blues de
Polnareff. Il y a certes une différence de
gabarit entre le menu fessier de la jeune
Sophia et l'arrière-train plus conséquent
de notre chère Alice, mais une fois le plan
monté, une chatte n'y reconnaîtrait pas
ses petits !"
Le film sort en décembre et attire cinq
millions et demi de spectateurs, soit
autant que Le Cerveau. Ce qui n'empêche
pas la Gaumont d'être un peu déçue...
128
Clément Michu se souvient du tournage :
- Vous tournez aussi dans "La Folie des
Grandeurs", quels souvenirs gardez-vous
de ce premier vrai face à face avec Louis ?
- J'avais une très bonne scène mais celle-
ci a été coupée au montage. Cela m'avait
d'ailleurs rendu triste puisque peu de
temps après le tournage, je rencontre la
monteuse du film lors d'un voyage en avion
qui m'aborde et me dit "Clément nous
venons de visionner ta scène avec Louis et
Yves, qu'est ce que nous avons ris avec
129
Gérard !" Et lors du visionnage je me suis
aperçu qu'elle avait été coupée, Oury est
venu s'en expliquer : "J'ai plus de deux
heures de pellicules j'ai dû faire beaucoup
de coupes". Finalement on ne me voit que
dans cette courte scène où j'annonce la
reine en bégayant face à De Funès.
- Quelle était exactement cette scène
coupée ?
- Il s'agissait d'une scène de nuit dans
laquelle je me levais, me déplaçais avec un
130
chandelier et où je surprenais De Funès et
Montand dans une pièce. Je me rappelle
qu'Oury me disait "Fais attention de ne
pas trop faire rire, Louis n'aime pas ça !".
Cela m'avait d'ailleurs posé un peu
problème lors de notre scène commune
des "Aventures de Rabbi Jacob" où je
jouais un flic complètement abruti. Je ne
savais vraiment pas si je devais faire rire
ou non j'étais perdu face à lui.
- Comment se déroulait un tournage avec
Oury ?
131
- Il était très pointilleux, assez
autoritaire et exigeant. Mais il avait en
même temps beaucoup d'humour et il était
rempli d'humanité et de gentillesse. Il
veillait constamment à vous prendre dans
un coin du décor pour essayer de discuter
avec vous du rôle et tenter de l'améliorer.
Il arrivait avec un plan de travail très
abouti et il est d'ailleurs dommage que
tous ses films n'aient pas connus le même
succès car certains étaient aussi forts !
Concernant le tournage de "La Folie des
Grandeurs" je me rappelle que Montand
132
avait été particulièrement charmant avec
moi. Il me répétait toujours " Ca va fils ?
". En définitive tous les tournages se sont
bien déroulés.
Gérard Oury parle de la Folie des
Grandeurs :
Il y a longtemps que vous vouliez tourner
La folie des grandeurs ?
Gérard Oury Exact après Le corniaud j'ai
longuement hésité puis pour des tas de
raisons, je me suis décidé pour -La Grande
Vadrouille mais l'ai toujours eu envie de
faire ce film qui se passe en Espagne au
133
XVIIème siècle.
MAO. Quoi do neuf, par rapport à vos
trois précédents films comiques ?
Gérard Oury. Ce qui est nouveau, c'est la
beauté et l’élégance du film qui demeure
bien entendu amusant et drôle. D'autre
part le film no manque pas de sérieux
puisqu'il s'inspire de nombreux thèmes
dont les racines plongent dans ce que
notre paye possède de trésors, disons de
théâtre classique. Dans le personnage que
joue Louis de Funès, Il y u un peu
d'Harpagon, un peu de Salluste de Ruy
134
Blas, et même un côté démiurge comme le
professeur Higgins dans Pygmalion. Le
personnage d'Yves Montand est à mi-
chemin entre Ruy Blas et le valet de
Comédie classique. Ce qui m'a intéressé ce
n'était ni de foire une parodie ou un
pastiche mois de recréer des personnages
forts. Montand est un anti héros, tendre
et bon à qui il arrive une aventure
fantastique. Louis de Funès joue un
personnage intégralement noir et méchant,
mais il n'est pas pour autant antipathique.
C’est cette complicité antagoniste qui
135
m'enchante pour l'action.
HAD De cette antagonisme nait le comique
Gérard Oury C'est comme l'étincelle do
deux pierres qui se cognant car je ne crois
pas aux sujets comiques, mais aux sujets
dramatiques qui deviennent comiques par
ces éléments de contradiction D'ailleurs,
on pourrait refaire tous mes films
comiques en les traitant dramatiquement
HAD Tournez-vous dans un climat comique
Gérard Oury Oh non... Je vis dans un état
de terreur... D'ailleurs je fais des films
comiques dans un état d'anxiété
136
permanent : je tremble pendant que
j'écris le film... et ca dure deux ans: même
chose tout au long de la préparation, le
tournage c'est l'angoisse, le montage,
c'est le doute, est-ce que ca va être drôle
Ne vaudrait-il pas mieux couper ce gag.
On ne peut pas se rendre compte de
l’impacte du comique avant que le public ne
le ratifie.
Une fois le film sorti, même si le film
démarre très fort dès les premiers jours,
je ne commence à être rassurer qu'au
bout de deux à trois semaines.
137
HAD. Cette angoisse permanente est-elle
le secret de votre réussite ?
Gérard Oury Absolument car car l’angoisse
c'est la contestation, et non seulement en
moi, mais aussi de la part d'un certain
nombre de collaborateurs très intimes que
je conserve depuis mes débuts et qui
n'hésitent pas à me dire franchement ce
qu'ils pensent.
Rien n'est plus dangereux que la
conception monolithique du metteur en
scène ou de l'auteur de films. Pendant des
mois et des mois, nous remettons tout en
138
question pour La folie des Grandeurs j'ai
recommencé onze fois. de là découle le
scénario, non la perfection, mais une
certaine garantie de la qualité.
HAD. A la sortie de chacun de vos films,
un certain public vous attend au tournant
Gérard Oury C’est la raison pour laquelle
j'ai décide de ne pas faire de « Première »
Je me suis rendu compte qu'il est tout a
fait inutile de réunir près de 850 invités
parmi lesquels il y a seulement une
centaine d'amis qui souhaitent
sincèrement que le film marche.
139
HAD- N’avez-vous pas l'impression que
l'on vous prend moins au sérieux que
certains réalisateurs qui présentent leurs
films dans tous les Festivals et qui font un
cinéma dit « difficile? »
Gérard Ourv Ça, je m'en fous
complètement. Je pense que tout se juge
sur longueur, pas sur deux ou trois ans
Il y a une chose qui m'a fait très plaisir,
c'est ce que m'a dit Yves Montand qui
tourne souvent avec ces réalisateurs, on
peu aimer ou ne pas aimer - La folie des
grandeurs -mais j'interdis a qui que ce soit
140
de dire que c'est un cinéma facile.
Yves s'est rendu compte au tournage que
les difficultés de cette forme de cinéma
étalent gigantesques par rapport à ce que
moi et la je ne prends pas l'offensive,
j'appelle un cinéma « très facile » C'est
enfantin de faire n'importe quoi, ca
s'adresse soit à des snobs, sait à des gens
sensibles au climat que certains
réalisateurs sont habiles à créer sur la
presse, mais jamais sur le public, car lui.
on ne le trompe pas.
Apres la sortie du - Corniaud - j'ai reçu
141
une lettre très touchante de Truffaut me
disant que lorsque des millions de gens se
précipitent pour voir un film, c'est qu'en
fin de compte quelque chose se passait et
que c'était ça le cinéma.
Quelques répliques :
Don Salluste : Cette année la récolte a été
très mauvaise alors il faut payer le double
! Les impôts, tout ça, c'est pour le roi.
Un propriétaire taxé : Mais Don Salluste,
nos gens sont terriblement pauvres...
Don Salluste : C'est normal ! Les pauvres
c'est fait pour être très pauvres et les
142
riches très riches.
Don Salluste : Tout ça c'est pour le roi.
[il prend une carafe en argent]
Ca c'est pour moi.
[il prend une coupe en argent]
Ca c'est pour moi.
[il prend une carafe en argent]
Ca c'est pour moi.
[il prend une coupe en or]
Ca c'est pour moi.
Don Salluste : Les épices, l'impôt sur
l'épice ça va être pour qui ? Ca va pas être
pour Salluste ? Si ça va être pour Salluste.
143
Non, c'est pour le roi. Ah non ! Laissez-moi
faire !
[il vide le sac de pièces dans son coffre]
Mais alors la Taille c'est pour qui ? C'est
pour le roi ?
Non, c'est pour Salluste... Voleur ! Non pas
voleur ! C'est pour Salluste, voilà !
[il vide le sac de pièces dans son coffre]
Don Salluste : Y a pas assez de mousse.
Blaze : Y a pas assez de cheveux non plus.
Don Salluste : Et maintenant Blaze,
flattez-moi !
Blaze : Monseigneur est le plus grand de
144
tous les grands d'Espagne.
Don Salluste : C'est pas une flatterie ça :
c'est vrai !
Blaze : C'est l'or. Il est l'or. L'or de se
réveiller. Monseignor. Il est huit or.
Wouigigougigougi.
Don Salluste : Il en manque une !
Blaze : Vous êtes sor ?
Don Salluste : Tout à fait sor !
Blaze : Ca alors !
Don Salluste : Qu'est-ce que je vais
devenir ? Je suis ministre... je ne sais rien
faire !
145
Don Salluste : Tu connais César ?
Le borgne : Le bandit ?
Don Salluste : Le bandit ! César !
Le borgne : Oui.
Don Salluste : Il faut que tu me mettes la
main dessus.
Le borgne : Personne ne l'a vu depuis dix
ans, c'est pas avec un oeil...
Don Salluste : On voit très bien avec un
oeil.
[il cache son oeil gauche et ne voit plus que
la moitié du borgne]
146
Don Salluste : Oui, t'as raison on voit pas
très bien. Enfin, quand t'auras trouvé la
première moitié, l'autre moitié sera pas
loin...
Don Salluste : Oh! Quelle destinée! Vous
n'êtes pas beau, elle est belle. Vous n'avez
pas un sou, elle est très riche. Vous êtes
idiot, elle aussi. Vous êtes un valet, c'est
la Reine !
Don Salluste : Mais c'est ignoble chez
vous ! Comment peut-on vivre dans un
gourbis pareil ?
Blaze : C'est ici que monseigneur loge son
147
personnel.
Don Salluste : Oh ! C'est joli. C'est très
joli ! Vous êtes bien ici ! Hein ?
Don Salluste : Et mentir ? Vous savez
mentir ? A la cour c'est très utile. Dites-
moi un gros mensonge que je voie si je vous
crois ou si je ne vous crois pas. Mais un
gros hein ! PAF ! Allez !
Blaze : Eh bien hier matin, dans les
basques du costume vert de monseigneur,
j'ai trouvé 300.000 ducas.
Don Salluste : HEIN ?! Où sont-ils ?
Blaze : Sous ma paillasse.
148
[il retourne toute la paillasse mais ne
trouve rien]
Don Salluste : Voleur ! voleur ! Vous
m'avez volé !
Blaze : Non monseigneur ! Je vous ai
menti.[Blaze bouscule quelqu'un]
Blaze : Excusez-moi
Don Salluste : Ne vous excusez pas, ce
sont les pauvres qui s'excusent. Quand on
est riche, on est désagréable !Les grands
d'Espagne : Un pour tous ! Chacun pour soi
!Le chambellan : Vous vous retirerez au
couvent de San Ignacio où vous ferez
149
voeux de chasteté... et de pauvreté
Don Salluste : Oh non ! Pas de pauvreté !
Sire...
Don Salluste : Votre petite bombe tout à
l'heure, elle était très mal réglée, elle a
pété beaucoup trop tôt. mimimi pif. tandis
que ma bombe à moi, ma grande bombe là-
bas, elle explosera beaucoup plus tard
mais quand ça pétera, ça fera un scandale
épouvantable.
Le Grand : Je ne comprends pas
Don Salluste : Ca ne fait rien. Hop aux
barbaresques !
150
Don Salluste : Le muet ! Le muet ! LE
MUET ! Et il est sourd en plus !Don
Salluste : Je vous écoute !
[Le muet commence à faire des signes]
Don Salluste : Non vous parlez trop vite !
Répétez !
[Le muet recommence ses signes en
faisant des grands gestes]
Don Salluste : Mais criez pas comme ça, je
suis pas sourd !
La Reine : César, Küssen Sie mich.
César : Qu'est-ce qu'elle dit ?Don
Salluste : Eh ben en tout cas, on ne va pas
151
moisir ici. J'ai un petit plan pour tous nous
évader. Nous rentrons à Madrid, nous
conspirons, le Roi répudie la Reine, la
vieille épouse le perroquet, César devient
Roi, je l'épouse et me voilà Reine !
Del Basto : Mais vous, qu'est-ce que vous
faites donc ici mon cher César ?
Don Salluste : Mais il s'appelle pas César,
il s'appelle Blaze.
Blaze : Eh bien le Roi m'a dit : vous avez le
choix, ou vous épousez Doña Juana, ou
c'est les barbaresques.
Les Grands : Et alors ?
152
Blaze : Alors c'est les barbaresques !
Alberto Mendoza se souvient :
« Avant tout, je dois vous dire que autant
Louis de Funès que son épouse, avec
lesquels j'ai partagé beaucoup de moments
pendant le tournage de "La Folie des
Grandeurs", étaient deux êtres
charmants, pleins de tendresse et
d'amitié, qualités peu courantes chez les
personnes de ce milieu. Pendant le
tournage, j'ai eu l'occasion de fonder une
chaleureuse amitié avec Louis car nous
parlions beaucoup de notre profession.
153
Un souvenir qui me revient est le suivant :
tandis que nous tournions en extérieurs à
Grenade, Louis de Funès et Yves Montand,
un autre de mes grands amis dans le
milieu, emmenaient tous les deux leurs
cuisines roulantes et leurs propres
cuisiniers pour leur préparer les repas
qu'ils aimaient. Au cours des trois mois de
tournage qui se déroulèrent à différents
endroits en Espagne et à Paris, l'heure du
déjeuner fut pour moi "une sympathique
torture", puisque tous les deux,
154
séparément, me faisaient savoir qu'ils
m'attendaient pour déjeuner et voulaient
choisir les plats que je préférais. Et par
conséquent, pour ne pas gâcher leur si
grande gentillesse et ces gestes d'amitié,
je me voyais obligé de déjeuner deux fois,
avec l'un puis avec l'autre.
Malheureusement pour moi, je mange
toujours très peu lorsque je tourne ! Voici
pourquoi ces déjeuners étaient "ma
torture".
Au-delà de cette anecdote amusante, je
dois dire que j'ai énormément ressenti la
155
disparition de ces deux amis, parce que les
rapports que nous avions, tant en studio
que hors plateau, ont été pour moi une
grande expérience professionnelle et
personnelle. Je peux vous assurer que ces
deux acteurs ont été, sont et seront une
fierté pour le cinéma français.
156
À Brooklyn, le vénéré Rabbi Jacob et son
secrétaire Samuel sont en route pour
l'aéroport JFK afin de se rendre à Paris
pour la Bar Mitzvah du jeune David
Schmoll. Au même moment, en France,
l'industriel Victor Pivert, personnage au
caractère vif et aux idées assez
157
traditionnelles qui se prépare à marier sa
fille Antoinette au fils d'un général,
rentre de week-end. Mais ce vendredi
soir, alors qu'il rentre sur la capitale avec
son chauffeur Salomon, dont il découvre
avec stupeur qu'il est juif, il est victime
d'une sortie de route. Resté seul après
avoir congédié son employé qui refusait de
travailler durant le Shabbat, Victor Pivert
s'en va chercher de l'aide, et aboutit dans
une usine de chewing-gum. Il y assiste
inopinément à un règlement de comptes
entre les membres d'une police d'État
158
d'un pays identifié comme « arabe » et un
dissident politique, Mohammed Larbi
Slimane, que ces derniers veulent éliminer.
Slimane parvenant alors à s'échapper
entraîne, malgré lui dans sa cavale, Victor
Pivert devenu son « otage » et qui se
retrouve de surcroît aussi bien recherché
par la police française, dont l'enquête a
été confiée au commissaire Andréani, que
par la police secrète du pays arabe menée
par le sinistre Farès. Slimane doit
impérativement rentrer dans son pays
pour y mener la révolution. Les deux
159
hommes se retrouvent ainsi à l'aéroport
d'Orly mais Farès et ses sbires les
retrouvent. Afin de s'échapper, ils
usurpent l'identité de deux rabbins
hassidiques tout juste débarqués de New
York. Confondus par la famille Schmoll
venue chercher le vénéré rabbin, ils sont
alors entraînés, malgré eux, dans une
cérémonie juive rue des Rosiers, dans le
Pletzl à Paris, au cours de laquelle Victor,
devenu donc « Rabbi Jacob », tombe nez à
nez avec son ex-chauffeur Salomon …
160
André Falcon se souvient :
« Je n'ai eu qu'un rôle épisodique dans
"Les Aventures de Rabbi Jacob" (ndlr:
celui du ministre) mais je me souviens de
Louis de Funès comme un homme
absolument adorable, exigeant, minutieux
et très professionnel. J'ai pour lui une
admiration pure et j'ai été très honoré de
pouvoir travailler à ses côtés. Ce fut notre
toute première rencontre et même si nous
n'avons pas eu de grands contacts, Louis
fût charmant. Il était déjà précédé d'une
réputation de grande gentillesse et
161
d'autres acteurs comme Christian Marin
avec qui il a beaucoup tourné pourront le
confirmer. Je me rappelle de Louis comme
étant plutôt décontracté avant une prise.
Certains le disaient nerveux mais cela
varie, je pense, en fonction des scènes.
Louis mettait une très grande intensité
dans son jeu, il faisait tout à fond et cela
se voit de manière flagrante pour la scène
de la danse. C'est d'ailleurs cette
intensité qui l'a tué ! "Ce qui compte, c'est
la sincérité" disait-il. Par la suite, après
son infarctus, ça m'a fait énormément de
162
peine de le voir affaibli dans "L'Aile ou La
Cuisse". Il avait commencé sa carrière
tard. Et Louis est parti trop tôt. Sa mort
m'a bouleversé. Je connaissais en
revanche depuis longtemps Gérard Oury
puisque j'ai joué "Ruy Blas" où il
interprétait Don Salluste. C'était un type
formidable qui connaissait son métier à
fond et qui avait un grand respect pour
Louis. "Les Aventures de Rabbi Jacob",
c'était une énorme machine qu'il a conduit
de main de maître. Son immense succès
m'a profondément réjoui. »
163
Un second rôle Philippe Brigaud se
souvient :
- M. Brigaud vous avez joué aux côté de
Louis de Funès dans deux films, "Les
Aventures de Rabbi Jacob" et "La
Zizanie", quelles étaient vos relations avec
lui ?
- Elles étaient très cordiales. C'était un
homme très gentil, très aimable mais aussi
extrêmement préoccupé par son travail. Il
était d'une grande précision dans son jeu,
dans le plan. Je me rappelle aussi de
164
quelqu'un d'anxieux, il n'était pas très
drôle dans le travail car très concentré.
- Quelle était l'ambiance sur le plateau de
"Rabbi Jacob" ?
- C'était une grosse production, quelque
chose d'énorme. Dans ce film je n'ai pas
de scènes avec lui, je n'ai donc fait que le
croiser, l'apercevoir de loin. La scène
finale de l'hélicoptère dans laquelle je
joue avec André Falcon nous a demandé
beaucoup de temps. Nous avons tourné
165
dans la Cour des Invalides puis aussi dans
un aéroport à proximité de Paris.
- Vous n'étiez pas impressionné de donner
la réplique à un homme de cette envergure
?
- Non pas du tout, vous savez c'était un
homme aimable, il n'était pas
impressionnant. Il ne fallait simplement
pas le déranger dans ce qu'il faisait. Ce
n'était pas le genre d'homme à venir
raconter des histoires drôles entre les
166
prises. Je me souviens d'ailleurs, à propos
de son perfectionnisme, de la scène ou il
joue au billard dans "La Zizanie" : il avait
répété longtemps ses gestes, tout était
calculé. C'était très intéressant de le
regarder faire tout cela.
- Justement pour cette scène, y a t-il eu
beaucoup d'improvisations ?
- Pas tellement. Vous savez il était très
précis. Même si ce n'était pas lui qui
dirigeait toute la mise en scène, il savait
167
ce qu'il voulait et il l'imposait.
- La complicité Oury/De Funès était
certainement évidente sur le plateau de
"Rabbi Jacob" ?
- Oui bien sûr. A la base, Oury était
comédien et je l'avais connu en jouant
avec lui. C'était un réalisateur très
attentif aux acteurs, il avait une vraie
façon de les diriger. Il savait ce qu'il
voulait, à la réplique près et même au son
près en quelque sorte ! Il respectait
168
énormément Louis de Funès.
- Vous qui l'avez connu coup sur coup,
avant et après sa maladie, le rythme du
plateau avait-il changé ?
- Non cela n'avait pas changé.
Les anecdotes :
Le 6 octobre 1973, deux semaines avant la
sortie du film, commençait au Proche-
Orient la guerre du Kippour entre Israël
et les pays arabes voisins.
169
La célèbre séquence dans l'usine de
chewing-gum a connu un incident notable :
Dans la nuit, la cuve remplie du liquide
composé de levure chimique a débordé et
le produit s'est répandu dans tout le
studio. Le lendemain, à sa grande surprise,
l'équipe du film a dû tout nettoyer, et
refabriquer le produit, ce qui explique que
dans cette séquence, la couleur du
chewing-gum n'est pas la même entre
chaque plan (vert clair puis vert foncé).
Rémy Julienne a réglé l'une des cascades
les plus compliquées de sa carrière dans
170
laquelle la DS de Pivert évite un gros poids
lourd, sort de route et tombe dans un lac.
Il était accompagné par une équipe qui se
trouvait sous l'eau dans le lac pour
empêcher la voiture de couler.
Le film compte plus de 2000 plans.
La scène du mariage au début du film a été
tournée devant l'église de Montjavoult
dans l'Oise.
La rue des Rosiers, cœur du vieux quartier
juif du Marais à Paris, où ont lieu plusieurs
des scènes les plus mémorables du film
(notamment la fameuse danse hassidique)
171
a été reconstituée à Saint-Denis.
Le film est la principale référence
qu'utilise Jean-Paul Rakover, le héros du
roman Le livre de Joseph de Bernard Dan
pour se composer une identité juive.
C'est le dernier film du duo Gérard Oury -
Louis de Funès. Ils devaient se retrouver
en 1975 pour Le Crocodile. Ce dernier
devait jouer le rôle d'un dictateur sud-
américain, le colonel Crochet. Mais, peu de
temps avant le début du tournage, Louis de
Funès dut abandonner le projet, à la suite
de deux infarctus.
172
Le jour de la sortie du film, le 18 octobre
1973, Danielle Cravenne, la femme de
Georges Cravenne, le publicitaire du film,
détourne le vol Air France Paris-Nice.
Fragile psychologiquement, elle menace de
détruire le Boeing 727 si le long métrage,
dont elle juge la sortie intolérable au vu de
la situation internationale et qu'elle
considère « anti-palestinien » n'est pas
interdit. Armée d'une carabine 22 long
rifle et d'un faux pistolet, la jeune femme
accepte que l'avion se pose à Marignane
pour ravitaillement avant de repartir vers
173
Le Caire. Sur place, au cours d'un échange
de coups de feu, Danielle Cravenne est
atteinte à la tête et à la poitrine. Elle
décédera dans l'ambulance qui l'évacuait
vers une clinique.
L'enlèvement de Slimane dans un café
parisien (Les Deux Magots) est inspiré de
l'enlèvement de l'homme politique
marocain Mehdi Ben Barka devant la
brasserie Lipp en 1965. L'un des
protagonistes de l'affaire s'appelait
«Benslimane».
Marcel Dalio (né Israel Moshe Blauschild),
174
l'interprète de Rabbi Jacob, avait dû fuir
Paris en 1940, car son portrait figurait sur
des affiches nazies censées représenter
le « Juif typique ».
Marcel Dalio qui n'aimait pas Gérard Oury
l'appelait « The thief of bad gags » (le
voleur de mauvaises plaisanteries), jeu de
mots sur le titre du film "The Thief of
Bagdad" (Le Voleur de Baghdad), et
sobriquet déjà utilisé à plusieurs reprises
aux États-Unis pour désigner des
comiques ayant volé quelques répliques à
leurs confrères.
175
Marcel Dalio, qui dans ce film joue le rôle
titre d'un rabbin qui chante J'irai revoir
ma Normandie dans le taxi qui l'amène à
l'aéroport de New York, avait fait une
prestation comparable dans Le monocle rit
jaune, où il tenait le rôle d'un "honorable
correspondant" juif qui chantait aussi
J'irai revoir ma Normandie.
Ce film se classe en tête du box-office
durant l'année 1973 avec plus de 7 millions
de spectateurs en salles.
Le tournage s'est déroulé environ 8
semaines de Mars à Juillet 1973, en
176
dehors des extérieurs, aux studios de
Billancourt.
Une comédie musicale inspirée du film a
été jouée à partir de septembre 2008 ; la
musique est par ailleurs réalisée avec le
musicien MC Solaar.
Ce film, empruntant au vaudeville ses
grosses ficelles, dans le comique de
situation comme dans l'emboîtement des
intrigues, offre des scènes d'anthologie,
comme la fameuse danse hassidique, mais
aussi des moments plus profonds, comme
la bénédiction que David, le jeune Juif,
177
reçoit du faux Rabbi Jacob (sauf que la
formule employée "je te bénis David" est
tout à fait fantaisiste. Il aurait dû utiliser
la formule biblique Nombres 6,24-26 "Que
l’Éternel te bénisse..."), ou la poignée de
mains entre Salomon et Slimane (en toute
connaissance de cause, cette fois-ci). De
même, toujours dans la partie qui se
déroule rue des Rosiers, le salut du faux
Rabbi Jacob aux familles présentes, où
une gaffe est reprise de main de maître.
Rabbi Jacob est dans le cinéma français
une des plus fameuses illustrations de
178
l'humour juif. La scène de la moto, où
Slimane et Victor Pivert, déguisés en juifs
hassidiques, traversent en trombe la rue
de Rivoli pour rejoindre les Invalides est
une des scènes les plus connues du cinéma
français. La musique entraînante et
jubilatoire de Cosma y est pour beaucoup.
Cette séquence contient néanmoins un
faux raccord puisque la moto passe
d'abord devant la Samaritaine puis devant
l'Hôtel de ville de Paris alors que
géographiquement l'Hôtel de Ville est
avant la Samaritaine...
179
Quelques répliques :
[Dans un p'tit village français, devant la
mairie a lieu un mariage. Pivert s'approche
d'un policier pour lui dire :]
Pivert : Vous avez vu la mariée ?
Le policier : Oui.
Pivert : Elle est noire ! Elle est même pas
café-au-lait, elle est noire. Et lui, il est
blanc.
Pivert : Vous avez vu Salomon, ils ont des
voitures maintenant ! Héhéhé, ils ont des
Rolls Blanches, les noirs !
Salomon : En tout cas c'est pas à Monsieur
180
que ça risquerait d'arriver...Monsieur est
peut-être un peu raciste !
Pivert : Quoi donc ?
Salomon : Que Mademoiselle épouse un
noir !
Pivert : Qu'est-ce que ça veut dire ça ?
Salomon : Que Monsieur est peut-être un
peu raciste !
Pivert : Raciste ? Moi, raciste ? Salomon !
Raciste ? Enfin Dieu merci, Antoinette
épouse un français bien blanc, bien blanc !
Il est même un peu pâlot, vous ne trouvez
pas ? Avec ses p'tits boutons...
181
Salomon : Et son cheveux sur la langue.
Pivert : Il a un cheveu, mais il est riche !
Riche comme moi et catholique comme
tout le monde !
Salomon : Pas comme tout le monde,
Monsieur, parce que moi, par exemple, je
suis Juif.
Pivert : Vous êtes Juif ! Comment,
Salomon, vous êtes Juif ? Salomon est
Juif ! Oh !
Salomon : Et mon oncle Jacob qui arrive de
New York, il est Rabbin !
Pivert : Mais il est pas Juif ?
182
Pivert : Ecoutez, vous faites comme
d'habitude : vous promettez tout, et moi,
je ne donne rien.
[Slimane a été enlevé par Farrès et est
séquestré dans une usine de chewing-gum,
le Yankee. Pivert est derrière la porte et
il entend la défense de Slimane.]
Slimane : La révolution est comme une
bicyclette : quand elle n'avance pas, elle
tombe.
Pivert : Eddie Merckx.
Un garde armé [qui répond à travers la
porte] : Non, Che Guevarra.
183
Pivert : Mais alors, tout le monde est
contre vous !
Slimane : Non, le peuple est avec moi ! Et
on ne peut pas mentir éternellement au
peuple !
Pivert : Mais si on peut ! On peut très bien
! Moi, à mon usine, je lui mens toute la
journée, au peuple ! hihi ! Il aime qu'on lui
mente, le peuple !
[Pivert, dans la voiture avec Slimane, fait
des grimaces à deux policiers en espérant
attirer leur attention. Un des deux
policiers s'approche.]
184
Le policier : C'est de mon collègue ou de
moi que vous vous foutez ?
Pivert : Ah, des deux... Je me fous des
deux !
Pivert [déguisé en Rabbi Jacob] : Qu'est-
ce que je vais leur dire, à tous ces gens-là
? Ils vont me poser des questions !
Slimane : Faites comme eux : Quand on
pose une question à juif, il répond toujours
par une autre question. Ça lui donne le
temps de réfléchir à la question !
Pivert : Ah bon !?!
[Pivert vient d'apercevoir dans la foule
185
Salomon, l'employé qu'il vient de virer.]
Pivert [déguisé en Rabbi Jacob] : C'est
mon chauffir, il m'a reconnu, qu'est-ce que
je vais fire ?Salomon [qui a reconnu Pivert,
son employeur, sous le costume de Rabbi
Jacob. il monte sur une échelle] : Moi, je
n'ai qu'une question à vous poser : Mon
patron m'a flanqué à la porte parce que je
refusais de travailler le samedi. Qu'est-ce
que vous feriez à ma place ?
Pivert : Demande-lui de te réengager, il té
dira woui ! Demand-lui de té augmenter, il
te dira woui!
186
Salomon : De me doubler ?
Pivert : Il te dira woui !
Salomon : De me tripler ?
Pivert : Il... Il te dira non !
Esther : Silônce, silônce ! Rabbi Jacob, el
va danser !
[Pivert est au téléphone avec Farès, qui se
fait passer pour le commissaire.] Pivert
déguisé en Rabbi Jacob
Pivert : Ecoutez, je connais les tueurs.
Vous allez pouvoir coffre toute la Smala !
Leur chef s'appelle Farès !
Farès : Ah oui ?
187
Pivert : Alors, je vous donne son
signalement : gros huileux frisotté avec
des petits yeux cruels qui passent au
travers de ses lunettes noires !
Farès : Une vraie tête d'assassin !
Pivert : Voilà ! Je suis à l'étoile de Kiev.
[Le magasinier apparaît derrière le
comptoir où il téléphone. Pivert prend un
accent juif.] Ça est à une restaurant
Delicatessen, Rie des Rosiers numéro Wit,
vite !
Le magasinier : Shalum, Rabbi !
Pivert : Shalum, mon fils !
188
Farès : Shalum !
Pivert : Shalum pas vous, Shalum lui ! Oh !
Alors, vous demandez Rabbi Jacob et
Rabbi Jacob, c'est moi !
Pivert : Ça alors, c'était Farès ? C'est
effarant !
Henri Guybet se souvient :
- M. Guybet, pouvez vous nous décrire vos
relations avec Louis de Funès ?
- Elles étaient très bonnes, il n'y a jamais
eu de problèmes. Il était très sympa
malgré la réputation fausse que certains
189
ont pu lui faire ! Avec moi, il a été
adorable, charmant, souvent blagueur. Nos
rapports sont restés courtois, je le
vouvoyais et c'était très bien, nous nous
sommes merveilleusement bien entendu. La
chose la plus remarquable dont je me suis
aperçu était qu'il jouait avec ses
partenaires. On sentait que c'était un
homme du cabaret et du théâtre !
- C'est à cette époque que vous l'avez
connu ?
190
- Oui, je l'avais simplement découvert
comme spectateur auparavant (rires) ! Et
je dois dire que j'ai été très agréablement
surpris !
- Est-ce vrai qu'Oury, lorsqu'il vous a
convoqué, vous a demandé tout d'abord si
vous étiez juif ?
- Oui c'est exact, c'est la première chose
qu'il m'a dit ! Je suis rentré dans son
bureau et sa première question fût "Est-
ce que vous êtes juif ?" et je lui ai répondu
191
"Non mais ça peut s'arranger !" (rires)
D'ailleurs pour ce rôle, je dois à un
moment prononcer quelques mots en
hébreux et j'ai travaillé avec un rabbin
afin qu'il m'aide à les dire correctement !
- Quelle était l'ambiance sur le plateau ?
- C'était un film à très gros budget, une
véritable machine et par conséquent, il y
avait beaucoup de boulot ! L'ambiance
était toutefois sympathique même si ce
n'était pas la franche rigolade comme sur
192
les films de Lautner mais tout était
cordial ! De plus, je tournais avec des gens
que j'admirais quand j'étais tout gamin
comme Dalio ou Suzy Delair !
- Comment était Louis de Funès avant une
scène, tendu, décontracté ?
- Vous savez, au cinéma, il y a deux
catégories d'acteurs : ceux qui sont
contents lorsque l'on dit "Moteur" et ceux
qui sont ravis quand on leur dit "coupez".
De Funès appartenait à la première
193
catégorie, il aimait jouer. Pour ce genre
d'acteurs, une fois sur scène, le trac qu'ils
ont eu auparavant se transforme en un
vrai plaisir ! Par contre je me rappelle que
Oury nous faisait faire 10 à 15 prises !
Vous savez, il était malin Oury, il avait
compris que Louis, malgré le fait qu'il était
déjà excellent dès la première prise,
pouvait encore s'améliorer au fur et à
mesure jusqu'à faire du sur-de Funès !
Etre comédien, c'est la faculté à être un
personnage. De Funès était comme les
grands acteurs tels que Mondy, il partait
194
tout de suite !
- Louis était-il accessible entre les prises
- Ah, là vous posez une question très
intéressante, Louis avait un problème avec
ça. Il était très discret et les gens
s'attendaient à une grimace lorsqu'ils le
rencontraient alors forcemment ça le
dérangeait ! Dans la vie, il s'occupait de
ses fleurs, de son jardin, il ne pouvait pas
toujours être le même qu'à l'écran, il
menait une vie privée paisible !
195
- Et concernant la scène mythique de la
voiture ; "Comment Salomon vous êtes juif
?" quels souvenirs ?
- Cette scène, Oury me l'avait faite
auditionner dans son bureau. Je me
souviens que, lors des répétitions, juste
avant de la tourner, nous l'avions un peu
peu modifiée, il y a eu quelques
improvisations. Nous l'avons tournée
rapidement, il n' y a pas eu beaucoup de
prises !
196
- Il y a donc eu beaucoup d'improvisations
tout au long du tournage ?
- Non, pas avec Oury. Il n'y avait que
quelques petites improvisations mais
c'était surtout en répétitions, après dès
que la prise commençait, on jouait le texte
à la virgule près ! Tout avait été calé
d'avance en fait. Oury avait un grand sens
de la précision.
- Il y avait donc une grande complicité
entre Oury et de Funès...
197
- Oh oui, ils se connaissaient très bien, ils
avaient joué ensemble par le passé car
Oury a été acteur. Il est ensuite passé
réalisateur et il a parfois employé de
Funès pour de petits rôles. A cette
époque, Oury faisait surtout des films
dramatiques et c'est de Funès qui lui a
suggéré de passer au comique ! Il y avait
une vieille camaraderie entre eux. Mais
vous savez, sur ce film j'avais un rôle
formidable et j'étais surtout très attentif
a mon personnage pour faire le meilleur
boulot.
198
- Dans quel état d'esprit se place t on
pour donner la réplique à de Funès ?
- Je savais ce que certains disaient de lui,
qu'il était chiant, emmerdeur, qu'il allait
me mettre à dos et qu'il couperait tout au
montage. Du coup, je me suis dit : "si on lui
fait toutes ces critiques, c'est qu'il
possède beaucoup de qualités" (rires) !
Alors j'ai pensé "on verra bien". Ma
première rencontre avec lui à été très
simple, il m'a dit "Bonjour, enchanté", on
s'est croisé au maquillage puis après nous
199
avons directement attaqué nos répliques.
Sur le plateau, il s'est passé quelque chose
d'extraordinaire : Lorsque l'on donne la
réplique à une personne que l'on ne connaît
pas, on sait, dès la première phrase, si ça
va marcher entre nous ou pas. Avec Louis,
j'ai tout de suite vu que tout fonctionnait
bien, donc notre amitié, si l'on peut parler
d'amitié, s'est surtout développée au
niveau du jeu. Nous avions plaisir à nous
donner la réplique.
- Et Louis était à l'aise avec les autres
200
comédiens de la distribution ?
- Oh oui, l'ambiance était vraiment bonne.
Je me rappelle de Dalio, qui était
formidable, il faisait partie de ses acteurs
qui avaient eu de très bons rôles avant la
guerre notamment avec Renoir et qui avait
par la suite fuit aux Etats-Unis en raison
de ses origines juives. Il a fait une bonne
carrière là bas, avec beaucoup de
figuration et m'a dit qu'il jouait la plupart
du temps des rôles de curés mexicains
(rires) ! Claude Giraud était très bon aussi
201
et à mon avis, le cinéma français ne l'a pas
assez employé ! C'est exactement le genre
d'acteur que j'aurais aimé être (rires), un
peu comme Marielle ! J'ai une très grande
estime pour Giraud, nous avons toujours eu
des rapports très cordiaux. Suzy Delair
était un petit peu râleuse, mais moi je
l'aimais bien, elle me faisait rire !
- Et concernant la fameuse scène de la
danse hassidique ?
- Louis l'a répété pendant trois semaines
202
en studio. Il était un très grand
perfectionniste et de plus c'était un
excellent musicien, cela l'a vraiment aidé !
Il était vraiment bosseur. Ils ont tourné
cette scène pendant 2 jours, il y a eu
beaucoup de prises car elle était très
complexe !
- Quel a été votre sentiment lorsque vous
avez revu "Les Aventures de Rabbi Jacob"
en public au Grand Rex en 2008 ?
- Ce fut un très bon moment car c'était
203
agréable de constater que les gens se
marrent toujours avec ce film. Et puis j'ai
pris beaucoup de plaisir en revoyant Suzy
Delair - une grande comédienne que
j'admirais lorsque j'étais jeune - et des
copains qui figuraient aussi dans la
distribution. Les comédiens de cinéma ont
une chance incroyable, ils peuvent revoir
de petits instants de leur vie grâce à ces
films, qui ravivent des souvenirs. Les
images sont même plus précises que les
souvenirs qui paraissent parfois lointains
et confus.
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