le prophète du nord t iii

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Troisième ouvrage d'une série en cinq volumes

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SWÉDENBORG III

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Lausanne. - Imprimeries Réunies S. A.

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CHARLES BYSE

III

COURS SEPT A NEUF

7. Admirateurs de Swédenborg. Prooès en hérésie.

8. Pionniers et Fondateurs de la Nouvelle Eglise.

9. La Rédemption.

Jésus est Dieu; mais c'est lui qui. né pour être Dieu, s'est fait Dieu.

CHARLES SECRETAN.

LAUSANNE LÉON MARTINET ÉDITEUR

3 7 rue de Bourg et chez l'auteur, Valentin 23

PARIS, LIBRAIRIE FISCHBACHER

Tous droits reservé$.

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Ru Vétéran èJe la nouvelle Eglise

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presièJent

of tl)e International SweèJenborg Congress.

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PRÉFACE

Ce troisième volume sui vra de près les précédents, qui ont paru à cinq ou six mois d'intervalle. Il re­produit textuellement dix leçons faites, presque toutes, dans une salle de l'Académie de Commerce, du 15 novembre 19'11 au 13 décembre et du 24 jan­vier 1912 au 21 février. Elles se répartissen t en trois cours, qui portent les No, 7, 8 et 9. En voici les su­jets, avec quelques mots d'explication :

Les deux leçons du septième cours sont consacrées aux Admirateurs de Swédenborg et au Procès en héré­sie intenté à ses premiers partisans. J'ai voulu mon­trer que la grandeur de mon héros a été reconnue, dans le cours du XIX· siècle, par un certain nombre d'écrivains éminents, poètes ou prosateurs, et j'ai pris plaisir à citer leurs témoignages, qui surpren­dront certainement mes lecteurs. C'était le meilleur moyen de me couvrir moi-même. De divers côtés, on m'a trouvé singulier de me prendre d'enthousiasme pour celni que j'ai désigné comme « le Prophète du Nord » : on verra que l'exemple m'en était donné depuis longtemps par des intelligences d'élite. Les citations que je ferai auront, en outre, l'avantage de relever ce qui, dans la personnalité et les écrits de

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Swédenborg, a particulièrement saisi chacun de ses admirateurs.

Quant au procès en hérésie, j'ai cru devoir reve­nir sur cet incident et le raconter avec quelque dé­tail, attendu qu'il occupe une place importante dans la carrière du Voyant suédois. Ses péripéties et son dénouement mettent à nu d'une part la violente op­position du clergé aux doctrines nouvelles, d'autre part la bienveillance éclairée du roi pour le Réfor­mateur, d'accord avec la Providence divine.

Le huitième cours, en trois leçons, a également un caractère historique et fait suite à la biographie de Swédenborg. Il raconte ce qu'après la disparition du maitre ses disciples ont fait en divers pays: comment ils ont travaillé à répandre ses livres et son esprit, à réformer les chrétiens et la société. Intitulé Pion­niers et Fondateurs de la Nouvelle Eglise, il traite un sujet dont notre public ne sait rien et qui pourtant mérite l'attention. Il s'agit en effet d'hommes coura­geux qui, malgré leur petit nombre, ont fait de per­sévérants efforts et des sacrifices de tout genre pour propager leurs convictions, ouvrir un culte public et augmenter leur influence par l'association.

On trouve là de beaux exemples de travail opiniâ­tre et désintéressé, de générosité financière et d'hé­roïsme modeste, comme on y voit, hélas J la supers­tition se mêler à la vérité pour en entraver la mar­che, et le désir de plaire au monde empêcher des œuvres naissantes de se constituer d'une façon défi­nitive. En somme, en dépit de l'indifférence univer­selle et de l'hostilité de certains milieux, la petite

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semence jetée en terre par quelques mains fidèles prend racine ici et là, s'y développe lentement, et devient un grand arbre où les oiseaux du ciel cher­chent un refuge. Un pareil spectacle est encoura­geant pour la foi et démontre la puissance du vrai.

Enfin le neuvième cours, en cinq séances, traite une matière vaste et difficile, la Rédemption. Com­pris de bien des manières, ce vieux problème reçoit de Swédenborg une solution originale, inattendue, qui contient sans doute des éléments mystiques, in­contrôlables, mais qui nous paraît supérieure à toutes les autres tant au point de vue scripturaire qu'au point de vue de la conscience et de la raison. Cette doctrine de la Rédemption, ou de l'œuvre accomplie par Jésus-Christ pour le salut des hom­mes, forme le centre de la théologie de notre auteur et se décompose en plusieurs questions intéressantes pour l'àme religieuse. Toutes ces questions sont élu­cidées dans un sens digne de notre époque, c'est-à­dire à l'honneur de la miséricorde et de la sagesse de Dieu, à l'honneur aussi de la créature morale, qui reste maîtresse de son sort.

A propos de ce troisième volume, je tiens à décla­rer que ce qui m'attire le plus dans les œuvres d'Em­manuel Swédenborg, ce ne sont pas ses visions, ses extases, ses rapports avec les esprits et les anges, ses Relations mémorables; ce sont bien plutôt ses idées théologiques et philosophiques, c'est sa doc­trine, son système. Voilà ce que je tiens surtout à présenter aux lecteurs de langue française; car j'y vois une grande lumière, dont ils me semblent avoir

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besoin. Quant aux éléments merveilleux qui capti­vent les uns, mais qui choquent les autres, je les mets à l'arrière-plan.

Si j'ai commencé l'exposé des vues du théosophe scandinave par le Ciel, le Monde des Esprits et l'En­fer, c'est parce que le livre où il en parle est le plus élémentaire, le plus compréhensible et le plus cé­lèbre de tous ceux qu'il a publiés. Mais je ne songe point à demander à tous, notamment aux penseurs accoutumés à la méthode scientifique, d'accepter d'emblée comme des réalités objectives toutes les descriptions qui nous sont faites de l'autre monde.

Il me suffit qu'ils envisagent tout d'abord ces des­criptions comme les imaginations d'un homme de génie, à la fois savant encyclopédique et chrétien remarquablement spirituel. En regardant sous cet angle les récits incriminés, ils y découvriront, je m'assure, mainte notion qui les frappera par sa vrai­semblance, sa profondeur et sa nouveauté. Suppo­sons maintenant que le système dans son ensemble finisse par leur paraître soutenable, quelles que soient leurs objections à l'égard de certains détails: ils pourront alors se demander si Swédenborg a réel­lement vu et entendu ce qu'il rapporte, ou s'il a été pendant vingt-sept ans victime de la plus surpre­nante des hallucinations. Au surplus, ils auront compris depuis longtemps que c'est en esprit, et non par ses sens corporels, que notre auteur croit avoir communiqué avec les habitants de l'Au·delà.

Quoique les spirites aient eu des précurseurs dès l'antiquité la plus reculée, ils n'existaient pas comme

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tels au dix-huitième siècle; ils se réclament néan­moins du prince des théosophes comme de leur an­cêtre, non sans avoir quelques arguments à produire en faveur de cette prétention. Voilà pourquoi J'ai tenu à jeter un coup d'œil sur le Spiritisme et à montrer comment Swédenborg le jugerait; cela res­sort, en effet, des conseils qu'il a donnés à ceux qu i désiraient entrer en relation consciente avec les dé­sincarnés. Son système permet seul, pensons-nous, de se prononcer sur la valeur des manifestations spirites, en restant à distance égale d'une incrédu­lité méthodique et d'une confiance aveugle.

CHARLES BVSE.

Lausanne, Valentin 23, ce 2 avril! 912.

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SEPTIÈME COURS

Admirateurs de Swédenborg.

Prooès en hérésie.

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PREMIÈRE LEÇON

Admirateurs de Swédenborg.

Swédenborg admiré au dix-neuvième siècle par d'éminents esprits. Anglet~rre : Coleridge., Carlyle, Robertson, etc. Etats-Unis: Emerson, Beecher, William James, etc. Alle­magne: Gœthe, Christian Baur. Suède: Frédérika Brémer, Aug. Strindberg. France: George Sand, 1VI. l\fatter, Ho­noré de Balzac.

Procès en hérésie.

Réveil de l'intolérance. Le Dr Beyer rencontre S'wédenborg. Il est introduit ùans la société des anges. Le Dr Rosen et lui répandent la nouvelle doctrine. Un procès leur est intenté. Ses phases. Swédenborg y est impliqué. Conduite équivoque, mais bienveillante du roi. Plaintes et apologie du Voyant. Son avis SUI' l'autorité suprême en matière de foi. Résultat du procès. Mort du maître et des deux disciples.

Admirateurs de Swédenborg.

Si Swédenborg était, il y a vingt ans encore, pres­que totalement inconnu dans notre pays, - que dis­je? dans tous les pays de langue française, - il n'en a pas moins été, au conrs du dix-neuvième siècle, fort admiré par beaucoup d'éminents esprits: ce qui légitime l'enthousiasme, exagéré selon quelques-uns, que j'ai conçu pour lui. Permettez-moi de commen­cer ce cours en transcrivant, du moins en partie, ces témoignages spontanés d'admiration venant de con­trées fort différentes: l'Angleterre, l'Amérique du

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Nord, l'Allemagne, la Suède et la France. Je pren­drai chacun de ces pays à part, et j'aurai naturelle­ment à traduire les citations empruntées aux écri­vains anglais et allemands.

Angleterre.

SAMUEL TAYLOR COLERIDGE. A propos de l'Eco­nomie du Règne animal:« Je ne me rappelle rien de supérieur chez lord Bacon; peu de passages y sont égaux à ce livre soit en profondeur de pensée et quant à l'importance des vérités exprimées, soit en richesse, en dignité et en bonheur de diction. »

Coleridge disait que, s'il avait à écrire un traité de logique, il emprunterait des exemples aux ouvrages de Swédenborg, tant il les estimait parfaits comme chaines de raisonnement.

Le même poète et penseur dit encore: «. J'ai sou­vent songé à composer un livre intitulé: Défense des gr'ands hommes injustement attaqués, et dans ces moments-là les noms qui se présentaient les pre­miers à mon œil spirituel étaient Giordano Bruno, Jacob Bôhme, Bénédict Spinoza et Emmanuel Swé­denborg. J'avoue que l'origine de la théorie swéden­borgienne est un problème; cependant, qu'on se prononce pour l'une ou l'autre des trois hypothèses possibles, - j'entends possibles pour des gentlemen, des hommes cultivés et des chrétiens, - il ne fau­drait jamais oublier que le mérite et la valeur du système de Swédenborg ne dépendent qu'à un degré très secondaire d'aucune de ces trois théories ...

» Ainsi, même avec une connaissance très partielle

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des œuvres de Swédenborg, je puis sans crainte affirmer que, comme naturaliste, psychologue et théologien, il a des droits solides et variés à la gra­titude et à l'admiration de ceux qui étudient ces sciences et la philosophie. »

• • • THOMAS CARLYLE. «J'ai fait quelque connaissance

personnelle avec cet homme, lu plusieurs de ses livres, les biographies de lui dont j'ai pu entendre parler; j'ai réfléchi par moi-même sur la singulière apparition qu'il fait dans ce monde et sur le notable message qu'il était, en ce temps-là, chargé d'appor­ter à ses frères en humanité. C'était, sans contesta­tion possible, un homme de vaste culture, une forte tête de mathématicien, avec la disposition d'esprit la plus pieuse, la plus séraphique; un homme splen­dide, aimable et tragique à la fois, ayant dans son cerveau beaucoup d'idées qui, lorsque je les inter­prète à mon usage, me semblent appartenir à ce qu'il y a de haut et d'éternel dans la pensée hu-maloe. »

* * • FRÉDÉRIC W. ROBERTSON, célèbre pasteur de

Brighton. « Swédenborg fut un homme de grand génie. Dans quelques passages de ses écrits il y a évidemment des éclairs d'intuition géniale illumi­nant des textes bibliques. Il y a surtout une grande vérité qu'il parait avoir saisie: le fait de la Divine Humanité considérée comme le seul objet possible du culte de l'homme. Il a en outre identifié Jésus-

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Christ avec cet objet. J'ai senti depuis longtemps la vérité de la première de ces assertions, et je suis de plus en plus certain de la vérité de la seconde. Seul un Dieu humain, et aucun autre, doit être adoré par les hommes.

» Voici une autre pensée de Swédenborg qui s'ac­corde également avec mon crédo, quoique je ne sache pas l'avoir jamais tirée d'ailleurs que de mes propres réflexions: Le sexe est un fait permanent dans la nature humaine. Les hommes sont hommes et les femmes sont femmes dans les cieux les plus élevés comme sur notre terre. »

Etats-Unis.

HIRAM POWERS, sculpteur fameux surtout par son Esclave grecque. « Je suis un membre de la Nouvelle Eglise, un Swédenborgien, un Néo-Jérusalémite, sans réserve aucune, et je désire qu'on le sache. J'ai toujours désiré qu'on le sût. Swédenborg est mon auteur; tous les autres écrivains me font l'effet de se mouvoir dans les ténèbres, u ne petite bougie à la main, tâtonnant pour trouver leur route, tandis qu'il marche lui-même à la pleine lumière du soleil. »

.. .. .. JULIAN HAWTHORNE. « Le secret de la nature hu­

maine est tout entier dans ses livres ... Si vous allez à Swédenborg dans l'intention de vous rendre maître de son plan, il vous faut le faire avec la perspective de passer le reste de votre vie à ce travail, et même alors vous laisserez inachevées plusieurs de ses

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esquisses. Il demeure auprès de vous et change votre nature même, pourvu que vous le lui permettiez. » .. .. ..

EDW ARD EVERETT HALE. « Le swédenborgianisme a fait l'œuvre libératrice du siècle dernier. La vague que Swédenborg a soulevée dure jusqu'à ce jour. Les constatations de ses ouvrages religieux ont révolu­tionné la théologie. " .. * ..

Le D' JAMES FREEMAN CLARKE. « Emmanuel Swé­denborg est devenu l'organe d'une nouvelle philoso­phie spirituelle, dont le pouvoir est à peine compris de nos jours, mais qui semble devoir pénétrer toute la pensée religieuse et transformer toutes les théo­logies arbitraires en rationalisme spirituel. Swéden­borg n'est pas sorti du christianisme pour chercher cette conception; comme George Fox et John Wesley, il l'a trouvée en Christ. »

.. .. *

RALPH W ALDO EMERSON, dont la femme était swédenborgienne, a placé Swédenborg au nombre de ses Representative Men, ou hommes-types, avec Platon, Shakespeare et Napoléon 1er• « Le plus re­marquable pas dans l'histoire religieuse des temps modernes est celui qui a été fait par le génie de Swédenborg. »

« Swédenborg avait un vaste génie et il annonça beaucoup de choses vraies et admirables ... Ces véri­tés, passant de son système dans la circulation gé-

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nérale, se rencontrent à présent chaque jour, modi­fiant les vues et les crédos de toutes les Eglises, même des hommes hors de toute Eglise. Tous nous reconnaissons, je pense, qu'il se fait une révolution dans les esprits. "

« L'âme humaine est toujours en perplexité, de­mandant l'intelligence, demandant la sainteté, im­patiente également lorsqu'elle trouve l'une sans l'au­tre ... Emmanuel SWédenborg, - qui fut un vision­naire aux yeux de ses contemporains, - a vécu sans aucun doute la vie la plus réelle de tous ceux qui étaient alors dans le monde. Et maintenant que les rois et les ducs ... de cette époque sont tombés dans l'oubli, il commence à pénétrer dans l'esprit de mil­liers de gens. Comme il arrive aux grands hommes, par la variété et la puissance de ses facultés il sem­blait être un composé de plusieurs personnes, pareil à ces fruits géants qui mûrissent dans les jardins par l'union de quatre ou cinq fleurs simples. "

« Le génie qui devait faire entrer dans la science de son siècle une science beaucoup plus subtile, dé­passer les limites de l'espace et du temps, s'aventu­rer dans le mystérieux royaume des esprits, tenter d'établir dans le monde une religion nouvelle, com­mença ses études dans les carrières et les forges, au milieu des creusets et du métal fondu, dans les chan­tiers de navires et les salles de dissection. Il n'est peut-être pas un seul individu qui soit capable de juger les mérites de ses œuvres sur tant de sujets divers ... Il paraît avoir anticipé dans une grande mesure la science du dix-neuvième siècle. »

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" Sa magnifique spéculation su r la nature et les arts, comme du haut d'une tour, sans jamais perdre de vue la contexture et la suite des choses, réalise presque la description qu'il a faite, dans ses Princi­pia, de l'intégrité originelle de l'homme ... Un des mastodontes et des mammouths de la littérature, il ne saurait être mesuré par des collèges entiers d'érudits ordinaires. Sa prestance majestueuse ferait sauter les robes d'une université. Nos livres sont faux en étant fragmentaires. »

« Mais Swédenborg est systématique, et chacune de ses phrases concerne le monde entiel'; ses facul­tés agissent avec une ponctualité astronomique, et son admirable style est pur de toute impertinence et de tout égoïsme.

» Ses vues favorites furent nommées par 1 ui la doctrine des Formes, la doctrine des Séries et des Degrés, la doctrine de l'Influx, la doctrine de la Correspondance. Son exposé de ces doctrines mérite d'être étudié dans ses livres, que tout homme ne peut pas lire, mais qui récompenseront celui qui le peut ... Ses écrits seraient une bibliothèque suffi­sante pour un lecteur solitaire et athlétique, et J'Economie du Règne animal est un de ces livres qui, par la dignité soutenue de la pensée, sont un honnelll' pour la race humaine." Le Règne aninUtI est une œuvre d'un merveilleux mérite. Il fut com­posé dans le but le plus élevé: réconcilier la science et l'âme, longtemps séparées l'une de l'autre. »

« C'était une conviction de Platon, de van Hel­mont, de Pascal, de SWédenborg, que la piété est une

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condition essentielle de la science, que les grandes pensées viennent du cœur. Le génie de Swédenborg fut de percevoir la doctrine que le Seigneur influe dans l'esprit des anges et des hommes. »

« Esprit colossal, il devance de loin son siècle. Ses contemporains ne le comprennent pas; pour le me­surer, il faut être placé à une distance considérable de lui. Comme Aristote, Bacon, Selden, Humboldt, il démontre la possibilité d'un savoir immense, d'une quasi toute· présence de l'âme humaine dans la na­ture. »

Enfin Emerson met Swédenborg au même rang qu'Homère, Dante, Shakespeare et Gœthe; il en fait un des « inflétrissables pétales. qui composent la fleur parfaite de l'humanité.

* * * HENRV WARD BEECHER, le grand prédicateur de

Brooklyn, dont Mrs. Beecher Stowe, l'auteur de la Case de l'oncle Tom, était la sœur.

a Nul ne peut connaître la théologie du dix·neu· vième siècle, s'il n'a pas lu Swédenborg. »

* * * PHILLIPS BROOKS. « J'éprouve le plus profond res·

pect pour le caractère et l'œuvre d'Emmanuel Swé­denborg. J'ai de temps en temps tÜ'é grand profit de ses écrits. Il est impossible de parler brièvement d'un aussi grand sujet ... Oui, dans un sens véritable, nous sommes tous membres de la Nouvelle Eglise, ayant une nouvelle lumière, de nouveaux espoirs et une nouvelle communion avec Dieu en Christ. »

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* * * L'ÉVÉQUE JEAN VINCENT, chancelier de l'Univer­

sité de Chautauqua. « Dans les premiers temps de mon ministére, j'ai consacré bien du temps à l'étude des ouvrages de Swédenborg. Ses enseignements ont beaucoup fait pour spiritualiser la pensée religieuse de la chrétienté. ')

* * * HENRY JAMES, auteur de Substance and Shadow.

« Emmanuel Swédenborg avait l'intelligence la plus saine et la plus étendue que notre âge ait connue .•

WILLIAM JAMES, son fils, professeur à l'Université de Harvard. Il passe pour le plus grand psychologue de son siècle. « Je comprends qu'on fasse de Swé­denborg son homme; mais il faudrait pouvoir lui consaCl'er sa vie 1. »

* * * Dr THÉODORE MUNGER. « L'enseignement swéden­

bOl'gien est le mouvement le plus indépendant qui se rencontre dans l'histoire de la théologie. »

* * * Le RÉv. HÉBER NEWTON. «Depuis le temps de

Jésus jusqu'à nos jours il n'y a eu que peu de déve­loppement, s'il y en a eu, dans la foi à l'immortalité ... La première conception réellement nouvelle du ca­ractère de l'immortalité donnée au monde pendant

1 W. James adressa cette parole à M. Frank Abauzit, traducteur de ron Expériene~ religieuse. à. propos des études favorites de l'auteur de ce cours.

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dix-huit siècles vint par le grand savant, philosophe et théologien de Suède, Emmanuel Swédenborg, qui mourut en 1772. Sa pensée, quelles qu'en fussent les sources, fut révolutionnaire. Il reconstruisit toute l'idée de l'Au-delà. Pour la première fois depuis dix­huit cents ans, - on pourrait presque dire pour la première fois dans l'histoire de l'h umanité, -l'autre monde prit des formes saines et sensibles, devint rationnel et concevable, naturel et nécessaire. La pensée de Swédenborg a pénétré lentement les grandes Eglises de la chrétienté dans le monde occidental, et sous son influence la conception tra­ditionnelle de l'immortalité a changé sans qu'on s'en aperçût. Une floraison vraiment nouvelle s'étend aujourd'hui devant nos yeux, floraison absolument sans parallèle dans l'histoire du christianisme. »

* * * LYMAN ABBoTT. « L'Eglise de la Nouvelle Jérusa­

lem, appelée populairement swédenborgienne, d'a­près son fondateur, a réintroduit dans la théologie chrétienne plusieurs des meilleurs éléments de l'Orientalisme. Je veux dire qu'elle a insisté avec une nouvelle force sur la réalité de la vie spiri­tuelle, présenté une conception plus spirituelle du corps et de l'âme, demandé qu'on lût la Bible comme une révélation spirituelle, non comme un livre de lois extérieures, enfin déclaré avec énergie que le salut consiste dans la formation du carac­tère, qu'il n'y a pas et ne peut y avoir d'autre salut.»

Or « l'Orientalisme, - selon Lyman Abbott, - re-

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lève la réalité des choses spirituelles et montre leurs corollaires. »

« La nouvelle théologie, - ajoute-t-il, - obtenan t, par un réveil de l'Orientalisme, une conception plus spirituelle de l'enseignement du Nouveau Testa­ment, fait usage de l'Eglise et de la Bible comme d'instruments pour créer dans le cœur des hommes du dix-neuvième siècle la même vie spirituelle qui animait le cœur des patriarches et des prophètes des temps anciens. »

Allemagne.

GŒTHE, qui vécut jusqu'en 1832, a possédé les Arcanes célestes en latin et un autre ouvrage de notre auteur, traduit en allemand, très probable­ment Le Ciel et l'Enfer. Il a beaucoup profité des livres de Swédenborg pour son drame de Faust, surtout pour la première partie. Ce qu·il dit d'un univers spirituel, du macrocosme et du micro­cosme, ainsi que beaucoup de détails de cette pièce merveilleuse, vient du théosophe suédois, qu'il nomme « le respecté Voyant de notre époque i » et ailleurs « le savant penseur qui était à la fois natu­raliste et théologien 2 ». Sans doute il en agissait très librement à l'égard de Swédenborg. Il lui em­pruntait plutôt des conceptions poétiques et gran­dioses, originales et frappantes, que des doctrines religieuses; mais ce système, si complet et si nou­veau, fit certainement sur son intelligence ouverte

! Den gewü1'diyten Seher ullserer Zeiten. 2 []nd det· gele/u·te deukende Theoloy ulld Wellkulldigtw.

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et réceptive une impression profonde, et il en tira des inspirations jusqu'à son extrême vieillesse.

Dans une lettre qu'il écrivit à Lavater nous lisons ces mots: GO Je suis plus enclin que personne à croire qu'il existe encore un monde en dehors du monde visible, et je possède assez de force poétique et vitale pour sentir mon propre Moi, si borné, s'étendre jus­qu'à devenir un univers d'esprits comme celui de Swédenborg. »

Les renseignements qui précèdent me sont fournis par un article important que le lieutenant-colonel Pochhammer m'a envoyé de Berlin avec cette dédi­cace : « A l'avocat de Swédenborg, hommage de l'a­vocat de Dante. » Cet article, intitulé Swédenborg dans le Faust, et dont l'auteur est Max Morris, con­clut par les lignes suivantes:

« Deux Allemands ont assuré au Visionnaire sué­dois, - proprement au Voyant d'esprits', - une espèce d'immortalité. Celui que Kant a jugé digne d'un pamphlet humoristique et dont les pensées sont devenues un morceau de Faust, celui-là vit pour l'espace de temps qu'à la manière humaine nous appelons l'éternité. »

* * * Le Dr CHRISTIAN BAUR, chef de la fameuse Ecole

de Tubingue, qui s'est efforcée de prouver que l'histoire évangélique était un mythe. « Swédenborg est le plus grand mortel qui ait jamais existé. » Ce ' n'est pas moi qui le dis, c'est Baur. Après cela il

t Dem ,chwedù;chen Gei,derseh~)·.

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faut tirer l'échelle 1 Ce jugement exalté a d'autant plus de poids qu'il provient du critique le plus impitoyable qu'ait produit la raisonneuse Alle­magne.

Suède.

FRÉDÉRIKA BRÉMER, dont les romans pittoresques ont eu beaucoup de lecteurs en France et dans notre pays, a résumé dans les termes suivants ses impres­sions sur son compatriote Swédenborg :

« C'était un homme d'un savoir gigantesque et sa vie a porté le cachet de la beauté morale de l'ordre le plus élevé. Malgré son commerce avec les esprits (malgré 1), il atteignit un âge trés avancé dans la disposition la plus heureuse et la plus aimable. Chrétien fort pieux, il adorait Dieu en Jésus-Christ . ." .. .. ..

AUGUSTE STRINDBERG, un des auteurs les plus re­nommés et les plus originaux de la Suède contem­poraine, a consacré positivement son Livre Bleu à la gloire de Swédenborg, dont il cite beaucoup de morceaux.

Nous trouvons dans la Semaine 11 novembre 1911: «On mande

littél'aire du de Stockholm

qu'Auguste Strindberg, le grand romancier et auteur dramatique suédois, a cédé tous ses droits d'auteur à une maison d'édition pour le prix de 200 000 cou­ronnes, dont 50000 lui ont été versés à la signature du contrat. - Né à Stockholm en 1849, l'éminent écrivain a eu, durant toute une vie, déjà longue, à lutter contre des difficultés matérielles; récemment

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encore une souscription nationale avait été ouverte en sa faveur pour le mettre à l'abri des soucis. Ses lecteurs sont heureux aujourd'hui de savoir que ses dernières années seront exemptes de difficultés pécuniaires. »

Quelque temps après, la souscription mentionnée ci-dessus produisit 80000 francs, qui furent remis à Strindberg à l'occasion de son soixante-troisième

. . annIversaIre. France.

Le traducteur français des œuvres théologiques de Swédenborg, M. Le Boys des Guays, eut pendant plu­sieurs années des relations avec une femme célèbre, dont il était assez voisin. II en reçut plusieurs lettres aussi franches que sérieuses concernant notre auteur.

GEORGE SAND lui écrit d'abord, en 1852, pour le remercier de lui avoir offert un livre de Swédenborg. ft Connaissant peu ou mal cet homme extraordinaire, j'ai toujours désiré le lire plus et mieux ... Je vous devrai d'avoir une opinion éclairée sur ce fait méta­physique et religieux si diversement apprécié jus­qu'à ce jour ... Les quelques pages que j'ai lues du volume que vous m'avez envoyé me paraissent d'une grande clarté. Je vous confesse que mon cerveau n'est plus exercé, - si tant est qu'i! l'ait été un peu dans ma jeunesse, - aux études métaphysiques, mais je ne vois rien des obscurités rebutantes que je redoute en général. ~

L'année suivante, elle en sait déjà davantage. « J'ai commencé à lire tout ce qui est règle de conduite. Toute la philosophie de cette religion ne rencontre

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en moi nul obstacle intérieur. La partie métaphysi­que demande plus de méditation ... Je ne me moque jamais des extases; mais ce genre de révélation ne peut être accepté légèrement, et, d'après vos Lettres à un homme du monde, je sais que vous m'approu­verez de suspendre mon jugement jusqu'à plus ample informé. »

Lettre de 1855. « Il me faudra plus d'un an pour connaître et juger sainement ce très grand esprit de Swedenborg, qui me paraît dans le courant des grandes vérités. »

En 1856 George Sand invite M. Le Boys des Guays à lui faire visite dans son château de Nohant, et lui écrit: « Vous saurez, je l'espère, que nos contradictions ne sont que le désir de vous faire émettre votre pensée, que nous sentons d'un ordre très élevé. »

Enfin une lettre de 1857 contient les lignes sui­vantes: c: J'ai lu avec intérêt votre dernier envoi, et j'y ai trouvé de très belles choses, une morale très élevée qui est la mienne, celle à laquelle j'ai tou­jours aspiré dans mon esprit. La partie que j'appelle symbolique ou fantastique, ou dantesque, ne me sa­tisfait pas autant. .. Swédenborg n'en est pas moins, selon moi, un très sincère et très grand esprit. Ce que j'appelle ses extases a un caractère très particu­lier, en ce que l'imagination ne l'emporte jamais à des visions qui soient en désaccord avec sa philoso­phie, sa métaphysique et sa morale. »

« Ce que vous me dites sur le bien et sur le v"ai me paraît tres juste et excellent. Je suis tellement

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de votre avis que je crois avoir dit quelque part précisément ce que vous dites à propos de Des­cartes ... Le Je pense, donc je suis, devrait être: J'aime, donc je suis. »

* * * Nous avons parlé souvent de M. Matter, Conseiller

de l'Université, Inspecteur général des Bibliothèques publiques, auteur d'ouvrages estimés d'histoire et de philosophie. Le premier en France il prit la peine d'écrire une biographie impartiale et bien documen­tée d'Emmanuel de Swédenborg; il Y montra le peu de fondement des assertions de l'abbé Baruel'.

M. MATTER s'exprime ainsi dès sa Préface:« Dans tout ce dernier siècle, qui eut tant d'hommes émi­nents, il y en eut peu de plus vigoureusement cons­titués de corps et d'âme que Swédenborg; et nul ne fut plus laborieux, plus honnête, plus savant, plus ingénieux, plus fécond écrivain, plus lucide docteur. Nul, dans ce siècle où Rousseau se proclama aussi vertueux que tout autre, ne fut meilleur que Swé­denborg, ni plus aimé, ni plus heureux. »

Au chapitre sept nous lisons ce qui suit: « La grandeur de Socrate reste, que son démon soit une fiction poétique ou une hallucination. Il en de même de Swédenborg. Sa grandeur, -je veux dire sa pen­sée, - reste, que sa qualité de médium élu de Dieu pour servir d'organe et d'interprète de la parole de

t On me pardonnera de citer ici les lignes suivantes, reçues en 1908 de Mme Marguerite Fallot, née Matter: « J'ai lu avec un intérêt très grand, il y a quelques années, votre livre Le Prophète du Nord, et, malgré toute mon affection de petite-fille, l'ai préféré au Swédenborg de mon grand-père. »

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Dieu auprès des hommes soit une pieuse fiction ou l'illusion la plus sincère. Sa doctrine, si complète­ment exposée dans ses écrits, a sa valeur en elle­même; indépendante des visions citées à l'appui, elle est donnée dans les textes sacrés enfin compris. Tout homme de sens peut faire ce que fit le comte Hœpken : prendre la doctrine et laisser là les visions. La vraie question, pour tout le monde, est celle-ci : Swédenborg a·t-il interprété les saintes Ecritures mieux que les dix-huit siècles qui l'avaient précédé?"

Et plus loin: « Pour ce qui est de l'hallucination ou de l'aliénation, tout dans sa riche et didactique pensée est du moins à ce point éloigné de tous les états de l'âme qui impliquent l'idée d'un dérange­ment ou d'un bouleversement des fonctions nor­males, que c'est insulter à l'histoire de l'humanité que de jeter ces vilains mots sur une telle vie. »

Deux lettres de M. Matter répandent encore plus de lumière sur la haute estime qu'il avait conçue pour le Voyant de Stockholm. Dans la première, adressée à M. Le Boys, il écrit: « Vos amis de Paris vous ont entretenu de la publication que je me pro­pose de faire sur la vie et les écrits de Swédenborg; ils ont mis à ma disposition quelques-uns des ou­vrages les plus considérables de l'homme extraor­dinaire dont je tiens à présenter et à faire apprécier le caractère, les facultés et les doctrines si excep­tionnelles dans les annales de l'humanité. J'ai pris dans mes entretiens avec eux des points de vue beaucoup plus clairs et plus positifs que dans les livres que j'avais consultés. »

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La seconde lettre, adressée à M. Harley, est plus explicite; c'est une vraie confession de foi. « Mon travail sur Swédenborg a été plus laborieux que ce­lui sur Saint-Martin 1. Celui-ci n'était qu'un indi­vidu ; Swédenborg fut l'interprète d'une révélation et le fondateur d'une Eglise i. Pour moi, j'ai pris un parti héroïque. Cela est vrai: donc je le dis; car c'est mon droit et mon devoir d'être vrai. Que Dieu soit avec moi! » .. .. *

Enfin le puissant écrivain qui forme la transition entre le romantisme et le réalisme, HONORÉ DE

BALZAC, s'est passionné pour Swédenborg, sans le comprendre à fond, et en a beaucoup parlé dans ses Etudes philosophiques, malheureusement peu con­nues. Dans la première, intitulée Louis Lambel·t, son héros s'exprilne ainsi:

«Je suis revenu à Swédenborg, après avoir fait d'immenses études sur les religions et m'être dé­montré, - par la lecture de tous les ouvrages que la patiente Allemagne, l'Angleterre et la France ont publiés depuis soixante ans, - la profonde vérité des aperçus de ma jeunesse sur la Bible. Evidem­ment, Swédenborg résume toutes les religions, ou vlutôt la seule religion de l'Humanité. Si les cultes ont eu des formes infinies, ni leur sens, ni leur

1 Le Philosophe inconnu. 2 Ce n'est pas tout à fait exact. Semblable à Jésus-Christ en cela,

Swédenborg n'a point fondé d'Eglise; mais, après sa mort, ceux qui acceptaient ses doctrines et croyaient à sa mission ont formé sponta­nément des sociétés cultuelles. et se sont donné le nom de Nouvelle Eglise ou d'Eglise de la Nouvelle Jérusalem.

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construction métaphysique n'ont jamais varié. Enfin l'homme n'a jamais eu qu'une religion ...

• Swédenborg reprend au Magisme, au Brah­maïsme, au Bouddhisme et au Mysticisme chrétien ce que ces quatre grandes religions ont de commun, de réel, de divin, et rend à leur doctrine une raison pour ainsi dire mathématique. Pour qui se jette dans ces fleuves religieux dont tous les fondateurs ne sont pas connus, il est prouvé que Zoroastre, Moïse, Bouddha, Confucius, Jésus-Christ, Swéden­borg, ont eu les mêmes principes et se sont proposé la même fin. Mais le dernier de tous, Swédenborg, sera peut-être le Bouddha du No>·d. Quelque obscurs et diffus que soient ses livres, on y trouve les élé­ments d'une conception sociale grandiose. Sa théo­cratie est sublime, et sa religion est la seule que puisse admettre un esprit supérieur. Lui seul fait toucher à Dieu, il en donne soif. »

Dans une élI'ange histoire, Séraphitus-Séraphüa, Balzac raconte la vie de Swédenborg par la bouche de M. Becker, pasteur du village de Jarvis, sur l'un des pittoresques fiords de la Norvége. A la suite d'assez longues explications, souvent fautives, sur le système de « ce grand prophète », le D' Becker re­prend après une pause:

u Mais que signifient ces lambeaux pris dans l'étendue d'une œuvre de laquelle on ne peut don­ner une idée qu'en la comparant à un fleuve de lumière, à des ondées de flammes? Quand un homme s'y plonge, il est emporté par un courant terrible. Le poème de Dante Alighieri fait à peine

SWÉDENBORG III 3

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l'effet d'un point, à qui veut se plonger dans les innombrables versets à l'aide desquels Swédenborg a rendu palpables les mondes célestes, comme Bee­thoven a bàti ses palais d'harmonie avec des milliers de notes, comme les architectes ont édifié leurs ca­thédrales avec des milliers de pierres. Vous y roulez dans des gouffres sans fin, où votre esprit ne vous soutient pas toujours. Certes il est nécessaire d'avoir une puissante intelligence pour en revenir sain et sauf à nos idées sociales. »

M. Becker estime à sept cent mille le nombre des fidèles de la Nouvelle Eglise, ce qui est une exagéra­tion, puis il ajoute: « Des hommes aussi distingués par leurs connaissances que par leur rang dans le monde, soit en Allemagne, soit en Prusse ou dans le Nord, ont publiquement adopté les croyances de Swédenborg, plus consolantes d'ailleurs que ne le sont celles des autres communions chrétiennes. »

Vous me direz peut·être que, si Balzac prête à quelques-uns de ses personnages des opinions aussi favorables à notre théologien, cela ne prouve pas qu'il les ait partagées lui-même. A cela je répondrai simplement ce qui suit. D'après un livre publié il y a quelques années l, Balzac a déclaré sans am­bages: « Je ne suis point orthodoxe et ne crois pas à l'Eglise romaine; le swédenborgisme est ma reli­gion. » Il a dit également: « Je ne suis pas catho­lique, je suis swédenborgiste 1 »

* * * i Balsac. L'homme et l'œuvre. par André Le Breton. Armand

Colin, 1905.

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1 Bouillet, dans son ùictionnaire d'histoire et de gëographie, dit Gothenbourg 011 Gœtheborg.

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* * * i Balr.ac. L'homme et l'œuvre, par André Le Breton. Armand

Colin, 1905.

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Ces citations si élogieuses vous auront certaine­ment intéressés, mes chers auditeurs. En effet, elles n'expriment pas seulement l'admiration que notre héros, incompris de la foule, avait inspirée à des écrivains éminents de diverses contrées; elles nous font connaître encore, d'une manière plus ou moins explicite, les causes de cette admiration, relevant ce qui les avait le plus frappés dans le système univer­sel et dans la personnalité de cet homme extraordi­naire. Elles nous aident ainsi à nous en faire, à notre tour, une idée plus équitable, plus complète et plus vivante.

Procès en hérésie.

Remontant plus haut, je voudrais vous raconter dans quelle mesure Swédenborg a réussi lui-même à convaincre ses contemporains de la divinité de son mandat et de la vérité de ses doctrines. Mais je dois au préalable vous informer de la redoutable opposition qu'i! rencontra, n'ayant pas eu le temps de m'y arrêter dans sa biographie. L'esprit d'étroi­tesse et d'intolérance était encore assez général au dix-huitième siècle, et un novateur aussi hardi que le Prophète du Nord ne pouvait échapper à ses attaques. La persécution ne fut pourtant pas tout d'abord dirigée contre lui personnellement, mais contre deux de ses partisans, les D" Beyer et Rosen, professeurs à Gothembourg', grande cité maritime de la Suède méridionale.

1 Bouillet, dans son Dictionnaire d'histoire et de géographie, dit Gothenbourr ou Gœtheborg.

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La facon dont ils firent connaissance mérite d'être rapportée. Swédenborg était pour quelques jours dans cette ville, où il devait s'embarquer pour l'An­gletene. Le Dr Gabriel-A. Beyer, professeur de litté­rature grecque et docteur en théologie, le rencontra comme par hasard en société, et, pensant avoir af­faire à un fou, à cause de ses prétendus rapports avec le monde invisible, fut très surpris de l'en­tendre parler avec beaucoup de sens et de ne décou­vrir en lui aucune trace d'aliénation mentale. En conséquence il l'invita pour le lendemain à dlner avec un ecclésiastique éminent de la ville, le Dr Rosen. Après le repas, il lui exprima le désir d'être mis au fait de ses idées. Swédenborg alors, animé par cette requête, exposa ses croyances d'une manière si merveilleuse que les deux amis en fu­rent tout à fait étonnés. Ils ne l'interrompirent point; mais, quand il eut fini de parler, le Dr Beyer le pria de le rencontrer le jour suivant chez M. Wenngren, un des magistrats de Gothembourg, et d'apporter un résumé de ses explications, pour qu'il pût les examiner plus attentivement.

Swédenborg y vint en effet le lendemain, comme il l'avait promis; et, sortant le papier de sa poche en présence des deux théologiens, il se mit à trem­bler et à donner tous les signes d'une émotion pro­fonde, les larmes coulant le long de ses joues. Alors, présentant son manuscrit au professeur Beyer, il lui dit: « Monsieur, dès ce jour le Seigneur vous a in­troduit dans la société des anges, et vous en êtes maintenant entouré. »Ils en furent tous grande-

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ment affectés. Swédenborg prit immédiatement congé d'eux, et le jour suivant il montait sur le bateau qui devait le conduire en Angleterre. Ajou­Ions que ces détails nous sont fournis par M. Wenn­gren lui-même, que j'ai traduit presque textuelle­ment.

En dépit du préjugé avec lequel il avait abordé Swédenborg, le Dr Beyer était une âme prédestinée à en recevoir les instructions. Il étudia méthodique­ment la nouvelle doctrine et se mit sans retard à la répandre. II la proclama dans ses cours, dans ses sermons et dans deux ouvrages qu'il publia: un Catéchisme et un Cours de philosophie. Le profes­seur Jean Rosen agit dans le même sens, insérant par exemple dans la Revue cléricale un résumé de l'Apocalypse Révélée de notre théosophe.

* * * Pendant un certain temps les deux courageux

amis ne furent pas molestés. Mais au mois de mars 1769 le Dr Ekebom, doyen du Consistoire de Gothem­bourg, protesta par écrit contre les œuvres théolo­giques de Swédenborg, alléguant, entre autres griefs, qu'elles enseignaient le socinianisme. Il avouait en même temps qu'il « ne connaissait pas le système religieux de l'assesseur et ne prendrait aucune peine pour le connaître. » Il concluait en demandant q~le cette affaire litigieuse fût portée devant la diète du royaume.

Le Dr Beyer, - qui avec le Dr Rosen était le plus directement visé, - adressa au Consistoire une com-

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munication dans laquelle il repoussait les attaques du doyen. « Je ne puis, dit-il, accepter son jugement quand il déclare que le Swédenb01'gianisme est à tous égards diamétralement opposé à l'Ecriture Sainte, etc., qu'il est hé')'étique, socinien, dès lors condam­nable à tous les points de vue. Je ne vois non pl us aucune raison pour le juger sans une étude préa­lable de ce système religieux, et sans avoir cité l'af­faire et l'accusé devant le tribunal compétent. »

Malgré les représentations des deux amis et de Swédenborg lui-même, les dignitaires les plus bi­gots de Gothembourg continuèrent leurs intrigues. Ils étaient en minorité dans le Consistoire; mais ils furent appuyés par l'évêque Filénius, qui, bien qne neveu du grand homme, était son ennemi acharné. En sa qualité de président de la Chambre du Clergé, Filénius fit nommer un comité d'investigation pour ce qu'il appelait le Swédenborgianisme. Les délibé­rations de ce comité furent favorables à la nouvelle théologie. Cependant l'évêque obtint qu'on soumît au roi et au Conseil privé un mémoire demandant que le Chancelier de Justice « s'efforçât d'apaiser les désordres qui s'étaient élevés à Gothembourg », en d'autres termes de réduire au silence Swédenborg, aux doctrines duquel on attl"ibuait ces désordres.

Ce n'était pas assez pour les plus fanatiques. Re­venant à Stockholm en septembl'e, Swédenborg ap­prit qu'une caisse qu'il avait expédiée d'Amsterdam, et qui contenait des exemplaires d'un de ses ou­vrages, avait été retenue à la douane sous le prétexte que ces livres enseignaient des hérésies. Il en ap-

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DEUXIÈME LEÇON

Huskin . .:\1. et )'llllf' Bro'\vning. Lord Tennyson. Henry Dr14m­moud. Objection spécieuse: Swédenhorg n'est pas connu parce qu'il ne mérite pas de l'être. Réponses: i" Il n'a fondé ni Eglise ni société. 20 Il n'a pas formé une ecrlesiula in ecclesia. :10 Il ne voulut agir que par des livres pas du tout populaires, renfermant: a) une interprétation allégorique des Ecritures; b) une dogmatique audacieuse; c) un sys­tème philosophique et théosophique. -Influence qu'il cxer~a de son vj,-ant comme réformateur religieux. Haute considé­ration clant il jouissait. Combien il eut de diseiples résolus. Le professeur 13cyer et sa Déclaration. Le comte Hopken. Le général Tuxen. Le comte Falkenberg. Œliuger, le Mage du Suù. Jugement de Dorner. Le Hév. Thomas Hartlcy. Le Dr Messitef'. Posilion du pasteur Férélius et de Cuno. Com­paraison des partisans immédiats de Swédenborg- avec ceux de Jésus-Christ. Pas de persécutions à redouter aujourd'hGi. Facilité et responsabilité de plus.

Nous avons YU, rnercredi dernier, qu'un certain nombre des esprits les plus distingues du dix­neuvieme siècle ont rendu publiquement hommage à S,védenborg; je voudrais aujourd'hui, sans avoir l'intention d'être complet, en indiquer encore quel­ques-uns, dont la celebrite est paryenue jusqu'à nous.

RUSKIN - qui a vainement essayé, « au moins cinq fois )), de lire les œuvres du fameux Suédois -

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pela, pour entrer en possession du dit ballot, à l'évéque de Gothembourg, qui promit immédiate­ment de faire le nécessaire, et, au moment de son dépa,'t, l'embrassa avec une apparente affection, Mais, loin de tenir sa promesse, l'évêque empêcha qu'on rendît la caisse. Lorsque Swédenborg découvrit qu'il avait été trompé, il censura Filénius, disant: .. Celui qui ment en paroles agit aussi faussement, et c'est une abomination aux yeux de Dieu. » Il le compara en outre à Judas, qui trahit son maître par un baiser, ajoutant qu'il aurait aimé beaucoup mieux un refus positif qu'une promesse fallacieuse inspirant confiance.

Ayant apporté d'Amsterdam plusieurs autres exemplaires du livre en question, il en fit hommage aux évêques, aux sénateurs et aux membres de la famille royale, Alors le peu scrupuleux évêque, d'accord avec quelques-uns de ses collègues, ourdit un véritahle complot dans le but de se débarrasser de SWédenbOl'g, On devait le faire comparaîh'e en jugement, et, quand il aurait publiquement avoué qu'il était visionnaire, on voulait le déclarer fou et l'enfermer dans un asile d'aliénés.

A cette nouvelle, un des sénateurs lui écrivit pour lui conseiller de quitter la Suède; ses amis d'Angle­terre l'invitaient d'ailleurs avec insistance. Très ému de cette lettre, Swédenborg, tombant à genoux, sup­plia le Seigneur de lui montrer ce qu'il devait faire, Après avoir prié, il reçut l'assurance qu'aucun mal ne l'atteindrait. En effet, la diète et le Conseil privé résolurent qu'on ne toucherait point à sa personne.

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• * * La cabale n'en poursuivit pas moins ses menées

ténébreuses, que je ne vous raconterai pas en détail. Les trois accusés se défendirent toujours avec autant de sagesse que de franchise et de dignité.

On voulait que les D" Beyer et Rosen fussent dé­posés et bannis du royaume. Swédenborg s'en in­digne et discute, dans une lettre remarquable, le principal objet d'accusation, à savoir la pleine divi­nité du Christ; il s'attache à démontrer qu'elle est en harmonie avec la Confession d'Augsbourg, avec la Formule de Concorde, avec les prières et les can­tiques de l'Eglise suédoise, comme avec les saintes Ecritures.« Cette doctrine, conclut-il, ils la nomment Swédenborgianisme; mais, pour moi, je la nomme Christianisme véritable'. »

* * * Le roi, - c'était Adolphe-Frédéric, époux de la

reine Louise-Ulrique, - prit d'abord le parti des novateurs; mais il s'était mépris sur la force et l'hostilité de leurs adversaires, et se vit obligé de faire quelques concessions pour sauvegarder sa

1 Nous lisons, en outre, dans une lettre écrite par Swédenborr au D~ Beyer: « Si la première proposition avait été établie, à savoir qu'on ne devait pas parler du Swédenborgiani,me, comme ils disent, -bien que ce mot sicoifie l'adoration du Seigneur, - quel en eOt été le résultat, sinon qu'on aurait eu peur, dans les rangs du clergé, de parler du Christ et de la protection qu'il accorde à l'espèce humaine? Dans ce cas, en effet, on aurait couru le risque d'être insulté comme partisan du swédenborgianisme, et le christianisme de la Suède aurait fini par dég'énérer d"abord en socinianisme, ensuite en paranisme. »

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-u-propre orthodoxie. Par une Résolution royale du 26 avril 1770, le Consistoire fut autorisé à citer de­vant 1 ui les professeurs incriminés, à les informer du déplaisir du monarque et à tâcher de les con­vaincre de leurs erreurs. Une seconde Résolution de la même date ordonnait de rechercher et de confis­quer les ouvrages théologiques de l'assesseur Swé­denborg, et de remettre en vigueur l'arrêt de 1735 interdisant la circulation de livres importés de l'étranger, avant que la permission en eût été don­née par l'exécutif du plus prochain Consistoire.

Ces décisions furent une surprise pour notre auteur. Il savait d'où venait l'orage, mais tout s'était tramé en secret. Le roi et son Conseil avaient été circonvenus. Peu de jours après, Swédenborg s'a­dresse au souverain dans une lettre aussi décisive pour le fond que respectueuse pour la forme. q En cette conjoncture, je me sens forcé, dit-il, d'implorer la protection de Votre Majesté; car on m'a traité comme nul ne l'a jamais été en Suède depuis l'in­troduction du christianisme et surtout depuis l'éta­blissement de la liberté.» Rappelant la conduite tortueuse de l'évêque et du doyen dans cette affaire, dont ils sont «la torche et la trompette », il se plaint qu'on ait agi derrière son dos sans l'entendre, et qu'on ait « stigmatisé ses révélations comme fausses et mensongères. })

Il continue: « En réponse à cette accusation, je demande humblement la liberté de constater ceci : Notre Sauveur s'est révélé à moi, m'ordonnant de faire ce que j'ai fait et ce que j'ai encore à faire, et

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là-dessus il m'a permis d'avoir des relations avec les anges et les esprits.

» Je l'ai déclaré devant la chrétienté tout entière, tant en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en Danemark qu'en France et en Espagne; je l'ai dit également en mainte occasion dans ce pays devant Leurs Majestés royales, surtout lorsque j'eus l'hon­neur de dîner à leur table, en présence de toute leur famille, et aussi de cinq sénateurs et de quelques autres dignitaires. La mission que j'avais reçue fit alors l'unique suj et de la conversation.

» De même plus tard j'en ai parlé ouvertement devant plusieurs sénateurs. De leur nombre étaient le comte Tessin, le comte Bonde et le comte Hop­ken,.,. pour ne pas en mentionner beaucoup d'au­tres, en Suède et ailleurs, parmi lesquels se trou vent des princes et des rois. »

« Si quelque doute subsiste à cet égard, je suis prêt à témoigner avec le serment le plus solennel qu'on voudra m'imposer que c'est toute la vérité sans le moindre mensonge. O.' ce n'est pas pour moi-même que le Seigneur me permet de faire ces expériences, c'est dans un intérêt sublime qui a trait à l'éternelle prospérité de tous les chrétiens. Puisq ue tel est le réel état des choses, on a tort de prétendre que tout cela est un tissu d'erreurs et de faussetés, bien qu'on puisse soutenir' que c'est quel­que chose d'impossible à comprendre. »

« Quant aux D" Beyer et Rosen, je ne leur ai point donné d'autre conseil que de s'approcher de notre Sauveur Jésus-Christ, auquel tout pouvoir a été re-

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mis dans le Ciel et sur la terre, et de travailler à leur salut. Pour autant que j'ai pu l'apprendre, ils ont affirmé et enseigné cette seule doctrine, qui est con­forme à la Confession d'Augsbourg, à la Formule de Concorde et à toute la Parole de Dieu. Néanmoins, pour cette unique assertion, ils sont dans une cer­taine mesure des martyrs 1, du moins pour ce qui concerne les cruelles persécutions de l'évêque et du doyen de Gothembourg. La même expression s'appli­que à mes livres, que je regarde comme ma propre personne, puisque tout ce que le doyen de cette ville a déversé contre eux n'est que pures invectives, qui ne contiennent pas une parcelle de vérité. »

Cette éloquente lettre fut adregsée non seulement au roi Adolphe-Frédéric, mais au Grand Chancelier de Justice et aux trois Universités de la Suéde. Peu de temps après cet envoi, l'agitation de Gothembourg se calma; le roi dit alors à Swédenborg : « Le Con­sistoire a gardé le silence sur mes lettres et sur vos ouvrages. » Et, posant sa main sur l'épaule du vieil­lard, il ajouta: « Nous pouvons donc en conclure qu'il n'y a rien trouvé de répréhensible et que vous avez écrit selon la vérité. "

* * * Aux yeux des ennemis de Swédenborg, le Sénat

était l'autorité souveraine en matière de foi; Swé­denborg soutenait au contraire que le Sénat était simplement le vicaire de la diète du royaume, et

1 C'est nous qui soulignons ce mot, pour plus de clarté.

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que la diète à son tour n'était que le vicaire du Sei­gneur, véritable chef de l'Eglise, vicarius vicarii pontificis maximi.

Nous arrivons à l'année 1771, qui vit paraitre à Amsterdam le dernier livre de notre écrivain, La Vraie Religion chrétienne. Deux ou trois mois aupa­ravant, Swédenborg écrit: « J'enverrai deux exem­plaires de cet ouvrage à chacune des Chambres, et je les prierai d'élire pour l'examiner un comité gé­néral pris parmi leurs membres, dans le but de ter­miner cette affaire. Je suis certain de ceci: c'est que, après la publication du livre sus-mentionné, le Sei­gneur notre Sauveur agira tant médiatement qu'im­médiatement pour établir, à travers toute la chré­tienté, une Nouvelle Eglise fondée sur cette Théolo­gie 1. Le Ciel Nouveau dont la Jérusalem Nouvelle doit descendre sera bientôt complet. »

* * * Swédenborg comptait revenir dans sa patrie et en

appeler à la diète de 1772, mais il en fut empêché. Cédant aux soIlici tations de ses amis d'outre-Manche, il retourna en Angleterre et y passa les seize der­niers mois de sa carrière en ce monde. II devait être bientôt au-dessus des atteintes de la calomnie et du fanatisme, car le Seigneur le reprit le 29 mars de cette année-là.

Le calme étonnant dont il fit preuve en présence

1 Le soui-'titre donné à cette grande œuvre en deux 'Volumes était Univer,Q Thtologia Novi Codi et Novae Eulesiat.

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du trouble occasionné par sa doctrine ressort des passages suivants d'une de ses lettres: « Les cris ne font pas de mal; ils sont comme le levain qui fait fermenter le vin et sert à le purifier. Car, à moins que le faux ne soit mis en état de ventilation et ainsi rejeté, le vrai ne peut être discerné et reçu ... Je sais que le Seigneur lui-même, notre Sauveur, défend son Eglise, particulièrement contre ceux qui refu­sent d'entrer par la véritable porte dans sa bergerie, c'est-à-dire dans l'Eglise et par là dans le Ciel... En outre j'ai été averti par un ange, de la part du Sei­gneur, que je pouvais reposer tranquillement sur mon bras pendant la nuit, par quoi est entendue cette nuit où le monde est actuellement plongé par rapport à l'Eglise. »

Vous me demanderez ce qu'il advint de ses deux audacieux partisans, les D" Beyer et Rosen. Ils pu­rent conserver à Gothembourg leurs fonctions res­pectives; on leur interdit seulement d'enseigner en matière théologique, vu « leurs opinions doctrinales erronées ». C'était encore de l'intolérance! Ainsi finit, assez doucement, ce procès en hérésie qui aurait pu tourner mal.

Jean Rosen ne survécut qu'un an et demi au célèbre Voyant. Gabriel Beyer poursuivit, jusqu'à leur achèvement, en 1779, les Index auxquels il travaillait depuis treize années, ceux des œuvres religieuses de Swédenborg. Peu après avoir expédié à son imprimeur d'Amsterdam la derniére feuille de son manuscrit, il alla, lui aussi, rejoindre dans le

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monde d'en haut « l'homme merveilleux t »en qui les deux nobles amis avaient reconnu et salué un envoyé du Seigneur.

1 C~est sa propre expression.

1

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a écrit lui-même l : « Je crois fermement à la vérité d'une grande partie de ce que Swédenborg a ensei­gné, mais cela ne me parait jamais tout à fait clair et sain ... Le fait que nous interprétons l'Ecriture de la même manière n'est, à mon avis, point étonnant, si les Ecritures ont un sens défini, qu'une honnête attention puisse découvrir. )) Ruskin essaie en effet, à plusieurs reprises, de pénétrer l'acception cachée du texte sacré, et dans cet effort il se rapproche parfois singulièrement de l'exégèse de Swédenborg. Voir en particulier ce qu'i! dit de l'Egypte'. Après quelques critiques il conclut: « Mais tant de mes meilleurs amis sont disciples de Swédenborg que j'ai de jour en jour plus de respect pour sa mé­lTIoire. »

* * * ELIZABETH BARRETT BROWNING. Deux poètes aI­

més, M. et Mme Browning, surtout cette dernière, ont été profondément influencés par les ouvrages de Swédenborg. Les lettres d'Elizabeth Barrett Brow­ning, publiées récemment, montrent comment elle a étudié cet auteur et graduellement accepté ses doctrines. Elle est intimement liée avec Frederick Tennyson (le frère du grand poète) et Hiram Powers, le sculpteur américain, disciples l'un et l'autre du Yoyant suédois. Elle passe un hiver (1852-1853) à méditer la philosophie de Swédenborg. Un peu plus tard elle écrit: « Je reprendrai Swédenborg à

1 Lettre à George Trobridge, auteur de S1Ved~nborg and Modern Tlwught.

, Fors clavigera, Lettre 64.

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Rome et je poursuivrai mes lectures. Il ya chez lui de profondes vérités, je n'en doute point, encore que je ne puisse recevoir tout; c'est peut-être ma faute. » Elle dit en outre: « A mon avis, la seule lu­mière qui ait été projetée sur l'autre vie se trouve dans la philosophie de Swédenborg. Elle explique beaucoup de choses qui étaient incompréhensibles. » Enfin, en 1859, Mrs. Browning professe sa foi en di­sant: « Nous autres swédenborgiens, » sans qu'on voie clairement si son mari, Robert Browning, doit être compris dans cette catégorie.

* * * Nous rencontrons, du plus au moins, les mêmes

croyances chez un poète plus grand encore, LORD TENNYSON, - chez son frère Frederick Tennyson, dont plusieurs poèmes sont inspirés par les Mémo­,-ables de notre auteur, - et chez le professeur HENRY DRUMMOND. Ce dernier a montré que « la loi naturelle» se continue dans le « monde spirituel, » et il nomme souvent Swédenborg.

* • * Mais ici, mesdames et messieurs, je m'attends à

une objection qui ne laisse pas que d'être spécieuse. Oui, me direz-vous, Swédenborg a été fort admiré

par quelques-uns, par des penseurs exceptionnels qui ont eu la patience de lire ses fastidieux ou­vrages; mais il n'a pas exercé d'influence sur la so­ciété en général, ni même sur les Eglises et les uni­versités protestantes. Si nous ignorons cet écrivain, c'est que tout le monde l'ignore aujourd'hui, excepté

SWÉOENBORG III 4.

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les amateurs de mysticisme, de spiritisme et d'occul tisme, c'est-à-dire les esprits biscornus, Il n'est point entré dans le grand courant de la tradition protes­tante; cela prouve sans doute qu'il ne mérite pas d'être tiré de l'oubli. Swédenborg n'est probable­ment qu'un rêveur, qui a pris ses hallucinations pour des réalités, et qui a eu par hasard quelques belles idées au milieu de choses incohérentes, inin­telligibles et bizarres, comme l'a prétendu le philo­sophe Kant. Les vrais grands hommes ne sont pas méconnus de la sorte, surtout quand ils ont beau­coup publié. Il ne vaut donc pas la peine de nous occuper de votre héros.

Les cours que j'ai donnés dans cette salle ont déjà réfuté cette objection; mais pOUl' ceux qui ne lp,s ont pas suivis, - et ce ne sera pas superflu pour les au­tres, - je désire y répondre encore en faisant voir dans quelle mesure Swédenborg a exercé de l'in­fluence de son vivant, et pourquOI cette influence n'a pas été plus étendue.

* * * 01 0 Remarquez d'abord que Swédenborg n'a pas

été un dissident, un sectaire, un hérésiarque. Il n'a point fondé d'Eglise d'un type spécial, ce qu'à l'ins­tar des Anglais on appelle une dénomination. Fils, parent et ami d'évêques, lié avec plusieurs docteurs en théologie, il est demeuré membre de l'Eglise éta­blie de son pays; à Londres, pour se préparer à la mort, il a re,u la sainte cène sous la forme luthé­rienne de la main d'un pasteur suédois. Il ne faut

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donc pas le comparer à Calvin, Luther ou Zinzen­dorf, ni même au général Booth. Différent d'eux tous en cela, il n'a pas fait le moindre effort pour grou­per ses adhérents en Eglise, en armée ou en société.

20 II n'a pas non plus formé une petite Eglise dans la grande (ecclesiola in ecclesia), ni une simple congrégation comme celle qui m'écoute en ce mo­ment; car, s'il avait la plume extrêmement rapide et féconde, il n'était pas du tout orateur. De même que Moïse, il n'avait point la parole aisée; parfois même il bégayait un peu. Aussi ne s'est-il pas senti appelé à la prédication et n'a-t-il jamais essayé d'agir directement sur les masses.

30 C'est l'impression de ses écrits qui a été son grand moyen d'action. Or ses livres sur la religion, - il le savait parfaitement, - ne sont rien moins que populaires. Seule une élite de lecteurs très sé­rieux est capable de les comprendre, non parce qu'ils ont été composés en latin, - car ils sont traduits, partiellement au moins, en dix-huit langues, - mais en vertu même de leur contenu.

Ils renferment en effet: a) Une interprétation dé­taillée, surprenante et profonde d'innombrables pas­sages de la Bible, notamment de livres entiers: la Genèse, l'Exode et l'Apocalypse de saint Jean. Or la plupart des membres de nos Eglises ne sont pas ac­coutumés à chercher eux-mêmes le sens des paroles de la sainte Ecriture; tout au plus lisent-ils quelque commentaire qui repousse l'allégorisation et n'admet que le littéralisme.

h) Une dogmatique nouvelle reposant sur cette

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exégése, dogmatique développée surtout dans Les Quatre doctrines principales et dans La Vraie Reli­gion chrétienne, contenant toute la théologie de 1" Nouvelle Eglise. Or la dogmatique n'est pas notre fort. Les protestants pieux, même intelligents, n'y pensent guère et ne lisent pas les ouvrages savants qui traitent de ces matières, se contentant des bribes que leur en donnent les pasteurs dans leurs caté­chismes et leurs sermons. Les pasteurs eux-mêmes n'ont pas de doctrines positives, le crédo des Réfor­mateurs ou du Réveil ayant été démoli par le vent du siècle et n'étant point remplacé par un édifice solide et moderne. Il en résulte que la dogmatique est négligée, dédaignée et décriée au profit de la charité et des œuvres sociales. Nous ne sommes pas effrayé à la vue de ce chaos doctrinal: il en surgira t6t ou tard un monde nouveau. Mais pour l'instant, l'homme qui, comme le Prophète du Nord, apporte aux chrétiens désorientés un système doctrinal for­tement conçu, et appuyé sur une exégèse spirituelle, a peu de chances d'attirer de grands auditoires et de gagner la faveur publique. Il devra se déclarer 'latisfait si quelques âmes bien disposées, mécon­tentes du statu quo, l'écoutent avec une attention per­sévérante et arrivent à des convictions personnelles.

Cependant je suis heureux d'ajouter que de sim­ples servantes aiment à lire les ouvrages religieux

;' et moraux de Swédenborg; car, pour comprendre ,

cet enseignement et pour en profiter, ce qu'il faut, c'est moins une culture exceptionnelle qu'une cel'­

" taine ouverture de l'esprit et du cœur, un vivant ,

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intérêt pour les questions traitées. Cette disposition, rare en tout temps et en tout lieu, se rencontre pourtant ici et là dans les diverses classes de notre société. A Paris une ancienne femme de chambre, une cuisinière et un cordonnier étaient jadis, assure­t-on, parmi les meilleurs swédenborgiens.

c) Un systéme philosophique très complet, en certains endroits très abstrait, avec un vocabulaire riche, subtil et nuancé, des termes techniques et nouveaux dont il importe de saisir et de se rappeler le sens exact. Ce système va même plus loin que la philosophie ordinaire: il embrasse nne théosophie, je veux dire une connaissance du monde invisible à laquelle la simple raison ne saurait prétendre et qui ne peut provenir que d'une illumination. Mais cette théosophie est si essentiellement religieuse, si con­crète et si conforme aux révélations de la Bible, que" les âmes chrétiennes ou désireuses du salut la reçoi­vent avec pl us de facilité qu'on ne l'imaginerait. Et " la métaphysique elle-même, résolvant les problèmes fondamentaux que les enfants nous posent déjà, in­téresse souvent les simples, - pourvu qu'ils soient tournés vers les choses d'en haut, - beaucoup plus que les savants égoïstes et les littérateurs mondains. Ainsi, à cet égard encore, l'intelligence des écrits de " Swédenborg dépend plutôt du cœur que de la tête.

" "

Je reconnais sans peine que certaines parties de cette œuvre magistrale ne sont accessibles qu'à quelques privilégiés; mais les autres lecteurs, y compris les moins instruits, peuvent en tirer les lumières, les forces et les consolations dont ils ont besoin.

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A ces obstacles, qui gisaient et gisent jusqu'à ce jour dans le caractère des livres du Vo)'ant de Stock­holm, se joignaient, de son vivant, les habitudes d'étroitesse théologique et d'intolérance cléricale qui entravaient en Suéde le progrès normal de la pensée évangélique et même des sciences dites pro­fanes.

Ces observations préalables m'ont semblé néces­saires pour apprécier justement l'influence que Swédenborg a exercée durant sa vie comme réforma­teur religieux.

* * * Commençons par rappeler la haute considération

que Swédenborg avait acquise, iusque dans les pays étrangers, par ses travaux scientifiques ainsi que par sa participation au gouvernement de la Suède. Sans doute, ainsi que je vous l'ai raconté, il fut en butte à un essai de persécution, mais il n'en souffrit pas personnellement. « Le roi - dit un historien très consciencieux, Edmond Chevrier, de Bourg en Bresse 1 - le roi étouffa l'affaire sans peine, à cause de J'esprit libéral de la majorité des évêques ... Cette discussion n'altéra en rien la faveur dont Swéden­borg jouissait auprès de la famille royale. En 1770, revenant de Londres à Stockholm, il fut très bien accueilli par le prince héritier et sa sœur, qui le re­çureut à leur table, parce qu'ils aimaient beaucoup sa conversation. Il vécut alors dans les relations les

1 E1"nmalluel Swedenbo'r(J. Notice biographique et bibliographique, par un Ami de la Nouvelle Eglise (Edmond Chevrier).

] !

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plus cordiales avec tous les membres de la diète et même avec les évêq ues; il était également bien vu de toutes les autres classes du peuple suédois.

» C'est à cette date cependant qu'il faut reporter une tentative d'assassinat sur la personne de Swé­denborg par un jeune homme qui ne le connaissait pas, mais qui fut poussé à cet acte par la fureur de quelques fanatiques.

» Swédenborg vivait en paix avec toutes les per­sonnes qu'il rencontrait, bien qu'il eût des opinions opposées aux leurs, parce qu'il s'était fait une loi de ne jamais heurter leurs croyances et d'éviter toute controverse verbale. Pour propager ses doctrines, il se contentait d'envoyer ses écrits aux bibliothèques publiques ainsi qu'aux hommes les plus éminents de son temps, laissant à Dieu le soin de disposer les cœurs et les esprits pOUl' la réception des vérités de la Nouvelle Eglise. »

Lorsque des gens qu'il voyait dans le monde ou qu'il recevait chez lui dèsiraient connaître ses idées, il les exposait en toute franchise et avec plaisir, mais sans entrer dans aucune polémique.

Je ne m'arrêterai point ici aux personnes qui ont exprimé leur estime pour son caractére, mais seule­ment à celles qui, de son vivant, ont accepté sa théo­logie et doivent être considérées comme ses disciples.

* * * Vers la fin de sa vie, il estimait lui-même à cin­

quante le nombre de ses partisans encore sur la terre, ajoutant qu'un nombre pareil étaient déjà

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entrés dans le Monde des Esprits. Cela fait une cen­taine en tout. Quels étaient-ils? Je ne puis naturel­lement vous en présenter que quelques-uns.

Suède et Danemark.

Le professeur Gabriel André Beyer, dont je vous ai parlé à l'occasion du procés en hérésie, était doc­teur en théologie, comme son ami Rosen, et membre du Consistoire de Gothembourg. On le dépeint comme « un homme de la vertu la plus pure et du plus aimable caractère, pieux, simple, humble et franc, doux et conciliant à l'égard d'autrui, strict et sévère pour lui-même, fidèle à ses concitoyens, persévérant dans ses entreprises, et rempli de la plus ardente sympathie pour tout ce qui lui paraissait beau, vrai, bon et sacré. » Il eut l'occasion de déployer ces diverses qualités quand il fut en butte à l'hostilité des réactionnaires. Le premier en Suède à étudier à fond le système de Swédenborg et à s'en faire le champion, il devint un deB disciples préférés de son grand compatriote, qui entretint avec lui une active correspondance' .

Sur l'ordre bien intentionné du roi, le professeur Beyer écrivit pour le sénat une Déclaration concer­nant les doctrines enseignées par Swédenborg, dé­elaration précise, modérée, approfondie et remar­quable à tous égards. « Dans l'auteur de ce travail, dit M. Smithson, nous voyons un homme pieux et savant qui, ayant le plus grand respect pour les ins-

t Voir dix lettres de Swédenborg au Dr Beyef dans les Documents publiés en 1855 par le Rév. J. H. Smithson.

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titutions de son pays, découvre un moyen d'entente et de conciliation supérieur aux préjugés du vulgaire, et propre à faire bien comprendre les vérités sacrées; un homme qui a l'habileté nécessaire pour expliquer et défendre ces vérités, et assez de courage pour tout souffrir plutôt que de les renier ou de les déguiser. »

La persécution dont il fut honoré avec un autre docteur en théologie, le professeur Jean Rosen, et qu'il supporta avec tant de dignité sereine, le dé­signe à la reconnaissance de la postérité. J'en dirai autant à propos de son Index, qu'on déclare « admi­l'able» et qui est encore employé de nos jours .

.. .. *

Nommons en second lieu le sénateur comte André Hôpken, surnommé « le Tacite suédois» par le Dic­tionnaire biographique de sa patrie. Il fut le princi­pal fondateur et le premier secrétaire de l'Académie des Sciences de Stockholm, dont Linné fut le pre­mier président. Cette institution exerça la plus grande et la plus heureuse influence dans un temps oil la Suède était encore fort arriérée. Animé de sentiments patriotiques et homme d'Etat distingué, le comte Hôpken fut un des chefs du parti des Chapeaux, qui en vingt-cinq ou ü'ente ans métamorphosa le royaume au point de vue des sciences, du commerce et de l'industrie, lui donnant une prospérité qu'il n'avait jamais connue. Il fut également premier ministre sous le règne brillant, mais orageux, de Gustave III. Cet homme éminent par tant de côtés mourut en 1790, à l'âge de soixante-seize ans.

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Une lettre qu'il écrivit au général Tuxen en mai 1772, peu après la mort de Swédenborg, me semble mériter votre attention. Je l'ai traduite en très grande partie afin de vous la communiquer. La voici:

« Les fonctions officielles dont j'ai été revêtu dans mon pays m'ont souvent obligé d'exprimer mon opi­nion et de donner des conseils sur des matières déli­cates et difficiles; mais je ne me rappelle pas qu'on en ait jamais soumis à mon jugement une aussi dé­licate que celle que vous avez trouvé bon de me pro­poser. Les sentiments et persuasions qu'une per­sonne entretient ne conviennent pas toujours à d'au­tres ; et ce qui me paraît probable, manifeste, cer­tain, incontestable, peut sembler à d'autres obscur, incompréhensible, je dirai même absurde. La cons­titution de l'individu, l'éducation, les études profes­sionnelles, les préjugés, la crainte d'abandonner les opinions reçues, d'autres causes encore, créent des différences entre les idées des hommes. Concilier ces idées et se prononcer à leur sujet dans les affaires temporelles n'a rien de hasardeux; mais dans les questions spirituelles, quand une conscience délicate est en jeu, je n'ai pas le courage requis pour cela et je suis obligé de confesser mon ignorance. Tout ce que je pourrais dire là-dessus, en guise de prélimi­naires, concerne la personne de feu l'assesseur Swé­denborg.

)) Non seulement je l'ai connu pendant quu»ante­deu:c ans, mais encore j'ai entretenu durant un cer­tain temps des rapports journaliers avec lui. Lors­que, comme c'est mon cas, on a vécu longtemps

i 1

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dans le monde, et même dans un cercle étendu de relations, on n'est pas sans avoir eu de nombreuses occasions de connaître les hommes au point de vue de leurs vertus et de leurs vices, de leur fort et de leur faible. Or je ne me souviens pas d'avoir jamais connu un homme d'un caractère plus uniformément vertueux que Swédenborg : toujours content, jamais agité ni morose, quoique dans toute sa carrière SOIl

âme s'occupât de pensées et de spéculations subli­mes. C'était un vrai philosophe et il se conduisait comme tel; il travaillait avec assiduité, se nourris­sait frugalement sans lésinerie; il voyageait cons­tamment, et ses voyages ne lui revenaient pas plus cher que de rester chez lui. Il était doué du génie le plus heureux et d'une aptitude universelle qui le faisait briller dans toutes les sciences qu'il embras­sait. Il fut sans contestation l'homme le plus savant de ma patrie, et grand poète dans sa jeunesse. J'ai en ma possession quelques fragments de ses poèmes latins qu'Ovide ne désavouerait pas. Dans la force de l'âge, son style latin était facile, élégant et orné; dans sa vieillesse il était également clair', mais moins élé­gant depuis qu'il avait tourné ses pensées vers les sujets spirituels. Il savait bien le grec et l'hébreu, était un habile et profond mathématicien, et en même temps un ingénieur inventif, ce dont il donna la p"euve en Norvège; car, grâce à une méthode simple et commode, il y transporta les plus larges galères par-dessus les hautes montagnes et les ro­chers jusqu'au golfe où la flotte danoise était à l'ancre.

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• Il était philosophe, mais suivait les principes de Descartes. Il détestait la métaphysique, la jugeant fondée sur des idées fallacieuses qui dépassent notre sphère, et ensuite desquelles la théologie a perdu sa simplicité, se pervertissant et devenant artificielle.

)) Ayant été longtemps assesseur au Collège des Mines, il était parfaitement versé dans la minéralo­gie; à cette science il consacra un ouvrage à la fois théorique et pratique, qu'il publia à Leipzig en J 734 et qui est devenu classique à cause de sa valeur. S'il avait conservé sa position, ses mérites et ses ta­lents lui auraient donné droit à la plus haute dignité; mais il préféra le repos d'esprit et chercha son bon­heur dans l'étude.

D En Hollande, il commença de s'appliquer à l'anatomie; il Y fit des découvertes singulières qui sont conservées quelque part dans les Acta Lite,·a,·ia. J'imagine que cette science, - avec ses méditations concernant les effets de l'âme sur notre corps si cu­rieusement construit, - le conduisit par degrés des choses de la matière à celles de l'esprit.

» JI avait en toute occasion un jugement sain, voyait clair dans chaque domaine et s'exprimait bien sur tous les sujets. A la diète de 1761, c'est lui qui présenta les Mémoires les plus solides et les mieux écrits en matière de finances. Dans un de ces rap­ports il réfutait un long ouvrage in-quarto sur la même question et en citait les passages caractéristi­ques, tout cela en moins d'une feuille d'impression.

» Quant à sa méthode d'enseignement, nous la connaissons par tous ses ouvrages qui s'appuient sur

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les AI'canes célestes ou qui s'y rapportent. On pour­rait l'accuser à tort ou à raison, - ce que je ne m'aventure certes point à décider, - d'avoir donné, dans ses révélations, trop libre jeu à une imagination surchauffée; mais je n'ai rien, pour ma part, sur quoi fonder cette critique. Si, à l'époque actuelle, le Seigneur accorde ou non à certaines personnes des révélations particulières, de quelle nature sont de telles révélations et quelle est la pierre de touche pour y distinguer le vrai du faux, sur tout cela je ne me sens pas en état de prononcer.

» Le rédacteur de la Revue mensuelle parle admi­rablement de tous les sujets à l'exception de la théo­logie; sur ce chapitre son témoignage n'a pas la moindre autorité pour moi.

» Je représentai une fois, d'une manière plutôt sérieuse, au vénérable assesseur qu'il ferait mieux, à mon avis, de ne pas intercaler dans ses beaux livres tant de Relations mémorables ou de choses entendues et vues dans le Monde spirituel snr les états de l'homme après la mort, récits que les ignorants tour­nent en ridicule. Mais il me répondit que cela ne dépendait pas de lui, qu'il était trop vieux pour jouer avec les choses spirituelles, et qu'il tenait trop à son honheur éternel pour se lancer dans de semblables folies. Il m'assura, sur ses espérances de salut, que l'imagination n'avait rien à faire avec tout cela, que ses révélations étaient vraies, provenant de ce qu'il avait vu et entendu.

» Cela peut être: l'Eglise n'est pas en état de ju­ger des mystéres, ni moi non plus. La généralité des

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hommes, quand ils parlent de la théologie de Swéden­borg, s'arrêtent toujours à ses Mémorables, comme s'il n'avait pas écrit autre chose. De tout ce qu'il rapporte su r le Monde spirituel et sur les progres­sions dans le Ciel angélique il ressort, à ce que je pense, une analogie et une ressemblance avec les gradations que Dieu a établies dans ce monde-ci, et dans lesquelles on ne remarque ni variations ni exceptions. D'autant plus que Swédenborg a pris la même route par laquelle nous avançons du visible à J'invisible, des choses connues aux choses inconnues, de divers faits recueillis à une vérité fondamentale que nous ne connaissions pas jusque-là. C'est ainsi qu'en arithmétique nous sommes amenés des nom­bres déjà connus à ceux que nous cherchons. Nous n'avons pas d'autre chemin pOUl' arriver à la con­naissance.

» Peu de personnes ont lu attentivement ses œu­vres, où le génie étincelle de toutes parts. Si j'y ren­contre quelque chose d'extraordinaire ou d'inusité, qui pourrait indiquer une intelligence mal équili­brée, je m'abstiens de juger. Nous lisons Platon avec admiration; que de choses pourtant nous trouvons dans ses livres qui, dites par un autre écrivain, se­raient tenues pour extravagantes, inconcevables et absurdes 1 »

Permettez-moi, mes chers auditeurs, de vous com­muniquer encore quelques fragments de la corres­pondance suivie que le comte André Hôpken entre­tint avec le général danois Tuxen.

« Le défunt Swédenborg fut assurément un modèle

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de sincérité, de vertu et de piété, et en même temps, à mon avis, l'homme le plus instruit de ce royaume ... Je suis d'accord avec vous sur ce point, monsieur: c'est que le système swédenborgien est plus compré­hensible pour notre raison et moins compliqué que les autres systèmes; et, tandis qu'il forme des hom­mes et des citoyens vertueux, il prévient en même temps l'enthousiasme et la superstition, qui l'un et l'autre occasionnent dans le monde de si nombreuses et si cruelles vexations ou de ridicules singularités ... Je suis parfaitement convaincu que les interpola­tions contradictoires dont la religion a été la victime l'ont totalement corrompue ou révolutionnée. Quand on s'apercevra de ce fait, le système swédenborgien sera plus généralement accepté, mieux vu et plus intelligible qu'à présent. »

« Je trouve dans ce système une simplicité et une gradation, en un mot un esprit tel que l'œuvre de Dieu en montre et démontre partout dans la nature; car tout ce que l'homme crée est compliqué, labo­rieux et sujet aux vicissitudes. »

Dans une lettre à un autre de ses amis, le comte Hôpken est plus explicite encore:

Quant aux « points de doctrine b de Swédenborg, dit-il,« je suis capable d'en juger. Ils sont excellents, irréfutables, les meilleurs qu'oll ait jamais enseignés, et ils ont pour effet la vie sociale la plus heureuse ...

» J'ai plusieurs fois dit au roi que, s'il s'agissait jamais de fonder une nouvelle colonie, aucune reli­gion ne vaudrait mieux, comme Eglise établie et prédominante, que la religion tirée par Swédenborg

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des saintes Ecritures, et cela pour les deux motifs suivants:

]) 1° Cette religion a l'avantage sur toute autre de préparer les sujets les plus honnêtes et les plus industrieux, car elle place proprement le culte de Dieu dans les usages.

» 20 Elle est unie à la moindre peur de la mOl't,

car elle regarde la mort comme la simple transition d'un état à un autre, d'une situation pire à une meil­leure. Vraiment, appuyé sur ces principes, je ne con­sidère pas la mort comme beaucoup plus terrible que le fait de boire un verre d'eau.

» Ce qui m'a convaincu de la vérité de la théologie de Swédenborg, ce sont en particulier ces argu­ments-ci : Un seul Etre est l'auteur de toutes choses; il n'y a donc pas une personne séparée qui soit le Créateur et une autre personne qui soit l'auteur de la religion. II y a en toute chose des degrés, qui sub­sistent éternellement. L'histoire de la création est inacceptable, à moins qu'on ne l'explique dans le sens spirituel.

]) Nous pouvons dire, avec Gamaliel, de la religion que Swédenborg a développée d'après les saintes Ecritures: Si elle est de Dieu, elle ne peut être ren­versée; mais si elle est de l'homme, elle se détruira d'elle· même. »

De pareils témoignages, provenant d'un des hom­mes les plus influents de la Suède et les plus distin­gués de l'Europe entière, sont de nature à impres­sionner tout lecteur, même le moins impartial. Quant à Swédenborg, il savait qu'il pouvait compter

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André Hopken au nombre de ses vrais disciples. En effet, il écrivit au roi, en 1770, qu'il avait révélé sa mission sacrée à plusieurs sénateurs, ajoutant, comme nous l'avons vu : «Au nombre de ceux-ci se trouvent les comtes Tessin, Bonde et Hopken; et le comte Hopken, un gentleman à l'intelligence éclairée, con­tinue jusqu'à présent à y croire, sans mentionner beaucoup d'autres personnages, tant chez nous qu'à l'étranger, parmi lesquels sont des rois et des

• prmces. » * * *

Du sénateur Hopken passons à son fidèle corres­pondant, le général Christian Tuxen. Il représentait le Danemark en qualité de Commissaire de la guerre à Elseneur dans l'lle de Seeland ; c'est dans ce port que les bateaux franchissant le Sund s'arrêtaient pour payer un droit de passage et pour s'approvi­sionner. Il eut ainsi l'occasion d'y rencontrer plu­sieurs fois Swédenborg et de se rendre compte de sa valeur. Aussi l'appelle-t-i! : {( Notl'e bienfaiteur, et non seulement le nôtre, mais celui de tous les hom­mes, pourvu qu'ils se préoccupent sérieusement de leur destinée après la mort.

» Pour moi, dit-il encore, je remel'cie notre Sei­gneur, le Dieu du Ciel, d'avoir fait la connaissance de ce grand homme et de ses écrits. J'estime que c'est la plus grande bénédiction qui m'ait été accor­dée en cette vie, et j'espère que j'en profiterai pour travailler à mon salu t. ))

* * * SWÉDENBOflG III

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M. Chevrier affirme que, du vivant même de Swé­denborg, « un certain nombre de Suédois d'un rang élevé» acceptèrent ses doctrines. Ce fut le cas du comte Falkenberg, un des juges dans le procès des D" Beyer et Rosen; il embrassa leurs croyances et traduisit en suédois La Vraie Religion chréNenne, ce qui contribua fortement à les répandre. A la même époque, le chanoine Knoss voulut réfuter Swéden­borg, mais après un examen approfondi il changea d'opinion et devint l'un de ses plus zélés partisans.

D'une manière générale, notre théosophe jouit de beaucoup de sympathie dans les diverses cours du Nord, sans que nous puissions dire qu'il ait entière­ment conquis à son point de vue aucune des têtes

• couronnees.

Allemagne.

Le savant théologien de Stockholm ne resta pas sans influence sur l'Allemagne; les hautes classes de la société y furent particulièrement soumises. Tout à la fin de sa vie, il correspondait activement avec le landgrave de Hesse-Darmstadt, et lui envoya deux exemplaires de son dernier ouvrage. Le con­tenu de ses lettres montre que, si le prince n'avait pas embrassé toutes les vues de Swédenborg, - ce que j'ignore, - il était du moins très favorablement disposé à leur égard; et M. Vénator, son ministre, encore plus, car notre théosophe lui écrit: cr Je dé­sire avoir votre jugement sur le sujet traité dans ce livre; car je sais que, étant éclairé par le Seigneur, vous y verrez mieux que d'autres, dans sa lumière,

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les vérités qui s'y trouvent manifestees en harmonie avec la Parole. D

* * * Mais je veux surtout YOUS faire connaître - au

moins en résumé - le rôle important joué par Œtinger dans la question qui nous occupe. Le Dr Œtinger, théologien fort pieux et remarquable­ment versé dans les saintes Ecritures, avait été porté par le duc de Wurtemberg à la plus haute dignité de l'Eglise, à celle de prélat de Murrhard. On le surnomma le Mage du Sud, - comme nous avons surnomme Swédenborg le Prophète du Nord, - et l'historien Kurtz 1 parle de lui en ces termes: « Il est le premier représentant d'une théologie de l'avenir, qui pourrait fournir une base à la réconci­liation définitive de l'idéalisme et du réalisme. })

Un des premiers en Allemagne, cet esprit ouvert et méditatif fut intéressé par les écrits de Swéden­borg et s'efforça de les répandre. Il traduisit Le Ciel et l'Enfer, Les Te"res dans l'univers et quelques ex­traits des A"canes célestes; il publia également une analyse de la Philosophie natw'elle de notre auteur, comparant celle-ci à sa propre Philosophie céleste. Il correspondit durant plusieurs années avec Swé­denhorg et avec le Dr Beyer, dont il suivit de loin le procès avec une extrême vivacité d'impressions.

Qu'Œtinger reconnût à Swedenborg une grande mission, c'est ce qui ressort des lignes suivantes: "II est étonnant qu'un philosophe accoutumé à

i Lehrbuch der Kirchengeschichte, von Dr Job. IL Kurh t p. 617.

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penser suivant les règles de la mécanique soit de­venu un Prophète. » Observons, en passant, que Swédenborg ne se donne jamais ce dernier titre, qui lui est appliqué couramment aujonrd'hui, ainsi du reste qu'à d'autres hommes qui n'ont ni sa l science, ni son intelligence géniale, ni sa spiri- , tualité.

Les livres dans lesquels il citait et approuvait Swédenborg furent condamnés et confisqués par les autorités ecclésiastiques, et ses énergiques protesta­tions restèrent sans effet. Il reconnaissait avec une entière franchise la divine mission de notre illustre écrivain, mais ne pouvait accepter ni la science des Correspondances, ni l'interprétation spirituelle de la Bible, ancré qu'il était dans l'attente tradition­nelle de l'accomplissement littéral des prophéties.

Dans une longue et admirable lettre, - qui est tout un traité de dogmatiqne, - le D' Beyer réfute les objections d'Œtinger, au nombre de dix. Nous ne savons pas exactement sur combien de points le prélat wurtembergeois fut convaincu; il ressort néanmoins de ses ouvrages subséquents, en parti­culier de la Souvm'aine sacrificatw'8 du Christ, que les réponses qu'il avait reçues le satisfirent sinon complètement, du moins dans une grande mesure.

Voici en tout cas quelques témoignages non équi­voques de sa position vis-à-vis de Swédenborg :

« Les faits démontrant que Swédenborg est en communication avec le Monde des Esprits ne sont niés par personne à Stockholm. »

«Comme Swédenborg est l'instrument choisi pour

,

1

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rétablir la communion perdue avec le monde invi­sible, la vie pure et immaculée qu'il a menée depuis son enfance sous l'influence de son éducation était nécessaire. La première promesse faite par Jésus à ses disciples fut qu'ils verraient le Ciel ouvert; aussi pouvions-nous raisonnablement attendre que ce se­rait la première chose annoncée lors de sa seconde venue. J)

« Jacob Behmen (c'est-à-dire Bœhme) est apparu il y a quelque temps; mais, comme il le constate lui-même, il n'était pas au courant de la science. Voilà pourquoi Dieu a suscité Swédenborg, qui est puissamment versé dans les sciences; de plus, dès sa jeunesse sa vie a été innocente et pieuse, et dans ses travaux d'amour il n'a regardé ni à l'honneur, ni au rang, ni à la richesse. Dieu a élu et préparé cet homme comme Daniel pour faire briller, par son moyen, une lumière extraordinaire devant ce monde incrédule et sceptique ...

» Maintenant, comme Swédenborg avait une grande expérience dans l'algèbre et les hautes mathémati­ques, spécialement dans la cosmologie, et que dans tous ces domaines on doit le considérer comme égal à Leibniz., il a été choisi comme un instrument convenable pour faire connaître ces choses à l'hu­manité. »

« Swédenborg est, à mon jugement, le précurseur d'une ère nouvelle. »

1. Cette assertion est de la plus grande importance. car Œtinger a publié une analyse du système de Leibniz dans son ouvra,e intitulé Philosophie terrestre et céleste.

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CEtinger chercha toujours ce que Swédenborg avait trouvé, savoir' une théologie spéculative ou une philosophie de la religion qui embrassât l'his-toire sainte et la nature; mais le littéralisme du 1 premier dans l'explication de l'Ecriture Sainte, son judaïsme même, qui lui fit espérer le rétablisse-ment de la prêtrise lévitique et des sacrifices san­glants, est singulierement dépassé de nos jours. Au surplus, les deux théologiens étaient d'accord pour s'opposer à l'idéalisme mécanique et fataliste de Wolff, et pour combattre ceux qui voulaient qu'on interprétât la Parole de Dien d'après certains prin­cipes philosophiques, au lieu de l'interpréter par elle-même, ou pat' les vérités intérieures qui en res­sortent avec évidence '.

Dans son Histoire de la Théologie p"otestante, Dorner, généralement impartial, Ile me parait pas tout à fait juste à l'égard de ces deux illustres théo­sophes, qui étaient certainement des âmes sœurs. Plus sympathique à son compatriote, le prélat de Murrhard, il le grandit au détriment du Prophète du Nord, que naturellement il connaissait moins et qu'il n'a pas très bien compris. Il me serait facile de faire voir l'inanité des reproches qu'il lui adresse. D'ailleurs l'expérience a démontré lequel des deux écrivains, l'allemand ou le suédois, a tracé le plus profond sillon et exerce encore, au vingtième siècle, le plus notable ascendant sur la chrétienté protes­tante.

1 Ce qu'Œtinget' appell~ la Gnmdweislteit de l'Ecdture.

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Pour terminer, empruntons encore quelques mots au savant et vénérable prélat de Murrhard.

« Dieu peut avoir apparu à Swédenborg d'une manière que nous ne comprenons pas pleinement; mais cet homme est certainement un phénomène tel que le monde n'en a jamais vu jusque-là. »

« On ne peut trouver aucun exemple des influences divines aussi brillant que chez Swédenborg. »

«Dès ses jeunes années, Swédenborg fut inno­cent, pieux, exemplaire, et nullement enclin à poursuivre des buts imaginaires. La géométrie, l'al­gèbre et la mécanique l'avaient préservé de tout ce qui ressemblait à des études fantastiques. Diotrèphe aboyait violemment contre Jean, le disciple bien­aimé de Jésus: pourquoi nous étonnerions-nous de ce que Swédenborg est si faussement repr'ésenté et si calomnié? Satan n'a pas de plus grand plaisir et de plus délicieuse fête que lorsqu'il peut saisir les théologiens par les oreilles et semer parmi eux la zizanie et l'animosité. Mais le Seigneur fera venir à la lumière ce qui a été caché dans les ténèbres. »

Angleterre.

Je ne vous arrêterai pas longtemps à l'Angleterre, qui ne devint importante au point de vue de la nou­velle dispensation qu'après le décès de Swédenborg. II eut néanmoins de son vivant plusieurs partisans dans ce pays.

D'abord un clergyman de l'Eglise anglicane, Tho­mas HartIey, recteur de 'Vinwick (Northampton­shire), qui, craignant pour Swédenborg la persécu-

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tion en Suède, lui offrit, avec le D' Messiter, la plus généreuse hospitalité. Voici quelques lignes d'une lettre qu'il lui adressa: .. Croyez-moi, ô le meilleur des hommes, je considère que par mes relations avec vous j'ai été couronné de faveurs plus que royales; car lequel des rois, s'il est d'un esprit sensé, ne serait heureux de converser avec un habi­tant du Ciel en vivant encore sur la terre? Mais les choses cachées ici-bas aux grands hommes sont re­vélées aux humbles ... Me permettrez-vous de vous dire que je me considère corn me trois fois béni de ce que, par la divine Providence, vos écrits sont tombés entre mes mains? J'en ai tiré, comme d'une fontaine vivante, tant de choses pour mon instruc­tion, mon édification et ma grande joie, et ils m'on t délivré de tant de craintes, de doutes et d'erreurs, de tant d'opinions qui tenaient mon âme dans la perplexité et la servitude, qu'il me semble parfois que je suis transporté parmi les anges. ))

Plus tard, après avoir rappelé les occasions qu'il a eues de connaltre de près Swédenborg et ses livres, le Rév. Thomas Hartley continue: «J'ai toujours trouvé en lui le théologien bien pensant, l'homme pieux, le profond philosophe, le savant universel et le gentleman poli. Je crois en outre qu'il avait reçu du Saint-Esprit un haut degré d'illumination, que Dieu l'avait chargé d'un message extraordinaire à l'égard du monde, et qu'il était en relations avec les anges et les esprits plus qu'on ne l'avait jamais été depuis le temps des apôtres. »

L'admirateur de Swédenborg qui se joignit au

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pasteur Hartley pour lui offrir une demeure en An­gleterre, lorsqu'on pensait qu'il pourrait avoir peur de retourner dans sa patrie, le Dr H. Messiter, était un « éminent médecin» du comté de Middlesex. M. Hartley l'appelle « un gentleman de profession savante, ayant de vastes facultés intellectuelles, » et s'associe à lui dans cette phrase: « Nous mettons tous deux la connaissance que nous avons faite de l'auteur et de ses ouvrages au nombre des plus grandes bénédictions de notre vie. »

Swédenborg l'ayant prié de remettre quelques vo­lumes aux professeurs en théologie des Universités d'Ecosse, le Dr Messiter écrit à l'un d'eux 1: « Ayant eu fréquemment l'honneur d'être admis dans la compagnie de l'écrivain lorsqu'il était à Londres et de m'entretenir avec lui sur divers points d'érudi­tion, je ne crains pas d'affirmer qu'il n'existe au­cune branche des sciences mathématiques, philoso­phiques ou médicales, - je cl'ois même que je pour­rais dire des lettres humaines, - à laquelle il soit le moins du monde étranger, Pourtant il est si tota­lement insensible à son propre mérite que, sans doute, il ne s'imagine pas en avoir aucun; et, comme il le dit quelque part des anges, il détourne toujours la tête au moindre éloge, Ce qu'il sait de la plus intéressante et de la plus noble de toutes les sciences, je le soumets très humblement, monsieur, à votre meilleur jugement; néanmoins je dois dire que, bien que j'aie beaucoup lu sur les preuves his­toriques et m}stiques de la vérité de l'Ecriture, je

1 Robert Hamilton, professeur à Edimbourg.

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n'ai jamais rencontré des assertions qui affectent si merveilleusement l'esprit de l'homme. ))

Le Dr Messiter visita Swédenborg lors de sa der­nière maladie. Quant à sa propre mort, voici la cu­rieuse anecdote qui en est rapportée '. M. Messiter exprima une fois le désir de savoir pour quelle épo­que Swédenborg attendait l'acceptation des doctrines de la Nouvelle Jérusalem, vu que le clergé de l'Eglise anglicane les repoussait alOl's presque unanimement; à cette question « le baron' répondit que les temps et les saisons étaient entre les mains de Dieu, que par conséquent il ne pouvait pas indiquer cette époque. Tontefois, ajoutait-il, il était autorisé à dire que lui (D' Messiter), il vivrait probablement tl'Bize ans encore, juste assez pour voir cette œuvre en bouton. Maintenant, disait le docteur, j'ai vécu exac­tement treize ans, selon ce qui m'a été prédit, et je la vois en bouton, puisque votre petite Société en­courage la publication de ses œuvres. Le docteur confirma aussi ce que M. Shearsmith et sa femme, dans la maison desquels Swédenborg était mort, avaient déclaré avec serment, à savoir que celui-ci avait su et annoncé d'avance le dimanche où il de­vait les quitter, et affirmé jusqu'à la fin que sa doc­trine serait reçue au moment voulu de Dieu, puisque le Seigneur l'avait promis dans sa Parole. »

Peu de semaines après cette conversation, le D' Messiter expira subitement.

1 Essays in Divinity and Physic, par le Dr William Spence. li Plusieurs personnes appelaient Swédenborg « baron 'Z J quoique

proprement il u'eùt pas ce titre.

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* * * Je ne mentionnerai pas au nombre des disciples

de Swédenborg le pasteur suédois de Londres, Arvid Férélius, qui eut avec lui de sérieux entretiens, lui donna la sain te cène et officia à ses funérailles; car il ne professa jamais ouvertement les nouvelles croyances, quoique nous ayons tout lieu de croire qu'il en fût impressionné favorablement. J'en dirai autant de Jean-Christian Cuno, le marchand-poète d'Amsterdam, qui a tant parlé de Swédenborg dans son autobiographie. Il était trop bon luthérien pour ne pas défendt'e contre lui le dogme de la justifica­tion par la foi seule. Mais, s'il n'admettait pas toute sa théologie, il ne semble pas avoir douté de ses rapports avec les esprits, et son témoignage SUt' notre Voyant n'en a que plus de valeur.

Il notait encore en 1770 dans ses mémoires: 0: Je n'en ai pas fini avec mon cher vieux Swédenborg, et aussi longtemps que mes yeux resteront ouverts, je ne les détournerai pas si facilement de cet homme singulier l • Il m'arrive encore de Suède des nouvelles de lui; il ya peu de temps, il désirait être rappelé à mon souvenir et me faisait dire qu'il espérait m'em­brasser cet été. Le clergé l'a attaqué de tout son pouvoir, mais n'a pu lui faire aucun mal; car les plus hautes autorités, même, dit-on, le roi et la reine, l'aiment. »

Cuno lui-même aimait tendrement Swédenborg, qui le payait assurément de retour, et il a laissé les

1 Il l'appelle une fois « le plus singulier saint qui ait jamais existé. »)

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détails les plus circonstanciés et les plus précieux sur le noble vieillard.

* * * Vous le voyez, mesdames et messieurs, si Swé­

denborg a gagné de son vivant peu d'adhésions complètes, il a eu cependant plus de disciples que l'

Jésus-Christ. Remarquons en outre que ces disci-ples, fort différents (les anciens pêcheurs du lac de Tibériade et du péager Matthieu, appartenaient aux couches les plus élevées de la société, étaient doc­teurs en théologie ou en médecine, professeurs, écrivains, grands fonctionnaires, pouvaient pal' conséquent répandre les doctrines de la Nouvelle Eglise d'une façon rationnelle et scientifique, en harmonie avec les besoins d'un siècle de lumières. Aussi leurs écrits ont-ils eu de leur temps et con­servent-ils jusqu'à ce jour une réelle importance.

De tant de témoignages personnels et contempo-rains ressort un portrait unique, vivant et harmo­nieux, le portrait d'un prophète moderne à la fois savant et lettré, idéaliste et pratique, courtois et hardi; la figure d'un laïque chrétien qui, - si nous le comparons avec impartialité aux plus grands hommes de notre âge, - nous fait l'effet de les dé­passer de beaucoup, autant que la Jllngf1'au dépasse les collines des Alpes bernoises. Il vaut la peine, mes chers auditeurs, de nous mettre sérieusement à son école, d'écouter avec toujours plus de sympathie persévérante l'infatigable écrivain qui n'a pas eu d'autre ambition que d'opposer à la désolante incré-

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du lité de Voltaire et d'Helvétius uue intelligence approfondie et spirituelle de l'Evangile.

La réforme radicale dont il fut le promoteur est loin d'être achevée. Elle n'a pas fait couler de sang, et si ses premiers instruments ont été en butte à des persécutions d'ailleurs bénignes, nous n'avons heu­reusement plus à redouter un procès en hérésie, grâce aux progrès décisifs faits par les peuples et par les Eglises dans le respect des opinions. C'est une facilité - mais aussi une responsabilité - de plus pour ceux qui croient ou du moins pressentent que cette nouvelle conception du christianisme est la vérité.

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HUITIÈME COURS

Pionniers

et Fondateurs de la Nouvelle Eglise.

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PREMIÈRE LEÇON

Jung-Stilling et Lavater. - Après la mort de Swédenborg. - France. Transition. Oberlin, le Père du Ban-de la Roche. Etonnante omission. - Snède. Eloge par l'acadé­micien Sandel. Société exégétique et philanthropique. Société pro jide et charitale. Sévérité des lois et hostilité du pou­voir royal. La Nouvelle Eglise créée il Stockholm, puis à Copenhague. Liberté religieuse et réformes. Honneurs ren­dus à Swédenborg. - Angleterre. Deux pasteurs angli­cans. Robert Hindmarsh ouvre des réunions. Société de publication. Fondation de la Nouvelle Eglise à Londres. Succès à Birmingham et à Manchester. Influx des martyrs. Brève profession de foi. Une Eglise fondée à Glasgow. La Nouvelle Eglise en Grande-Bretagne: statistique et finances. - Amérique. Philadelphie, Baltimore et Boston. Thomas Worcester. Cincinnati et le Far- "l'est. La Convention à Chicago. Arrêt de développement. L'Académie. Statistique des pays anglo-saxons. Héroïsme des pionniers.

Nous avons, je pense, le droit de placer au nombre des premiers partisans de Swédenborg, à côté du D' Œtinger, deux brillants écrivains qui le tinrent en très haute estime et tirèrent le plus grand profit de son enseignement. Je veux parler de Jung-Stilling et de Lavater, qui, l'un et l'autre, défendirent vail­lamment la foi vivante contre les assauts du ratio­nalisme.

* * * • SW~DENBOI\G III 6

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Professeur d'économie politique à Marbourg, puis à Heidelberg, et oculiste fameux, opérant admirable­ment la cataracte, le Dr HENRI JUNG-STILLING publia des Scènes du règne des Esp"its, une Théorie de la connaissance des Esprits, etc. Mystique lui-même, il admettait pleinement le commerce habituel de Swé­denborg avec les trépassés et prétendait le démon­trer. C'est lui qui, sur le témoignage d'un ami qu'il ne nomma pas, raconta ce fait étrange: Swédenborg, se trouvant dans la ville d'Amsterdam, vit des yeux de l'âme la mort du tsar Pierre III, étranglé dans sa prison par ordre de l'impératrice, et la décrivit à l'instant même. Ce fait, qui n'est pas suffisamment attesté, aurait pour parallèle un phénomène bien connu de la vie d'Apollonius de Tyane.

* * * Quant à GASPARD LAVATER, auteur fécond en prose

et en vers et prédicateur impressif, il exerça, vous le savez, le ministère pastoral à Zurich, mais il est surtout resté célèbre comme le créateur d'une science qu'il nomma la Physiognonomie. C'est l'art de connaltre les gens par les traits du visage. Il écrivit, en particulier, sur l'Etat de l'âme après la mort.

Beaucoup plus jeune que Swédenborg, alors dans toute sa gloire, - c'était en 1768, - il lui adressa deux lettres, lui demandant un certain nombre d'explications assurément fort difficiles à fournir. « Car, dit·il, je ne connais personne au monde qui soit capable de répondre à mes questions, si ce

,

1

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n'est vous qui avez donné des preuves d'une con­naissance extraordinaire et presque divine. » II lui parle, vous le voyez, avec une extrême vénération; il va même jusqu'à l'appeler: 0 toi, homme divine­ment inspiré!

Swédenborg ne parait pas avoir répondu à ces questions abstruses, soit qu'il n'en eût pas le loisir, soit qu'il espérât aller faire visite à son jeune cor­respondant, projet que sa propre mort, assez pro­chaine, l'aurait empêché de réaliser. Quoi qu'il en soit, Lavater poursuivit l'étude des ouvrages du théologien suédois, preuve en soient ses traités sur Le Seigneur, Le Rédempteur et L'Expiation, traités où nous retrouvons exactement les doctrines de la Nouvelle Eglise.

* * * Je vous ai parlé, mesdames et messieurs, des

hommes vraiment distingués, ou même illustres, qui se rattachèrent à Swédenborg pendant sa vie; nous avons à voir aujourd'hui dans quelle mesure il fut reçu, en divers pays, depuis sa mort jusqu'à nos jours. Je m'arrêterai quelque peu aux débuts de cette longue période, mais je devrai passer rapide­ment sur la fondation et les progrès de la Nouvelle Eglise.

France.

La France, dont je ne vous ai point encore occu­pés, fournit une transition naturelle entre ces deux périodes dans la personne d'un ecclésiastique com­parable au prélat Œtinger sinon par la science et la

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position, du moins par la célébrité. Ce disciple français n'est autre que JEAN-FRÉDÉRIC OBERLIN, qui fut pasteur à Walderbach, au Ban-de la Roche, de 1767 à 1826. Comprenant son ministère dans un sens beaucoup plus large que ses collègues, il vécut de la vie de ses paroissiens, se consacra à leur bien avec un dévouement inlassable et réussit à civiliser cette sauvage et rude contrée. Lorsqu'il mourut, la population était sept fois plus considérable qu'au moment de son arrivée, sa richesse avait décuplé, et la transformation intellectuelle et morale n'était pas moins remarquable que la prospérité matérielle.

Un de ses visiteurs, le Rév. J. H. Smith son, lui ayant demandé s'il n'avait rien lu de Swédenborg, Oberlin prit un volume et, frappant dessus avec une évidente satisfaction, répondit qu'i! avait de­puis des années ce « trésor» dans sa bibliothèque et qu'il savait par expérience la parfaite vérité de son contenu. « Ce trésor, - explique M. Smithson,­était l'ouvrage de Swédenborg sur Le Ciel et l'En­fer. » Comment ce livre était-il entré chez lui? Oberlin, en arrivant au Ban-de la Roche, en avait trouvé les habitants adonnés à la clairvoyance comme les montagnards écossais, persuadés qu'ils avaient des relations avec les esprits, que des morts leur apparaissaient, etc. Il avait combattu du haut de la chaire ce qu'il appelait une superstition, mais ces phénomènes, devenus plus nombreux et plus frappants, ainsi que la calme certitude de ces bons paysans, triomphèrent de son scepticisme.

«A cette époque, étant en visite à Strasbourg,

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überlin rencontra Le Ciel et l'Enfer, qu'un ami' lui recommanda de lire. Cet ouvrage, à ce qu'il me ra­conta, - c'est le narrateur anglais qui parle, - lui donna une explication pleinement satisfaisante des ,phénomènes extraordinaires dont cette vallée était le théâtre, et des preuves incontestables l'obligèrent il en admettre la réalité. La solution de ce difficile problème lui fit un sensible plaisir; désormais il lut attentivement et avec une joie croissante le livre qu'il appelait son !1·ésor.

» Il ne douta plus de la proximité du monde spi­rituel. Il crut même que l'homme, quant à sa partie la plus noble, - l'esprit immortel, - habite déjà le monde invisible, où, aprés la mort de son organisme terrestre, il est destiné à vivre éternellement. En vertu de la correspondance qui existe entre les deux univers, il comprenait que nous pouvions aisément, quand cela plaisait au Seigneur, être mis, par l'ou­verture de nos sens spirituels, en relation avec le monde des esprits.

» Ce cas, remarquait-il, était fréquent chez les voyants Je l'Ancien Testament. Et pourquoi ne se produirait-il pas maintenant encore, si la Provi­dence divine le jugeait convenable pour instruire plus complètement les hommes sur un état supé­rieur de l'existence, et pour leur communiquer des notions plus claires et plus exactes sur le Ciel, patrie finale des justes, et sur l'Enfer, séjour final des méchants? »

1 Probablement ·Jung-Stilling.

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« Ayant compris, à l'école de Swédenborg, que le royaume du Seigneur est un )'oyaume d'usages, überlin ramena tous les efforts et toutes les actions de cette vie à un seul élément: L'USAGE. Aussi en­seigna-t-il à ses paroissiens que rendre des services, ou étre utile, en évitant le mal parce qu'on le consi­dère comme un péché contre le Seigneur, c'est la véritable vie du Cie\.

» En conséquence, lorsque ses ouailles s'assem­blaient à l'église un jour de semaine pour entendre de la bouche de leur pasteur bien-aimé quelque dis­cours instructif et édifiant, les femmes apportaient leur tricot, leur ouvrage de couture ou de vannerie, et travaillaient ainsi de leurs mains tandis que leurs esprits s'enrichissaient de toute sorte de connais­sances utiles. Le soir d'un jour ouvrable, sa médita­tion n'était pas exclusivement théologique et reli­gieuse, mais leur donnait souvent des idées prati­ques concernant les différents arts de la vie ordi­naire. Ces idées pratiques étaient toujours mises en rapport avec les choses spirituelles et attribuées à la bonté de notre Père qui est aux Cieux; de cette manière überlin rattachait les affaires d'ici-bas aux réalités d'en haut, et faisait descendre une influence céleste dans les devoirs les plus humbles de l'exis­tence. »

Dans sa prédication, « il appelait Jésus presque invariablement son Père. Cette particularité, qui le 1 distinguait de la plupart des chrétiens, frappa beau-coup de gens; mais pour moi, je savais bien com-ment il avait contracté l'habitude de s'adresser ainsi

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au suprême objet de son amour et de son culte. L'ouvrage sur Le Ciel et l'Enfer lui avait appris que nul n'est reconnu dans tous les Cieux pour le Père des hommes que le Seigneur Jésus-Christ, puisque celui qui l'a vu a vu le Père. »

• Il me tardait de profiter de l'occasion pour m'entretenir avec Oberlin sur la signification spiri­tuelle de la Parole de Dieu; mais à cet égard je fus désappointé. Il était convaincu que les Ecritures ont un sens spirituel, mais sa connaissance à ce su­jet me parut obscure et maigre. Il regrettait, disait­il, de n'avoir jamais pu obtenir les livres où Swé­denborg interprète la Bible dans son acception spi­rituelle, ces livres n'ayant été traduits ni en français ni en allemand, et les exemplaires latins étant si rares qu'il n'avait pas réussi à se les procurer. »

Permettez-moi, mesdames et messieurs, de relever ici une omission trop étonnante et trop générale pour n'être pas volontaire. Les biographies et les conférences qui nous font admirer le philanthrope chrétien du Ban-de la Roche se gardent soigneuse­ment de nous dire ce qu'il devait à Swédenborg, et même de prononcer le nom du grand novateur de Stockholm. Elles se bornent à constater, en passant, qu'il avait des idées particulières sur l'âme et le monde suprasensible '. Mécontent comme je le suis de cette inj uste omission, un historien anglais,

t Je suis étonné de trouver la même lacune dans l'Encyclopédie des Sciences religieuses, par F. Lichtenberger, doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris. L'article Oberlin est du doyen lui~même. que rai connu pourtant comme un esprit remarquablement Jarre, et qui de plus était A.lsacien.

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M. Morel, confirme positivement ce que Je VIens d'avancer.

« Oberlin, dit-il, avait beaucoup d'originalité dans ses conceptions, et ses idées les pl us singulières portaient l'empreinte d'une belle âme. Il attachait

,

un sens emblématique aux couleurs. Son ardente' imagination, nourrie des œuvres mystiques de Swé­denborg, aimait à franchir le seuil de la tombe et à faire des excursions dans le domaine qui attend l'âme affranchie des liens du corps. »

En effet, il avait à peine perdu sa femme depuis un ou deux jours qu'elle se manifesta sensiblement à lui pour la première fois, se jetant à son cou et lui promettant de l'environner de sa présence. Dès lors elle lui apparut fréquemment la nuit pendant neuf années. Transférée alors dans une sphère plus haute. - à ce que lui dit son fils, mort également, - elle n'eut plus la permission de se révéler à son ancien époux.

* * * Un livre intitulé Obe"lin a présentement un très

grand succès dans les pays de langue allemande. Un écrivain connu, Frédéric Lienhard, a choisi cette forte et sereine personnalité, qu'il compare à un cèdre, comme figure cen traie de son roman '. Il la fait parler, prêcher, vivre sous nos yeux de la taçoD

1 Oberlin. Roman au. der Revolutionueit im Elsass~ von Friedrich Lienhard. Dritte Auflage, 1910. Ajoutons que la maison Ber&,cr-Levrault 1 annonce en ce moment une Vie d'OberUri par Camîlle Leenhard. Cel ouvrage a l'intention d'être complet. Nous ne savons s'il reconnaîtra tout ce qui chez l'apôtre du Ban-de la Roche provenait directement de Swédenborr·

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la plus naturelle. Les croyances particulières, si fermes et si consolantes, du pieux pasteur de Wal­dersbach, semblent exposées fort exactement, et donnent à cette œuvre d'imagination un ton remar­quablement élevé. Elle repose en effet sur des re­cherches historiques faites sur les lieux mêmes par l'auteur, Alsacien de naissance. Il en ressort que ({ papa Oberlin » se nourrissait des écrits du « grand Swédenborg »; il en possédait une douzaine de vo­lumes, qu'il avait, selon sa coutume, surchargé de marques et d'annotations. Ce qu'il avait de meilleur semble s'être développé sous l'influence du penseur suédois, auquel l'unissait évidemment une affinité de nature 1. Ce livre, d'un spiritualisme si moral et si ennoblissant, rendra plus populaire encore le bienfaiteur du Ban-de la Roche; mais il fera plus. I! attirera l'attention de milliers de lecteurs cultivés sur l'inspirateur d'Oberlin, sur ce prophète des temps modernes que les universités protestantes ignorent généralement, mais qui grandit à l'horizon à mesure qu'on s'en éloigne, comme les pyramides d'Egypte ou l'Arc-de· triomphe de Paris.

Suède.

Revenons à la Suède. De l'Eloge public de Swé­denborg prononcé dans le Palais de la Noblesse, à Stockholm, par Samuel Saudel, au nom de l'Acadé-

1 « L'Evangile me surfit~ disait-il; mais, au lieu de l'interpréter avec les viei1les formules théologiques, pour comprendre le véritable sens des paroles saintes~ il lisait et relisait Swédenborg. ce dont il n'aimait pas d'ailleurs à parler. '.0 Histoire sommaire, p. t!O.

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mie royale des Sciences, je ne citerai que ces mots: «Ce vaste et sublime génie ne connut jamais le repos ni la fatigue ... Il parvint aux plus grandes hauteurs que puisse atteindre l'intelligence hu-

• maine. » Permettez-moi ici une anticipation. Quatre-vingt­

cinq ans plus tard, en 1857, l'Académie suédoise lui rendit un nouvel hommage, dont je suis vraiment étonné. Le secrétaire célébra la mémoire de Swéden­borg dans un discours où il le désigna comme « le premier théologien de son temps et le chrétien le plus éminent de la Suède, » ajoutant que nulle cou­ronne académique n'était d'un prix suffisant pour un homme pareil. La même année, l'Académie fit frapper une médaille en son honneur.

Après la mort du célèbre Voyant, le nombre des adhérents à sa doctrine augmenta sensiblement dans sa patrie. En 1786 ils formèrent, dans la capi­tale du royaume, la Société exégétique et philanthro­pique, qui compta deux cents membres et rendit de grands services pour la propagation des écrits de notre auteur. Firent partie de cette Société: le géné­ral Tuxen, le chevalier Sandel, surintendant des Mines, l'évêque Hallénius, Ch. Robsahm, commis­saire du gouvernement à la Banque de Suède, qui a beaucoup parlé de Swédenborg dans ses Mémoires, et les deux frères Nordenskiôld. L'ainé, Augustin, fit publier à Londres un précieux manuscrit de Swédenborg (Coronis ou Appendice à La Vraie Reli­gion chrétienne), et relier à ses frais, à Stockholm, tous ceux qui se trouvaient à la bibliothèque de

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l'Académie des Sciences. Le cadet, Frédéric, chargé d'affaires à Rostock, y fit paraître des Considérations toucha"t le christianisme actuel et la lumière que M. Swédenborg répand su.· la .·eligion. Ce livre fut confisqué et il n'en existe qu'un seul exemplaire. Un ami de Frédéric Nordenskiôld, Waldstrom, se rendant en Angleterre, y porta plusieurs des dits manuscrits, entre autres le fameux Journal spiri­tuel, qui a été plus tard traduit en anglais et im­primé en cinq gros volumes. Waldstrom fut le prin­cipal rédacteur du New Jerusalem lflagazine et ter­mina sa carrière à Paris. L'Académie de Stockholm lui décerna une médaille en récompense du zèle qu'il avait déployé pour l'abolition de l'esclavage.

Parmi les membres étrangers de la Société exégé­tique, je citerai le prince Charles de Hesse, le mar­quis de Thomé et Moët, bibliothécaire à Versailles, qui traduisit en français les œuvres théologiques de Swédenborg.

Par malheur, la Nouvelle Eglise fut compromise assez gravement par plusieurs de ses membres, qui mêlèrent à ses doctrines les pratiques du mesmé­risme et les rêveries de la philosophie hermétique. L'un d'eux (Augustin Nordenskiôld) crut avoir dé­couvert le secret de faire de l'or, se ruina en expè­riences et mourut misérablement en Afrique. Ces faits regrettables amenèrent la dissolution de cette première association (1789), qui fut cependant rem­placée, quelques années plus tard, par la Socièté pro (ide et cha.-itate (1796-1820).

L'opposition ne manqua point. Les excès de la

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Révolution française ayant détruit ce goût pour les idées nouvelles qui distinguait, en tout pays, les classes élevées à la fin du dix-huitième siècle, le gouvernement suédois fit confisquer les œuvres de Swédenborg et de ses disciples, et condamner soit à une forte amende, soit à la destitution tous ceux qui en seraient trouvés possesseurs. Le vieux pas­teur Tybeck souffrit beaucoup à ce propos.

Le fils de Frédéric-Adolphe, Gustave III, rétablit en 1772 la monarchie absolue, que Swédenborg avait combattue avec tant de force dans les séances de la Diète. Ce roi, qui avait reçu une éducation toute française, eut le tort d'encourager deux poètes voltairiens, ses secrétaires, à poursuivre de leurs railleries et de leurs insultes les partisans du Pro­phète du Nord. Le nom de « swédenborgien » devint alors une injure. .. .. ..

Cette hostilité du pouvoir royal et la sévérité des lois contre la dissidence empêchèrent longtemps la constitution de la Nouvelle Eglise ou Nouvelle Jéru­salem, que Swédenborg avait pourtant annoncée. Elle vit le jour enfin, presque un siècle après la mort de Swédenborg, premièrement à Stockholm (1867), ensuite à Copenhague. Ces deux Eglises locales, d'un type inédit, ne réunirent que cin­quante à soixante-dix membres chacune, mais atti­raient à leurs conférences de cinq à six cents audi­teurs.

Depuis une cinquantaine d'années, la liberté reli­gieuse s'est tellement implantée en Suède qu'on peut

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s'y nommer « swédenborgien b sans s'exposer à la persécution, ni même au ridicule. Les croyances nouvelles trouvent surtout accès chez les ouvriers, les petits propriétaires et les marchands. Une asso­ciation fondée en 1858 s'occupe à traduire en suédois, à imprimer et à répandre les livres religieux de Swé­denborg. Un de ses membres les plus dévoués fut le D' Kahl, doyen de la cathédrale de Sund; d'autres ecclésiastiques estimés professent les mêmes doc­trines. En effet, certains évêques (luthériens) tolèrent dans leur diocèse des prêtres qui sont et s'appellent swédenborgiens, sans désirer sortir de l'Eglise na­tionale.

Il s'est même passé quelques faits pl us caractéris­tiques et plus encourageants encore. Le Catéchisme officiel a été modifié dans le sens des vues de Swé­denborg. Il en est de même de la Liturgie. On en a retranché le Symbole d'Athanase ainsi que celui de Nicée, et dans le Symbole des Apôtres, au lieu de : « Je crois à la résurrection de la chair, » on a mis: « Je crois à la résurrection des morts. »

* * * Il n'entre pas dans mon plan de vous décrire au­

jourd'hui l'état actuel de la Nouvelle Eglise; je me borne à vous rappeler que des faits récents lui ont ouvert de belles perspectives. De ces faits, que je vous ai contés l'année dernière, je ne relèverai que ceux-ci: la découverte de plusieurs manuscrits de Swédenborg sur le Cerveau; la formation d'une So­ciété académique pour la publication de toutes ses

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œuvres soit en latin, soit en suédois; Gustave V pa­tron du " Congrès Swédenborg D, qui eut un si re­marquable succès; le transport des restes mortels du savant théosophe de Londres à Stockholm sur un navire de guerre; leur déposition dans la cathédrale d'Upsal; plus tard enfin, le mausolèe élevé aux frais du parlement pour leur servir de demeure définitive, et les cérémonies de son inauguration, auxquelles prirent part le roi et la famille royale, avec les plus hautes autorités de l'Eglise et de l'Etat. Ces hon­neurs vraiment exceptionnels, - peut-être même uniques dans l'histoire des diverses nations, - ont mis Swédenborg plus en vue que jamais, proclamant au loin qu'il était un des pl us grands citoyens de la Suède et sa gloire la pl us pure.

Angleterre.

L'Angleterre, où Swédenborg avait laissé quelques partisans convaincus, en gagna bientôt quelques au­tres. Un riche gentleman de Liverpool, Richard Hougton, lié avec Hartley, fit connaitre le nouveau point de vue au Rév. John Clowes, recteur de l'Eglise de Saint-Jean à Manchester. De bonne famille, Clowes avait étudié à l'Université de Cambridge et obtenu le prix qu'on y décernait au meilleur élève. II pouvait aspirer aux plus hautes dignités, mais une maladie grave renversa ses projets et des circonstances pro­videntielles le dirigèrent d'un autre côté. Feuilletant, en 1773, la Vraie Religion chrétienne, il fut vivement frappé par les mots Divinum Humanum, qu'il revit,

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avec une joie inexprimable, entourés d'une lumière éblouissante. II fut bientôt persuadé que ce livre lui apportait la vérité de Dieu, et n'adressa dès lors ses adorations qu'à Jésus-Christ dans sa divine huma­nité, comme le faisaient les chrétiens primitifs.

Désireux de faire participer ses semblables aux dons qu'il avait reçus, John Clowes traduisit plu­sieurs ouvrages de Swédenborg, - entre autres deux des plus longs, - et répandit largement, par des sermons et des conférences, ses croyances particu­lières. Ille fit librement grâce à la protection de son évêque' : exemple trop rare d'évangélique largeur!

En 1780, - donc un peu plus tôt qu'en Suéde, -des Sociétés swédenborgiennes commencèrent à sur­gir dans les villes et villages des environs. Invité à leurs réunions, Clowes y assista aussi régulièrement qu'il le put durant trente ans, sans d'ailleurs encou­rager personne à sortir de l'Eglise établie. Le doux recteur s'efforçait surtout de gagner à ses croyances les pasteurs anglicans; il en gagna, dit-on, soixante à soixante et dix.

Un autre clergyman de l'Eglise d'Angleterre, Aug. Clissold, contribua au mouvement par ses prédica­tions, ses écrits et ses grandes libéralités. Il y eut bientôt des cultes swédenborgiens dans plusieurs autres centres: Londres, Bristol, Birmingham, Li­verpool.

t Le D1' Porteus, évêque de Chester, qui fut plus tard évêque de Londres. .. .. ..

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Il vaut la peine de rappeler les origines de l'Eglise Nouvelle dans la capitale de la Grande-Bretagne. « Essayons, dit M. Chevrier, de tracer le portrait d'un swédenborgien d'un type bien différent. Rober! Hindmarsh n'était pas comme Clowes un homme de la haute société et de la Haute Eglise. La divergence de ces deux hommes quant à la séparation d'avec le culte extérieur de la vieille Eglise tenait en partie à la différence de leur position sociale. En quittant l'Eglise anglicane, Clowes eùt été comme dépaysé et aurait perdu la plus grande partie de son influence; Hindmarsh, au contraire, en organisant un culte spécial pour une Société de la Nouvelle Eglise, trou­vait dans cette organisation même des moyens d'ac­tion qui lui eussent autrement fait défaut.

» Hindmarsh était imprimeur et fils d'un prédica­teur wesleyen ; il lisait le latin et le grec et savait un peu d'hébreu. Né en 1759, il rencontra, à vingt-trois ans, l'ouvrage de Swédenborg sur Le Giel et l'Enfer et perçut instantanément que ces doctrines étaient d'origine divine. Il trouva dans la lecture de notre auteur la solution de ses doutes sur la Trinité. Le même jour où il rencontra le livre ci-dessus, il fit la connaissance de la femme avec laqnelle il vécut heu­reux pendant cinquante-deux ans.

» A cet humble imprimeur échut la mission glo­rieuse d'inaugurer sur la terre l'Eglise caractérisée par le culte du Seigneur Jésus-Christ comme Dieu unique, Eglise prédite dans l'Apocalypse sous le nom de Nouvelle Jérusalem. En choisissant Londres pour le lieu de sa fondation, la Providence mon Irait que

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cette Eglise devait se répandre jusqu'aux extrémités du monde, aucune nation n'étant plus apte à cette tâche que la race anglo-saxonne'. »

Les commencements furent très modestes. Convo­qués par un avis dans les journaux, les admirateurs de Swédenborg se réunirent avec Hindmarsh, dans un endroit désigné par lui, le 5 septembre 1783. On eut dès lors des réunions hebdomadaires, où vinrent peu après Flaxman, le célèbre sculpteur, Peckitt et d'autres.

Ce petit groupe devint assez nombreux et assez riche pour fonder une association qui est devenue la puissante Swedenborg Society. Cette Société, destinée à imprimer et publier les œuvres de Swédenborg, contribua de la manière la plus efficace à l'extension de la Nouvelle Eglise. Un don de 75000 francs reçu du Rév. Aug. Clissold lui permit d'avoir dans la ca­pitale, Bloomsbury Street, une maison qui rend en­core les plus grands services. Elle renferme un ma­gasin de librairie, une bibliothèque et diverses sal1es de comités, d'expositions, etc.

Enfin, non sans de franches discussions, la Nou­velle Eglise fut constituée sous une forme visible et distincte, un Petit traité se chargeant d'expliquer pourquoi Hindmarsh et ses amis avaient cru devoir se séparer de l'Eglise ancienne. L'inauguration de ce culte eut lieu le 27 janvier 1788. Sur la porte de la chapelle étaient inscrits ces mots latins, qui se trou­vent en tête de La Vraie Religion chrétienne: NUNC

t Histoire sommaire, p. 15.

SWÉDENBORG lU 7

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LICET. - J}laintenant il est pel·mis. Sous-entendu: de pénétrer par l'intelligence dans les mystères de la foi, c'est-à-dire de comprendre le sens spirituel et caché des Ecritures.

Une fois organisée à part, l'Eglise swédenborgienne se donna des ministres; les premiers furent nommés par le sort, car on ne croyait pas à la succession apostolique, et d'autre part on ne voulait dépendre d'aucune Eglise existante.

* * * Les fondateurs de la Nouvelle Jérusalem comp­

taient malheureusement dans leurs rangs des hom­mes d'une moralité équivoque, qui firent grand tort au cuIte nouveau. Mais, pour soutenir l'édifice chan­celant, Dieu suscita un homme nouveau, Proud, qui avait été pendant longtemps un des prédicateurs baptistes les plus goûtés. Orateur éloquent, Proud fut ordonné en 1791 ministre de la Nouvelle Eglise, composa trois cents cantiques, prêcha sept mille sermons dans l'espace de trente-cinq ans, fut pasteur à Birmingham, à Manchester et à Londres, où il inaugura le temple de Cross Street, fut éditeur de L'A urol'e et mourut très âgé en 1826.

A Birmingham, la vaste église où Proud se faisait entendre regorgeait tellement d'auditeurs qu'il était question de l'agrandir quand, le gentleman qui l'avait érigée ayant fait faillite, l'édifice du~~tre vendu. Proud y perdit toutes ses économies, qu'il avait mises dans cette construction; mais il avait inspiré à tous une telle sympathie qu'on ouvrit en sa faveur une

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souscription, à laquelle prirent part des anglicans et des unitaires.

A Manchester, Proud officia dans un beau temple élevé par un clergyman de l'Eglise établie, qui s'était séparé d'elle pour se joindre à la Nouvelle Eglise. c Ce fut certainement l'un des fruits de l'apostolat de Clowes. Les non-séparatistes préparent la voie aux séparatistes. En religion comme en politique, il"'

;

faut des hommes de transition, de transaction, qui • servent pour ainsi dire de pont entre la vieille Eglise i

et la nouvelle i. » ...J

Depuis sa retraite, Proud vécut avec sa famille dans une grande pauvreté. Parmi les hardis pion­niers de la vérité religieuse, combien n'ont récolté que le mépris du monde et la misère; supplice sou­vent plus cruel que la mort par le fer ou le feu 1 Il est vrai qu'ils avaient dans l'approbation de Dieu et dans leurs espérances la meilleure des compensa­tions. Chaque Eglise a progressé par ses martyrs. La Nouvelle Eglise doit avoir aussi les siens; c'est grâce à eux surtout qu'elle durera. Pour s'affermir et s'étendre, elle a besoin de l'influx invisible de ceux qui, ayant souffert ici-bas pour le véritable christianisme, sont préparés par ces épreuves passa­gères à devenir des membres actifs des Sociétés cé­lestes.

* * * Nous ne suivrons pas la Nouvelle Eglise d'Angle­

terre dans ses développements jusqu'à notre époque.

1 Hldoire $ommaire, p. !4.

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Il me suffira d'indiquer quelques points. La première Conférence générale des lecteurs de Swédenborg eut lieu à Londres en 1789; une seconde, réunie en 1790, organisa l'Eglise Nouvelle dans le détail et vota une très courte Profession de foi, qu'il est intéressant de noter ici. Elle n'avait que trois articles:

« 1 0 Dieu est un. En une personne divine, savoir en Jésus-Christ glorifié, il y a la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en d'autres termes le divin Amour, la divine Sagesse et la divine Opération.

}) 20 La Parole de Dieu est sainte et divinement . " mspiree. » 30 Pour être sauvé, il faut mener une vie con­

forme aux préceptes de l'Ecriture. Il

Impossible d'être plus positif quant à l'essentiel, et en même temps moins sectaire, plus libéral dans les choses de second ordre, plus « catholique» dans la vraie acception de ce mot!

* * * L'Ecosse ne s'ouvrit que plus tard à l'influence

swédenborgienne; une Eglise put enfin se fonder à Glasgow. Dès lors le mouvement a continué sans in­terruption dans la Grande-Bretagne. L'œuvre s'y dé­veloppe lentement, mais sûrement. On a calculé que le chiffre des membres inscrits augmente de soixante­dix à quatre-vingts par année, en dépit des pertes causées par l'émigration, qui est d'ailleurs fort utile pour répandre les nouvel!ea croyances dans les colo­nies anglaises. « Ces swédenborgiens sont des gens singuliers! s'écriait un pasteur méthodiste. Leur

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nombre croît avec une lenteur qui découragerait les autres chrétiens; ils demeurent néanmoins convain­cus de la vérité de leur doctrine et persuadés que leur Eglise a un grand avenir!. 'b

* * * Vous n'attendez pas que je vous dépeigne l'état

actuel de l'œuvre swédenborgienne en Angleterre; quelques chiffres pourtant me semblent utiles pour vous en donner une idée. D'après le recensement de 1911, il Y a 76 Sociétés affiliées à la Conférence; elles réunissent 6725 membres!!. Leurs écoles du dimanche instruisent 7344 enfants. On compte en outre 1128 Junim· Members, expression qu'on pourrait traduire par « Membres cadets» ou « Candidats », et 1037 lsolated Receivers, c'est-à-dire « Croyants isolés D. La plus considérable de ces Sociétés, celle d'Accrington, a plus de 500 membres inscrits. Le Lancashire se distingue en possédant 27 Sociétés; Londres en a 9. Je ne m'arrête pas à quelques Sociétés, en général très petites et de formation récente, qui ne se ratta­chent pas à la Conférence.

1 « Si la Nouvelle Eglise s'accroIt lentement, _ dit un adepte, _ c'est que ses doctrines sont radicalement opposées aux vieilles théolo­gies. - Cette Eglise ne concorde ni avec lcs anciennes théologies qui reposent sur l'idée de trois Dieux personnels, ni avec les systèmes scientifiques qui nient tout surnaturel, c·cst-à·dire l'existence de Dieu ct la vic après la mort. Il faut donc, pour devenir swédenborgicn, .., rompre entièrement avec les jd~es reçues. Rien ne coûte davantage; aux hommes. »

2 Le nombre des Ministres consacrés est de 43, dont 2 sont Mission­naires. JI y ft aussi 9 Directeurs reconnus (Recogniz.ed Leader,) ou Présidents de Sociétés.

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Une moyenne de 4390 personnes assistent, le di­manche, à chacun des deux cultes publics. C'est donc à peu près la moitié du total des vrais disciples de Swédenborg, les enfants non compris.

Bien que la Conférence se rassemble tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, la métropole est de­venue l'ardent foyer du mouvement. La grande Swe­denborg Society, - qui a célébré l'an passé son pre­mier centenaire et qui, à ce propos, a convoqué le Congrès international, - tient séance dans la Mai­son Swédenborg, dont je vous ai parlé. C'est là que, chaque jour, on trouve M. James Speirs, l'actif et intelligent libraire-éditeur qui, avec une amabilité parfaite, vous mettrait au courant de l'immense lit­térature de la Nouvelle Eglise et vous procurerait tous les ouvrages désirés. Vous savez, en effet, que ceUe dénomination imprime beaucoup plus qu'au­cune autre. J'ajoute que ses revues et journaux me paraissent remarquables tant pour la forme que pour le fond.

En somme, l'Eglise qui s'appuie sur le système doctrinal de SWédenborg, sans être numériquement forte, est déjà une puissance d'un côté par la convic­tion personnelle de ses membres, de l'autre par l'in­contestable supériorité de son crédo. Cependant on serait très injuste en la jugeant par les chiffres extrê­mement modestes de sa statistique. Ce qui fait sa valeur exceptionnelle, ce qui lui assigne une place à part au milieu des autres confessions, c'est l'infati­gable, généreuse et sage propagande à laquelle elle se livre au moyen de la presse; c'est la colossale et

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profonde influence qu'elle exerce par ses écrits sur les savants et les ignorants, les chrétiens, les scepti­ques et les négateurs. Il y a là un levain pénétrant qui pourrait, tôt ou tard, faire lever toute la pâte. Les swédenborgiens anglais croient d'avance à ce ré­sultat, ils en sont sûrs!

Et, quoiqu'il n 'y ait eu aucun grand seigneur dans la Nouvelle Eglise, Dieu pourvoit toujours à ses be­soins par la libéralité de ses membres et amis. Outre le don de 75000 francs fait par le pasteur anglican Clissold, un fabricant de papier du Lancashire, M. Crompton, légua 300000 pour créer la faculté de théologie d'Islington, et un autre swédenborgien donna 575000 francs pendant sa vie. Les fonds ad­ministrés par la Conférence pour ses institutions diverses, qui sont au nombre de 22, montent à 2686500 francs.

Amérique.

Douze ans après la mort de Swédenborg, ses ouvrages furent portés et répandus en Amérique par un Ecossais d'une vaste érudition et d'une bril­lante intelligence, M. Glen; il donna même à Phila­delphie (en 1784) des conférences qui ne firent pas bonne impression. Quelques auditeurs quittèrent la salle, le prenant pour fou. Cependant M. Glen con­sacrait à la défense de ses convictions beaucoup de temps et d'argent, et ce ne fut pas en vain. Huit ans après son arrivée aux Etat-Unis (en 1792) se formait à Baltimore la première Société de la Nouvelle Eglise; elle comptait 22 membres. Un temple)" fut ouvert en 1800.

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Un des fondateurs de l'œuvre américaine fut un descendant de huguenots français, le Rév. Duché, qui avait officié comme chapelain dans les congrès des Etats-Unis en 1776. Ayant appris à connaitre en Angleterre les nouvelles doctrines, ce prédicateur distingué les répandit avec ardeur à son retour;; il fut grandement aidé dans cette tâche par sa fille, dont le mari, quoique ministre anglican, traduisit l'Apocalypse Expliquée.

Philadelphie est restée importante pour la propa­gande swédenborgienne. C'est là que se forma, en 1816, une association ayant ce but, et qu'en 1818 la Convention générale se réunit pour la première fois. Elle a encore lieu chaque année. Cette« Conven­tion JJ est aux Etats-Unis ce qu'est la « Conférence» en Grande-Bretagne.

* * * A partir de 1817, il Y eut un culte régulier à Bos­

ton, dont la Société a été longtemps la plus nom­breuse de toutes celles de la Nouvelle Eglise dans le monde entier. Thomas Worcester, premier pasteur de l'Eglise de Boston, remplit ces fonctions pendant un demi-siècle; il était l'une des douze personnes qui fondèrent cette Eglise en 1818. Ce fut un grand acte de courage, vu l'intolérance qui régnait alors et dont on ne se fait aucune idée aujourd'hui. « On nous regardait comme des fous, - dit un contempo­rain, - et on rompait toute relation avec nous. Nous avions à lutter contre nos amis et nos parents, qui nous prédisaient la perte de notre honorabilité et la

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ruine de nos intérêts matériels; mais nous étions soutenus par notre amour pour la vérité et par la sympathie mutuelle qui unissait les membres de nos petites Sociétés. »

Dix ans plus tard il y avait 63 membres, en 1848 quatre cents, et d'après la plus récente statistique il y en a 500.

Descendant d'une famille anglaise qui avait émi­gré sous Charles 1er, Th. Worcester avait fait ses études avec un remarquable succès au Collège de Harvard, dont il devint administrateur dans son âge mûr. Son ascendant gagna pour la Nouvelle Eglise plusieurs de ses condisciples: Goddard, Parsons, Read, etc.

f: C'était un homme d'une fermeté rare, qui n'é­tait ébranlé par aucune opposition et ne s'émouvait d'aucune raillerie. On lui reprochait un peu de ru­desse; mais s'il avait été d'un caractère plus flexible, il n'aurait pas accompli la grande œuvre qu'il a me­née à bien. Il mourut à quatre-vingt-trois ans '. »

Etant encore élève du Collège de Harvard, Wor­cester découvrit, dans le catalogue de la bibliothè­que, un exemplaire latin d'une œuvre de Swéden­borg, déposé là dix-huit ans auparavant par un An­glais. On ne trouva qu'à grand'peine ce livre, que nul n'avait jamais ouvert. C'est la lecture de cet ouvrage qui fit de cet ami de la vérité un des fonda­teurs de la Nouvelle Eglise en Amérique et le pre­mier président de sa Convention générale.

t Rist. som.~ p. 50.

* * *

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Peu à peu l'opinion publique se modifia vis-à-vis des swédenborgiens, et parfois ce changement pro­vint des causes mêmes qui semblaient devoir entre­tenir les préventions.

En Angleterre le célèbre Wesley, après avoir été favorable à Swédenborg, s'était tourné contre lui el s'efforçait de faire croire qu'il avait perdu la raison. Ayant lu dans l'Armenian Magazine un article dans ce sens, un pasteur très considéré de l'Eglise métho­diste, le Rév. Hardier, voulut juger par lui-même d'écrits dont jusque-là il n'avait point entendu par-1er; il les lut et fut convaincu. Aussi se démit-il de ses fonctions. Il se rendit à Cincinnati, commença par des assemblées dans sa maison et devint mi­nistre de la première Société swédenborgienne fon· dée au delà des Monts Alléghanis. De cette Société forte et influente sont partis de nombreux émi­grants, qui portèrent la réforme théologique dans toutes les parties du Far- West.

.. .. A cette époque des « petits commencements », les

adeptes du Prophète du Nord n'étaient, pour la plu­part, ni riches ni savants; mais presque tous lisaient assidûment les ouvrages de Swédenborg et mettaient leurs délices à apprendre comment chacun des nou­veaux adhérents avait été amené à leur foi. C'étaient en général des ouvriers et des commerçants; il yeut cependant des exceptions. Outre les hommes distin­gués que nous avons déjà nommés, citons-en deux encore. A Washington, Fairfax, le premier swéden-

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borgien, descendait du général de l'armée du Parle­ment d'Angleterre en révolte contre Charles 1er, et le premier pasteur de la Nouvelle Eglise, Fox, était petit-fils du fameux auteur de La vie des Marty'·s.

Il serait intéressant, - si nous en avions le loisir, - de suivre ce qui se passa dans le Maine et dans l'Illinois, où se dessina un mouvement analogue. De 1820 à 1870, donc en cinquante ans, le nombre des membres de la Nouvelle Eglise a décuplé, tandis que la population n'a fait que quadl'upler.

* * ,. Terminons par un bref résumé de ce que l'œuvre

américaine est actuellement. La Convention géné­rale s'est réunie dans l'immense ville de Chicago, à l'Hôtel La Salle, du 6 au 13 juin de cette année (1911). C'était sa quatre-vingt-onzième session. D'a­près les procès-verbaux de cette assemblée, - ils forment un véritable volume (de 263 pages), - la dénomination compte 101 ministres consacrés, 99 Sociétés et 6396 membres. Il y a quatre Eglises dis­tinctes à Chicago même.

* * ,. On se plaint d'un arrêt dans le développement ex­

térieur de la Nouvelle Jérusalem. Si nous compa­rons en effet le Journal de la dernière Convention avec celui de 1900, nous constatons que le chiffre des membres a baissé, en onze années, de 540 uni­tés. Ce n'est pas énorme, mais cela contraste avec l'accroissement qu'on escomptait. On recherche na-

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turellement les causes de cette attristante diminu­tion. Sans approfondir aujourd'hui ce sujet, sur lequel nous aurions d'importantes observations à faire, nous indiquerons un fait nouveau qui est cer­tainement une de ces causes. Il s'est constitué, aux Etats-Unis, sous le nom de l'Académie, une Eglise swédenborgienne qui ne se rattache point à la Con­vention générale. Cette Eglise séparée renferme déjà un millier de membres et paraît en voie de progrès. Elle vient de construire et d'inaugurer une magnifi­que bibliothèque, qui a coûté 500000 francs; cet édi­fice modèle fait partie d'un ensemble de bâtiments destinés à des écoles élémentaires, à un collège, à sa chapelle et à leurs dépendances.

La naissance de l'Académie n'a pas eu lieu sans des luttes pénibles, qui ont dû produire sur le pu­blic un très mauvais effet. Quoi qu'il en soit, il me semble légitime d'ajouter les mille membres de cette dissidence aux membres recensés par la Con­vention. Nous dirons donc qu'il y a présentement aux Etats-Unis, y compris le Canada, 7396 swéden­borgiens déclarés, ce qui est un total supérieur à tous les chiffres précédents.

* * Comme la Nouvelle Eglise d'Angleterre, la Nou­

velle Jérusalem des Etats-Unis et du Canada pos­sède une faculté de théologie pour préparer ses pliS­teurs, des œuvres nombreuses et prospères, enfin des publications périodiques d'un grand intérêt. Quoique constituées à part, ces deux Eglises sont

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unies par la plus vive sympathie, comme j'en ai eu la preuve à Londres, au Congrès Swédenborg de 1910. Des deux côtés de l'Atlantique les difficultés que rencontrent les swédenborgiens sont à peu près les mêmes, et ils ont les mêmes croyances, le même esprit, la même assurance du triomphe final. Ajou­tons que, des deux côtés, ils ont des pasteurs et des laïques remarquables comme journalistes, écrivains, penseurs, administrateurs et prédicateurs.

* * * Réunissons à présent, - en nous appuyant sur les

dernières statistiques, - les forces de la Nouvelle Eglise dans les deux pays anglo-saxons. Nous arri­vons aux chiffres suivants:

Angleterre: 7762 membres '. Amérique : 7396 »

Total: 15158 membres.

* * * Je remets à mercredi prochain la philosophie de

cet exposé historique, je veux dire les observations qui me paraissent en découler naturellement. Pour terminer ce soir, permettez-moi de relever un seul fait:

Loin d'avoir pour elles un mouvement national de Réformation et d'être ouvertes à la multitude, les Eglises dont il s'agit ont été fondées par des nova-

t 6725 rattachés à la Conférence et 1037 Croyants isolés; ensemble 776~.

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teurs convaincus, désintéressés et persévérants; elles se sont maintenues et développées, en dépit d'un ostracisme général, par l'étude individuelle, les courageux sacrifices et la spiritualité de ses membres. Ces circonstances peu ordinaires, - si ce n'est uniques dans leur ensemble, - donnent aux chiffres que j'ai cités une éloquence toute spéciale, et sont de nature à frapper les esprits qui cherchent encore la vérité.

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DEUXIÈME LEÇON

Philosophie de l'histoire précédente : j 0 Esprits ouverts. 20 Apôtres. ;lo Opportunistes et intransigeants. ~o Société ou Eglise. 50 Création spontanée. - Allemagne. Isolement forcé. Le Dr Emmanuel Taret. Rôle des pasteurs luthériens. M. l\Iullensiefen. - France. Lettre du marquis de Thomé. Le bénédictin Pernetty. Les Illuminés d'Avignon. Rouen et Strasbourg. Moët, bibliothécaire à Versailles. Barrois, libraire à Paris. Le capitaine Bernard. L'abbé .tEgger, pre­mier vicaire de Notre-Dame. Edouard Richer, de Nantes. La Religion du bon sens et Invocations religieuses. La ,Vouvelle Jérusalem. M. de Tollenare. Sa ferveur et ses capitulations. Abjuration forcée. Découverte providentielle de ses véritables sentiments. Danger des compromis de

• conscience.

Quelle est donc la « philosophie)) de l'histoire que nous avons esquissée? Ou quelles son t les observa­tions qui découlent naturellement de ce que je vous ai raconté jusqu'ici? C'est ce que je désire vous montrer ce soir, avant de passer à l'Allemagne et à la France.

1° Tout d'abord les pionniers de la Nouvelle Eglise en Suède, en Angleterre et en Amérique ont été des esprits ouverts, aimant la vérité pour elle­même et l'estimant plus que les perles. Au sein même du protestantisme, la plupart des croyants -ou de ceux qui passent pour tels - se contentent

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du crédo de leur Eglise, des idées de leur milieu, moins par persuasion que par indifférence et par apathie; rares sont ceux qui réfléchissent, qui exa­minent, qui cherchent à se faire d'après l'Ecriture Sainte des croyances vraiment personnelles. A cette classe trop restreinte appartenaient les hommes qui, les premiers, se sont intéressés aux ouvrages de Swédenborg, les ont lus, ont accepté leur doc­trine et sont devenus les défenseurs de cette théolo­gie nouvelle. Les uns, dès le premier volume, ont reconnu, par une vive intuition, qu'ils étaient en présence de la vérité divine, c'est-à-dire d 'une con­ception de l'ancien Evangile supérieure à tout ce qu'on leur avait enseigné, et ils ont admis pour ainsi dire le système en bloc, sans en avoir pu com­prendre toutes les parties. Les autres, plus pru­dents, ont été frappés également du premier coup par certaines idées justes qui s'imposaient à leur raison et à leur conscience, mais ils avaient encore contre d'autres doctrines des objections provenant de leur éducation religieuse et de la théologie cou­rante; aussi leur fallut-il de sérieuses recherches, ainsi que l'énergique volonté de s'affranchir de tout préjugé, pour être persuadés de la mission sacrée du Voyant de Stockholm et pour accepter l'en­semble de son enseignement. En tout cas, les uns et les autres étaient convaincus, et cette conviction était pour eux un trésor précieux, une vie, le res­sort d'une activité désintéressée et féconde.

* * *

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20 En effet, - et c'est mon second point, - cette foi spéciale les a transformés en apôtres. Incapables de garder pour eux seuls le trésor spirituel qu'ils avaient découvert, ils ont voulu le faire partager à leurs parents, à leurs amis, à leurs connaissances, à toutes les personnes qu'ils pouvaient atteindre. Ils ont traduit, publié, expliqué les œuvres de Swédenborg; par des sermons, des conférences, des réunions autant que par la correspondance et par la presse, ils se sont efforcés de répandre et de légiti­mer la sublime doctrine qui les avait rendus si heu­reux. Ils n'étaient pas tous des savants, des doc­teurs, des hommes influents et hauts placés; mais tous, jusqu'aux plus modestes, ont senti le devoir et le privilège d'une propagande que l'hostilité géné­rale rendait difficile et dangereuse.

Loin de reculer devant ces difficultés et ces dan­gers, ils nous ont laissé de nombreux exemples de courage moral et de véritable héroïsme. Ils nous ont aussi donné l'exemple d'une libéralité surpre­nante, sans laquelle cette large diffusion de livres difficiles, traduits du latin en diverses langues, n'aurait jamais été possible. Remarquons, à ce pro­pos, quelles sommes immenses peuvent provenir d'un petit nombre de donateurs, quand ceux-ci croient avoir trouvé la vérité qui sauve et n'ont pas de plus ardent désir que de la transmettre à leurs frères, qu'ils voient encore se débattre dans les ténè­bres du péché.

* * * SWÉDENBOnG In 8

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30 J'attire maintenant votre attention sur un troi­sième point. Si les premiers swédenborgiens ont tous cherché à en gagner d'autres, ils ont poursuivi ce seul et même but par deux méthodes différentes. Les uns, - je les appellerai les opportunistes, -quand ils appartenaient à l'une ou l'autre des anciennes Eglises, se sont gardés de rompre avec elle, pensant qu'ils y exerceraient plus d'ascendant que partout ailleurs, espérant peut-être même qu'un peu du levain qu'ils apportaient ferait lever toute la pâte. Les autres, - je les appellerai les intl'ansi­gean/s, - se sentant forcés de combattre les dogmes traditionnels, se sont séparés ouvertement de leur Eglise; désireux de professer leurs doctrines et de célébrer leur culte avec la plus complète liberté, ils ont posé les bases d'une « Nouvelle Eglise» ou d'une " Eglise de la Nouvelle Jérusalem. »

Je n'oserais certes condamner aucune de ces deux méthodes; elles ont du bon l'une et l'autre, et vous avez probablement, comme moi, senti la sagesse de toutes deux. Swédenborg lui-même est resté dans l'Eglise suédoise et, sur son lit de mort, a recu la sainte cène de la maLl d'un pasteur luthérien. Clowes et Clissold paraissent avoir eu raison de conserver leurs fonctions de cle,'gymen dans l'Eglise d'Angleterre. Cet opportunisme ne devient coupable que lorsqu'il implique un compromis désavoué par une conscience droite, lorsqu'il entraîne après soi

. une dissimulation déshonorante. Un swédenborgien cachant ses opinions pour garder sa place, ou pour

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plaire à ses alentours, nuit à son âme et se condamne à l'impuissance.

Souvent il est indispensable de faire bande à part, de sortir des cadres existants et de se constituer, fOt-on très peu nombreux, en organisme spécial, afin de pouvoir, sans entrave aucune et loin de toute influence fâcheuse, développer la vie spiri­tuelle des individus et du petit troupeau, et travail­ler avec l'espoir fondé du succès à la grande œuvre à laquelle on se sent appelé. Là où manquent la décision et l'entente nécessaires pour créer une Nouvelle Eglise en face des Eglises vieillies et caduques, - mais encore puissantes à certains égards, - les plus belles semailles, qui faisaient présager une riche moisson, peuvent ne donner pendant de longues années que les plus maigres résultats.

Sans doute il ne faut pas devancer les temps. La dissidence n'est pas possible quand les lecteurs de Swédenborg sont encore indécis au sujet de son enseignement, ou quand il ne s'est pas opéré dans leur âme une transformation qui les rende ca­pables de se dévouer à l'œuvre nouvelle. Dans ce cas, ils doivent attendre jusqu'à ce qu'ils soient mûris et fortifiés. Mais alors le devoir s'impose à eux de s'organiser aussi bien que possible, afin de progresser plus rapidement et d'agir en commun d'une manière plus efficace. Je sais que les circons­tances varient infiniment selon l'époque et le lieu; aussi serait-il imprudent de dire ce qui vaut le

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mieux dans les commencements de l'œuvre ou de donner un conseil convenant à tous.

Voici cependant quelle est normalement la voie à

suivre par les pionniers swédenborgiens. Première­ment s'instruire autant qu'ils le peuvent, se mettre au clair quant aux doctrines principales (il n'yen a que quatre), arriver ainsi à de vraies convictions et y soumettre leur propre conduite. Secondement s'unir pour l'étude et l'action, soit en formant une simple Société, soit en créant une Eglise proprement dite.

* * * 40 On distingue en effet entre « Eglise D et .. So­

ciété D. Vous le comprenez, une Société peut compter dans son sein des indécis, des inconvertis, des gens manquant de hardiesse et de persévérance; elle doit néanmoins reposer' sur une base évangélique et avoir des assemblées régulières, nourries et fréqueutes.

Une Eglise est plus que cela. Elle se pose en face des Eglises précédentes, - de toutes, - comme l'Eglise Nouvelle, celle qui s'appuie sur une révéla­tion complémentaire, celle qui s'harmonise parfaite­ment avec la science et la philosophie modernes, celle qui dès lors satisfait aux exigences les plus rigoureuses du présent et de l'avenir. L'Eglise locale, - qui, fût-ce dans une chambre ou un salon, célèbre un culte ouvert à tous, - doit toujours se considérer comme une fraction de la Nouvelle Eglise, qui est destinée à toutes les nations et dont l'unité est fortement constituée par l'adhésion vo-

1

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Ion taire de ses membres à la théologie et à la morale de Swédenborg.

II est essentiel qu'elle ne se compose que de swé­denborgiens résolus, de croyants convertis et plus ou moins avancés dans la voie de la régénération, et qu'on y voie régner un esprit de fraternité. A ces conditions seules elle pourra impressionner favora­blement ceux qui l'entourent et attirer à elle, c'est­à-dire au Seigneur, les âmes tourmentées par le sentiment de n'avoir pu trouver jusqu'alors ni un crédo rationnel et lumineux, ni une famille spiri­tuelle où se reflète le Dieu d'amour.

* * * 50 Une cinquième et dernière observation n'est

que le corollaire des précédentes. Comme vous venez de le voir, dans quelque endroit que la Nou­velle Eglise vienne à surgir, elle est une e"éation spontanée. Elle n'est point une importation étran­gère, un produit envoyé du dehors par un comité de missions, le résultat des efforts d'un agent salarié désireux de la rattacher à telle Société chrétienne ou à telle dénomination connue.

Pour qu'elle voie le jour, il faut que la semence répandue à profusion par Swédenborg soit tombée dans un ou deux esprits comme dans une terre bien préparée, il faut que ces premiers partisans en aient gagné quelques autres, il faut enfin que ce noyau de fidèles soit assez vivant et assez courageux pour for­mer une « association cultuelle », comme on dit de nos Jours.

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Cet admirable processus ne s'accomplit point sans le divin Esprit qui planait sur le chaos pour en tirer le monde. Ce souffle d'en haut est indispensable pour engager des personnes isolées à étudier à fond un système réputé étrange, périlleux ou même dia­bolique par leur entourage et par leurs conducteurs religieux; pour les décider, le moment venu, à lut­ter intrépidement contre l'opinion publique, l'étroi­tesse cléricale, la raillerie et la persécution, et pour les mettre à la hauteur de toute sorte de sacrifices. Cependant partout où le Seigneur a suscité, en dépit de tant de puissances contraires, un mouvement pa­reil, partout où il a fait naître une pareille Eglise, vous pouvez être sùrs, mes chers auditeurs, que c'est une Eglise véritable, une Eglise selon son cœur, et qu'il entre dans ses intentions providen­tielles de la doter de tout ce qu'il lui faudra pour prospérer.

Allemagne.

Comment, après la mort de Swédenborg, ses doc­trines ont-elles été reçues par la protestante et phi­losophique Allemagne? Vous savez déjà qu'elles y ont produit moins d'effet qu'en Angleterre et en Amérique; nous allons cependant nous convaincre qu'elles n'y furent pas importées en vain.

Œtinger, nous l'avons vu, acceptait en partie, mais en partie seulement, la théologie de Swéden­borg, dont il traduisit plusieurs ouvrages. Le con­sistoire de Stuttgart voulut le poursuivre à cause d'une de ces publications, mais le duc de 'Vurtem-

" " f

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berg le protégea. Le prélat de Murrhard était trop plongé dans les idées protestantes pour ne pas faire d'importantes réserves; il rejetait en particulier le sens spirituel des Ecritures. Cependant les traduc­tions allemandes se multiplièrent bientôt, et on acheta en Allemagne beaucoup d'exemplaires des versions françaises de Pernetty et de Moët. Ainsi dès la fin du dix-huitième siècle et au commencement du dix-neuvième les croyances nouvelles y étaient accueillies avec faveur. On sait même que la plu­part des adhérents appartenaient aux classes élevées de la société. On cite un M. de Bulow, qui publia un résumé des doctrines de notre auteur.

Malheureusement les restrictions apportées à la liberté de la presse et à la liberté de conscience em­pêchèrent les swédenborgiens de former des sociétés pour la dissémination de leurs écrits, ainsi que des Eglises ou congrégations distinctes. Ils restèrent donc isolés les uns des autres, ce qui est une grande cause de faiblesse. Ils exercèrent toutefois une certaine influence, surtout dans le nord du pays, en élargissant les esprits en matière de reli­gion, par exemple en rapprochant les calvinistes et les luthériens.

* * * Le grand pionnier de la Nouvelle Eglise en terre

allemande fut Emmanuel Tafel, professeur de phi­losophie à Tubingue. Ayant rencontré, quand il n'avait que seize et dix-sept ans (1811 et 1812), deux ouvrages de Swédenborg, il les lut et embrassa joyeusement la doctrine du Dieu triun, mais non

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celle de la rédemption, qui lui paraissait contraire à la Bible. Je fais ici quelques emprunts à une remar­quable lettre qu'il adressa plus tard à un pasteur

•• • amerlcalfi. « J'étais sur le point de me détourner de Swéden­

borg; mais la célèbre Histoi,'e des Hérésies, par Arnold, me montra que l'Eglise dominante n'a pas toujours été la meilleure, et que j'étais trop prévenu en faveur de l'Eglise où j'étais né. Je ne savais plus quelle voie suivre; alors je me tournai vers le Sei­gneur dans mon angoisse, le suppliant à genoux de m'éclairer.

l) Je voulus relire Swédenborg. L'ayant examiné en me reportant aux textes de J'Ecriture Sainte, j'adoptai ses vues sur la rédemption, tout en restant indécis quant aux anges et au jugement dernier. Cette lecture de SwédenbOI g m'inspira un tel inté­rêt pour J'étude du christianisme que je refusai un emploi séculier, et entrai à J'Université de Tubingue pour étudier la théologie. C'était en 1817.

l) Dans la bibliothèque de l'Université je trouvai le premier volume des A,'canes. Plusieurs fois en lisant le Nouveau Testament et en J'expliquant à des enfants, je perçus pleinement le sens spirituel et sa gloire, et j'éprouvai en mon cœur une jouis­sance qui me combla de félicité.

l) Pendant sept ans je gardai en moi ma croyance comme un seéret; je résolus pourtant de la professer dès que j'aurais l'occasion de défendre la vérité. Un de mes compagnons d'étude, Moser, avait cordiale­ment accepté les mêmes doctrines et les prêchait

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comme suppléant de son père, qui était pasteur. 1)

Trois fermiers du Wurtemberg, puis dix ou douze, se déclarent en faveur de ces doctrines; un libraire, un conseiller des finances, un procureur et quelques autres font de même.

Ne reconnaissant, en sa qualité de protestant, au­cune autorité humaine en matière de foi. et répu­gnant à toute restriction mentale, le Dr Tafel ne voulut pas souscrire aux obligations exigées de lui pour entrer au service de l'Eglise d'Etat. Il com­mença au contraire une série de publications qui indisposèrent le roi contre lui. Alors parut un ordre royal portant que l'auteur, s'i! continuait son œuvre, perdrait tous ses droits aux fonctions ecclésiastiques. «Je répondis, écrit Tafel, que quant aux conviotions personnelles, je n'admettais pas qu'on pût y renon­cer pour aucune considération d'intérêt. »

En 1824 il sollicita l'emploi, vacant alors, de bibliothécaire de l'Université, poste qui devait assu­rer sa subsistance en lui laissant le loisir néces­saire pour ses publications. « Le roi refusa d'abord, dit Tafel, parce que, à ce qu'i! disait, j'avais publié malgré lui les écrits fanatiques de Swédenborg. Je présentai ma défense en l'appuyant sur les faits semblables qui s'étaient passés en d'autres pays. On me confia la place, et je pris l'engagement provi­soire de ne rien publier sur Swédenborg. En 1829 l'emploi me fut accordé sans condition. Il y avait trois cents ans que les princes allemands avaient protesté contre toute autorité religieuse en matière de foi. l>

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Il était temps de mettre cette théorie en pratique 1 Il ne se trouva que cent dix souscripteurs pour

les publications du Dr Tafel; mais le Seigneur, dans lequel il mettait toute sa confiance, pourvut à ce qu'il eùt les fonds suffisants pour son entreprise. M. Frank, pharmacien de la cour à Potsdam, en prit presque tous les frais à sa charge.

Comme je viens de vous le montrer, le professeur Emmanuel Tafel a laissé le plus bel exemple de re­cherche sérieuse et persévérante dans le domaine religieux, de fidélité aux convictions acquises, de sage prudence et d'indomptable courage. Peu d'hom­mes ont rendu de pareils services à la Nouvelle Eglise. II a imprimé les ouvrages manuscrits de Swédenborg, les préservant ainsi de toute chance de destruction; il a réédité ses œuvres latines deve­nues introuvables, par exemple les Arcanes Célestes; il les a presque toutes traduites en allemand. II re­cueillit en outre à grand'peine beaucoup de docu­ments biographiques sur notre écrivain, et les pnblia dans la Revue allemande qu'il avait fondée.

« L'activité de Tafel fut réellement merveilleuse, dit M. Chevrier; et il n'aurait pu trouver la force d'accomplir ses immenses travaux, comme de résis­ter aux tracasseries et aux persécutions auquelles il fut en butte, s'i! n'avait pas eu une foi mystique dans sa mission. Il disait que la date de sa naissance et des principaux événements de sa vie avaient des correspondances spirituelles. »

* * *

! ; \

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Malgré les efforts extraordinaires d'un homme de cette trempe, la Nouvelle Eglise n'a pas réussi à prendre pied d'une manière bien ostensible dans l'empire d'outre-Rhin. Les swédenborgiens y sont restés en petit nombre. Notons en particulier qu'au­cun ecclésiastique n'est venu grossir leurs rangs. En général les pasteut·s luthériens ont cherché à faire disparaître les écrits de Swédenborg répandus dans beaucoup de familles, recommandant de ne pas s'occuper de ces choses-là. Ils se sont montrés moins tolérants pour ce noble spiritualisme que pour les théories directement opposées à la divinité de Jésus-Christ et à l'inspiration des Ecritures.

* * * En mourant, le D' Tafellaissa 30000 volumes im-

primés, dont les uns (lés latins) furent achetés pa,r la Swedenb01·g Society, les autres (les allemands) par M. Mullensiefen, son beau-frère et son successeur dans la direction du mouvement 1. Après avoir été Conseiller royal des Provinces rhénanes, créateur d'une fabrique de verres en \Vestphalie et député au parlement prussien, M. Mullensiefen se retira en Suisse, à Rheinfelden, où il se consacra tout entier à la cause qu'il avait embrassée. L'emploi généreux qu'il fit de sa grande fortune permit notamment de réimprimer plusieurs ouvrages du prophète suédois et de continuer la traduction des A,·canes.

1 Ajoutons que plusieurs neveux de Tarel. portant son nom, ont continué son œuvre, et que grâce à ses écrits la nouvelle théologie a pu se propager parmi les Allemands fixés en Amérique. oÎl elle a formé plusieurl'l Sociétés.

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France.

Nous n'avons pas encore mentionné un document de la plus grande importance pour nous aider à for­muler sur Swédenborg un jugement équitable; je veux parler de la lettre détaillée et précise adressée par un savant français au JOUl'nal encyclopédique de 1785. Dans cette lettre, le marquis de Thomé réfute Ulle assertion avancée par des commissaires que le roi de France avait chargés d'examiner le magné­tisme animal. Ils avaient prétendu qu'il n'existait encore aucune théorie SUl' l'aimant: M. de Thomé réclame en faveur de Swédenborg et vante ses Œu­m'es philosophiques et minél'alogiques, disant que dans cet ouvrage Cl il Y a une telle abondance de vé­rités nouvelles, - et de connaissances en physique, mathématiques, astronomie, mécanique, chimie et minéralogie, - que ce serait plus que suffisant pour établir la réputation de plusieurs auteurs différents. Aussi Swédenborg acquit-il par cette publication une telle renommée que l'Académie de Stockholm se hâta de l'inviter à devenir un de ses membres.

» Cette production du philosophe suédois a con­servé le même degré d'estime dans toute l'Europe, et les hommes les plus célèbres n'ont pas dédaigné d'en tirer des matériaux pour les aider dans leur propre travail; quelques-uns même ont eu la faiblesse de se parer des plumes du paon, sans reconnaître où ils les avaient obtenues. En lisant telle et telle page [elles sont indiquées], on verra quelle erreur le comte de Buffon a commise en disant, dans son

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discours sur la formation des planètes, qu'on n'avait encore rien écrit sur ce sujet; et l'on regrettera sans doute que le Pline français n'ait pas profité des dé­couvertes de l'académicien de Stockholm, qui, son égal au point de vue du style, lui est infiniment su­périeur en toute autre chose. »

Après un très exact exposé de la méthode suivie par Swédenborg dans ses recherches, le marquis de Thomé en arrive à la partie religieuse de sa car­rière. « Mais que dirons-nous de ses traités théoso­phiques où les plus grands secrets sont révélés sans emblème ni allégorie; où la science des Correspon­dances, - qui a été perdue pendant près de quatre mille ans et dont les hiéroglyphes d'Egypte n'étaient que des monuments et des restes sans utilité, - est vraiment restaurée? Il faut absolument les parcourir pour s'en faire une idée. Plus on réfléchira aux prin­cipes, aussi nouveaux que fertiles, qui sont accu­mulés dans ces livres, pl us nous les appliquerons à la nature, à nous-mêmes, à chaque chose qui peut devenir l'objet de nos pensées et de nos affections, - plus clairement aussi la vérité brillera, plus nous serons obligés de rendre bommage à la supériorité de lumières qui leur a donné naissance et d'y recon­naître les preuves d'une sagesse plus qu'humaine.

» Comme à une science si profonde et si univer­selle Swédenborg ajoutait la plus pure vertu et les manières les plus courtoises, il pouvait s'attendre à rencontrer des détracteurs; il en eut, en effet, et il en a encore. Il m'est arrivé souvent de l'entendre

.

décrier en public, mais toujours pour l'un des trois

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motifs suivants et dans l'intention d'empêcher de lire ses ouvrages.

JI Les uns, attribuant toutes choses au hasard et ne croyant à rien qu'à la nature, ont peur que les œuvres lumineuses du plus grand naturaliste et du plus sublime théosophe qui ait jamais existé portent le dernier coup à leur système chancelant. D'autres, lui ayant fait des emprunts sans les avouer, crai­gnent que, si ses ouvrages sont plus connus, on ne découvre leurs plagiats. Les gens de la troisième classe, jouissant d'une renommée qui repose sur une fausse opinion de leur science, mais ne pou­vant se cacher à eux-mêmes leur incapacité, redou­tent l'apparition de cette étoile polaire, parce qu'elle les éclipserait infailliblement et les réduirait bientôt à leur juste valeur.

» Je ne sais lequel de ces motifs poussa un écri­vain anonyme à insérer, il y a deux ans environ, dans le Cow'rier de l'Europe, une prétendue notice sur Swédenborg et ses ouvrages, laquelle n'était qu'un tissu de fausses dates, de titres inexacts, de calomnies et de contradictions palpables; c'est ainsi que l'amour de soi, défigurant, falsifiant et obscur­cissant toutes choses, est la source de tout mal et le fléau de l'espèce humaine. Aussi le premier travail à entreprendre pour parvenir à la vérité est-il de combattre, de vaincre et d'enchainer pour toujours ce principe. Alors l'âme de l'homme, recouvrant sa liberté et ramenée à la lumière pour laquelle elle a été faite, pourra errer selon son bon plaisir à tra­vers la nature entière, et, poursuivant son vol, s'éle-

, , ,

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ver à ce monde que d'ignorants mortels regardent comme imaginaire, mais qui sera toujours, quoi qu'on puisse dire, la sphère vivifiante et la véritable patrie de l'esprit humain.

1> Voilà, messieurs, ce que j'ai cru de mon devoir de publier pour le bien de la société, par respect pour la vérité et par gratitude envers celui à qui je dois la plus grande partie du peu que je sais, quoi­que, avant de rencontrer ses écrits, j'eusse cherché la connaissance chez presque tous les auteurs, an­ciens et modernes, qui sont plus ou moins censés la posséder. »

On ne peut pas rêver un plus magnifique témoi­gnage, ni plus autorisé, rendu aux découvertes de Swédenborg, à son génie, à son caractère et même à sa sainte mission. Venant d'un disciple si enthou­siaste et si haut placé, cet hommage dut faire im­pression; nous ne savons d'ailleurs s'il eut des résultats positifs.

* * * Le premier livre ùe Swédenbourg qui ait été tra­

duit en langue française est le traité sur Le Ciel et l'Enfm'. L'auteur de cette traduction très peu fidèle, le bénédictin Pernetty, devint abbé de Saint-Ger­main, puis bibliothécaire du roi de Prusse Frédéric le Grand; ce fut à Berlin qu'il connut quelques swédenborgiens. Revenu à Paris en 1783, il se retira ensuite à Avignon; il Y vécut durant la Révolution française et mourut en 1801. Il avait établi une asso­ciation secrète qui faisait usage des rites et em-

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blèmes maçonniques. On l'appelait l'Académie ou la Société des Illuminés d'A vignon.

Une société semblable ne tarda pas à s'établir à Paris; elle était présidée par la duchesse de Bour­bon, princesse aussi distinguée par ses vertus, en un temps de relâchement moral, que par la supé­riorité de son esprit.

D'après Thiébault, membre de l'Académie de Ber­lin, Pernetty était très savant et d'un commerce agréable; mais il comprenait mal les nouvelles doc­trines, aussi les mélangea-t-il d'un côté avec les su­perstitions catholiques, de l'autre avec les rêveries de l'hermétisme. Dans sa préface du Ciel et de l'En­(e,', il a présenté Swédenborg sous un faux jour du commencement à la fin.

Lorsque l'abbé Baruel voulut arrêter les progrès de la théologie qui venait de Suède, il profita habi­lement des erreurs de Pernetty et présenta la Société des Illuminés d'Avignon, fondée vers 1789, comme une expression plus exacte des vues de Swédenborg que la Société formée à Londres à la même époque.

Rouen et Strasbourg virent surgir et disparaître des réunions semblables à celles d'Avignon; mais beaucoup de gens persistent à confondre avec ces prétendus « Illuminés» les membres de la Nouvelle Eglise.

* * * Par bonheur, il existait en France des disciples

plus sérieux de Swédenborg. Celui de tous qui se rendit le plus utile fut Moët, bibliothécaire à Ver­sailles. Membre de la Société exégétique de Stock-

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hohn, dont il sut éviter les aberrations, il entreprit en 1786 une version complète des œuvres théologi­ques de notre écrivain, version qui ne devait être imprimée que sous la Restauration. Un membre du parlement anglais. M. Tulk, - qui vint à Paris à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, - consacra vingt­cinq à trente mille francs à l'impression des tradnc­tions de Moët'; quelques-unes cependant, par exem­ple celle des Arcanes, furent conservées en manus­crit.

Moët atteignit lui-même le bel âge de quatre­vingt-six ans et mourut à Versailles en 1807. Ses traductions sont loin d'être aussi fidèles que celles de Le Boys des Guays, mais on les a trop dépré­eiées; elles plaisent davantage à certains lecteurs, attendu que, sans s'attacher à la lettre du texte latin, elles rendent d'une façon plus simple et plus claire nombre de passages difficiles. Aussi se vendi­rent-elles passablement, et c'est par elles que, jus­qu'en 1850, les partisans français du Prophète du Nord ont eu connaissance de son système.

* * * La propagande semblait toutefois avoir peu d'ef­

fet. Profitant de la paix de 1802, Robert Hindmarsh vint de Londres à Paris pour visiter la petite So­ciété swédenborgienne qui s'y réunissait de temps en temps, d'une façon irrégulière. Il prit part, à Passy, à une réunion che? un Anglais où on lut

t M. Tulk a exposé ses convictions dans un livre anglais, intitulé Le (;hri,tianisme spirituel.

SWEDli:NBOI\G III 9

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quelques pages de Swédenborg traduites en fran­çais. Parmi les douze personnes présentes, plusieurs manifestaient un vif attachement à la nouvelle révé­lation. Dans le récit qu'i! a laissé, Hindmarsh décrit avec un grand bonheur d'expression les charmes d'une belle journée d'automne dans le plaisant pays de France.

Apprenant en 1816 qu'un libraire parisien, Bar­rois, reçoit beaucoup de demandes des ouvrages latins de notre théosophe, Hindmarsh indique plu­sieurs swédenborgiens, entre autres Parraud, qui a déjà traduit L'Amour conjugal. En 1820, un groupe de huit disciples tenait séance chez Gobert, célèbre avocat de Paris, qui s'était donné de cœur et d'âme à la cause. En 1821 une autre Société, de quatorze li seize membres celle-là, est signalée à Coutances en Normandie.

* * * Mais le grand propagateur des vues nouvelles au

temps de la Restauration fut un Breton, le capitaine Bernard. Ayant reç.u, comme beaucoup d'autres, une éducation antireligieuse, il s'occupait avec ar­deur de sciences naturelles, quand, à Bordeaux, il rencontra en 1820 un volume de Swédenborg. Tout de suite persuadé que cette théologie était vraie, il mit un zèle extrême à la propager. Il y convertit d'abord plusieurs officiers de son régiment, le 23e

de ligne: des capitaines, un major et un comman­dant. Ils firent ensemble la guerre d'Espagne, en 1823. Des missionnaires de la Société continentale

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de Londres, ayant rencontré ces officiers français à Bayonne, exprimèrent dans une lettre au New Evangelical Magazine l'admiration qu'ils éprou­vaient pour leur charité, leurs vertus, leur ferveur à répandre leurs convictions; « mais, hélas 1 ajoute la lettre, ils sont disciples de Swédenborg 1 »

En Espagne, le capitaine Bernard eut la joie de voir nos doctrines goùtées par le savant évêque de Barcelone, par le général Palafox, par d'autres encore. De retour en France, il n'eut pas moins de succès. Il conquit à ses croyances son père, hono­rable magistrat, Richer, littérateur distingué de Nantes, le colonel Dupont et des personnes notables de différentes villes.

* • * Seulement, - comme dans plusieurs autres cas,

- il se fit un fâcheux amalgame de la doctrine si purement spirituelle de Swédenborg avec des prati­ques fort discutables. Le capitaine Bernard se préoc­cupa trop de songes, de magnétisme et de rapports avec les esprits, méconnaissant les recommandations expresses du prophète suédois. On fit beaucoup de bruit des guérisons que Mme de Saint-Amour, égarée par Bernard, obtenait au moyen de la prière. Cette femme de mérite, veuve d'un officier supérieur, ex­cita la curiosité du public par ses guérisons souvent réelles, mais peu durables; en revanche elle détourna des véritables swédenborgiens beaucoup d'hommes sensés, qui auraient goùté leurs doctrines dégagées de cet alliage.

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La Religion du bon sens, qui eut relativement un fort grand succès; enfin les Invocations religieuses, un des plus beaux ouvrages religieux qu'ait produits le dix-neuvième siècle.

Edouard Richer avait toutes les qualités de style qu'on apprécie le plus en France: la clarté, la net­teté et l'élégance; son érudition était fort étendue et de bon aloi. Il s'applique à montrer, par de nom­breuses citations, la concordance dé la foi de la Nouvelle Eglise avec l'enseignement religieux le plus ancien et le plus respectable. Il reste toujours calme et n'entreprend aucune polémique; il évite même de prononcer le nom de Swédenborg, et de relever l'antagonisme qui existe entre ses doctrines et la vieille orthodoxie. On se demande s'il n'est pas allé trop loin dans ce sens, s'il n'a pas désiré la paix là oÏl la paix n'était pas possible. Il ne fait pourtant aucune concession doctrinale, et d'autre part on ne peut lui reprocher aucune exaltation. La lecture de ses livres repose l'esprit et produit la même impres­sion que l'entretien avec un homme très instruit et très raisonnable.

La Nouvelle Jérusalem est comparable aux meil­leurs ouvrages publiés par les Anglais pour la vul­garisation du système; la forme en est ingénieuse et les vues originales y abondent.

.. .. .. Un auteur parisien noble et charmant, jadis fort

aimé dans notre pays, Emile Souvestre, parle de Swédenborg et de ses doctrines dans une Notice

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consacrée à Edouard Richer '. Il le fait avec un grand sérieux et voit dans la propagation de ce point de vue « un événement social digne d'étude, sinon de sympathie ». Après avoir pris la peine de résumer en quelque pages la conception générale du philosophe scandinave, il conclut en ces termes: « Une chose a pu frapper dans le rapide exposé qui précède: c'est la liaison rigoureuse des diverses parties du système et la présence d'esprit ingé­nieuse avec laquelle tout est prévu. Aussi, de quel­que manière qu'on juge le swédenborgisme, on est forcé d'y reconnaître cette harmonie et cette pré­voyance logique qui prouvent au moins le génie, quand elles n'attestent pas la vérité. »

Quant à Richer, voici comment il est apprécié par Souvestre : « Nous ne croyons pas que, depuis Erasme, on ait traité les matières religieuses avec une logique à la fois si vive et si grave, si concluante et si fleurie. »

* * * Edouard Richer mourut au moment où son in­

fluence devenait considérable. Une douzaine de per­sonnes, groupées autour de lui, goûtaient fort ses enseignements. Le plus fervent et le plus notable de ses disciples fut M. de Tollenare, riche armateur re­tiré des affaires, qui resta trésorier des hospices de Nantes jusqu'à 1848. Il fut l'âme de cette adminis­tration et rendit .de grands services à la ville en

1 Parmi les meilleurs écrits de Souvestre nous rappellerons Lu Brelons et Un Philosophe sous les toits.

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dirigeant les travaux de construction de l'Hôpital général. C'était donc un homme pratique, entendu au point de vue du monde, en même temps qu'un vrai chrétien. Il consacrait à la lecture de Swéden­borg le loisir que lui laissaient ses fonctions, mais ce n'était pas assez.

Par malheur, tant pour lui-même que pour la cause qu'il avait épousée, M. de Tollenare ne com­prit pas qu'il se rendrait beaucoup plus utile en se donnant tout entier à la propagande des vérités nouvelles qu'en s'occupant surtout d'œuvres de bienfaisance, pour lesquelles il eût été facilement remplacé.

Une remarque faite à ce propos par M. Chevrier me parait singulièrement fondée. Il s'est déjà trouvé en France bien des hommes capables, par leur mé­rite personnel et par leur position sociale, de prendre la tête du mouvement 1 : tous ont refusé de remplir cette tâche et presque tous par les mêmes motifs.

M. de Tollenare aimait le culte pompeux de la majorité des Francais, sa femme était catholique ardente, ses enfants étaient mondains et lui-même restait attaché de cœur au parti légitimiste; aussi n'osa-t-il jamais faire ouvertement du prosélytisme. « Les lois, disait-il, s'y opposent l " Il craignait d'af­faiblir par la controverse le sentiment religieux de ses anciens coreligionnaires; il tenait aussi, avouons­le, à conserver de bonnes relations avec la haute so-

t Ainsi AI. Boniface Laroque, président du Consistoire réformé de ('..astres, et M. Blanchet, avocat à Tarbes.

t 1

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ciété. Il se /lattait enfin de « démontrer que la Nou­velle Jérusalem est le rappel à l'unité, à un véritable catholicisme de toutes les communions. »

En le forçant d'abjurer, sur son lit de mort, les croyances qu'il regardait comme la vérité, le clergé romain lui fit bien voir qu'il n'y aura pas d'Eglise universelle, ni d'unité religieuse, avant l'heure où chacun sera libre de conserver ses opinions sans devoir en rendre compte à d'autres qu'à Dieu seul. Mais j'ai anticipé.

M. de Tollenare continuait donc d'aller à la messe, tout en « se communiant lui-même,» en son particu­lier, « sous les deux espèces. )) Quant au culte de la Sainte Vierge, auquel il participait également, il le , justifiait en l'interprétant comme un hommage rendu à l'Eglise chrétienne, dont Marie serait le symbole, la personnification.

Ainsi M. de Tollenare trompait sa femme et se trompait lui-même. Son fils, élève à l'Ecole pol y­technique, riait quand il lui parlait de religion. Ayeuglé sur l'état réel de l'Eglise papale, il en trouvait le crédo plus pur que celui des protes­tants, « toujours prêts à tomber dans le fatalisme ou le socinianisme. »

On comprend qu'avec de pareilles idées il ait trouvé le prudent Richer trop vif et trop entrepre­nant, qu'il ait moralement forcé un ami de quatre­vingts ans (M. Thomine) de recourir au ministère d'un prêtre romain, enfin qu'il ait fait tout son pos­sible, inutilement il est vrai, pour empêcher 'un

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autre ami (M. Le Boys des Guays) d'ouvrir public dans sa maison.

.. .. ..

un culte

De si flagrantes contradictions nous surprennent et nous attristent chez un homme aussi sincèrement pieux que l'était M. de Tollenare. Il s'en trouva puni dès ce monde par l'abjuration qui lui fut arrachée. Il nous est parvenu sur ce fait navrant quelques dé­tails précis et curieux. Je les emprunte encore à M. Chevrier.

oc La veille de sa mort, le 29 août 1832, Tollenare écrivit à Mme de Saint-Amour une lettre que celle-ci s'empressa de transmettre à M. Le Boys des Guays avec ces mots: « Je reçois à l'instant une lettre de " notre ami; je ne sais si je rêve. Il y a deux signes » au crayon qui me rassurent un peu. Sa famille et » son confesseur auront exigé qu'il m'écrive cette » lettre. »

» Tollenare s'exprimait ainsi: oc J'ai à vous dire :0 que, me préparant à quitter la terre, je suis revenu » à la religion de mes pères, à l'Eglise catholique » apostolique et romaine, sans suggestion étrangère, » assuré qu'il n'y a rien en elle qui ne puisse se » concilier avec les doctrines que nous avons tant » chéries. - P. S. Faites part de ma nouvelle réso­» lution à M. Le Boys, à nos amis de Londres, de » Philadelphie, de Tubingue. Je demande à Dieu, » dans le sens de l'Eglise catholique, de renoncer à

1 ,

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1 •

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.. tout ce qu'elle n'approuve pas dans celle dont je » me sépare de fait. »

1> Dans une visite que je fis à M. Le Boys, - c'est de nouveau M. Chevrier qui parle, - il me montra la lettre de M. de Tollenare, que j'emportai dans une promenade en juillet. En la relisant par un ardent soleil, j'aperçus tout à coup, entre les lignes, des caractères écrits avec de l'encre sympathique qui apparaît quand le papier est fortement chauffé. Dans cette autre lettre, le pauvre mourant disait qu'il avait été contraint d'écrire une lettre d'abj ura­tion, mais en espérant, ajoutait-il, que ses amis dé­couvriraient d'autres caractères, dont il se servait pour protester qu'il mourait en réalité dans les croyances de la Nouvelle Eglise. »

Quelle déplorable palinodie 1 Un récit pareil, -strictement exact puisqu'il provient d'un témoin oculaire et consciencieux, de l'homme qui a provi­dentiellement découvert et déchiffré l'écriture sym­pathique, - un récit pareil nous montre à quelle coupable duplicité on peut être entraîné, quand une fois on a mis le pied dans la voie des compro­mis et de la dissimulation.

Si la sincérité scrupuleuse, la loyauté parfaite doit exister quelque part, c'est assurément dans la vie religieuse. Aussi rester définitivement dans le giron d'une Eglise intolérante et rétrograde entre toutes, en recourant aux subterfuges qui rassuraient Tolle­nare, c'est fausser de gaîté de cœur sa conscience et renoncer à toute droiture.

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Ce funeste exemple n'a été que trop suivi par les pionniers de la Nouvelle Eglise en France. Je me sens obligé de réprouver cette politique d'accommo­dements; cependant, pour être juste, il me reste à vous indiquer, - c'est ce que je ferai mercredi pro­chain, - les circonstances atténuantes qu'elle peut avancer en sa faveur.

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TROISIÈME LEÇON

Circonstances atténuantes d'une défection. L~opportunisme

n'est plus de saison vis-à-vis des catholiques. L'abbé Lcdru, curé patriote. Le pasteur Boniface Laroque. Le Boys des Guays. Culte à S<lint-Amand. Traductions et publications. Auguste Harlé. Les Restes. Le baron Frédéric de Portal.­L'Ile MaUl'ice. Edmond de Chazal. Existence légale de la Nouvelle Egli~e. Affaiblissement et relèvement. Le Dr Fer­cken. Apostolat laïque. - Paris. Temple et bibliothèque de la rue Thouin. Déchéance, mais travaux accomplig. L'Eglise de l'Académie. Défrichement et spmailles.

QUI! pem·;pr du 5'-'pirili.<;mf'?

Mercredi dernier, nous sommes demeurés sous l'impression d'un fait moralement tragique: un homme de bien, uu philanthrope, un disciple de Swédenborg, reniant solennellement sur son lit de mort, par une lettre destinée à des intimes, ses con­victions les plus chères, et démentant cette abjura­tion forcée par quelques lignes écrites, dans cette même lettre, avec une encre invisible que le grand soleil de juillet se chargera de faire apparaître. Cette faiblesse, cette dissimulation, cette duplicité vous ont indignés comme moi. Cependant, pour être impartial, j'ai promis de vous montrer àujour­d'hui que cette flagrante inconséquence avait non

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certes une véritable excuse, mais au moins des cir­constances atténuantes.

Notons d'abord que M. de Tollenare était animé du désir bien légitime de rester en bonne harmonie avec sa femme, ses enfants et ses anciens amis. « Je remercie le Seigneur, écrivait-il, du bonheur que je trouve dans mon ménage. Pourvu que je n'effa­rouche pas, par de trop fortes allusions à nos doc­trines, la pieuse crédulité de ma femme, nous vivons et nous nous aimons en repos; car elle me

. croit sur la bonne voie de son orthodoxie. » JI avait donc manqué de franchise à son égard et oublié

. cette parole de notre Maître: « Celui qui aime père ou mère - par conséquent mari ou femme - plus que moi n'est pas digne de moi. » D'accord sur le fond avec Mme de Tollenare, mais plus éclairé qu'elle, ne devait-il pas essayer de l'élever jusqu'à lui? Quant à son fils, qui étudiait à l'Ecole polytech­nique, nous avons vu qu'il s'était rendu incapable d'exercer sur lui aucune influence religieuse. Ce bonheur domestique était donc sujet à caution.

( Une femme bigote, dirigée par les prêtres, est une grande tentation pour un catholique de naissance qui en vient à croire aux doctrines nouvelles. Aussi est-il de toute importance qu'un swédenborgien s'allie à une swédenborgienne; s'il épouse une ca­tholique pratiquante, il y a toute chance pour qu'il soit malheureux, harcelé, peut-être même poussé à l'apostasie. S'il épouse une protestante étrangère à ses opinions, il n'est point sùr de l'y amener;

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s'il n'y réussit pas, il ne peut pas avoir avec elle une véritable intimité d'esprit et il risque fort de se refroidir au contact de son indifférence, tandis que deux conjoints ayant la même manière de con­cevoir l'Evangile peuvent s'encourager l'un l'autre, travailler de concert et jouir du plus rare bonheur. Si l'on mettait plus souvent en première ligne cette harmonie de pensée et de sentiment en matière de foi, il y aurait moins de mariages qui tournent mal et où l'éducation religieuse des enfants est frappée de stérilité.

Pour comprendre l'illusion de M. de Tollenare et de ses amis, il faut nous reporter à leur époque. Rappelons-nous les généreux efforts de Lamennais, secondé par Lacordaire et par le comte de Monta­lembert, pour faire entrer la liberté politique dans le programme du catholicisme. Ces efforts vinrent se briser contre les traditions séculaires et la logi­que immobiliste de la papauté. L'Avenir fut con­damné et Lacordaire se soumit. C'était déjà clair; mais, si les libéraux conservaient quelque vague espérance d'être respectés par l'Eglise, le Syllabus la leur fit perdre en déchirant tous les voiles. Le Concile de 1870 a déclaré la guerre à tous les prin­cipes dont s'inspire depuis la grande Révolution la société moderne, il s'est mis en travers de tout pro­grès réel en politique et en philosophie aussi bien qu'en religion.

Depuis ce moment-là, les swédenborgiens oppor­tunistes ne pourraient plus essayer d'être en France

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ce qu'ont été en Angleterre les pasteurs Clowes et Clissold, restés dans l'Eglise établie. Dès qu'un homme aura franchement accepté les doctrines de la Nouvelle Eglise, s'il veut les professer et les pro­pager, il aura pour premier devoir de rompre avec le culte romain et de prendre une position tout à fait indépendante, quoi qu'il puisse lui en coliter.

Or il lui en cOÎltera; cal' le clergé papiste, d'une tolérance extrême envers les indifférents et les incrédules, se montre impitoyable à l'égard de ceux qui abandonnent la messe et le confessionnal pour suivre un autre culte chrétien. Ceux qui ont cette audace doivent s'attendre à être pris, avec les leurs, dans d'invisibles filets et à vivre dans une sphère d'intentions malveillantes. Cet abandon, cette hosti­lité, ces tracasseries se feront plus ou moins sentir suivant le domicile (Paris ou province, ville ou cam­pagne), le milieu immédiat, la position sociale. Les gens haut placés, les riches, les membres de la no­blesse semblent avoir plus de facilité à se libérer de cette servitude; souvent il n'en est rien. Si le cercle agréable et brillant qui les entoure est dévoué à l'Eglise, dirigé par les prêtres on par les jésuites, inféodé à des institutions puissantes et rétrogrades, il leur est très pénible d'en sortir, - d'autant plus pénible qu'ils sont naturellement blàmés par leur famille et qu'ils font souffrir leurs enfants dans leurs intérêts matériels. Il faut une conviction bien solide et une rare énergie pour prendre une pareille résolution. Ne nous étonnons pas trop que Tollenare et plusieurs autres aient reculé devant cette rup-

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ture. Il n'y a pas tant de héros parmi nous, du moins de héros de ce genre; l'héroïsme militaire est plus fréquent.

* * * Au nombre des zélés propagateurs des nouvelles

doctrines il faut placer un prêtre français, un curé « patriote )), comme on disait alors. L'abbé Ledru desservait en 1833 le village de Lèves, commune de 1200 âmes à la porte de Chartres (Eure-et-Loir), sur la route de Paris. C'est à Lèves que les druides avaient jadis leur principal sanctuaire, d'où ils montaient à la forêt de Dreux.

Dans une Adresse à ses paroissiens, l'abbé Ledru raconte les phases de sa vie intérieure. La même disposition qui l'avait décidé au ministère ecclésias­tique l'a conduit à examiner soigneusement la foi qu'il devait prêcher, et il a reconnu qu'elle était absurde. Il se mit alors à étudier les dogmes de l'Eglise réformée, et il en trouva plusieurs qui le choquèrent également: c'étaient un seul Dieu en trois personnes, le péché d'Adam vouant tous les hommes aux peines éternelles, le salut par la foi seule sans la bonne vie. En conséquence il ne crut pas devoir se joindre à la communion protestante. Toutefois les protestants lui avaient fait une bonne impression: il les regardait comme étant plus rap­prochés de la vérité que les catholiques, et il recon­naissait que dans ses relations avec leurs ministres il avait rencontré une charité qui ne se trouvait guère ailleurs.

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L'abbé Ledru en était là quand la Providence divine plaça sur son chemin les écrits de Swéden­borg. S'en étant approprié le contenu essentiel, il voulut tout de suite proclamer du haut de la chaire les doctrines dont il sentait l'excellence, mais les swédenborgiens l'en détournèrent; il se contenta donc de donner sur quelques points particuliers des instructions conformes à la nouvelle théologie, sans faire mention de Swédenborg. Cela ne pouvait pas mener ses auditeurs bien loin, comme l'expé­rience l'a prouvé à maintes reprises.

Toute prudente qu'était cette innovation, elle suffit, - comme d'ailleurs il avait souscrit en fa­veur des blessés de Juillet, - pour que l'évêque de Chartres, le fougueux de MontaIs, le révoquât de ses fonctions. Vainement quatre cents habitants de la paroisse de Lèves allèrent demander à l'évêque le maintien du curé qu'ils aimaient: il refusa net et l'église fut fermée.

Dans un désir de conciliation, l'abbé Ledru se procura en ce moment-là une profession de foi qui ne définissait point les dogmes, - celle de l'Eglise catholique française de Clichy, - et s'y rattacha. « Nous n'eûmes d'autre ressource, dit-il, que de nous jeter dans le désert de l'Eglise catholique française ... Un riche fermier lui ayant offert un ap­partement, il transforma en temple une magnifique grange et se mit en devoir de prêcher ouvertement les doctrines de Swédenborg, tous les habitants de la commune prenant part à son culte et continuant il le regarder comme leur guide spirituel.

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L'année suivante (en mars 1834), le préfet vint, avec deux escadrons de cavalerie, pour rouvrir l'église romaine et installer un nouveau desservant. Indignés, les habitants de Lèves construisirent des barricades. Il y eut un engagement très vif à la suite duquel la troupe battit en retraite. L'ordre se rétablit de lui-même le lendemain, et les paysans, ayant rétléchi, n'opposèrent plus aucune résistance; de son côté l'autorité, bien inspirée, laissa l'abbé dissident célébrer son culte en paix jusqu'à sa mort, qui arriva cinq ans après. Tous ses paroissiens re­tournèrent alors à leur ancienne Eglise.

Alexandre Dumas, dans ses Mémo;"es, a raconté ces faits d'une manière très plaisante, mais naturel­lement peu fidèle.

L'œuvre de l'abbé Ledru lui survécut cependant en partie. Ainsi il avait publié à Chartres, en 1836, la Liturgie de la Nouvelle Eglise', formulaire qui a été fort utile aux swédenborgiens français. Il écrivait bien, comme on le voit par les A ,-/icles de foi qui sont en tête de son Catéchisme '. Ce prêtre était évi­demment un homme droit, sans mysticité; il avait parfaitement compris les doctrines de la Nouvelle Eglise et jamais ne les mélangea avec aucune doc­trine étrangère. Mais il crut devoir les professer sans dire qu'elles provenaient de Swédenborg, dont

1 C'est, pour la plus grande part~ une traduction de la Liturgie anglaise en usage depuis t834 environ.

'2 Il a édité aussi diverses brochures qu'il serait intére~sant de re­trouver, par exemple des Petits traités~ l'un sur Le règne et la des­truction de la PapauU, un autre sur La Présence rùlle.

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il évitait de prononcer le nom. Cette méthode ne lui a pas mieux réussi qu'au pasteur réformé de Castres, Boniface Laroque; car après le décès de ces deux pionniers, d'ailleurs courageux, aucun membre de leur Eglise respective n'est devenu swédenborgien.

* * * Nous arrIvons à une phase nouvelle du mouve­

ment qui nous occupe. Elle fut inaugurée par Etienne Le Boys des Guays, dont le grand-père, appartenant à une ancienne famille de robe, avait été député du Tiers Etat à la Constituante, puis procureur général sous l'Empire. Au sortir du col­lège de Montargis, Etienne s'engagea dans la cavale­rie; s'étant trouvé aux deux batailles de Leipzig et de Waterloo, il les racontait d'une manière émou­vante. Très intelligent, il fut successivement juge au Tribunal civil et sous-préfet de Saint-Amand (Cher); mais son libéralisme lui fit perdre cette dernière place, quand le gouvernement devint réactionnaire. Comme il travaillait à un ouvrage de droit, le som­nambulisme naturel d'un jeune pâtre le conduisit à l'étude du somnambulisme artificiel. Il se rendit même à Paris pour soumettre son somnambule à l'examen des corps savants. Là, dans une cérémonie publique où sa femme et lui étaient entrés par curiosité, il se mit à causer avec un de ses voisins du but de son voyage. Ce voisin lui parla de livres où il trouverait l'explication des faits magnétiques et lui remit le traité de Swédenborg : Le Ciel et l'Enfer. M. Le Boys des Guays dévora ce volume, et

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emporta avec lui à Saint-Amand tous les ouvrages du même auteur qu'il put se procurer. Il fut bientôt convaincu de la vérité de leur enseignement et prit une double résol u tion : propager ces doctrines, qu'il trouvait admirables, et instituer un culte pour ceux qui les acceptaient.

* * * Il ouvrit en effet un culte public dans sa maison

le 18 novembre 1837 ; puis, en mars 1838, il lança La Nouvelle Jérusalem, Revue religieuse et scientifi­que; il entreprit enfin de traduire en français et d'imprimer tous les écrits théologiques de Swéden­borg, à commencer par le plus considérable, Les A"canes célestes, en dix-huit volumes, grand in-80 '.

Dès 1843, M. Etienne Le Boys avait calculé qu'en traduisant chaque jour dix pages du texte latin il accomplirait cette tâche dans l'espace de sept ans; en 1850 elle était terminée. On rencontre peu d'hommes qui aient pour le travail littéraire la capacité dont il fit preuve. Il prenait la plume à sept heures du matin et ne la quittait qu'à neuf heures et demie du soir, n'interrompant son œuvre que pour un repas très sobre et de courtes prome­nades dans son jardin. Son écriture nette, fine et régulière ne témoignait jamais d'aucune fatigue. La même plume lui servit pour la plupart de ses ma­nuscrits : une plume d'or que lui avaient donnée

t Y compris l'index lIlethodique des Arcane", en deux tomes. Cet ouvrage et plus encore son Index général de!! écrits de Swédenborf sont fort estimés des Anglais; ils rendent de réels ~ervices à ceux qui ont des recherches à faire.

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trois amis de Manchester; l'un de ces donateurs était M. Edward John Broadfield, docteur en droit, qui a présidé en 1810 le Congrès Swédenborg et dont le quatre-vingtième anniversaire vient d'être célébré grandiosement.

Imaginez-vous, mes chers auditeurs, la force de constitution et de volonté et l'indomptable persévé­rance qu'il fallut à M. Le Boys pour mener à bien une si étonnante résolution. Et quelle haute idée cela ne donne-t-il pas de Swédenborg lui-même r N'oublions pas la reconnaissance due à Mm' Le Boys des Guays, qui, loin de décourager son mari, ac­cepta son austère genre de vie et continua son œuvre lorsqu'il eut disparu '.

Les traductions de M. Le Boys sont très exactes, mais demandent aujourd'hui à être revues. Les frais d'impression, qui montèrent à plus'de 120000 francs, furent en grande partie couverts par des souscrip­teurs. Le fils de l'auteur du Mémol'ial de Sainte­Hélène, le comte Emmanuel de Lascazes, sénateur du second Empire, donna de son vivant de fortes sommes et légua 40000 francs. M. de Chazal, de l'Ile Maurice, contribua pour une somme égale, sinon supérieure, à toutes les autres souscriptions ,'éunies.

M. Le Boys sortait un moment le soir et aimait alors à s'entretenir avec des membres de la Nouvelle Eglise, mais il rentrait bientôt pour se coucher à

t. Mlle Rollet, que M. Le Boys avait épousée quanti il était juge au Tdbunal civil de Saint-Amand, appartenait ù rune des meilleures familles du Berry.

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dix heures. Il allait de temps en temps à Paris et se rendit trois fois en Angleterre.

Le dimanche 18 décembre 1864, un léger malaise l'empêcha de diriger le culte et l'obligea de se mettre au lit à cinq heures. A sept heures, il s'étei­gnit sans autre souffrance qu'un certain embarras du cœur. Il avait soixante-dix ans. M. de Tollenare était mort, trente-deux ans auparavant, sans la moindre douleur physique.

Les Lettres à un homme du monde qui voudrait c)'oi"e, par M. Le Boys des Guays, ont eu plusieurs éditions; on les a traduites en anglais, et le Dr Frank Sewall, pasteur général à \Vashington, déclare que peu d'ouvrages ont fait autant pour dissiper les préventions contre la Nouvelle Eglise.

Les articles publiés par M. Le Boys dans sa revue, La JI.'ouvelle Jérusalem, - de 1838 à 1849, - ont été recueillis en deux volumes sous le nom de Mélanges. Disons, à ce propos, que l'un des premiers journaux qui aient soutenu cette cause fut Le Novi-Jé;ousalé­mite, publié à Londres, en français, par Bénédict Chastanier,

Bon latiniste, écrivain vigoUl'eux et inlassable, M. Le Boys n'était pas du tout prédicateur; il par­lait aux simples comme à des théologiens, et ne comprenait pas l'importance qu'ont dans le culte les formes, la musique et le chant. Aussi, après avoir attiré à ses réunions un assez grand nombre de personnes, n'en conserva-t-il que vingt-cinq à trente. C'est déjà beaucoup, penserez-vous. Après

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sa mort, Mme Le Boys continua d'ouvrir son salon à la réunion du dimanche, présidée par le plus ancien adhérent. Cette réunion a cessé depuis de longues années, mais non sans avoir fait quelque bien. Elle gagna, par exemple, à la Nouvelle Eglise M. Edmond j

Chevrier, qui a été jusque vers la fin du dix-neuvième siècle un de ses représentants les plus instruits, les plus vénérables et les plus dévoués. Il ne reste au­jourd'hui pas un seul swédenhorgien dans la petite ville de Saint-Amand (Cher), qui durant tant d'an-nées a eu l'honneur d'être le foyer du mouvement en France; mais les écrits de l'intrépide fondateur de la Nouvelle Eglise poursuivent et poursuivront longtemps encore leur œuvre bénie dans l'intelli-gence et la conscience des chercheurs.

* * * Un zélé collaborateur de Le Boys des Guays fut

un habitant de Paris, M. Auguste Harlé, qui vécut de 1809 à 1876. Il était issu d'une de ces familles protestantes qui, restées en France après la Révoca­tion de l'Edit de Nantes, refusèrent héroïquement de suivre le culte catholique malgré l'injuste sévé­rité des lois. Il n'y avait en effet pas d'état-civil pour les réformés: ils ne pouvaient faire enregistrer leurs naissances, mariages ou décès; les transmissions, les partages d'héritage n'avaient aucune valeur lé­gale, les enfants étaient déclarés bâtards. M. Harlè contait par quels prodiges de probité, d'économie et de travail ces familles parvinrent, dans le Nord de la . France, à maintenir leur position sociale et leur for-

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tune. Sachons gré à la Révolution française d'avoir aboli les monstrueuses iniquités de la monarchie des Bourbons.

Dans sa jeunesse M. Harlé passa plusieurs années ~n Italie, s'occupant avec succès de peinture. Une fois convaincu de la vérité des doctrines de Swéden­borg, il les étudia de manière à se les assimiler par­faitement. Jamais il ne sortait de sa bouche une pro­position ni un mot qui ne concordât avec elles. II avait le très rare avantage de connaître les langues orientales; il savait à fond l'hébreu, ayant suivi pendant plusieurs années le cours du Collège de France. Aussi put-il confronter, dans les traduc­tions de M. Le Boys, tous les passages de la sainte Ecriture avec le texte original. Il a laissé des tra­vaux d'érudition sur Esaïe et les Psaumes, et publié des articles remarqués dans la revue intitulée La Nourelle Jérusalem. Dans sa version du (;;el et de rEnte)' il a modifié celle de M. Le Boys.

A Paris, M. Aug. Harlé était en rapports avec la haute société protestante, à laquelle il appartenait par des liens de parenté. On loue l'élévation de son caractère, sa droiture, sa bienveillance et l'aménité de ses manières.

Croyant qu'il était nécessaire d'inaugurer sur terre française un culte distinct pour l'Eglise nou­velle, il dirigea pendant un assez grand nombre d'années les réunions de la petite Société de Paris. Cette Société s'était réunie successivement chez M. Broussais, fils du célèbre médecin, chez M. Har­tel, mécanicien de la maison Erard, chez le peintre

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Minot, enfin chez le D' Poirson. Elle comptait de vingt à trente personnes. M. Harlé n'avait pas la parole facile, mais c'était un homme de bon conseil, ferme et conciliant; aussi exerçait-il une grande infiuence autour de lui. Sa douceur inaltérable con-servait la bonne harmonie entre des gens de tempé- , ments opposés.

En général, M. llarlé ne relevait pas chez les autres le mal qu'on y remarquait, n'ayant pas ce mal en lui-même. Lui parlait·on des méfaits ou des défectuosités de certains swédenborgiens, loin d'en être scandalisé, il avait coutume de dire: « La Nou­velle Eglise doit être formée, en grande partie, de

. ceux que Swédenborg appelle les Restes.» L'Evangile désigne ces « Restes» par les pauvres, les miséra­bles, les sourds, les boiteux, que le père de famille appelle au festin de noces lorsque ses parents et amis n'ont pas répondu à son invitation. Ces Restes, ce sont nos contemporains, pleins d'infirmités mo­rales et en ayant conscience; la vérité nouvelle, le Verbe incarné les appelle à lui précisément pour les guérir de leurs maux intérieurs et leur communi­quer la vie spirituelle,

* * * La propagande intelligente faite par des hommes

aussi distingués que Richer, Le Boys des Guays et llarlé n'a pas eu tous les résultats qu'on pouvait en attendre. C'est qu'après eux il n'a pas surgi, pour continuer leur œuvre, des swédenborgiens à la fois aussi capables et aussi résol us.

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Rappelons ici les judicieuses réflexions d'un vieil­lard de la génération qui nous a précédés, M. Edmond Chevrier, de Bourg: « Dans un pays comme la France, - où la tolérance est encore si peu entrée dans les mœurs, - il est difficile d'apprécier au juste l'in­fluence des publications de la Nouvelle Eglise; ce qui est certain, c'est qu'il s'est vendu un nombre considérable de ces publications, et peut-être ont­elles exercé une influence beaucoup plus grande qu'on ne le croit. Elles n'ont pas été étrangères à ce travail de désagrégation des vieux dogmes que l'on observe dans les Eglises réformées, par exemple. Nous pourrions citer tel auteur, non sans influence, qui a puisé à pleines mains dans les écrits de Swé­denborg, sans indiquer la source d'où provenaient les pensées de son ouvrage qui ont eu le plus de succès. ~

» Les semences répandues jusqu'à ce jour par les livres et par le culte de la Nouvelle Eglise en France ont été étouffées en partie par la superstition et l'incrédulité qui dominent tour à tour notre pays; cependant une portion de cette bonne graine est tombée dans un terrain favorable et portera des fruits au temps voulu de Dieu. Nous pensons que, pour qu'il en soit ainsi, le culte public de la Nou­velle Eglise doit revêtir des formes appropriées au génie spécial des peuples méridionaux '. "

* * * 1 Histoire sOfl/marre de la NOltl'elle Eglise chrétienne {ondee sur

les doctrines cie Swédenborg, par un Atm" de la Nouvelle Eglise, p.116 . ' " . .",. ,.

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Nous devons dire ici quelques mots d'un swéden­borgien opportuniste, qui contraste avec l'auda­cieuse franchise des écrivains sus-nommés. C'était un membre du Conseil d'Etat, le baron Frédéric de Portal, fils du ministre de la Marine sous Louis XVIII. Un jour, dans un grand dîner, il eut pour voisin M. Harlé, qui était un de ses parents. La conversation s'étant portée sur la religion, il en­gagea M. Harlé à prendre connaissance des œuvres de Swédenborg. Ce conseil fut suivi et procura à la Nouvelle Eglise un de ses défenseurs les plus éclai­rés et les plus fervents.

Le baron Porlal appartenait à l'une des plus an­ciennes familles du Languedoc. Ses ancêtres, - qui, au treizième siècle, ont revêtu dix fois la charge de Capitoul de Toulouse, - se montrèrent toujours les plus fermes champions de la liberté dans les terri­bles guerres contre les Vaudois et les Albigeois.

A u seizième siècle, pour éviter la persécution, les Portal émigrèrent en Provence, puis revinrent à Toulouse, où ils furent de nouveau Capitouls. Pour eux, la Réforme ne fut qu'une reprise du grand mouvement d'émancipation religieuse du treizième siècle. Ils se firent tout naturellement oalvinistes. Jehan de Portal fut décapité comme tel à Toulouse en 1562; une femme de leur maison fut gouvernante d'Henri IV enfant. Louis de Portal et son épouse fu­rent massacrés à Saint-Hippolyte en 1683.

La famille Portal a donc une admirable filiation, qui va"de l'Eglise primitive à la Nouvelle Eglise en passant par les Vaudois et par les Réformés. Elle a

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1

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eu des martyrs. Nul ne connaissait mieux son his­toire que Frédéric de Portal, qui lui a consacré un volumineux ouvrage 1.

Il n'a pas lui-même contristé ses proches et bravé l'opinion publique en se donnant ouvertement pour un partisan de Swédenborg; il s'est contenté de pu­blier deux livres entièrement conformes aux doc­trines de la N ou velle Eglise, et de recevoir à son domicile des personnes qui s'y intéressaient. Ces livres, savants et suggestifs, traitent l'un Des Cou­lew's symboliques, l'autre des Symboles des Egyp­tiens corn parés à ceux des H éb l'eux.

* * * Quelques mots à présent sur l'ancienne Ile de

France, qui a passé en 1810 sous la domination de l'AngletelTe et porte dès lors le nom d'[]e Maurice, mais dont la population cultivée a conservé en grande partie l'usage de la langue française. Plu­sieurs Sociétés de la Xouvelle Eglise étant déjà for­mées en A ustralie et jusque dans la N ouvelle­Zélande, un maître de langue très instruit et de manières distinguées, M. Poole, passa de Melbourne à l'Ile Maurice et y propagea la réforme de Swéden­borg. Il n'y demeura que trois ans, de 1847 à 1850, laissant un M. Michel à la tête du mouvement; mais un des grands propriétaires de l'île, M. Edmond de Chazal, ayant accepté de coeur la nouvelle révéla­tion, en devint bientôt le plus dévoué champion.

1 Mémoires de la (amille Porlal.

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Dès 1858 il fut en correspondance avec M. Le Boys des Guays et se dirigea d'après ses couseils.

« Père de douze enfants, M. de Chazal vivait comme un patriarche dans sa propriété de Saint­Antoine et il avait conservé la tradition des anciens habitants, qui, par leur large hospitalité, représen­taient dignement le pays auprès des étrangers. Agronome distingué, il avait sur ses vastes pro­priétés un millier de travailleurs indiens, dont il avait su gagner l'affection par le soin avec lequel il s'occupait de leurs intérêts moraux et matériels '. »

Un journal de l'Ile Maurice, le Cernéen, relève avec admiration « cette union entre maître et serviteurs. »

Non seulement M. de Chazal prit des arran~e­

ments pour que des réunions swédenborgiennes eussent lieu dans sa maison, mais, ne réussissant pas à trouver un pasteur, il présida lui-même ce nouveau culte. Il fonda en outre et rédigea long­temps une revue: L'Echo de la Nout'elle Jérusalem. Très riche, très considéré et très influent, ayant d'ailleurs une nombreuse famille, M. de Chazal vit une soixantaine de personnes assister à ce culte, qui n'était célébré que tous les mois à cause de la dis­persion des habitants.

Grâce à la persévérante énergie de M. de Chazal, la Nouvelle Eglise a depuis 1878 une existence légale, ayant été reconnue, non sans protestations, par un vote du Conseil législatif, décision ratifiée par la reine Victoria. En France, à la même époque,

t 1

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la Société swédenborgienne obtenait du gouverne­ment de la République une autorisation semblable pour ses réunions cultuelles, qui avaient lieu 80, rue de la Faisanderie, à Paris.

* * * Après la mort de M. de Chazal. en 1879, la petite

Eglise, entourée de catholiques, d'anglicans et d'In­diens, a presque succombé. Par bonheur, elle s'est assuré depuis peu d'années les services du D' Fer­cken, pasteur français malgré son nom hollandais et ses publications anglaises; il a recommencé des cultes réguliers et son ministère a ranimé les des­cendants mondanisés des pionniers de la première génération. M. de Chazal n'a pas été remplacé; cependant, grâce à lui et à ses collaborateurs, beaucoup de gens ont compris qu'il y avait là une conception pure et rationnelle de l'Evangile, plus pratique et plus haute que celle des vieilles Eglises. Sa générosité pour la cause qu'il avait embrassée étant aussi grande que sa fortune, il a été long­temps, avec le comte Emmanuel de Lascazes, le principal bienfaiteur de l'œuvre swédenborgienne en France.

* * * Nous avous rencontré sur notre route plusieurs

laïques résolus, oublieux d'eux-mêmes et consacrés avec ardeur à la vérité telle qu'ils l'avaient com­prise: de tels exemples sont fortifiants. Ils ont été suivis et le seront encore. Oui, c'est par de pareils

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, apôtres, - non par deSflasteurs sortant des Facultés , , de théologie et dûment « ordinés>" - que les supers-titions sont détruites et remplacées par des croyances dignes de l'homme, que les Eglises comme les indi­vidus se spiritualisent et que le règne de Dieu prend possession d'un certain nombre de cœurs, pour de là exercer son action régénératrice sur la société.

1 Puisse cet apostolat laïque et spécial, que nous saluons dans différentes contrées, ne pas rester inconnu dans la nôtre!

.. .. .. Ne pouvant ni ne voulant écrire l'histoire com­

plète, même très abrégée, de la Nouvelle Eglise dans les divers pays où elle s'est établie, je vous dirai quelques mots seulement de son état actuel en France. II est fort triste. II y a dans la capitale une centaine de swédenborgiens, outre quelques-uns en province. Un petit temple, construit ad hoc par Mme Humann dans un quartier paisible, - rue Thouin, près du Panthéon, - devait servir de centre au mouvement; le culte qui s'y célébrait Je . dimanche était, hélas 1 très peu fréquenté, car la pl upart des swédenborgiens de Paris croyaient avoir des raisons pour ne pas y prendre part. Ce culte a pris fin, le temple est transformé en cinéma­tographe, la bibliothèque attenante a été saisie par la justice; les familles attachées naguère aux nou­velles doctrines sont dispersées, attiédies, sans foyer commun de lumière et de chaleur. II est dès lors fort à craindre que les enfants et petits-enfants de swé-

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denLorgiens résolus passent à d'autres croyances, si ce n'est au scepticisme et à l'incrédulité. Je ne cher­cherai point les causes de cette déplorable division et d'une telle déchéance; je dirai simplement que lai faute n'en est pas, selon moi, à Swédenborg ni à son svstème .

* * * Malgré tout, bien des travaux non sans impor­

tance ont été accomplis. Je relèverai, à titre d'exem­ples, les ouvrages historiques de M. Edmond Che­vrier, qui habitait alternativement Bourg et Paris; la revision et la publication du Ciel et de l'Enfe1', en français, par les soins du baron Alphonse Mallet et de Mme Chevrier, cachés tous deux sous le voile de l'anonyme.

Enfin quelques swédenborgiens ont fondé à Paris, il y a quelques années, une petite Eglise française, qui célèbre tous les quinze jours un culte public rue Saint - Lazare, no 100. Elle a pour pasteur M. Hussenet, homme convaincu et dévoué dont j'ai fait la connaissance il y a deux ans, alors qu'il était prédicateur au temple de la rue Thouin, actuelle­ment désaffecté. Cette Eglise, reconnue par l'Etat comme association cultuelle. se rattache à l'Acadé­mie, dont j'ai parlé à propos des Etats-Unis; en con­séquence elle n'est en relations ni avec la Conven­tion américaine, ni avec la Conférence de la Grande-Bretagne. Les anciens membres parisiens de la Nouvelle Eglise n'en font point partie et l'igno­rent absolument. Ils continuent à ne pas se réunir,

SWÉDENBORG III Il

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mais ils ont sauvé la librairie, en sorte qu'on pourra toujours se procurer les ouvrages de Swédenborg.

Ainsi, sous une forme ou sous une autre, la révé­lation moderne poursuit sur terre franç.aise son œuvre de défrichement et de semailles. L'heure de la moisson paraît encore éloignée, mais elle vien­dra 1 Les avant-coureurs en sont déjà notés par les observateurs attentifs, capables de discerner les signes des temps.

* * * Que penser du Spiritisllle P

Dès son origine, la Nouvelle Eglise eut beaucoup à souffrir du mélange de ses doctrines avec celles du mesmérisme et de l'hermétisme, en un mot de ce que nous appelons aujourd'hui le Spiritisme. Nous l'avons constaté dans les leçons précédentes. En Suède, cet amalgame contre nature eut pour consé­quence la dissolution de la première Société swé­denborgienne, en 1789. En France, la cause fut gra­vement compromise de la même manière par Per­netty et les Illuminés d'Avignon, puis par le capi­taine Bernard et d'autres hommes d'ailleurs distin­gués: le général de Bissy, le D' Brunet, le comte de Pi rague, l'abbé .LEgger, « le pire de tous, » qui ter­mina sa vie dans un asile d'aliénés. Ces faits regret­tables, qui risquent toujours de se renouveler, nous font un devoir d'examiner ce qu'est le spiritisme au point de vue de la nouvelle révélation.

* * *

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Vous le savez, mesdames et messieurs, le Spiri­tisme proprement dit est né dans les Etats-Unis d'Amérique au milieu du siècle dernier; mais il reproduit sous une forme particulière un ensemble d'idées et de pratiques très ancien et très général, - je serais tenté de dire: aussi vieux que le monde. Il s'agit de se mettre en relation avec les trépassés, d'évoquer les esprits pour en obtenir des communi­cations ou des conseils. A u premier abord, cela res­semble à la position prise par Swédenborg, qui entretenait des rapports fréquents, presque journa­liers, avec les habitants de l'univers suprasensible. Grâce à cette ressemblance, les spirites, - qui du reste connaissent peu et mal notre théosophe, -s'imaginent qu'ils sont ses continuateurs et en ap­pellent à son nom fameux pour justifier leurs théo­ries. Nous allons voir pourtant qu'ils se font illu­sion. Cela ressortira tout naturellement de quelques assertions fort claires et incontestables, par les­quelles Swédenborg s'est prononcé d'avance contre le système spirite et les évocations qui s'y ratta­chent. Je m'en tiendrai, cela va sans dire, aux traits essen tiels.

* * * Comprenez d'emblée, mes chers auditeurs, que je

n'accuse pas tous les spirites en bloc d'être des charlatans. J'admets parfaitement qu'ils ont des communications avec les trépassés. Sans doute, dans les séances payantes, on peut céder à la tenta­tion de recourir â des trqcs pour que les expé-

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rlences réussissent et que l'attente des spectateurs ne soit pas déçue. Mais ces tromperies sont désa­vouées par les spirites sérieux, ceux que je connais et que j'estime.

Pris ainsi pour ce qu'il se donne, le spiritisme n'en est pas moins contraire à l'Evangile, comme je vais le montrer tont à l'heure. Qu'on me permette auparavant deux simples observations, dont l'im­portance extrême ne vous échappera pas.

, La première, c'est qu'il est impossible de constater . l'identité des esprits qui se manifestent. S'ils se don­nent pour Marie-Antoinette ou pour Cagliostro, pour Luther ou pour Platon, pour les apôtres ou pour Jésus-Christ, il n'est nullement prouvé qu'ils le soient. Ce sont souvent des esprits menteurs et fri­voles, qui se moquent de leurs évocateurs et se plaisent à les embrouiller. Ne croyons pas que les

. grands esprits, les esprits extraordinairement évo­lués et parvenus aux sphères les plus élevées, - à l'un ou l'autre des trois Cieux de Swédenborg, -reviennent de si haut pour s'entretenir avec des êtres encore emprisonnés dans les liens de la chair et do­minés par leurs passions égoïstes. Qni se ressemble s'assemble. Il est donc probable que les médiums ont affaire aux désincarnés pareils à enx, anx esprits inquiets, malbeureux, non purifiés, qui habitent encore les régions inférieures du monde invisible. Aussi la plus simple prudence exige-t-elle de ne point les croire sur parole, mais au contraire de se défier de leurs assertions et de leurs conseils.

Une seconde .observation, c'est que les esprits

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consultés, loin de nous apporter des lumières, nous confirment dans nos opinions. Cela découle du fait qu'ils nous ressemblent. D'après Swédenborg, ils nous environnaient et nous influençaient aupara­vant sans que nous en eussions conscience; seule­ment ils ont désormais sur nous une action plus ouverte, plus puissante. Voilà pourquoi, quel que soit notre point de vue religieux ou philosophique, nous SOlnn1es encouragés à y persévérer, et non à en changer. Les hommes désincarnés ne sont ni des apôtres ni des anges appelés à nous révéler des vérités plus hautes; ils nous laissent dans nos ténè­bres et dans nos erreurs, qu'ils partagent et approu­vent, nourrissant par là dans nos âmes une fausse sécurité. Ces deux observations, que vous avez tous pu faire, sont déjà de nature l'évocation des esprits, telle actuellement.

à nous détourner de qu'elle se pratique

Revenons maintenant à notle théosophe.

* * * Quand Emmanuel Swédenborg eut à Londres sa

première vision, quand ses yeux spirituels furent ouverts, il ne l'avait point demandé et n'avait rien fait pour cela. Il n'était nullement mystique et ne l'avait jamais été. 11 savait fort peu de chose sur la vie d'outre·tombe et ne s'en préoccupait à aucun degré. Ingénieur' des mines, mathématicien, auleur de grands ouvrages sur les divers règnes de la nature, philosophe et anatomiste, il avait été plongé jusqu'alors dans les études scientifiques, - qui dé-

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truisent non seulement la crédulité, mais trop sou­vent la foi, - et il s'était efforcé d'en tirer des appli­cations utiles à sa patrie et à l'humanité. Ainsi nous ne voyons pas qu'il désirât la faculté de s'entretenir a~ec les hommes désincarnés et de voir le monde d'en haut, faculté qu'avaient eue sans doute les pro­phètes et les apôtres, mais qui semblait ne plus exister chez ses contemporains et même avoir dis­paru de la chrétienté depuis le premier siècle.

Si cette faculté lui fut accordée, ce n'était pas dans son intérêt personnel, c'était dans l'intérêt de sa mission, c'est-à-dire de l'Eglise, de la race hu­maine et du Seigneur. Par une dispensation de la Providence divine, il avait été durant toute sa vie préparé spécialement à l'œuvre sainte qui lui était destinée: la révélation du sens interne des Ecritures, l'intelligence des doctrines évangéliques et leur sys­tématisation rationnelle. Mais pour qu'il pût accom­plir cette œuvre gigantesque, et par là-même poser les bases de la Nouvelle Eglise, Dieu avait trouvé bon de lui octroyer un privilège unique, - dont sans doute il était seul digne, - celui de vivre habi­tuellement dans les deux mondes à la fois, d'être, comme aucun autre mortel ne le peut, citoyen de la terre et citoyen du Ciel.

Ce singulier privilège, - qui rencontre encore, même chez les chrétiens, une incrédulité générale, - était d'autant plus opportun, pour ne pas dire nécessaire, au milieu du dix-huitième siècle, que c'était un temps d'extraordinaire décadence au point de vue de la foi. D'après tous les historiens, jamais

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l'horizon n'avait été aussi noir pour l'Eglise chré­tienne. Savants et philosophes, Voltaire et Frédé­ric 11, attaquaient de tous côtés, avec toutes les armes possibles, non seulement les superstitions et l'intolérance, mais le christianisme et toute religion vivante. La mondanité était extrême, l'égoïsme cyni­que et cruel, la démoralisation universelle.

La raison, telle que la défiuissaient les Encyclopé­distes, devait être désormais la seule autorité. Dans son orgueil, l'homme voulait détrôner Dieu. L'im­moralité était si grande, l'irréligion si haineuse, les progrès du déisme et du sensualisme étaient si mar­qués, les crimes si fréquents, que les gens pieux attendaient l'explosion des jugements divins sur cette société corrompue. On approchait effective­ment du cataclysme de la grande Révolution.

Dans ces circonstances, dont je ne puis assez dé­crire la nature exceptionnelle, il importait qu'un homme plit parler de l'Au-delà en témoin oculaire et auriculaire, et que cet homme inspirât confiance tant par son érudition encyclopédique et sa puis­sante intelligence que par son élévation morale et ses vertus. Tel fut précisément le rôle assigné à Swédenborg. Plus les témoignages rendus par le Prophète du Nord aux réalités suprasensibles con­trastaient avec les efforts des ennemis du Christ et provoquaient les railleries du monde, plus ils étaient capables de réveiller les indifférents et de produire une impression décisive sur les âmes bien disposées.

Swédenborg a parfaitement conscience que sa faculté de converser avec les anges et les esprits

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est en rapport étroit avec la mission spéciale dont il ,est chargé. Il n'a point de sympathie pour les mys­tiques, les extatiques, les hallucinés, ceux que nous appellerions les « médiums»; il se sent d'une autre espèce qu'eux, ne les recherche pas, les évite plutôt. Il n'a jamais voulu lire les brillantes élucubrations de Jacob Bohme, le savetier de Gorlitz, dont on fait aujourd'hui un grand théologien: ce Titan qui aimait à s'élever aussi haut que possible et qui prenait le vertige à l'idée de descendre, il le regarde comme un CI bonhomme •. Swédenborg CI n'a rien de com-, mun avec les sciences occultes, dit son biographe. Malter. Il les connait, les pratique ou les aime

'moins que personne: il a très mauvaise opll1lOn des visionnaires et des enthousiastes, et il s'en sé­

. pare bien nettement •.

* * * Il ne prétendait pas être en état de transmettre le

don extraordinaire qu'il avait reçu au début de sa phase religieuse et dans une intention précise. Dans la lettre de protestation qu'il écrivit au roi de Suède, il se plaint que ses adversaires l'accusent, sans au­cune preuve, de manquer de sincérité quand il affirme ses rapports avec le monde invisible, puis il ajoute:

, « S'ils répondent que la chose est inconcevable pour eux, je n'ai rien à répliquer; car je ne peux pas

. mettre dans leurs têtes l'état de ma vue et de ma , parole de manière à les convaincre. Je ne suis pas

'. non plus capable d'obliger des esprits et des anges à s'entretenir avec eux. 'Enfin il ne se fait plus de

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miracles. Mais leur raison elle-même leur fera voir' cela, lorsqu'ils liront mes œuvres avec réflexion; ils y trouveront en effet bien des choses qui n'ont ja­mais été découvertes jusqu'à présent. Elles ne peu­vent même être découvertes que par de véritables visions et par un commerce avec les habitants du. . Monde spirituel. D

Swédenborg déconseille expressément de recher-· cher ce commerce mystérieux, et d'essayer de péné­trer par l'intelligence humaine les choses spiri­tuelles et célestes, qui nous dépassent. « Prenez bien garde 1 s'écrie-t-il ; c'est le chemin direct de la . folie. »

Je trouve une citation du même genre, mais plus développée, dans le llfèmoire consacré à notre héros par son ami Charles Robsahm, trésorier de la Banque de Suède: « Dans un entretien que j'eus avec lui, je lui demandai s'il serait possible à un autre homme de parvenir au degré de lumière spéciale dont lui­même jouissait. - Faites attention à ce point, me répondit-il: on s'expose à de périlleuses erreurs, quand on s'efforce de sonder les mystères de la foi avec les facultés purement naturelles. C'est pour nous garantir contre de pareils dangers que le Sei­gneur nous enseigne à dire: Ne nous induis pas en' tentation! Cela signifie qu'il ne nous est pas permis, dans la confiance propre et l'orgueil de notre intel­ligence naturelle, de mettre en doute les divines: vérités de la Révélation. Vous savez que mainte fois des hommes d'étude, notamment des théologiens, qui avaient fait de profondes recherches pour amas-

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ser des connaissances inutiles, ont perdu la raison. » Je n'ai jamais songé à être élevé à l'état spiri­

tuel où je me trouve; mais le Seigneur m'a mis à part pour dévoiler le sens spirituel des prophéties \ et des révélations accordées à saint Jean. Jusqu'à ce moment-là mon attention était concentrée sur les sciences physiques, telles que la chimie, la minéra­logie et l'anatomie. D

* * * Une narration non moins significative nous vient

du Rév. Nicolas Collin, qui était en 1820 recteur de l'Eglise suédoise de Philadelphie. Il avait passé dans sa jeunesse trois années à Stockholm. A cette époque, - en 1766, - Swédenborg «était un des principaux objets de l'attention publique, et son caractère ex­traordinaire défrayait beaucoup de conversations. » S'étant présenté chez lui sans aucune introduction, le jeune homme fut néanmoins accueilli avec une grande affabilité et fit plus tard le récit suivant:

« Nous causâmes près de trois heures, principale­ment sur la nature des âmes humaines et sur leurs états dans le monde invisible, discutant diverses théories psychologiques, entre autres celle du célèbre Dr Walléri us, naguère professeur de théo­logie naturelle à U psal. Swédenborg assu ra expres­sément, comme il le fait souvent dans ses livres, qu'il était en relation avec l'esprit des trépassés. Je m'enhardis jusqu'à lui demander, comme une insi­gne faveur, de me procurer une entrevue avec mon frère, mort peu de temps auparavant; c'était un

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'.

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jeune ecclésiastique exerçant son ministère à Stock­holm, où il était estimé pour sa piété, son érudition et sa vertu.

» Swédenborg répondit que, - Dieu ayant dans des vues de sagesse et de bonté séparé le monde où nous sommes du Monde des Esprits,- une commu­nication n'est jamais accordée sans des raisons très importantes, et il me demanda quels étaient mes motifs. Je confessai que je n'en avais pas d'autres que de satisfaire mon affection fraternelle et l'ardent désir d'assister à des scènes sublimes, si intéres­santes pour une âme religieuse. Swédenborg répli­qua que mes motifs étaient bons, mais insuffisants, et que, s'il s'était agi de me rendre un service capi­tal, soit spirituel, soit matériel, il en aurait sollicité la permission de la part des anges qui règlent de semblables matières 1. »

* * * Les spirites me paraissent donc céder à une curio­

sité malsaine, quand, sans motif d'intérêt général ou d'ordre vraiment religieux, ils interrogent, par l'in­termédiaire des tables ou des somnambules, les morts désincarnés. Ces tentatives superstitieuses et contre nature sont condamnées à diverses reprises dans l'Ancien et dans le Nouvean Testament. Le prophétisme hébreu les interdisait sévèrement, et c'est en transgressant l'ordre de Jéhova que Saül

1 Cette dernière phrase a été contestée; elle peut cependant s'ac­corder avec l'habitude qu'avait Swédenborg de prier directement le Seigneur, dont les anges ne sont que les instruments.

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alla de nuit chez la pythonisse d'Endor pour con­sulter l'ombre de Samuel. Les évocateurs et les sor-cières devaient être supprimés. Nous lisons en effet dans le Lévitique: « Lorsqu'il se trouvera un homme ou une femme évoquant les esprits ou se livrant à la divination, ils seront punis de mort; on les lapidera: leur sang sera sur eux. » Et « Si quelqu'un se tourne

. vers ceux qui évoquent les esprits et vers les devins pour se prostituer après eux, je tournerai ma face vers cette personne-là et je la retrancherai du milieu de son peuple.» '/c>\r a.U'~-I.· 11011. YYII/. Il} -If·

Cette imitation des pratiques païennes était con­traire à l'esprit de la religion révélée; de là l'ordre admirable qui suit immédiatement la menace ci­

XI dessus: « Vous vous sanctifierez et vous serez •

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saints; car je suis l'Eternel, votre Dieu. » Le péché ici condamné est mis au même rang que la plus révoltante des abominations, le crime de sacrifier un de ses enfants à Moloc. Les Israélites doivent éviter de semblables profanations pour que le pays ne les vomisse pas.

D'après ES3.ïe, les habitants de Juda sont aban­donnés par leur Dieu parce qu'ils ont été « envahis par l'idolâtrie de l'Orient, s'adonnent à la divination comme les Philistins et s'allient aux étrangers. » Plus loin dans le même livre: « C'est moi, Jéhova, qui déjoue les présages des diseurs de mensonge et rends insensés les devins. »

Même Garde à vous! dans Jérémie: « N'écoutez pas vos prophètes, ni vos devins, ni vos augures, ni vos astrologues, ni vos magiciens. )) - «Car, dit .~,i. ,(-\IX Y. ".

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- 1.73 -

Zacharie, vos idoles ont rendu de faux oracles; les devins ont eu des visions mensongères. Ils débitent de vains songes et ne donnent que des consolations de néant. » - « Ne vous laissez pas séduire par les prophètes qui sont parmi vous ni par vos devins, et ne croyez pas aux songes que vous entendez racon­ter. Car ces hommes-là vous trompent, quand ils prétendent prophétiser en mon nom. Je ne les ai pas envoyés, dit Jéhova. »

L'inanité et le danger de cette conduite sont encore relevés dans ce beau passage d'Esaïe : « Si l'on vous dit: Consultez ceux qui évoquent les morts et les ... ,

" devins. ceux qui chuchotent et qui murmurent, -répondez: Un peuple ne doit·il pas consulter son Dieu? S'adressera-t-il aux morts en faveur des vi­vants? A la loi et au témoignage! Si le peuple ne parle pas ainsi, il n'y aura pas d'aurore pour lui. »

* * * Les premiers chrétiens étaient trop d'accord avec

les prophètes pour ne pas réprouver l'occultisme sous ses formes diverses. A Ephèse, d'après les Actes des Apôtres, les exorcistes juifs sont empê­chés d'unir à leurs pratiques le nom sacré de Jésus.

,g • .', Le récit continue: « Plusieurs de ceux qui s'étaient livrés à la magie apportèrent leurs livres et les brû­lèrent devant tout le monde; quand on en eut estimé la valeur, elle se trouva être de cinquante mille pièces d'argent,» ce qui fait probablement 45000 à 50000 fr.

r, A Paphos, dans l'île de Chypre, Bar-Jésus, « magicien et faux prophète », qui résiste à Paul et à Barnabas,

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est frappé d'une cécité temporaire. Enfin, selon deux textes fort solennels de l'Apocalypse, la part des magiciens est d'être jetés, avec les impudiques, les meurtriers et tous les menteurs, dans l'étang ardent de feu et de soufre qu i est la seconde mort.

* * * En voilà assez, je suppose, pour nous montrer

comment la nécromancie moderne doit être jugée par les disciples de Jésus-Christ. Il me reste à vous indiquer les traits fondamentaux par lesquels elle me paraît être en contradiction avec l'Evangile.

Le premier, c'est qu'elle enseigne la pluralité des '. existences sur la terre, ainsi la réincarnation des âmes après un certain temps passé dans le monde suprasensible. Or ce point de vue, - qui est égale­ment celui des théosophes et des bouddhistes, - me semble fort décourageant et surtout opposé à la ré­vélation chrétienne. Celle·ci, en effet, d'un côté ne nous parle jamais que d'une existence terrestre, de

: l'autre nous annonce une vie future qui permettra tous les changements possibles, et où l'âme pourra se perfectionner à l'infini sans avoir à redescendre pour entrer dans un organisme charnel.

Le second trait du spiritisme, c'est qu'au moyen de ces réincarnations successives l'esprit humain se

, corrige, se purifie, se sanctifie, en un mot se sauve • lui-même. Il n'y a plus un réel Sauveur; le Christ n'a pas accompli pour le genre humain tout entier une éternelle rédemption, qui n'a plus qu'à être reçue et assimilée par chaque individu. Le péché,

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l'expiation, le pardon, le salut des justes, la destinée: des méchants, tout est tranformé, rendu méconnais- . sable. Je ne dirai pas qu'il n'y ait plus rien de reli-:· gieux ni de moral dans ce système, mais la religion et la morale qui restent ne sont plus celles du chris- . tianisme.

En troisième lieu, _ .. et cela ressort de ce que nous venons de dire, - Jésus n'est pas reconnu par les spirites pour ce qu'il se donne et pour ce que ses disciples immédiats croyaient de lui. Il n'est pas '. pour eux le Fils unique du Père céleste, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge Marie, tenté comme nous tous, mais absolument juste et saint, mort Sur

,

la croix, ressuscité et glorifié, c'est-à-dire divinisé. ; Ce point, à lui seul, serait décisif.

* * * Ainsi le spiritisme n'est pas un développement,

un aspect plus ou moins opportun du christianisme historique; c'est autre chose, c'est un système qui en diffère par des principes essentiels. J'avoue qu'il a du charme pour les esprits inquiets et généreux. Il a réagi fortement et heureusement contre le ma­térialisme si contagieux au dix-neuvième siècle. Beaucoup d'indifférents, d'incrédules même, ont été ramenés par lui à certaines croyances fondamen­tales: l'existence de Dieu, l'immortalité ou du moins la survivance de l'âme, le devoir d'une transforma­tion intérieure, l'ordre moral du monde, c'est-à-dire la rétribution future du bien et du mal que nous aurons fait ici-bas. L'idée que toutes les religions

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sont bonnes, sans être exacte, a pourtant l'avantage d'élargir l'esprit et le cœur. Je ne conteste donc pas que, dans les milieux sceptiques et mondains, le spiritisme ait réveillé la conscience, favorisé la vie religieuse et produit des résultats plutôt satisfai­sants.

Mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'on le préfère au pur Evangile, si supérieur sur les points où ils sont en conflit. Vous m'objecterez peut-être que l'Evangile a été défiguré par les Eglises, qu'elles le compromettent souvent par leur doctrine et par leur conduite, au lieu de le faire admirer, respecter et aimer. Je ne le sais que trop. Mais qu'on revienne -aux documents primitifs du christianisme et qu'on cherche à le comprendre directement, sanS recourir aux commentaires plus ou moins sujets à caution qu'en donnent les professions de foi. Et si cette tâche est trop difficile, qu'on jette les yeux sur les doctrines formulées par Swédenborg, sur le système de la Nouvelle Eglise. Qu'on se donne alors la peine de comparer les deux conceptions, - d'une part celle d'Allan Kardec, de Léon Denis, d'AksakotT ou d'un spirite quelconque, de l'autre celle du christia­nisme positif, philosophique et stimulant qu'ensei­gnent les ouvrages swédenborgiens, - et l'on sen­tira la ditTérence! Plus une âme aura des besoins profonds de réconciliation, de paix, de force et de sainteté, plus elle se prononcera facilement pour la vérité incarnée dans le Fils de l'Homme, et contre la magie antique, l'ajeunie par la science contem­poraine.

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Quant à mélanger ces deux points de vue, quant­à gretTer sur le cep évangélique des rameaux prove­nant d'un cep étranger, cette entreprise ne saurait avoir d'heureux résultats. Elle n'est possible que dans le cas où des chrétiens n'ont ni recu ni com­pris quelques-unes des doctrines fondamentales de l'Evangile; en d'autres termes elle a pour condition l'ignorance de la vérité révélée. Qu'on étudie plus soigneusement les Ecritures pour savoir ce qu'elles disent sur les problèmes principaux du présent et de l'avenir: on y trouvera, je l'affirme, des en sei- ' gnements beaucoup plus clairs, plus cohérents et plus rationnels qu'on ne le pense, des solutions plus stimulantes pour la conscience et plus apaisantes pour le cœur que dans l'évocation des esprits du Hadès. Cette étude, poursuivie avec la méthode exé­gétique du Prophète du Nord, aura par-dessus tout l'avantage de nous rendre plus « spirituels )), c'est­à-dire de nous mettre en communication plus in­time avec le Seigneur, qui EST L'ESPRIT i .

.. .. .. Cependant, pour être tout à fait équitable à l'égard

de nos amis spirites, je terminerai par cette obser­vation. Nous trouvons la note suivante dans le Jour­nal Spirituel: a: L'homme a été créé de telle sorte qu'il pùt avoir des rapports avec les esprits et les anges, et qu'ainsi le Ciel fût uni à la terre. Tel fut le cas dans la Très ancienne Eglise, dans l'Ancienne

1 Le Seigneur est l'Esprit. ! Cor. 3 : 17.

s,,"vÉnENBORG III

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pareillement, et dans la Primitive 1 il Y eut aussi une perception de l'Esprit saint. Il en est ainsi pour les habitants d'autres terres, dont j'ai parlé précé­demment. Car l'homme est homme parce qu'il est un esprit, avec cette unique différence que sur la terre l'esprit de l'homme est environné d'un corps à cause de ses fonctions dans le monde. Si le Ciel et la terre sont maintenant séparés en ce qui concerne notre planète, cela provient du fait que, dans la suite des temps, la race humaine a passé des internes aux ex­ternes 2. »

C'est évidemment la déchéance progressive des hommes qui a mis fin à leurs rapports conscients avec le monde invisible. Ce commerce, jadis fré­quent, est devenu rare, difficile, et leur a été stric­tement interdit parce que, au lieu de faire du bien, il aurait fait du mal.

Swédenborg affirme encore que Cl les érudits du monde n'ont pas la permission de parler avec les esprits, sinon au péril de leur vie. » Il ajoute: « Je me suis entretenu avec des esprits, et il me fut ac­cordé de percevoir - en idée spirituelle - qu'il est extrêmement dangereux pour les savants, qui sont imbus de fantaisies, d'avoir la faculté de causer avec les esprits ou de recevoir une révélation quel­conque, et cela pour pl usieurs raisons. »

Ces « fantaisies» ou ces illusions qui déçoivent dans l'autre vie la plupart des savants venus de celle-ci, sont la conséquence de l'orgueil, de l'amour

1 C'est-à-dire dans celle des premiers chrétiens. 2 Spiritual Diary, § 1587. A la date du 20 mars 1748.

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de soi, c'est-à-dire du plus grave des péchés. Que 1

l'homme devienne vraiment humble, qu'il aime. par-dessus tout le Seigneur, se laisse régénérer par. lui, soit en un mot semblable à ce qu'il était jadis, , dans les premiers âges: tout alors change d'aspect.. Etant associé intérieurement aux anges, il est auto-! risé de rechef à s'entretenir ouvertement avec eux.' On peut du moins espérer qu'i! en sera ainsi, dans un avenir plus ou moins lointain, en vertu du développement de la foi et de la charité. C'est, paraît-il, ce que Swédenborg attendait; car il a écrit li. Que le privilège de converser avec les es­prits et les anges pourrait être approprié aux hom­mes et devenir commun '. ))

Il est fort à craindre que ce privilège, dont le Voyant scandinave jouissait à titre exceptionnel, ne puisse être rendu de sitôt ni à l'Eglise chrétienne dans son ensemble, ni à aucune de ses fractions. Un swédenborgien de Cincinnati' demande pourtant: «Ne pourra-t-il pas surgir quelque jour dans la Nouvelle Eglise un Spiritisme qui ne soit pas con­traire à l'Ordre? ))

Oui sans doute, répondrons-nous. Mais jusqu'à 1

l'apparition de ce phénomène, gardons-nous de con­sulter les trépassés. Ne jouons pas avec le feu 1

1 Spiritual Diary. Titre du § 1587. ~ M. H. Il. Grant, dans le New Church Afesunge1".

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NEUVIÈME COURS

La Rédemption.

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PREMIÈRE LEÇON

Le do~mc de la Rédemption d'après Vinet. Il est intelligible. Tendance pragmatiste. Démolition par les théologieu8 et reconstruction par Swédenborg. Desiderata. Etymologie. L'humanité a-t-elle besoin d'être sauvée? Recours à la révé­lation. Un peu d'exégèse. La Rédemption dans l'Ancien Testament. Prédécesseurs directs de Jésus. Il réunit, spiri­tualise et accomplit les trois offices. On réagit contre cette tripartition. Prêtrise et royauté. La Rédemption définie. Sabjllgation des Enfers. Le Christ tenté et victorieux. L'individu et la race. Le libre arbitre dans la vic à venir. Un jug-cment dernier. Quelques figures. Ordination des Cieux. Le Ciel divisé en trois. Formation du Ciel chrétien. Instauration d'une fl{ouvelle Eglise par la découverte du sens spirituel de l'Ecriture. Spiritualité de cette économie.

Le sujet qui va nous occuper est d'une telle im­portance qu'Alexandre Vinet a pu dire: « Le dogme de la rédemption est le christianisme même; il est, par conséquent, la cause efficiente de tous les chan­gements individuels et généraux qu'on rapporte au christianisme. »

On a coutume. mesdames et messieurs, de regar­der cette doctrine comme dépassant notre intelli­gence et désespérément mystérieuse. Qu'en résulte­t-il? Les uns l'acceptent les yeux fermés, telle que l'Eglise et la tradition la leur ont transmise; les au .. tres la rejettent purement et simplement, parce

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qu'ils ne sauraient croiI'e à ce qu'ils ne comprennent pas. Ces deux conséquences sont déplorables.

J'estime pour ma part qu'il est possible de la com­prendre quant à l'essentiel. Elle est. je l'avoue, insondable dans ses dernières profondeurs; mais ce caractère ne lui est point particulier, elle l'a en com­mun avec toutes les doctrines religieuses ou même philosophiques. Nous sommes en rapport avec l'in­fini et toutes nos études aboutissent à cet infini, qui est l'inconnaissable, dont nous pouvons sentir et affirmer l'existence, mais que notre entendement ne peut pas saisir. Par bonheUl' les philosophes sont arrivés à l'idée qu'ils ne doivent parler que de ce qu'ils comprennent; sans nier qu'il y ait quelqu'un ou quelque chose au delà, ils ne veulent plus ensei­gner que ce dont ils ont fait l'expérience. Ainsi Charles Renouvier et les phénoménistes; Peirce, Wil­liam James, Dewey, Schiller (d'Oxford), Boutroux, Bergson et les pragmatistes. En philosophie même on veut à tout prix la clarté. Les théologiens sont emportés par ce courant. Eux aussi ont assez des grands mots, des théories creuses, d'une métaphy­sique subtile et sans base éprouvée, de dogmes abstrus n'ayant pour eux que l'autorité des âges d'ignorance. Ils se refusent désormais à enseigner ce dont ils n'ont pas une conscience claire, ce qu'ils n'ont pas expérimenté.

Cette tendance au pragmatisme, qui peut être exa­gérée et conduire à de fâcheuses négations, a certai­nement beaucoup de bon et nous ne devons pas nous y soustraire. Nous chercherons donc, à propos

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de la Rédemption, ce qu'on peut en dire de clair, ce que l'homme peut en comprendre, convaincus que la révélation nous révèle quelque chose, nous éclaire précisément sur les questions vitales, nous donne sur l'œuvre du Sauveur toutes les lumières que nous pouvons raisonnablement souhaiter. En re­montant directement à l'Evangile, nous nous effor­cerons de nous rendre mieux compte qu'on ne l'a fait jusqu'ici de la manière dont Jésus lui-même a conçu sa haute mission, et nous pourrons ainsi dé­gager le dogme de la Rédemption de plusieurs erreurs qui l'ont trop longtemps défiguré .

.. .. ..

Cette tâche, assurément très difficile et très déli­cate, nous est d'ailleurs facilitée par les abondantes ressources que nous offrent nos prédécesseurs. D'un côté, les théologiens protestants ont déblayé le ter­rain de la dogmatique en démolissant avec ardeur les anciens systèmes devenus insuffisants, et en sa­pant impitoyablement avec le pic de la « critique sacrée» toutes les doctrines traditionnelles. Voilà l'œuvre négative, qui sans doute était indispensable. D'un autre côté, Emmanuel SWédenborg, trop né­gligé par les Facultés protestantes, a laissé dans ses nombreux ouvrages toute une théologie vraiment nouvelle, une conception profonde et systématique de l'Evangile. Or Swédenborg est tenu par des mil­liers de disciples dévoués pour un révélateur, et par beaucoup d'hommes éminents pour un des plus puissants génies qui aient jamais paru sur notre

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globe. Voilà l'œuvre positive, grâce à laquelle nous sommes en état de reconstruire la doctrine centrale de nos livres saints, et même l'édifice entier de la foi chrétienne.

Je vais donc, mesdames et messieurs, vous expli­quer ce qu'est la Rédemption aux yeux du Prophète du Nord, en m'efforçant, comme toujours, d'éviter toute apparence inutile et fatigante d'érudition, tout ce qui pourrait vous sembler pédantesque ou nua­geux. Mon ambition consiste à vous donner une idée juste, à la fois générale et précise, de ce qu'a fait pour l'humanité celui que nous appelons « Notre Sauveur ». Je profiterai, cela va sans dire, de tous les docteurs à moi connus, comme de toutes les ex­périences que j'ai pu faire, pour élucider notre sujet et mettre le penseur suédois en contact avec notre époque.

Quelles que soient mes intentions de clarté et de simplicité, le problème que nous allons examiner ensemble est grave entre tous; il exige par consé­quent une attention suivie et concentrée, que je vous prie de m'accorder avec votre bienveillance habituelle. J'ose même espérer que, dans l'intervalle des séances, vous réfléchirez chacun pour soi et discuterez l'un avec l'autre les points traités ici. Ce travail de pensée n'est guère dans nos mœurs; il n'en sera que plus profitable pour ceux qui s'y astreindront. Si vous voulez bien faire droit à ces deux deside,oata, ce cours de leçons pourra marquer dans votre vie; car Dieu donne ou augmente la foi à ceux qui prennent la peine d'étudier sa révélation.

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* * * On est d'accord dans les différentes Eglises pour'

appeler Rédemption l'œuvre accomplie par Jésus­Christ. Pour préciser les idées, je rappellerai que le mot Rédemption - du verbe latin redimere, rache­ter, en vieux français rédimer - signifie rachat, mais qu'il est toujours employé dans une acception figurée. En religion, il ne s'applique jamais à un rachat à prix d'argent; il s'agit d'une délivrance spirituelle coûtant des efforts, des sacrifices à celui qui l'opére. II a pour synonymes les termes de Salut, d'Expiation, de Réconeiliation et de Gué­rison, que nous examinerons plus tard en passant.

II est du reste naturel que la Rédemption soit en­tendue diversement, selon la représentation qu'on s'est faite de la personne du Seigneur. De la christo­logie si originale et si philosophique de Swédenborg découlera donc une théorie très particulière de la Rédemption. Cette christologie, je l'ai développée ici-même, le printemps dernier, dans un cours de quatre leçons, dont la dernière fut consacrée à l'exa­men des objections qu'elle soulève. La série avait pour titre: La Divine Triade, ou le Monothéisme et Jésus-Ch,';st. Elle va paraître dans mon second'vo- , . lume sur Swédenborg, sous presse en ce moment. Vous n'attendez pas de moi, mes chers auditeurs, que je vous arrête encore sur ce chapitre; je me bornerai à vous rappeler occasionnellement les points principaux de cette doctrine, à la fois plus

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rationnelle et plus religieuse que toutes les autres conceptions de la nature du Sauveur.

* * * Mais, avant d'aborder mon grand sujet, je suppose

une question préalable que tel de vous pourrait m'adresser. Une Rédemption est-elle vraiment né­cessaire? L'humanité est-elle à ce point perdue qu'elle ait besoin d'être sauvée? Elle est sans doute bien au-dessous de ce qu'elle devrait être et soulTre de toute espèce de maux; mais ne peut-elle pas s'améliorer, se guérir elle-même, réaliser ainsi peu à peu, au moins dans une certaine mesure, son idéal de justice, de fraternité et de bonheur? Cette question, - car sous diverses formes c'est toujours la même, - on y répond de toutes parts, quand, sans esprit de système, chacun exprime ses propres sen­timents.

Lisez les journaux: que d'accidents, d'épidémies, de catastrophes, de révolutions sanglantes, de guer­res meurtrières 1 En même temps que d'injustices, que de spoliations, que de cruautés imputables à l'amour des richesses 1 Que de vices et de crimes dus aux convoitises charnelles 1 Que de luxe et de frivo­lité chez les grands, que d'insouciance et de bestia­lité chez les humbles 1 Assurément le monde va mal, et, tandis que la civilisation progre8se à pas de géant, on se demande si la moralité ne décroît pas.

Interrogez ceux qui observent la société et scru­tent leur propre cœur, les romanciers modernes tels que Flaubert et Zola, Pierre Loti et Paul Bourget:

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comme ils sont loin de l'optimisme 1 Que de plaies ils découvrent et dépeignent sans pitié 1 Quels som­bres tableaux ils nous présentent 1 QueUe triste idée ils nous donnent, d'après nature, de toutes les classes et de la plupart des individus 1 Partout la corrup­tion, le mensonge, la douleur physique ou morale, la peur de la mort; souvent même la détresse et le désespoir. Certes, à leurs yeux, le monde va mal, peut-être même de mal en pis 1

Oui, la plainte incessante et révoltée qui s'élève de notre planète, même dans les pays les plus favorisés et du sein des « heureux du siècle », cette plainte incontestable et générale prouve que l'humanité se sent perdue et qu'eUe a besoin d'un Rédempteur. Dieu y a pourvu dans sa sagesse et sa miséricorde 1 Il est descendu jusqu'à nous pour nous élever jus­qu'à lui. Le Christ historique a commencé l'œuvre de guérison que son Esprit continue sans cesse, et qui doit inaugurer sur la terre le royaume des Cieux.

'" '" '" Etant la pensée même de Dieu à l'égard de sa

créature, le but qu'il s'est proposé dès l'origine dans notre intérêt coUectif et personnel, la Rédemption ne peut être comprise par la science humaine, qui ne connaît les choses que du dehors par l'intermé­diaire des sens. Pour la comprendre dans ce qu'elle a d'intelligible et par conséquent de profitable, nous devons recourir à la révélation divine, dont aujour­d'hui les chrétiens eux-mêmes, influencés par la philosophie incrédule, ne reconnaissent plus assez

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la souveraine importance, pour ne pas dire la néces­sité. Tournons-nous donc vers l'Ecriture Sainte, et demandons-lui premièrement ce qu'elle entend par Rédemption.

* * * Ce terme, en latin Redemptio, est la traduction

française des deux mots grecs Lutrôsis et Apolut,·ôsi •. Lutr6sis apparaît trois fois dans le Nouveau Testa­ment. 10 A la naissance de Jean-Baptiste, son père, le sacrificateur Zacharie, « fut rempli d'Esprit saint et prophétisa en ces termes: Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël! Car il a visité son peuple et opé"é sa rédemption; il nous a suscité une corne de salut de la maison de David, son serviteur. » 20 Quand, après sa circoncision, le petit Jésus fut présenté dans le temple unique, la prophétesse Anne ([ rendit gloire à Dieu et parla de l'enfant à tous ceux qui attendaient la "édemption de Jérusalem. » 30 Nous lisons dans l'Epître aux Hébreux: " Christ est entré une seule fois dans le sanctuaire, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, accomplis­sant une étm'nelle rédemption. »

Le verbe dont on a tiré le substantif Lutr6sis est également employé trois fois. « Nous espérions, -disent deux disciples du prophète galiléen en parlant de lui, peu après sa mort, sur le chemin d'Emmaüs, - nous espérions qu'il était celui qui doit racheter Israël. » Saint Paul écrit: « Il s'est donné lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité. » Et la première des deux lettres attribuées à l'apôtre Pierre est plus explicite encore: « Ce n'est point par

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des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vos pères vous avaient transmise, mais par un sang précieux, semblable à celui d'un agneau sans défaut et sans tache, le sang de Christ. »

Le substantif Lutron, prix du rachat, rançon, ne se trouve qu'une fois dans le recueil sacré de la nou­velle alliance, mais c'est dans une déclaration solen­nelle du Maitre: Il Le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et pour donne>' sa vie (proprement son âme) en rançon pour un grand nombre. » Le mot Lutrôtès, rédempteur, se rencontre également une fois, mais ce n'est pas à propos de Jé­sus. L'évangéliste Etienne raconte, dans les Actes des Apôtres, que « Dieu envoya Moïse comme chef et rédemptew' avec l'aide de l'ange qui lui avait apparu dans le buisson. »

Apolutrôsis n'est autre chose que Lutrôsis renforcé par la préposition Apo, qui indique la séparation, l'éloignement. Apolutrôsis signifie donc, d'après les meilleures autorités, une rédemption pleine et en-

'{ t::" tière, éternelle, irrévocable. « Lorsque ces choses XI ,NI commenceront à se produire, - dit le Seigneur aux

siens, - regardez en haut et levez la tête, car votre rédemption approche. »

Paul, qui fait sept fois usage du mot Apolutrôsis, ,~" dit entre autres: « C'est nous aussi qui gémissons, ~," 3 attendant l'adoption, la "édemption de noiJ'e COl'pS.

"'. f, 3~ - Jésus est devenu notre justice, notre sanctification et notre rédemption. - Nous avons en Jésus-Christ 1..J,/

la rédemption par son sang. - Les hommes sont

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" 'v ton FormateUl' dès la conception ... Ton Rédempteur, , S' le Saint d'Israël. »

Ce terme de Rédempteur s'applique également il. :X,16' des délivrances futures: « Tu suceras le lait des na­

tions, le sein des rois te nourrira; tu sauras que je suis Jéhova ton Sauveur, et que le Puissant de Jacob est ton Rédempteur. » On peut voir ici l'annonce des temps messianiques, comme dans cette autre pro-

IX, <0 phétie: « Mais pour Sion, pour tous ceux des enfants de Jacob qui se repentiront de leur révolte, il paraî­tra comme un Rédempteur. »

Dans ces derniers versets, ni dans leur contexte, nous ne trouvons l'idée de Rédemption rattachée il. celle d'un prix quelconque dont le peuple hébreu aurait il. payer son affranchissement. J'en dirai autant de la sortie d'Egypte opérée par l'Eternel à main forte et il. bras étendu. Cette délivrance nationale n'a pas été méritée, achetée; elle est une pure grâce. Le Rédempteur d'Israël ne vend pas son secours; c'est par amour, par miséricorde qu'il pardonne, sauve et bénit.

Il y a plus: le rachat d'une âme est impossible il. la créature pécheresse. C'est ce qu'un de nos Psau­mes affirme positivement : fi. L'homme ne sa.tre';t rachetm' son frère, ni paye>' à Dieu sa rançon. Le ,'a­chat de leur âme est t,·op cher et il ne se fera jamais, »

Ainsi, en dépit du système légal de l'économie préparatoire, la révélation bihlique a toujours ensei­gné la complète gratuité du salut.

* * *

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J'ai cru bien faire de poser quelques bases exégé­tiques, sur lesquelles nous pouvons tous être d'ac­cord, avant d'aborder la question spéciale que je dois traiter dans ce cours, savoir la Rédemption telle que Swédenborg l'a comprise.

Rappelons maintenant, - en guise de transition, - qu'au sein de la nation dont il faisait partie par sa naissance Jésus a compté des prédécesseu,'s di­,'ects, qui se sont associés à la pensée de l'Eternel, qui ont été dans un sens très particulier ses « servi­teurs » et que « le zèle de sa. maison» a parfois « consumés ». Avec des titres différents, ces minis­tres de Jéhova ont préparé leur peuple à la venue du Sauveur. Trois offices, institués par la Providence et conservés en Israël pendant une série de siècles, ont été les instruments de cette préparation: le prophé­tisme, le sacerdoce (ou la prêtrise) et la royauté.

Cependant, il faut l'avouer, rois, prêt1'es et pro­phètes se sont rarement montrés à la hauteur de leur vocation respective; un grand nombre lui ont été scandaleusement infidèles. Et chez ceux qui l'ont prise au sérieux, que de lacunes encore, que d'incon­séquences et de chutes 1 Rappelez-vous les fautes, parfois très graves, attribuées dans les livres saints, avec une étonnante franchise, à des croyants tels que Noé, Abraham, Lot, Jacob, Moïse et Aaron, Mi­riam leur sœur, Héli et Elie, David, Salomon, Ezé­chias. Au reste, quelle que fût leur indignité per­sonnelle, les prophètes, les rois et les sacrificateurs n'en représentaient pas moing, sous différentes faces,

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le Messie promis et attendu; car dans l'alliance hé-(, < braïque tout était fi. représentatif».

'" '" '" Les anciennes dogmatiques s'attachaient à démon­

trer que Jésus-Christ, en succédant à ces divers ser­viteurs de Dieu, les a dépassés à tous égards. En ef­fet : 1° Il a réuni en sa personne les trois offices jus­que-là séparés. 2° Il les a spiritualisés. 3° Il s'en est acquitté parfaitement.

Il serait intéressant de nous arrêter sur ces idées, qui prêtent à beaucoup d'observations édifiantes. Mais, s'il est vrai que Jésus de Nazareth a été le pro­phète, le sacrificateur et le roi par excellence, s'il s'est, à lui seul, acquitté des trois ministères de la législation mosaïque, il n'est pas moins vrai qu'on se trouve gêné par cette tripartition, quand on veut exposer l'œuvre du Seigneur dans son ensemble.

Cette division en « trois offices» peut sar,s doute se justifier; elle présente toutefois des inconvénients réels. D'abord elle ne correspond pas clairement à trois époques de la vie du Sauveur. Elle soulève d'autres difficultés encore. On ne sait trop, par exemple, si les miracles doivent être considérés comme une prérogative de l'esprit prophétique ou comme des actes de puissance royale.

* '" '"

Sensible à ces désavantages, la théologie contem­poraine paraît abandonner cette division tripartite. C'est ce que font en particulier deux savants d'intel-

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1 ,

1 1

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ligence très déliée et très pénétrante, MM. Bovon et Lobstein. M. Jean Bovon, mort il y a quelques an­nées, enseignait la théologie systématique dans notre Faculté libre, où il est remplacé par M. Paul Laufer. Il a été le premier à recevoir de l'Université de Lau­sanne le grade de docteur en théologie honoris causâ. M. Lobstein, bien connu par ses écrits, est encore professeur à l'Université de Strasbourg.

* * * Longtemps avant ces deux honorables dogmati-ciens, Swédenborg avait rompu avec la coutume de rattacher l'œuvre du Christ aux trois offices de la dispensation juive. C'est ainsi, vous le savez, qu'il a devancé fréquemment les progrès successifs faits par la science religieuse comme par les sciences de la nature.

* * * Dans son exposé de la Rédemption, Swédenborg

ne relève, pour les attribuer à Jésus-Christ, que les deux fonctions officielles et régularisées en Israël : la p"êtrise et la royauté. II laisse de côté le prophé­tisme, qui me parait rentrer naturellement dans la royauté de l'esprit. Vous vous en souvenez peut-être, tout est produit dans l'univers par le divin Bien et le divin Vrai, qui forment l'essence de Dieu, et qu'on peut appeler aussi l'Amour et la Sagesse. En vertn de cette constitution des choses, le Ciel est divisé en deux Royaumes: le Royaume céleste et le Royàume spirituel. Les anges célestes, en qui prédomine le cœur, sont nommés Prêtres; les anges spirituels, en qui prédomine l'intelligence, sont nommés Rois.

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Le Sauveur lui-même est considéré tantôt comme Prêtre ou Sacrificateur, tantôt comme Roi; c'est en cette double capacité qu'i! accomplit la Rédemption. La suite montrera ce qui appartient à l'un et à l'au­tre de ces offices. Comme prêtre, il est appelé Jésus, Jéhova ou le Seigneur; comme roi, on l'appelle Christ, Dieu et le Saint d' Is,·aël. Ainsi nous avons

a) d'un côté: L'Amour. Le Bien. Jéhova. Le Seigneur. Jésus. Le Prètre.

b) de l'autre: La Sagesse. Le V,·ai. Dieu. Le Saint d'Israël. Christ. Le Roi.

Cette nomenclature est déjà remarquable, On n'est pas habitué dans nos milieux à donner à ces divers noms la signification spéciale que leur donne le Prophète du Nord, ainsi à placer Jéhova au­dessus de Dieu et Jésus au-dessus de Christ. Swé-

, l •

1

denborg nous surprend de même en attribuant un 1

sens plus élevé à l'expression Fils de l'Homme qu'à celle de Fils de Dieu. Ces innovations font réfléchir et ne sont pas sans avoir des raisons plausibles .

.. .. .. Voyons à présent, d'après notre écrivain, com-

ment il explique la grande œuvre de la Rédemption J

dans le tome premier de La Vraie Religion chré-tienne t. Nous ne pouvons mieux faire que de le

, Page. 111 à !Ol.

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, , - 199-

suivre pas à pas, tant sa logique est profonde. Pour être clair, il divise sa doctrine en sept articles ou sections. Ce sont des thèses dont il énonce tout d'abord le texte intégral, et qu'il reprend ensuite pour les développer et les soutenir.

* * * Le premier de ces sept articles est la définition

proprement dite. « La Rédemption, dit-il, a été la subjugation des Enfers et l'ordination des Cieux, et par l'une et l'autre la préparation à une nouvelle Eglise spirituelle. » Cette définition vous étonne peut-ètre. En tout cas elle diffère singulièrement de ce qu'on nous a enseigné jusqu'ici. Nous voilà, m'objectera-t·on, bien loin de la théologie ordinaire et lancés en pleine théosophie 1

En effet, il s'agit de choses qui se passent dans le monde invisible, et un voyant peut seul nous les dévoiler. Mais la révélation scripturaire n'est-elle pas là pour nous éclairer sur le domaine suprasen­sible, pour nous faire connaître ce qu'ignorent la science et la sagesse humaines?

Et, après Moïse et les prophètes hébreux, J ésus­Christ ne nous a-t-il pas parlé du Ciel, de l'autre vie et des choses qui nous dépassent? L'Evangile n'est pas un simple rationalisme; on le rapetisse en le réduisant à cela. Il renferme des éléments surnatu­rels, choquants pour les intelligences trop exclusi­vement formées par la science matérialiste, mais essentiels, indispensables, et que le christianisme moderne doit conserver avec soin sous peine d'af-

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faiblissement et de déchéance. Nous avons, du reste, à voir de plus près quels sont les éléments surnatu­rels de la Rédemption d'après cette première thèse, si riche et si surprenante.

* * * Ceux d'entre vous, mes chers auditeurs, qui ont

assisté à mes trois cours sur le Monde spirituel, -c'est-à-dire sur le Ciel, l'Enfer et le Monde des Es­prits, - sont prêts à comprendre la leçon d'aujour­d'hui et à se l'approprier., Encore serait-il bon pour eux de relire cet enseignement, qui a dû leur pa­raître bien extraordinaire. Quant aux autres, les idées que je vais avancer leur paraîtront, je le crains, fort difficiles sinon à saisir, du moins à accepter.

Un point d'ailleurs doit être, une fois pour toutes, parfaitement entendu: je ne demande point qu'on admette de prime abord toutes les choses qu'affirme notre écrivain. Quelque grand qu'il soit, il ne sou­haite nullement lui-même d'être cru sur parole; il traite ses lecteurs comme des gens qui pensent et il en appelle à leur jugement individuel. Ne vous in­quiétez donc pas de savoir tout de suite si vous croyez, ou non, ses narrations et ses doctrines. Cher­chez premiêrement à vous rendre un compte exact de ce qu'il a voulu dire; après cela vous verrez si c'est vraisemblable, si cela cadre avec vos connais­sances les plus solides et vos principes les plus éle­vés. Je ne crains rien, si vous appliquez ces critères aux ouvrages de Swédenborg; car je sais par une

, •

1

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longue expérience qu'il n'y a pas de penseur plus systématique et plus rationnel que lui, pas de dog­maticien dont la doctrine s'harmonise aussi complè­tement avec les résultats vraiment avérés de la

• SCIence. * * *

Cela dit, revenons à notre définition. En voici le commencement: « La Rédemption même a été la subjugation des Enfers et l'ordination des Cieux. » En premier lieu la subjugation des Enfers.

Quand le Seigneur était sur la terre, il a combattu les Enfers et les a soumis à son obéissance. Cela ressort d'un grand nombre de versets de la Parole écrite, dont Swédenborg cite in extenso quelques­uns. D'abord le fameux et obscur passage d'Esaïe 63 : 1-9 : «Qui est celui qui vient d'Edom? » Son vêtement est rouge comme celui de l'homme qui foule au pressoir. « J'ai foulé seul au pressoir, dit-il, et nul d'entre le peuple n'était avec moi. Je les ai foulés dans ma colére, écrasés dans mon emporte­ment. Le jour de la vengeance est dans mon cœur et l'année de mes Rachetés est venue. Mon bras m'a procuré le salut; j'ai fait descendre en terre la vic­toire. Il est devenu pour eux un Sauveur; à cause· de son amour et de sa clémence il les a rachetés. »

Tout cela ne peut s'entendre qu'allégoriquement ;. c'est une prophétie du triomphe remporté par Jésus­Christ sur les puissances des ténèbres. Il en est ainsi d'un autre morceau du second Esaïe (59: 16, 17,20) , « Il vit qu'il n'y avait personne et fut étonné qu'il n'y eût point d'intercesseur. C'est pourquoi son bras

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lui procura le salut et sa justice le soutint. Il s'est revêtu de la justice comme d'une cuirasse et a mis sur sa tête le casque du salut. Il s'est enveloppé d'un zèle ardent comme d'un manteau. Il rétribuera cha­cun selon ses oeuvres: sa colère est pour ses adver­saires et sa vengeance pour ses ennemis. Mais pour Sion, pour tous ceux des enfants de Jacob qui se repentiront de leur révolte, il paraîtra comme un Rédempteur. »

Après d'autres versets tirés de l'Ancien Testament, Swédenborg fait cette observation: « Comme le Sei­gneur a seul vaincu les Enfers sans le secours d'au­eun ange, c'est pour cela qu'il est appelé Héros et Homme de gue"re, Roi de gloÏl'e, Jéhova le Fort, le Héros de guerre, Jéhova Sébaoth, c'est-à-dire Dieu des armées. Son avènement est nommé le Jour de Jéhot'a, jOU1' terrible et cruel, jouI' d'indignation, d'emp01·tement, de colère, de vengeance, de guerre, .de destruction, de tumulte, de clairon, de bruit écla­tant, etc. »

On lit pareillement dans nos Evangiles des paroles eomme celles-ci: « C'est maintenant qu'a lieu le j u­gement de ce monde; le prince de ce monde va être chassé. Le prince de ce monde est jugé. Ayez con­fiance: j'ai vaincu le monde. J'ai vu Satan comme un éclair tombant du Ciel. » Swédenborg explique: « Par le monde, le prince de ce monde, le Diable et Satan il est entendu l'Enfer. 'JI

* * *

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- ~!03 -

Vous vous rappelez, mesdames et messieurs, que, selon notre théologien, tout ce qui se passe sur la terre provient de l'influence des esprits; en d'autres termes le monde invisible est le domaine des causes, tandis que le monde sensible est le domaine des effets. En vertu de cette idée fondamentale, la Ré­demption de l'espèce humaine a dû s'opérer dans l'empire spirituel pour pouvoir se réaliser ici-bas. C'est assurément ce que la Bible enseigne. Le Dieu Homme a dû être attaqué avec acharnement par les puissances infernales et finir par les vaincre, au mo­ment où il semblait lui-même vaincu. C'est en esprit, par conséquent dans l'univers inaccessible à nos sens actuels, que s'est livré ce combat mémorable et déci­sif qui devait nous affranchir à jamais. C'est ce ca­ractère intérieur, moral, surnaturel et spirituel de la Rédemption que les explications de Swédenborg font admirablement ressortir.

* * * Permettez-moi d'insister encore un moment sur

l'œuvre de Christ considérée comme une victoire sur l'Enfer. Si ce point de vue n'est pas celui des théologiens protestants de nos jours, il se rapproche beaucoup, pour ne pas dire plus, de celui des pre­miers chrétiens et des Pères de l'Eglise. Rappelez­vous que pour le Prophète du Nord, - comme pour les écrivains bibliques, - si l'homme est un coupa­ble, il est en même temps une victime. Sans que nous en ayons conscience, le Monde spirituel exerce sur les habitants de notre globe une incessante ac-

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tion. Nous sommes influencés d'un côté par les anges, de l'autre par les démons.

Or du temps de Jésus la pression de l'Enfer était prépondérante et menaçait l'humanité dans son existence. La religion des Hébreux, plus pure en apparence qu'elle ne l'avait jamais été, débarrassée définitivement du polythéisme et de l'idolâtrie, avait cependant dégénéré en formalisme fanatique et en froide incrédulité; son culte était exclusivement ex­terne, sans vie et sans saveur, et l'on pouvait lui ap­pliquer cet adage: COl'ruptio optimi pessima. La meilleure chose devient la pire quand elle est cor­rompue. Dénués de l'esprit profondément religieux qui avait animé leurs prophètes, les Juifs allaient s'allier avec les Romains, leurs oppresseurs, pour rejeter et crucifier le Roi débonnaire qui leur avait été promis.

Au dire du Voyant suédois, l'Enfer débordait alors et commençait à mettre le Ciel même en péril. Sur la terre, les hommes, incapables de recevoir les vé­rités et les vertus d'en haut, se laissaient de plus en plus asservir par les esprits de l'abîme, qui allaient jusqu'à prendre souvent possession de leur corps. Les historiens profanes, par exemple Flavius Josè­phe, confirment les lugubres tableaux que nous pré­sente le Nouveau Testament.

La nation juive, gangrenée par le sensualisme et l'hypocrisie, déchirée par des passions violentes et cruelles, allait être mùre pour le châtiment. Lorsque la soi-disant « sainte cité. fut détruite, elle offrait, au point de vue moral et spirituel, le plus terrible et

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1 !

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le plus désolant spectacle. Rome, la maitresse du monde, exploitant à son profit les divers Etats qu'elle avait soumis par le glaive, était de son côté pourrie jusqu'à la moelle. Sa noblesse pervertie par un luxe inouï, sa plèbe endormie par la désuétude du travail et par les jeux du cirque, toute sa population des­cendait les derniers degrés du matérialisme et de l'abjection. Sans une intervention puissante et pro­videntielle, le corps humanitaire, affaibli et tour­menté par la terrible épidémie, semblait voué à la dissolution, à la mort finale; car, d'après notre théo­sophe comme d'après la paléontologie et la raison, une race tout entière peut périr.

'" '" '" L'heure était donc souverainement critique. Com­

prenant la nature du mal, la gravité et l'imminence du danger, le premier·né de Marie s'est avancé pour soutenir notre cause et nous délivrer tous. I! a ren­contré Satan, qu'il nomma lui-même l'Ennemi, c'est­à-dire le grand, l'irréconciliable adversaire de la fa­mille humaine; mais, vous l'avez compris, « Satan» n'est autre chose que l'ensemble des habitants de l'Enfer, une personnification de l'empire de l'erreur et du péché. Cette explication rationnelle n'enlève rien à la tragique réalité de la lutte qui s'est livrée dans les profondeurs de l'âme du Christ.

I! dut être tenté comme nous le sommes; car il portait dans sa chair tous les appétits, toutes les fai­blesses, tous les germes mauvais qu'il tenait de sa mère et qui sont inséparables de l'homme naturel.

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De fait, il fut tenté beaucoup plus sérieusement qu'aucun de nous ne peut l'être. Il était le cham­pion de l'humanité entière, dont le sort éternel était en jeu; aussi les puissances du mal mirent-elles tout en œuvre pour le faire tomber. Concentrant sur lui seul leurs efforts et leurs ruses, elles l'assail­lirent de tous les côtés tant directement que par l'intermédiaire des hommes, remplissant son âme d'amertume et y provoquant les plus effrayants orages, les crises les plus douloureuses.

Non seulement, en effet, l'inspirateur de tout mal excita l'opposition jalouse et haineuse à laquelle Jé­sus fut en butte, la trahison de Judas, le reniement de Pierre, la lâcheté de Pilate, le supplice affreux de la croix; mais, pour l'âme délicate et pure du Christ, la tentation elle-même, le contact brutal avec le père du mensonge, le duel corps à corps avec le grand meurtrier, surtout l'obscurcissement momentané de son œil intérieur, voilà sans doute ce qui fut la pire des souffrances. C'est là, je pense, qu'il faut chercher le secret de son indicible an­goisse, de sa sueur sanglante, de ce cri déchirant qui risque de scandaliser les lecteurs de l'Evangile: « Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m'as-tu aban­donné? » C'est par là seulement qu'il mérita le nom sinistre d'homme de douleurs.

• Cette guerre entreprise contre Jésus-Christ par

les forces coalisées du royaume des ténèbres, cette infestation - pour recourir au vocabulaire de la Nouvelle Eglise - fut si habilement conduite et si énergiquement poussée que nul autre des fils

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d'Adam n'eût été capable d'y résister. Mais lui, vigilant et résolu, il ne se laissa entamer par aucun coup de ses ennemis invisibles. Repoussant toutes les tentations, il ne permit jamais au mal hérédi­taire, qui était attaché à son externe, de pénétrer dans son interne et de se transformer en péché. Triomphant du « prince de ce monde» par le plus fidèle et le plus viril usage de sa liberté, il le ren­versa de son trône et affranchit tous les humains de son joug despotique. Aussi put-il s'écrier avec un tressaillement de joie: Je voyais Satan comme -un éclai>' tombant du Ciel!

* * * La victoire intérieure et personnelle que Jésus

remporta sur le tentateur était nécessaire pour qu'il communiquât à d'autres la force dont il avait le premier fait preuve. Cette force ne pouvait leur

• venir directement de Dieu, il fallait qu'elle filt d'abord la propriété d'un membre de l'espèce hu­maine; mais, d'autre part, ce qui appartient à l'un quelconque des individus ayant le même sang dans les veines peut être transmis à la collectivité tout entière. Le travail d'un seul est au bénéfice de l'en­semble: c'est une loi qui me paraît être sans excep­tion dans notre humanité, et même chez toutes les créatures morales.

Nous la voyons se réaliser autour de nous sur une grande échelle; car les découvertes scientifiques et leurs applications à l'industrie passent aujourd'hui, avec une rapidité merveilleuse, de l'inventeur et du

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pays qu'il habite jusqu'aux confins de la civilisation, si ce n'est au delà. Il en est de même, à un moindre degré, des progrès faits dans la littérature et les beaux-arts, dans l'instruction publique et la péda­gogie, la philosophie et la morale. Cela se remarqué surtout dans le perfectionnement des armes à feu. Fusils, canons, torpilleurs du genre le plus moderne et le plus meurtrier, sont imités de peuple à peuple, de continent à continent, des Etats-Unis en Chine et au Japon. Oui, dans tous les autres domaines les ef­forts de l'un profitent à tous; il doit certainement en être ainsi en religion. Un homme sauvé lui-même doit pouvoir sauvêr ses frères.

* * * La victoire intérieure et personnelle de Jésus était

en second lieu nécessaire pour qu'il remportât la victoire extérieure et générale que Swédenborg ap­pelle la subjugation des Enfers, et à laquelle il joint leur ordination.

«Comment, demanderez-vous peut - être, cette mise en ordre était-elle désirable, puisque, comme nous l'avons vu, l'Enfer a été organisé à l'image du Ciel, que -chacun y est placé selon son mérite, ses capacités et ses goûts, qu'il y a des plages et des So­ciétés, des rangs sociaux et des gouvernements, des récompenses et des punitions, et qu'en outre le Sei­gneur le pénètre de son influx pour en tempérer les tourments et y faire sentir sa miséricorde? Cet ordre-là, l'ordre primitif et venant de Dieu, ne pou­vait-il pas suffi re? »

,

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Je répondrai à cette question en rappelant le libre arbitre qui fait partie intégrante de notre nature, et dont il reste quelque chose même chez les damnés. Le désordre peut s'introduire dans les Cieux; à combien plus forte raison peut-il régner dans les Enfers 1 Il se fait d'ailleurs des changements de toute espèce dans les uns comme dans les autres, et dans certaines circonstances une nouvelle organisa­tion peut s'imposer.

Sans s'arrêter longuement sur ce sujet mysté­rieux, Swédenborg donne à entendre qu'après avoir rendu le dernier soupir sur le Calvaire le Sauveur est entré dans le Monde des Esprits, pour y exercer un jugement dernield , à la suite duquel les habi­tants de ce domaine intermédiaire ont été les uns élevés au Ciel, les autres précipités dans l'Enfer. Alors, comme un conquérant exerçant son autorité sur la nation soumise à ses armes, il a subordonné, reconsti tué, abaissé et dispersé les Enfers, il les a en un mot subjugués dans l'intention de diminuer leur funeste influence, de délivrer l'homme de leur oppression, de lui rendre l'usage de sa liberté mo­rale et de lui permettre de rentrer dans le chemin qui conduit à la vie éternelle.

* * Notre auteur illustre par diverses figures cette

lutte victorieuse contre les démons acharnés à nous perdre .

•. D'après Swédenborg, un jugement dernier termine chaque Eglise, c'est-à-dire chaque grande époque de l'histoire religieuse de l'huma­nité.

SWÉOENBOR.G H(

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Une armée de rebelles ou de brigands s'empare d'une ville ou d'un royaume, incendie les maisons, dépouille de leurs biens les habitants, se partage le butin, puis se réjouit et se glorifie de ses exploits. Mais un roi juste et puissant attaque ces malfaiteurs avec des forces supérieures, passe les uns au fil de l'épée, emprisonne les autres, leur enlève le butin pour le restituer à ceux qui en ont été dépouillés, rétablit l'ordre dans le royaume et le met à l'abri d'une invasion nouvelle.

Autre comparaison. Une troupe d'animaux sau­vages, sortis des forêts, se jettent sur le gros et le menu bétail paissant dans les prairies, n'épargnant pas même les hommes, qui bientôt n'osent plus cul­tiver la terre ni franchir les murailles de leur cité. Les campagnes deviennent désertes et les citadins sont condamnés à mourir de faim. Mais un héros survient qui subjugue ou détruit ces fauves. Telle est l'œuvre du Rédempteur. Les démons sont en effet symbolisés dans l'Ecriture par les bêtes fé­roces, ainsi quand il est raconté que Jésus passa quarante jours au milieu d'elles dans le désert.

La Rédemption est encore semblable à l'extermi­nation des sauterelles ou d'autres insectes perm­cieux qui dévastaient une contrée.

Elle est comparable enfin à la résistance qu'on oppose à l'Océan, lorsque, ayant rompu ses digues, il fait irruption dans les plaines, menaçant d'en­gloutir moissons, villages et cités. Aussi le Seigneur lui-même a-t-il typifié la soumission des Enfers, quand il a calmé le lac de Génésareth en lui disant:

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Tais-toi, sois tranquille! Au reste, les écrivains sa­crés désignent couramment la puissance du mal par la mer ou les grandes eaux.

* * * Le second acte de la Rédemption consiste dans

l'ordination des Cieux. Sans doute les Cieux ont été dès l'origine admirablement organisés; car Dieu est l'Ordre même, et ce qui lui tient de plus près doit porter très spécialement le cachet de l'ordre. Je vous ai fait connaître d'une manière assez détaillée cette organisation céleste, qui met chacun à sa place selon son bien et son vrai, et qui a pour résultat la forme humaine, de toutes les formes la plus par­faite. Mais, étant le domaine de la vie, le Ciel lui­même est le théâtre d'incessantes évolutions, chaque ange étant appelé à progresser et pouvant changer de Société. D'autre part la terre lui envoie chaque jour de nouvelles recrues, qui au bout d'un certain temps augmentent considérablement son étendue et sa force, et qui doivent nécessiter des changements dans sa constitution.

Ces changements, du moins ceux d'importance majeure, sont en rapport de cause à effet avec la naissance des principales Eglises qui se succèdent ici-bas. On sait par notre théosophe qu'i! y en avait eu déjà trois jusqu'à notre ère: l'Eglise très ancienne ou adamique; l'Eglise ancienne ou noachite et l'Eglise israélite ou juive. La quatrième, l'Eglise chrétienne, a été fondée par le Seigneur et forme le troisième acte de son œuvre rédemptrice.

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* * * Quant au second, l'ordination des Cieux tells

qu'elle eut lieu à cette époque, Swédenborg ne l'ex­plique pas dans le chapitre qui nous occupe. Il nous en dit un peu plus dans les Arcanes célestes, où nous lisons: «Avant la venue du Seigneur le Ciel n'était pas distingué en trois Cieux, - l'intime, le moyen et le dernier, - comme il l'a été depuis, mais il était un. Le Ciel spirituel n'était pas 9ncore. La région où devait être ce Ciel (le second) avait été envahie par ceux qui étaient dans le faux et dans le mal, mais qui pouvaient être tenus dans quelque vrai et dans quelque bien par des moyens externes, surtout par les idées de prééminence et de dignité ... Si cette région du Ciel avait été alors envahie par de tels esprits, c'est parce que les bons manquaient, ceux de l'Eglise spirituelle n'étant pas encore pré­parés. Cependant il fallait que le Ciel fût partout rempli d'esprits pour qu'il y eût continuité depuis le Seigneur jusqu'à l'homme; car, s'il y avait eu dis­continuité, l'homme aurait péri. »

Cette ordination des Cieux était indispensable p our le salut des hommes, comme pour le rempla­cement de l'Eglise israélite par l'Eglise chrétienne. Les membres de l'Eglise spirituelle eux - mêmes avaient été jusqu'alors retenus dans la Terre infé­rieure; il fallut l'avènement du Christ en chair pour qu'ils pussent entrer dans les demeures cé­lestes, encore eurent-ils besoin de passer par un état de tentations et de purification. C'est alors qUe

. .

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le Seigneur forma un nouveau Ciel, celui des chré-tiens.

* * * Mais la Rédemption, selon notre auteur, ne s'ar- ,r....}~_"J.;

rête point au premier siècle: elle se poursuit et· r_~<.

comprend ce qu'il regarde comme (, le second avè- 11·. [.

nement du Seigneur)), savoir l'instaw'ation d'une Nouvelle Eglise. Je rappelle l'ensemble de sa défini-tion : Cl La Rédemption même a été la subjugation des Enfers et l'ordination des Cieux, et par l'une et l'autre la préparation à une Nouvelle Eglise spiri-tuelle. D

Ecoutez son commentaire: « Que ces trois opéra­tions constituent la Rédemption, je puis le dire en toute certitude; car le Seigneur opère encore au­jourd'hui la Rédemption, qui a commencé en 1757, lorsqu'eut lieu le Jugement dernier. Depuis cette époque cette Rédemption a continué jusqu'à pré­sent; et cela parce qu'aujourd'hui c'est le Second Avènement du Seigneur et qu'il doit être institué une Nouvelle Eglise. Or cette Nouvelle Eglise ne peut être instituée à moins d'être précédée par la subjugation des Enfers et l'ordination des Cieux; et, comme il m'a été donné de voir toutes ces choses, je peux décrire comment un Nouveau Ciel a été fondé et mis en ordre; seulement ce serait le sujet d'un ouvrage entier. Toutefois, dans un opuscule imprimé à Londres en 1758 l, j'ai dévoilé comment le Juge­ment dernier s'est accompli.

t Du Jugement de7'nie,' et de la Babylonie détruite; Qu'ainsi tout ce qui a été prédit daos l'Apocalypse est aujourd'hui accompli. D'après

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- 21'< -

» Si la sub]ugation des Enfers, l'ordination des Cieux et l'instauration d'une Nouvelle Eglise ont constitué la Rédemption, c'est parce que sans ces trois opérations aucun homme n'eût pu être sauvé; elles se suivent même en série, car il faut d'abord que les Enfers soient subjugués avant qu'un nou­veau Ciel angélique puisse être formé, et il faut que ce Ciel soit formé avant qu'une Nouvelle Eglise puisse être instituée dans les terres. En effet, les hommes dans le monde ont été tellement conjoints aux anges du Ciel et aux esprits de l'Enfer qu'ils font un, de part et d'autre, dans l'intérieur de leur mental. ,.

* * * Je rappellerai en quelques mots que ce second

avènement a eu lieu, selon Swédenborg, par la révé­lation du sens interne de la sainte Ecriture. Par ce sens jusqu'alors caché, - qui est le sens réel et per­manent, la « Parole de Dieu JJ, -le Seigneur revient sur la terre, ainsi qu'il l'a promis à ses disciples, non sans doute en personne, mais en esprit et en vérité. Alors commence à se former une Nouvelle Eglise, très différente de celle qui depuis le temps des apôtres a représenté le Sauveur d'une façon si imparfaite et si grossière, une Eglise spirituelle, dont tous les membres ont compris la spiritualité de l'Evangile et s'efforcent de vivre non en catholi­ques ou en protestants, en wesleyens ou en bap­tistes, mais en chrétiens spirituels. Les Sociétés

ce qui a été entendu et vu par Emm. Swéd~nborg. SeconlÎ~ édition, 1861.

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swédenborgiennes ne prétendent pas réaliser cet idéal, mais elles y tendent. J'ose ajouter qu'elles font entrer la chrétienté dans une ère supérieure en acceptant les doctrines du grand penseur scandi­nave, surtout en croyant beaucoup plus que les autres Eglises à l'inspiration de la Bible et à la divi­nité de Jésus-Christ.

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DEUXIÈME LEÇON

La Rédemption nécessaire aux anges comme aux hommes. Le nlonde naturel dépend du Monde spirituel. Le Ciel et l'Eglise représentent un seul homme, qui était en danger de mort. Quelques comparaisons. Les âmes sous l'autel. Contagion du péché. L'unique refuge. Débordement du Monde des Esprits. Corruption de l'humanité. Premier et second avènement du Seigneur. Deux falsifications de l l'~vangile. Les anges ne sont pas bons par nature. Pour- 1 quoi Dieu a -E<. pris l'humain ». La Rédemption, œuvre pu­rement divine. Le jugement dernier de j 757. La Babylo-nie. Amour de la domination spirituelle. Athées. Tolérance divine. Le premier Ciel qui a passé. Rétablissement des rapports entre Dieu ct l'homme. Ere meilleure. Le sens in-terne des prophéties nous affranchit de la peur des catastro-phes linales.

Contrairement à la tendance rationaliste qui pré­vaut de nos jours, mais en accord avec l'Ecriture Sainte, l'œuvre du salut s'est accomplie dans le monde spirituel autant que dans le nôtre. Sans doute le Sauveur a dû lutter en lui-même contre le péché, mais l'ennemi dont il a triomphé était l'En­fer personnifié par Satan; après avoir soumis cet Enfer, il l'a organisé à nouveau ainsi que le Ciel, afin de rendre possible l'instauration de la Nouvelle Eglise. C'est ce que je vous ai montré mardi dernier à propos du premier article de Swédenborg sur la Rédemption.

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* * * Nous allons examiner le second article ainsi

conçu i : CI Sans cette Rédemption aucun homme ne serait sauvé, et les anges n'auraient pu subsister dans leur état d'intégrité. »

Voici comment notre écrivain soutient sa thèse. Il rappelle d'abord ce qu'il a établi: « Racheter, dit-il, c'est délivrer de la damnation, exempter de la mort éternelle, arracher de l'Enfer, ou de la main du Diable, les captifs et les enchainés. C'est ce qu'a fait le Seigneur en subjuguant les Enfers et en fondant un nouveau Ciel. L'homme n'aurait pas pu être sauvé autrement, car le Monde spirituel et le monde naturel sont inséparables, surtout quant aux inté­rieurs, qui sont également appelés âmes. Les âmes des bons sont liées à celles des anges; les âmes des méchants sont liées à celles des démons. Cette union est si intime que, si les anges et les esprits se reti­raient d'un homme, celui-ci tomberait mort comme une souche; pareillement les anges et les esprits ne pourraient subsister, si les hommes leur étaient soustraits. Cela fait comprendre pourquoi le Ciel et l'Enfer ont dû être mis en ordre avant que l'Eglise pût être instaurée dans les terres, et pourquoi la Rédemption a eu lieu dans le Monde spirituel. On le voit clairement dans l'Apocalypse, où la Nouvelle Jérusalem, symbole de la Nouvelle Eglise, descend d'auprès de Dieu lorsque le nouveau Ciel a été formé. ~

1 Vraie Religion chr;tienne, § 118~1~O.

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* * * Il s'agit maintenant de prouver que sans l'œuvre

du Rédempteur les anges n'eussent pas subsisté dans leur état normal. En voici la raison: « Aux yeux du Seigneur, le Ciel angélique tout entier et l'Eglise dans les terres représentent un seul homme, dont le Ciel constitue l'interne et l'Eglise l'externe. On peut dire plus spécialement que le Ciel suprême en est la tête, que le second et le dernier Ciel en forment la poitrine avec la région moyenne du corps, et que l'Eglise sur les terres en constitue les lombes et les pieds, le Seigneur lui-même étant l'âme ou la vie de ce grand homme.

» Si donc le Seigneur n'eût pas opéré la Rédemp­tion, cet homme eût péri. Il est détruit quant aux pieds et aux lombes lorsque l'Eglise dans les terres se retire, quant à la région gastrique lorsque le der­nier Ciel se retire, quant à la poitrine lorsque le se­cond Ciel se retire; alors la tête, n'ayant plus de correspondance avec le corps, tombe en défail­lance. »

* * * J'ai déjà dit que Swédenborg est extraordinaire­

ment riche en comparaisons; elles lui sont fournies par sa remarquable connaissances des divers règnes de la nature, voire même par la psychologie. Elles sont, en outre, si exactes, si bien choisies, qu'elles appuient vraiment la démonstration. Ici il n'en em­ploie pas moins de cinq pour faire voit· comment, sans la Rédemption, le Ciel eût été envahi et perdu

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par le mal. Voici ces cinq comparaisons, très sobre­ment esquissées par l'auteur:

« Quand la gangrène s'empare des pieds, elle monte peu à peu: elle corrompt premièrement les lombes, ensuite les viscères de l'abdomen, enfin les parties voisines du cœur; alors l'homme, ainsi qu'il est notoire, succombe et meurt. »

Passons aux maladies des viscères placés au­dessous du diaphragme. « Quand ces viscères dépé­rissent, le cœur commence à palpiter et le poumon à haleter fortement; enfin tout mouvement cesse. »

Voici la comparaison psychologique: il s'agit de la distinction entre l'homme interne et l'homme ex­terne, et de leurs relations. « L'homme interne se porte bien tant que l'homme externe remplit ses fonctions avec obéissance. Si au contraire l'homme externe n'obéit point, mais résiste; bien .plus, s'il attaque l'homme interne, alors cel ui-ci est ébranlé et finalement privé des plaisirs de l'externe, jusqu'à ce que l'externe devienne favorable à l'interne et soit de son avis. »

Enfi n deux observations que plusieurs on t pu faire. « Un homme, placé sur une montagne, voit au-dessous de lui les terres inondées et les eaux monter toujours. Quand elles arrivent à la hauteur où il se tient, il est lui-même inondé, s'il ne peut pourvoir à son salut au moyen d'une barque qui vienne à lui sur les eaux. »

« Pareillement si quelqu'un, du haut d'une mon­tagne, voit un brouillard épais s'élever de plus en plus de la terre et couvrir les campagnes, les vil-

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lages, les villes. Quand ensuite ce brouillard par­vient jusqu'à lui, il ne voit rien; il ne voit pas même où il est. Semblable chose arrive aux anges quand l'Eglise dans les terres périt; alors aussi les Cieux inférieurs s'en vont. Il en est ainsi parce que les Cieux sont composés d'hommes venus de la terre. Aussi, quand il ne reste plus aucun bien du cœur ni aucun vrai de la Parole, les Cieux sont inondés par les maux qui s'élèvent; ils en sont suffoqués comme par les 110ts du Styx. Toutefois ceux qui les habitent sont cachés en quelque endroit par le Sei­gneur et réservés pour le jour du jugement dernier; ils sont alors élevés dans un Ciel nouveau. ~

* * * Swédenborg trouve ici l'accomplissement de cette

vision de l'Apocalypse: <l Je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été immolés pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu'ils avaient rendu. Ils crièrent d'une voix forte, disant: Jusques à quand, ô Maître saint et véritable, différeras-tu de juger et de venger notre sang sur ceux qui habitent la terre? Alors on leur donna à chacun une robe blanche, et on leur dit de demeurer en repos encore un peu de temps, jusqu'à ce que fût au complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères, qui devaient être mis à mort comme eux. »

Par « les âmes de ceux qui avaient été tués» notre grand exégète entend non les martyrs proprement dits, - qui n'ont pas toujours été plus héroïques dans leur mort que d'autres dans leur vie, - mais

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ceux qui, dans le Monde des Esprits, sont haïs, re­jetés et couverts d'opprobre par les méchants, et qui peuvent y être séduits par différentes hérésies. Jésus a dit à ses disciples: ([ Ils vous livreront à l'afflic­tion, ils vous tueront et vous serez haïs de tous à cause de mon nom. :0 Dans ce verset également, il s'agit de ceux qui reconnaissent la pleine divinité du Sauveur et qui mettent en pratique les vérités de l'Evangile.

«Dans le Monde des Esprits, les méchants veulent continuellement les tuer; mais comme ils ne le peu­vent pas quant au corps, ils essaient de le faire quant à l'âme, et, lorsqu'ils se sont convaincus que c'est impossible, ils sont enflammés d'une telle haine qu'ils ne trouvent rien de plus agréable que de leur faire du mal. Voilà pourquoi les bons sont gardés par le Seigneur, et, quand les méchants ont été jetés dans l'Enfer, ce qui a lieu après le jugement der­nier, sont retirés des lieux où on les gardait :0 et élevés au Ciel.

* * * Le péché exerce partout une véritable contagion.

Swédenborg est si pénétré de cette idée qu'il y in­siste fortement. Il Sans la Rédemption, déclare-t-il, l'iniquité et la méchanceté se répandraient au sein de la chrétienté dans l'un et l'autre monde, le natu­rel et le spirituel. » Et, parmi les raisons qu'il pour­rait en donner, il choisit la suivante:

«Tout homme, après sa mort, passe dans le Monde des Esprits, où il est d'abord absolument semblable à ce qu'il était auparavant. En y entrant,

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nul ne peut être empêché de converser avec ses pa­rents, ses frères, ses alliés et ses amis, morts avant lui. Alors chaque mari cherche en premier lieu son épouse et chaque épouse son mari, et on est intro­duit par les uns ou les autres dans diverses réunions d'esprits. Ces esprits apparaissent au dehors comme des brebis, mais ils sont au dedans comme des loups et ils pervertissent ceux-là même qui se sont adon­nés à la piété. En conséquence, et par d'abominables artifices inconnus dans le monde naturel, ce monde­là a été rempli d'esprits malins comme un étang verdâtre est rempli d'œufs de grenouilles.

D Que la fréquentation des méchants y produise cet effet, c'est ce qui peut être rendu évident par plusieurs exemples: Si quelqu'un reste avec des vo­leurs ou des pirates, il devient à la longue pareil à eux; si quelqu'un habite avec des adultères et des prostituées, il finit par regarder l'adultère comme rien; si quelqu'un se mêle avec ceux qui sont en ré­volte contre les lois, il finit par considérer comme rien de se livrer à des violences contre le premier venu.

» En effet, tous les maux sont contagieux. Ils peu­vent se comparer à la peste, qui se communique par la seule aspiration ou exhalaison; de même à un cancer ou à une gangrène, qui se glisse et putréfie d'abord les parties voisines, puis successivement celles qui sont plus éloignées, jusqu'à ce que le corps entier périsse. Les plaisirs du mal, daos les­quels chacun naît, en sont la cause.

l> D'après ce qui vient d'être dit, il est clair que,

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sans la Rédemption par le Seigneur, aucun homme ne peut être sauvé, et que les anges ne peuvent sub­sister dans leur état d'intégrité. L'unique refuge pour ne pas périr, c'est de s'adresser au Seigneur, qui a dit: « Demeurez en moi, et moi, jedemeurerai en vous. Comme le sarment ne saurait de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, de même vous n'en pouvez porter si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit; car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment; il sèche et on le ramasse, on le jette au feu et il brûle. })

* * * Le troisième article, simple conséquence du pré­

cédent, est formulé par Swédenborg en ces termes: « Ainsi le Seigneur a racheté non seulement les hommes, mais aussi les anges. »

Cette thèse est naturellement étrangère aux dog­matiques anciennes; car toutes elles considèrent les anges comme une race à part, qui n'est jamais tom­bée et qui dès lors n'a pas besoin de relèvement. Pour nous, sachant que les anges sont des hommes convertis, ressuscités et glorifiés, nous ne sommes pas surpris d'entendre dire que la Rédemption les concerne aussi bien que nous, qu'il existe une soli­darité dans le salut des hommes sur la terre et des , anges dans les Cieux. Aux causes de cette situation ci-dessus présentées notre écrivain en ajoute deux.

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* * * 1° oc Lors du premier avènement du Seigneur, les

Enfers s'étaient accrus par le haut au point de rem­plir tout le Monde des Esprits, qui tient le milieu entre le Ciel et l'Enfer; par ce fait, non seulement ils portaient la confusion dans le Ciel le plus bas, mais ils attaquaient aussi le Ciel moyen en l'infes­tant de mille manières. Si alors le Seigneur ne l'eût soutenu, il marchait à sa destruction. Une telle attaque des Enfers est en tendue par la tour élevée dans la terre de Shinéar; sa tête devait aller jus­qu'au ciel. Mais les efforts de ceux qui la construi­saient furent arrêtés pal' la confusion des langues; ils se virent eux-mêmes dispersés, et la ville fut nommée Babel. »

* * * « Si les Enfers se sont accrus jusqu'à une pareille

hauteur, c'est parce que, au temps où le Seigneur vint dans le monde, tout le globe s'était extrême­ment éloigné de Dieu pal' l'idolâtrie et la magie. En conséquence l'Eglise qui avait existé chez les fils d'Israël, et en dernier lieu chez les Juifs, avait été tout à fait détruite par la falsification et l'adultéra­tion de la Parole. Tous alors, tant les uns que les autres, se rendaient à leur mort dans le Monde des Esprits, où leur nombre finit par être tellement augmenté et multiplié qu'ils ne pouvaient en être chassés que par la descente de Dieu lui-même, ma­nifestant la force de son bras.

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* * * L'expulsion de ces mauvais esprits a été décrite

dans le petit livre traitant du Jugement dernier, et imprimé à Londres en 1758. Le Seigneur a remporté cette victoire lorsqu'il était dans le monde.

« La même œuvre est encore accomplie aujour­d'hui par le Seigneur, puisque de nos jours a lieu son Second Avènement, prédit dans l'Apocalypse, dans Matthieu, dans Marc, dans Luc, dans les Actes des Apôtres et ailleurs.

)) La différence consiste en ce que, lors de sa pre­mière venue, ce grand accroissement des Enfers provenait des idolâtres, des magiciens et des falsifi· cateurs de la Parole, tandis que, dans cette seconde venue, il provient de soi-disant chrétiens, - tant de ceux qui se sont imbus du naturalisme que de ceux qui ont falsifié la Parole par les confirmations de leur foi fabuleuse relative à trois Personnes divines de toute éternité et à la Passion du Seigneur, qui a été à leurs yeux la Rédemption elle-même. ))

Le Prophète du Nord relève souvent la gravité de ces deux falsifications de l'enseignement biblique:

a) La triple personnalité de Dieu, qu'il remplace par le Dieu triun ou réunissant en sa personne uni­que les trois essentiels appelés Pére, Fils et Saint­Esprit, doctrine que nous avons étudiée en quatre leçons consécutives.

b) L'importance exagérée, selon lui, que les doc­teurs de l'Eglise chrétienne ont généralement don-

SWÉD&NBORG III 15

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née au supplice du Sauveur et à sa mort sur la croix, au détriment de sa vie: question grave, sur laquelle nous aurons l'occasion de nous expliquer avant la fin de ce cours.

* * * 2 0 Voici maintenant la seconde cause pour la­

quelle, d'après Swédenborg, la Rédemption ne con­cerne pas l'humanité seulement, mais embrasse les anges de tous les Cieux. C'est que nulle créature n'est dans le bien par elle-même, mais que toutes, - anges et hommes, - ont besoin d'être protégées, conduites, inspirées par le Seigneur, d'où procède tout bien comme tout vrai. Lors donc que le marche­pied des anges, qui est dans le Monde des Esprits, leur fut soustrait, il leur arriva comme à l'homme qui s'assied sur un trône, sans savoir que les jambes en ont été sciées; il risque donc de culbuter.

Que les anges ne soient jamais bons par nature, mais que l'influx divin leur soit indispensable pour persévérer dans la fidélité, c'est ce qui ressort de pl usieurs textes de l'Ancien Testamen t, par exem­ple de ce verset du livre de Job: « Dieu ne se fie pas même à ses saints, et les Cieux ne sont pas purs à ses yeux. » Cela ressort aussi du fait que tous les anges, sans exception, ont été des hommes précé­demment.

* * * En résumé, Jéhova Dieu est descendu et a « pris

J'humain », - ou revêtu notre humanité, - afin de remettre en ordre toutes les choses qui étaient dans

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le Ciel et dans l'Eglise; car la puissance du Diable l'emportait alors sur la puissance du Ciel, et par conséquent une damnation générale était imminente. Par son humain, Dieu a enlevé cette damnation pro­chaine, rachetant ainsi les hommes et les anges. Il est donc évident que, sans la venue du Seigneur, au­cune créature n'aurait pu avoir la vie éternelle. Il en est de même aujourd'hui: si le Seigneur ne vient de nouveau dans le monde, nul ne pourra être sauvé.

* * * Selon sa coutume, Swédenborg recourt à quelques

images pour vivifier sa pensée. Ici il y en a quatre. Il compare le Sauveur à un roi, à un berger, à un passant charitable et à un époux.

C'est d'abord un roi. Les princes, ses fils, ont été pris par l'ennemi, jetés en prison et chargés de fers; ce roi les délivre par des victoires successives et les ramène dans sa cour.

C'est ensuite un berger. Comme jadis Samson et David, il arrache ses brebis de la gueule d'un lion ou d'un ours; il chasse ces bêtes féroces quand elles s'élancent des forêts dans les prairies, les poursuit jusqu'aux dernières limites, et les pousse dans des étangs ou des déserts; puis il revient à ses brebis, les fait paître en sécurité et les abreuve à des sources d'eau limpide.

C'est un passant charitable et courageux, qui, voyant sur le chemin un serpent roulé en spirale et disposé à mordre le talon du voyageur, le saisit par la tête, le porte jusqu'à sa maison, quoique enroulé

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autour de sa main; arrivé là, il le décapite et en jette le corps au feu.

C'est enfin un fiancé ou un mari. Cet homme, voyant un adultère chercher à Caire violence à sa fiancée ou à son épouse, s'élance sur lui et le blesse à la main avec son épée, ou le frappe sur les jambes et les reins, ou le fait jeter à la rue par ses servi­teurs, qui le poursuivent avec des bâtons jusqu'à sa demeure. Ayant ainsi délivré la femme qu'il aime, il la ramène dans son appartement. « Dans l'Ecriture, ajoute notre théologien, la fiancée et l'épouse repré­sentent l'Eglise du Seigneur, et par les adultères sont entendus ceux qui font violence à l'Eglise, c'est-à-dire qui adultèrent la Parole du Seigneur. Les Juifs, ayant agi de cette façon, ont été appelés par Jésus-Christ nation adultère. »

* * * Le quatrième article, auquel nous arrivons main­

tenant, n'est pas moins digne de réflexion que ceux qui l'ont précédé. Le voici: « La Rédemption a été une œuvre purement divine. "

Pour comprendre en quelque degré l'immensité de cette œuvre, il faut se rappeler que le Monde spirituel est incomparablement plus grand que le monde naturel, étant formé de toutes les générations humaines qui se sont succédé avant la nôtre. L'En­fer renferme des myriades de myriades d'esprits, puisqu'il est composé de tous ceux qui, depuis la création de l'univers physique, se sont détournés de Dieu par les maux de la vie et par les faux de la foi.

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Nul d'ailleurs ne peut savoir exactement quelles étaient les dimensions de cet Enfer lorsqu'il a, du temps du Fils de l'homme, inondé le Monde des Es­prits; car cela n'a point été révélé par la lettre de l'Ecriture. « Mais quelles ont été l'étendue et la hau­teur de cette inondation au second avènement du Seigneur, dit Swédenborg, il m'a été donné de le voir de mes yeux, d'où j'on peut conclure à l'égard du premier avènement. Or cela a été raconté dans l'opus­cule Du Jugement dernier 1. »

Le fait rapporté dans ce mince volume est un des plus extraordinaires que présente la carrière si éton­nante du Voyant de Stockholm. Aussi les gens du monde et les érudits en accueillent-ils la description avec un sourire d'incrédulité, et les lecteurs bien disposés l'acceptent-ils plus difficilement que tout autre. Comment croire, en effet, qu'en une année déterminée, du vivant de Jean-Jacques Rousseau et de Voltaire, le dernier jugement ait eu lieu dans le Monde des Esprits, et qu'un laïque suédois, long­temps ingénieur des mines, ait été choisi pour en être témoin? Tout cela est bien invraisemblable 1

Je le reconnais franchement. D'autre part, il y a plusieurs choses à considérer: Swédenborg se dis­tinguait par une sincérité rare, dont nul ne doute plus aujourd'hui; nous retrouvons dans tous ses écrits la méthode rigoureuse et l'exactitude géomé-

1 En voici le titre complf!t : Du Jugement dernier et de la Baby­Ionie détruite. Qu'ainsi tout ce qui a été prédit dans l'Apocalypse est aujourd'hui accompli. D'après ce qui a été entendu et vu par E"llm. S",,"êdenborg. Traduit du latin par Le Boys des Gl1ays. ~e édition, 1861.

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trique du vrai savant; son humilité surprenante, mais reconnue, peut être comparée à celle des évan­gélistes, dont la personne s'efface complètement der­rière la cause qu'ils représentent; enfin, en affir­mant des événements pareils, si transcendants, si impossibles à démontrer, si invraisemblables, il ris­quait fort de ternir sa gloire, de se perdre de répu­tation, même de se faire enfermer pour le reste de ses jours dans un asile d'aliénés.

* * * Quant au choix que le Seigneur a fait de notre

écrivain pour assister à ce spectacle grandiose, à cette effrayante et sublime crise de l'histoire hu­maine, et plus généralement pour vivre en même temps dans les deux univers, celui du corps et celui de l'âme, pour converser pendant vingt-sept ans avec les esprits et les anges, il n'est certes pas pour nous surprendre, si nous avons eu l'occasion de connaître d'un peu près celui que j'aime à nommer le Prophète du Nord. Je vous ai dit, il n'y a pas longtemps, com­bien il a été admiré par un certain nombre d'hom­mes éminents du dix-neuvième siècle, et quels hon­neurs publics on a rendus récemment à sa mémoire en Angleterre et en Suède.

Vous savez, mes chers auditeurs, qu'on a proclamé hautement sa science encyclopédique, sa puissance de travail, la pénétration et la clarté de son intelli­gence,. son génie original, inventif et créateur, par­dessus tout sa conduite si pure et si noble, sa religion si élevée et si spirituelle. Je ne m'avance pas beau-

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coup en affirmant aujourd'hui qu'Emmanuel Swé­denborg a été, parmi tous les mortels qui ont passé sur notre terre, un des plus considérables, des plus merveilleux et des plus saints.

* * * Il explique d'ailleurs, d'une manière qui me pa­

raît satisfaisante, que, lorsque la Bible annonce le jugement dernier, elle n'entend point la destruction de notre globe, ainsi qu'on l'a imaginé jusqu'à pré­sent, mais la clôture de ce qu'il appelle une Eglise, c'est-à-dire d'une dispensation religieuse, comme le judaïsme ou le christianisme sous sa première forme.

Notre théosophe s'arrête en effet à deux jugements derniers, dont l'un clôt l'Eglise israélite et inaugure l'Eglise chrétienne, dont l'autre termine l'Eglise chrétienne et ouvre la Nouvelle Eglise ou l'Eglise de la Nouvelle Jérusalem. Prévenons tout de suite un malentendu. Il ne s'agit pas de remplacer le chris­tianisme par une religion différente, qu'on jugerait supérieure; il s'agit simplement, - c'est déjà beau­coup 1 - de remplacer une conception littérale et matérielle de l'Evangile par une conception symbo­lique et spirituelle, de s'élever de la lettre qui tue à l'esprit qui fait vivre.

Enfin Swédenborg nous persuade aisément que, si le jugement doit porter sur une série de siècles et en même temps être universel, il ne peut se faire ici­bas, mais a lieu de toute nécessité dans le domaine invisible.

Le jUl!'ement dernier eut effectivement pour objet

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non seulement les membres des Eglises chrétiennes, mais encore ceux que nous appelons mahométans, et même toutes les nations du globe. Voici l'ordre dans lequel il se fit: D'abord sur les catholiques romains, puis sur les mahométans, ensuite sur les nations, enfin sur les réformés.

* * * Le chapitre consacré par Swédenborg au jugement

des catholiques est intitulé De la Babylonie et de sc< Destruction'. Dans les temps anciens, je l'ai rappelé, les hommes voulurent élever une ville et une tour pour se rendre indépendants du Ciel; mais Dieu les arrêta en confondant leur langage. De là le nom de Babel. Par la Babylonie on entend donc tous ceux qui veulent dominer au moyen de la religiosité, ou qui s'attribuent une autorité divine sur les âmes en faisant servir les choses spirituelles à leurs fins égoïstes. Cette domination cléricale fut représentée plus tard à Babylone, lorsque Nébucadnetsar érigea une statue que tous ses sujets devaient adorer sous peine de mort, et lorsque Belsatsar, - on dit géné­ralement Balthazar, - but avec ses courtisans dans les vases d'argent et d'or que Nébucadnetsar avait emportés du temple de Jérusalem, adorant en même temps diverses idoles. C'est pourquoi une main mys­térieuse traça ces mots tragiques sur une des parois de la salle du festin: Il a compté, il a pesé, il a dis­sipé! Et le roi lui-même fut massacré cette nuit-là.

t Du Jugement del'lIier, etc., 5 53-64.

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« Par les vases d'or et d'argent du temple hébreu sont signifiés les biens et les vrais de l'Eglise; par boire dans ces vases et adorer en même temps des dieux d'or, d'argent, de bronze et de fer, il est signi­fié la profanation; par l'écriture sur la muraille et par la mort violente du roi il est entendu la visite et la destruction annoncées à ceux qui ont employé les divins biens et les divins vrais comme des moyens pour atteindre leur but.» L'auteur cite ici plusieurs prophéties contre Babylone. « D'après ces passages, dit-il, on voit ce que c'est que la Babylonie. )) Il ajoute:

Il L'Eglise devient Babylonie quand cessent la foi et la charité, et qu'à leur place l'amour de soi com­mence à régner. Car cet amour s'élance avec impé­tuosité pour autant que le frein lui est lâché. Il cherche ainsi à dominer non seulement sur tous ceux qu'il peut subjuguer ici-bas, mais aussi sur le Ciel; même alors il ne se repose point: il monte jusqu'au trone de Dieu, dont il transfère en soi le pouvoir souverain. Que cela soit arrivé avant l'avènement du Christ, on le voit par les textes de la Parole cités plus haut. Mais cette Babylonie-là fut détruite par le Seigneur quand il était dans ce monde, tant par le fait que ces profanateurs devinrent entièrement ido­lâtres que par le jugement dernier qui fut prononcé sur eux dans le Monde spirituel. Cela est entendu par les prophéties disant que Lucifer, - .. savoir la Babylonie, - a été précipité dans l'Enfer' et que

1 Plutôt dans le Shéol ou séjour des morts.

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Babylone est tombée; de même par l'inscription sur le mur du palais royal et par la mort de Belsatsar ; enfin par la pierre qui se détacha du rocher et qui détruisit la statue dans le songe de Nébucadnetsar. »

* * * Voilà pour III- Babylonie de l'Ancien Testament;

mais l'Apocalypse nous dépeint une autre Babylonie, celle d'aujourd'hui, qui a commencé après la venue 1 du Seigneur. « Qu'elle soit chez les catholiques­romains, cela est notoire, - dit Swédenborg, à qui je laisse de nouveau la parole. - Cette Babylonie est bien plus pernicieuse et bien plus abominable que la précédente; car elle profane les biens et les vrais intérieurs de l'Eglise, que le Seigneur a révélés au monde quand il s'est révélé lui-même.

" A quel degré elle est pernicieuse et intérieure­ment abominable, c'est ce qu'on peut voir en somme d'après les points suivants:

» Ils reconnaissent et adorent le Seigneur sans lui laisser aucun pouvoir de sauver. Ils séparent com­piétement son divin et son humain, transférant à eux-mêmes la toute-puissance qui appartenait à son humanité'; car ils remettent les péchés, envoient au

l Swédenborg dit dans une note: « L'Eglise attribue au Seigneur deux natures, et ainsi sépare son divin de son humain. Que cela ait été fait dans un concile à cause du pape, afin qu'on le reconnùl pour Vicaire du Seigneur, c'est ce qui m'a été découvert du Ciel. » Ce pape était Léon le Grand. Il présida le quatrième concile œcuménique, réuni à Chalcédoine en 451. La doctrine des deux natures y remporta une éclatante victoire et fit désormais partie intégrante de l'ortho­doxie. On déelara que « l'unité de la personne du Christ consistait EN deux natures non mélangées. non changées, non divisées et n0n sépa-

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Ciel, précipitent dans l'Enfer, sauvent qui ils veulent et vendent le salut, s'arrogeant ainsi des choses qui appartiennent au divin pouvoir seul. Et comme ils exercent ce pouvoir, il en résulte qu'ils se font dieux, chacun en son rang par transmission depuis leur chef suprême, qu'ils nomment Vicaire du Christ, jusqu'aux derniers d'entre eux; ils se regardent donc comme le Seigneur, et ils l'adorent non à cause de lui, mais à cause d'eux-mêmes .

• Non seulement ils adultèrent et falsifient la Pa­role, mais ils l'ôtent au peuple afin qu'il n'entre dans aucune lumière du vrai; et cela ne suffit pas: ils l'anéantissent même, en reconnaissant dans les décrets venant de Rome un divin au-dessus du divin qui est dans la Parole. De cette manière, ils ferment à tous le chemin du Ciel; car le chemin du Ciel, c'est la reconnaissance du Seigneur, la foi et l'amour pour lui. Or c'est la Parole qui enseigne ce che­min ... »

« En outre, ils poussent à des idolâtries de plu­sieurs genres. Ils font et multiplient des saints, dont ils voient et tolèrent l'adoration ; ... ils en exposent de tous côtés les idoles, vantent leurs nombreux mi­racles, les donnent pour patrons aux villes, aux

rées. » Si l'on avait reconnu que le Seigneur était un avec son Père et que son humain même avait été divinisé, nul n'aurait osé se pré­senter comme son vicaire et prétendre exercer son pouvoir dans les Cieux et sur la terre; car ç'eùt été s'égaler à Dieu. Il faUait dane triompher du monophysitisme pour établir la domination tyrannique du clergé romain et de son chef, le souverain pontife. - Du Jugement dernier, § 55. Arcanes célestes, N° 47..38. Kurtz. Kirchengesch ich te. p. 143.

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temples et aux monastères; ils prèsentent comme sacrés les os tirés de leurs tombeaux, os qui sont cependant ce qu'il ya de plus vil, détournant ainsi le mental de tous du culte de Dieu pour le porter au culte des hommes. Ils veillent même ayec beaucoup de soin à ce que nul ne passe de cette obscurité à la lumière, du culte idolâtrique au culte divin. En effet, ils multiplient les couvents, d'où ils tirent des sur­veillants et des espions qu'ils placent partout. Les confessions du cœur, qui sont aussi celles des pen­sées et des intentions, ils les arrachent, et ceux qui ne les font pas, ils les effraient en les menaçant du feu infernal et de tourments dans un Purgatoire. Ils vont jusqu'à enfermer dans les prisons horribles de l'Inquisition ceux qui osent élever la voix contre le trône papal et contre leur tyrannie.

» Tout cela dans l'unique but de posséder le monde et ses trésors, de vivre à leur aise, d'être les pl us grands et d'asservir les autres. Mais un tel règne n'est pas la domination du Ciel sur l'Enfer, c'est celle de l'Enfer sur le Ciel; car autant l'amour de dominer prend de force chez l'homme, surtout chez l'homme de l'Eglise, autant règne l'Enfer. »

* * * Swédenborg rapporte ICI une expérience qu'il a

faite en causant, dans l'autre vie, avec un grand nombre de prêtres romains. Cette observation peut étonner les simples, mais les intelligents la trouve­ront, j'en suis sûr, très vraisemblable et profondé­ment psychologique. Vous vous rappelez que les se-

• , •

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crets du cœur sont dévoilés dans le monde à ven il' , chacun étant forcé de se montrer à l'extérieur tel qu'il est au dedans. Appliquant cette loi aux catho­liques, Swédenborg affirme ce qui suit: Plus de la moitié de ceux qui avaient usurpé le pouvoir d'ou­vrir et de fermer le Ciel étaient absolument athées, tout en joignant à leur athéisme, péndant un certain temps du moins, la confession orale du Seigneur, dont ils prétendaient tirer leur autorité par l'inter­médiaire de l'apôtre Pierre. Quant aux autres, s'ils ne vont pas jusqu'à la négation de Dieu, ils sont si vides qu'ils ne savent rien des moyens de salut, de la vie spirituelle, de la foi et de l'amour célestes, se figurant que le Ciel peut être accordé à tout homme, quel que soit son état mental, par la pure grâce du pape.

* * Sur le sort des catholiques dans l'autre monde, il

y aurait bien d'autres points à relever qui certes n'ont pas uniquemllnt un intérêt de curiosité, mais je dois m'en abstenir. Il est cependant un fait sur lequel je veux attirer votre attention, parce qu'il est un exemple frappant de la miséricorde et de la longue patience de Dieu. A en croire le Voyant de Stockholm, le grand jugement de 1757 n'a concerné, en fait de catholiques romains, que ceux qui étaient à cette époque reten us dans le Monde des Esprits; mais les meilleurs et les plus mauvais en étaient déjà sortis, les bons pour aller au Ciel, les méchants pour être jetés dans l'Enfer. Il n'y restait donc que les esprits partagés encore entre le mal et le bien,

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ceux qui n'étaient pas prêts à devenir des anges et dont pourtant J'état ne semblait pas désespéré.

* * * Swédenborg consacre plusieurs pages à cette

question. Il se demande pourquoi ces esprits, dont un grand nombre se trouvaient dans le Monde in­termédiaire depuis tant de siècles, y ont été tolérés jusqu'au dernier jugement; et voici en résumé com­ment il répond:

«Il est de l'Ordre divin que tous ceux qui peuvent être conservés le soient, et cela jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus vivre parmi les bons. Tous ceux donc qui peuvent imiter la vie spirituelle dans les ex­ternes, et la montrer dans la vie morale comme si elle y était, sont conservés, quels qu'ils soient dans les internes quant à la foi et à l'amour. Sont égale­ment conservés ceux qui affectent une sainteté ex­terne, à laquelle aucune sainteté interne ne corres­pond. Tels ont été beaucoup de membres de la gent catholique'. Ils ont pu devant le vulgaire parler pieusement, adorer saintement le Seigneur, implan­ter la religiosité chez les autres, les amener à réflé­chir sur le Ciel et l'Enfer, et par la prédication des œuvres les maintenir dans l'exercice du bien. Ainsi ils ont pu en conduire plusieurs dans la voie du sa­lut. C'est pourquoi beaucoup de ceux de cette reli­gion ont été sauvés, quoique peu de leurs conduc­teurs J'aient été. »

l 8wédenborr dit lui-même « celte Gent».

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Ces derniers doivent être entendus par « les faux prophètes qui viennent en habits de brebis, mais qui au dedans sont des loups ravissants ». Ils res­semblent aux scribes et aux pharisiens, qui « disent et ne font point» et que le Seigneur appelle « hypo­crites », ajoutant: « Vous êtes pareils à des sépul­cres blanchis qui au dehors paraissent beaux, mais au dedans sont pleins d'ossements de morts; de même en dehOl's vous paraissez justes aux hommes, mais en dedans vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité. »

En somme, « d'un jugement à l'autre sont conser­vés tous ceux qui mènent dans les externes une vie semblable à la vie spirituelle, imitant la piété et la sainteté internes, et qui par conséquent sont en état d'instruire et de diriger les simples. En effet, les simples de cœur et de foi ne regardent point au delà de l'externe et de ce qui se montre aux yeux. C'est pour cela qu'ont été tolérés tous ceux qui avaient été tels depuis le commencement de l'ère chrétienne jusqu'au jour du jugement. »

Toutefois qu'on ne s'y trompe pas: « Il n'y a eu de conservés (dans le séjour intermédiaire) que ceux qui s'étaient laissé régler par les lois civiles et spiri­tuelles, puisqu'ils avaient pu vivre en société; mais ceux qui n'avaient pu être retenus dans les liens par les lois n'ont point été conservés; ils furent préci­pités dans l'Enfer longtemps avant le jour du juge­ment dernier. Car les Sociétés ont été continuelle­ment purifiées et délivrées de pareils esprits. Ainsi on a rejeté des Sociétés, et cela successivement, ceux

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dont la conduite a été criminelle, qui ont excité le vulgaire à commettre des maux et recouru à des artifices abominables, tels qu'il y en a dans les En-fers .•

* * * « On a également retiré des Sociétés ceux qui sont

intérieurement bons, pour qu'ils ne fussent pas cor­rompus par ceux qui sont intérieurement mauvais. Car les bons esprits perçoivent les intérieurs, et par suite ne regardent aux extérieurs que dans la me­sure où ils concordent avec les intérieurs. Ceux-ci sont successivement envoyés dans les « lieux d'ins­truction » dont il a été parlé à propos du Monde intermédiaire. De là ils sont enlevés au Ciel; car ce sont eux dont est formé le nouveau Ciel, et ils ont part à la « première résurrection b mentionnée dans l'Apocalypse ».

Notons au passage cette information, qui vient augmenter notablement le peu que nous savons déjà sur l'ordination des Cieux à cette époque. Les esprits réellement bien disposés, après une purification et une éducation plus ou moins prolongées dans la sphère invisible, sont introduits dans le Ciel dès qu'ils peuvent y occuper une place quelconque, y rendre des services importants ou subordonnés.

* * * A ce renseignement capital nous devons en ratta­

cher un autre, non moins intéressant pour l'intelli­gence de la Rédemption, mais beaucoup plus cu­rieux. Les esprits provenant de l'Eglise catholique

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conservent, comine tous les autres, leur religiosité, leurs façons de penser, leurs coutumes. Après avoir décrit leurs habitations, leur culte et leurs procédés dans le Monde spirituel, Swédenborg nous apprend qu'ils y avaient créé, avec la permission du Sei­gneur, une sorte de Ciel, sans doute un Ciel factice, temporaire et trompeur, mais enfin un monde rela­tivement convenable et brillant que l'apôtre Jean désigne comme le « premier Ciel ».

Nous lisons en effet dans l'Apocalypse: « Alors je vis un gmnd trône blanc et celui qui y siégeait; de­vant sa face la Lerre et le ciel s'enfuirent, et il ne se trouva plus de place pour eux. » Ici vient le juge­ment des morts petits et grands. « Puis je vis UIl

Ciel nouveau et une terre nouvelle; car le premier Ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus. J)

Ce Ciel apparent nous semble de prime abord bien difficile à admettre; mais vous voyez dans un livre inspiré quelque chose de pl us extraordinaire: la disparition d'un Cie\. Or les explications de Swé­denborg, au lieu d'ajouter aux difficultés de la pro­phétie, les diminuent ou même les enlèvent. Selon lui, «le premier Ciel et la première terre» existaien t dans le monde invisible et non dans l'univers maté­riel, ne provenaient pas directement de Dieu, mais de l'arbitraire des esprits dont nous venons de lil'e la description, et n'avaient qu'une existence pré­caire. De là leur destruction au dernier jugement.

Swédenborg nous révèle comme des w'canes ce qu'était ce « premier Ciel », destiné à être détruit

S\VÉDENBOnG lU tG

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en 1757. « Le jugement dernier, dit-il, n'a point été fait sur d'autres que ceux qui dans la forme externe se sont donnés pour chrétiens, et de bouche ont professé les doctrines de l'Eglise, mais qui dans la forme interne ou de cœur ont été opposés à ces choses '. Etant tels, ils ont été conjoints quant aux extérieurs avec le dernier Ciel, et quant aux inté­rieurs avec l'Enfer.

D Tant qu'ils ont été conjoints au dernier Ciel (véritable), les internes de leur volonté et de leur amour étaient fermés, et par suite ils ne semblaient pas méchants; mais un,cois séparés du dernier Ciel, leurs intérieurs ont été ouverts. Alors on se rendit compte qu'ils avaient feint d'être des anges célestes et d'avoir des Cieux pour habitation. Ce sont ces Cieux-là qui ont passé au jour du jugement der-

• DIer. ))

Permettez-moi quelques citations encore: «II fut permis à un certain nombre de Babylo­

niens de rester plus longtemps que d'autres dans le Monde des Esprits. J]s y construisirent des demeures fixes. Il leur fut en outre permis, par l'abus des cor­respondances et par des fantaisies, de se faire pour ainsi dire des Cieux; ils s'en formèrent effective­ment en grande abondance. Mais, quand ils eurent été multipliés à tel point qu'ils interceptaient la lumière spirituelle et la chaleur spirituelle entre les Cieux supérieurs et les hommes sur les terres, le

1 Les Babyloniens, dont nous ayons parlé, et aussi les Draconiens, dont nous parlerons plus tard.

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Seigneur fit alors le jugement dernier et dissipa ces Cieux imaginaires. lJ

« Le jugement n'a été fait que sur ceux qui s'étaient fabriqué une sorte de Ciel. La plupart demeuraient sur des montagnes et sur des rochers_ Ils sont entendus par des boucs que le Seigneur place à sa gauche. »

Ainsi « le premier Ciel était composé non seule­ment de chrétiens, mais de mahométans et de gen­tils. Les uns et les autres s'étaient fabriqué de tels Cieux dans les lieux où ils étaient. lJ

Swédenborg distingue avec le plus grand soin entre le vrai Ciel et le Ciel imaginaire qui nous oc­cupe en ce moment. « Il faut qu'on sache, dit-il, que par le premier Ciel il n'est pas entendu le Ciel com­posé des hommes qui sont devenus anges depuis la création du monde jusqu'à ce temps-ci; car ce Ciel est constant et subsiste éternellement. En effet, tous ceux qui entrent dans le Ciel sont sous la tutelle du Seigneur, et quiconque a été une fois reçu par le Seigneur ne peut en être séparé. Mais par le premier Ciel il est entendu un Ciel formé par d'autres que ceux qui sont devenus anges, et, pour la plus grande partie, par ceux qui n'avaient pas pu devenir anges. C'est de ce Ciel qu'il est dit qu'il avait passé.

» Il est appelé Ciel parce que ceux qui y étaient se tenaient consociés dans le haut sur des rochers et des montagnes, et vivaient dans des plaisirs sem­blables aux plaisirs naturels, mais sans prendre aucun plaisir aux choses spirituelles. Car la plupart

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de ceux qui viennent de la terre dans le Monde spi­rituel croient être au Ciel quand ils sont dans le haut, et être dans la joie céleste quand ils jouissent de plaisirs pareils à ceux qu'ils avaient dans le monde. Voilà pourquoi il a été nommé Ciel, mais Ciel premier qui devait passer. »

Et encore: « Par le premier Ciel et la première terre, qui ont passé, il n'est pas entendu le ciel qui apparaît devant nos yeux dans ce monde, ni la terre où nous demeurons; il n'est pas entendu non plus le premier Ciel où sont tous ceux qui depuis la créa­tion ont bien vécu; mais il est entendu des congré­gations d'esprits qui s'étaient arrangé des espèces de Cieux entre le Ciel et l'Enfer. Or, comme tous les esprits et tous les anges habitent sur des terres, ainsi que les hommes, voilà pourquoi ces congréga­tions sont entendues par le premier Ciel et la pre­mière terre. »

* * * L'existence de ce faux Ciel n'étai t pas sans grave

inconvénient, comme vous allez le voir. «. Toute illus­tration chez l'homme vient du Seigneur et entre par la voie interne. Tant qu'il y eut entre le Ciel et le monde, ou entre le Seigneur et l'Eglise, des congré­gations de tels esprits, l'homme ne put être illustré. II en était comme lorsque l'éclat du soleil disparaît par l'interposition d'un nuage noirâtre, ou que le soleil souffre une éclipse par l'interposition de la lune, sa lumière étant interceptée. Si ,donc le Sei­gneur eût fait alors quelque révélation, ou bien on

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ne l'aurait pas comprise, ou bien en la comprenant on ne l'aurait pas reçue, ou bien après l'avoir reçue on l'aurait plus tard étouffée. Maintenant, comme le jugement dernier a dissipé toutes ces congrégations interposées, il est évident que la communication entre le Ciel et le monde, ou entre le Seigneur et l'Eglise, a été rétablie. »

C'est grâce à ce rétablissement des rapports directs entre Dieu et l'humanité que Swédenborg a pu nOus découvrir le sens interne des Ecritures et poser les fondements de l'Eglise nouvelle, destinée à surpas­ser de beaucoup l'ancienne au point de vue de l'amour et de la puissance d'action, comme à celui de l'intelligence et de la sagesse. Nous pouvons donc remercier le Seigneur d'avoir exécuté ce grand juge­ment. Ce fait, généralement inconnu, semblait ne nous toucher en rien, s'étant passé tout entier dans le monde invisible, il y a pl us d'un siècle et demi. Vous comprenez à présent qu'il inaugure une ère meilleure, et que les chrétiens peuvent escompter avec certitude les immenses progrès que va faire le règne de Dieu.

* * * Soyons reconnaissants d'autre part que ce fait

transcendant nous ait été révélé. Les Eglises, s'en tenant toujours à la signification matérielle des livres saints, attendent un jugement dernier accom­pagné de signes épouvantables, de tremblements de terre et d'autres phénomènes cosmiques amenant la destruction de notre terre par le feu. Pour nous, -

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;

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ancienne, dont la destruction est figurée par le dé­luge; le second l'Eglise israélite ou juive, qui n'a fait que « représenter» les choses de la foi et de l'amour; le troisième l'Eglise chrétienne, qui a duré depuis le ministère de Jésus jusqu'en 1757'.

Chaque Eglise commence pal' être nouvelle par rapport aux anciennes; mais ce que nous appelons la « Nouvelle Eglise », c'est l'Eglise naissante dont Swédenborg a simplement posé les fondements en révélant le sens interne des Ecritures et en donnant ainsi une interprétation rationnelle de l'Evangile, très supérieure aux diverses théologies qui avaient eu cours précédemment. Cette Eglise est symbolisée, dans les visions de Patmos, d'un côté par« la fiancée, l'épouse de l'Agneau )), de l'autre par« la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du Ciel, d'au­près de Dieu, prête comme une épouse qui s'est pa­rée pour son époux ». Elle est formée de ceux qui acceptent cette révélation supplémentaire, cette in­telligence plus profonde des enseignements bibli­ques, notamment la complète divinité du Sauveur, et qui règlent leur vie sur ces convictions encore peu répandues dans la chrétienté.

'-- Les swédenborgiens ne se figurent nullement que leurs organisations embrassent tous les croyants qui, aux yeux du Seigneur, appartiennent à la « Nouvelle Eglise », ni que tous leurs membres ins­crits et communiants en fassent partie. Ils sont trop

t Chacune de ces Eglises sc suhdivise à son tour. Ailleurs Swéden· borg en indique un plus {;rand nombre pour l'époque antérieure au Chri!~t.

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larges pour cela, sachant parfaitement que Dieu re­garde au cœur, non au crédo ni à l'étiquette ecclé­siastique, et que, pour être un chrétien du type nouveau, c'est avant tout la spiritualité qui est né-cessalre.

* * * D'après ce que nous venons de dire, les événe­

ments prédits dans l'Apocalypse sont maintenant accomplis. Cette assertion surprendrait la plupart des protestants, aussi bien que les catholiques. On s'est creusé la tête pour expliquer ces prophéties, sans jamais avoir l'idée de recourir à l'interprétation purement spirituelle. Aussi a-t-on construit à ce propos je ne sais combien de systèmes, qui se com­battent réciproquement et dont aucun n'a recueilli l'assentiment général. Découragé par cet éternel conflit d'opinions soutenues à grand renfort d'érudi­tion et par l'évident insuccès de tous les exégètes, j'avais renoncé moi-même à comprendre l'Apoca-1 ypse, quand le Prophète scandinave m'a fourni 1 a clef qui seule peut ouvrir la porte si longtemps ver­rouillée.

Cette Clef s!Jmbolique nous permet, en effet, de pénétrer les mystères ou « arcanes» renfermés non seulement dans l'Apocalypse de saint Jean, mais dans toutes les pages des livres divinement inspirés.

* * * Nous savons que la révélation n'a rien à fairE! avec

les rois et les peuples de ce monde, qu'elle ne nous annonce pas la succession et la chute des empires,

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la ruine des grandes villes et les victoires des con­quérants, bref qu'elle ne s'inquiète pas de l'histoire politique, comme on l'a cru jusqu'à présent, mais que, dans leur sens interne, toutes ses prédictions ont en vue des choses spirituelles et célestes, l'ave­nir de l'Eglise et du règne de Dieu. Ainsi nous som­mes débarrassés, une fois pour toutes, des explica­tions saugrenues que les prédicateurs populaires donnent, de nos jours encore, sur les prophéties bi­bliques, sur celles de Daniel et de l'Apocalypse en particulier. Ces explications soi-disant historiques, qui se détruisent l'une l'autre et que les événements ont si souvent démenties, compromettent gravement la foi au lieu de la développer.

Du reste, le littéralisme inintelligent des partisans de la Bible est la source de toutes les hérésies qui on t dénaturé le message évangélique, et la cause de la guerre incessante que les di verses Eglises on t faite jusqu'à ce jour aux découvertes de la science. Swédenborg ne méprise certes point la lettre des écrits sacrés, - nul au contraire ne la prend plus au sérieux et ne l'étudie plus exactement dans les langues originales; - mais de la lettre qui tue il remonte à l'esprit qui vivifie.

Il nous apprend à voir dans la signification interne eL cachée des Ecritures leur signification essentielle, celle qui désaltère et nourrit les âmes, la Parole même de Dieu. C'est en vertu de cette interprétation spirituelle qu'il trouve dans la Bible certaines véri­tés jusqu'alors négligées, des aspects nouveaux du vieil Evangile, des idées dont nous avons le plus

!

, • 1

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pressant besoin pour représenter dignement la reli­gion dans un âge de civilisation avancée et de cul­ture scientifique. Nos théologiens et nos pasteurs ne comprennent malheureusement pas que, sans ce principe spiritualiste, ils ne sont plus capables de défendre victorieusement le christianisme contre les attaques de l'incrédulité.

* ,. ,. Nous avons vu, en outre, que le jugement dernier

se fait non sur la terre, où ne se trouve jamais qu'une seule génération, mais dans le Monde des Esprits, appelé également Hadès, où plusieurs géné­rations peuvent se rassembler. C'est là notamment qu'eut lieu le jugement universel dont Emmanuel Swédenborg assure avoir été le témoin en 1757 ; car c'est là qu'étaient réunis un certain nombre des morts qui avaient vécu sur notre planète depuis l'époque de Jésus-Christ.

Ajoutons que dès lors on ne reste pl us aussi long­temps dans ce séjour intermédiaire, d'où l'on passe bientôt soit dans le Ciel, soit dans l'Enfer. Les hom­mes, en effet, seuls habitants de ces deux empires opposés, sont tous destinés par création à s'élever au Ciel, c'est-à-dire à être des anges plus ou moins heureux et parfaits; mais ceux qui, abusant de leur libre arbitre, s'opposent avec persistance au plan de Dieu sont punis justement en étant jetés dans l'En­fer, c'est-à-dire en devenant des démons misérables et malfaisants, esclaves des passions qui les tour­mentent. Je rappelle, au surplu8, qu'il y a d'autres

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humanités que celle de notre globe, toutes les pla­nètes étant faites pour être habitées par des hommes plus ou moins semblables à nous. Le Ciel est heu­reusement assez vaste, - et l'Enfer l'est, hélas 1 aussi, - pour recevoir et héberger cette innombrable mul- . titude d'êtres humains.

* * * <I Le jugement, dit Swédenborg, a été fait non seu­

lement sur tous les chrétiens, mais encore sur tous ceux qu'on appelle mahométans, et même sur toutes les nations du globe. Et voici dans quel ordre il fut exécuté: d'abord sur ceux qui étaient de la religion catholique romaine, puis sur les mahométans, en­suite sur les nations et enfin sur les réformés. »

Fidèle à cet ordre chronologique, après avoir parlé des catholiques romains, nous allons dire quelques mots des mahométans et des nations. Vous aurez ainsi l'occasion de vous rendre compte de la manière dont Swédenborg envisage ces deux grandes portions de l'humanité.

* * * Ceux qui devaient être soumis à ce jugement der­

nier furent vus rangés providentiellement de la façon suivante. Au centre même apparurent les réformés de toute confession, distingués selon leurs patries: les Allemands au nord, les Suédois vers l'ouest, les Danois à l'ouest, les Hollandais à l'est et au midi, les Anglais au milieu. Autour de tout ce Milieu rempli par les réformés apparurent rassemblés ceux qui appartenaient à l'Eglise romaine, ia plupart dans la

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plage occidentale, quelques-uns dans la plage orien­tale '. Au delà des catholiques se tenaient les maho­métans, placés également d'après leurs patries; tous apparurent alors à l'occident, près du midi. Au delà des mahométans étaient les nations ou les gentils (gentes), assemblés en nombre immense; ils consti­tuaient ainsi l'enceinte même. Plus loin encore, on apercevait comme une mer, qui formait la limite.

« Cette ordination suivant les plages était conforme à la commune faculté que possède chaque esprit de recevoir les divins vrais [la vérité divine]. C'est pourquoi, dans le Monde spirituel, chacun est connu par la plage et par l'endroit de la plage qu'il habite ... 11 en arrive de même quand on va d'un lieu dans un autre: toute marche vers les plages se fait selon les états successifs des pensées d'après les affections qui appartiennent à la vie propre. C'est d'après ces af­fections que ceux dont il va être parlé furent con­duits vers leurs places respectives. En un mot, dans le Monde spirituel, les chemins que chacun suit sont les déterminations actuelles des pensées du mental. Voilà pourquoi, dans la Parole, les chemins, les mar­ches et autres choses semblables signifient, dans le sens interne, les déterminations et les progressions de la vie. »

Si cette dernière observation vous semble trop dif­ficile à comprendre, je la traduirai en langage plus simple, et je vous dirai: Si nous étions dans l'autre monde, chaque esprit, suivant les sentiments de son

t Il Y a~ on s'en souvient, dans tout Je Monde spirituel, quatre Plages qui correspondent à nos points cardinaux.

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cœur et les pensées de son intelligence, nous paraî­trait être dans telle ou telle plage, au levant ou au couchant, au nord ou au midi; car les points cardi­naux, ou les plages, représentent l'état mental des esprits, ce qu'ils sont actuellement au point de vue du bien et du mal, du vrai et du faux, de la foi et de la charité. En conséquence, le lieu de leur habita­tion, la direction de leur marche, les routes et les sentiers où nous les verrions s'avancer, leurs pro­grès et leurs reculs, suffiraient pour nous les faire connaître.

* * * Après le jugement des catholiques, qui nous a oc­

cupés à la fin de la précédente leçon, voyons celui des mahométans. De l'endroit où ils avaient été ras­semblés, les mahométans furent conduits de l'ouest au sud-est par un chemin autour des chrétiens. En route, les méchants furent séparés des bons et jetés dans des marais et des étangs, ou dispersés dans un désert. Quant aux bons, ils furent dirigés par l'orient près du midi, vers une contrée d'une grande étendue où il leur fut donné des habitations.

ct Les mahométans qui y furent conduits étaient ceux qui, dans le monde, avaient reconnu le Sei­gneur pour très grand p"ophèle et pour Fils de Dieu, et l'avaient cru envoyè par le Père pour instruire le genre humain, et qui en même temps avaient mené une vie morale et spirituelle suivant leur religiosité. La plupart de ceux-ci, quand ils ont été instruits, reçoivent la foi au Seigneur et reconnaissent qu'il

1

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est un avec le Père; il leur est même donné commu­nication avec le Ciel chrétien par un inll ux procé­dant du Seigneur, mais ils ne sont pas mêlés, parce que la diversité des religions sépare.

» Tous ceux de cette religion, dès qu'ils entrent dans l'autre vie parmi les leurs, cherchent tout de suite Mahomet, mais lui ne se montre pas; toutefois, à sa place, il se présente deux autres esprits qui pré­tendent être Mahomet. Ils ont obtenu une demeure dans le milieu, sous le Ciel chrétien vers la gauche. La raison pour laquelle ces deux remplacent Maho­met, c'est que tous, à quelque religion qu'ils appar­tiennent, sont conduits, après leur mort, première­ment vers ceux auxquels ils ont rendu un culte dans le monde, car à chacun reste attachée sa croyance; mais, quand ils se rendent compte que ceux-là ne peuvent leur être d'aucun secours, ils s'en éloignen t. En effet, nul ne peut être détourné de sa religiosité sans y avoir été remis au préalable. ))

Swédenborg ajoute ceci: « Où se trouve Mahomet lui-même, quel il est, puis aussi d'où sont les deux esprits qui tiennent sa place, c'est ce qui sera dit dans le livre où j'expliquerai l'Apocalypse. » Mais je ne vous arrête point à ces détails .

.. .. *

Deux observations cependant avant d'aller plus loin.

En premier lieu, Swédenborg manifeste, à propos de ce jugement, la largeur de son point de vue. Quelque strict qu'il soit à maintenir la perversité

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naturelle de l'homme, la nécessité de la Rédemption par Christ et de la régénération individuelle, enfin la parfaite divinité du Sauveur, il n'en conclut nul­lement, comme on le faisait à son époque, à la con­damnation finale des hommes qui n'ont pas, dès cette vie, accepté Jésus-Christ par la foi. 11 affirme, au contraire, que les sectateurs de l'islam, - trop longtemps, hélas 1 ennemis acharnés des chl'étiens, - peuvent aussi bien que ceux-ci avoir part au sa­lut, pourvu qu'ils aient suivi consciencieusement les principes de leur religion. Ils ont besoin sans doute de recevoir de nouvelles lumières; mais les instructions indispensables leur sont données dans le Hadès, et ils se les approprient avec joie, tandis que beaucoup de cbrétiens de nom, ayant eu toutes les occasions de connaître l'Evangile, ne l'ont jamais compris par le cœur et ne se sont point souciés de le faire passer dans leur vie. Ils sont donc comme nous au bénéfice du salut par Christ, et s'ils habi­tent un Ciel à part, c'est parce que chaque groupe d'esprits reste éternellement distinct des autres groupes; mais cette immense variété n'empêche aucunement l'harmonie de toutes les Sociétés et l'unité du tout. Chaque Ciel particulier a sa place et son rôle dans le Ciel général. Ainsi le Prophète du Nord se montre remarquablement large en pro­clamant que les mahométans peuvent être absous au tribunal du Christ et heureux pour l'éternité, aussi bien que s'ils s'étaient appelés ici-bas catholi­ques romains, réformés ou protestants, calvinistes ou luthériens.

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* * * Une seconde observation qui s'impose à moi, c'est

que, par cette appréciation bienveillante d'une reli­gion étrangère et même hostile à la sienne, Swéden­borg a dépassé son temps, comme il ra fait d'ailleurs sur un grand nombre de points, tant dans les sciences qu'en exégèse et en dogmatique. Nous venons d'en voir un exemple dans le fait que, dans un siède où la théologie était intolérante et fermait pour tou­jours le Ciel aux non chrétiens, il n'a pas craint d'en ou vrir les portes aux populations sou mises aux lois du Coran. Nous en trouvons un second exemple dans le fait qu'il a relevé dans cette Bible de l'islam non ce qui s'éloigne de l'Evangile, mais ce qui s'en rap­proche, spécialement les textes indiquant la haute dignité, le caractère unique et divin que Mahomet attribuait à Jésus-Christ.

Au dix-huitième siècle on faisait précisément le contraire. On considérait Mahomet comme un fana­tique, un faux prophète, un imposteur, qui n'aurait soumis à son crédo de vastes contrées que par le fer et le feu, les massacres et la dévastation. Voltaire, contemporain de Swédenborg, représentait en France cette opinion sévère, étroite, historiquement et psy­chologiquement fausse. Sa fameuse tragédie intitulée Mahomet ou le Fanatisme en est la preuve. Au sur­plus, si Voltaire a été injuste envers Mahomet, ce n'est pas qu'il lui reprochât d'avoir combattu le christianisme; car il aurait voulu, comme il le di­sait, Cl écraser l'infâme» et détruire toutes les reli-

SWÉDENBORG lU t 7

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gions, les tenant toutes sans exception pour le pro­duit de la supercherie, de l'avarice et de l'ambition des prêtres. On est d'accord pour trouver aujour­d'hui ce point de vue bien superficiel et bien peu fondé; mais il était alors en honneur, et Voltaire pouvait le professer hautement sans nuire à sa gloire universelle.

Il a fallu la rénovation de l'histoire et une révolu­tion dans la philosophie pour qu'on envisageât Ma­homet sous un autre aspect. Des écrivains tels qu'Ernest Renan et Barthélemy Saint-Hilaire,­pour ne mentionner que des Français, - ont re­connu sa sincérité, la pureté relative de son ensei­gnement, le mérite qu'il eut de rétablir le mono­théisme; ils ont proclamé son génie, et l'ont mis au rang des plus grands hommes à côté de quelques autres initiateurs religieux. Cette réhabilitation tar­dive, due à l'impartialité des sciences contempo­raines, est un progrès dont nous avons à nous ré­jouir; mais je tenais à constater que Swédenborg l'a entreprise le premier, avec une franchise et un cou­rage imperturbables, un siècle ou plus avant les doctes écrivains que je viens de nommer.

* * * Passons maintenant aux nations, en latin gentes,

mot que notre Bible rend encore par les « gentils ». II s'agit des peuples polythéistes de toute espèce, depuis l'idolâtrie la plus grossière jusqu'au culte des Orientaux les plus civilisés; c'est ce que nous appelons en général les païens. Tous ces peuples

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ont cela de commun qu'ils ne reconnaissent pas l'unité de Dieu, admise au contraire par les Hé­breux, les chrétiens et les musulmans.

Le jugement des gentils fut presque semblable à celui des mahométans. Les méchants, bientôt sépa­rés des bons, furent précipités dans deux gouffres obliques et profonds qui se trouvaient à l'occident; les bons de leur côté furent conduits au-dessus du milieu où sont les chrétiens, vers une contrée de la plage orientale où étaient les mahométans. Ils y ob­tinrent des habitations derrière ceux-ci et au delà, vers une région de la plage méridionale.

" Mais, - remarque notre auteur, - les gentils qui dans le monde ont adoré un Dieu sous une forme humaine, et pratiqué dans leur vie la charité selon leur religion, sont conjoints aux chrétiens dans le Ciel; car mieux que les autres ils reconnais­sent et adorent le Seigneur. Les plus intelligents d'entre eux viennent d'Afrique.

» Il fut vu une si grande multitude de nations et de mahométans qu'on ne pouvait la compter autre­ment que par myriades [dizaines de mille]. Le juge­ment sur cette foule immense eut lieu en quelques jours; car chacun, dès qu'il est mis dans son amour et dans sa foi, est aussitôt reconnu pour ce qu'il est en réalité, et il se trouve porté vers ses pareils. »

* * * Swédenborg, pas plus que le Seigneur, ne prétend

nous dire, même approximativement, quelle est la proportion entre les sauvés et les damnés. Il nous

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affirme seulement que les bons vont au Ciel et les méchants en Enfer. Il ne parle pas ici de foi justi­fiante, mais de vie, de conduite, de moralité. La foi de ces païens n'a pu être éclairée, complète; elle a manqué d'éléments importants par la force des choses: par le fait de leur naissance, de leur milieu, de leur éducation_ Ils n'en sont pas moins au béné­fice de l'œuvre du Rédempteur, laquelle est desti­née à tous les hommes et par conséquent se pour­suit au delà du tombeau, dans le Hadès que nous avons appelé le Monde des Esprits.

S'ils ont rendu leur culte à la Divinité telle qu'ils la connaissaient, s'ils ont obéi par motif de con­science aux prescriptions de leur loi religieuse, s'ils ont aimé les autres, suivant en cela l'impulsion la plus sacrée de tout cœur humain, alors, loin d'être réprouvés par le Juge suprême à cause des lacunes et des défectuosités de leur intelligence, ils sont ins­truits dans le Hadès, y reçoivent l'Evangile avec plus de joie et d'ardeur que la plupart des soi-disant chré­tiens ne l'ont reçu ici-bas, et deviennent, eux aussi, des enfants de Dieu. Le Ciel leur est donc ouvert comme à nous.

* * * Relevons ici, - comme nous l'avons fait tout à

l'heure à propos des mahométans, - la largeur d'esprit et de cœur dont fait preuve Swédenborg. Elle éclate encore davantage quand il s'agit des païens, qui n'ont pas su s'affranchir des formes inférieures de la religiosité pour s'élever à l'idée

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d'un Dieu unique, créateur des cieux et de la terre. Cette largeur ne surprendrait pas chez un homme

d'aujourd'hui; car elle est devenue fréquente, favo­risée qu'elle a été non seulement par le développe­ment des sciences et de la philosophie, mais encore var l'indifférence et l'incrédulité. On croit si peu qu'i! existe un Ciel et un Enfer, on s'inquiète si peu d'être sauvé, les vérités religieuses ont si peu de prise sur nos contemporains, qu'ils tombent dans un latitudinarisme inconnu de nos pères, dans une tolérance exagérée qui, hélas 1 n'a rien à faire avec l'amour du prochain. Encore existe-t-il une intolé­rance moderne, celle des matérialistes et des athées, qui ne peuvent souffrir les croyants, qui leur ferme­raient la bouche et leur couperaient la tête, s'ils le pouvaient. Mais, je l'ai dit, une pareille largeur de pensée et de sentimen t est rare au dix-huitième siècle chez les théologiens positifs, et quand on l'y rencontre, elle est extrêmement bienfaisante. On se sent en présence d'un chrétien supérieur à l'Eglise de son époque, d'un véritable sage, d'un grand dis­ciple de Jésus-Christ.

* * ,. Suivant l'exemple de notre guide, nous avons

parlé brièvement des mahométans et des nations, après nous être étendu davantage sur les catholi­ques, qui nous touchent de plus près. Nous arrivons enfin aux réformés, qui nous intéressent encore plus vivement, puisque c'est à ce groupe de chrétiens que nous appartenons. De toutes les dénominations,

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c'est la plus instruite et dès lors la plus responsable; aussi a-t-elle été jugée la dernière, et sa place était­elle au centre, les autres religiosités formant autour d'elle des cercles concentriques, comme nous l'avons vu : d'abord les catholiques romains, ensuite les ma­hométans, enfin à l'extérieur les nations et les peu­ples polythéistes.

Pourquoi les réformés, - par où nous devons en­tendre les protestants de toute catégorie, - consti­tuaient-ils le Milieu, en latin Meditullium, ce qui est visiblement un privilège? A cette question bien na­turelle, au moins de la part des non protestants, Swédenborg répond en ces termes:

« Si les réformés constituaient le Milieu ou Medi­tu Ilium, c'est parce qu'ils lisent la Parole de Dieu et adorent le Seigneur, et que par suite ils sont les plus éclairés. Or la lumière spirituelle, procédant du Seigneur comme Soleil, s'étend de tous côtés, illustre ceux-là mêmes qui:sont dans les périphéries et ouvre, dans la mesure du possible, la faculté de comprendre les vrais. En effet, la lumière spirituelle est, au fond, la divine Sagesse. Elle entre dans l'en­tendement pour autant que les connaissances reçues rendent capables de la percevoir, et va non par les espaces comme la lumière de notre monde, mais par les affections et les perceptions du vrai, ainsi en un instant, jusqu'aux extrémités des Cieux. »

En d'autres termes, les protestants, plus rappro­chés du divin Soleil, - qui est à la fois chaleur et lumière, amour et sagesse, - transmettent aux autres religions, dans la mesure décroissante où

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elles peuvent les recevoir, cette chaleur et cette lumière d'en haut.

* * * Quant au jugement dernier prononcé sur les ré­

formés, nous avons quatre points à considérer suc­cessivement. Les voici dans le style même de notre auteur:

10 Sur lesquels d'entre les réformés le jugement dernier a été fait. - 20 Des signes et des visites avant le jugement dernier. - 3 0 Comment le juge­ment universel a été fait. - 40 De la salvation des Brebis.

* * * 10 Il s'agit d'abord de savoir quels réformés furent

alors jugés. Swédenborg est explicite à cet égard: c'étaient uniquement des protestants pratiquant leur religion, mais coupables d'inconséquence grave et habituelle; des protestants «qui dans le monde avaient professé Dieu, lu la Parole, entendu les pré­dications, participé au sacrement de la cène, et n'avaient pas négligé les choses solennelles du culte de l'Eglise, mais qui avaient regardé comme licites les adultères, les vols de divers genre, les men­songes, les vengeances, les haines et autres maux semblables.

» Ceux-là, tout en professant Dieu, ne se faisaient aucun scrupule de pécher contre lui. Ils lisaient la Parole, et néanmoins ils tenaient pour rien les pré­ceptes de vie qu'elle renferme; ils entendaient les sermons, et néanmoins ils ne renonçaient pas aux maux de leur conduite précédente; ils ne négli-

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geaient pas les choses solennelles du culte, et néan­moins ils n'amendaient en rien leur vie. Ainsi au point de vue externe ils vivaient comme d'après la religion, mais au point de vue interne ils n'avaient aucune religion.

1> Ce sont eux que l'Apocalypse représente par le Dragon du chapitre XII. Ce Dragon apparut dans le Ciel, y combattit contre Michaël et arracha du Ciel le tiers des étoiles ...

D Ils sont également symbolisés par les Boucs du chapitre XXV de Matthieu, auxquels il est dit non pas qu'ils ont fait les maux, mais qu'ils ont négligé de faire les biens. Or tous ceux-là négligent de faire les biens, - les biens réels, qui seuls comptent de­vant Dieu, - parce qu'ils ne fuient pas les maux comme péchés, et parce que, tout en ne les com­mettant pas, ils les regardent comme licites et ainsi les commettent en esprit, et même de corps quand ils le peuvent. »

Quant à ceux qui dans ce monde, tout en portant le nom de réformés, avaient été ouvertement incré­dules, méprisant la Bible et rejetant de cœur les choses saintes de l'Eglise, ils furent jetés dans l'En­fer dès leur arrivée dans le Monde spiri tuel; par conséquent ils n'étaient plus dans le Hadès lors du jugement dernier dont nous parlons.

* * * Swédenborg explique derechef comment il se fait

que toute une classe de protestants aient été gardés jusqu'au jugement de 1757 dans le Monde des Es-

, '

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prits. Le sujet est assez intéressant au point de vue psychologique pour que nous y revenions un ins­tant. Voici l'explication donnée par notre écrivain:

GO Tous ceux qui dans les externes avaient vécu comme chrétiens, sans faire aucun cas de la vie chrétienne, faisaient un extérieurement avec les Cieux, mais intérieurement avec les Enfers. Or, comme on ne pouvait pas en ce moment les déta­cher de leur conjonction avec le Ciel, ils furent retenus dans le Monde des Esprits, qui tient le mi­lieu entre le Ciel et l'Enfer, et il leur fut permis de former des Sociétés et de vivre ensemble comme dans le monde. Là, par des artifices inconnus ici­bas, ils purent établir des choses splendides, par conséquent se persuader et persuader aux autres qu'ils étaient dans le Ciel. C'est pourquoi, d'après cette apparence externe, ils décoraient du nom de Cieux leurs Sociétés. Ce sont ces Cieux-là, avec les terres qui en dépendaient et où ils faisaient leur de­meure, qui sont entendus dans l'Apocalypse par le premier Ciel et la première terre qui ont passé. »

Swédenborg entre ici dans quelques détails qui vont plus profond. « Pendant le temps qu'ils y restè­rent, dit-il, les intérieurs de leur mental étaient fer­més et les extérieurs seuls ouverts. En conséquence leurs maux, qui les unissaient aux Enfers, ne se montraient point; mais quand le jugement dernier fut proche, leurs intérieurs furent ouverts; alors ils apparurent devant tous tels qu'ils étaient. Comme ils faisaient un avec les Enfers, ils ne purent pas feindre plus longtemps la vie chrétienne; mais ils

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se précipitèrent d'après leurs plaisirs dans les maux et les abominations de tout genre; aussi furent-ils changés en diables de diverses couleurs. Ceux qui étaient dans le faste de la propre intelligence parais­saient noirs; ceux qui avaient eu l'extravagante en­vie de dominer sur tous étaient couleur de feu; ceux qui avaient négligé et méprisé le vrai étaient livides comme des cadavres. Ainsi furent transformées les scènes de ces théâtres. ))

Comprenez bien, mesdames et messieurs, que les protestants jugés alors n'étaient pas ceux du centre même ou de l'intime du Monde des Esprits, c'est-à­dire les chrétiens intérieurs et réels, mais ceux que l'on voyait rangés autour du centre proprement dit, les chrétiens de nom et d'apparence, sans aucune vie intérieure. Dans ce Jlfeditullium, ou centre in­time, se trouvent ceux qui ont non seulement ac­cepté de tête, mais mis en pratique l'Evangile, ceux qui ont vécu la vie de la foi et de la charité. Ils y sont disposés en ordre selon leur patrie respective. Ainsi les Anglais sont au milieu, les Hollandais au midi et à l'orient, les Allemands au nord, les Sué­dois à l'occident et au nord, les Danois à l'occident. Leurs Sociétés y sont nombreuses.

D'après cette nomenclature, Swédenborg a la plus haute idée des Anglais en matière de religion, puis­qu'il leur assigne la première place, et il n'attend pas beaucoup de ses compatriotes, auxquels il donne le quatrième rang. Quant aux Suisses et aux Fran­çais, il les passe entièrement sous silence. On peut en dire autant des Américains; mais, si cette omis-

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sion étonne quelques-uns, je rappellerai que les Etats-Unis n'étaient pas encore devenus une nation indépendante et puissante. C'est ce grand peuple de l'Amérique du Nord qui, vous le savez, devait, ainsi que l'Angleterre, s'assimiler et répandre avec le plus d'ardeur les doctrines spéciales de la Nouvelle Dis­pensation t.

* * * 20 Le second point concerne les Signes et les Visites

qui précédèrent le jugement. Ces Signes eurent lieu dans le Ciel et sur la. terre au point de vue des esprits du Hadès. Il apparut d'abord une sorte de nuage dans les Cieux angéliques qui étaient au-dessus d'eux, surtout dans le dernier Ciel, afin qu'aucun ange ne fût entraîné à cause de la conjonction, et ne pérît en même temps que les coupables dont nous avons parlé. Puis les Cieux supérieurs furent abaissés, d'où résultèrent l'ouverture des intérieurs et la transformation des hypocrites.

« Alors s'évanouirent les choses splendides qu'ils s'étaient faites par des artifices inconnus dans le monde. Leurs palais furent changés en de viles cabanes, leurs jardins en étangs, leurs temples en monceaux de ruines, les collines sur lesquels ils ha­bitaient en terrains rocailleux et choses semblables, qui correspondaient à leurs intentions criminelles et

1 Voir Appendice, note 2. Je renvoie à la fin du volume un déve­loppement que j'omets ici, attendu qu'il allongerait trop cette partie de ma conférence et paraîtrait un peu ardu à certains de mes audi­teurs. Il intéres~era, au contraire, ceux de mes lecteurs qui aiment à pénétrer dans la pensée philosophique de Swédenborg.

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à leurs cupidités. En effet, toutes les choses visibles du Monde spirituel correspondent aux affections des esprits et des anges .

.. A mesure que l'ouverture des intérieurs aug­menta, l'ordre parmi les habitants fut changé et renversé. Ceux qui l'emportaient le plus sur les autres par des raisonnements contre les choses saintes de l'Eglise s'élancèrent dans le milieu et s'emparèrent du pouvoir; les autres, qui avaient moins de force dans leur argumentation, se retirè­rent sur les côtés à l'entour, et reconnurent pour leurs anges tutélaires ceux qui se tenaient au mi­lieu. Ainsi ils se lièrent ensemble en une forme de l'Enfer. l)

Il Y eut divers ébranlements suivis de tremble­ments de terre, dont la violence était en rapport avec leurs aversions; il se forma également des gouffres communiquant avec les Enfers; on vit alors des exhalaisons s'élever comme une fumée mêlée à des étincelles de feu.

Ces Signes précurseurs avaient été prédits dans nos Evangiles; on les comprenait et on les comprend encore dans le sens matériel, tandis qu'ils doivent être entendus dans le sens spirituel. En effet, ces prophéties ne nous annoncent pas un terrible ave­nir : le bouleversement de l'univers ou du moins la destruction de notre système solaire, et un dernier jugement prononcé sur toute l'humanité rassemblée dans la vallée de Josaphat; elles se sont accomplies dans le Monde invisible, du temps de notre Voyant et de la manière qu'il nous a décrite.

. •

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Nous ne pouvions pas deviner .ces événements surnaturels, par le fait même que ce domaine nous dépasse tant que nous sommes dans ce corps mor­tel; nous avons d'ailleurs la tendance de tout rame­ner à la vie terrestre, par conséquent d'attacher un sens littéral et naturel aux prédictions qui ne doi­vent se réaliser pleinement que dans leur sens allé­gorique et spirituel.

Les premiers chrétiens eux-mêmes ne furent pas exempts de ce défaut; ils avaient il est vrai pour ex­cuse leur ignorance et leur simplicité, tandis que, venus deux mille ans plus tard dans une société avancée au double point de vue de la science et de la critique, nous devrions être des sages et des intelligents. On aurait en particulier le droit de s'attendre à ce que les protestants, pour lesquels la Bible est l'autorité souveraine, eussent un principe clair et positif pour l'interprétation de leur recueil sacré; à ce qu'ils fussent bien d'accord sur ce prin­cipe; enfin à ce que ce principe lui-même, tout en respectant la lettre de l'Ecriture, évitât le littéra­lisme qui a fait tant de mal et consacrât l'absolue spiritualité de l'Evangile. Mais nous sommes encore singulièrement éloignés de cet idéal 1

* * * Quant aux Visites qui accompagnèrent les Signes

avant-coureurs du jugement de 1757, elles furent faites par les anges; « car, dit Swédenborg, lors­qu'une Société mal constituée va périr, la Visite précède toujours. D

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Et quel était le but de ces Visites? Ce ne pouvait être qu'un but de miséricorde. Les anges exhortaient les esprits demeurés jusque-là dans le Monde inter­médiaire à se désister de leur mauvaise voie, leur affirmant que sans cela ils iraient en Enfer. « Alors aussi ils examinaient s'il n'y avait pas mêlés parmi eux quelques bons, et ils les séparaient; mais la tourbe, excitée par ses chefs, les accablait d'ou­trages, s'élançant sur eux pour les entrainer sur la place publique et les traiter d'une abominable façon. Il en fut là comme à Sodome!. La plupart d'entre ces esprits avaient été de la foi séparée d'avec la charité; il y en avait aussi quelques-uns qui avaient professé la charité et vécu néanmoins d'une manière honteuse. ))

A la consommation de chaque ([ siècle,. ou « âge », c'est-à-dire à la fin de chaque Eglise, il se fait un pareil examen, qui sert à délivrer les justes jus­qu'alors mélangés avec les coupables, de sorte que les uns sont élevés au Ciel et les autres condamnés à la géhenne du feu. Nous trouvons le type historique de ces visites dans un récit de la Genèse. Deux anges viennent prendre Lot, sa femme et ses deux filles, les font sortird'une ville désespérément corrom pue, et les mettent à l'abri du cataclysme qui va fondre sur la superbe plaine du Jourdain. Ainsi déjà Noé, divinement averti, avait construit l'arche qui le sauva, avec toute sa famille, tandis que le Déluge anéantissait le genre humain.

t Du temps de Lot. Voir Genèse XIX.

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Dans le cas qui nous occupe, -l'intervention des anges ne semble pas avoir produit grand effet sur les esprits dont le sort n'était pas encore décidé. Car Swédenborg ajoute: Cl Les Visites et les Signes pré­curseurs du jugement qui allait arriver n'ayant pu détourner leur mental de leurs actes criminels, ni de leurs machinations séditieuses contre ceux qui reconnaissaient le Seigneur pour Dieu du Ciel et de la terre, regardaient la Parole comme sainte et menaient la vie de la charité, le jugement dernier survint. D ..

* .. Insistons, en passant, sur le fait que Dieu ne pré­

destine aucune de ses créatures à la damnation, que même il ne damne et ne juge personne. Ce sont les révoltés eux-mêmes qui se jugent et se condamnent; en choisissant le mal et le faux au lieu du bien et du vrai, ils ont implicitement choisi l'Enfer plutôt que le Ciel, en vertu de l'Ordre divin auquel l'univers est assujetti. Le méchant, quel qu'il puisse être, n'a donc à s'en prendre qu'à soi s'il est privé éternelle­ment du bonheur et de la gloire des anges. En dépit de son amour et de sa toute-puissance, le Seigneur tient en si haute estime notre liberté morale qu'il s'efface complètement devant elle, laisse à chacun de nous le soin de diriger sa conduite ici-bas, et par conséquent remet à chacun la détermination de son sort pour l'éternité.

Ajoutons pourtant que, dans ce monde et dan!> l'autre, il fait tout son possible pour qué nous ayons part au salut. Ceux qui s'en privent sont des rebelles

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en même temps que des insensés; ils contreviennent à la volonté fondamentale du Père de nos esprits, à son admirable plan de Rédemption qui s'étend à tous, même aux plus bas tombés. Ils repoussent la main qui leur est tend ue pour les retirer de l'abîme où ils s'enfoncent; ils dédaignent la seule puissance capable de régénérer leur âme et de transformer leur vie. S'il ne tenait qu'à Dieu, les Enfers n'existe­raient pas 1

* * * 3 0 Après tout ce que vous venez d'entendre, vous

ne vous étonnerez pas que le Voyant scandinave nous donne une description du jugement dernier de 1757. Ce qui recommande à mes yeux ce morceau, c'est d'un côté sa psychologie si juste et si profonde, de l'autre la manière inattendue et satisfaisante dont il explique des prophéties mystérieuses.

Voici donc comment se fit le jugement dernier au­quel Swédenborg eut seul le privilège d'assister:

« On vit le Seigneur, accompagné des anges, dans un nuage blanc, et on entendit de là comme un son de trompettes. C'était le Signe représentatif de la protection des anges du Ciel par le Seigneur, et du rassemblement des bons de tous les côtés; car le Seigneur ne cause la perte de personne, mais il dé­fend les siens et les retire du milieu des méchants. Les bons une fois retirés, les méchants succombent à leurs convoitises, et d'après ces convoitises se pré­cipitent dans les crimes de toute espèce.

» Ceux qui allaient périr apparurent alors ensem­ble comme un grand Dragon, qui avait une queue

, ,

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recourbée et élevée vers le Ciel, se développant en haut de diverses manières, comme s'i! voulait dé­truire le Ciel et le tirer en bas. Mais ce fut un vain effort; car la queue fut renversée et le Dragon, qui d'abord semblait aussi élevé, tomba.

» Il m'a été accordé de voir cette représentation pour que je sache et fasse connaître qui, dans l'Apo­calypse, est désigné par le Dragon. Or par le Dragon sont entendus tous ceux qui lisent la Parole, enten­dent des prédications et participent aux choses saintes de l'Eglise; mais qui regardent comme rien les con­voitises du mal, et pensent intérieurement vols et fraudes, adultères et obscénités, haines et vengean­ces, mensonges et blasphèmes. Ils vivent donc par l'esprit comme des diables et par le corps comme des anges. Voilà ceux qui constituaient le Dragon lui-même. Quant à la queue, elle était formée pa,' ceux qui, dans le monde, avaient professé la foi sé­parée de la charité, tout en étant semblables aux premiers quant aux pensées et aux intentions,

» Après cela, voici ce qu'i! me fut donné de voir: quelques-uns des rochers sur lesquels ils se tenaient s'affaissèrent jusqu'au fond des abîmes; d'autres fu­rent transportés au loin; d'autres fendus par le mi­lieu, et ceux qui étaient dessus précipités dans l'ou­verture; d'autres enfin inondés comme par un dé­luge. De plus, un grand nombre d'esprits furent assemblés comme en faisceaux, suivant les genres et les espèces du mal, et jetés çà et là dans des gouffres, des marais, des étangs et des déserts, tou t autant d'Enfers spéciaux.

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" Quant aux autres, qui ne se tenaient point sur les rochers, mais qui étaient dispersés de divers cOtés et vivaient néanmoins dans de semblables maux, ils s'enfuirent épouvantés vers les catholi­ques romains, les mahométans et les gentils, et se déclarèrent pour leur religion. N'ayant eu aucune religion, ils purent le faire sans scrupule. Cepen­dant, comme ils auraient pu les séduire, ils furent chassés et précipités dans les Enfers, vers leurs compagnons.

l> Telle fut leur destruction décrite d'une manière universelle; les particularités dont j'ai été témoin sont en trop grand nombre pour que je puisse les raconter ici. »

* * * 40 Le quatrième et dernier tableau du jugement

est intitulé: De la salvation des Brebis. Il nous pré­sente l'accomplissement final des intentions de Dieu à l'égard de ceux qui ne se sont pas soustraits au bénéfice de la Rédemption par le mauvais usage de leur libre arbitre.

Dès que le jugement dernier fut achevé, une vive joie se manifesta dans le Ciel et dans le Monde des Esprits.

La joie céleste est annoncée dans l'Apocalypse après la victoire qui doit être remportée par Michaël sur « le grand Dragon, le Serpent ancien, appelé le Diable et Satan. » Le prophète de Patmos entendit dans le Ciel une grande voix qui disait: « Mainte­nant le salut et la puissance et la royauté sont à notre Dieu, et le pouvoir à son Christ; car il a été

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,

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précipité de haut en bas, l'accusateur de nos frères, qui ne cessait jour et nuit de les accuser devant notre Dieu. Ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et par la parole de leur témoignage; ils n'ont point aimé leur vie; ils n'ont point reculé devant la mort. Ré­jouissez-vous donc, Cieux, et vous leurs habitants 1 »

Quant à la joie qui éclata dans le Monde intermé­diaire, Swédenborg l'explique en deux mots. Il y brilla, dit-il, «une lumière telle qu'il n'yen avait pas eu auparavant. » D'où provenait cette augmenta­tion de lumière? De ce que le Seigneur avait dissipé les Sociétés infernales, qui jusqu'alors, pareilles à de sombres nuages interceptant les rayons du soleil, répandaient les ténèbres sur la terre. Le narrateur ajoute: « Il s'est aussi levé pour les hommes, dans notre monde, une semblable lumière, d'après la­quelle ils ont une nouvelle illustration. 11

* * * Voici maintenant le sujet de cette sainte joie: «Je

vis retirer des lieux inférieurs et élever au Ciel un grand nombre d'esprits angéliques, qui étaient les Brebis du bon Berger. Ils avaient été conservés dans ces lieux et gardés par le Seigneur depuis des siè­cles, afin qu'ils ne pussent pas entrer dans la sphère maligne qui effluait des draconiens i, et que leur charité ne fût pas étouffée. Ils sont entendus dans la Parole par ceux qui sortent des sépulcres, puis aussi par les âmes de ceux qui avaient été mis à

l Elprit. qui, danala vision de saint Jean, formaient Je Dragon.

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mort pour le témoignage de Jésus, enfin par ceux qui appartiennent à la première résurrection. »

Et l'apôtre théologien s'écrie: CI Heureux et saint celui qui a part à la première résurrection 1 La se­conde mort n'a point de pouvoir sur ceux qui sont tels; mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et régneront avec lui pendant les mille ans ...

L'homme transformé en ange, le pécheur parvenu au bonheur età la sainteté, le croyant participant au sacerdoce et à la royauté du Seigneur, c'est la Rédemption réalisée. Gloire soit à Dieu pour son don ineffable 1

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QUATRIÈME LEÇON

Jugement et Rédemption. Le Rédempteur a dll être divin, mais revêtir l'humanité. Combat DOD oral, mais spirituel. Com­paraisons qui sont des raisons. Loi de ]'accommodation au milieu. Nul ne peut voir Dieu et vivre. La solidarité. L'in­carnation est le moyen pour atteindre le but du Père céleste. Supériorité de la christologie de Swédenborg. La Passion de la Croix est la dernière tentation du Seigneur. Sa glori­fication. Dans quel sens l'iniquité a été « portée ". Particu­larités symboliques de la Passion. Le sacrifice de soi unit à l'objet aimé. L'erreur fondamentale de l'Eglise. Toute la théologie devenue matérielle. Le « Trinmpersonnat ». Un Mémorable. Conclusion.

Le jugement dernier, - sujet sur lequel je vous ai retenus assez longtemps à cause de son intérêt plus qu'ordinaire, - fait partie intégrante de la Rédemption. « Toutefois, remarque Swédenborg, l'ordination appartient proprement à la Rédemp­tion, tandis que l'abaissement et la dispersion de l'Enfer appartiennent proprement au jugement der­nier. Ceux qui considèrent distinctement ces deux points peuvent voir beaucoup de choses qui, dans les prophétiques de la Parole, ont été cachées sous des figures, et cependant ont été décrites, pourvu que par l'explication des correspondances elles soient mi­ses dans la lumière de l'entendement. » Les compa-

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raisons, ajoute-t-il, ne peuvent illustrer que dans une très faible mesure ces deux œuvres divines.

Après avoir raconté CI l'inondation de l'Enfer sur tout le Monde des Esprits au temps de l'avènement du Seigneur, » Swédenborg aurait pu expliquer CI comment le Seigneur a ensuite remis toutes choses dans l'ordre tant dans le Ciel que dans l'Enfer; » mais il s'arrête en disant: « Ceci n'a pas encore été décrit par moi, parce que l'ordination des Cieux et des Enfers a duré depuis le jour du jugement der­nier jusqu'au temps présent, et dure encore; mais après la publication de ce livre f, si on le désire, elle sera donnée au public. Pour ce qui me concerne, quant à ce sujet, j'ai vu et je vois chaque jour comme en face la divine toute-puissance du Seigneur. »

* * * Pour ne rien exagérer, je reconnais franchement

que sur certains points importants Swédenborg est en désaccord avec la tendance actuelle de la théo­logie protestante, par exemple sur la Bible et son inspiration. J'en dirai autant de l'article quatre, dont nous avons déjà parlé: « La Rédemption a été une œuvre purement divine. » Cela signifie certai­nement que ni homme, ni esprit, ni ange n'eût été capable de l'accomplir.

Nous comprenons cette assertion et pouvons l'ad­mettre, maintenant que nous savons de quels actes transcendants, de quelles victoires surnaturelles se

1 La Vraie Religion chrétienne. Elle parut quelques mois avant la mort de l'auteur.

," l, 1" • •

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compose l'œuvre rédemptrice aux yeux du Voyant de Stockholm. Mais c'est précisément ce point de vue qui ne cadre pas avec la mentalité générale des pasteurs protestants, et surtout des professeurs de nos Facultés. La Rédemption a pour eux beaucoup moins d'envergure, elle se réduit à de bien moin­dres proportions; aussi peut-elle être opérée par un homme, différent de nous sans doute par son inno­cence et sa sainteté, mais pareil à nous par sa nature. Pour être le Rédempteur dans l'acception que Swé­denborg donne à ce mot, il faut au contraire possé­der l'essence divine, être personnellement un avec le Créateur de l'univers, exercer l'autorité souve­raine non seulement sur notre petit globe, mais dans les Cieux et dans les Enfers.

Cette notion biblique et surnaturelle du Rédemp­teur le rapproche singulièrement de nous et nous le rend nécessaire 1, tout en augmentant et portant au pl us haut point notre confiance en lui. En effet, Swédenborg compare les esprits infernaux à toutes les armées du monde, commandées par des chefs habiles et astucieux, aux bêtes féroces de toute la

1 Un Christ tout humain semble au premier abord plus rapproché de nous qu'un Christ à la fois Dieu et homme: pourtant il n~eD est rien. Un homme9 si grand qu'il soit. mort il y a deux mille ans, n'a pas l'ubiquité, ne saurait être personnellement en rapport avec chacun de nous, encore moins avec les païens qui ne le connaissent pas. Il ne peut agir sur noui que comme l'esprit de Socrate ou de saint Paul. Il n'est donc pas le Rédempteur et l"inspirateur de tous les mortels. Au contraire si Christ est Dieu, il n'y a pas de difficulté à croire qu'il a racheté tous les hommes, - ceux de toutes les terres, - et qu'il alit de l'intérieur à l'extérieur sur tous sans exception pour les amener au salut.

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J.

-280- i terre et à l'Océan faisant irruption dans les plaines et les cités; il fait comprendre ainsi de quels enne-mis Jésus a triomphé dans le Monde spirituel, puis 1 il conclut:

« Par une semblable puissance divine, le Seigneur combat aujourd'hui chez ceux qui sont régénérés; car l'Enfer les attaque tous avec une fureur dia­bolique, et, si le Seigneur ne 1 ui résiste et ne le dompte, il est impossible que les hommes ne suc­combent pas. L'Enfer est en effet pareil à un seul homme monstrueux ou à un lion féroce, auquel même les Ecritures le comparent. Si donc le Sei­gneur ne tenait ce lion ou ce monstre solide­ment enchaîné, il serait de toute impossibilité que l'homme, une fois arraché à un mal, ne tombât pas de lui-même dans un autre mal, et ensuite dans plu-SIeurs maux. »

* * * Si, comme nous venons de le voir, Dieu lui-même

a seul été capable d'opérer la Rédemption des hom­mes, d'autre part le Créateur n'aurait pu devenir Rédempteur sans revêtir l'humanité. C'est ce qu'ex­prime l'article cinq, ainsi conçu: « Cette Rédemption n'a pu être faite que par Dieu incarné :o. Swéden­borg affil·me donc la nécessité de l'incarnation.

Et voici, d'après lui, la cause de cette nécessité: « Jéhova Dieu, tel qu'il est dans son essence infinie, ne saurait approcher de l'Enfer, ni à plus forte rai­son y entrer; car il est dans les premiers [en d'autres termes, il vit dans la sphère la pl us élevée et la pl us pure]. C'est pourquoi, si seulement il soufflait sur

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les habitants de l'Enfer, il les tuerait à l'instant. Il a dit à Moïse qui désirait le contempler: Tu ne pour­ras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. Or, puisque Moïse ne l'a pas pu, à bien plus forte raison cela est-il impossible dans l'Enfer, où tous sont dans les derniers, ou dans ce qu'il y a de plus grossier et de plus éloigné du Divin; car ils sont naturels-infimes. Si donc Jéhova Dieu n'eût pas pris l'humain, se revêtant du corps naturel qui appartient aux derniers, c'est en vain qu'il e11t entre­pris une œuvre rédemptrice.

" En effet, qui peut attaquer un ennemi sans en approcher et sans être muni d'armes pour le combat? Ou qui peut chasser et détruire des dragons, des hydres et des basilics, dans un désert, sans avoir une cuirasse sur le corps, un casque sur la tête et une lance à la main? Ou encore qui peut harponner et tuer une baleine dans la mer sans un navire, et sans tout ce qu'on a coutume d'employer pour une telie capture?

D Ces exemples et d'autres semblables n'offrent pas une exacte comparaison, mais ils nous aident à comprendre que le Dieu tout-puissant n'aurait pu entreprendre le combat contre les Enfers, s'il n'avait auparavant revêtu l'humanité.

II Il faut toutefois se rappeler que le combat du Seigneur contre les Enfers n'a point été un combat oral, comme entre ceux qui raisonnent et discutent, - un tel combat n'y eût produit absolument aucun effet; - ce fut un combat spirituel, le combat du divin Vrai d'après le divin Bien. A l'influx de ce

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Divin, par l'intermédiaire de la vue, nul dans les Enfers ne peut résister. Il y a en lui une telle puis­sance qu'à sa perception seule les génies infernaux s'enfuient, se précipitent dans l'ablme et s'enfoncent dans les cavernes pour se cacher. »

C'est ce qu'Esaïe décrit en ces termes: Il Ils se réfugieront dans les cavernes des rochers et dans les crevasses du sol, à cause de la frayeur de Jéhova et de l'éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour épouvanter la terre. » L'Apocalypse dit également: « Ils se cachèrent tous dans les cavernes et dans les rochers des montagnes, disant aux montagnes et aux rochers: Tombez sur nous, et dérobez-nous à la vue de celui qui est assis sur le trône et à la colère de l'Agneau 1 »

fi. L'opuscule sur le jugement dernier fait voir quelle a été la puissance que le Seigneur tenait du divin Bien, quand il fit ce jugement en 1757. Par exemple, il arrachait de leur place des collines et des montagnes dont les infernaux s'étaient emparés dans le Monde des Esprits, et il les transportait au loin; il en faisait affaisser quelques-unes; il inondait d'un déluge leurs villes, leurs villages et leurs plaines; il renversait de fond en comble leurs terres, et les jetait avec les habitants dans des gouffres, des étangs et des marais, etc. Le Seigneur seul faisait tout cela par la puissance du divin Vrai d'après le di vin Bien. D

Swédenborg recourt de nouveau à diverses images pour montrer que Jéhova n'eût pu effectuer de telles choses sans avoir préalablement « pris l'humain »,

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descendant ainsi au mveau de ceux qu'il voulait sauver.

« Un être invisible, dit-il, ne peut en venir aux mains, ni entrer en conversation avec nous, sinon par quelque chose de visible; un ange ou un esprit ne saurait le faire avec l'homme, quand même il se tiendrait près de son corps et devant sa face. L'âme de quelqu'un ne peut non plus ni parler ni agir avec un autre, sinon par son corps. Le soleil avec sa lumière et sa chaleur ne peut entrer dans un homme, dans un animal ou dans un arbre à moins d'entrer auparavant dans l'air et d'agir au moyen de l'air. Il ne peut pas 110n plus entrer dans les poissons à moins d'y pénétrer à travers les eaux; car il doit agir par l'élément dans lequel se trouve le sujet. Nul non plus ne saurait écailler un poisson sans couteau, ni plumer un corbeau sans se servir de ses doigts, ni descendre au fond d'un lac sans une cloche à plon­geur. En un mot, chaque chose doit être accom­modée à une autre pour qu'il y ait communication, et pour qu'elle agisse avec ou contre elle. "

Ce n'est pas ici le cas de répéter le vieil adage : « Comparaison n'est pas raison D. Les figures ci-des­sus font plus qu'illustrer la thèse de notre théolo­gien : elles en prouvent la vérité par des exemples concrets; car, nous le savons, il y a correspondance entre ce monde et l'autre, celui de la matière et celui de l'esprit.

* * * Permettez-moi donc, mesdames et messieurs, de

revenir sur ces images afin de vous faire mieux

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suivre l'argumentation, à mon avis très originale, très scientifique et très convaincante, de Swéden­borg.

Les âmes humaines ne peuvent se transmettre leurs sentiments et leurs pensées sans employe .. comme instrument le corps qu'elles animent. De même un être appartenant au monde invisible -esprit, ange ou démon - ne saurait nous faire entendre sa voix, ou être perçu de nous d'une façon quelconque, sans recou .. ir à un intermédiaire sensible ou matériel. Le soleil à son tour - qui pour­tant fait partie de la nature - le soleil, que trente­huit millions de lieues environ séparent de notre planète, ne pourrait lui faire parvenir ses rayons lumineux et vivifiants, si l'éther et l'air, qui rem­plissent l'espace, ne se chargeaient de les lui appor­ter. 11 faut qu'il rencontre une atmosphère pour exercer sur les végétaux, les bêtes et les hommes son action bienfaisante; il faut qu'il traverse les eaux pour conserver la vie aux poissons. En d'autres termes, il doit s'accommoder aux différent. êtres qui dépendent de lui, il doit toujours agir à travers l'élé­ment que le sujet habite.

Nous avons là une loi générale, qui s'applique au Soleil des esprits autant qu'au soleil de notre sys­tème planétaire. Dieu n'a pu communiquer aux hommes la lumière et la chaleur célestes dont il est la source qu'en descendant à leur niveau, qu'en se dépouillant de sa transcendance, qu'en devenant en toute réalité un membre de notre grande famille. Il s'est vu forcé par l'Ordre universel- dont il est sans

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doute l'auteur, mais qui n'en est pas moins immua­ble - de revêtir notre nature terrestre comme un intermédiaire entre sa sainteté et notre corruption. De fait, à en croire les Ecritures, il a voilé sa gloire éblouissante en mêlant sa sublime essence à une individualité telle que la nôtre, à un organisme infirme et charnel. De toute nécessité il a dû s'in­carner, devenir par cet abaissement volontaire le « Fils de Dieu» et le ([ Fils de l'Homme », le « Fils unique », le 0: Divin Humain », afin de pouvoir exé­cuter l'immense sauvetage dont son incomparable amour avait conçu le projet '.

* * * Swédenborg en appelle à une autre loi, qui con­

cerne d'une façon toute spéciale la génération dont Jésus de Nazareth fit partie. L'Ecriture Sainte énonce le principe que nul mortel ne peut voir Dieu et vivre. Que veut dire cette formidable parole? Non pas sans doute que Jéhova est un tyran farouche se plaisan t dans la solitude, ou ne voulant être entouré que par

1 De tous côtés on repousse aujourd'hui l'infinité de Dieu.. son caractère absolu. Renouvier et les criticistes. y compris des protes­tants tels que Wilfred Monod et Henri Bois; les empiristes radicaux tels que William James; les pragmatistes tels que Schiller. etc., -tous ces penseurs essentiellement modernes, en réaction contre une métaphysique abstruse, dénient à la Divinité ses attributs transcen­dants, la font rentrer dans les limites du phénoménisme. Sans dis­culer cette ~rosse question, je remarquerai que Swédenborr concilie admirablement les deux points de vue opposés. Il conserve l"absoluité de Dieu; mais il enseigne en même temps qu'au moyen de l'incarna­tion Dieu descend dans le domaine du relatif, du temporel, du phéno· ménaI. Le Divin prend l'Humain; en conséquence. dans un membre de notre race, l'homme est vraiment divinisé.

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les anges, et faisant impitoyablement mettre à mort les hommes qui oseraient s'approcher de lui.

Cela signifie bien plutôt que des créatures comme nous, des créatures souillées et pécheresses seraient infailliblement consumées par un contact direct avec le Saint des saints, que le moindre souffle de sa bouche les ferait rentrer dans la poussière. Notre Dieu n'est-il pas désigné comme un «feu dévorant»? Nous ne saurions regarder fixement le soleil sans y perdre la vue; et si, par impossible, notre terre était projetée dans cet astre central, elle y serait rapide­ment enflammée, détruite, volatilisée par l'épouvan­table fournaise, sans qu'il restât aucun vestige de son existence passée. Ainsi en adviendrait-il de l'homme, être infime et perverti, s'il entrait en con­tact immédiat avec l'Eternel, le Soleil suprême, dont notre soleil n'est qu'un misérable reflet.

Or, si la Rédemption a dû avoir lieu dans l'accom­plissement des temps, c'est-à-dire quand le men­songe et le péché avaient atteint leur apogée, on comprend - n'est-il pas vrai? - que, pour l'exécu­ter, Dieu ait eu tout particulièrement besoin de voi­ler sa face glorieuse, de se dissimuler, pour ainsi dire, sous une personnalité terrestre ayant un corps de chair et d'os, avec toutes les limitations et les infirmités de notre nature.

* .. * A ces raisonnements, dont vous sentez assurément

là valeur, nous pouvons ajouter une considération qui les confirme. Notre époque est arrivée à com-

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prendre le fait de la Solida,'ité, si même elle n'a pas créé ce terme i. Grâce aux communications rendues si promptes, si faciles et si fréquentes entre les na­tions, les races, les continents, nous sentons, comme on ne l'a jamais fait, que les hommes forment un tout ou sont solidaires. Les inventions ou les décou­vertes de l'un appartiennent bientôt aux autres; les progrès scientifiques, industriels ou commerciaux réalisés sur un point du globe sont au bénéfice de toutes les contrées; une réforme politique, sociale ou religieuse, une vérité quelconque surgissant, par exemple, chez nous passera certainement en Alle­magne, en Amérique et, tôt ou tard, aux antipodes.

D'autre part, aucune idée ne peut se répandre dans les sociétés humaines sans qu'un homme l'ait conçue dans son cerveau et s'en fasse d'abord le par­rain; sans qu'elle trouve ensuite parmi les hommes des apôtres pour la faire connaître, la défendre et la propager par la parole ou par la presse.

De cette double expérienc·e - que nul ne songe à contester - nous pourrions déjà conclure, me semble-t-il, que, si Dieu se proposait de communi­quer à la famille humaine une vie supérieure, s'il voulait, en d'autres termes, la régénérer et la sauver, il se trouvait obligé d'en devenir membre ou de s'y incarner, afin d'agir sur elle comme nous agissons tous, du dedans et non du dehors, en vertu de la

1 Elle s'est du moin. accoutumée à remployer dans un sens non juridique, mais moral, économique, social et humanitaire, sens fondé sur la biologie, je veux dire sur l'incontestable unité des hommes de toute classe et de toute couleur.

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solidarité fraternelle qui lie entre eux tous les en­fants d'Adam.

Tout ceci tend à démontrer - pour autant que la chose est démontrable - que le salut de notre espèce n'était pas possible sans une incarnation du Divin. Du reste, cette incarnation n'était pas seulement annoncée par les prophètes d'Israël: elle était pres­sentie, préfigurée par la mythologie grecque et latine. L'élite croyante et fidèle d'un côté, de l'autre la multitude païenne découragée et inquiète, sen­taient plus ou moins vaguement que l'abime sépa­rant le Ciel et la terre devait être comblé; on atten­dait le « Désiré des nations]).

Cette aspiration universelle vers la grande inter­vention de Dieu, ce soupir de l'humanité déchue était sans doute bien peu conscient encore, bieu peu moral et bien peu religieux; mais l'homme, livré à lui-même, ne pouvait pas aller au delà. Il fallut l'ap­parition du Divin Humain, il fallut l'œuvre du Christ et celle de son Eglise pour que l'on comprit - du moins au sein de la chrétienté - combien l'incarna­tion était nécessaire et conforme aux lois du cosmos. Oui, à la lumière nouvelle que Jésus a projetée sur tout ce qui concerne l'âme, nous arrivons à voir clairement que le but du Père céleste devait être l'élévation de ses créatures libres jusqu'à lui, ou notre participation à la nature divine, et que le moyen pour atteindre ce but ne pouvait être que l'incarnation.

* * *

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Je tiens à rappeler ici - sans la répéter - l'expli­cation profonde et lumineuse que Swédenborg nous a donnée de la personne de Jésus-Christ. Jamais l'union du divin et de l'humain dans cette person­nalité hors ligne n'avait été présentée d'une manière aussi compréhensible et aussi satisfaisante; jamais théorie christologique n'avait tenu plus sérieuse­ment compte d'une part des textes scripturaires, d'autre part des exigences de la psychologie; jamais en particulier les passages relatifs à la Trinité n'avaient été si brillamment conciliés avec le mono­théisme pur, et la pleine divinité du Sauveur n'avait été si solidement établie, ni si hautement procla­mée. Ainsi, sur ce point capital, la doctrine du Pro­phète du Nord est plus orthodoxe que l'orthodoxie traditionnelle, tout en se soumettant scrupuleuse­ment aux lois de la logique et de la raison, trans­gressées d'une façon scandaleuse par les docteurs de l'Eglise, par les conciles et par les professions de foi.

* * * L'article que nous allons étudier n'entre pas

moins en conflit avec la théologie reçue au milieu de nous, mais au premier abord il semble enlever quelque chose au mérite du Rédempteur, par consé-

• quent affaiblir et diminuer le christianisme. Nous verrons d'ailleurs que c'est là une simple apparence. Voici quel est cet article six:

« La Passion de la Croix est la dernière tentation subie par le Seigneur comme très grand Prophète; elle est le moyen de la glorification de son humain,

SWiOENBORG III t9

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c'est-à-dire de l'union avec le Divin de son Père, mais elle n'est pas la Rédemption _ »

Je vous ai déjà dit, en passânt, que Jésus n'a pas accompli seulement une œuvre extérieure, mais qu'il s'y est joint une œuvre intérieure, non moins nécessaire, et même préalable, étant la condition de l'autre_ C'est cette œuvre intérieure que Swédenborg appelle la Glorification_

" Il Y a, dit-il, deux cboses pour lesquelles le Sei­gneur est venu dans le monde, et par lesquelles il a sauvé les bommes et les anges, savoir la Rédemption et la Glorification de son humain. Ces deux choses sont distinctes, mais elles font un pour le salut. Les articles précédents ont montré que la Rédemption a été le combat contre les Enfers, leur subjugation et ensuite l'ordination des Cieux. Quant à la Glorifica­tion, c'est l'union de l'humain du Seigneur avec le Divin de son Père; elle s'est faite successivement et a été complétée par la Passion de la Croix.

» Car tout homme doit s'approcher de Dieu, et autant il s'approche, autant Dieu entre en lui. Il en est de cela comme d'un temple: il doit d'abord être bâti, ce qui a lieu par la main des hommes; il doit être ensuite inauguré; enfin il faut prier Dieu d'y être présent et de s'y unir avec l'Eglise. Si l'union du Divin et de l'humain s'est consommée par la Pas­sion de la Croix, c'est parce que cette Passion a été la dernière des tentations subies par le Seigneur dans ce monde, et que la conjonction s'effectue par les tentations.

]) En effet, dans les tentations, l'homme est en ap-

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parence abandonné à lui seul, quoiqu'il ne soit point abandonné, Dieu alors étant au contraire très présent dans les intimes de l'homme et le soutenant. Lors donc que l'un de nous est vainqueur dans la tenta­tion, il se conjoint intimement à Dieu; c'est comme cela que le Seigneur s'est intimement uni à Dieu son Père. Que dans la Passion de la Croix le Seigneur ai t été [c'est-à·dire se soit cru] abandonné à lui-même, on le voit par son exclamation: Mon Dieu! pourquoi m'as-tu abandonné? et par les paroles suivantes: Nul ne me ravit mon âme, mais je la dépose de moi­même. J'ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprend're; j'ai reçu ce commandement de mon Père.

]) D'après ces explications, on peut voir que le Seigneur a souffert non quant au Divin, mais quant à l'humain, et qu'ainsi l'union est devenue intime, même plénière. »

« Ces deux choses - la Rédemption et la Passion - doivent être perçues distinctement; autrement le mental humain succombe, comme lorsqu'un navire se jette sur un banc de sable ou contre les rochers, et périt avec le capitaine, le pilote et les matelots. Cela signifie que le mental tombe dans l'erreur sur tout ce qui concerne la salvation. Car, sans une idée distincte de ces deux actions, l'homme est comme dans un songe et voit des choses vaines; il en tire des conjectures qu'il prend pour des réalités, tandis que ce sont des illusions. Il est encore semblable à celui qui marche pendant la nuit, et qui, saisissant le feuillage d'un arbre, s'imagine que ce sont les

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cheveux d'un homme, s'en approche de plus près et y entrelace ses propres cheveux. Mais, bien que la Rédemption et la Passion soient deux actions dis­tinctes, toujours est-il qu'elles font un pour le salut, puisque le Seigneur, pal' l'union avec son Père, -union que les souffrances ùe la Croix ont achevée, - est devenu Rédempteur pour l'éternité. »

Ayant ainsi soigneusement défini la Glorification, Swédenborg l'apporte plusieurs passages des Evan­giles où le Seigneur en parle lui-même. « Quand Judas fut sorti, Jésus dit: Maintenant le Fils de l' Homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Dieu aussi le glorifiera en lui-même, et il le glorifiera. bien­tôt. - Père, l'heure est venue: glorifie ton Fils, afin qu'aussi ton Fils te gIOl·ifie ... Je t'ai glorifié su,' la terre, j'ai achevé l'œuvre que tu m'avais donnée à faire; et maintenant glorifie-moi, Père, auprès de toi-même, de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût. - Père, glo"ifie ton nom' Alors il vint une voix du Ciel, qui dit: Et je l'ai glo­rifié et je le glorifierai encore. - Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire? » - Notre auteur remarque ici: « Dans la Parole la gloire, quand il s'agit du Seigneur, signifie le divin Vrai uni au divin Bien. D'après ces pas­sages, il est évident que l'humain du Seigneur est divin. " En effet, comme nous l'avons vu, sa glorifi­cation est une divinisation.

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Parvenu à la Passion du Calvaire, notre auteur la rattache à l'office prophétique de Jésus-Christ, et se livre à une argumentation fort digne d'être méditée, mais particulièrement difficile à suivre. Je valS pourtant la résumer aussi clairement qu'il me sera possible.

Jésus était appelé« prophète D et même « grand prophète D. Il dit lui-même: « Un prophète n'est sans honneur que dans sa patrie et dans sa mai­son. » Or les prophètes hébreux représentaient l'Eglise, telle qu'elle était de leur temps quant à la doctrine et quant à la vie; aussi accomplissaient-ils des actes iniques, cruels, parfois atroces, qui leur étaient ordonnés. Ainsi Ezéchiel est appelé à « por­ter l'iniquité de la maison d'Israël », puis à « porter l'iniquité de la maison de Juda ». Le prophète n'a pas réellement porté les péchés de son peuple, il ne les a pas enlevés, ni par conséquent expiés; cela ressort de la suite du chapitre. Il les a simplement représentés, ou portés symboliquement.

La prophétie assurément messianique d'Esaïe LIlI doi t être en tend ue de la même façon : « Il a pris nos maladies et il a porté nos douleurs. Jéhova a fait tomber sur lui l'iniquité de nous tous. Par sa science le Juste, mon serviteur, justifiera un grand nombre d'hommes, parce qu'il aura lui-même porté leurs iniquités. )

Etant prophète, le Seigneur a « représenté» dans ses souffrances l'état de l'Eglise juive quant à la Pa­role, comme le font voir toutes les particularités de

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sa Passion. Swédenborg explique ces particularités de là manière suivante:

« Sa trahison par Judas signifiait qu'il était trahi par la nation juive, chez laquelle était alors la Parole; car Judas représentait cette nation. Son arrestation et sa condamnation par les princes des prêtres et par les anciens signifiait que toute l'Eglise juive agissait ainsi. Lui donner des soufflets, lui cracher au visage, le fouetter et lui frapper la tête avec un roseau, cela signifiait qu'on en avait agi de même envers la Parole quant à ses divins vrais. La couronne d'épines qu'on lui mit sur la tête signifiait qu'on avait falsifié et adultéré ces vrais. Le partage de ses vêtements et le sort jeté sur sa robe signi­fiaient qu'on avait dispersé tous les vrais de la Parole, mais non pas son sens spirituel, symbolisé par la robe du Seigneur. Son crucifiement signifiait qu'on avait détruit et profané toute la Parole. Le vinaigre qu'on lui offrit à boire signifiait que tout était falsifié; aussi ne le prit-il pas. La blessure qu'on lui fit au côté signifiait qu'on avait complète­ment éteint tout vrai et tout bien de la Parole. Sa sépulture signifiait l'action de rejeter le reste de l'humain qu'il tenait d'une mère. Enfin sa résurrec­tion le troisième jour signifiait sa glorification, ou l'union de son humain avec le Divin du Père.

» D'après ces explications, il est évident que par porter les iniquités il est entendu non les ôter, mais représenter la profanation des vérités de la Parole. »

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Swédenborg recourt de nouveau à quelques images pour être plus aisément compris; car, il ne l'ignore pas, les personnes simples voient mieux par des comparaisons concrètes que par des déductions analytiques fondées sur l'Ecriture et sur la raison.

({ Tout citoyen ou sujet est uni à son roi par le fait qu'il se soumet à sa législation et exécute ses ordres; il l'est davantage s'il court des dangers pour l'amour de lui, et plus encore s'il meurt pour lui dans un combat. Pareillement un homme est uni à son ami, un fils à son père, un serviteur à son maître, en se conformant à leur volon té ; ils le sont davantage s'ils les défendent contre des ennemis, et plus encore s'ils luttent pour leur honneur. Celui qui désire épouser une jeune fille ne s'unit-il pas à elle en prenant son parti contre ceux qui la diffa­ment, et en s'exposant à être blessé par un rival? S'il y a union au moyen d'actes pareils, cela pro­vient d'une loi naturelle gravée dans les coeurs. Aussi le Seigneur dit-il: Je suis le bon Berger. Le bon Berger donne son âme pour ses brebis. Voilà pourquoi mon Pè're m'aime. »

C'est bien simple et en même temps bien profond 1 Rien ne prouve et ne développe l'amour autant que le dévouement, l'abnégation, le complet oubli de soi, le sacrifice même de sa vie. Rien par consé­quent ne lie davantage à l'objet aimé. Ainsi les dou­leurs, librement acceptées, de Gethsémané et de Golgotha ont consommé d'un côté l'union du Fils et du Père, de l'autre l'union du chef de l'humanité avec ceux qu'il a voulu nommer ses frères. Or cette

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double union était indispensable, nous le tous, pour que la Rédemption s'accomplit.

* * *

sentons

Nous arrivons à l'article sept, dans lequel Swé­denborg achève d'énoncer sa conception de l'œuvre rédemptrice, et condamne avec une indignation non déguisée la théorie irrationnelle et antiscripturaire imposée par les conciles, et soutenue avec une éton­nante unanimité par les grandes Eglises qui consti­tuent le monde chrétien.

Cet article septiéme et dernier était aussi clair et aussi courageux que possible, dans un siécle où l'intolérance n'avait pas abdiqué. En voici le texte:

Cl La croyance que la Passion de la Croix a été la Rédemption même est l'erreur fondamentale de l'Eglise. Cette erreur, - jointe à l'erreur sur les trois personnes divines de toute éternité, - a telle­ment perverti l'Eglise entière qu'il n'y reste plus rien de spirituel. »

* * * Pour soutenir sa thèse, Swédenborg dresse un acte

d'accusation contre la dôctrine courante. «Qu'est-ce qui de nos jours remplit et farcit les livres ortho­doxes; qu'est-ce qui est enseigné et inspiré avec le plus d'ardeur dans les lieux d'instruction; qu'est-ce qu'on prêche et déclame le plus fréquemment dans les chaires, sinon ce qui suit? Dieu le Père, irrité contre le genre humain, l'a non seulement éloigné de lui, mais encore enfermé dans une damnation universelle, par conséquent excommunié. Mais, par

i !

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une grâce spéciale, il a engagé ou incité son Fils à

descendre, à prendre sur lui la damnation qui avait été résol ue, et à apaiser ainsi la colère de son Père, ce moyen seul pouvant amener celui-ci à regarder l'homme avec quelque faveur. Le Fils a exécuté cette mission. Prenant sur lui la damnation de l'espèce humaine, il s'est laissé flageller par les Juifs, cra­cher au visage et ensuite crucifier comme malédic­tion de Dieu. Cette œuvre une fois accomplie, le Père est devenu propice, et par amour pour son Fils a retiré la condamnation, mais seulement de dessus ceux pour lesquels intercéderait le Fils, qui par là s'est fait Médiateur à perpétuité devant son Père.

» Ces raisonnements et d'autres semblables reten­tissent aujourd'hui dans les temples, et, répercutés par les murs comme l'écho par les forêts, ils rem­plissent les oreilles de tous les assistants.

» Mais quel est l'homme qui, s'étant fait d'après la Parole une raison éclairée et saine, ne voit qu'il n'en peut pas être ainsi? Dieu étant la Miséricorde ou la Clémence même, - puisqu'il est l'Amour même et le Bien même, - il Y a contradiction à soutenir que la Miséricorde même peut regarder l'homme avec colère et décréter sa damnation, tout en restant l'es­sence de Dieu. De tels raisonnements frappent à peine l'homme probe, mais ils sont accueillis par l'homme vicieux; ils n'atteignent point l'ange du Ciel, mais ils sont acceptés par l'esprit de l'Enfer. Il est donc abominable de les appliquer à Dieu.

» Toutefois, si nous en recherchons la cause, nous la trouvons dans la confusion qu'on a faite entre la

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Passion de la Croix et la Rédemption. De là provien­nent ces erreurs, comme d'un baril de vinaigre il ne sort que du vinaigre ou d'un mental insensé que des folies. Car d'un seul faux découlent des faux en série continue, ou d'une seule conclusion résultent des théorèmes de la même souche. De cette conclusion que Passion et Rédemption sont synonymes on peut encore extraire plusieurs propositions scandaleuses, qui portent atteinte à l'honneur de Dieu. »

* * * Swédenborg fait ici quelques réflexions dont vous

sentirez la justesse et l'importance. « Par cette idée de Dieu et de la Rédemption, dit-il, toute la théolo­gie, de spirituelle qu'elle était, est devenue basse­ment naturelle, et cela par le fait qu'on attribue à Dieu des propriétés purement naturelles. Cependant le tout de l'Eglise dépend de l'idée de Dieu, et aussi de l'idée de la Rédemption qui fait un avec le salut; car cette idée est comme la tête d'où procèdent toutes les autres parties du corps. Lors donc qu'elle est spi­rituelle, toutes les choses de l'Eglise deviennent spi­rituelles, et lorsqu'elle est naturelle, toutes les choses de l'Eglise deviennent naturelles. Or, l'idée de Dieu et de la Rédemption étant devenue purement natu­relle, c'est-à-dire sensuelle et corporelle, il en est de même de toutes les choses que chefs et membres de l'Eglise ont enseignées et enseignent dans leurs dog­matiques. Si de là on ne peut tirer que des faux, c'est parce que l'homme naturel agit continuellement contre l'homme spirituel, et qu'en conséquence il

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regarde les spirituels comme des chimères et de vains fantômes.

]) Ainsi, en raison de cette idèe sensuelle sur la Rédemption et par suite sur Dieu, les chemins pour aller au Ciel, - chemins conduisant au Seigneur Dieu Sauveur, - ont été investis par des voleurs et des larrons. Dans les temples, les battants des portes ont été renversés; dès lors les dragons, les hiboux, les Tsiims et les Iims i y sont entrés, et y font des concerts discordants.

]) Que cette notion de Dieu et de la Rédemption ait été introduite dans la foi d'aujourd'hui, cela est notoire. Cette foi consiste à s'adresser à Dieu le Père pour qu'il remette les péchés en considération de la croix et du sang de son Fils; à Dieu le Fils pour qu'i! prie et intercède; enfin à Dieu l'Esprit saint pour qu'il justifie et sanctifie. Qu'est-ce autre chose que de supplier trois dieux, chacun dans son ordre? Que pense-t-on alors du gouvernement divin? Dif­fère-t-i! d'un gouvernement aristocratique ou hié­rarchique, ou du triumvirat tel qu'i! fut une fois à

Rome? » Mais, au lieu de triumvirat, on peut l'appeler

Triumpersonnat. Et quoi de plus facile pour le Diable que d'y appliquer la maxime: Divise et com­mande? Il s'agit seulement pour 1 ui de partager les esprits; d'exciter des mouvements de rébellion tan­tôt contre un dieu, tantôt contre un autre, -comme

1 Swédenborg conserve ici deux mots hébreux, à cause de l'incerti­tude de leur signification. La Version Synodale les rend par animaux du désert et chacals.

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cela est arrivé depuis l'époque d'Arius jusqu'à pré­sent, - et de renverser de son trône le Seigneur Dieu Sauveur, à qui tout pouvoir appartient dans le Ciel et sur la terre, pour y placer un de ses clients [les clients du Diable] et le faire adorer à la place du Seigneur lui-même. »

* * * J'en ai fini, mesdames et messieurs, avec la Ré­

demption telle que Swédenborg l'explique didacti­quement dans son grand ouvrage, La Vraie Religion chrétienne, ou Toute la Théologie de la Nouvelle Eglise. Quoique j'aie cité notre réformateur plus longuement qu'à l'ordinaire, je ne trouve rien de mieux, pour compléter cet exposé, que de repro­duire un des quatre Memorabilia par lesquels il ter­mine cet important chapitre'. Comme d'habitude, je citerai exactement, en ne me permettant que de lé­gers changements de forme dans \"intérêt de la clarté et de l'élégance.

Mém.orable.

J'entrai un jour dans un temple du Monde inter­médiaire; plusieurs esprits y étaient assemblés et, en attendant la prédication, discouraient entre eux sur la Rédemption. Le temple était carré et sans au­cune fenêtre aux murailles; mais dans le haut, au milieu du toit, il y avait une grande ouverture par laquelle la lumière du Ciel entrait, donnant plus de

l Chapitre Il. Du Seigneur Rédempteur. - De 14 Rédemption. § tU-t31.

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clarté que s'il y avait eu des fenêtres sur les côtés'. Or tout à coup une nuée noire venant du nord cou­vrit l'ouverture, produisant une telle obscurité que les assistants ne se voyaient pas l'un l'autre, et que chacun discernait à peine sa propre main. Comme ces ténèbres subites les tenaient dans l'étonnement, la nuée noire se fendit par le milieu, et par la fente on vit des anges envoyés du Ciel. Ces anges écartè­rent la nuée des deux côtés, de sorte qu'il y eut de nouveau de la clarté dans le temple.

Ils envoyèrent ensuite l'un d'entre eux demander aux esprits assemblés sur quel sujet ils discutaient, pour qu'une nuée si épaisse fût venue leur enlever la lumière et les couvrir de ténèbres.

Ils répondirent: Sur la Rédemption. Nous disions que le Fils de Dieu l'a opérée par la Passion de la Croix, et que par cette Passion il a fait expiation, délivrant le genre humain de la damnation et de la mort éternelle. A ces mots, le messager céleste leur demanda: Qu'entendez-vous par la Passion de la Croix? Expliquez-nous comment elle a racheté les hommes.

Alors un prêtre s'avança et dit: Je vais exposer en série ce que nous savons et croyons. Le voici:

Irrité contre la race humaine, Dieu le Père l'avait damnée et exclue de sa clémence; il avait déclaré tous les hommes maudits, voués à l'exécration et destinés à l'Enfer. Cependant il voulut que son Fils

1 Cette disposition est reproduite dans la charmante Chapelle de l' Espoir~ élevée à rEvole, Neuchâtel, par Mlle M. Robert, et centre d'uDe œuvre admirable d'abstinence au profit des enfants du peuple.

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prit sur lui cette damnation. Le Fils y consentit: il descendit, prit l'humain, souffrit le supplice de la croix, transférant ainsi en lui la condamnation du genre humain; car il est écrit: Maudit est quiconque est pendu au bois d'une croix. Donc le Fils a rendu le Père propice en se faisant intercesseur et média­teur. Le Père alors, par amour pour le Fils, et tou­ché des douleurs inouïes qu'il le vit endurer, décida qu'il pardonnerait, mais seulement, - lui dit-il, -à ceux auxquels j'imputerai ta justice. D'enfants de colère et de malédiction j'en ferai des enfants de grâce et de bénédiction; je les justifierai et les sau­Yerai. Quant à tous les autres, qu'ils restent enfants de colère, comme il a été précédemment résolu 1

A l'ouïe de ces paroles, l'ange resta longtemps sans parler, car l'étonnement le rendait muet. Il rompit enfin le silence et s'exprima en ces termes:

Le monde chrétien peut-il être tellement fou, s'écarter de la saine raison pour de semblables rêve­ries, et tirer de ces paradoxes le dogme fondamental du salut? Qui ne voit que ces paradoxes sont diamé­tralement opposés A l'essence de Dieu, c'est-A-dire à son amour et A sa sagesse, en même temps qu'à sa toute-puissance et A sa toute-présence? Aucun maî­tre probe n'agirait ainsi envers ses serviteurs et ses servantes; même une bête sauvage ne le ferait pas envers ses petits. C'est abominable 1

N'est-il pas contraire A la divine essence d'annuler la vocation adressée A tous les hommes en général et à chacun en particulier? N'est-il pas contraire à la divine essence de changer' l'Ordre établi de tQute

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éternité, à savoir que chacun soit jugé selon sa vie? N'est-il pas contraire à la divine essence de retirer l'amour et la miséricorde à un seul homme, à plus forte raison à tout le genre humain? Comment Dieu serait-il ramené à la miséricorde à la vue des souf­frances endurées par son Fils, la miséricorde étant son essence, c'est-à-dire lui-même .l'éternité en éter­nité? N'est-il pas horrible de penser qu'il en soit ja­mais sorti?

D'autre part n'est-il pas impossible de transporter à une sorte d'entité', telle qu'est votre foi, la justice rédemptrice, qui en soi appartient à la divine omni­potence; de l'imputer ou de l'appliquer à l'homme, le déclarant, par cela même, juste, pur et saint? N'est-il pas impossible de remettre à qui que ce soit ses péchés, de transformer, régénérer et sauver qui que ce soit par l'imputation seule, changeant ainsi l'injustice en justice et la malédiction en bénédic­tion? Dieu pourrait tout aussi bien changer l'Enfer en Ciel et le Ciel en Enfer, ou le grand Dragon en Michaël et Michaël en Dragon, renouvelant leur combat en sens inverse. Pour cela il n'aurait besoin que d'enlever à l'un l'imputation que vous professez et de la donner à l'autre. S'il en était ainsi, nous qui sommes au Ciel, nous aurions éternellement à trembler 1

En outre, est-il conforme à la justice et au juge­ment que l'un prenne sur lui le crime de l'autre, que le criminel devienne innocent et que son crime

l Ou d'être; en latin en&.

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soit effacé? Cela ne contredit-il pas et la justice di­vine et la justice humaine?

Le monde chrétien ignore encore qu'il existe un ORDRE, et surtout il ignore en quoi consiste l'Ordre que Dieu a introduit dans le monde en même temps qu'il l'a créé. Or Dieu ne peut violer cet Ordre, puisqu'il agirait contre soi, étant lui-même l'Ordre.

Le prêtre comprit les paroles de l'envoyé du Ciel, car les anges qui étaient au-dessus avaient répandu dans le temple une lumière céleste. Il gémit alors et dit: Que faut-il faire? Tous aujourd'hui prêchent, prient et croient ainsi. Tout le monde a dans la bouche cette prière: 0 bon Père, aie pitié de nous et pardonne-nous nos péchés à cause du sang de ton Fils, répandu pour nous sur la croix. On dit au Christ: Seigneur, intercède pour nous. Et nous prê­tres, nous ajoutons: Envoie-nous l'Esprit saint.

L'ange répliqua: J'ai fait une observation. De la Parole, non comprise intérieurement, les prêtres tirent des collyres qu'ils appliquent sur les yeux aveuglés par leur foi, ou qu'ils mettent comme un emplâtre sur les blessures produites par leurs dog­mes. Néanmoins ils ne guérissent pas ces blessures, qui sont invétérées. Va donc vers celui qui se tient là, - et il me montra du doigt [dit Swédenborg] : -il t'enseignera d'après le Seigneur que la Passion de la Croix n'a pas été la Rédemption, mais l'union de l'humain du Seigneur avec le Divin du Père; que la Rédemption a été la subjugation des Enfers et l'or­dination des Cieux, et que sans ces deux actes, accomplis par le Seigneur pendant qu'il était dans

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le monde, il n'y aurait eu de salut pour personne ni sur la terre ni dans les Cieux. Il t'enseignera de plus l'Ordre introduit par la création, Ordre auquel il faut conformer sa vie pour être sauvé; il te dira que ceux qui vivent selon cet Ordre sont nommés Elus et mis au nombre des Rachetés.

Lorsque l'ange eut prononcé ces paroles, il se forma sur les côtés du temple plusieurs fenêtres, par lesquelles une lumière brillante influa des quatre plages de l'horizon. En ce moment, il appa­rut des chérubins qui volaient dans la splendeur de la lumière. L'ange fut enlevé vers les siens au­dessus de l'ouverture, et nous nous retirâmes tout Joyeux.

Conclusion.

Si toute cette conception de l'œuvre rédemptrice parait aujourd'hui nouvelle, même étrange, si nous avons grand'peine à l'accepter, c'est que, vivant dans un milieu médiocre et saturé de critique, entourés d'Eglises mondanisées, sans croyances précises et sans travail sérieux de réforme, nous avons perdu de vue l'Evangile primitif. Sans doute nous le con­naissons, nous en faisons un fréquent usage liturgi­que et homilétique, mais nous négligeons de nous demander si nous l'avons compris. Nous n'avons pas même l'idée qu'il puisse renfermer sous sa lettre un sens supérieur, spirituel et céleste, applicable à tous les lieux et à tous les temps. C'est ce sens interne que Swédenborg est chargé de nous révéler, et qui

swtDENBORG III 20

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1 ui permet de construire tout à nouveau l'édifice de la théologie chrétienne: doctrine et morale.

Nous venons de voir en dernier lieu comment il explique la Rédemption, quelle réalité grandiose, surnaturelle, vivante, actuelle et universelle il a dé­couverte sous ce terme en général mal entendu. Cette Rédemption n'a pas de quoi nous effrayer et nous décourager; elle n'est pas un problème inso­luble, qui défie notre pensée et paralyse notre rai­son. Il est incontestable qu'elle nous impose la plus grave des responsabilités, en nous laissant libres d'employer notre existence à faire du bien ou à faire du mal, et en remettant à chacun de nous la décision de son sort éternel. Mais avant tout elle est une œuvre de grâce, de réconciliation et de relève­ment. Sa révélation est l'Evangile, la Bonne Nou­velle par excellence 1

Dieu, dans son insondable amour, est descendu jusqu'à sa créature déchue et rebelle pour l'élever jusqu'à lui; il a fait tout ce qui était possible, - et ce qu'aucun de nous n'aurait imaginé, - pour que nous soyons affranchis du péché, de la misère et de la mort. Nous avons peine à y croire fermement, pratiquement, pleinement, tant cela surpasse notre point de vue terre à terre, et la philosophie tout humaine, et la religion naturelle, et même les autres religions positives. Cependant nos besoins les plus intimes, les plus purs et les plus doulou­reux, nos aspirations les plus élevées rendent té­moignage à ce plan d'amour. Croyons donc, sans scrupule du cœur ni de l'intelligence, qu'il s'est

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accompli extérieurement pour l'humanité dans son ensemble, qu'il s'accomplit intérieurement en nous dans la mesure où nous consentons à y collaborer, qu'il s'accomplira toujours plus glorieusement dans le Monde spirituel d'éternité en éternité, Oui, mon vœu sincère en terminant, c'est que tous nous soyons transformés à l'image du Seigneur Jésus­Christ par notre foi à la Rédemption,

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CINQ UIÈME LEÇON

La Mort du Christ.

Les objections sérieuses. La principale seulement: La valeur unique du sang de la Croix est méconnue. Réponse. Crédo nouveau pour une Eglise nouvelle. Soumission à la Parole de Dieu, mais interprétation symbolique. La Passion a pour enjeu la destinée de l'humanité. Sa nécessité reconnue par Jésus. Le pardon acheté. Deux justices. Equivalence inac­ceptable. Pourquoi le Sauveur a-t-il dû mourir ainsi? Parce qu'il était homme. Parce que sa sainteté le rendait dange­reux. Trois degrés du bien. L'humanité verse le sang des prophètes. Le Christ a compris cette loi. Sévérité inouïe de sa parole. Vérité objective et subjective. Rareté de cette indépendance de langage. Jésus unique de deux manières. Essence du christianisme. Dieu cachant sa face. Couronne­ment de l'obéissance filiale. Moyen ou condition sine qua non. Rançon payée à la nature des choses. Deux notions écartées : a) Rançon payée au Diable. b) Rançon payée à Dieu. Il faut une explication non juridique, mais morale. Scandale et folie de la Croix. Point culminant de l'œuvre rédemptrice. Le Bon Berger. Rôle de la mort dans les actes d'héroïsme. Notre régénération rendue possible, mais non superflue. Tout est accompli hors de nous et doit s'accom­plir en nous. Alors seulement Dieu est SA TISF AIT. Ré­demption digne de l'homme. Non doctrine, mais réalité, d'abord extérieure, puis intérieure. Paix, avant-goût du Ciel.

Pour éclaircir encore l'exposé, d'ailleurs complet, que j'ai fait de la Rédemption, j'aurais voulu exami­ner avec vous les principales objections qu'on adresse

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à la théorie de Swédenborg. Je ne parle que des ob­jections sérieuses, qui ne proviennent pas d'un ma­lentendu et dont je sens moi-même la force. Les objections superficielles dénotant l'inintelligence de la pensée de notre écrivain sont beaucoup plus fa­ciles à réfuter; mais j'ai mieux à faire que d'y fixer votre attention. Quant aux objections réelles, je crois aussi pouvoir y répondre d'une façon satisfaisante. Je dois l'avouer pourtant, dans un domaine si élevé et si mystérieux, dans ces questions qui touchent à ce que la foi chrétienne a de pl us transcendant et de plus sacré, ce qui est preuve pour l'un ne l'est pas pour l'autre, et chacun se décide moins par des rai­sonnements que par ses intuitions. Ce n'est pas à dire que les raisonnements soient inutiles. Les es­prits altérés de vérité, - or je pense que vous êtes du nombre, - peuvent toujours se laisser instruire; ils peuvent passer d'une croyance étroite et vieillie à une croyance large et spirituelle, digne d'un siècle beaucoup plus instruit que les précédents et sachant mieux réfléchir.

Les objections sérieuses sont ici au nombre de trois. La première a trait à la mort du Christ, la se­conde à l'expiation, la troisième à la Nouvelle Eglise. Mais, pour ne pas prolonger induement ce cours, je renonce à développer ce que j'ai déjà dit sur les deux derniers sujets. Je préfère me limiter au pre­mier, qui me parait le plus important, et lui consa­crer toute notre leçon d'aujourd'hui.

* * *

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La première objection - qui s'élève non du camp des libres penseurs, mais du cœur des chrétiens -est celle-ci: « Vous annulez la mort du Christ, cette mort sanglante par laquelle il a tout accompli. Vous n'en faites pas même un des éléments de la Rédemp­tion ; vous ne la considérez que comme la dernière des tentations dont le Seigneur a triomphé. Pour­tant la Croix, qui en a été l'instrument et qui la symbolise, a toujours passé pour l'autel expiatoire où la victime pure s'est offerte librement pour le sa­lut du monde; elle rappelle donc l'heure décisive où la victoire a été remportée sur les ennemis de l'hu­manité par son divin représentant. Cette potence d'ignominie est devenue non seulement pour l'Eglise, mais pour les peuples les plus différents, le signe glorieux de la Rédemption. Or nous ne trouvons pas dans votre doctrine cette affirmation du salut par le sang de la Croix. Vous ne donnez pas aux souffrances et à la mort de Jésus la place centrale, la valeur souveraine qu'elles ont dans l'Ecriture Sainte et dans la dogmatique des Eglises chrétiennes; vous les reléguez à l'arrière-plan. Voilà pourquoi votre théorie nous parait contraire à l'Evangile, par con­séquent fausse, hérétique et dangereuse. »

* • * A cette objection, aussi grave qu'elle est naturelle,

j'ai bien des choses à répondre. En premier lieu, je ne vous ai point dissimulé le caractère original, hé­térodoxe, inattendu de la théorie de Swédenborg sur la Rédemption. Sur ce point essentiel comme sur

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beaucoup d'autres, le penseur suédois se distingue des protestants aussi bien que des catholiques. Les théologiens cherchent presque toujours à justifier les dogmes de leur Eglise respective; Swédenborg s'applique, au contraire, à corriger le crédo de la sienne, ou plutôt, - à l'instar de Luther et de Cal­vin, - il formule un crédo nouveau pour une Eglise nouvelle. Hardi novateur, il attaque calmement, mais sans ménagement aucun, les dogmes irration­nels et surannés que l'on professe autour de lui. Ne nous étonnons pas que les défenseurs attitrés de la tradition cléricale, et même que les gens pieux ac­coutumés à ne pas penser librement, soient attristés, choqués, révoltés de pareilles innovations.

Mais, s'il rompt en visière avec les doctrines régnantes, notre auteur ne rejette pas pour cela l'autorité de la Parole de Dieu. C'est précisément pour être fidèle à cette Parole qu'il combat les ex­plications fournies par les docteurs, et qu'il avance des théories qui s'en écartent. Loin de s'insurger contre la révélation, il l'accepte avec le plus profond respect. Il veut rester et certainement il reste bibli­que, aussi biblique, je dirai même aussi théopneuste que les orthodoxes de la plus belle eau.

Seulement il comprend la Bible à sa manière. Il apporte un nouveau critère pour déterminer ce qui est « Parole de Dieu ». Il interprète les textes sacrés avec une méthode qu'on a pressentie dès l'origine et fréquemment appliquée, mais à laquelle il est le premier à donner une rigueur scientifique. Je veux parler du symbolisme ou du sens spirituel fondé Sur

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la correspondance du visible et de l'invisible. On peut sans doute défendre le système swédenborgien tant par des arguments rationnels que par des pas­sages bibliques pris dans leur acception littérale; cependant, pour le légitimer pleinement, il faut s'appuyer aussi sur la signification spirituelle des textes en question, j'entends des textes sur lesquels repose la dogmatique reçue. Je n'ai pas renoncé à cette dernière argumentation; mais elle ne porte pas comme je le voudrais, par le fait que le point de vue de Swédenborg sur la sainte Ecriture ne vous a pas encore été exposé à fond.

* * * Cela dit, voyons quelle valeur le dogmaticien de

Stockholm attribue à la Passion du Sauveur. Rappe­lons d'abord, en deux mots, que cette Passion est le drame le plus poignant et le plus tragique dont l'histoire ait conservé le souvenir, la lutte la plus terrible et la plus grandiose qui se soit jamais livrée dans une âme humaine. Car ce qui était en jeu, ce n'était pas une existence individuelle, c'était la des­tinée de l'humanité, et Jésus en avait pleinement conSCIence.

* * * Sans m'arrêter à cette observation, ce que je tiens

à relever ici, c'est que la Passion était nécm;saire. Le Seigneur l'a considérée comme telle, et c'est ainsi que l'avaient présentée les prophètes de l'Ancien Testament. Il s'y est soumis comme à la volonté de son Père, opposée à sa volonté propre, comme à une

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loi sage et bonne, mais inexorable et douloureuse: dura lex, sed lex.

A partir d'un certain moment, « Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem, qu'il y souffrît beaucoup de la part des anciens, des principaux prêtres et des scribes, qu'il tût mis à mort et qu'il ressuscitât le troisième jour. - Il faut que le Fils de l'Homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté, etc. - Voici, nous montons à Jéru­salem, et toutes les choses qui ont été écl"Ïtes par les prophètes au sujet du Fils de l'Homme s'accompli­ront. Car il sera livré aux gentils, on se moquera de lui, on l'outragera, on crachera sur lui, et, après ravoir battu de verges, on le fera mourir. li

Devant le tombeau vide, les deux anges en vê· tements brillants comme l'éclair rappelérent aux saintes femmes ce que le Seigneur leur disait en Galilée: « Il faut que le Fils de l'Homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisiéme jour. » Le ressuscité ne fut pas moins explicite. Sur le chemin d'Emmaüs, il reprit ses deux compagnons de route en leur disant: « Hommes dépourvus de sens, lents à croire tout ce qu'ont dit les prophètes 1 Ne fallait-il pas que le Christ passât pal' ces souffrances pour ent1'er dans sa gloire? l> Et dans le dernier entretien qu'il eut avec les Onze d'après l'Evangile de Luc: «Il est écrit, leur dit-il, que le Christ devait souffrir et qu'il ressuscite­rait le troisième jour. ])

Ainsi nous sommes d'accord avec l'Eglise univer­selle pour reconnaître que la Passion de Jésus-Christ

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était inévitable, qu'elle formait partie intégrante du plan de Dieu, que le Rédempteur l'envisageait lui­même comme le couronnement de son ministère, la consommation de son œuvre d'amour.

* * * En résulte-t-il logiquement que ce supplice épou­

vantable ait constitué la Rédemption, qu'en s'y sou­mettant Jésus ait payé notre dette, fait satisfaction pour les péchés de l'humanité, rendu Dieu propice à ses enfants rebelles et rouvert à ceux-ci le chemin du Ciel? En un mot, la Passion est-elle vraiment, comme on l'a cru jusqu'ici, l'acte rédempteur par excellence?

Je ne le pense pas. S'il en était ainsi, Jésus aurait souffert pour apaiser le Père céleste à l'égard des coupables, pour détourner d'eux sa juste vengeance, pour 1 ui donner le plaisir de frapper une victime quelconque, fût-ce la plus parfaite, à la place des révoltés.

Dans ce cas, d'un côté le Dieu de l'Evangile serait moralement inférieur au Dieu du Sinaï; car il ne se montrerait pas «clément, miséricordieux, lent à la colère et abondant en grâce., sa justice primerait de beaucoup sa bonté. Il aurait soif du sang humain. Il exigerait une compensation rigoureuse, un sacri­fice expiatoire d'un prix infini avant de pardonner les péchés. Son pardon serait alors acheté, et non gracieusement octroyé, ce qui forme une contradic­tion dans les termes.

D'un autre côté, la justice divine serait totalement

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différente de la nôtre, j'entends de celle que nous imposent à la fois notre conscience et notre raison. En effet, quel tribunal terrestre, quel autocrate régnant sur un peuple civilisé, ou même sur des sauvages, tiendrait pour légitime l'échange d'un malfaiteur condamné à la peine capitale contre un citoyen honorable et sans tache, contre le bien­faiteur de son pays? Quelle âme honnête serait à l'aise en présence d'une telle substitution? Commen t oserait-on prétendre que les lois ont été appliquées, la justice satisfaite, le mal expié, la vertu récom­pensée? A u reste, la sécurité de la nation ne serait­elle pas compromise par l'impunité accordée au pire des scélérats, par la liberté qu'on lui aurait rendue sans qu'il manifestât le moindre repentir de ses crimes?

* * * Pour examiner la question sous une autre face,

quel rapport direct y aurait-il entre les souffrances du Christ et la Rédemption? On me dira peut-être: «Les hommes ont mérité les tourments sans fin. Nous devrions les subir, si Jésus n'avait attiré sur 1 ui une punition équivalente, et, par cette héroïque substitution, obtenu du divin Juge la rémission de tous nos péchés. J)

Je réponds: L'Equivalence établie par Anselme, à la fin du onzième siècle, entre les supplices que tous les pécheurs auraient dû supporter, aux siècles des siècles, dans les flammes de l'Enfer et les douleurs endurées par le Messie, pendant quelques jours ou plutôt quelques heures à la fin de sa carrière ter-

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restre, - cette équivalence exacte et juridique nous apparalt aujourd'hui comme une conception arbi­traire, malheureuse et tout à fait inacceptable. C'est là une de ces théories scolastiques dont le bon sens moderne ne peut tolérer la logique fausse et cruelle.

Non, Dieu n'est pas ce monarque irrité, ce juge implacable réclamant jusqu'au dernier quadrain une certaine somme de souffrances, somme énorme, incalculable, effrayante, qui formerait en quelque sorte la dette de la famille humaine. Souverainement bon et miséricordieux par nature, il ne saurait être altéré de vengeance; il n'aspire point à faire couler le sang et les larmes soit des transgresseurs eux­mêmes, soit de leur courageux et parfait Médiateur.

Pour être à la hau teur des idées morales de notre époque, supérieures assurément à celles du moyen âge, il faut que la Rédemption ait pour but non d'infliger à l'Agneau de Dieu les douleurs et la mort que notre race perverse avait méritées, mais de con­vertir et régénérer les coupables, de les rendre propres au royaume des Cieux. Le caractère de Dieu, tel que nous le comprenons aujourd'hui, exige que son pardon soit un pardon véritable, c'est-à-dire un don, une pure grâce, non le résultat d'un marché. Il exige d'autre part que ce pardon soit absolument moral, qu'il ne déploie pas ses effets indépendam­ment de la repentance, qu'il n'encourage point à persister dans le mal, qu'il éveille et fortifie au con­traire la volonté du bien. Aucune théorie de la Rédemption ne me paraît répondre aussi complète-

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- 31.7 -

ment que celle de Swédenborg à ces postulats de la pensée contemporaine.

* * * Mais, si Jésus n'a pas souffert dans le but de satis­

faire à notre place la justice de son Père, pourquoi donc a-t-il souffert? Pourquoi ces quelques jours de souffrance exceptionnelle se terminant par le supplice le plus déshonorant et le plus angoissant? Dirons­nous que ce supplice a dû s'accomplir parce qu'i! était annoncé par les prophètes hébreux et par les rites symboliques de l'ancienne alliance, et parce que Jésus lui-même en avait prévenu les siens? Il serait plus juste de dire qu'il fuI annoncé parce qu'il devait avoir lieu. Mais quelle était la cause de cette nécessité? Pourquoi le Sauveur a-t-il dû souf­frir et mourir ainsi?

* * * Il a souffert tout d'abord parce qu'i! était homme.

La souffrance est l'inévitable loi de notre race déchue. Job a dit: «L'homme est né pour souffrir comme l'étincelle pour voler. D S'incarner dans un fils d'Adam, c'était donc, pour le Verbe divin, accepter sa part des souffrances de l'humanité.

Mais il y a plus. La société ne supporte pas les êtres exceptionnels soit en mal, soit en bien. Ceux que le vice ou le crime rend dangereux pour les autres, elle leur ôte la possibilité de nuire, elle les retranche par la prison, les galères, le bannissement, la mort. Elle pourvoit ainsi à sa propre sécurité. La mort par la corde, les clous, les pierres, le fer et

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,

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le feu, la mort prompte ou lente, précédée de tor­tures plus ou moins raffinées, la mort est la peine suprême, le grand moyen de préservation. Voilà pour les méchants qui dépassent la mesure.

Quant aux bons, la société ne les aime pas davan­tage, lorsqu'ils se distinguent non seulement par leur activité charitable, mais par leur courage à dénoncer l'hypocrisie des dévots, les tricheries en affaires, les lâchetés politiques, l'égoïsme et la fierté des riches, l'incurie et l'alcoolisme des prolétaires, et par leur persévérance à réclamer des réformes dans l'Eglise et dans l'Etat, dans les rapports entre patrons et ouvriers, etc. Ces bons-là sont aussi re­gardés comme dangereux, presque à l'égal des voleurs et des assassins. Ils sont effectivement dangereux pour beaucoup d'individus qui profitent des abus et des injustices, qui réussissent en foulant aux pieds les principes de la morale et dont la fortune serait compromise par les réformes.

* * * Swédenborg nous apprend à discerner trois es­

pèces de bien, qui sont comme trois étages super­posés: le bien naturel, le bien spirituel et le bien céleste. Nous avons vu en quoi ces trois degrés con­sistent; je n'y reviens pas pour le moment. Je me borne à constater que plus un homme s'élève sur l'échelle du bien ou de la vertu, moins il est compris, apprécié par la masse. On se rend populaire avec une honnêteté moyenne. Les dons matériels, les générosités financières font bon effet. Quelle que soit

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la manière dont ils se sont enrichis, les millionnaires' peuvent, s'ils le veulent, passer pour philanthropes. Mais qu'un homme apporte à ses frères une vérité spirituelle, une révélation sur le caractère de Dieu ou sur la vie future, ou simplement une plus haute conception du christianisme, qu'avec cela et par­dessus tout sa conduite soit inspirée par des mobiles plus purs, plus religieux: il provoque infailliblement des méfiances, une opposition sourde ou violente, une haine opiniâtre. La multitude, esclave de ses passions grossières, le regarde comme son ennemI.

* * * Instruit par les annales de son peuple et par sa

propre expérience, Jésus ne se fait à cet égard aucune illusion. Il rappelle que «depuis la création du monde» l'humanité a« versé le sang des prophètes D,

et il cite cette parole qu'il attribue à «la sagesse de Dieu»: «Je leur enverrai des prophètes et des apôtres; ils tueront les uns et chasseront les autres. 1>

Il annonce à ses disciples que, comme les hommes de Dieu des temps anciens, ils seront « persécutés pour la justice D.

Cette idée se retrouve dans l'Apocalypse, où l'ange des eaux s'écrie: « Ils ont répandu le sang des saints et des prophètes, et tu leur as donné du sang à boire. Ils en sont dignes! D Et l'EpUre aux Hébreux résume l'histoire antérieure au Sauveur, en nous montrant les héros de la foi « exposés aux moqueries et aUJ: verges, jetés dans les fers et dans les cachots, lapi­dés, sciés, torturés, mourant par le tranchant de

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l'épée ou pal' les supplices, errant dans les mon­tagnes et dans les déserts, couverts de peaux de mouton ou de chèvre, dénués de tout, persécutés, maltraités, eux dont le monde n'était pas digne 1 D

Voilà quelle est l'inimitié du monde, même en Israël, contre les envoyés du Dieu saint.

* * * Ainsi, à côté des souffrances ordinaires, don t

chacun de nous a fatalement ou plutôt providen­tiellement sa part, petite ou grande, l'histoire nous fait voir que des épreuves exceptionnelles sont ré­servées aux bienfaiteurs publies: initiateurs, réfor­mateurs, prophètes et apôtres. Les audacieux cham­pions de la vérité, de la liberté et du progrès ont toujours rencontré la persécution, et c'est de leur sang qu'ils ont fécondé la terre.

Jésus a compris cette austère condition du succès pour toute grande œuvre spirituelle, et il l'a résolu­ment acceptée pour lui-même. Plus saint et plus intrépide que les Nâbis t qui l'avaient précédé, il a 'j

su qu'il encourrait plus qu'aucun d'eux le ressenti­ment des fanatiques, des fourbes et des ambitieux qui dominaient la nation juive. Il a souffert comme prophète, et même comme «très grand prophète», avons-nous vu. Oui, s'il s'est fait des ennemis, c'est par sa parole. Il s'est exposé par sa franchise, par l'étonnante hardiesse avec laquelle il rendait té­moignage à la vérité.

t Nâbis, Dom hébreu. des prophètes.

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Il avait une vue plus claire qu'aucun autre des droitsde Dieu et des devoirs de l'homme, de la voca­tion des Israélites et de l'idéal qui leur était proposé; il avait en conséquence un sentiment plus doulou­reux du péché de l'humanité, du caractère formaliste et matériel de la religion juive, de l'orgueil domina­teur des chefs de la théocratie, bref de la profonde décadence de sa nation au point de vue de la foi et de la vie.

* * * Très grand prophète, il l'était certainement; car,

comme le sacerdoce et la royauté, le prophétisme trouvait en lui sa réalisation parfaite. N'était-il pas la Parole même de Jéhova ? Mais il ne se contentait pas d'enseigner des vérités plus hautes, d'enflammer les cœurs de ceux qui comprenaient la spiritualité de ses révélations et la touchante largeur de son amour: il attaquait le mal sous toutes ses formes; il démasquait sans ménagements le mensonge et l'erreur.

Il s'indignait de ce qui paraissait tout simple. Ainsi nous le voyons chasser du temple, par sa seule autorité prophétique, des trafiquants tenus pour de très braves gens. Sa sévérité est inouïe, même après les accusations si véhémentes de Jean-Baptiste. Vous vous rappelez quelles apostrophes sanglantes il adresse aux sommités religieuses de son pays, aux bigots les plus admirés et les plus puissants. Il ne craint même pas d'appeler Hérode « ce renard ».

Vraiment « jamais homme ne parla comme cet homme", non seulement quant au divin message

SWEDENBORG III !i

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dont il était porteur, quant à l'éloquence et l'autorité, au pouvoir de convertir etde régénérer, mais encore quant à la rude sincérité, à l'intrépide audace. II n'a pas peur d'exaspérer ceux qui, humainement parlant, peuvent tout contre lui. II est la vérité subjective, la véracité, autant que la vérité objective, ou la révé­lation de ce que l'homme doit être. II fait son office de prophète, il dit tout ce qu'i! est tenu de dire, sans s'inquiéter des conséquences. II voit s'amasser l'orage d'où va sortir la foudre: n'importe 1 II sait qu'i! va être saisi, condamné, crucifié: tout cela ne

• l'arrête pas. II fait d'avance le sacrifice de sa vie; il aime les siens, les hommes, la cause de Dieu, jusqu'à la mort, à la mort même de la Croix 1

* * * C'est en cela, je pense, qu'il eut le moins d'imi­

tateurs. Ce n'est pas que les martyrs aient fait défaut parmi les disciples du Crucifié; ils ont été, au con­traire, beaucoup plus nombreux au sein du christia­nisme que dans toute autre religion. Les annales des missions en particulier suffiraient à proclamer leur héroïsme. Mais dans la chrétienté même il en est allé tout autrement. Dans quelle Eglise les pas­teurs se sont-ils compromis par leur intrépidité morale? Où sont les prêtres accoutumés à blesser volontairement les grands et le peuple, les savants et les ignorants, les ecclésiastiques et les théologiens, dans la mesure où ceux-ci se montrent intéressés et sensuels, vaniteux et rusés, ambitieux et despotiques? Où trouver parmi nous la généreuse imprudence

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des prophètes et de Jésus-Christ, leur indépendance de langage vis-à-vis de toutes les autorités humaines, leur religieuse intransigeance? C'est cette vertu positive qui nous manque le plus, et cette lacune est la cause principale du discrédit actuel de l'Eglise chrétienne,

* * * Dans le Seigneur - dont les meilleurs d'entre

nous restent si éloignés à ce point de vue - la vie était à la hauteur des croyances, le caractère égalait le génie ou plutôt l'inspiration. Sa sublime doctrine était devenue sa chair et son sang. Pour rendre un témoignage fidèle à la Vérité, dont il se savait la personnification, il acceptait d'être l'Homme de dou­leur, il regardait comme rien d'être écrasé par la puissance des ténèbres, sachant que par cette défaite apparente il remportait la victoire, qu'au prix de cette immolation il établissait sur la terre le royaume des Cieux.

* * * Ainsi, à le considérer au point de vue moral seule­

ment, Jésus fut unique de deux manières: 1 0 II concut et réalisa un idéal insurpassable, la

parfaite sainteté, dont aucun de ses prédécesseurs n'avait donné l'idée.

20 II jugea selon cette norme ses contemporains, petits et grands, sans aucun des ménagements que lui eftt conseillés la sagesse mondaine. II fit luire sa lumière dans la lugubre obscurité de la société la plus corrompue, blâmant le mal en termes éner-

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giques et réclamant l'absolue obéissance à la loi de Dieu, afin de réveiller la conscience humaine et d'inaugurer une ère meilleure. Il voulut en un mot racheter notre race, ce que jamais philosophe nI réformateur n'avait osé tenter ou même espérer.

* * * Pour le dire en passant, dans un temps où

l'on s'occupe beaucoup de «l'essence du christia­nisme », nous ne serons chrétiens que dans la mesure où nous imiterons le Seigneur à ce double égard. D'abord par une moralité dépassant celle de notre milieu, moralité plus exigeante, plus religieuse, moralité vraiment spirituelle et méritant le nom de sainteté. Ensuite par la lutte ouverte contre le mal dans toutes les sphères, et par la proclamation d'un idéal nouveau pour l'individu, la famille et l'huma­nité. Le christianisme de simple profession ne fait aucun bien; le christianisme vécu, celui qui s'affirme par la guerre au péché, - guerre de parole et d'action, - exercera toujours de l'influence. Il gagnera l'ad­miration des esprits sincères et pourra seul régénérer le monde.

* * * Ainsi la Passion eut pour cause le contraste, plus

violent alors que jamais, entre le péché de l'homme et la justice de Dieu. Pourtant l'hostilité naturelle du mal contre le bien ne l'explique pas tout entière. Cette indicihle détresse trahie par la sueur sanglante du jardin des Oliviers et par le cri d'angoisse de Golgotha, le Père céleste l'a certainement voulue; il

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l'a provoquée en cachant pour un instant sa face à son Fils bien-aimé. Pourquoi cela? Non sans doute pour que Jésus souffrît davantage, mais pour que, la tentationayantatteint son apogée, la victoire fût aussi complète, aussi éclatante que possible. C'est sur la Croix, comme sur l'autel du sacrifice, que le Christ s'est donné tout entier. Par ce dernier triomphe, le plus chèrement payé, il a royalement prouvé son entière soumission à son Père, son inébranlable ré­solution d'exécuter jusqu'au bout la mission gran­diose, mais périlleuse, qu'il en avait reçue.

Tout cela revient à dire que la Passion est le simple couronnement de l'obéissance filiale du Christ, le dernier acte de la longue lutte par laquelle il a subordonné en lui-même l'externe à l'interne, ou la chair à l'esprit, et parlà divinisé sa nature humaine. A la fin de ce processus à la fois invisible et visible, intérieur et extérieur, le Ciel est définitivement relié à la terre, la vie divine est réintroduite dans l'huma­nité, et le chef de l'Eglise, le « second Adam », va la communiquer à tous ceux qui, par la foi et la cha­t·ité, deviendront les «membres de son corps :o.

* * * En résumé, les souffrances du Christ n'ont pas, à

proprement parler, constitué la Rédemption, mais elles en ont été le « moyen» ou la condition sine qua non. Elles ont consommé, au point de vue terrestre, l'œuvre rédemptrice qu'il avait à exécuter. Elles étaient donc indispensables, et nous pouvons les

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regarder comme une Rançon payée à la nature des choses. .. .. ..

Ceci écarte deux notions fausses, qui ont joué un rôle considérable dans l'histoire de l'Eglise: la Ran­çon payée à Satan et la Rançon payée à Dieu. Laissez­moi vous en dire quelques mots . .. .. ..

a) La Rançon payée au Diable a été soutenue par Irénée, Origène, Grégoire de Naziance '. Cette étrange transaction supposerait que Satan est notre créancier légitime, qu'i! a des droits royaux sur l'humanité. Elle manquerait ensuite de loyauté en trompant le Menteur par excellence, qui croyait faire échouer la Rédemption. Enfin elle ne serait pas un sacrifice; car sacrifier son fils ou sa fille à Moloch, et encore plus s'immoler soi-même à Satan, sont des actes abominables.

Cependant cette doctrine bizarre avait un élément de vérité. C'est bien au Diable que l'humanité est arrachée par la Rédemption; il est l'instigateur de toute fausseté et de tout péché, le pére des méchants, le .. maltre de la mort », l'Ennemi sur lequel Jésus remporte la victoire. .. * ..

t Irénee. évêque de Lyon, subit le martyre en 202 sous Septime Sévère. Origène, catéchiste d'Alexandrie, le plus éminent docteur de l'Eglise d'Orient, mourut en i:54 à la suite d'horribles supplices­Grégoire, évêque de Naziance en Cappadoce et patriarche de Cons­tantinople, est un des Pères de l'Eglise grecque; il fut surnommé le Théologien et mourut en 390.

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b) La Rançon payée à Dieu. Cette théorie a rem­placé la précédente, dont les défauts étaient trop sensibles. Elle a été formulée par Anselme, arche­vêque de Cantorbéry de 1093 à 1109, qui joua un grand rôle dans la politique de son temps comme dans la théologie, et fut canonisé.

D'après le Cu>· Deus homo de saint Anselme!, l'honneur de Dieu compromis par le péché ne peut être rétabli que par la punition des coupables, ou par une satisfaction qu'en réalité Dieu seul est ca­pable de fournir. De là découle la nécessité de l'in­carnation et de la Passion. Mais la mort sanglante que le Seigneur a subie était plus que l'obéissance due à son Père; nous devons la considérer comme un libre sacrifice en retour duquel Dieu lui accorde le salut des pécheurs. En mourant sur la croix, le Sauveur acquiert un mérite reversible sur les croyants. Il y a donc une double substitution: Christ est substitué aux pécheurs, et la satisfaction dont il est l'auteur est substituée au chàtiment que les hommes avaient attiré sur eux.

J'ai déjà mentionné tout à l'heure cette conception du salut. Elle a plusieurs torts graves, généralement reconnus par les théologiens d'aujourd'hui. Première­ment elle donne à 1'« honneur» une place exagérée. Dieu n'est pas un monarque jaloux de sa majesté souveraine, et recherchant pour les punir sévèrement tous ceux qui y ont porté quelque atteinte. S'il est le

1 Voir la substance de ce fameux ouvrare dans la Dogmatique chrélienn. de Jules Bovon, tome Il, p. 32-34. Le titre signifie: Pourquoi Dieu est-il devenu homme?

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roi des rois, il est avant tout un Père compatissant et miséricordieux; c'est l'amour, non la justice rigoureuse, qui préside à tous ses rapports avec la créature.

En second lieu, la « satisfaction» imaginée par Anselme suppose une exacte Equivalence entre la Passion de la Croix et les tourments éternels des damnés; or cette équivalence n'existe pas, et si elle existait, elle supprimerait la grâce.

En troisième lieu, le « mérite », en tant qu'i! pro­vient d'actes dépassant l'obéissance, est une notion catholique, sans fondement dans l'Evangile et par conséquent dangereuse.

Enfin la conception d'Anselme, - comme du reste celle qui a régné dans l'Eglise avant lui, - a en vue la suppression du châtiment du péché et non la suppression du péché lui-même; elle a donc un caractère superficiel qui la condamne à nos yeux. Il nous faut aujourd'hui une théorie psychologique, faisant voir comment la Rédemption détruit le mal dans l'âme humaine et l'y remplace par le bien. Telle nous paraît être par excellence la doctrine de Swédenborg.

* • * A la suite des grands docteurs catholiques Cels

que Thomas d'Aquin et Duns Scott, les Réformateurs du seizième siècle ont conservé, en la modifiant quelque peu, la théorie juridique d'Anselme. Sans doute, depuis un certain temps, les théologiens ré­formés, plus profonds que leurs prédécesseurs, s'efforcent de remplacer celle-ci par une explication

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morale; mais aucune des explications proposées ne s'impose par sa supériorité, aucune n'est claire, conséquente, biblique et rationnelle comme celle de notre auteur. Aussi l'ancienne, celle de la «satis­faction vicaire », est-elle encore considérée comme orthodoxe. La vraie théorie morale, absolument morale, est celle que nous avons exposée. Elle montre que le salut vient de Dieu, que Dieu seul l'accomplit, que le Ciel est ouvert à tous, et que chacun peut réellement y entrer, n'ayant qu'à céder volontairement à l'influx divin.

* * * Nous ne croyons pas diminuer l'importance de la

mort du Christ. La Croix reste pour nous le centre de la religion et l'objet de la foi; nous en acceptons résolument le « scandale» et la « folie ». Il est vrai 'que nous ne la regardons pas comme étant, à elle seule, l'acte rédempteur. Elle n'est pas un moment isolé de l'œuvre rédemptrice; elle en forme le point culminant, elle est le symbole du dépouillement du Seigneur, de la longue lutte qui a duré toute sa vie. C'est bien un sacrifice, et un sacrifice d'expiation, que, sur le bois maudit, il a offert pour ses frères en humanité, - seul sacrifice parfait, réalisant enfin ce que ceux de l'ancienne alliance avaient annoncé typiquement. Jésus est à la fois le grand prêtre, selon l'ordre de Melchisédec, et la victime sainte, l'Agneau sans défaut et sans tache.

Cette Passion si douloureuse et si cruelle, contre laquelle sa volonté humaine protestait avec horreur,

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il l'a pourtant acceptée parce qu'il y voyait l'unique « moyen]) - c'est le mot deSwédenborg - d'arriver à son but. Il a bu jusqu'à la dernière goutte la coupe d'amertume qui lui était présentée, sachant que cet affreux abaissement était le prélude inévitable de sa glorification définitive, par conséquent la condition du succès de sa mission de Médiateur.

Jésus me paraît avoir indiqué lui-même la valeur exacte qu'il attribuait à sa Passion sanglante, en disant: «Je suis le Bon Berger. Le Bon Berger donne sa vie pour ses brebis ]). A proprement parler, ce n'est pas par sa mort que le berger sauve ses moutons attaqués par le loup; c'est par ses soins intelligents, par sa vigilance, son courage et son dévouement. Il doit faire la guerre au loup, et s'il réussit à le tuer, sa victoire est complète. Mais pour être fidèle à son office, pour protéger efficacement le troupeau qui lui appartient, il faut qu'il se fatigue, qu'il s'expose, qu'au besoin il se sacrifie. Au fond, ce n'est pas en mourant qu'il est utile à ses brebis en danger, c'est en vivant pour les défendre et pour­voir à tous leurs besoins. Seulement il y a telles circonstances qui rendent -nécessaire le sacrifice de sa vie. On peut dire alors, en langage populaire, qu'il les a délivrées par sa mort.

Il en est de même d'un roi, tombant dans la bataille par laquelle il affranchit son peuple d'un ennemi puissant. Cette mort librement encourue n'est pas la délivrance même; elle en est simplement le prix. L'essentiel était de vaincre; mais la victoire a exigé ce précieux sacrifice.

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La postérité glorifie les héros qui donnèrent leur vie pour l'indépendance de leur nation. Léonidas aux Thermopyles et Winkelried à Morgarten ont aimé leur patrie jusqu'à mourir pour elle. D'autres héros, qui restent obscurs, un pilote, de simples matelots, des soldats, des pompiers, meurent souvent en faisant leur devoir. Ce n'est pas proprement leur mort qui assure la liberté ou le salut des autres; mais cette mort est la preuve indiscutable de leur fidèle et courageuse abnégation, le oouronnement de leur lutte contre l'ennemi commun, l'inéluctable condition de la victoire '.

Ainsi l'immolation du Christ n'est pas notre Ré­demption même, mais plutôt le pivot autour duquel tourne la grande œuvre de notre salut. Son « sang répandu" par amour pour nous peut bien être appelé notre fI rançon»; car il a rendu notre ré­génération possible.

* * * Possible, mais non superflue 1 Nous ne sommes

pas sauvés magiquement. Dieu lui-même ne peut pas nous changer radicalement par une parole de sa toute·puissance; il ne le peut qu'en agissant sur

1 Chose remarquable: le Guillaume Tell de la légende n'est pas mort, comme le Winkelried de l'histoire, pour affranchir les Wald­staetten du joug de l'Autriche; son patriotisme n'a pas eu besoin de ce sceau sanglant, et de cette apparente défaite, pour conquérir la plus glorieuse popularité. C'est Guillaume Tell. et Don Winkelried, que le sentiment national a choisi comme le fondateur des libertés helvétiques, comme le héros suisse par excellence. Nous n'en con~ clllons pas que Jésus eût pu tout aussi bien mourir dans son lit. Le drame de la Passion nous apparaît comme nécessaire. et nous croyons saisir7 en partie du moins, ses causes providentielles.

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nous par des moyens moraux, qu'en faisant appel à notre liberté, qui doit décider en dernier ressort. Si nous refusons d'entrer dans l'Ordre qu'il a établi, de faire de sa volonté la nôtre, d'aimer ce qu'il aime, de vivre pour servir, il nous est impossible d'aller au Ciel; car le Ciel, c'est le royaume de l'amour et des usages, et la régénération en est la carte d'entrée.

* * * Comprise de cette manière, la Rédemption n'est

point un oreiller de sécurité, une œuvre toute faite à laquelle nous n'ayons qu'à croire. Il est vrai que « tout est accompli» hors de nous, mais il reste tout à accomplir en nous. De naturels nous avons à de­venir spirituels. A l'œuvre prévenante et universelle de Jésus-Christ doivent se joindre nos œuvres in­dividuelles, œuvres de foi et de charité; car d'après la Bible tout entière, - au fond Jacques et Paul sont d'accord, - les bonnes œuvres sont indispensables au salut, il faut avoir bien vécu pour être mis à la droite du Juge et entendre cet arrêt suprême: «Venez, les bénis de mon Père 1 Possédez l'héritage qui vous a été acquis dès la fondation du monde. »

Ainsi notre libre arbitre et l'absolue moralité de l'Evangile sont sauvegardés contre les Réformateurs du seizième siècle et les déterministes d'aujourd'hui. Aussi le Nouveau Testament nous exhorte-t-il de mille manières à « nous charger de notre croix », à

« suivre» Christ, à <I être crucifiés avec lui », à « mourir avec lui» pour «ressusciter et régner avec lui », enfin à te porter beaucoup de fruit ~; c'est-à-

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dire à 1[ dépouiller le vieil homme» et à « revêtir l'homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables".

Quand les hommes répondent à ces appels de la grâce, alors seulement Dieu est SATISFAIT. Il ne saurait l'être par une fiction juridique, par la pu­nition des coupables tombant sur la tête d'un in­nocent, par la « prédestination D - qui nous paraîtra toujours arbitraire - des uns au salut et des autres à la damnation, indépendamment de leur conduite. Il l'est par la repentance, la conversion, la vie nouvelle des croyants, leur accomplissement de la loi. Voilà le résultat de la Passion de la Croix.

L'âme contemporaine - que le dogme traditionnel déconcerte, rebute, scandalise et pousse à l'incrédu­lité - a soif d'une pareille Rédemption, digne de Dieu et digne de l'homme. De l'homme qui est mer­veilleusement secouru', fortifié, affranchi, régénéré et glorifié, mais qui n'est pas sauvé sans lui par un décret incompréhensible.

* * * Rappelons-nous, en terminant, que cette Rédemp­

tion n'est pas avant tout une doctJ'ine, mais une réalité. Réalité d'abord extérieure, que nous avons à rendre intérieure en entrant et en avançant dans la voie que le Sauveur nous a frayée, en nous lais­sant guider par son Esprit, en luttant contre les influences infernales, en travaillant au triomphe du vrai et du bien. Si nous le faisons, - cela dépend de chacun de nous, - la «paix», avant-goût du

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Ciel, sera notre partage. Nous aurons la vive espé­rance de l'immortalité et du progrès sans limites, qui nous attendent dans le séjour de l'harmonie et du vrai bonheur.

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APPENDICE

Note 1.

M. E. J. Broadfield, à qui ce volume est dédié.

Un des citoyens les plus connus et les plus estimés de Manchester est M. Edward John Broadfield. Di­recteur à vie du Collège Owen, membre du Conseil de l'Université Victoria et son trésorier honoraire, il s'occupa jadis d'une école primaire que son père avait dirigée pendant près de cinquante ans, et qui passait pour la meilleure de la ville. Il joua le rôle d'un initiateur courageux et persévérant à l'égard de plusieurs établissements d'instruction, et fut le premier à préconiser des Cours commerciaux du soir pour femmes et jeunes filles. Il préside encore le Comité des Gouverneurs de la Grammar School, qui est une des gloires de la populeuse et riche cité. Ajoutons que, dans sa jeunesse, il exerça pendant quelques années le ministère pastoral parmi les swédenborgiens d'Accrington, bien qu'il fftt et res­tât laïque.

M. Broadfield a beaucoup voyagé. Il connait la France, la Suisse, l'Allemagne, l'Italie, la Grèce, Constantinople et l'Asie-Mineure, les Etats-Unis et

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le Canada. A Paris il assista, sur la place de la Con­corde, à la proclamation de la seconde République. Il connut personnellement, en France, un certain nombre des hardis pionniers dont je vous ai entre­tenus.

«J'ai eu, m'écrit-il, l'heureuse fortune d'être en relations intimes avec plusieurs des grands et excel­lents membres français de la Nouvelle Eglise dans un temps déjà bien éloigné. En 1848 et 1849 j'ai passé quelques mois à Saint-Amand, voyant presque chaque jour mon cher vieil ami M. Le Boys des Guays. Mon amitié avec lui fut ininterrompue jus­qu'au moment de sa mort. J'ai eu également d'affec­tueux rapports avec M. Aug. Harlé. ~

« Je suis âgé de plus de quatre-vingts ans, et ce n'est pas la moindre des joies qui me sont encore accordées que de regarder en arrière à tant de sou­venirs du passé. »

Comme je l'ai rapporté, M. Broadfield et deux autres swédenborgiens de Manchester donnèrent à M. Etienne Le Boys la plume d'or dont cet infati­gable travailleur fit usage pour la plupart de ses manuscrits.

En Amérique il vit Emerson, qu'il avait connu en Angleterre, fut à mainte reprise l'hôte du poète Longfellow, visita Whittier et Oliver Wendell Holmes. Il étudia le système américain des écoles populaires, ainsi que l'Université de Harvard.

Critique musical et théâtral, M. Broadfield a été un membre fort actif de la Society of Gentlemen's Concerts, et il a pris une grande part aux change-

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ments qui ont assuré la prospérité de cette associa­tion artistique. Il est le président des fameux Con­certs Hailé. Il a fréquemment fourni des articles à deux grands journaux, et l'un d'eux l'a compté pen­dant quelques années au nombre de ses administra­teurs. Il est en outre juge de paix de Manchester, sans parler de beaucoup d'autres offices dont on l'a revêtu. Libéral conséquent et résolu, quoique mo­déré, il a toujours voté pour de sages réformes, tant sociales que politiques, sans se laisser entrainer par l'esprit de parti.

On le voit, M. E. J. Broadfield a l'intelligence remarquablement ouverte et sympathique, un cœur brûlant pour tout ce qui est vrai, juste, bon et beau. Vétéran de la Nouvelle Eglise, il a mis en pratique dans sa longue et fructueuse carrière cette parole de Swédenborg : " Le religion se rapporte à la vie, et la vie de la religion, c'est de faire le bien. »

En 1910, il a présidé à Londres, avec une distinc­tion ferme et gracieuse, le Congrès Swédenborg, cette grande assemblée unique en son genre. Il mé­ritait à tous égards cet honneur, et prononça à cette occasion des discours impressifs. Pendant cinquante années il a été membre du Conference Council de la New Church anglaise, et pendant trente années pré­sident de ce Conseil exécutif.

Tout récemment, le 25 avril 1912, il a été le héros d'une cérémonie touchante: l'inauguration du Broad­field Memorial Room, qu'on lui avait consacré quel­ques mois auparavant, lors de son quatre-vingtième anniversaire. C'est la plus vaste salle d'un édifice

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qu'on vient d'ajouter à l'église et à l'école swéden­borgiennes du nord de Manchester; elle doit servir principalement de bibliothèque et de reading room.

Dans cette dernière fête on a dévoilé, sur l'un des murs de la salle, un médaillon de bronze reprodui­sant exactement les traits et l'expression de M. Broad­field, qui a rendu tant de services non seulement à la Nouvelle Eglise, mais à la grande ville industrielle qu'il habite et à la société dans son ensemble. Repré­sentant d'une famille révérée qui, durant trois géné­rations, a travaillé constamment « dans le meilleur esprit et avec les meilleurs résultats », l'éminent et spirituel vieillard typifie en effet le christianisme positif et large, rationnel et philanthropique, inté­rieur et sociable, qui est la religion de l'avenir. Puisse la dernière étape de son pèlerinage en ce monde être le soir lumineux d'un beau jour!

Note 2.

Ordination des Sociétés dans l'autre monde. Voir page 267.

«Dans le Monde spirituel, toute ordination des Sociétés a lieu selon les différences de l'amour. Il en est ainsi parce que l'amour est la vie de l'homme et que le Seigneur, qui est le Divin Amour même, les dispose en ordre suivant les réceptions de l'amour. Or les différences de l'amour sont innom-

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brables; nul ne les connaît que Dieu seul. Il con­joint les Sociétés de manière à ce que toutes fassent comme une seule vie d'homme: les Sociétés des Cieux comme une seule vie de l'amour céleste et spirituel, les Sociétés des Enfers comme une seule vie de l'amour diabolique et infernal. Quant aux Cieux et aux Enfers, il les conjoint par les opposi­tions.

)) Telle étant l'ordination, chaque homme après la mort va dans la Société de son amour; il ne peut pas aller ailleurs, car son amour s'y oppose. Il en résulte que les habitants du Ciel sont ceux qui vivent dans l'amour spirituel, et les habitants de l'Enfer ceux qui vivent dans l'amour naturel. L'amour spirituel est introduit uniquement par la vie de la charité; l'amour naturel reste naturel si la vie de la charité fait défaut; et si l'amour naturel n'a pas été soumis à l'amour spirituel, il lui est op­posé. »

Continuation sur le Jugement dernier et sur le Monde spirituel, par Emmanuel Swédenborg. Se­conde édition, 1860. § 21, p. 11.

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DÉDICACE

PRÉFACE •

Swédenborg. III

TABLE DES MATIÈRES

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SEPTIÈME COURS

Admirateurs de Swédenborg. Procès en hérésie . •

PREMIERE LEÇON

Admirateurs de Sw-édenborg. Swédenborg ad­miré au dix-neuvième siècle par d'éminents esprits. Angleterre: Coleridge, Carlyle, Robertson, etc. Etais-Unis: Emerson, Beecher, William James, etc. Allemagne: Gœthe, Christian Baur. Suède: Frédérika Brérner, Aug. Strindberg. France: George Sand, M.)\latter, Honoré de Balzac.

Procès en hérésie. Réveil de l'intolérance. Le Dr Beyer rencontre Swédenborg. Il est introduit dans la société des anges. Le Dr Rosen et lui répandent la nouvelle doctrine. Un procès leur est intenté. Ses phases. Swédenborg y est impliqué. Conduite équi­voque, mais bienveillante du roi. Plaintes et apologie du Voyant. Son avis sur l'autorité suprême en matière de foÏ. Résultat du procès. Mort du maitre et des deux

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disciples . . . • .. ...... Hi

DEUXIÈME LEÇON

Ruskin. M. et Mme Browning. Lord Tennyson. Henry Drummond. Objection spécieuse: Swédenborg n'est

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Pages pas connu parce qu'il ne mérite pas de l'être. Réponses: { 0 Il n'a fondé ni Eglise ni société. 20 Il n'a pas formé une 8cclesiola in ecclesia. 30 Il ne voulut agir que par des livres pas du tout populaires, renfermant: a} une interprétation allégorique des Ecritures; b} une dog­matique audacieuse; c) un système philosophique et théosophique. - Influence qu'il exerça de son vivant comme réformateur religieux. Haute considération dont il jouissait. Combien il eut de disciples résolus. Le professeur Beyer et sa Déclaration. Le comte Hôpken. Le général Tuxen. Le comte Falkenberg. Œtinger, le Mage du Sud. Jugement de Dorner. Le Rév. Thomas Hartley. Le Dr Messiter. Position du pasteur Férélius et de Cuno. Comparaison des partisans immédiats de Swédenborg avec ceux de Jésus-Christ. Pas de persécutions à redouter aujourd'hui. Facilité et responsabilité de plus. " .. ll8

HUITIÈME COURS

Pionniers et Fondateurs de la Nouvelle Eglise.

PREMIÈRE LEÇON

"Jung-Stilling et Lavater. - Après la mort de Swéden­borg. - France. Transition. Oberlin, le Père du Ban­de la Roche. Etonnante omission. - Suède. Eloge par l'académicien Sandel. Société exégétique et philan­thropique. Société pro fide et charitale. Sévérité des lois et hostilité du pouvoir royal. La Nouvelle Eglise créée à Stockholm, puis" à Copenhague. Liberté reli­gieuse et réformes. Honneurs rendus à Swédenborg. - Angleterre. Deux pasteurs anglicans. Robert Hindmarsh ouvre des réunions. Société de publication. Fondation de la Nouvelle Eglise à Londres. Succès à Birmingham et à Manchester. Influx des martyrs. Brève profession de foi. Une Eglise fondée à Glasgow. La Nouvelle Eglise cn Grande~Bretagne: statistique et finances. - Amérique. Philadelphie, Baltimore et Boston. Thomas Worcester. Cincinnati et le Far-

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West. La Convention à Chicago. Arr~t de développe­ment. L'Académie. Statistique des pays anglo-saxons. Héroïsme des pionniers. ... ... Bt

DEUXIÈME LEÇON

Philosophie de l'histoire précédente: :lo Esprits ouverts. 20 Apôtres. 30 Opportunistes et intransigeants. 4,0 So­ciété ou Eglise. 50 Création spontanée. - Allemagne. Isolement forcé. Le Dr Emmanuel Tafel. Rôle des pasteurs luthériens. M. Mullensiefen. - France. Lettre du marquis de Thomé. Le bénédictin Pernetty. Les Illuminés d'Avignon. Rouen et Strasbourg. Moët, bi­bliothécaire à Versailles. Barrois, libraire à Paris. Le capitaine Bernard. L'abbé .1Egger, premier vicaire de Notre-Dame. Edouard Richer, de Nantes. La Reli­gion du bon sens et Invocations religieuses. La Nou­velle Jérusalem. M. de Tollenare. Sa ferveur et ses capitulations. Abjuration forcée. Découverte providen­tielle de ses véritables sentiments. Danger des com-promis de conscience . • • • • •

TROISIÈME LEÇON

Circonstances atténuantes d'une défection. L'opportu­nisme n'est plus de saison vis-à-vis des catholiques. L'abbé Ledru, curé patriote. Le pasteur Boniface Laroque. Le Boys des Guays. Culte à Saint-Amand. Traductions et publications. Auguste Harlé. Les Restes. Le baron Frédéric de Portal. - L'Ile Maurice. Edmond de Chazal. Existence légale de la Nouvelle Eglise. Affaiblissement ct relèvement. Le Dr Fercken. Apostolat laïque. - Paris. Temple et bibliothèque de la rue Thouin. Déchéance, mais travaux accomplis. L'Eglise de l'Académie. Défrichement et semailles.

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NEÙVIÈME COURS

La Rédemption.

PRE:'tIIÈRE LEÇO:"l

Le dogme de la Rédemption d'après Vinet. Il est intelli­gible. Tendance pragmatiste. Démolition par les théo­logiens et reconstruction par Swédenborg. Deside­rata. Etymologie. L'humanité a-t-elle besoin d'être sauvée? Recours à la révélation. Un peu d'exégèse. La Rédemption dans l'Auden Testament. Prédéces­seurs directs de Jésus. Il réunit, spiritualise et accom­plit les trois offices. On réagit contre cette tripartition. Prêtrise et royauté. La Rédemption définie. Subjn­gation des Enfers. Le Christ tente et victorieux. L'individu et la race. Le libre arbitre dans la vie à venir. Un jugement dernier. Quelques figures. Ordi­nation des Cieux. Le Ciel divisé en trois. Formation du Ciel chrétien. Instauration d'IUle Nouvelle Eglise par la découverte du sens spirituel de l'Ecriture.

Pages

Spiritualité de cette économie ..... {S3

DEUXIEME LEÇON

La Rédemption nécessaire aux an.qes comme aux hommes. Le monde naturel dépend du 1\Ionde spirituel. Le Ciel et l'Eglise représentent un seul homme, qui était en danger de mort. Quelques comparaisons. Les âmes sous l'autel. Contagion du péché. L'unique re­fuge. Débordement du Monde des Esprits. Corruption de l'humanité. Premier et second avènement du Seigneur. Deux falsifications de l'Evangile. Les anges ne sont pas bons par nature. Pourquoi Dieu a « pris l'humain ». La Rédemption, œuvre purement divine. Le jugement dernier de t 757. La Babyh.nie. Amour de la domination spirituelle. Athées. Tolérance divine. Le premier Ciel qui a passé. Rétablissement des rapports entre Dieu et l'homme. El'e meilleure. Le sens interne des prophéties nous affranchit de la peur des catastrophes finales ... .. 2 f 6

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THOISliDIE LEÇON

Les prédictions de r Apocalypse sont accomplies. Clef symbolique des Ecritures. Le jugement dernier a eu lieu dans le Monde des Esprits. Ordre dans lequel il s'est fait. Les mahométans. Largeur d'esprit du Voyant. Il dépasse son temps. Les gentils. Le Ciel leur est ou­vert comme à nous. Les réformés et le JJleditullium. Le Dragon et les Boucs. Signes précurseurs P-t Visites d'anges. Liberté individuelle et plan universel de Ré­demption. Description du jugement dernier de t ni7.

Pages

Le salut des Brebis. La Hédemption réalisée 247

QUATHIEME LEÇON

Jugement et Rédemption. Le Hédempteur a dû être divin, mais revêtir l'humanité. Combat non oral, mais spiri­tuel. Comparaisons qui sont des raisons. Loi de l'ac­commodation au milieu. Nul ne peut voir Dieu et vivre. La solidarité. L'incarnation est le moyen pour atteindre le but du Père céleste. Supériorité de la christologie de Swédenhorg. La. Passion de la Croix est la dernière tentation du Seigneur. Sa glorification. Dans quel sens l'ini1luité a été « portée ». Particula­rités symboliques de la Passion. Le sacrifice de soi unit à l'objet aimé. L'erreur fondamentale de l'Eglise. Toute la théologie devenue matérielle. Le « Triam-personnat »). Un Mémorable. Conclusion . " 270

CINQUIE~IE LEÇOl'<

Les oLjections sérieuses. La principale seulem.ent : La valeur unique du sang de la Croix est méconnue. Réponse. Crédo nouveau pour une Eglise nouvelle. Soumission il la Parole de Dieu, mais interprétation symbolique. La Passion a pour enjeu la destinée Je l'humanité. Sa nécessité reconnue par Jésus. Le par­don acheté. Deux justices. Equivalence inacceptable. Pourquoi le Sauveur n-t-il dû mourir ainsi? Parce qu'il était homme. Parce que sa sainteté le rendait dangereux. Trois deg'rés du bien. L'humanité verse le

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- 346-Pages

sang des prophètes. Le Christ a compris cette loi. Sévérité inouïe de sa parole. Vérité objective et sub­jective. Rareté de cette indépendance de langage. Jésus unique de deux manières. Essence du christia­nisme. Dieu cachant sa face. Couronnement de l'obéis­sance filiale. Moyen ou condition sine qua non. Rançon payée à la nature des choses. Deux notions écartées: a) Rançon payée au Diable. b) Rançon payée à Dieu. Il faut une explication non juridique, mais morale. Scandale et folie de la Croix. Point culminant de l'œuvre rédemptrice. Le Bon Berger. Rôle de la mort dans les actes d'héroïsme. Notre régé­nération rendue possible, mais non superflue. Tout est accompli hors de nous et doit s'accomplir en nous. Alors seulement Dieu est SATISFAIT. Rédemption digne de l'homme. Non doctrine, mais réalité, d'abord extérieure, puis intérieure. Paix, avant-goût du Ciel. 30!

APPENDICE

NOTE 1

M. E. J. Broadfield, à qui ce volume est dédié • 33S

NOTE 2

Ordination des Sociétés dans l'autre monde . • • • 33S

TABLE DES MATIÈRES • • 3U-3~6

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