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  • LE MARSEILLAIS

    /

  • Collection Hermé - Mouvances

    Fabrication : William Baguet Maquette : Marie-Christine de Caro

    © 1991, Éditions Hermé

    3, rue du Regard - 75006 PARIS

    ISBN 2-86665-149-9

  • Jean BAZAL

    LE MARSEILLAIS Roman

    type="BWD"Hermé

  • DU MÊME AUTEUR LIBRAIRIE DES CHAMPS-ÉLYSÉES

    Collection «Le Masque» La corrida de Barcelone Panique en Camargue La caravane des Gitans Entre l'arme et les Corses

    LES PRESSES INTERNATIONALES Le diamant de la Bourride Un coup fumant Stupéfiant, ma parole

    ÉDITIONS GALLIMARD Collection « La Série Noire»

    Si toutes les garces du monde (en collaboration avec Roger May) ÉDITIONS DES 4 SEIGNEURS, Grenoble

    Marseille entre les deux guerres Marseille sur Scène

    ÉDITIONS PAUL TACUSSEL, Marseille Marseille Galante Dieu ou Satan ? Le Surnaturel existe

    ÉDITIONS ROBERT LAFFONT Marie la Jolie (Marie Paoleschi)

    ÉDITIONS JEAN SUSSE, Paris Chasses sous la mer

    ÉDITIONS DES BAIES DU SOLEIL Sauve ta peau

    ÉDITIONS I.N.A. Panique dans le pastis

    ÉDITIONS PANORAMA, Marseille Almanach Camargue et Nature 1971 et 1972

    ÉDITIONS CÉVENNES MAGAZINE, Alès Mon ancêtre Jean-Louis, Compagnon de La Fayette

    ÉDITIONS CLAUDE MEZZANA, Marseille Si Marseille m'était dansée (en collaboration avec Vincent Fayola)

    ÉDITIONS FANVAL Le Milieu et moi (Marie Paoleschi)

    ÉDITIONS GUY GAUTHIER et FRANCE LOISIRS Le clan des Marseillais (1)

    ÉDITIONS JEAN-MICHEL GARÇON Le clan des Marseillais (11)

    ÉDITIONS OLIVIER ORBAN - LIVRE DE POCHE Le Corse (en collaboration avec Paul-Claude Innocenzi)

    BALLANTINE BOOKS, New York The Corsican (en collaboration avec Paul-Claude Innocenzi)

    EDICIONES MARTINEZ ROCA, Barcelone El Corso (en collaboration avec Paul-Claude Innocenzi)

    ÉDITIONS HERMÉ Le Milieu and C° - Confidences d'un journaliste Par le sang dans l'honneur - Avec les derniers bandits corses

    Déjà parus dans la même collection Le Milieu and C° - Confidences d'un journaliste Jean Bazal Gendarmerie - Unités spécialisées Gilbert Picard La grotte de l'Araignée Abdelkader Bekkar L'affaire Canson Laura Fairson / Alauzen di Genova Le Mal Zaïrois Euloge Boissonnade Par le sang dans l'honneur - Avec les derniers bandits corses Jean Bazal

  • Ce roman, Le Marseillais, est la suite chronologique du Corse écrit en collaboration avec Paul-Claude Innocenzi et publ ié pa r Olivier Orban , en Livre de Poche, à Ballantine Books à New York et aux Ediciones Martinez Roca à Barcelone.

    Il s'agit d'une histoire vraie inspirée par des faits et des personnages authentiques existant ou ayant existé. Elle est présentée sous forme de récit romancé à la manière de certains films de la télévision.

    Pour des raisons faciles à comprendre, certains caractères et certains événements sont plus ou moins déformés.

  • PREMIÈRE PARTIE

    La chute de l 'ange

  • Principaux personnages du roman Le Corse et de sa suite Le Marseillais

    Ange Vinciguerra, caïd abattu dans une station-service César Vinciguerra, son frère, ténor du barreau Noël Vinciguerra, patron de cabarets Mario Zeppo, numéro un du milieu à la suite d'Ange Vinciguerra Pascal Costa, filleul d'Ange Vinciguerra et agent immobilier Pauline Costa, mère de Pascal, veuve, antiquaire à Aix- en-Provence Zizou, maîtresse de Zeppo avant son mariage Linda, call-girl protégée par Zeppo Commissaire Gaston Rollet, chef de la Criminelle Tao, patron de cabaret à la Citadelle de Calvi Aurelia, jolie Calvaise Charlie-le-Matou, chef de bande, rival de Zeppo Gaby Recetti, ami de Zeppo Antoine Tiuccia, homme de main Lule Court, homme de main Gilbert-le-Libanais, patron de discothèques Marius Combes, propriétaire de clinique Docteur Max Richardet Mona Orlando, maîtresse de Richardet Docteur Émile Escotti Toussaint Paletti, comptable de clinique Noël Vermeil, avocat, directeur de discothèque Momon Marcheso, fidèle équipier de Zeppo Fanny, maîtresse de Momon Marchesi Bobby-le-Videur, codétenu aux Baumettes avec Zeppo

  • I

    U n b e l e n t e r r e m e n t

    La Mercedes bleu azur métallisé roulait à vive allure sur la Promenade de la Corniche. Un vol de gabians tour- noyait au-dessus de la plage des Catalans quand elle ralen- tit pour s 'engager sur l'aire de la station-service Total située à côté du dépôt de la Régie des Transports de Mar- seille.

    Au volant, Pascal Costa, filleul du caïd Ange Vinciguerra assis à côté de lui.

    Les deux hommes, le conducteur âgé d'une quarantaine d'années et son parrain, un septuagénaire au regard aigu et gris acier, é légamment vêtu d 'un costume de soie de même couleur que sa Mercedes, avaient quitté le domicile d'Ange, villa La Balagne, chemin du Vallon de l'Oriol. Comme ils en avaient l 'habitude deux fois par semaine, ils venaient faire le plein de super.

    Le pompiste s'approcha de Pascal qui lui tendit la clé du réservoir d'essence. Alors que le compteur de la pompe commençait à tourner, une moto rouge vint se ranger contre la Mercedes sans que personne n'y prêtât attention.

    L'engin était monté par deux hommes d 'une trentaine d'années, coiffés d'un casque blanc de motard et les yeux cachés par de grosses lunettes à verres noirs. L'un portait un blouson de daim et l 'autre un complet gris clair avec

  • une chemise noire ouverte sur le cou. Ce dernier, assis sur le tan-sad, sauta alors à terre, sortit de sa ceinture le colt 11,43 qu'il portait « à la génoise », puis s'approcha encore de la voiture en tirant à travers la vitre baissée de la por- tière droite.

    Dès les premiers coups de feu, Pascal, paniqué, avait ouvert sa portière et s'était précipité, sans souci du tireur, vers le bureau de la station-service en criant :

    - Vite, une arme ! Vite, un calibre... ! De son côté, Ange Vinciguerra avait bien essayé de fuir,

    mais une dizaine de projectiles avaient déjà criblé son corps avant que leurs impacts le fissent basculer sur le par- king.

    Mort. Les détonations avaient pu se confondre avec le bruit du

    marteau-piqueur qui, quelques instants auparavant, avait défoncé le trottoir devant le London Club. La fusillade n'avait guère duré plus de vingt secondes.

    Le tueur réenfourchait le tan-sad et la moto démarrait en trombe en direction de l'avenue de la Corse.

    Pascal était resté immobile devant le box du lavage automatique. Le souffle coupé, livide, les mains tendues en avant comme s'il se préparai t à saisir une arme, il fixait avec une douloureuse stupéfaction le corps inerte de son parrain baignant dans une mare de sang. Une force her- culéenne le clouait au sol. Il était anéanti.

    En ces instants tragiques, son beau visage brun crispé par l 'émotion présentait une troublante ressemblance, adoucie par un rappel des traits charmants de sa mère Pau- line Costa, avec la physionomie raidie par la mort de celui dont le sang s'épandait en plusieurs rigoles vers le rebord du trottoir. Il retint un sanglot, puis tourna brusquement le dos au lieu du drame. On aurait dit qu'il voulait éviter l'effroyable spectacle de deux yeux exorbités, d 'une expression de stupeur et d 'une bouche grande ouverte d'où pointait un bout de langue violacé.

    Pendant quelques minutes, il demeura prostré, absent, paralysé... Il ne prêta aucune attention aux gestes de

  • l'employé de la station qui, sur l'ordre du gérant, jetait de la sciure sur ces ruisselets rouges que le soleil constellait de paillettes d'or.

    - Surtout, ne touchez pas au corps, recommandait le gérant fidèle lecteur de polars. On prévient la police.

    La foule commençait à affluer. Les jolies filles bronzées qui se rendaient aux bains du

    Petit Pavillon s'arrêtaient devant la station service, hési- tant à traverser la chaussée pour savoir ce qui s'était passé. Même le pêcheur de loups et de daurades posté contre le Restaurant Péron en face du Cercle des Nageurs dont les terrasses et les bâtiments imposants bouchaient la vue sur le feu de la Désirade et la passe du Vieux-Port avait planté contre la rambarde de la Corniche ses lignes, son vieux chapeau de feutre plein d'esques et son panier en osier et accourait aux nouvelles. Il entendit le pompiste intimer aux badauds qui se pressaient autour du cadavre de s'écarter :

    - Dégagez ! C'est pas beau à voir ! Un autre employé de la station survenait en traînant une

    bâche dont il recouvrit le mort avec précaution. Les gens s'interrogeaient : - Qu'est-ce qu'il y a eu ? Un accident ? - Non, renseigna le patron du restaurant La Rose de

    Chine, j 'ai entendu des coups de feu... Au moins huit ou neuf...

    - Alors un règlement de comptes ? C'est la série en ce moment.

    - Y'a des chances. On dirait Chicago ! - Bah ! Encore une histoire de discothèques. La Mendi-

    gote, c'est à côté, Té ! Voilà les condés ! Précédés par deux gardiens de la paix, arrivaient trois

    policiers en civil du commissariat voisin du septième arron- dissement. Refoulant les badauds sans ménagement , ils soulevèrent la bâche et se penchèrent sur le cadavre pour l'examiner sommairement en attendant leurs collègues de l'Identité judiciaire.

    Ils furent bientôt là, accompagnés par le chef de la bri- gade criminelle, le commissaire principal Gaston Rollet. Les

  • officiers de police et inspecteurs Marlin, Luperman, Jackie Lambert, Denys et Bardou l'assistaient. Le substitut et le chef de la Sûreté n'allaient pas tarder à les rejoindre.

    C'était le 27 août 1970. Le cadran du dépôt des autobus marquait onze heures trente.

    Quarante-sept ans auparavant, le 28 août 1923, presque jour pour jour, Ange Vinciguerra, alors âgé de quinze ans, tuait dans le maquis de Calenzana Pierre Orsini qui venait d ' aba t t re son père Hyacinthe Vinciguerra. Faute de preuves, ce crime ne fut jamais élucidé, pas plus qu'Ange ne fut inquiété. La loi du silence, les principes du maquis...

    N'empêche, une vendet ta infernale était née ; elle devait durer encore plus longtemps que celle des Sangui- netti et des Paoli, de Venzolasca, qui ne devait s'éteindre qu 'en 1916 avec l 'extermination quasi totale des deux clans.

    Dans la vendet ta des Vinciguerra et des Orsini, dans laquelle la justice ne put intervenir, les derniers épisodes remontaient à quelques mois avec les exécutions des trois frères descendant de la lignée Orsini : Dominique, paisible cultivateur en Corse, Fortuné, curé à Montemaggiore et Jean-Baptiste, patron du cabaret Le Cancan à Pigalle et président de la Société immobilière Mare e Macchia.

    A Calenzana, la nouvelle de la fin brutale d'Ange Vinci- guerra fit l'effet d'une bombe.

    Le drapeau de la mairie fut mis en berne : le défunt avait été conseiller municipal pendant un certain temps.

    C'est, paraît-il, à la munificence de ses funérailles que l'on juge de la cote d'un homme du milieu. De ce côté-là, si le pauvre Ange avait pu assister à ses propres obsèques, il aurait constaté à quel point sa notoriété était immense, sur le continent et dans son île natale, dans le monde parallèle et dans celui de la politique, dans les familles insulaires et dans les clans régionaux. Ce fut incontestablement le plus

  • grandiose enterrement qu'eût jamais connu l'Ile de Beauté.

    Monique, la fleuriste du boulevard du Président-Wilson à Calvi n'arrêtait pas de prendre au té léphone les com- mandes de gerbes et de couronnes.

    - On m'appelait de partout, confia-t-elle aux journa- listes. Du Cap Corse au Sarténais. Il m'aurait fallu une stan- dardiste. Pour le continent, c'était Interflora qui me passait les commandes. De Paris, de Marseille, de Nice, de Lyon... J'ai dû embaucher des petites pour m'aider à confection- ner les couronnes. A ce sujet, je dois dire que la plupart de celles que nous avions à préparer étaient anonymes. C'est à croire que, dans le milieu, on n'a guère l 'habitude de faire accompagner ses envois de fleurs par sa carte de visite.

    Devant les bâtiments de l 'aéroport, plus de cinq cents voitures venues des villes et des villages attendaient l'arri- vée du corps du défunt et de ses proches.

    Lorsque l'avion réservé aux parents et aux amis chers se posa et que le cercueil fut descendu, une file ininterrompue de véhicules s'étira, pare-chocs contre pare-chocs, sur la route bordée d'eucalyptus qui mène de Calvi à Calenzana.

    Après l'absoute donnée dans l'église du village, autour de laquelle se groupaient reporters et photographes à côté de la camionnette équipée de caméras pour FR 3 Corse, le convoi s'engagea sur la route de Moncale. A quelques cen- taines de mètres du village, à Terrarossa, se dressait au bord d'une vigne le mausolée de la famille Vinciguerra.

    Ayant au plus haut degré le culte des parents, des ancêtres, du clan, les corps des défunts sont déposés dans un caveau bâti sur la propriété même.

    Le sanctuaire des Vinciguerra avait certainement coûté plus cher que leur modeste ferme de Pancone.

    Ceux qui n'ont pas les moyens se font enterrer dans leur jardin. A Calenzana, les caveaux funéraires sont particuliè- rement nombreux et imposants.

    Au passage du cortège, les curieux se découvraient et la plupart se signaient. A mi-voix, ils désignaient les membres

  • de la famille, les hommes politiques et les visages popu- laires du canton.

    Ils les nommaient : - Le grand avocat César Vinciguerra... Il soutient Resti-

    tute, la sœur du pauvre mort... - Là, c'est Pauline Costa avec son fils Pascal... Il travaillait

    avec Ange dans ses affaires immobilières... - Oh ! Par exemple, un préfet qui s'est déplacé, Domi-

    nique Campili... C'est vrai qu'il est né à Zilia... - Té ! Joseph Marini, l'ancien caïd de Pigalle... - Simon Masini, le maire de Calvi... Tous ces gens vêtus de noir se pressèrent, le visage

    grave, le plus près possible du caveau pour rendre un ultime hommage à la dépouille mortelle. Ils s'inclinèrent cérémonieusement devant les membres de la famille pour présenter leurs condoléances.

    - Le pauvre Ange était mon ami. Je ne l'oublierai jamais. Beaucoup essuyèrent furtivement une larme tandis que le

    cercueil, orné d'angelots en argent, était descendu dans son trou. Sous un ciel turquoise, ces pleurs, ces raclements de gorge, cette atmosphère pesante, faisaient l'effet de sacri- lèges. Pourtant, dans ce décor sublime, le mausolée des Vinci- guerra s'harmonisait parfaitement avec la majesté d'un pay- sage typique de l'une des plus belles îles de la Méditerranée.

    Petit à petit, la foule commençait à se disperser. Resti- tute, le mezzaro noir noué sous le menton, s'agenouilla en donnant la main à César et se signa. Puis, devant le sanc- tuaire qui se découpait en blanc sur l'azur, elle craqua, ban- derillée par la soif de vengeance.

    - Ah ! Si le pauvre Feliciolo était encore en vie, s'écria- t-elle en corse, l'assassin de mon frère fumerait déjà les mauves !

    Elle refit un grand signe de croix et, dans un sanglot, se mit à prier :

    Perdono, mio Dio; Mio Dio, pe rdono; O mi Angelu, Monta in celu !

  • 2 RÈGLEMENTS DE COMPTES EN 48 HEURES Après l'exécution de l 'homme d'affaires et propriétaire

    de night-clubs Ange Vinciguerra avant-hier, voici qu 'un nouveau règlement de comptes vient de se produire sur la route de Salon-de-Provence. Albert Clément, ancien gref- fier du palais de justice de Marseille, révoqué pour graves malversations et reconverti dans les affaires, regagnait sa propriété d'Eyguières à bord de sa Mercedes lorsqu'une voiture le rat trapa à la hauteur de La Fare-les-Oliviers et, arrivée à sa hauteur, lui envoya une rafale de mitraillette. La Mercedes al la s'écraser dans le fossé. Clément fut tué sur le coup ; son épouse, qui se trouvait à côté de lui, fut blessée au bras et à l'oreille gauches.

    En sous-titre de l'article, on pouvait lire : il pourrait s'agir d 'un règlement de comptes entre deux bandes rivales.

    Le journaliste relatait en outre les drames qui avaient jalonné l'existence d'Ange Vinciguerra.

    Le commissaire Gaston Rollet reposa le journal. Tout ça, il le savait. C'était un policier de terrain, plus que de pape- rasse. Combien de nuits avait-il passées dans le quartier du Panier à traquer les contrebandiers de cigarettes de l'affaire du Combinatie ? Il était au courant de cette histoire de coups et blessures susceptibles d 'entraîner la mort qui avait conduit Vinciguerra devant la cour d'assises de la Corse en 1927. Le jeune homme avait été acquitté, mais les jurés avaient posé une condition : un engagement de cinq ans dans les Equipages de la Flotte. De la Marine nationale, la mauvaise chance avait fait bifurquer le garçon vers le bataillon d'Afrique de Tatahouine... et le monde de la pègre. A l 'exception de ces erreurs de jeunesse, l 'ancien Bat' d'Af' n'avait pas d 'antécédents judiciaires fichés au sommier de l'Evêché 1

    Le rapport 23650 de l'Inspection générale de la Sûreté nationale signalait qu'Ange Vinciguerra jouissait d'une for- tune aisée due à l'exploitation de cabarets et de maisons de tolérance (avant la fermeture des bordels consécutive à

    1. Hôtel de Police à Marseille.

  • la loi Marthe Richard). Ce rapport concluait qu'il « avait toujours tiré ses moyens d'existence de l 'exploitation de ses commerces et de la prostitution d'autrui et que sa conduite, sa moralité, et ses fréquentations étaient mau- vaises ».

    Quant à Albert Clément, dit Bébert dans le milieu, un autre rapport faisait état des affaires de grave corruption dont s'était rendu coupable l'ancien greffier du palais.

    Le téléphone retentit. Le commissaire tendit la main vers un de ses quatre

    appareils. Son visage resta de marbre pendant qu'il écou- tait sans la moindre émotion dans ses yeux.

    Avant de raccrocher, il déclara simplement : - Dites aux journalistes que nous n'avons rien de nou-

    veau à leur communiquer. Les enquêtes sur ces deux affaires suivent leur cours. Quant à vous, je vous attends dans mon bureau.

    Il reposa le combiné sur son support, puis dévisagea d'un air interrogateur un de ses subordonnés qu'il venait de convoquer.

    - Alors, Marlin, que pensez-vous de nos affaires ? Un vrai casse-tête, non ? En ce qui me concerne, je vois une double motivation au meurtre de Vinciguerra. Primo : une ven- det ta familiale en Corse qui remonte à l ' pèbre . Secundo: le règlement de comptes habituel entre organi- sations rivales. Les Orsini, avec leur entreprise de promo- tion immobilière et touristique Mare E Macchia empié- taient sur le domaine réservé du clan Vinciguerra. Ce dernier, avec sa Calenzanaise, société de construction et d'investissements immobiliers, misait également sur l'ave- nir prometteur du littoral corse transformé en bronze-cul.

    - D'accord, patron, mais l'affaire Clément là-dedans ? Je ne vois pas le rapport.

    - Voilà le hic. Il reste dans ces affaires trop de subtilités que je n'arrive pas à cerner. Pour l'instant, mon opinion, comme celle des journalistes, serait une reprise de la guerre des gangs. C'est pour ça que je vais dresser la liste des principales équipes rivales qui cherchent à s'entre-tuer

  • pour des raisons de concurrence. C'est de ce côté-là qu'on arrivera à la solution de l'énigme. Mais ça risque de pren- dre du temps.

    Il accompagna ses paroles d 'un léger haussement d'épaules. Puis il ajouta :

    - Entre nous, avec leurs combines immobilières, les Vinciguerra, qui sont pourtant de vrais Corses, sem- blent ne pas prévoir les actions musclées des poseurs de bombes. Vous voyez, elles se multiplient contre les envahisseurs de leurs plages et de leurs espaces libres. Albert Clément mijotait-il quelque chose par là-bas ? Ou bien guignait-il un cercle de jeux parisien qu'Ange Vinci- guerra lorgnait, lui aussi ? Je remarque une chose : la plu- part des caïds « arrivés » se font descendre ces derniers temps...

    - Ah ! oui, les Nicoli, les Mondoloni, les Orsini, les Fran- cisci. Ce n'est guère rassurant de devenir quelqu'un dans le milieu. Rappelez-vous, Marlin, le proverbe latin : « L'homme est un loup pour l'homme. »

    - Et les jeunes loups... Comme les lycéens, comme les étudiants, comme les jeunes chômeurs des ghet- tos urbains, ils se révoltent. Contre la société. Les petits malfrats, eux, ils se révoltent contre le milieu opulent. Ils en ont marre d 'obéir aux vieux caïds dont ils jugent les principes surannés. La loi du milieu n'est plus guère res-pectée. Comme ils ont les dents longues, ces jeunes doivent chercher à éliminer les anciens qui les gênent, qui leur barrent le chemin du profit. Ils veulent leur part de gâteau. Savoir si Vinciguerra et Clément ne sont pas leurs victimes...

    - Je n'en ai pas l'impression. De toute façon, il ne serait pas mauvais de remettre quelques-uns de nos hommes dans le circuit, au cas où les indics auraient subitement, à l'occasion de ces deux affaires, l 'excellente idée de leur souffler quelques «courants d'air.» Les « balances » devraient se réveiller. Généralement, en me basant sur ma longue expérience du monde de la pègre, je peux dire que les renseignements ne devraient pas nous manquer. La loi

  • du silence, l ' comme disent les maffiosi, n'est plus appliquée.

    Marlin acquiesça, l'air convaincu. - Je vais faire un tour dans les bars de nuit de l'Opéra. Ça

    serait bien rare si je ne ramenais pas quelques tuyaux. Le commissaire approuva d'un signe de tête. Il se sentait

    tout à fait dans la peau d'un professeur faisant son cours à une classe attentive.

    Il se pencha en avant par-dessus son bureau et reprit en fronçant les sourcils :

    - Ce qui m 'é tonne dans ces affaires, c'est que, pour la première fois, les indicateurs restent muets. De vraies carpes. Quelle terreur empêche les langues de se délier ? Pas de rumeurs vraies ou fausses cueillies dans les bars, pas de confidences, pas de coups de fil anonymes.

    - Moi aussi, ça m'étonne. C'est pour ça que je vais aller travailler sur le terrain. On peut faire des rencontres inté- ressantes.

    - Il faut aussi aller faire un tour à l 'enterrement de Clé- ment. Noter les gens du milieu qui y assisteront. Remar- quer les absences. On peut récolter des indices qui vous lancent sur une piste...

    - Les obsèques ont lieu demain matin à Eyguières. L'autopsie les a retardées de vingt-quatre heures.

    - Bonne chance ! N'hésitez pas à m'alerter en cas de besoin. Et puis voyez un peu du côté de ce Mario Zeppo... On en parle beaucoup en ce moment.

  • II

    U n e n f a n t d u P a n i e r

    Il allait être six heures du soir. Mario Zeppo, dit le Beau Mario ou le Marseillais par

    opposition au premier « parrain » de Marseille qu'on appe- lait le Corse évita les poubelles alignées pour la nuit sur le bord des trottoirs.

    Il venait de tourner à gauche en descendant la rue du Panier, à quelques mètres de la cave où Charlie, le tailleur arménien, tenait un tripot clandestin. Lui-même et la fine fleur du milieu flambaient à tout va jusqu'aux aurores. Il ralentit pour s'engager dans la rue des Muettes.

    - Drôle de nom de rue, quand je pense que c'est là qu'habite Zizou. Et comme elle est un véritable moulin à paroles, elle va encore « m'ensuquer » avec les ragots des bazarettes du coin à propos des derniers drames du Mitan ! A vrai dire, les médias de Marseille et de Paris se régalent avec des histoires qui n'intéressent que nous.

    Dans un ouvrage d'Augustin Fabre, à la bibliothèque de la prison des Baumettes, il avait lu que le nom de cette rue provenait d'un rapport d'expert consigné en 1699 dans les archives de la ville. Ce rapport précisait que cette appella-

    1. Ange Vinciguerra, dit le Corse - Voir le roman Le Corse (Éditions Orban, 1976).

  • tion avait été choisie par le peuple de Marseille parce qu'à l 'époque trois filles muettes de la même famille habitaient cette artère. Pendant une année de détention, il avait beaucoup appris par ses lectures. Il s'était même passionné à tel point pour les livres de médecine qu'il avait fini par devenir un malade imaginaire.

    La rue des Muettes grimpait en direction de la Montée des Accoules et ses douleurs à l 'estomac lui coupaient un peu le souffle. L'aggravation de son ulcère le tracassait depuis quelque temps ; il appréhendait de perdre une par- tie de ses facultés dans ses rapports intimes avec Zizou.

    Zizou, c'était sa petite amie numéro Un. Elle exerçait sur lui une étrange fascination alors que ses autres maîtresses ne l'intéressaient que pour leurs recettes quotidien- nes dans l'hôtel de passe de la rue de la Tour qu'il contrôlait. Il y avait surtout Élyane, mais elle, c'était absolument à part.

    Plusieurs de ses amis étaient « tombés » pour proxéné- tisme, selon le Code pénal, du fait qu'ils vivaient avec une personne se livrant à la prostitution et qu'ils ne pouvaient justifier de ressources correspondant à leur train de vie.

    Lui, Mario Zeppo, se montrait plus circonspect. Il se contentait de relever discrètement les compteurs sans par- tager la vie de ses protégées. Cette activité peu absor- ban te lui laisssait le temps de vaquer à des occupations encore plus lucratives telles que le racket, le hold-up, le cambriolage. Chaque «casse» rapportait gros à son équipe. La chance les abandonnait rarement. Faute d'élé- ments valables, la police faisait chou blanc bien qu'elle eût la conviction que c'était la bande de Zeppo qui avait fait le coup. Le commissaire Rollet et ses adjoints qui avaient consacré énormément de temps à traiter ces affaires met- taient un nom sur leurs auteurs, les frères Recatti, Lunettes, Main Agile, Gégé Biscanti et Pierrot-le-Sicilien, demi-frère du Marseillais, l'homme qui montait dans le milieu.

    Tous insaisissables, faute de preuves.

    Si le Marseillais réussissait à esquiver les pièges que lui

  • tendaient les as de la Criminelle, c'est qu'il se méfiait de tout et de tout le monde. Des femmes en particulier. Et principa- lement de Zizou qui avait la langue trop bien pendue.

    Elle avait beau être une fine mouche, elle n'arrivait pas à connaître ses véritables activités ni le secret de sa réussite. Elle savait qu'il avait des femmes sur le trottoir : un point, c'est tout. Des proxénètes, elle en avait vu d'autres. Ils ne l'effrayaient pas. Même le Parisien à la jambe en plastique qui voulait l'emmener voir du pays aux Seychelles...

    Une fois, elle avait vu Mario lire un curieux journal, l'Echo du Macadam, organe officiel des femmes prosti- tuées et de leur Association nationale d'action et de défense.

    - Qu'est-ce que c'est que ce canard ? lui avait-elle demandé en riant.

    Il avait esquissé un vague sourire méprisant. - Peuh ! Ces dames veulent jouer les féministes et les

    sainte-nitouche. Depuis cette tordue de Marthe Richard, elles ne se sentent plus. Elles revendiquent ! Comme si elles n'avaient pas besoin des macs ! Sans leurs hommes, bon- jour la drogue, la boisson, la fainéantise, le laisser-aller...

    Zizou avait jeté un coup d'œil plutôt dur au beau Mario, avait paru un instant sur le point de donner son avis, puis, s 'étant ravisée, était passée à un autre sujet de conversa- tion en concluant :

    - Tu sais, les putes, ça sera toujours des putes. Il avait hoché la tête d'un air entendu. - Ces morues ont coûté trop d'années de taule à mes col-

    lègues, alors b a s t a Elle n'avait pas insisté. Elle était payée pour savoir que la

    moindre contradiction rendait Mario « gracieux comme un vié d'ours » selon son expression bien imagée.

    Il passait maintenant sous les étendages de lessives qui pointaient comme des pavillons multicolores et montraient les dessous des habitants du quartier.

    En s'arrêtant le nez en l'air devant le numéro 16, à l'en-

  • droit même où les façades présentaient un renfoncement en grande partie occupé par le salon COIFFURE DAMES, il se dit en souriant :

    - Té ! Zizou ne portera pas son slip ni son soutien-gorge de dentelle noire. Les voilà qui sèchent au-dessus de ma tronche !

    Le léger mistral qui prenait la rue en enfilade gonflait les sous-vêtements d'affriolante façon contre la soie bleue du ciel sans nuages.

    Chaque fois que le Marseillais allait retrouver la jeune femme, il se rappelait qu'autrefois, é tant minot, avec les «cacous» du quartier, ils venaient reluquer les lingeries intimes de leurs petites amies. Il avait beau habiter à pré- sent la partie huppée de la rue Paradis, à deux pas de la place Delibes où avait vécu Paulot Leca, le roi de l'alibi, il fouillait du regard avec un certain ravissement les rues à escaliers où il avait usé ses fonds de culotte sur les rampes de fer qui longeaient les trottoirs et il reprenait machinale- ment les expressions d 'a rgot marseillais dont il avait émaillé le langage de ses jeunes années.

    Il se souvenait également que, par là, à l'âge de 21 ans, il avait écopé de sa première condamnation. Un an et six mois d 'empr isonnement pour cambriolage. Il « visitait » une villa à Saint-Just lorsqu'un appel téléphonique des voi- sins alerta la police. A l 'arrivée des condés, il avait sauté par la fenêtre dans la rue et s'était cassé la jambe. Trans- porté à la salle des consignés de l'hôpital de la Conception et trouvé en possession de bijoux volés, il n 'en était sorti que pour comparaître devant le tribunal de grande ins- tance.

    Chaque fois qu'il effectuait ce retour aux sources, il égre- nait comme un chapelet infernal les souvenirs des hommes du Panier tombés sous les balles. Toute sa jeunesse avait été marquée par ces exécutions sommaires et aussi par la destruction d'une partie des vieux quartiers.

    Né d'un père sicilien, ancien navigateur passé au milieu, il n 'avait que dix ans en février 1943 lorsque le quartier Saint-Jean, contigu au Panier, avait disparu sous la ched-

  • dite des occupants allemands. Pendant dix-sept jours, dU haut de la place des Moulins, il avait assisté à l'anéantisse- ment systématique de l'ancien Quartier Réservé. Le cœur serré, il avait vu les rues du plaisir céder la place à de tristes amas de gravats et de pierraille. Il avait sursauté aux explo- sions qui ébranlaient la ville entière. Il avait été à moitié asphyxié par les nuées de poussière jaune qui s'élevaient au-dessus des maisons écroulées. La rue Caisserie servait de frontière entre le quartier Saint-Jean et son quartier du Panier. Tout le passé du village primitif de Marseille dispa- raissait. Massalia n'existait plus.

    Le Panier avait été épargné. Peut-être parce qu'il n'abri- tait ni bordels ni prostituées sur le pas des portes. Y vivaient sans histoires de vieilles familles marseillaises, des artisans, de petits commerçants faisant bon ménage avec les navigateurs corses ou génois, les émigrés arméniens ou maghrébins, les Chinois, qui tentaient de s'enraciner.

    Plus tard, à la Libération, il avait vu sur l'emplacement de la fameuse rue Bouterie, de la rue de la Reynarde, de la rue Ventomagy et des autres dédiées à l'amour vénal s'élever les immeubles modernes qui remplaçaient les anciens palais de l'aristocratie provençale convertis en maisons closes connues des marins de tout l'univers : Cythéria, Aline, Au Chat Noir, A la Lune, Le Flamboyant, Théo, Rébecca, Chicago House, etc.

    Il était trop jeune pour avoir fréquenté ces établisse- ments à gros numéros. D'ailleurs, il n'avait pas grandi dans les rues chaudes, mais dans le secteur sauvé de la destruc- tion. La rue Caisserie constituait une ligne de démarcation qu'il ne traversait pas souvent. En outre, ses copains étaient du Panier et en sortaient rarement. Ils appartenaient à la deuxième génération qui allait prendre la relève des anciennes « terreurs » : La Scoumoune, François-le-Fou, Tes- tasse, Pitchounet, le Bombu...Tous s'émerveillaient déjà aux exploits de ces aînés à l 'époque héroïque des bandes des Sant-Janens et des As de Trèfle de Saint-Mauront que leurs pères leur relataient non sans nostalgie.

    Quelques-uns de ses camarades de jeunesse devaient

  • marcher sur leurs traces, Sandre, Méu, Lulle, Doumé-le- Corse, le Goï, Nazole... La plupart moururent de mort vio- lente. L'un avait été abattu rue des Belles-Écuelles ; d'autres à la rue du Puits du Denier, à la rue des Repenties, à la place des Moulins, à la rue des Mauvestis, sur la place des Treize- Cantons et en bien d'autres rues à l 'appellation moyen- âgeuse.

    Plusieurs noms célèbres de ces martyrs du Mitan et les circonstances de leur fin tragique restaient gravés dans la mémoire de Mario Zeppo. Il comptait : Doumé Muzziotti, un ancien du Combinatie, tué dans son bar une nuit de Saint-Sylvestre ; Jeannot Suzzini dans une cabine télépho- nique ; Planche Paolini contre le mur d 'un cimetière ; Méu Salvati derrière l'hôtel-Dieu pendant qu'il promenait son petit chien ; Sandre Bustico dans la campagne par les flics ; Panique et Salade liquidés par Mimi-la-Criminelle sous le porche d 'une maison de la rue du Poirier... « Sept que j'ai connus et des tas d'autres ! »

    Ces souvenirs résonnaient dans sa tête comme ses pas entre les vieilles façades grises. De même, ses erreurs de jeunesse émergeaient du passé. Des histoires, pourtant pas bien graves, de vols, de recels, de ports d'armes. Heureuse- ment pour lui dont l'ambition était de devenir un caïd de la classe des Carbone, des Spirito, des Vinciguerra... Pour ne pas avoir un pedigree trop chargé, un futur « parrain » doit passer à travers les lois et ne recourir à la violence qu 'en cas de force majeure. On ne devient un homme de poids que si l'on s'adapte à l'orientation du marché souter- rain. Les stupéfiants, la contrebande, les jeux, les magouil- les immobilières et politiques, voilà des occupations qui vous sortent du monde des petits malfrats. Le proxéné- tisme, en perte de vitesse. Ce n'est plus un métier d'avenir avec les prostituées qui se rebiffent. C'était bon pour les grands-pères avec la traite des Blanches sur grande échel- le. Les Eldorados d'Amérique du Sud, de l'histoire ancienne folklorique...

    Pourtant, il ne tenait qu 'à Mario Zeppo de vivre des femmes. Pour servir de couverture, il aurait pris un petit

  • du G. I. P. N. Redoutaient-ils qu'on vienne l'achever sur son lit, comme ç'avait été le cas pour Antoine Mondoloni dans sa chambre de l'hôpital de Cavaillon ?

    Mario Zeppo rendit le dernier soupir un soir à l'heure de l'apéritif. Le constat de décès portait cette singulière indi- cation : « Mort de septicémie suraiguë. »

    Cet empoisonnement du sang était-il dû à l 'opération prat iquée à la va-vite et avec les moyens du bord, sans asepsie, par son compagnon de cellule ?

    Aucune réponse officielle. Le Marseillais fut inhumé au cimetière Saint-Pierre dans

    son caveau de famille où, déjà, reposaient son père et le fils de son ami Gaby Recetti tué au cours de la guerre contre le Matou.

    Quant à la corde qui étrangla Mario Zeppo, nul ne sait ce qu'elle devint. Une croyance populaire bien ancrée veut que la corde de pendu soit un précieux talisman. Elle ferait toujours gagner et elle apporterai t le succès dans toutes entreprises, même les plus hasardeuses.

    Peut-être quelque joueur professionnel ou quelque habi- tué de casino et de cercle de jeux en recèle-t-il un petit bout au fond de sa poche ?

    Cette curieuse superstition viendrait du seizième siècle à l 'époque des guerres de Religion. Catholiques et hugue- nots se pendaient à qui mieux mieux. On prétendait alors qu'un supplicié mort injustement par pendaison allait tout droit au paradis. Et, partant , que la corde meurtrière constituait un objet de vertus magiques de protection et de pouvoir.

    Plus tard, à partir de la Révolution, cette croyance se transféra, avec la guillotine, sur le sang des décapités qu'on recueillait pour porter bonheur. Elle subsista jusqu'à la sup- pression de la peine de mort.

    Mario Zeppo n'avait certainement jamais pensé qu'un objet qui le toucherait de près servirait un jour de fétiche à des ingénus.

  • XVI

    É p i l o g u e

    La mort d'un caïd laisse toujours des mystères en suspens. Marseille est la ville où l'on a la parole facile. Les gens, parlent, parlent, dans les bars, dans les restau-

    rants, dans le métro, dans l'autobus, au marché, sur le quai des Belges devant les barques de pêche. Plus d'un continue même de parler que personne n'écoute.

    Les gens « déparlent » aussi. A la mort de Mario Zeppo que n'a-t-on raconté ! Les uns ont soutenu que l'on avait enterré dans son

    caveau de famille un autre pauvre mort à la place du Mar- seillais et que le vrai de vrai se porterait comme un charme sous les cieux de l'Amérique du Sud. Ils fondaient leur assertion sur le fait qu'à l'exception d'Elyane, son épouse, et du médecin légiste, personne n'avait été mis en pré- sence du corps du pendu des Baumettes.

    D'autres voyaient là un signe du destin qui veut qu'à Marseille les grosses affaires se terminent en eau de bou- din. Ils citaient celles des fausses factures, de l'amnistie des politiciens compromis dans les magouilles, des caisses noires des partis politiques. Ils rappelaient le «suicide» d'un directeur de la Sécurité sociale trouvé avec deux

    1. Du provençal « desparla » : parler de travers, déraisonner.

    CouvertureCopyright d'originePage de titreDu même auteurPREMIÈRE PARTIE - La chute de l’angeI - Un bel enterrementII - Un enfant du PanierXVI - Épilogue