le fait-diversier et ses interlocuteurs à ouest france

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1 Gael Cérez  école de Journalisme de Toulouse   2010/2013 Le fait-diversier et ses interlocuteurs « Depuis que le début de l'humanité a commencé par une escroquerie à la pomme, s'est poursuivie  par le meurtre d'un frère pa r son père, a failli s'interrompre sur une catastrophe météorolog ique, le  fait divers est le reflet de la vie et l'image d'une société. » Pierre Viansson-Ponté Janvier 2013  Septembre 2013.

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Gael Cérez – école de Journalisme de Toulouse – 2010/2013

Le fait-diversier et ses interlocuteurs

« Depuis que le début de l'humanité a commencé par une escroquerie à la pomme, s'est poursuivie

 par le meurtre d'un frère par son père, a failli s'interrompre sur une catastrophe météorologique, le

 fait divers est le reflet de la vie et l'image d'une société. »

Pierre Viansson-Ponté

Janvier 2013 – Septembre 2013.

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Sommaire

Présentation ....................................................................................................................... 5

1. Le fait-Divers ................................................................................................................. 6

1.1. Définitions et structure du fait-divers ............................................................................ 6

1.1.1. De multiples définitions ............................................................................................ 6

1.1.2. Citations littéraires : .................................................................................................. 7

1.1.3. Le fait divers vu par Roland Barthes ......................................................................... 8

1.1.4. Le traitement des faits divers ................................................................................... 9

1.1.5. Le rôle essentiel de l’image....................................................................................... 9

1.1.6. Du fait divers au fait de société .............................................................................. 11

1.2. Le fait divers à Ouest-France ........................................................................................ 12

1.2.2. Les grands principes ................................................................................................ 12

1.2.2. Publier l'identité ? ................................................................................................... 13

2. Le fait-diversier .......................................................................................................... 14

2.1. La journée d'un fait-diversier à Ouest-France. ............................................................ 14

2.2. Des relations privilégiées .............................................................................................. 14

2.2.1. Une relation personnelle ........................................................................................ 14

2.2.2. Interlocuteurs différents, rapports différents ........................................................ 16

2.3. Une communication plus contrôlée ............................................................................. 17

2.3.1 Des rapports qui évoluent ....................................................................................... 17

2.3.2 Un accès à l'information plus compliqué ................................................................. 18

2.3.3 Des relations qui se tendent .................................................................................... 19

2.3.4. Le Parquet, le nouvel interlocuteur incontournable .............................................. 20

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3. Les interlocuteurs du fait-diversier ................................................................ 22

3.1. Le journaliste, un mal nécessaire ................................................................................. 22

3.1.1. L'intrus ..................................................................................................................... 22

3.1.2. Que dire au journaliste ? ......................................................................................... 23

3.1.3. Une relation de confiance à cultiver ....................................................................... 25

3.2. Conseils de comportement sur le terrain .................................................................... 25

3.2.1. Pour les pompiers ................................................................................................... 26

3.2.2. Pour les gendarmes ................................................................................................ 27

Conclusion .......................................................................................................................... 28

Annexes ............................................................................................................................... 29

Les entretiens avec les journalistes ...................................................................................... 29

Les entretiens des interlocuteurs ......................................................................................... 38

Présentation de Ouest France et charte des faits divers ..................................................... 47

 

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Présentation

- « Vous vous occupez des chiens écrasés ? » Sourire goguenard.

- « Les chiens non. Les humains oui. Et dis-moi ce que tu veux, je suis sûr que c’est lapremière chose que tu lis dans le journal après la rubrique Obsèques. »

Dialogue imaginé mais si plausible.

Le fait-divers, décrié, déprécié… mais tellement lu. « Une grand-mère qui tombe dans la rue,

on en fait une brève », me demandait un chef de local. « C’est notre priorité. »

À Ouest-France, comme ailleurs, le fait-divers est un incontournable. Mais attention, le plus

grand quotidien de France dispose bien sûr d’une charte qui encadre spécifiquement ce

domaine journalistique.

Car l’exercice est périlleux. Les chausse-trappes nombreuses. Les non-dits monnaie

courante. Un vrai jeu de poker menteur en fait. C’est dire qu’il faut s’y connaître pour traiter

cette matière avec professionnalisme. Grades, procédures, mode d’interventions,

vocabulaires, horaires décalés, tout concourt dans le fait-divers à spécialiser le journaliste

qui s’y dédie.

Vieux routard, jeune loup aux dents longues, débutant ne sachant pas dire non aux collègues

blasés que le FD ennuie, le fait-diversier a un poste à part dans une rédaction. Lui seul

rencontre avec autant de régularités des interlocuteurs extérieurs tels que les policiers, lesgendarmes, les pompiers ou les parquetiers.

Avec eux, il développe une relation particulière : privilégiée ou subie, cordiale ou tendue.

Tout dépend des interlocuteurs, des situations et des humeurs.

Dans le métier, nombreux sont les journalistes à penser que les relations avec leurs

interlocuteurs traditionnels se sont fortement dégradées ces dernières années.

Ont-ils tort ou raison ? Fantasment-ils un passé radieux ?

Pour le savoir, je me suis entretenu avec les interlocuteurs du fait-diversier dans le pays

lorientais. De la police à la gendarmerie en passant par les pompiers, les réponses qu’ils

apportent sont instructives. Elles montrent la complexité d’une relation et les limites à ne

pas franchir selon eux. Libre à nous, journalistes fait-diversiers, de suivre ses réflexions ou de

s’en affranchir. 

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1. Le fait-Divers

« Cataclysmes, meurtres, crimes, accidents, suicides, scandales, événements extraordinaires

de la vie exercent sur nous une trouble attraction. Ils mettent en scène nos fantasmes,

réveillent nos pulsions, suscitent terreur et pitié comme les contes de notre enfance. Ils nousrenvoient à nos désirs de transgresser les normes et d’enfreindre les interdits. Ils pimentent

notre quotidien et nous offrent aussi les ingrédients d’un roman policier ou d’un feuilleton.

Ouvrons les pages d’un périodique, et c’est à cette kyrielle d’émotions fortes que nous convie

la lecture des faits divers. » Daniel Salles.

1.1. Définitions et structure du fait-divers

Avant de parler des relations entre le fait-diversier et sesinterlocuteurs, parlons du fait-divers. Faute de temps, je

n'ai absolument pas cherché à en consulter les nombreuses

études et publications traitant du fait-divers. J'aurai pu lire

Essais critiques, l'ouvrage de Roland Barthes, publié en

1964, dont la partie « Structure du fait divers » est

constamment citée. Mais non.

Ma seule référence est l'important (et excellent) travail réalisé par Daniel Salles pour

l’exposition « La Presse à la Une, De la Gazette à Internet » présentée du 11 avril 2012 au 15

 juillet 2012 à la Bibliothèque nationale de France. J'en reprends ici les grandes lignes.

1.1.1. De multiples définitions

« Accident, délit ou événement de la vie sociale qui n'entre dans aucune des catégories

de l'information. » Glossaire des termes de presse

« Sous cette rubrique, les journaux groupent avec art et publient régulièrement les nouvelles

de toutes sortes qui courent le monde : petits scandales, accidents de voiture, crimesépouvantables, suicides d'amour, couvreur tombant d'un cinquième étage, vol à main armée,

 pluie de sauterelles ou de crapauds, naufrages, incendies, inondations, aventures cocasses,

enlèvement mystérieux, exécutions à mort, cas d'hydrophobie, d'anthropophagie, de

somnambulisme et de léthargie, les sauvetages y entrant pour une large part et les

 phénomènes de la nature tels que veaux à deux têtes, crapauds âgés de quatre mille ans,

 jumeaux soudés par la peau du ventre, enfants à trois yeux, nains extraordinaires. » 

Grand Dictionnaire Larousse du XIXe siècle

Daniel Salles

Professeur documentaliste aprèsavoir été 30 ans professeur de

lettres classiques mais surtout

formateur en éducation à l’image et

aux médias et auteur d’articles et

d’ouvrages pédagogiques sur ce

thème. Webmestre du site

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« Nouvelles peu importantes d'un journal. »Petit Robert, 1983.

« Les événements du jour (ayant trait aux accidents, délits, crimes) sans lien entre eux,

 faisant l'objet d'une rubrique dans le journal. » Petit Robert, 1995. 

« L'ambivalence est au cœur du fait  divers, cette catégorie qui n'en est pas une, où l'on rangeen vrac tout ce qui dérange et intrigue, fascine et effraye, parce que s'y dévoile brusquement

l'envers trouble et mystérieux de l'humanité. » Edwy Plenel. 

1.1.2. Citations littéraires :

« Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois,

ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus

épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté,

de charité, et les affirmations les plus effrontées, relatives au progrès et à la civilisation. Tout

 journal, de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols,impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une

ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé

accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la

muraille et le visage de l'homme.  Je ne comprends pas qu'une main puisse toucher un

 journal sans une convulsion de dégoût. »

Charles Baudelaire, Mon cœur est mis à nu.

« En m'éveillant je me disposais à répondre à Henri van Blarenberghe. Mais avant de le faire,

 je voulus jeter un regard sur Le Figaro, procéder à cet acte abominable et voluptueux qui

s'appelle lire le journal et grâce auquel tous les malheurs et les cataclysmes de l'univers

 pendant les dernières vingt-quatre heures, les batailles qui ont coûté la vie à cinquante mille

hommes, les crimes, les grèves, les banqueroutes, les incendies, les empoisonnements, les

suicides, les divorces, les cruelles émotions de l'homme d'État et de l'acteur, transmués pour

notre usage personnel à nous qui n'y sommes pas intéressés, en un régal matinal, s'associent

excellemment, d'une façon particulièrement excitante et tonique, à l'ingestion recommandée

de quelques gorgées de café au lait. Aussitôt rompue d'un geste indolent, la fragile bande du

Figaro qui seule nous séparait encore de toute la misère du globe et dès les premières

nouvelle sensationnelles où la douleur de tant d'êtres « entre comme élément », ces

nouvelles sensationnelles que nous aurons tant de plaisir à communiquer tout à l'heure à

ceux qui n'ont pas encore lu le journal, on se sent soudain allègrement rattaché à l'existence

qui, au premier instant du réveil, nous paraissait bien inutile à ressaisir. »

Sentiments filiaux d’un parricide. Article de Marcel Proust. Le Figaro. 1er février 1907

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1.1.3. Le fait divers vu par Roland Barthes

Le mot « fait divers » apparait en 1838. Il désigne l’événement, l’information qui le relate et

la rubrique du journal qui le traite.

Inclassables de l’information, les faits divers sont difficiles à définir. Négativement, c’est toutce qui n’a pas trouvé place dans les rubriques habituelles. D’ailleurs, dans l’argot

 journalistique, couvrir les faits divers c’est « faire les chiens écrasés », c'est-à-dire traiter les

faits les moins importants de l’actualité. Positivement, c’est un large éventail de petits faits

étonnants, tragiques, extraordinaires ou insignifiants qui concernent plutôt les gens en tant

que personnes privées, et qui n’ont apparemment pas d’effet central sur le fonctionnement

de la société.

Dans son étude sur le fait divers (Essais critiques, Seuil, 1964), Roland Barthes montre que

celui-ci, en dépit de son aspect futile et souvent extravagant, porte sur des problèmes

fondamentaux, permanents et universels : la vie, la mort, l’amour, la haine, la nature

humaine, la destinée…

Pour lui, le fait divers s’apparente à la nouvelle et au conte. Transgression d’une norme

rationnelle, factuelle, statistique, sociale, culturelle et éthique, il révèle l’irruption d’une

déchirure dans l’ordre du quotidien, il fait scandale.

Selon Barthes, la spécificité du fait divers tient provient surtout de la causalité et de la

coïncidence :

- La causalité peut être déçue parce que la cause révélée est plus pauvre que la cause

attendue : « Une femme blesse d’un coup de couteau son amant : crime passionnel ? Non,

ils ne s’entendaient pas en politique » ; ou parce qu’une petite cause entraîne un grand

effet.

- La relation de coïncidence a plusieurs aspects : la répétition, le rapprochement de deux

termes (c'est-à-dire deux contenus) qualitativement distincts : « Des pêcheurs islandais

pêchent une vache » ; le comble, qui est la prédilection du fait divers. La coïncidence est

d’autant plus spectaculaire qu’elle retourne certains stéréotypes de situations : « À Little

Rock, le chef de la police tue sa femme ». « Des cambrioleurs sont surpris et effrayés par unautre cambrioleur ».

Le fait divers a un côté mystérieux et touche à l’irrationnel : hasard, monstruosité, étrangeté,

aveuglement lié à des fantasmes sociaux comme dans l’affaire d’Outreau ou irruption de

figures mythiques comme les matricides.

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1.1.4. Le traitement des faits divers

Les récits à sensation apparaissent dès les débuts de l’imprimerie et s’inscrivent dans la

grande tradition de la presse. Au XIXe siècle, les canards illustrés (feuilles volantes non-

périodiques qui diffusent des nouvelles sensationnelles à propos d’événements ou de faits

divers) connaissent une grande diffusion.

En 1869, l’affaire Troppmann va passionner les Français,

provoquer une mutation spectaculaire de la presse qui la

médiatise. Ainsi Le Petit Journal franchit à cette occasion la

barre des 500 000 exemplaires. Le récit de crime connaît une

extraordinaire expansion.

Les médias populaires exploitent le fait divers dont la lecture 

ne demande aucune compétence particulière ni aucune

connaissance spécifique. Ils le scénarisent et le mettent en

scène, dramatisent l’action et la renforcent par le caractère

théâtral des décors et l’utilisation de protagonistes

stéréotypés. Les titres font assaut d’adjectifs emphatiques

pour capter l’intérêt du lecteur...

Cette logique d’information spectacle entraînera la naissance

de périodiques spécialisés comme Détective. Mais aussi l’apparition de journalistes de faits

divers aux méthodes discutables : souvent sans scrupules dans leur collecte de

photographies et de témoignages, ils sont parfois prêts à tout pour transformer les faitsdivers en vrais sagas qui tiennent longtemps le public en haleine. Pensons aux dérives

sensationnalistes aux conséquences tragiques de l’affaire Grégory ou de l’affaire d’Outreau.

Mais aussi au traitement récent de l’affaire DSK... 

Récits d’écarts par rapport aux normes, les faits divers tendent à la société un miroir qui lui

permet de s’observer, pour mieux réaffirmer les normes ou au contraire les faire évoluer.

1.1.5. Le rôle essentiel de l’image 

Les illustrations ont toujours joué un grand rôle dans le traitement des faits divers, en raison

de leur dimension émotionnelle : images gravées sur bois des occasionnels et des canards,

dessins du Petit journal ou de l’Illustration, photos. Les journalistes arrivent après les faits

(mais souvent aussi avant la police comme le photographe américain Weegee), et les

 journaux ont encore aujourd’hui recours à des dessins pour illustrer les articles qui relatent

ces événements drôles ou tragiques.

L’affaire Troppmann

Jean-Baptiste Troppmann (1849-

1870), est un mécanicien, jugé

coupable du meurtre des huit

membres d’une même famille. Ce

crime connu sous le nom de «

massacre de Pantin » a fait la

fortune du Petit Journal qui, flairant

le bon coup et tenant en haleine ses

nombreux lecteurs, tripla

régulièrement son tirage. Cette

affaire développa la couverture

presse des faits divers et des

exécutions par les journaux

populaires.

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Dans ses illustrations de faits divers, par exemple pour France-

Soir  ou Détective, Di Marco reprend la tradition de la peinture et

des dessins à la "une" du Petit journal parus dès les années 1890 :

il montre habituellement le moment de tension maximum qui

précède le geste fatal. Il fixe les gestes, les attitudes, les regardsdes personnages au moment crucial. Ses dessins mis en scène

sont comparables à un instantané en photographie. Le style

hyperréaliste du dessin, l'éclairage qui met en valeur l'expression

des personnages et notamment leurs yeux, les physionomies

outrées et l'expression paroxystique des visages, la force

expressive de leurs gestes font également participer le spectateur

à l'action et l'amènent à envisager la suite implacable des

événements.

Cette intensité dans les dessins et

cette mise en scène théâtrale

contribuent à la dramatisation et à

des effets de vérité. « On ne peut

 pas faire les dessins que je fais sans

ressentir les émotions fortes des

histoires que je dois illustrer, comme

la terreur, l'angoisse, la souffrance,

déclare Di Marco. Il faut les vivre

intérieurement et l'on obtient des

effets saisissants de réalité parce qu'on les a presque vécus »,

Le développement de la radio et de la télévision va encore

renforcer le succès des faits divers auprès du public ; et ces

derniers remontent bien souvent en tête des conducteurs des

 journaux télévisés. En 2008, d’après le baromètre thématique des

 journaux télévisés de l’Ina, ils occupent près de 10 % des sujets

des éditions du soir : « Alors que les catastrophes –  naturelles ou

 provoquées par l’activité humaine –  occupent une placerelativement stable (hormis le pic de l’année 2005), il n’en est pas

de même pour les faits divers qui affichent une augmentation régulière passant de 630 sujets

en 1999 à 1710 en 2008, comme si les partis pris éditoriaux des chaînes étaient de favoriser,

de plus en plus, les drames personnels plutôt que les drames collectifs. » De même, les

émissions à base judiciaire, fondées sur les récits et reconstitutions d’affaires criminelles,

sont très présentes à la télévision.

Arthur Fellig, dit Weegee

En 1938, « Weegee the

Famous » est en effet le premier

et seul photographe à avoir le

privilège d’être branché sur la

radio de la police. Ce dispositif

lui permet d’arriver sur les lieux

de crimes, d’accidents,

d’incendies, de suicides, en

même temps que les policiers,

voire avant eux. Ses flash

crépitant rendent compte de ses

scènes encore chaudes où les

traces laissées ne sont pas

nettoyées et rendues à une

certaine normalité de la viequotidienne par le travail des

policiers ; le sang s’écoule sur la

chaussée, les armes du crime

 jonchent le sol, la fumée envahit

l’atmosphère des rues, les

volants sont encore dans les

mains des victimes d’accident,

les chaussures encore sous les

roues, les chocs émotionnels

sont imprimés sur les

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1.1.6. Du fait divers au fait de société

Récits d’écarts par rapport aux normes, les faits divers tendent à la société un miroir qui lui

permet de s’observer, pour mieux réaffirmer les normes ou au contraire les faire évoluer.

Aussi certains médias privilégient-ils l’analyse plutôt que la narration, la réflexion plutôt que

l’émotion. Ils recherchent alors un fait exemplaire d’une certaine réalité sociale qu’ils

veulent mettre en lumière et utilisent les faits divers pour éclairer avec distance une

évolution ou une tendance d’ensemble. Ces « signes, emblèmes, appels » (Merleau-Ponty)

se retrouvent dans les pages des journaux sous le titre générique « Société ». Certains faits

permettent de bien désigner les dysfonctionnements sociaux (le fonctionnement de la

 justice dans l’affaire d’Outreau par exemple) :

« L’ensemble de ces articles montre très bien comment le fait divers peut être perçu comme

un facteur puissant d’incitation à débattre de problèmes de société auxquels il est associé.

Comme dans le cas [Marie] Trintignant, le fait divers actualise en fait une polémique quin’est pas neuve en permettant de l’illustrer ou de la mettre en exergue. Il en résulte que le

 fait divers doit être appréhendé du point de vue de la fonction de publicisation qu’il exerce

sur l’information : il contribue à une prise de conscience de l’opinion publique qui dépasse le

cas particulier qu’il est pour intégrer un discours plus général sur la probl ématique dont il a

 fait l’objet. » Catherine Dessinges : Lady Diana, Marie Trintignant : faits divers ou faits de

société ?

Mais les médias provoquent désormais à grande échelle des identifications et des émotions

à partir de faits divers. Le fait divers criminel suscite aujourd’hui un discours sur la violence

qui serait en augmentation, ce qui est statistiquement faux. Lors de la campagne

présidentielle de 2002, le thème de l’insécurité a par exemple donné lieu à l’exposition

d’une multitude de faits divers à la télévision, non sans conséquences. Depuis quelque

temps, le pouvoir politique « surréagit » à la médiatisation de ceux-ci et développe autour

d’eux un discours sécuritaire et un discours victimaire. Ainsi, certains assassinats sont

systématiquement suivis de propositions de légiférer. On peut s’interroger : cette

exploitation politique de la presse est-elle saine pour la démocratie ?

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1.2. Le fait divers à Ouest-France

1.2.2. Les grands principesÀ Ouest-France, le travail du fait-diversier est encadré par la Charte des Fait-divers diffusée

en 1990. Elle se résume dans la formule « Dire sans nuire, Montrer sans choquer, Témoigner

sans agresser, Dénoncer sans condamner ». 

Petit ou grand, tout fait divers engage la responsabilité juridique et éthique du journal. Il

engage, devant les tribunaux, la responsabilité du Directeur de publication. Il compte pour

beaucoup dans l’image que los lecteurs se font de leur journal. Son traitement exige donc

une bonne connaissance du droit et des procédures, une capacité à trouver le ton juste,

entre la froideur de l’examen clinique et l’émotion excessive. Touchant au plus intime de l’homme, le « fait div' » provoque les sensibilités, interroge les

consciences et perturbe l’équilibre des communautés. Le journaliste en charge du fait divers

doit être à l’aise dans tous les registres de son métier. Conscience toujours en alerte, il doit

avoir l’obsession d’incarner, dans la relation, l’enquête ou les prolongements qu’il propose

d’un événement, les valeurs de justice, de liberté, de respect des individus et de leurs

droits qui fondent « Ouest-France ».

Les faits vérifiés, précis et utiles à la compréhension doivent être rapportés avec l’obsession 

permanente de toutes les conséquences possibles de leur publication pour les acteurs eux-mêmes, pour la famille des victimes, pour celle des coupables. L'étalage de détails crus et

sordides est interdite. Jamais une photo ne doit montrer une personne dans une situation

humiliante.

Il faut bannir tout effet de polémique à l’encontre d’une personne. Éviter toutes les

expressions outrancières ou blessantes, tous les jugements hâtifs. La personne incriminée ne

doit jamais apparaître comme la cible d’une action menée par la Presse.

Le journaliste doit être extrêmement prudent sur les causes, les liens de cause à effet, les

responsabilités personnelles des différents acteurs. Même l’évidence peut être trompeuse

en la matière, sans compter les stratégies manipulatoires des sources d’information. 

Pas de cavalier seul à Ouest-France. Les FD sont discutés en équipe. Évidemment quand le

rédacteur débute dans la profession. Mais, également entre journalistes expérimentés.

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1.2.2. Publier l'identité ?

Toujours pour protéger les acteurs du fait-divers, la publication de l'identité de ceux-ci est

également très réglementée. L'identité ne se résume pas à un nom. C’est un faisceaud’indications (nom, prénom, image de la personne, adresse ou photo du domicile, métier et

lieu d’exercice…) qui permettent de la reconnaître. 

En règle générale, les identités des accidentés sont données lorsqu'il y a un mort et que la

famille a été prévenue. Pour la justice, on ne publie rien avant le jugement, sauf si la

personne est connue. Après le jugement, les condamnés à de la prison ferme sont nommés.

Les autres non.

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2. Le fait-diversier

2.1. La journée d'un fait-diversier à Ouest-France.

La tournée structure la journée du fait-diversier.

À Lorient, après la conférence de rédaction, on appelle la

police, les pompiers, la sécurité civile et le Crossa Étel,

responsable de la sécurité marine. On se rend ensuite à la

compagnie de gendarmerie pour faire le point avec l'officier

de garde.

À 17h, on appelle à nouveau les pompiers, la sécurité civile et

le crossa. On passe ou on appelle le parquet en fonction du

temps pour savoir si des personnes ont été placées en garde à

vue dans la journée. On demande s'il y a des comparutions

immédiates.

À 17h30, on se rend au commissariat pour rencontrer l'officier

de la Sureté départementale et celui de la sécurité Voie

Publique.

À 20h, derniers appels aux pompiers, à la sécurité civile et au crossa.

La nuit, le permanencier, rôle tenu à tour de rôle, le fait-diversier et ses collègues, équipé de

ce portable, doit être prêt à couvrir un événement, un incendie par exemple.

2.2. Des relations privilégiées

Du fait de ces rendez-vous quotidiens, des relations particulières se mettent en place. Voici

le témoignage de Laurent Neveu, fait-diversier à Lorient jusqu'en août 2013, à Caen à

présent.

2.2.1. Une relation personnelle

« Quand je suis arrivé, le réseau était déjà en place. Les collègues

l'avaient mis en place. L'historique, ça compte. Mes relations avec les

 policiers et les gendarmes sont plus détendues maintenant que

lorsque je suis arrivé.

Le portable fait-divers

Il y a quelques années, Ouest-

France a équipé chaque locale

d'un portable dédié au fait-

divers. L'idée était de diffuser

un seul numéro de téléphone

auprès des interlocuteurs afin

de les inciter à contacter le

 journal en cas d'intervention.Dans les faits, les appels sont

rares ou inexistants. Les

interlocuteurs sont réticents à

informer les journalistes en

temps réels.

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C'est une relation très personnelle. Il faut avoir des relations de

confiance. Le policier et le gendarme doit pouvoir te parler d'une

affaire et savoir que tu ne vas pas en parler. S'il te parle d'une future

interpellation, tu n'en parles pas. C'est aussi dans le sérieux du

 journaliste. Ne pas se tromper dans les détails, la procédure, lesappellations. C'est vraiment un truc que tu apprends sur le tas, au

 feeling et à la psychologie.

Quand j'ai commencé à Caen, le Fait-diversier était Jean-Pierre Beuve.

 Je l'ai vu bosser. J'ai essayé de m'en inspirer. Il faisait de l'humour

avec les autorités. Il plaisantait, lâchait quelques blagues. Au

téléphone, il faisait un peu de dérision. Les flics prennent ça avec

humour parce qu'il faut prendre du recul. Il y a beaucoup d'humour

dans les rapports. Ce n'est pas rare qu'ils sortent des vannes et qu'en

retour, je les chambre. C'est une petite connivence. C'est naturel.

Comme pour les pompiers. Ils pratiquent l'humour pour se protéger.

Le partager est un moyen de se rapprocher d'eux. Quand ce sont des

choses graves, immolation, viol, crime, le sérieux s'impose de lui-

même.

On ne se tutoie pas. Saut avec certains pompiers parce que c'est plus

cool. C'est souvent eux qui me le disent. Le commandant des pompiers

 par exemple. Donc j'accepte. C'est différent des politiques qui sont

toujours en campagne. Le policier, lui, c'est dans le cadre de son

boulot. Ceux que je tutoie, ce sont les moins gradés. Il y a de la

complicité. Les pompiers ont je trouve un fonctionnement moins strict

aussi.

 Je fais l'effort d'aller voir les pompiers deux fois par semaine. La

caserne est éloignée mais c'est important qu'ils te connaissent. Cela

 facilite les choses lors des interventions.

 J'ai de très bons rapports avec les gendarmes d'ici. C'est vraimenthumain. C'est plus facile parce qu'on se voit. On peut discuter. J'en

tutoie deux parce que je les vois souvent. Il nous arrive de parler

d'autres choses que le boulot.

 À la police, le major Christian Jacques reçoit des journalistes depuis

des années. On sait qu'il n'est pas à cheval sur l'étiquette. »

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2.2.2. Interlocuteurs différents, rapports différents

« Les rapports sont-ils différents entre la police et la gendarmerie ? Je

trouve les gendarmes plus organisés, plus hiérarchisés, plus carrés. La

communication est à l'image de cela. Quand il y a un fait divers en

zone rurale, la brigade renvoie tout le temps à la compagnie. Ce n'est pas un désavantage car lorsqu'ils ont des infos, ils ont tous les

éléments.

La compagnie dispose de trois officiers : le commandant Lecoq, pas à

l'aise, son adjoint, le capitaine Gomez, et le capitaine Maccrez.

 À côté de ça, la police paraît désorganisée. Quand on y va à 17 h 30, le

major Jacques n'est pas forcément là. On ne sait pas trop qui est notre

interlocuteur. À la sureté départementale, c'est complètement

aléatoire. Parfois le commandant dit qu'il n'y a rien, parfois il oublie.

Ce n'est pas bordélique mais moins structuré. Les policiers ont un

rapport différent avec le milieu délinquant. Les gendarmes y sont

moins confrontés.

 À Lorient, la compagnie de gendarme communique facilement mais ce

n'est pas le cas partout. À Vire (Calvados), on pouvait consulter les

communiqués dans une bannette sur les affaires mais tu n'avais

aucune relation humaine. À Alençon, on ne pouvait pas monter dans

le bâtiment. Tout se faisait par téléphone. »

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2.3. Une communication plus contrôlée

2.3.1 Des rapports qui évoluent

Denis Riou, journaliste vacataire en presse écrite locale (Ouest-France à Angers et dansplusieurs rédactions de ce quotidien) à partir de 1986, puis journaliste titulaire et localier,depuis 1991, observe que les rapports avec les gendarmes, les policiers et même lespompiers ont beaucoup évolué ces dernières années.

« Il y a 15 ans par exemple, il n'y avait pas de guichet unique dans lescommissariats. On pouvait vadrouiller dans les couloirs et rencontrerles enquêteurs de terrain. Aujourd'hui, ces institutions ont verrouilléleur communication en n’autorisant l’expression des policiers qu’à un

certain niveau de responsabilité.

En gendarmerie, le phénomène est similaire avec les différencesd’organisations inhérentes au fonctionnement de la gendarmerie. Je

me souviens qu’en début de carrière, dans les années 90, on passaitencore des coups de téléphone aux brigades territoriales pour savoirs’il s’était passé quelque chose ou vérifier un fait divers dont on avait

eu connaissance.

Désormais, l’échelon minimum auquel on a accès c’est la compagnie

et l’officier qui chapeaute les brigades. Le relais qui peut nous être fait d’une information n’est plus de première main, mais déjà

« digéré » par un, voire, deux intermédiaires. C’est cela que j’appelle

l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours", une source forcémentmoins fiable , même avec la rigueur qu’un enquêteur est censé

apporter à la relation de faits.

De plus en plus, la gendarmerie s’abrite derrière une autorisation du

 parquet pour communiquer. Là aussi, on nous impose une logiqued’intermédiaire. Le magistrat du parquet peut n’avoir qu’une

connaissance partielle voire parcellaire d’un dossier qu’il vient de prendre en charge. Il est toujours préférable de recouper cette infocrédibilisée et fiabilisée « parquet » avec une source enquêteur. A lacondition que cette dernière se sente habilitée à parler à la presse. »

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2.3.2 Un accès à l'information plus compliqué

Du fait de ces protections, l'accès aux informations devient complexe. Les intermédiairespeuvent faire barrage inconsciemment par manque d'informations ou consciemment parmauvaise volonté.

« J’ai souvenir par exemple d’une affaire de meurtre d’une femme

suivi du suicide de son mari meurtrier dans le Morbihan, poursuitDenis Riou. La substitut du procureur me donne les éléments decompréhension des faits et de leur déroulement.

 Je cherche à les compléter avec l’officier de gendarmerie, dont

 j'apprends par la bande qu'il était sur le terrain, dans la matinée,avec le proc adjoint Et là, surprise, l’officier de gendarmerie, quatre

barrettes quand même, refuse catégoriquement et sur le mode irrité

de me communiquer le moindre élément sur cette affaire au motifque le proc adjoint, peu causant avec la presse, lui aurait dit : "pasun mot sur cette histoire"

Le commandant de gendarmerie s'est retrouvé prisonnier de sa promesse au proc adjoint. J’ai dû lui expliquer que je n’étais pas

comptable du fait que le parquet, soi-disant un et indivisible s’était

exprimé en dépit de ce blackout, décrété par un magistrat en froid

avec les journalistes. Il était embêté que j'écrive l'article sansqu’apparaisse son témoignage. Du coup, il a essayé de m'enfumer en

disant, que « tout n'était pas clair dans cette affaire ». Histoire de faire planer le doute. J'avais tout ce qu'il fallait, les éléments factuelset une petite enquête de proximité pour compléter. J'ai bien entenduécrit le papier. Il ne pouvait en être autrement compte tenu de lanature des faits.

Quelques semaines plus tard, son adjoint, un capitaine, me faitremarquer, à propos de la relation dans nos colonnes d’un autre faitdivers qu'il serait de bon ton qu'on ne se contente pas de la source

 parquet. Je me suis permis de lui rapporter la façon dont j’avais été

accueilli par son supérieur alors que je cherchais justement àconfronter source parquet et enquêteurs de terrain. »

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2.3.3 Des relations qui se tendent

Dans les rédactions, le sentiment que les relations se tendent avec les interlocuteurs, est eneffet très répandu. Le « C'était mieux avant » complété par « C'est de pire en pire » résumecet état d'esprit partagé par de nombreux journalistes.

C'est par exemple, une journaliste qui se plaint d'avoir attendu 45 minutes au commissariatsans être reçu par les officiers :

« C'est vraiment devenu n'importe quoi avec la tournée, regrette ainsiCatherine Jaouen, adjointe de la chef de locale de Lorient. On estresté 45 minutes au commissariat sans avoir un seul contact avecl'officier de garde. Il nous a vus à travers la guérite. On l'a vu exulterquand, à la TV, Lorient a égalisé. Il est retourné se planquer dans sonbureau. Le planton de service est allé le voir. L'officier de garde n'est

 jamais venu. Une minute de son temps, pour nous dire qu'il n'y a rien,c'est quand même pas grand-chose de pris sur son temps précieux. Onn’est pas des chiens.

La gendarmerie, c'est pareil. Ils ont peur de leur ombre. Impossibled ’avoir le commandant . Même au portable, il nous dit qu'il n'a pasd'information le matin. Le soir, même chose : « J'ai une enquête encours, mais je ne peux rien vous dire. Pour le reste, je n'ai pas leséléments. »

 Avec les pompiers, même chose : On a eu l'officier imbuvable autéléphone. Celui qui se fout de nous et ne nous dit rien.On peut comprendre que lorsqu'ils sont occupés, ils ne peuvent nous

 parler. Là, c'est juste du savoir vivre... »

Et quand les interlocuteurs communiquent, ce n'est pas forcément mieux. Soit la fiabilité decertains officiers laisse parfois à désirer. Soit on se heurte à un mur.

« Le commandant Mahec, qui vient de partir, n’était pas fiable du

tout, affirme Claude Le Mercier, à la locale de Pontivy. Au lieu d'un

coup de couteau au front, il parlait du thorax. Au lieu d'uneintersection, il était flou sur la localisation. C'est de pire en pire.

Son remplaçant m'a dit. "Tant que le parquet parle pas, je ne vousdonnerai rien." Mais l'autre jour, le parquet parlait. Lui n'a pas voulu.

 Au nom de la présomption d'innocence qu'il m'a dit. Des beauxdiscours... Quand ils ont besoin de nous, là ils savent nous trouver. »

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2.3.4. Le Parquet, le nouvel interlocuteur incontournable

Si les relations se tendent avec les interlocuteurs traditionnels, c’est parce que le Parquet a repris la

main sur la communication lors des affaires importantes. Yvan Duvivier, journaliste justice à Ouest-

France Lorient revient sur cette évolution récente et majeure.

« Tout repose sur l’article 11. Du coup, les policiers et

gendarmes ouvrent le parapluie dès qu’une affaire se

complique et renvoient vers le Parquet. C’est

l’interlocuteur majeur. C’est le meilleur et le plus sûr

des pourvoyeurs d’info. Ça permet d’être au-dessus

des sources habituelles. C’est aussi une histoire de

 personnes car tout dépend du procureur. S’il est

communicatif, son parquet aussi. A Vannes, ça n’est

 pas le cas. A Lorient, oui. Ils ont assimilé la nécessité

de communication envers la presse.

 Avant, on allait rarement au Parquet. Maintenant, je

m’y rends en personne plutôt que de téléphoner. Je

serre la main aux gardiens, je fais la bise aux

secrétaires. A force, on m’y connaît et je peux avoir

des infos à la machine à café en discutant. Il faut du

temps pour mettre cela en place. C’est nécessaire car

le Parquet est la branche essentielle du FD à présent.Les autres ont les jetons. Le Parquet leur a tapé sur

les doigts. Il a pris du pouvoir. C’est un poste très

 politique aussi.

Si tu arri ves avec des billes, ils répondent. S’ils disent

non, c’est « pas maintenant » et ils t’expliquent. Là

encore c’est une histoire de personnes. Il faut être

 prudent pour ne pas griller sa source, car ils jouent le

 jeu et leurs infos sont fiables. C’est just e une question de timing.

Le Parquet peut aussi se servir de la presse pour faire avancer une

affaire. Ex : celle de la valise. On retrouve un cadavre. Pendant deux

ans, l’affaire est au point mort. Le parquet et la police a cerné les

auteurs mais n’a pas la preuve. Les écoutes ne donnent rien. Le

Parquet nous reçoit avec le Teleg et passe un accord.

Ils nous disent avoir trouvé une clef qui va leur permettre de remonter

 jusqu’aux auteurs. En fait, ils ont la clef depuis deux mois mais ça ne

donne rien. L’idée, c’est d’affoler les auteurs du crime pour qu’ils en

L’article 11

Sauf dans le cas oùa loi en

dispose autrement et sans

 préjudice des droits de la

défense, la procédure au cours

de l'enquête et de l'instruction

est secrète. Toute personne qui

concourt à cette procédure est

tenue au secret professionneldans les conditions et sous les

 peines des articles 226-13 et

226-14 du code pénal. Toutefois,

afin d'éviter la propagation

d'informations parcellaires ou

inexactes ou pour mettre fin à un

trouble à l'ordre public, le

 procureur de la République peut,

d'office et à la demande de la

 juridiction d'instruction ou des

 parties, rendre publics des

éléments objectifs tirés de la

 procédure ne comportant

aucune appréciation sur le bien-

 fondé des charges retenues

contre les personnes mises en

cause.)

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 parlent au téléphone entre eux. La Procureure adjointe est claire avec

nous. Elle veut se servir de nous comme un appât pour faire avancer

l’enquête.

Cela se passe un vendredi. Donc, elle impose une publication le lundi

car en fin de semaine, elle ne va pas disposer d’assez de personnels

 pour réaliser les écoutes. On collabore. Mais, il faut savoir que la

 justice peut réquisitionner la presse. Pour un avis de recherche par

exemple.

Tout ça, c’est du off et de la confiance. Ça se passe entre la proc

adjointe, le jr du Teleg et moi. Je passe l’accord au nom du journal. Il

n’y a pas de discussions avec la rédaction en chef.

On accepte. Il y a une espèce de duplicité/complicité de notre part.Mais l’enjeu est double. On préserve nos rapports avec le Parquet. Et,

on fait fonctionner la justice. On participe au piège en sachant que

derrière, c’est le jackpot car c’est affaire nationale.

Ya embargo pour le Teleg, OF et l’AFP (dont je suis correspondant)

 jusqu’au lundi matin. C’est le deal. En échange on aura les suites dès

que ça aura bougé. Le mardi ou le mercredi, ça ne rate pas : 4

interpellations et 2 écroués.

Sur le coup, on a été un soldat de la justice. Il y a une connivence qui fait réfléchir. Nous avons servi d’accélérateur.

C’était un sujet hors du commun. Il y avait de l’excitation. Ils nous ont

eu sur notre point faible. Mais, tout a été fait en transparence. Elle

s’est servi de nous mais ne nous a pas manipulés par derrière.

C’est aussi un sacré gage de confiance car pendant deux jours, nous

avons été dépositaire d’un secret judiciaire. J’aurais pu aller voir les

 personnes sur écoute.

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3. Les interlocuteurs du fait-diversier

3.1. Le journaliste, un mal nécessaire

3.1.1. L'intrus

En règle générale, le fait-diversier n'est pas attendu avec impatience par les interlocuteurs,

qu'ils soient policiers, gendarmes, pompiers ou parquetiers. Il peut être considéré comme un

intrus :

« Au début de ma carrière, je n’étais pas chef et j'étais à Paris. Ma

 perception est donc différente. Là-bas, je voyais les journalistes

comme des intrus , admet Michel Parca, adjoint au chef de centre de

secours d'Hennebont (Morbihan). Lors d'une intervention, ils vont,

 presque comme des paparazzi  , sur les cadavres. Les relations étaient

nulles. Aucune relation publique (REP). Les journalistes n'étaient pas

 pris en compte. »

Ou comme un désagrément imposé par la hiérarchie :

« C'est une relation courtoise mais subie , de mon point de vue,

explique le lieutenant de sapeurs-pompier Franck Cavennec, du

centre de secours de Lorient. Ce rapport de proximité est imposé par

le commandant Guillemot, le chef de centre. Il tient à ce que nous

apportions des réponses aux journalistes. C'est du donnant-donnant.

Nous sommes contents de vous trouver pour parler de nos

événements. Mais personnellement, je trouve cela cher payé. La

 plupart des officiers de garde, Lered, Boucher, Goello et moi-même,

sommes " gonflés" par cette obligation. C'est trois appels par jour, soitle double en comptant le Télégramme. Je passe ma vie au téléphone

 pour organiser les sorties des équipes. Le journaliste est une chose en

 plus à gérer. C'est un truc un peu en dehors de mes attributions qui

 plus est. »

Ce qui énerve également les interlocuteurs traditionnels que sont les policiers, les

gendarmes et les pompiers, c’est l’omniprésence récente des journalistes sur le terrain. Avec

les nouvelles technologies, les rédactions sont très vite au courant des faits divers en cours.

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Ils arrivent souvent que les journalistes arrivent en même temps que les secours. Ceux-ci

doivent donc gérer un élément supplémentaire, source de stress. C’est ce que remarque le

Capitaine Maccrez, de la compagnie de gendarmerie de Lorient :

« Pour être honnête, sur le terrain, un journaliste, c'est une chose en

 plus à gérer. Il y a 25 ans, les journalistes se déplaçaient moins sur les

 faits divers mineurs. On travaillait sur des zones plus restreintes. On

avait un contact direct, quotidien et presque privilégié avec les

 journalistes. La politique actuelle a changé. Les brigades ne

communiquent plus. Tout dépend des officiers de la compagnie lors

des points quotidiens.

 Aujourd'hui, on vous voit plus et on se dit : "Ils sont déjà là".

 Aujourd'hui l'information va très vite et les journalistes sont parfois

 plus rapides que les gendarmes. Vous êtes des casse-pieds. Dans lestress d'une opération, c'est une gêne à gérer en plus car nous devons

être certains que vous n'allez pas perturber l'enquête. »

3.1.2. Que dire au journaliste ?

Bien conscients de l'importance de la presse et du devoir d'information, la plupart des

interlocuteurs rencontrés posent des limites à la communication des informations.

« Je n'ai pas d'a priori avec la presse, assure le capitaine de

gendarmerie Gomez. Informer le public est nécessaire. Nous sommes

au service du public. La presse est aussi un service public, mais avec

des missions différentes. Nous sommes assez proches. Nous

intervenons sur les mêmes événements. Nous avons des contacts

 privilégiés. Il y a de l'échange.

L'échange avec les journalistes est intéressant, mais nous pouvons

nous en passer. Ce n'est pas une obligation. Nous n'avons pas besoin

de vous pour exister. On sait utiliser la presse pour faire de la

 publicité. Comme tout le monde, nous n'aimons pas lire de mauvaises

choses écrites sur nous.

Quand on donne des informations, on finit par avoir de l'empathie

 pour le journaliste qui rame. Il y a forcément un lien, pas d'amitié,

mais privilégié avec le fait-diversier. Nous donnons avec plaisir mais

attention, il y a un contrôle de la hiérarchie et du préfet. Le

commandant de département dépend du Préfet qui le note. »

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« Quand le fait divers donne lieu à des poursuites et procès, il doit être

rendu public, reconnaît le commandant de police Jacques Corre, au

commissariat de Lorient. C’est le moment qui compte. Publier une

information, tout de suite, alors qu’il y a encore plusieurs hypothèses,

c’est différent. Si cela met en péril l’enquête, si cela empêche lesservices de tr ouver la vérité, alors il ne faut pas communiquer. C’est là

que se noue la collaboration entre les policiers et les journalistes. Je

suis pour la liberté de la presse. C’est fondamental. Mais elle ne doit

 pas être contraire à l’action des services de l’état, qui sont de trouver

la vérité et de rendre la justice. Prenez l’exemple d’Outreau par

exemple. On a 15 coupables dans la presse. Et puis finalement 15

innocents. »

Si les interlocuteurs communiquent moins, c'est aussi pour se protéger.

« On ne peut pas donner trop de détails, explique Michel Parca,

adjoint au chef de centre de secours d'Hennebont (Morbihan). Les

 faits communiqués Un blessé léger, cela veut dire des membres

cassés. Un blessé grave, c'est au moins un trauma, une inconscience

(trauma crânien) ou des insensibilités. Ça n'a pas la même perception

 pour les lecteurs. Je ne transmets que les infos dont je suis sûr :

Pourquoi on a été envoyé. Combien on était. Quels engins ont étédéployés. Quelles actions avons-nous réalisé. Les origines du sinistre,

c'est délicat parce qu'après les gens pourraient revenir vers nous en

disant "Le feu n'était pas d'origine électrique comme vous l'avez dit"

C'est sans doute le journaliste qui va prendre dans la gueule mais c'est

quand même gênant.

Maintenant, le cadre est simple : Les sapeurs-pompiers savent qu'on

doit vous envoyer vers le chef de secours. Si l'intervention a lieu dans

une entreprise, est-ce qu'on doit vous le dire ? Si c'est interne non.Quand il y a une fausse alerte, mieux vaut venir nombreux que non.

Donc il y a une mobilisation mais on ne communique pas parce que

rien ne s'est passé. Communiquer trop ça peut aussi induire moins de

confiance de la part des entreprises. Nous, on travaille avec eux. On

doit garder de bonnes relations.

On n'est pas là pour renseigner la presse. Mais, c'est important de

 parler de nos interventions. On a toujours peur que les journalistes

donnent des infos qu'ils ne connaissent pas. Il y a toujours une

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traduction, une interprétation par le journaliste qui peut changer les

infos. Les erreurs existent sur les identités et les appellations des

engins. Il y a une méconnaissance du système. »

3.1.3. Une relation de confiance à cultiver

Commandant de police Jacques Corre, au commissariat de Lorient :

« Communiquer avec la presse est compliqué car nous travaillons

sous le contrôle du parquet. Les règles ont changé. Le contrôle du

Parquet est plus cadré. Normalement on devrait communiquer

uniquement sous l’autorisation du Procureur de la République ? Avant

cela était moins encadré. Je ne le regrette pas car de toute façon, je

me suis toujours contenté du minimum syndical par prudence.

Il arrive qu’on place mal sa confiance. A force d’être échaudé on fait

 plus attention. Ex : Il y a une 15zaine d’année, nous découvrons le

cor  ps d’un SDF mort depuis quelques temps. Son chien l’avait un peu

boulotté. Au journaliste FD, j’avais donné des éléments

d’identification tout en précisant qu’il ne fallait pas les publier. Je

n’avais pas encore prévenu la famille. Il les publie quand même en

titrant « un SDF dévoré par son chien » et il donne son nom. La famille

a appris la mort du fils dans le journal. J’ai dû gérer la mère pendanttrois semaines. Le journaliste non. Forcément, cela crée une difficulté.

On a plus le même rapport de confiance. Il a brisé notre rapport. C’est

idiot parce cela dépend des circonstances et des personnes.

On apprend plus sur le tas. Je n’en fais pas une maladie : Il faut

communiquer. Mais je reste prudent et réservé. »

3.2. Conseils de comportement sur le terrain

Sur le terrain, quelques règles de conduite permettent au fait-diversier de travailler dans de

bonnes conditions avec les interlocuteurs. D’aucuns argueront que respecter ces consignes

revient à être le laquais des policiers-gendarmes-pompiers. Cela peut s’entendre mais il

s’agit de règles de bon sens qui permettent rapidement d’instituer une relation de confiance

avec les interlocuteurs.

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3.2.1. Pour les pompiers

Lorsqu’on arrive sur une intervention de pompier, type accident ou incendie, la première

chose à faire est de se présenter au chef de groupe. Il est reconnaissable facilement car c’est

écrit sur le dos de son manteau ignifugé. L’objectif est de se signaler et de laisser les sapeurs

travailler sans les gêner.

Michel Parca, adjoint au chef de centre de secours d'Hennebont (Morbihan) :

« Faut demander la permission au chef de groupe. Tu vas te faire

envoyer chier parce que dans sa tête tu deviens une chose en plus à

gérer. Une chose par indispensable. Tout dépend des gens et de la

situation. S’il  y a beaucoup de travail, il faut marcher sur des œufs.

Les SP sont en stress et sous le choc. Ya un refus de tout ce qui vient

de l'extérieur. Le journaliste peut s'approcher s'il ne dérange pas.

C'est quelqu'un qui déconcentre. Mais il n’y a rien de personnel. «

Les photos posent souvent problème. Pourtant, les règles sont simples. Il suffit de cacher la

plaque d'immatriculation du véhicule accidenté, les victimes et le sang sur une peluche par

exemple. Surtout, il ne faut pas publier de photo d’un pompier sans casque.

Lieutenant Franck Cavennec, centre de secours de Lorient :

« Lors des interventions sur le terrain, il faut s'identifier auprès duchef de garde et rester en retrait. Il est possible de faire des photos du

moment que les hommes sont équipés et casqués. Je préfère aussi

vérifier les photos avant publication. Nous avons une revue de presse

quotidienne. Si quelque chose ne va pas, cela nous retombe dessus

très vite.

 A la fin de l'intervention ou pendant un moment de répit, le chef de

garde vient vers le journaliste et lui donne les informations factuelles.

Si tout se passe comme cela, pas de souci. On peut même amener le

 journaliste sur le lieu de sinistre s'il n'y a aucun risque. »

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3.2.2. Pour les gendarmes

Pour les gendarmes et la police, les consignes sont sensiblement les mêmes. Dans le cas

précédent, le journaliste ne doit pas gêner le secours donné aux victimes. Là, il ne doit pas

gêner l’enquête judiciaire. C’est ce qu’explique le Capitaine Maccrez :

« Quelqu'un qui va dans le périmètre d'investigation, qui va interroger

les gendarmes en faction, c'est quelqu'un qu'il faut surveiller. Il ne

devrait pas être présent à ce moment de la phase d'investigation. Il y

a différents périmètres. Moi-même, je ne vais pas sur la scène de

crime par exemple. Il y a "gel des lieux" pour que les techniciens

enquêtent. Le journaliste a fortiori ni va pas non plus. Autour de

 premier périmètre, il y a les responsables de l'enquête. Plus loin, au

troisième niveau, il y a les autorités administratives comme le maire,

le préfet etc. Le journaliste peut être là également. Au-delà, les

intervenants tels que les garagistes, personnels mortuaires etc...

 Attendant au quatrième niveau. Ensuite, il y a le public éventuel.

Lors d'une intervention sur le terrain, le journaliste doit s'identifier

auprès du gradé. Il se présente et demande quand il peut faire des

 photos et avoir les informations. Il y a un tas de choses à faire alors il

 faut comprendre que la presse soit secondaire. Il faut attendre.

Le souci de la photo pour les gendarmes est que nous devons

apparaître en tenue réglementaire, coiffe comprise. Sinon, nous

 pouvons avoir des remontrances de la part de nos supérieurs.

Quand cela n'est pas respecté, il peut y avoir des réactions

disproportionnées sur le terrain. Il faut que le journaliste sache où est

sa place et qu'il n'en sorte pas. »

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Conclusion

A la question, les relations entre journalistes et interlocuteurs du fait-diversiers ont-elles changé ? La

réponse est oui sans ambiguïté.

Avec l’accélération de l’information, les journalistes demandent plus d’informations et plus

rapidement. Les interlocuteurs sont peut-être débordés par cette évolution. En retour, ils sont

devenus plus méfiants et plus prudents. Comme dans d’autres domaines de la presse, la

communication est devenue un enjeu majeur donc plus contrôlé. Plutôt que de risquer des retours

de bâtons de leur hiérarchie ou de particuliers, ils préfèrent s’abstenir de communiquer.

Pour autant, le besoin d’informer la population et de montrer le travail accompli existe toujours.

L’accès à l’information n’est pas bloqué. Les relations évoluent. Le Parquet communique de plus en

plus.

Les entretiens que j’ai réalisé mon appris énormément sur la spécialité de fait-diversier. Cela m’a

permis de gagner la confiance des interlocuteurs lorientais et de travailler dans de meilleures

conditions avec eux.

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Annexes

Les entretiens avec les journalistes

Entendus dans les rédac

Catherine Jaouen, Lorient.

C'est vraiment devenu n'importe quoi avec la tournée, regrette une journaliste. On est resté45 minutes au commissariat sans avoir un seul contact avec l'officier de garde. Il nous a vus àtravers la guérite. On l'a vu exulter quand, à la TV, Lorient a égalisé. Il est retourné seplanquer dans son bureau.Le planton de service est allé le voir. L'officier de garde n'est jamais venu. Une minute de sontemps, pour nous dire qu'il n'y a rien, c'est quand même pas grand-chose de pris sur son

temps précieux. On n’est pas des chiens.

La gendarmerie, c'est pareil. Ils ont peu de leur ombre. Impossible de l'avoir. Même auportable, il nous dit qu'il n'a pas d'information le matin. Le soir, même chose : "J'ai uneenquête en cours, mais je ne peux rien vous dire. Pour le reste, je n'ai pas les éléments."Avec les pompiers, même chose : On a eu l'officier imbuvable au téléphone. Celui qui se foutde nous et ne nous dit rien.

On peut comprendre que lorsqu'ils sont occupés, ils ne peuvent nous parler. Là, c'est justedu savoir vivre...

Claude Le Mercier, Pontivy.

Le commandant Mahec, qui vient de partir, n’était pas fiable du tout. Au lieu d'un coup decouteau au front, il parlait du thorax. Au lieu d'une intersection, il était flou sur lalocalisation. C'est de pire en pire. Son remplaçant m'a dit. "Tant que le parquet parle pas, jene vous donnerai rien." Mais l'autre jour, le parquet parlait. Lui n'a pas voulu. Au nom de laprésomption d'innocence qu'il m'a dit. Des beaux discours... Quand ils ont besoin de nous, làils savent nous trouver.

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Denis Riou

Il y a 15 ans par exemple, il n'y avait pas de guichet unique dans les commissariats. Onpouvait vadrouiller dans les couloirs et rencontrer les enquêteurs de terrain. Aujourd'hui,

ces institutions ont verrouillé leur communication en n’autorisant l’expression des policiersqu’à un certain niveau de responsabilité. 

En gendarmerie, le phénomène est similaire avec les différences d’organisations inhérentesau fonctionnement de la gendarmerie. « Je me souviens qu’en début de carrière, dans lesannées 90, on passait encore des coups de téléphone aux brigades territoriales pour savoirs’il s’était passé quelque chose ou vérifier un fait divers dont on avait eu connaissance.Désormais, l’échelon minimum auquel on a accès c’est la compagnie et l’officier quichapeaute les brigades. Le relais qui peut nous être fait d’une information n’est plus depremière main, mais déjà « digéré » par un, voire, deux intermédiaires. C’est cela que

 j’appelle l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours", une source forcément moins fiable,même avec la rigueur qu’un enquêteur est censé apporter à la relation de faits. »

De plus en plus, la gendarmerie s’abrite derrière une autorisation du parquet pourcommuniquer. Là aussi, on nous impose une logique d’intermédiaire. Le magistrat duparquet peut n’avoir qu’une connaissance partielle voire parcellaire d’un dossier qu’il vientde prendre en charge. Il est toujours préférable de recouper cette info crédibilisée etfiabilisée « parquet » avec une source enquêteur. A la condition que cette dernière se sentehabilitée à parler à la presse.

J’ai souvenir par exemple d’une affaire de meurtre d’une femme suivi du suicide de son mari

meurtrier dans le Morbihan. La substitut du procureur me donne les éléments decompréhension des faits et de leur déroulement.

Je cherche à les compléter avec l’officier de gendarmerie, dont j'apprends par la bande qu'ilétait sur le terrain, dans la matinée, avec le proc adjoint Et là, surprise, l’officier degendarmerie, quatre barrettes quand même, refuse catégoriquement et sur le mode irritéde me communiquer le moindre élément sur cette affaire au motif que le proc adjoint, peucausant avec la presse, lui aurait dit : "pas un mot sur cette histoire"

Le commandant de gendarmerie s'est retrouvé prisonnier de sa promesse au proc adjoint.

J’ai dû lui expliquer que je n’étais pas comptable du fait que le parquet, soi-disant un etindivisible s’était exprimé en dépit de ce blackout, décrété par un magistrat en froid avec les

 journalistes. Il était embêté que j'écrive l'article sans qu’apparaisse son témoignage. Ducoup, il a essayé de m'enfumer en disant, que « tout n'était pas clair dans cette affaire ».Histoire de faire planer le doute. J'avais tout ce qu'il fallait, les éléments factuels et unepetite enquête de proximité pour compléter. J'ai bien entendu écrit le papier. Il ne pouvaiten être autrement compte tenu de la nature des faits.

Quelques semaines plus tard, son adjoint, un capitaine, me fait remarquer, à propos de larelation dans nos colonnes d’un autre fait divers qu'il serait de bon ton qu'on ne se contente

pas la source parquet. Je me suis permis de lui rapporter la façon dont j’avais été accueilli

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par son supérieur alors que je cherchais justement à confronter source parquet etenquêteurs de terrain…

Que demander lors d'un crime ?

Dans ce cas-là, il n’y a pas de limites, il faut tout demander (entente du couple, problèmes,lettre, circonstances...), c'est eux qui mettront une limite en disant qu'ils ne peuvent pas dire(soit parce qu'ils ne savent pas, soit parce qu'ils ne veulent pas dire).

Le FD c'est presque le plus simple à écrire. Tu racontes une histoire. Mais dans le doute, ilfaut toujours s’en tenir au factuel, et aux éléments de contexte ou de compréhension donton est sûr. Si un élément, de type témoignage, n’est pas béton mais qu'il apporte, j’estimepréférable de prendre des précautions en utilisant les richesses de la langue française.

"Selon un voisin" etc... Ou bien en citant. Le lecteur n'est pas dupe. Il peut comprendre cessubtilités.

Les FD sont l'illustration d’une forme de « schizophrénie » des lecteurs. Ils les lisent maisn'avoueront jamais par peu de passer pour celui qui aime le malheur.

Dans un lycée, les élèves me titillaient sur ces questions d'éthique. Je leur explique ladéontologie OF "Dire sans nuire". On peut sourire de cette culture d'entreprise, n’empêchenous l’avons intégrée parce qu’elle fixe un cadre éditorial à la relation du FD. Ils taxentpoliment notre profession de prétendre que les FD plaisent aux gens pour nous dédouaner.

Je leur ai fait valoir d’un exemple tout simple que c’était sans doute plus compliqué que ça.Quelques semaines auparavant, un samedi soir, dernier appel au Codis (centre opérationneldu service département d’incendie et secours) : on me dit que la soirée pourrait être calmes'il n'y avait pas 3 morts sur la route, un accident en cours sur une route départementale,une collision frontale entre deux voitures. J'y vais après un contact les gendarmes. Jerecueille les infos sur place, réalise quelques photos du « carton » sur la route. On modifie laune de notre édition du dimanche (dof) en urgence.

Résultat : 900 canards vendus de plus le lendemain. Que peut-on en déduire ? Pas que lesmédias sont pas responsables des drames, plutôt que le simple fait d’en rendre compte  avecun article et des photos a fait vendre 900 journaux en plus.

Les gens ont beau dire, ils sont friands de ce genre de choses, même si, pas plus que nous ilsn’ont souhaité l’accident pour avoir à le lire. Ce réflexe me paraît plus relever de la curiositénaturelle de l’homme pour « l’extraordinaire » que de la morbidité, un peu comme lorsqueun bouchon se forme parce que les conducteurs ralentissent pour mieux regarder l'accidenten passant.

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Laurent Neveu

Fait-diversier à Lorient, 38 ans. En CDI depuis 2000 (Cdd en 97)

Il y a une différence entre les zones concurrentielles et non concurrentiels. Ici, les

interlocuteurs sont deux fois plus sollicités. Ils ont donc une organisation spécifique. Ils nousreçoivent en même temps que le Télégramme.

Ils sont à cheval sur le non-favoritisme. Ils donnent les mêmes infos à tout le monde. Mais,

c'est arrivé qu'ils en donnent plus à l'un qu'à l'autre. Lors d'un appel par exemple.

Comment apprivoiser un policier ? 

C'est une question de temps et de confiance. Quand je suis arrivé, le réseau était déjà en

place. Les collègues l'avaient mis en place. L'historique, ça compte. Mes relations avec les

policiers et les gendarmes sont plus détendues maintenant que lorsque je suis arrivé.

C'est une relation très personnelle. Il faut avoir des relations de confiance. Le policier et le

gendarme doit pouvoir te parler d'une affaire et savoir que tu ne vas pas en parler. S'il te

parle d'une future interpellation, tu n'en parles pas.

C'est aussi dans le sérieux du journaliste. Ne pas se tromper dans les détails, la procédure,

les appellations. C'est vraiment un truc que tu apprends sur le tas, au feeling et à la

psychologie.

Quand j'ai commencé à Caen, le Fait-diversier était Jean-Pierre Beuve. Je l'ai vu bosser. J'aiessayé de m'en inspirer. Il faisait de l'humour avec les autorités. Il plaisantait, lâchait

quelques blagues. Au téléphone, il faisait un peu de dérision. Les flics prennent ça avec

humour parce qu'il faut prendre du recul.

Il y a beaucoup d'humour dans les rapports. Ce n'est pas rare qu'ils sortent des vannes et

qu'en retour, je les chambre.

C'est une petite connivence. C'est naturel. Comme pour les pompiers. Ils pratiquent

l'humour pour se protéger. Le partager est un moyen de se rapprocher d'eux. Quand ce sont

des choses graves, immolation, viol, crime, le sérieux s'impose de lui-même.

On ne se tutoie pas. Saut avec certains pompiers parce que c'est plus cool. C'est souvent eux

qui me le disent. Le commandant des pompiers par exemple. Donc j'accepte.

C'est différent des politiques qui sont toujours en campagne. Le policier, lui, c'est dans le

cadre de son boulot.

Ceux que je tutoie, ce sont les moins gradés. Il y a de la complicité. Les pompiers ont je

trouve un fonctionnement moins strict aussi.

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Je fais l'effort d'aller voir les pompiers deux fois par semaine. La caserne est éloignée mais

c'est important qu'ils te connaissent. Cela facilite les choses lors des interventions.

Chez les gendarmes, j'en tutoie deux parce que je les vois souvent. Il nous arrive de parler

d'autres choses que le boulot.

Chez les policiers, le major Christian Jacques, référent incendie/accident, reçoit des

 journalistes depuis des années. On sait qu'il n'est pas à cheval sur l'étiquette.

Y a-t-il une ligne rouge ? 

On a souvent l'envie d'écrire l'histoire de leur point de vue puisque c'est le seul dont on

dispose. Quand les policiers arrêtent quelqu'un, il est forcément coupable pour eux. Mais

attention à l'écriture, car le prévenu est présumé innocent jusqu'à son jugement.

Ce que je crains le plus, c'est la situation de bavure impliquant un policier qu'on connaît oula trop grande confiance accordée

Une fois, je me suis retiré dans une situation où je leur ai fait trop confiance. Ils me

racontent qu'un couple homosexuel se fait menacé par un homme armé et injurieux dans un

magasin. On publie l'histoire. En fait, c'est une blague du couple et d'un ami. Le parquet a

estimé qu'il n'y avait pas menace ou propos homophobes. Entre ce que m'avait dit le

commandant et la réalité, il y avait un gros écart. Les relations se sont dégradées. Pour moi,

c'était une info viable car venant du commandant. Or, il nous a rapporté des informations

sans disposer de suffisamment d'éléments. Je n'ai pas assez vérifié via le Parquet. C'est ceque je fais systématiquement à présent.

Les rapports sont-ils différents entre la police et la gendarmerie ?

Je trouve les gendarmes plus organisés, plus hiérarchisés, plus carrés. La communication est

à l'image de cela. Quand il y a un fait divers en zone rurale, la brigade renvoie tout le temps à

la compagnie. Ce n'est pas un désavantage car lorsqu'ils ont des infos, ils ont tous les

éléments.

La compagnie dispose de trois officiers : le commandant Lecoq, pas à l'aise, son adjoint, lecapitaine Gomez, et le capitaine Maccrez.

A côté de ça, la police paraît désorganisée. Quand on y va à 17 h 30, le major Jacques n'est

pas là. On ne sait pas trop qui est notre interlocuteur. Pour la sureté départementale, la

communication est complètement aléatoire. Parfois le commandant dit qu'il n'y a rien,

parfois il oublie. Ce n'est pas bordélique mais moins structuré. Les policiers ont un rapport

différent avec le milieu délinquant. Les gendarmes y sont moins confrontés.

A Lorient, la compagnie de gendarme communique facilement mais ce n'est pas le cas

partout. A Vire (Calvados), on pouvait consulter les communiqués dans une bannette sur les

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affaires mais tu n'avais aucune relation humaine. A Alençon, on ne pouvait pas monter dans

le bâtiment. Tout se faisait par téléphone.

J'ai de très bons rapports avec les gendarmes d'ici. C'est vraiment humain. C'est plus facile

parce qu'on se voit. On peut discuter. Ce n'est pas possible avec la police. Par contre, j'ai un

contact avec le syndicat majoritaire SGP-Police-FO qui m'a déjà rencardé sur une affaire.

Chez les gendarmes, cela n'existe pas. A moins de connaître un gradé de la brigade de

recherche…. 

Pourquoi répondent-ils nos questions ?

Parce que par tradition, le fait-diversier va les voir pour parler de ce qui se passe dans la cité.

Parce que c’est une façon de mettre en avant leur travail et qu’ils ont une certaine idée de

l’implication citoyenne. Cela leur semble normal qu’en en parle.

Les réactions du genre « Font chier ces fouilles-merdes » sont rares. Cela arrive quand on ne

les connaît pas. Après, ils savent que nous n’allons pas prendre en photo un cadavre ou un

détail macabre.

C’est sûr qu’on en agace certains mais avec le temps on les apprivoise.

Ils ont besoin de nous. Ils savent que leur hiérarchie est sensible aux articles publiés sur leurs

actions. Par exemple, je couvre un commandant général en visite dans l’Ouest. Quelques

 jours avant, j’avais fait un papier sur les groupes anti-cambriolages de la police et la

gendarmerie. Valls venaient d’en parler pour qu’ils se développent. Lorient était la premièrecompagnie à le mettre en place. Mon papier est allé en région. Coup de bol, l’itv du général

est allé en IG avec un bilan 2012. Je sais qu’ils en ont été très contents même si je ne l’ai pas

fait pour eux.

J’avais aussi fait un papier pédagogique sur l’organisation de la compagnie de gendarmerie

de Lorient. Très bon pour moi parce qu’ils étaient contents. Ce n’est pas de la lèche mais je

sais que cela va leur faire plaisir.

Il ne faut pas hésiter à faire des papiers quand tout va bien. Mais, il faut qu’ils comprennent

qu’on parle aussi de ce qui ne va pas. Je leur explique qu’il faut se placer du point de vue deslecteurs qui parlent des affaires sur leur commune.

Ils savent qu’on ne peut pas cacher des choses qui alarment la population. Jean-Pierre Beuve

avait cette préoccupation d’être juste. Si tu as de bonnes relations, c’est bon. S’ils savent que

tu es sérieux, c’est bon.

Comment ça se passe sur le terrain ?

Des enquêtes de voisinage, on en fait rarement. Par contre arriver sur un FD encore chaud,

cela arrive.

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Un correspondant me prévient qu’il y a eu un braquage dans un commerce. J’y vais. Sang.

Policiers. Pas ravis que je sois là. Je demande pour la photo. Non. Je respecte. Les policiers

que je connais ne parlent pas. Je n’insiste pas.

Faute de temps, je ne peux pas faire de contre-enquête. C’est un genre plus réservé aux

mensuel ou hebdo. Ou bien, lorsqu’une affaire a déjà été traitée par la justice. Genre : la

contestation d’Omar Raddad. Le nouvel Obs en fait beaucoup des comme ça.

Le parquet est notre contact pour cela. A Lorient, leur bureau est ouvert mais s’ils n’ont pas

le temps, ils ne nous reçoivent pas. C’est une tradition à entretenir. Le contact physique est

important.

Personnellement, tu en penses quoi du FD ?

On m’a proposé le FD. Je ne l’avais pas demandé. J’ai pris cela comme une nouvelle

expérience. Si je continue tant mieux. Si j’arrête, ce n’est pas grave. C’est une nouve lle corde

à mon arc. C’est un poste à contrainte. Tu rentres plus tard le soir. Il y a plus d’imprévus. Les

 journées sont organisées différemment.

Les Fait-diversiers ont une mauvaise réputation, sans doute à cause de leur forte

personnalité. C’est un truc stressant dans lequel tu galères. Tu te prends souvent des retours

de bâton. Forcément, tu te durcis en retour.

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Entretien avec Yvan Duvivier, journaliste justice à Lorient.

« Tout repose sur l’article 11 (Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des

droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans lesconditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pourmettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à lademande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifstirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des chargesretenues contre les personnes mises en cause.)

Du coup, les policiers et gendarmes ouvrent le parapluie dès qu’une affaire se complique et

renvoient vers le Parquet. C’est l’interlocuteur majeur. C’est le meilleur et le plus sûr despourvoyeurs d’info. Ça permet d’être au-dessus des sources habituelles.

C’est aussi une histoire de personnes car tout dépend du procureur. S’il est communicatif,

son parquet aussi. A Vannes, ça n’est pas le cas. A Lorient, oui. Ils ont assimilé la nécessité de

communication envers la presse.

Avant, on allait rarement au Parquet. Maintenant, je m’y rends en personne plutôt que de

téléphoner. Je serre la main aux gardiens, je fais la bise aux secrétaires. A force, on m’y

connaît et je peux avoir des infos à la machine à café en discutant. Il faut du temps pour

mettre cela en place. C’est nécessaire car le Parquet est la branche essentielle du FD à

présent. Les autres ont les jetons. Le Parquet leur a tapé sur les doigts. Il a pris du pouvoir.

C’est un poste très politique aussi.

Est-ce qu’ils parlent ?

Si tu arrives avec des billes, ils répondent. S’ils disent non, c’est « pas maintenant » et ils

t’expliquent. Là encore c’est une histoire de personnes. Il faut être prudent pour ne pas

griller sa source, car ils jouent le jeu et leurs infos sont fiables. C’est juste une question de

timing.

Le Parquet peut aussi se servir de la presse pour faire avancer une affaire. Ex : celle de la

valise. On retrouve un cadavre. Pendant deux ans, l’affaire est au point mort. Le parquet et

la police a cerné les auteurs mais n’a pas la preuve. Les écoutes ne donnent rien. Le Parquet

nous reçoit avec le Teleg et passe un accord.

Ils nous disent avoir trouvé une clef qui va leur permettre de remonter jusqu’aux auteurs. En

fait, ils ont la clef depuis deux mois mais ça ne donne rien. L’idée, c’est d’affoler les auteurs

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du crime pour qu’ils en parlent au téléphone entre eux. La Procureure adjointe est claire

avec nous. Elle veut se servir de nous comme un appât pour faire avancer l’enquête.

Cela se passe un vendredi. Donc, elle impose une publication le lundi car en fin de semaine,

elle ne va pas disposer d’assez de personnels pour réaliser les écoutes.

On collabore. Mais, il faut savoir que la justice peut réquisitionner la presse. Pour un avis de

recherche par exemple.

Tout ça, c’est du off et de la confiance. Ça se passe entre la proc adjointe, le jr du teleg et

moi. Je passe l’accord au nom du journal. Il n’y a pas de discussions avec la rédaction en

chef.

On accepte. Il y a une espèce de duplicité/complicité de notre part. Mais l’enjeu est double.

On préserve nos rapports avec le Parquet. Et, on fait fonctionner la justice. On participe au

piège en sachant que derrière, c’est le jackpot car c’est affaire nationale.

Ya embargo pour le Teleg, OF et l’AFP (dont je suis correspondant) jusqu’au lundi matin.

C’est le deal. En échange on aura les suites dès que ça aura bougé.

Le mardi ou le mercredi, ça ne rate pas : 4 interpellations et 2 écroués.

Sur le coup, on a été un soldat de la justice. Il y a une connivence qui fait réfléchir. Nous

avons servi d’accélérateur.

C’était un sujet hors du commun. Il y avait de l’excitation. Ils nous ont eus sur notre pointfaible. Mais, tout a été fait en transparence. Elle s’est servi de nous mais ne nous a pas

manipulés par derrière.

C’est aussi un sacré gage de confiance car pendant deux jours, nous avons été dépositaire

d’un secret judiciaire. J’aurais pu aller voir les personnes sur écoute.

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Les entretiens des interlocuteurs

Entretien avec Michel Parca

Adjudant-chef, sapeur-pompier depuis 1984. ) Adjoint du commandant du CS HBT. Un des cinq chefs

de garde au centre de secours d'Hennebont (39 Sapeurs, 5 officiers)

Quelles informations transmettez-vous au fait-diversier ?

« Je ne transmet que les infos dont je suis sûr : Pourquoi on a été envoyé. Combien on était. Quels

engins ont été déployés. Quelles actions avons-nous réalisé.

Les origines du sinistre, c'est délicat parce qu'après les gens pourraient revenir vers nous en disant

"Le feu n'était pas d'origine électrique comme vous l'avez dit" C'est sans doute le journaliste qui va

prendre dans la gueule mais c'est quand même gênant.

Un feu dans la nature, c'est systématiquement criminel, conscient ou pas. Souvent un mégot jeté par

les conducteurs. Pour le tunnel du Mont-Blanc, c'est un mégot lancé par un automobiliste qui a

atterrit dans l'aérateur du camion qui s'est enflammé.

Les gens doivent savoir ce qui se passe. Après la question, c'est à quel moment doit-on dire les

choses, et où est la limite ? Est ce qu'on peut dire que la victime était saoule ? Si on le dit aux

 journalistes, on sait bien que ça va s'arrêter là…

On ne peut pas donner trop de détails. Un blessé léger, cela veut dire des membres cassés. Un blessé

grave, c'est au moins un trauma, une inconscience (trauma crânien) ou des insensibilités. Ça n'a pas

la même perception pour les lecteurs.

Un fémur cassé, c'est plus grave. Ça veut dire 1 L de sang en moins sur 5-7 litres. C'est énorme.

L’évolution des rapports ?

Au début, je n’étais pas chef et à Paris, ma perception est donc différente. Là-bas, je voyais les

 journalistes comme des intrus. Ils y vont, presque comme des paparazzi, sur les cadavres. Les

relations étaient nulles. Aucune relation publique (REP). Les journalistes n'étaient pas pris en compte.

Et puis un officier a commencé à parler de la Brigade. Il a bien compris le système de communication.

Les autres départements ont vu que les pompiers de Paris parlait. Des modules de REP ont été créés

pour savoir le faire.

Le cadre est simple : Les sapeurs-pompiers savent qu'on doit vous envoyer vers le chef de secours. Si

l'intervention a lieu dans une entreprise, est-ce qu'on doit vous le dire ? Si c'est interne non. Quand il

y a une fausse alerte, mieux vaut venir nombreux que non. Donc il y a une mobilisation mais on ne

communique pas parce que rien ne s'est passé.

Communiquer trop ça peut aussi induire moins de confiance de la part des entreprises. Nous, on

travaille avec eux. On doit garder de bonnes relations.

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On n'est pas là pour renseigner la presse. Mais, c'est important de parler de nos interventions.

Comment le journaliste doit-il se comporter lors d'une intervention selon vous ?

Pour les photos, il faut cacher la plaque d'immatriculation, les victimes et le sang sur une peluche par

exemple. Ni un pompier sans casque.

Faut demander la permission au chef de groupe. Tu vas te faire envoyer chier parce que dans sa tête

tu deviens une chose en plus à gérer. Une chose par indispensable. Tout dépend des gens et de la

situation. S’il y a beaucoup de travail, il faut marcher sur des œufs. Les SP sont en stress et sous le

choc. Ya un refus de tout ce qui vient de l'extérieur. Le journaliste peut s'approcher s'il ne dérange

pas. C'est quelqu'un qui déconcentre. Mais il n’y a rien de personnel.

Quand il y a des jeunes journalistes, ils ne connaissent pas les règles. Nous faisons une formation RP

qui nous apprend comment bossent les JR. Faudrait que cela soit réciproque et que les Jr viennent

dans les casernes pour s'habituer à nos termes et à nos habitudes.

On a toujours peur que les journalistes donnent des infos qu'ils ne connaissent pas. Il y a toujours

une traduction, une interprétation par le journaliste qui peut changer les infos. Les erreurs existent

sur les identités et les appellations des engins. Il y a une méconnaissance du système.

Ex : on dit FPT pour fourgon pompe tonne (1000 L d'eau) - fourgon incendie

VSAV pour ambulance

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Entretien avec le lieutenant Franck Cavennec.

27 ans de carrière.SP de Paris au début, 3e année à Lorient comme officier.

Quel est votre rapport à la presse ?

La relation avec les journalistes est quelque chose de nouveau pour moi. Ce rapport de

proximité est imposé par le commandant Guillemot, le chef de centre. Il tient à ce que nous

apportions des réponses aux journalistes.

C'est du donnant-donnant. Nous sommes contents de vous trouver pour parler de nos

événements. Mais personnellement, je trouve cela cher payé. La plupart des officiers de

garde, Lered, Boucher, Goello et moi-même, sommes "gonflés" par cette obligation

C'est une relation courtoise mais subie, de mon point de vue. Ce n'est pas le rapport humain

qui pose problème, c'est la différence entre ce qui est dit et ce qui est parfois retranscrit.

C'est trois appels par jour, soit le double en comptant le Télégramme. Je passe ma vie au

téléphone pour organiser les sorties des équipes. Le journaliste est une chose en plus à

gérer. Un truc un peu en dehors de mes attributions qui plus est.

Quelles informations donnez-vous ?

Dans nos rapports, nous nous contentons aux faits. Jamais d'interprétations. Normalement

c'est le Codis qui donne les informations.

Le matin, notre agenda est calé. Il ne faut pas appeler en dehors de la plage 10 h 30 - 11 h.

Le faire, c'est s'exposer à une réponse négative, quoi qu'il se passe. S'il y a une intervention

en cours, le chef de garde ne sera pas là et le pompier de téléphone ne donnera aucune

information.

Je trouve que nous sommes de plus en plus sollicités mais qu'il y a de moins en moins de

contrôle. Moins d'échange sur l'article en rédaction. Pour une vérification d'information, il

est possible de m'appeler. C'est mieux que mettre une bêtise.

Lors des interventions sur le terrain, il faut s'identifier auprès du chef de garde et rester en

retrait. Il est possible de faire des photos du moment que les hommes sont équipés et

casqués. Je préfère aussi vérifier les photos avant publication. Nous avons une revue de

presse quotidienne. Si quelque chose ne va pas, cela nous retombe dessus très vite.

À la fin de l'intervention ou pendant un moment de répit, le chef de garde vient vers le

 journaliste et lui donne les informations factuelles.

Si tout se passe comme cela, pas de souci. On peut même amener le journaliste sur le lieu de

sinistre s'il n'y a aucun risque.

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Entretien avec le commandant de police Jacques Corre.

Commissariat de Lorient. Sureté départementale. Officier depuis 30 ans, commandant depuis 5 ans.

Qu’est-ce que le fait-divers selon vous ?

Le fait divers est un événement de caractère pénal ou simplement accidentel sur la voie publique et

sur la voie privée. C’est aussi ce qui est rapporté à la population. Quand cela donne lieu à des

poursuites et procès, cela doit être rendu public. C’est le moment qui compte. Publier une

information, tout de suite, alors qu’il y a encore plusieurs hypothèses, c’est différent. Nous sommes

dans la phase policière de l’instruction. Nous constatons les faits. Nous pouvons rapporter des

éléments tout en restant dans un cadre de vérité.

Un journaliste doit enquêter sur un fait, comme le fait un policier. En cela nous nous ressemblons.

C’est la finalité qui change. Nous le faisons pour la justice. Vous le faites pour l’opinion. 

Si cela met en péril l’enquête, si cela empêche les services de trouver la vérité, alors il ne faut pas

communiquer. C’est là que se noue la collaboration entre les policiers et les journalistes. Il faut

garder en tête les considérations humaines, le respect des victimes, de la famille, de la communauté.

Les identités aussi.

Je suis pour la liberté de la presse. C’est fondamental. Mais elle ne doit pas être contraire à l’action

des services de l’état, qui sont de trouver la vérité et de rendre la justice. Prenez l’exemple d’Outreau

par exemple. On a 15 coupables dans la presse. Et puis finalement 15 innocents.

Les conséquences sur l’opinion sont de la responsabilité du journaliste. 

La police ne joue pas ou ne doit pas jouer avec la presse en distillant des informations. La presse peut

être une alliée, lors de disparition ou pour parfois faire avancer une enquête.

Le journaliste en rajoute parfois par rapport à ce qu’on lui dit. C’est à ces risques et périls car si c’est

dans le mauvais sens, il s’expose à un rectificatif ou à une plainte.

Tout cela est maîtrisé par le journaliste. Il y a aussi une logique d’entreprise qui joue. Nous ne

maîtrisons pas cela. Mais, nous en sommes conscients.

Parfois, on veut aussi dire que la police fait son travail alors que la population pense le contraire.

Que pensez-vous du travail des fait-diversiers ?

On est souvent surpris sur le contenu des articles. Les articles publiés avant procès ne sont pas

toujours conformes à la vérité dite au procès. Informer, oui, mais pas de façon précipitée. Donner

des faits rapidement oui. Mais les circonstances, non. C’est trop tôt. Car l’enquête n’est pas finie.

Je trouve que les articles sont souvent limités dans les recherches. Lorsqu’on donne une info, on

s’expose à la lire dans un article avec les conséquences que cela peut engendrer. C’est pour cela que

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 je me limite toujours à ce dont je suis sûr. Encore une fois, tout ça est de la responsabilité du

 journaliste.

Les relations entre la police et les journalistes ont-elles évoluées ?

Communiquer avec la presse est compliqué car nous travaillons sous le contrôle du parquet. Lesrègles ont changé. Le contrôle du Parquet est plus cadré. Normalement on devrait communiquer

uniquement sous l’autorisation du Procureur de la République ? Avant cela était moins encadré. Je

ne le regrette pas car de toute façon, je me suis toujours contenté du minimum syndical par

prudence.

Il arrive qu’on place mal sa confiance. A force d’être échaudé on fait plus attention.

Ex : Il y a une 15zaine d’année, nous découvrons le corps d’un SDF mort depuis quelques temps. Son

chien l’avait un peu boulotté. Au journaliste FD, j’avais donné des éléments d’identification tout en

précisant qu’il ne fallait pas les publier. Je n’avais pas encore prévenu la famille. Il les publie quand

même en titrant « un SDF dévoré par son chien » et il donne son nom. La famille a appris la mort du

fils dans le journal. J’ai dû gérer la mère pendant trois semaines. Le journaliste non.

Forcément, cela crée une difficulté. On a plus le même rapport de confiance. Il a brisé notre rapport.

C’est idiot parce cela dépend des circonstances et des personnes. Mais … 

Avez-vous été formé à la communication ?

Je suis rentré à l’école des inspecteurs en 1984. Question formation, on n’avait rien sur les relations

presse à l’époque. Maintenant oui, il y a des modules pour apprendre à communiquer. Mais on

apprend plus sur le tas. Dans mon cas, en tant qu’officier formateur, j’ai eu de nombreux contactsavec la presse lors d’exercice. Je n’en fais pas une maladie. Il faut communiquer. Mais je reste

prudent et réservé.

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Entretien avec le capitaine de gendarmerie MaccRez, Compagnie de Lorient.

26 ans de carrière.

Que pensez-vous des fait-diversiers ?

Pour être honnête, sur le terrain, un journaliste, c'est une chose en plus à gérer. Il y a 25 ans,

les journalistes se déplaçaient moins sur les faits divers mineurs. On travaillait sur des zones

plus restreintes. On avait un contact direct, quotidien et presque privilégié avec les

 journalistes. La politique actuelle a changé. Les brigades ne communiquent plus. Tout

dépend des officiers de la compagnie lors des points quotidiens.

Aujourd'hui, on vous voit plus et on se dit : "Ils sont déjà là". Aujourd'hui l'information va

très vite et les journalistes sont parfois plus rapides que les gendarmes. Vous êtes des casse-pieds. Dans le stress d'une opération, c'est une gêne à gérer en plus. Nous devons être

certains que vous n'allez pas perturber l'enquête.

Lors des deux rendez-vous quotidiens, c'est différent. Nous savons qu'il y a un besoin de

communication et de médiatisation de nos actions. Les relations ne sont pas les mêmes.

C'est un aspect qui est pris en compte à présent. Des officiers de communication ont été

nommés au niveau régional. Ils sont formés pour répondre aux télévisions par exemple lors

d'affaires importantes.

Font-ils bien leur travail de votre point de vue ?

De mon point de vue, il y a des bons et des mauvais journalistes. Certains sont réceptifs. Ils

comprennent quand il ne faut pas aller plus loin. D'autres poussent et là cela pose des

soucis.

La limite à ne pas franchir est d'abord celle du respect des victimes lors d'un accident, d'un

crime ou d'un suicide. Ensuite, il s'agit de ne pas entraver ou gêner l'enquête. Quelqu'un qui

va dans le périmètre d'investigation, qui va interroger les gendarmes en faction, c'est

quelqu'un qu'il faut surveiller. Il ne devrait pas être présent à ce moment de la phased'investigation. Il y a différents périmètres. Moi-même, je ne vais pas sur la scène de crime

par exemple. Il y a "gel des lieux" pour que les techniciens enquêtent. Le journaliste a fortiori

ni va pas non plus. Autour de premier périmètre, il y a les responsables de l'enquête. Plus

loin, au troisième niveau, il y a les autorités administratives comme le maire, le préfet etc. Le

 journaliste peut être là également. Au-delà, les intervenants tels que les garagistes,

personnels mortuaires etc... Attendant au quatrième niveau. Ensuite, il y a le public

éventuel.

Comment doivent-ils se comporter sur le terrain, selon vous ?

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Lors d'une intervention sur le terrain, le journaliste doit s'identifier auprès du responsable. Il

se présente et demande quand il peut faire des photos et avoir les informations. Il y a un tas

de choses à faire alors il faut comprendre que la presse soit secondaire. Il faut attendre.

Le souci de la photo pour les gendarmes est que nous devons apparaître en tenue

réglementaire, coiffe comprise. Sinon, nous pouvons avoir des remontrances de la part de

nos supérieurs.

Quand cela n'est pas respecté, il peut y avoir des réactions disproportionnées sur le terrain.

Il faut que le journaliste sache où est sa place et qu'il n'en sorte pas.

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Capitaine Gomez, 46 ans, gendarme depuis 23 ans.

Commandant en second de la compagnie de Lorient (214 gendarmes)

Quel est votre rapport à la presse ?

Je découvre la relation avec les journalistes depuis un an et demi. J'étais au stuc en

Martinique avant et à la police judiciaire (?). C'est un nouveau métier. Je n'ai pas d'a priori

avec la presse. Informer le public est nécessaire. Nous sommes au service du public. La

presse est aussi un service public, mais avec des missions différentes.

Nous sommes assez proches. Nous intervenons sur les mêmes événements. Nous avons des

contacts privilégiés. Il y a de l'échange.

La gendarmerie fait du renseignement en permanence. Pas de manière stalinienne, nous

n'avons pas le droit d'avoir des activités occultes. Nous réalisons du renseignement factuel.

L'échange avec les journalistes est intéressant, mais nous pouvons nous en passer. Ce n'est

pas une obligation. Nous n'avons pas besoin de vous pour exister. On sait utiliser la presse

pour faire de la publicité. Comme tout le monde, nous n'aimons pas lire de mauvaises choses

écrites sur nous.

Quand on donne des informations, on finit par avoir de l'empathie pour le journaliste qui

rame. Il y a forcément un lien, pas d'amitié, mais privilégié avec le fait-diversier. Nousdonnons avec plaisir mais attention, il y a un contrôle de la hiérarchie et du préfet. Le

commandant de département dépend du Préfet qui le note.

Quelles infirmations donnez-vous à la presse ?

Dans le cadre de notre mission, donner de l'information peut créer un sentiment

d'insécurité. Dire par exemple qu'il y a eu 1100 cambriolages en 2012 sur l'agglomération

lorientaise, cela peut avoir des conséquences incontrôlables.

Ex : il y a deux ou trois ans, le gouvernement veut développer le système de voisins vigilants.Un peu bizarre mais ça pourrait diminuer le nombre de cambriolages. On appelle à la

participation de citoyenne. On l'essaye dans diverses communes de gauche et de droite :

impossible. Le nouveau gouvernement n'interdit pas le système. On le relance. Dans le Pays

de Lorient, deux communes sont intéressées. Mais EELV Guidel critique la mise en place. Un

article brut parait dans la presse et casse le travail en amont.

On peut bouder la presse si on se fait baiser. Si ce que je dis est Off et que l'info passe, on ne

se verra plus. Un jour, un journaliste du Télégramme était dans le couloir de la compagnie. Il

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a écouté ce que je disais au téléphone. Il est en poste depuis 10 ans et se croyait chez lui à la

gendarmerie. Depuis, on voudrait que les journalistes attendent en dehors derrière la porte.

La première fois avec la presse, je ne savais pas quoi dire, quoi répondre. Parfois on se

trompe et on se fait engueuler. Il y a une formation communication à l'école d'officier. On

apprend à y parler mais pas à gérer la presse au quotidien. On n'apprend à donner un

message de prévention et d'apaisement. Nous sommes des juristes parachutistes en fait.

Comment se comporter lors d’une intervention ?

Sur un accident, la place du journaliste est là où il gênera le moins l'enquête et les secours.

On les éloigne donc de la scène. Un journaliste est un souci en plus. Dans nos deux

professions, il y a des filous. La recherche du scoop est un problème.

La plupart des journalistes avec qui j'ai affaire sont expérimentés. Mais quand il y a des

changements, on le voit tout de suite. C'est moins intéressant. On communique moins parce

qu'on a moins confiance. On va rester dans le pur factuel ou donner des informations sans

enjeu. On lit vraiment la presse. Dans le détail. On y trouve des choses intéressantes. C'est

une veille.

Est-ce que ça a changé ?

C'est possible mais je n'ai pas le recul. Le fait de changer de commandant tous les trois ans

est une difficulté car il est difficile de recréer un climat de confiance à chaque fois. Il n'y a pas

de directives générales à part sur certains faits, comme les cambriolages par exemple.

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Présentation de Ouest France

Quelques chiffres :

1 555 personnes travaillent à Ouest-France au 31/12/2012, dont 564 journalistes, 2 576correspondants, 16 381 partenaires de la distribution. (36 % Journalistes, 14 % Employés, 22% Cadres, 28 % Ouvriers.)

Produits bruts 2012 : 333 millions d'euros.

Quotidien : 53 éditions locales différentes, représentant en moyenne chaque nuit 642 pageset 2 800 photos.

"Dimanche Ouest-France" : 17 éditions dominicales.

Implantation : 2 unités de production à Chantepie en Ille-et-Vilaine (5 rotatives) et à La Chevrolière en Loire-Atlantique (2 rotatives), 63 rédactions dans les 12départements des régions Bretagne, Basse-Normandie etPays de la Loire, dont une, à Paris.

Rayons d’actions :

L’implantation géographique du quotidien Ouest-Frances’étend sur douze départements (régions Bretagne, Basse-Normandie, Pays de la Loire). En2012, les meilleures ventes du quotidien ont été réalisées en Ille-et-Vilaine (17,0 % du total),en Loire-Atlantique (14,9 %), dans le Morbihan (14,2 %) et dans les Côtes-d’Armor (11,5 %). 

Ouest-France est le premier quotidien

français depuis 1975.

Diffusion OJD 2012 : 767 434 exemplaires.

Audience : 2 539 000 lecteurs ; source : EtudeOne Audipresse 2013.

Diffusion OJD de “dimanche Ouest-France” en2012 : 371 103 exemplaires. Audience : 1 910000 ; source : Etude One Audipresse 2013.

Publicité : 34 % de produits.

 – Précom : 87 % du CA publicité pour les annonceurs locaux et régionaux ;

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 – Com>Quotidiens (filiale en association avecd’autres journaux) : 13 % du CA publicité pour lesannonceurs nationaux et pour les petites annoncesextra-locales.

767 434 exemplaires chaque jour

L’OJD (Office de Justification de la Diffusion) est unorganisme interprofessionnel de contrôle de ladiffusion de la presse sous forme d’une associationindépendante loi de 1901 constituée par deséditeurs, annonceurs et professionnels de la publicité. Les chiffres de l'OJD sont utilisés pourpromouvoir le potentiel publicitaire auprès des agences média et des annonceurs.

Ouest-France est classé 9ème quotidien le plus diffusé en Europe (suivant le classement duWorld Association of Newspapers 2012).

Le Groupe SIPA

Depuis 1990, l’indépendance d’Ouest-France est garantie par son appartenance à une

association loi 1901 à but non lucratif.

" Le journal n’est pas une fin en soi, il est au service de l’homme et des communautés qui

constituent la société." Cette vérité qu’exprime François Régis Hutin, Président –Directeur

Général d’Ouest-France, est illustrée par la structure spécifique du Groupe.

La base de cette structure est une association de loi 1901 à but non lucratif : l'Associationpour le Soutien des Principes de la Démocratie Humaniste.

Cette Association détient 99,99 % de la société civile SIPA (Société d'Investissements et deParticipations) laquelle contrôle :• 99,98 % de Ouest-France (presse quotidienne régionale)• 99,14 % du groupe Journaux de Loire (Le Courrier de l'ouest, Le Maine libre, Presse Océan)• 96,90 % de la Société Cherbourgeoise d'Editions (La Presse de la Manche) 

• 99,95 % de Publihebdos (premier groupe français de la presse hebdomadaire régionale : 77

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titres dans 20 départements)• 67,79 % de Précom (régie publicitaire) • 41,64 % de Sofiouest, qui contrôle 66,42 % du Groupe Spir Communication, leader françaisde la presse gratuite hebdomadaire (99 magazines TOP), premier éditeur de magazinesimmobiliers (34 titres), premier distributeur privé en France et puissant acteur Internet.

Les sociétés Sofiouest et Spir Communication ont une participation de 50 %

dans la société 20 Minutes France SAS, éditrice du quotidien gratuit

d'information 20 Minutes, leader dans sa catégorie avec 979 440

exemplaires distribués (OJD 2012)

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La charte des FD OF Intégrale

Dire sans nuire, Montrer sans choquer, Témoigner sans agresser, Dénoncer sans

condamner.

Faits divers, faits de justice : notre déontologie – Dire sans nuire, – Montrer sans choquer, – Témoigner sans agresser, – Dénoncer sans condamner.

En 1988, une note de la Direction et de la Rédaction en chef définissait « un certain nombrede garde-fous pour garantir notre cohérence dans la couverture des affaires les pluscourantes » et rappelait « les éléments de base de ce qui doit être notre approcheprofessionnelle du fait divers ». Loin de « mettre un terme à la réflexion », cette note «

invitait à la poursuivre au sein de chaque équipe ».Le 29 juin 1990, la Rédaction en chef diffusait la « charte du fait divers ». Depuis, cetteréflexion déontologique s’est poursuivie dans les équipes rédactionnelles, lors des sessionsde formation, dans de nombreux groupes de travail ou par des contributions personnelles.Au fil du temps plusieurs textes ont formalisé nos pratiques professionnelles dans le journalet dans les supports multimédia, dans le texte et dans la photographie. Ils sont icirassemblés. Ils seront régulièrement réactualisés et disponibles sur Intranet.Pourquoi le « fait divers » d’abord ? Parce que la Direction de la publication et la Rédaction en chef réaffirment l’ambition du

 journal d’être médiateur dans ce domaine, autant et aussi bien qu’en n’importe quel autre.

En soulignant qu’en celui-ci moins qu’en tout autre, nous, journalistes, n’avons pas droit àl’erreur. 

1Le fait divers est doublement la clé de voûte de l’information :

 – du point de vue du lecteur : c’est un centre d’intérêt prioritaire;  – du point de vue du journaliste : le fait divers fait appel aux règles professionnelles de basemais il les exige au plus haut degré (vérification des faits, sources contradictoires, rigueur del’enquête, réflexion, sensibilité, respect de l’homme… appliqués à un terrain mouvant,complexe, imprévisible, hors normes et à hauts risques).

Petit ou grand, tout fait divers engage notre responsabilité juridique et éthique. Il engage,devant les tribunaux, la responsabilité du Directeur de publication. Il compte pour beaucoupdans l’image que nos lecteurs se font de leur journal. Son traitement exige donc une bonneconnaissance du droit et des procédures, une capacité à trouver le ton juste, entre lafroideur de l’examen clinique et l’émotion excessive. 

Le fait divers touche au plus intime de l’homme. Il provoque les sensibilités, interroge lesconsciences et perturbe l’équilibre des communautés.Le journaliste en charge du fait divers doit être à l’aise dans tous les registres de son métier.

Conscience toujours en alerte, il doit avoir l’obsession d’incarner, dans la relation, l’enquête

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ou les prolongements qu’il propose d’un événement, les valeurs de justice, de liberté, derespect des individus et de leurs droits qui fondent « Ouest-France ».

Nos principes de base – Donner des faits vérifiés, précis et utiles à la compréhension, rapportés avec l’obsession

permanente de toutes les conséquences possibles de leur publication (pour les acteurs eux-mêmes, pour la famille des victimes, pour celle des coupables…). 

 –  À Ouest-France, nous refusons l’étalage de détails crus et sordides. La règle est la sobriété

et la mesure. Trois raisons nous y engagent : la volonté de ne pas divulguer un quelconquemode d’emploi, le refus d’alimenter un voyeurisme malsain et enfin le souci de préserver la

dignité de la victime. – Situer ces faits dans leur contexte, dans toute leur dimension humaine, sans voyeurisme. – Assurer un suivi systématique des faits, grands et petits. Ne pas hésiter à revenir sur desfaits qui demeurent mystérieux, non résolus. Avoir l’humilité de donner la fin de l’histoire,même si elle prend à contre-pied des papiers antérieurs.

 – Prolonger les faits divers par des témoignages, interviews qui aident à comprendre, pardes informations susceptibles d’aider le lecteur à éviter ce qui vient d’arriver à l’autre (labonne question : « Qu’est-ce qui peut m’intéresser et m’être utile à moi dans ce qui vientd’arriver à l’autre ? ». 

 – Être extrêmement prudent sur les causes, les liens de cause à effet, les responsabilitéspersonnelles des différents acteurs. Même l’évidence peut être trompeuse en la matière,sans compter les stratégies manipulatoires des sources d’information. 

 – En discuter en équipe : notre éthique commune doit être vivante dans notre manière de

traiter le fait divers. Aucune boîte à outils ne répondra définitivement à tous les casparticuliers, aucun code ne fera marcher au pas ces transgressions, ces irruptions et cesdérapages qui sont la matière du fait divers : notre éthique commune s’imposera le plussouvent dans le dialogue et la concertation.

Du fait divers au procès : une histoireEntre autres leçons, des « affaires » récentes illustrent deux risques majeurs :

 – La relation exclusive entretenue par certains médias avec les sources accusatoires (obtenirau plus vite un coupable crédible).

 – La tentation commune aux sources à charge et aux journalistes de considérer le dossier

comme clos. Raconter un fait divers, c’est raconter une histoire qui commence par ladécouverte d’un fait et qui ne s’achèvera que par le constat d’un autre fait : la sanctiondéfinitive par la justice (appel, cassation, voire commission de révision des condamnationspénales !) :

 – bien situer le niveau de l’information et de la source dans le déroulement de la procédure judiciaire : « à quel moment je parle d’une histoire, en m’appuyant sur quelle(s) source (s) »?

 – Montrer qu’il existe « des avenirs possibles » à l’information du moment : « laissez l’avenirouvert, apprenez à écrire d’une manière qui ne soit pas irréversible. » 

 – pensez au « frigidaire » au moment de la rédaction : avoir toujours en réserve plus de

choses qu’on en met dans le papier. 

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 – Pensez au « congélateur » après la rédaction des articles : la nouvelle loi ouvrant des droitsde suite longtemps après l’ultime phase judiciaire, conservez précieusement vos notes,documents, photocopies, témoignages. Le tout, précisément daté et classé, et assorti d’uncahier de tous les faits divers parus dans votre édition (à la disposition de la rédaction et… de

vos successeurs). – Bannir tout effet de polémique à l’encontre d’une personne. Éviter toutes les expressionsoutrancières ou blessantes, tous les jugements hâtifs. Cela ne signifie pas nécessairement unstyle inodore et sans saveur : la vigueur du style est directement liée à la validité del’enquête. La personne incriminée ne doit jamais apparaître comme la cible d’une actionmenée par la Presse.

 – Avoir plus d’attention envers les victimes. Le fait divers est aussi, pour elles, une histoiredouloureuse (nous avons un devoir de suite sur les conséquences du fait divers dans leurvie…). 

 – Nous devons progressivement faire passer l’idée que « la mise en examen » (annonce de la

mise en mouvement de l’action publique), est aussi juridiquement le moyen d’ouvrir lesdroits de la défense et non l’affirmation publique d’une culpabilité établie. L’expression de ladéfense, ne serait-ce qu’à travers ses demandes exprimées au juge d’instruction, est lemeilleur moyen de cette pédagogie. En rendre compte systématiquement.

 – évitez toutes les formulations qui affirment ou insinuent une responsabilité non établie parla Justice au moment des faits.

Journaliste, pas justicierLe droit pour la Presse d’informer est lié à son devoir de « sentinelle sociale » qui peutl’amener légitimement à dénoncer certaines aberrations sociales qui ne seraient pas

rendues publiques par l’Institution ou le groupe mis en cause. Mais ce devoir, reconnu parles tribunaux, n’autorise pas le journaliste à se substituer à la Justice. 

La jurisprudence définit ainsi la rigueur professionnelle : – La légitimité d’une information n’est jamais fondée sur le seul droit d’informer. Elle est liéelargement à la qualité du suivi d’une affaire. Le journaliste ne doit pas donner le sentimentde s’être intéressé à l’affaire de manière épidermique ou ponctuelle. Il doit éviter tout avant

 jugement péremptoire. – La mise en cause d’une personne ne doit pas apparaître comme prioritaire par rapport aubut plus général poursuivi par le rédacteur de l’article (celui peut-être la sécurité des biens

et des personnes, le respect d’un mandat public…). C’est l’intérêt pour la société, du sujettraité, qui doit apparaître prioritairement par rapport aux acteurs du fait évoqué. Lalégitimité du but poursuivi suppose que la nature des faits rapportés ne touche pas àl’intégrité personnelle de ceux qui y sont mêlés. 

 – Rédactionnellement, cela signifie que l’article ne doit, en aucun cas, donner l’impressiond’un mélange entre les faits et le commentaire (s’il y a commentaire, il doit se situer au planpolitique, intellectuel, social ou culturel, mais jamais au plan des personnes mises en cause).L’article doit manifester clairement l’absence d’animosité personnelle (texte et photo).

 – À défaut de fournir la preuve formelle du fait avancé, le journaliste doit disposer dumaximum d’éléments de preuves. L’enquête ne sert pas uniquement à rédiger un article. Elle

sert aussi à anticiper sur l’offre de preuves et sur l’éventuelle « démonstration de bonne foi

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» que l’on peut être amené à faire après la parution de l’article (enquête contradictoire,vérifications approfondies, collecte de preuves formelles ou d’éléments de preuves,témoignages directement recueillis…). Cela suppose de toujours chercher à contacter ou àrencontrer toutes les parties concernées par l’affaire traitée et de toujours fournir uneprésentation aussi équilibrée que possible des avis des uns et des autres.

 – La loi (et l’évolution générale de la société) va nous faire obligation d’être plus ouverts audroit d’expression des personnes mises en cause. Le droit de réponse (s’il est demandé dansles formes juridiques voulues par le législateur) n’est pas une critique du travail du

 journaliste mais le droit général et absolu de toute personne d’accompagner, à sa manière,les circonstances de sa désignation dans un article. Ce n’est pas seulement une obligationlégale. C’est une valeur éditoriale défendue depuis l’origine par Ouest-France.

Identité : nommer, ne pas nommer ? Ì L’identité d’une personne, ce n’est pas seulement son nom. C’est un faisceau d’indications

(nom, prénom, image de la personne, adresse ou photo du domicile, métier et lieu

d’exercice…) qui permettent de la reconnaître. 

Que dit la loi ? Ì La loi interdit de donner les identités de mineurs auteurs ou victimes d’infractions.Exception dans le cas des mineurs victimes d’accidents de la route. Traitement normal, avecidentité. Si une suspicion d’infraction survient, retour à l’anonymat. 

 Ì La loi tolère qu’on déroge à cet interdit quand, à la suite de la disparition d’un enfant, unplan de recherche est lancé et impose aux medias la publication de l’identité de l’enfant etde sa photographie (voir « fugueur » dans l’abécédaire). 

 Ì La loi tolère aussi quand les parents témoignent eux-mêmes sur les circonstances et sur les

violences subies par l’enfant. Il peut s’agir, dans ce cas, d’une forme de militantisme pourdénoncer les violences sexuelles dont sont victimes les enfants.

 Ì La loi interdit de donner les identités des majeurs victimes d’agressions sexuelles, sauf si lavictime le demande expressément. La jurisprudence étend cette interdiction aux personnesdécédées.

 Ì La loi interdit de donner l’identité des majeurs auteurs présumés d’une agression sexuelledès lors qu’un lien de parenté permet d’identifier la victime (père-enfant ; mari-femme).

Que fait Ouest-France ?

AVANT LE JUGEMENT Ì On ne donne le nom d’une personne que lorsqu’elle est mise en examen ET écrouée. Ì Des exceptions existent. La publication du nom peut se justifier, même sans incarcération,pour les personnes exposées (mandat public, associatif, sportif, lien des faits avec lafonction, personne d’une notoriété particulière, devoir d’exemplarité…) ainsi que pour éviterla confusion dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles.

 Ì Rien n’interdit de donner le nom si la personne mise en cause ou son avocat prennentl’initiative d’exprimer leur point de vue, ou acceptent de répondre à nos sollicitations.

 Ì Dans le cas d’affaires exceptionnelles ou à retentissement national, contactersystématiquement la Rédaction en chef.

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Identité un jour, anonymat ensuite… Pour le même événement, d’un jour à l’autre, notreattitude peut varier. Exemple : découverte du corps d’une femme morte. Tant qu’il n’existepas d’éléments de suspicion d’agression sexuelle, on peut donner son nom. Si, au cours del’enquête, il s’avère qu’il y a eu agression sexuelle, on revient à l’anonymat, imposé par la loi.

 Ì De même, la situation peut évoluer pour des personnes mises en examen et écrouées

(identité), qui sont ensuite déclarées irresponsables pénalement (expertises psychiatriques).Dans ce cas aussi, nous rétablissons l’anonymat. 

PENDANT LE PROCÈS Ì Quand une personne comparaît libre, on ne donne pas son nom pendant l’audience (saufcas particuliers cités ci-dessus).Si elle comparaît détenue, on peut donner son nom. Ì Qu’il s’agisse des tolérances de la loisur l’anonymat des mineurs (plan de recherche lancé par les autorités, ou expressionspontanée des parents) et dans les cas d’affaires exceptionnelles ou à retentissementnational, contacter systématiquement le Rédaction en chef.

AU MOMENT DU JUGEMENT Ì Au moment du jugement, on ne donne pas l’identité si la personne n’est condamnée qu’àde la prison avec sursis. On donne son identité si elle est condamnée à de la prison ferme.Cas particulier : même si la personne est condamnée à de la prison ferme mais qu’elle sortlibre à la fin de l’audience (pas de mandat de dépôt), on ne publie pas son nom. 

 Ì Port du bracelet électronique : si on a connaissance de cette peine de substitution à laprison au moment où l’on écrit, on ne donne pas l’identité de la personne. 

Présomption d’innocence : vigilance !

 Ì « Chacun à droit au respect de sa présomption d’innocence » (Article 9-1 du Code civil). Il y aatteinte à la présomption d’innocence « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation,

 présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une

instruction judiciaire » (loi du 15 juin 2000). Ì La présomption d’innocence s’applique jusqu’à une condamnation définitive. On veilleraparticulièrement à son application dans les titres, énoncés de condamnations… Avant unecondamnation définitive, on s’abstiendra, par exemple, de la formule « le meurtrier de... »On peut cependant faire état d’une condamnation, sans obligatoirement préciser la facultéd’appel ou de pourvoi.

 Ì Le respect de la présomption d’innocence n’interdit pas de donner les noms. L’interdiction

se limite à ne pas présenter la personne comme coupable des faits qui lui sont reprochés. Ì Du bon usage des mots. A encourager : l’usage du conditionnel ; des tournures du type : « illui est reproché de » … « il est accusé de »… « il aura à répondre de » … « selon la police » …À bannir : les mots qui blessent ; les tournures du type : « cet homme bien connu desservices de police » … « inculpé et écroué, le meurtrier a été transféré » … 

 Ì Éviter l’emploi abusif du mot présumé. Selon le Larousse, « présumé » signifie « estimé telpar supposition, selon certains indices ». Le « meurtrier présumé » est donc estimé commetel, donc présumé coupable. Le mot présumé ne garantit pas absolument la présomptiond’innocence.

Suicide : du tact et une extrême prudence

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Dans Ouest France, nous parlons du suicide : 1 000 citations en 2006 contre 350, dix ans plustôt.I – Le suicide est surtout évoqué en tant que fait social, psychique, sanitaire, etc.Témoignages de survivants, de proches, de psys, d’associations, d’universitaires. Nous nousdevons de le faire sans réserve, dans une optique de prévention, mais toujours avec tact. II – 

Nous rendons compte également de tel ou tel suicide en particulier,Au titre du fait divers.Dans ce cas, notre règle est de préserver l’anonymat de la personne suicidée. Si la loi interditde permettre l’identification d’un mineur qui s’est suicidé ou qui a tenté de le faire, à Ouest-France, nous étendons cet interdit aux majeurs.Par exception, cet anonymat peut être rompu :

 – en cas de notoriété de la personne, – en cas d’acte criminel ayant précédé le suicide (ou sa tentative). Enfin le journal peut évoquer les suicides factuels – toujours dans le respect de l’anonymatdes personnes, si leur geste revêt un caractère public :

 – suicide dans l’espace public ou sur le lieu de travail ;  – suicides collectifs.D’une manière générale, tout suicide qui interpelle la société, qu’il soit ou non revendiqué,peut et doit être évoqué. Mais attention ; observer la plus extrême prudence sur les liens decause à effet. Toute cause avancée n’est qu’une hypothèse parmi d’autres. Il ne nousappartient pas de spéculer sur les raisons de tel ou tel suicide.

L’enquête contradictoire : une preuve de la bonne foi  Ì La journaliste doit disposer du maximum d’éléments de preuve, à défaut de fournir lapreuve du fait avancé. L’enquête ne sert pas uniquement à rédiger un article. Elle sert aussi à

anticiper, en cas de procès, sur l’offre de preuves et sur l’éventuelle démonstration debonne foi que l’on peut être amené à faire après la parution de l’article : enquêtecontradictoire ; vérifications approfondies ; collectes de preuves formelles ou d’éléments depreuves ; témoignages directement recueillis.

 Ì Toujours chercher à contacter ou rencontrer toutes les parties concernées par l’affaire.Toujours fournir une présentation aussi équilibrée que possible des avis des uns et desautres. Si tel ou tel interlocuteur décline l’offre de s’exprimer, en faire mention dans l’article: le lecteur doit savoir que la proposition a été faite.