le duc des abruzzes - editions paulsen
TRANSCRIPT
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 1/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
Le duc des AbruzzesL’ARISTO EXPLORATEUR
PLUS CONNU PAR SON TITRE DE DUC DES ABRUZZES, LOUIS AMÉDÉE DE
SAVOIE DEMEURE LA GRANDE FIGURE DE L'EXPLORATION ITALIENNE. IL
S’ILLUSTRA NOTAMMENT EN 1909 PAR SA TENTATIVE DE CONQUÊTE DU K2,
OÙ L’ARÊTE EST PORTE DÉSORMAIS LE NOM D’ÉPERON DES ABRUZZES,
QUARANTE-CINQ ANS AVANT QUE LE SUCCÈS DE LACEDELLI ET COMPAGNONI
NE L’INSCRIVENT DANS L’HISTOIRE COMME LA « MONTAGNE DES ITALIENS ».
Spécialiste des grandes
explorations et de
l'alpiniste, Gilles Modicaest l'auteur de plusieurs
ouvrages aux éditions
du Mont-Blanc, Paulsen
ou encore Glénat.
Ardisci e spera! Telle était
la devise de Louis Amédée
de Savoie, duc des Abruzzes.
Ose et espère ! Devise et morale
du courage reprise à une femme
qui fut son principal soutien
au sommet de l'État, sa tante
Marguerite de Savoie, elle-même
familière des montagnes du
Piémont où elle marchait volon
tiers, figure tutélaire à qui il dut
probablement certaines de ses
inspirations dans les Alpes et
dans le monde. L'expédition du
duc des Abruzzes au K2 (mai, juin,
juillet 1909), si bien représentée
par les photos de Vittorio Sella,
est la plus célèbre de ses entre
prises. Le 25 mai 1909, au camp
de Concordia, confluent des
glaciers du Baltoro et de
Godwin-Austen, Vittorio Sella,
un tout petit homme sec et
barbu, profite d'une embelliepour cadrer le K2 et réaliser
une première photo historique.
De l'audace, de l'espérance,
de la patience, il en fallut à tous
ces hommes assiégés par les
nuages d'un été instable.
Guides valdôtains
Grand personnage de l'alpinisme
et de l'exploration, Louis Amédée
de Savoie, duc des Abruzzes,
est inséparable de ses guides
valdôtains qui en firent un
alpiniste accompli dans les
Alpes et participèrent à toutes
ses expéditions. Sans eux, le
duc des Abruzzes n'aurait pas
illustré son nom et sa devise
avec autant de bonheur. Et
inversement: sans cet homme
de valeur, sans ses capacités etson expérience d'officier supé
rieur de la marine, sans cet
organisateur hors pair, sans son
autorité, sans son prestige, sans
ce prince au cœur d'alpiniste qui
avait toute la confiance et toute
l'admiration du couple royal,
les guides valdôtains n'auraient
probablement pas autant brillé
dans l'exploration des montagnes
du monde.
Cette expédition est la première
expédition italienne en Himalaya.
Rappelons que la première
expédition française en Himalaya
ne date que de 1936 (Hidden
Peak, un échec dès 6900 m).
L'expédition française ne
comprenait aucun guide, de
Chamonix ou d'ailleurs. Le seul
guide que les responsables du
recrutement, tous amateurs,avaient jugé à la hauteur de
l'aventure, Armand Charlet,
se récusa pour des raisons
platement financières.
L'expédition devait durer au
moins quatre mois. Armand
Charlet, guide chamoniard,
aurait perdu l'argent de sa
saison. En revanche, cette
expédition italienne en
Himalaya, comme toutes
les expéditions du duc,
comprenaient maints guides
et porteurs (aspirants guides),
originaires de Courmayeur ou
de Valtoumanche. Tous portaient
des noms savoyards : Joseph
Petigax, Laurent Petigax (son
fils), les frères Alexis et Henri
Brocherel, Antoine Maquignaz,
Laurent Croux, Félix Ollier,
Alexis Fenouillet,
Émile Brocherel.
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 2/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
m ei
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 3/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
L’exploration au sommet
Fidèle entre les fidèles, chef
d'expédition au mont Saint
Elias (Alaska), présent au
Rwenzori (Montagnes de la
Lune), rescapé du pôle Nord
(l'expédition de la Stella
Polare), Joseph Petigax, guide
de Courmayeur à la parole rare,
avait un surnom: la Blonde.
Guides et porteurs parlaient le
patois du Val d'Aoste, un patois
savoyard plus français qu'italien.
Le royaume d'Italie céda la
Savoie à la France en 1860.
C'était le prix du soutien de
la France (Napoléon III) dans
la guerre de l'unité italienne
contre l'Autriche- Hongrie. Si
on avait défini la Savoie selon
des critères de langue et non
de géographie physique, le
Pays d'Aoste, devenu français,
aurait joué un rôle de première
importance dans l'histoire de
l'alpinisme bleu-blanc-rouge.
Louis Amédée de Savoie est le
troisième et dernier fils d'un roi
d'Espagne, Amédée de Savoie,
qui abdiqua quatorze jours
après sa naissance (29 janvier
1873). À l'aube de son départ
pour le Karakoram et le K2,
le duc des Abruzzes, dans la
force de l'âge pour un alpiniste
(36 ans), ignore qu'il est déjà
au sommet de sa courbe d'ex
plorateur. Le duc n’ira pas plus
loin, ni plus haut, dans une vie
coupée, marquée comme tant
d'autres vies par les années
de la Grande Guerre où il com
manda l'ensemble des opéra
tions navales en mer Adriatique
contre la flotte austro-hongroise
jusqu'en février 1917. Cœur
d'alpiniste, le duc des Abruzzes
avait aussi un cœur de marin,
une immense expérience de la
mer. On ne traînait pas dans
les premières années de la vie
au XIXe siècle, même et surtout
dans une famille de sang royal
où se mariaient le sens de
l'honneur (noblesse oblige !) et
la religion du travail en vigueur
dans la bourgeoisie italienne
du nord de l'Italie.
Pas de privilège
pour mon fils
L'enfant devait sans tarder rem
plir les devoirs d'un homme.
Confié par son père au vice-
amiral Martini sur ces mots :
« Pas de privilège pour mon
fils », Louis Amédée de Savoie
entre comme mousse dans la
marine italienne à un âge qui
ferait vaciller tous les parents
de notre époque, riches ou
pauvres : six ans et demi. Louis
Amédée de Savoie obtient le
grade d'enseigne de vaisseau
de seconde classe sur un bri-
gantin de la marine italienne,
1 'Amerigo Vespucci, après
dix années d'apprentissage,
pratique et théorique, sur
des navires écoles. C'est sur
le Vespucci qu'il se lia avec
le lieutenant Umberto Cagni,
son bras droit dans la plupart
de ses expéditions, singulière
ment au pôle Nord où le lieute
nant mena l'ultime tentative
avec trois hommes.
Nommé duc des Abruzzes au
décès de son père Amédée
(18 janvier 1890), officier en
second sur un torpilleur (1891)
puis sur une canonnière (1892)
qui mouille en Somalie, LouisAmédée de Savoie entame une
carrière d'alpiniste derrière ses
guides. L'alpinisme était déjà
une tradition dans la maison
royale et la grande bourgeoisie
du Piémont. Turinois, oncle
de Vittorio Sella, fondateur
du Club Alpin Italien ( 1863),
ministre des finances à trois
reprises, très impopulaire
à cause de sa politique de
rigueur, Quintino Sella portait
toujours des souliers ferrés dans
les caricatures d'un dessinateur
vedette de l'époque, Casimiro
Teja. Ces lourds croquenots
d'alpiniste étaient le symbole
de sa politique de taxes et
d'impôts.
Dès 1894, le duc des Abruzzes
avait derrière lui une magni
fique liste de courses: la
première sans guide du Cervin
par l'arête de Zmutt avec
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 4/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
• L’alpinisme, une traditionde la maison royale et de la
bourgeoisie du Piémont
Mummery, la pointe Dufour
en traversée jusqu’à la pointe
Gnifetti (mont Rose), la Dent
Blanche, le Rothorn de Zinal.
Dans le massif du Mont-Blanc,
son massif d'élection: la dent
du Géant, la traversée des
Grands Charmoz, le Grépon,
le Petit Dru, des courses de
grande classe pour un alpiniste
de cette période, des escalades
à part entière.
Autour du inonde
Le 8 novembre 1894, le duc des
Abruzzes embarque à Venise
sur le Ciistoforo Colombo. Son
voyage autour du monde avec
le lieutenant Cagni dura plus
de deux ans: 26 mois. Ces
hommes à la vie généralement
plus brève qu'aujourd'hui voya
geaient comme s'ils étaient
immortels. Les deux officiers
purent visiter l'Inde et observer
attentivement la chaîne hima-
layenne, le Kangchenjunga,
depuis Darjeeling. À partir de
1897, le grand guide valdôtain
Émile Rey s'étant tué dans une
chute sous la dent du Géant,
Joseph Petigax, dit la Blonde,
devient le guide privilégié du
duc des Abruzzes. Durant l'été
1898, le duc et ses guides
accomplirent trois premières
absolues dans le massif du
Mont-Blanc sur des sommets
qu'il leur fallut nommer. La
pointe Margherita et la pointe
Hélène sur la crête des Grandes
Jorasses furent baptisées l'une
en l'honneur de la reine
Marguerite, et l'autre en l'hon
neur d'Hélène d'Orléans, belle-
sœur du duc. Simple épaule de
l'aiguille Verte, l'aiguille Sans
Nom, gravie avec deux guides
de Courmayeur (Laurent Croux,
Joseph Petigax) et un guide
chamoniard (Alfred Simond),
garde son nom premier bien
que le duc ait proposé de la
nommer aiguille Petigax en
l'honneur de celui qui l'avait
si bien servi en Alaska
l'année précédente (1897).
Première en Alaska
À vingt-quatre ans, le duc avait
déjà une vision globale des
montagnes de la Terre grâce à
son voyage autour du monde.
Son destin d'explorateur en
montagne se précisa sur les
glaciers de l'Alaska, au mont
Saint Elias, la première de ses
grandes expéditions, la moins
connue. Le mont Saint Elias
.
Les Gasherbrum (8 035 et 8 068 m),
versant occidental, saisis par Vittorio Sella,
le photographe de l’expédition de 1909.
© Wikipedia
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 5/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
Le duc des Abruzzesen 6 dates
1873
Naissance de Louis-Amédée-Joseph-
Marie-Ferdinand-François de Savoie-
Aoste, le 29 janvier 1873, à Madrid.
1892
Le duc des Abruzzes découvre la montagne
à Ceresoie Reale et s'initie à l'alpinisme.Il gravira dès l'année suivante le Grand
Paradis et le Cervin.
1899-1900
Expédition au pôle Nord, au cours delaquelle est atteinte la latitude maximale
de 86° 33' 49". Le duc doit être amputé
de deux doigts gelés.
1906
Expédition au Rwenzori où quatorze
sommets du massif seront gravis.
1909
Expédition au K2. Malgré son échec,l'équipe établira un nouveau record
d'altitude au Chogolisa, à 7 498 m.
1933
Mort du duc des Abruzzes le 18 mars,
à Jowhar (Somalie), à l'âge de 60 ans.
(5514m) s'élève à environ
60 km du Pacifique, à l'angle
nord-ouest de la frontière
alasko-canadienne. Ses glaciers
alimentent le glacier de la
Malaspina, 38 km de long,
600 mètres d'épaisseur aux
dernières mesures. Ce glacier
monstre se fracasse dans
l'océan. Deux mois avant son
expédition en Alaska, le duc
avait réussi l'ascension hiver
nale du mont Viso avec deux
guides et son ami Francesco
Gonella. Débarquée en mai
d'une goélette dans la baie de
Yakutak, l'expédition du duc
(quatre guides valdôtains,
Francesco Gonella, le docteur
Filippo de Filippi, Vittorio Sella,
Umberto Cagni et dix porteurs
américains) commence son
approche (1er juillet) avec quatre
traîneaux qu'elle devra aban
donner après deux semaines
de progression devant les
accidents du glacier (séracs,
crevasses). Tous les portages
s'accomplissent désormais à
dos d'homme jusqu'au camp
de base installé le 28 juillet sur
le plateau supérieur du glacier
Newton. Sommet pour les
dix membres de l'expédition
cinq minutes avant midi :
31 juillet 1897. Solennel, le
duc noue le drapeau italien
sur le piolet enfoncé dans
la neige du sommet.
Quatre expéditions américaines
avaient échoué antérieurement
sur le mont Saint Elias. Le duc
et ses hommes ont fait leurs
preuves sur un terrain qui
fascinait le monde dans ces
années de course aux pôles,
Sud ou Nord, le terrain de
tous les extrêmes. Les basses
températures, l'instabilité
des glaces, le temps blanc
(la poudrerie canadienne,
ou White out), les distances
considérables, l'impossibilité
de recruter des porteurs, le
transport des charges, le dépla
cement en traîneau, l'isolement
faramineux, autant de difficultés
qui ne pouvaient que stimuler
l'ingéniosité, le courage, les res
sources physiques et morales
de ces nouveaux venus sur le
théâtre de l'exploration polaire.
La course au pôle Nord
Après deux voyages prélimi
naires, l'un au Spitzberg et
l'autre en Sibérie centrale où
ils conduisent des attelages
de chiens samoyèdes, Louis
Amédée de Savoie et son
bras droit, Umberto Cagni, se
sentent prêts pour l'aventure
du pôle Nord. Choisi sur les
conseils de l'explorateur
norvégien Nansen, leur bateau
était une baleinière, le Jason,
40 mètres de long, 9,25 mètres
de large, déjà utilisée par
Nansen sur les côtes du
Groenland et rebaptisée d'un
nom qui s'inscrira à jamais
dans les annales de l'héroïsme
polaire : la Stella Polare. En
novembre 1899, la Stella Polare
s'ancre en baie de Teplitz, sur
la côte ouest de l'île Rodolphe
(archipel François-Joseph, au
nord de la Nouvelle Zemble).
Peu avant Noël, à l'entraîne
ment, le duc et Cagni tombent
dans une crevasse avec leur
attelage. Le duc se gèle plusieurs
doigts de la main gauche dans
ses efforts pour s'extraire hors
de la crevasse. En janvier, ses
doigts gelés suppurant, il doitêtre amputé d'une phalange
au médius et d'une grande
partie de son annulaire.
Le duc indisponible, Cagni
commanda les onze hommes
du raid en direction du pôle,
trois patrouilles avec une tonne
de chargement sur chaque
traîneau. Au jour du départ
(22 février), la température
était si basse (- 52 °C) que les
trois patrouilles firent demi-
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 6/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
De retour de leur tentative
au pôle Nord, au printemps
1900, l'équipe menée par le
capitaine Umberto Cagni,immortalisée par le duc des
Abruzzes en personne.
PcTJ FéNOtU-ÊT
Ca&«i I
Ce/se-pA -
R.crdfcNSTi UAL Fül; il 13 tiufewü kjûO-
• Son équipé de guides
originaires du Val d’Aoste
l’accompagnera partout, dupôle Nord au redoutable K2
tour dès le lendemain. Cagni :
Nous demandons seulement
au Bon Dieu que la température
n'aille pas au-delà de - 35 °C,
et notre souhait nous semble
modeste. Le 21 avril 1900,
après 45 jours de marche
depuis le campement de la
baleinière, Cagni calcule sa
position: 86°34'. Heureux
d'avoir dépassé de 37 kilomètres
le record établi par Nansen,
il più grande esploratore del
mondo, Cagni bat en retraite.
L'une des trois patrouilles
(composée du lieutenant
Querini, du Norvégien Stocken
et du guide Félix Ollier) disparut
sur le chemin du retour. Les
Italiens, selon la technique des
explorateurs polaires de cette
période, tuaient des chiens au
fur et à mesure de leur progres
sion et en nourrissaient leurs
équipages.
Les monts de la Lune
De 1902 à 1905, commandant
du croiseur Liguria, Louis
Amédée de Savoie navigue
autour du monde. En 1906,
l'expédition du Rwenzori (monts
de la Lune), cinq mois au total,
cinquante jours d'acensions,
fut parfois une partie de plaisir
après les épreuves sans fin du
pôle Nord. C'est l'approche en
pays tropical qui accumula
les désagréments, la pluie,
le brouillard, les moustiques,
quelques accès de fièvre. Un
jour, entre deux ascensions,
les membres de l'expédition
soignèrent une ophtalmie en
appliquant des feuilles de thé
sur leurs yeux, un remède tou
jours conseillé, soit dit en pas
sant, par certains spécialistes.
Vittorio Sella prend des photos
qui dévoilent ces sommets
englacés au cœur de l'Afrique.
Tout le massif fut cartographié
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 7/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
Photographiée ici lors
de son arrivée sur la
terre François-Joseph,
la Stella Polare, "l’étoilepolaire" sera prise par
les glaces quelques
semaines plus tard.
(carte au 1:40 000e), la plupart
de ses grands sommets gravis
sans péripéties majeures, au
pas de charge, par des guides
heureux d'en découdre sur
des versants alpins après des
semaines de terrain tropical. Le
drapeau italien avec la devise
de la reine, Ardisci e Spera, fut
planté sur quatorze sommets
vierges d'une altitude supé
rieure à 4600 m et, dans une
même journée, sur les deux
plus hauts sommets : punta
Margherita (5 109 m) et punta
Alessandra (5 090 m). Autres
sommets majeurs à leur
actif : la punta Elena (4 968 m)
et la punta Savoia (4977 m).
Un sty le précurseur
Au printemps 1909, le pal
marès des guides valdôtains,
leur expérience inégalée de l'al
titude particulièrement, donne
les plus grandes espérances
au duc en partance pour le K2,
dans le massif du Karakoram.
Le 2 août 1903, engagés par
le couple américain Bullock-
Workman pour des ascensions
dans le massif, Joseph Petigax
et Cyprien Savoye avaient cru
établir un record mondial d'alti
tude sur la crête sud-ouest du
Pyramid Peak (de nos jours, le
Spantik) à 7 130 m d'altitude.
L'altitude de ce sommet,estimée à 7 400 m par les
Workman, a été rétrogradée
à 7 027 m : les Valdôtains ce
jour-là ne seraient montés qu'à
6 800 m. En 1905, au service du
Dr Longstaff, un explorateur
écossais partisan des expédi
tions légères, les frères
Brocherel, Alexis et Henri,
firent beaucoup mieux, et de
façon certaine, à deux reprises :
dans une tentative au Gurla
Mandhata (7 694 m) sur la fron
tière du Tibet (altitude atteinte,
7 300 m), et au Trisul (7120 m)
dans le massif du Garhwal,
gravi d'une traite (12 juin 1907)
depuis un bivouac.
Marcel Kurz: Cette ascension
au Trisul est restée longtemps
comme un exemple unique de
ce que l'homme était capable
de réaliser en Himalaya. La
différence de niveau entre le
bivouac et le sommet était
d'environ 1830 m et fut franchie
en dix heures. À la descente,
une hauteur de 2130 mètres
fut parcourue en trois bonnes
heures. Ces chiffres ne doivent
pas avoir été dépassés souvent
en Himalaya.
À l’assaut du K2
Dix heures pour 1 830 m,
c'est environ 180 m par heure.
Ce qui attendait les guides
depuis le camp III sur le glacier
au pied du K2, c'était le double
de cette hauteur (3 600 m),
Date : Mars - avril 2020
Pays : FRPériodicité : Bimestriel
Page de l'article : p.22-29Journaliste : GILLES MODICA
Page 8/8
PAULSEN 5876838500501Tous droits réservés à l'éditeur
• Le duc et ses hommes
ont fait leurs preuves sur un
terrain qui fascinait le monde :
celui de tous les extrêmes
avec un éperon de départ beau
coup plus redressé que la voie
normale du Trisul. Cet éperon
rocheux, épargné par les
avalanches, n'en émoussa pas
moins la pugnacité des guides
valdôtains. L'expédition com
portait quatre guides: Joseph
Petigax et son fils Laurent, les
frères Alexis et Henri Brocherel;
trois porteurs, Émile Brocherel,
Albert Savoie, Ernest Bareux;
Federico Negrotto, chef en
second de l'expédition, chargé
des relevés topographiques; le
docteur Filipo de Filippi (1859-
1938), historiographe des expéditions antérieures au mont
Saint Elias et au Rwenzori;
Vittorio Sella (1859-1943), pion
nier des ascensions hivernales
(Cervin, Lyskamm, traversée
du mont Rose), photographe
opiniâtre, et son aide Erminio
Botta. Notons au passage l'âge
de Vittorio Sella dans cette
aventure (50 ans) et sa longévité
(83 ans). Ce photographe de
toutes les expéditions du duc
(en dehors du pôle Nord)
est mort bien après Joseph
Petigax (66 ans) et le duc
des Abruzzes (60 ans).
Installés dans un camp III
(5 000 m) au pied du K2, les
Valdôtains parvinrent jusqu'à
6 200 m environ sur l'éperon
dit des Abruzzes (sud-est) où
un camp IV fut aménagé vers
5600 m. Sur les indications de
ses guides, en difficulté sur
des rochers plâtrés de neige et
de glace, le duc des Abruzzes,
monté au camp IV, donna
l'ordre de battre en retraite.
C'est le premier échec d'une
série de quatre échecs sur le K2
et sur des sommets voisins.
À chaque reconnaissance
autour du K2, les Italiens
multiplièrent les observations,
les photographies, les relevés
(topographie, géographie,
géologie). Sans sommet à son
actif, l'expédition du duc des
Abruzzes revint avec des résul
tats décisifs pour les expédi
tions ultérieures. Le 7 juin,
d'un col aux pentes très raides,
la Sella Savoia (6 660 m), gravi
après une traversée sous la
paroi ouest du K2, le duc
observe la face nord du
géant himalayen et la juge
impossible.
Record au Chogolisa
Le 24 juin, une énorme crevasse
barre la route d'une cordée de
trois alpinistes (Joseph Petigax,
Henri Brocherel, duc des
Abruzzes) grimpant vers un
grand sommet au nord-est
du K2, le Staircase ou Syang
Kangri (7 754 m). L'expédition,
ayant abandonné tout espoir de
gravir le K2, investit un superbe
sommet sur la rive gauche du
Baltoro, un grand trapèze de
neige et de glace qui dépasse
tous les contreforts voisins.
Découvert en 1861 par
Godwin-Austen, le premier des
explorateurs de cette région,
nommé Bride Peak par Conway
en 1892, ce sommet s'appelle
aujourd'hui le Chogolisa, un
nom balti exprimant une idée
de grandeur et de magnificence.
Retardée par des chutes de
neige, l'expédition plaça un
camp à 6853 m sur les pentes
du Chogolisa, le plus haut
camp connu à cette date, selon
Marcel Kurz, cet alpiniste et
géologue suisse, lui-même
détenteur d'un record d'altitude
en Himalaya (1930, Jongsong
Peak, 7 459 m, dans le massif
du Kangchenjunga).
Le 18 juillet, une cordée
de quatre hommes (Joseph
Petigax, Henri et Émile
Brocherel ainsi que le duc)
avance lentement dans une
neige sans consistance, d'un
demi- mètre d'épaisseur.
Nuageux dès le matin, le
ciel s'abaisse et menace ces
hommes engagés sur les cor
niches d'une arête après deux
heures de varappe dans des
rochers. Les corniches,
énormes, se perdent dans le
brouillard. La cordée, immobi
lisée à 7 500 m, aveuglée,
attendit deux heures une pos
sible éclaircie. La hauteur du
point atteint fut fixée au mètre
près : 7 498 m. C'est un record
d'altitude, à cette date, un
record qui tint treize ans jusqu'à
la tentative anglaise de 1922
sur l'Everest. Petigax, très acclimaté comme tous les membres
de cette expédition (en action
depuis deux mois autour de
5 000 m) voulait poursuivre
l'ascension. Le duc, toujours
prudent, imposa le repli.
Retiré en Somalie après 1923,
le duc y fit une toute dernière
expédition (1928) aux sources
d'un fleuve, un oued très irré
gulier, l'Uebi Scebelli, qui arro
sait son grand domaine
À lire
Le duc des Abruzzes,
gentleman explorateur,par Mirella Tenderini et
Michel Shandrik,
éditions Guérin / Paulsen.
Dal Polo al K2. Suite orme
del Duca degli Abruzzi,éditions du musée national
de la montagne de Turin.
Histoire universelle des
explorations, tome IV,
texte de Paul-Emile Victor
sur l'expédition de la
Stella Polare).
agricole de Jowhar. Avant
l'aventure du K2, en 1906-1907,
le duc aurait beaucoup souf
fert, dit-on, d'un grand amour
contrarié pour une jeune
Américaine, Catherine Elkins,
fille d'un sénateur qui s'opposa
au mariage. Malade d'une
maladie inconnue, c'est enSomalie que le duc vint mourir
après un adieu à ses proches
lors d'un passage en Italie:
Addiol Vado a morir in Somalia.
Le duc, mort en Somalie
(Jowhar, 18 mars 1933), fut
inhumé à Turin, dans la basi
lique de Superga, non loin du
mont Blanc où un sommet per
pétue son nom dans les abimes
grandioses du versant italien: le
pico Luigi Amedeo (4 470 m).