le disque intervertébral dans les rhumatismes inflammatoires

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Le disque intervertébral dans les rhumatismes inflammatoires Bertrand Moura, Maxime Dougados* Service de rhumatologie B, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France disque intervertébral / lombalgie / polyarthrite rhumatoïde / rachis lombaire / rhumatismes inflammatoires chroniques chronic inflammatory arthritis / intervertebral disc / low back pain / rheumatoid arthritis / spine Les principaux rhumatismes inflammatoires n’ont pas pour cible le disque intervertébral. L’atteinte synoviale dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) et de l’enthèse dans la spondylarthropathie relègue le mécanisme de la dégradation discale au cours de ces maladies, à celui de la pathologie vertébrale commune. En dehors de l’atteinte rachidienne cervicale au cours de la PR, la pathologie rachidienne d’origine discale a classique- ment une prévalence faible au cours des rhumatismes inflammatoires. Cependant, les modèles physiopathologiques récents proposent des alternatives à l’étiopathogénie de la dégra- dation discale [1, 2]. En effet, les études montrent une production possible par les cellules de l’annulus fibrosus de médiateurs de l’inflammation, ceux-ci pouvant être directement responsables de la sécrétion de produits de dégradation du disque comme les métalloprotéinases à l’origine de la dégénérescence discale. Ces données font s’interroger sur la place de la mala- die discale au sein des pathologies inflammatoires chro- niques. Celle-ci se résume-t-elle à la dégénérescence discale pouvant être source de douleur au cours de la pathologie vertébrale commune ? Ou bien revêt-elle une présentation clinique, radiologique, voire histolo- gique particulière au cours des rhumatismes inflamma- toires ? Après un rappel concernant la structure du disque intervertébral, nous recenserons les atteintes discales rencontrées au cours de la PR, de la spondylarthrite ankylosante (SPA) et du rhumatisme psoriasique. Nous laisserons à part les connectives comme le lupus ou la maladie de Gougerot-Sjögren où la maladie discale n’offre pas de particularité. Nous discuterons ensuite le rôle de l’inflammation chronique dans la dégénéres- cence discale. LE DISQUE INTERVERTÉBRAL Composition du disque sain Le disque intervertébral (DIV) sain est une structure fibrocartilagineuse, avasculaire, non innervée, conti- nente et dépourvue de synoviale [3]. Cette dernière propriété confère au disque une place particulière dans les phénomènes inflammatoires. Le DIV est constitué de deux parties que sont l’annu- lus fibrosus (AF) en périphérie, le nucleus pulposus (NP) gélatineux et central. Les plaques cartilagineuses vertébrales (PCV) sont interposées entre les corps ver- tébraux sus- et sous-jacent et le matériel discal. L’annulus fibrosus est une structure fibreuse, lamel- laire, blanchâtre, ferme et élastique, composée essentiel- lement de collagène. Elle enchâsse des cellules au sein d’une matrice extracellulaire composée de 60 % d’eau, de collagène en majorité de type 1 et de protéoglycanes de types agrécanes. * Correspondance et tirés à part. Rev Rhum [E ´ d Fr] 2000 ; 67 Suppl 4 : 270-5 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833000000570/SSU

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Page 1: Le disque intervertébral dans les rhumatismes inflammatoires

Le disque intervertébral dans les rhumatismesinflammatoires

Bertrand Moura, Maxime Dougados*Service de rhumatologie B, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France

disque intervertébral / lombalgie / polyarthrite rhumatoïde / rachis lombaire / rhumatismesinflammatoires chroniques

chronic inflammatory arthritis / intervertebral disc / low back pain / rheumatoid arthritis / spine

Les principaux rhumatismes inflammatoires n’ont paspour cible le disque intervertébral. L’atteinte synovialedans la polyarthrite rhumatoïde (PR) et de l’enthèsedans la spondylarthropathie relègue le mécanisme de ladégradation discale au cours de ces maladies, à celui dela pathologie vertébrale commune. En dehors del’atteinte rachidienne cervicale au cours de la PR, lapathologie rachidienne d’origine discale a classique-ment une prévalence faible au cours des rhumatismesinflammatoires.

Cependant, les modèles physiopathologiques récentsproposent des alternatives à l’étiopathogénie de la dégra-dation discale [1, 2]. En effet, les études montrent uneproduction possible par les cellules de l’annulus fibrosusde médiateurs de l’inflammation, ceux-ci pouvant êtredirectement responsables de la sécrétion de produits dedégradation du disque comme les métalloprotéinases àl’origine de la dégénérescence discale.

Ces données font s’interroger sur la place de la mala-die discale au sein des pathologies inflammatoires chro-niques. Celle-ci se résume-t-elle à la dégénérescencediscale pouvant être source de douleur au cours de lapathologie vertébrale commune ? Ou bien revêt-elleune présentation clinique, radiologique, voire histolo-gique particulière au cours des rhumatismes inflamma-toires ?

Après un rappel concernant la structure du disqueintervertébral, nous recenserons les atteintes discalesrencontrées au cours de la PR, de la spondylarthriteankylosante (SPA) et du rhumatisme psoriasique. Nouslaisserons à part les connectives comme le lupus ou lamaladie de Gougerot-Sjögren où la maladie discalen’offre pas de particularité. Nous discuterons ensuite lerôle de l’inflammation chronique dans la dégénéres-cence discale.

LE DISQUE INTERVERTÉBRAL

Composition du disque sain

Le disque intervertébral (DIV) sain est une structurefibrocartilagineuse, avasculaire, non innervée, conti-nente et dépourvue de synoviale [3]. Cette dernièrepropriété confère au disque une place particulière dansles phénomènes inflammatoires.

Le DIV est constitué de deux parties que sont l’annu-lus fibrosus (AF) en périphérie, le nucleus pulposus(NP) gélatineux et central. Les plaques cartilagineusesvertébrales (PCV) sont interposées entre les corps ver-tébraux sus- et sous-jacent et le matériel discal.

L’annulus fibrosus est une structure fibreuse, lamel-laire, blanchâtre, ferme et élastique, composée essentiel-lement de collagène. Elle enchâsse des cellules au seind’une matrice extracellulaire composée de 60 % d’eau,de collagène en majorité de type 1 et de protéoglycanesde types agrécanes.* Correspondance et tirés à part.

Rev Rhum [Ed Fr] 2000 ; 67 Suppl 4 : 270-5© 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S1169833000000570/SSU

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Le nucleus pulposus, gélatineux et ovoïde, occupeune place centrale. Il est pauvre en cellules. Sa matriceextracellulaire, riche en eau pour 90 %, se compose enmajorité de collagène de type 2 et surtout de protéogly-canes conférant au disque ses propriétés visco-élastiques.

Les plaques cartilagineuses vertébrales, constituéesd’une couche de cartilage hyalin qui recouvre les facessupérieures et inférieures des deux vertèbres adjacentes,marquent les limites anatomiques du DIV. Elles for-ment une barrière entre l’os spongieux vascularisé et leDIV avasculaire.

La nutrition et l’élimination des produits de dégrada-tion cellulaire s’effectuent probablement par un méca-nisme de diffusion avec les vaisseaux péridiscaux,principalement à travers la PCV située à l’interface dudisque et de l’os.

Dégradation discale : cytokines et inflammation

La caractérisation du phénotype des cellules de l’AF etdu NP est encore imprécise et ne fait que débuter. Lestravaux récents de deux équipes internationales suggè-rent que les cellules présentes dans le disque interverté-bral pourraient être de type « chondrocyte » [4, 5]. Cestravaux ouvrent de nouvelles perspectives pour com-prendre les processus de la dégénérescence discale. Eneffet, il semble maintenant logique de comparer lesmécanismes de dégradation du disque intervertébral àceux des articulations périphériques, car il existe destraits phénotypiques communs. Certains acteurs clefsde la dégradation de la matrice extracellulaire sontl’interleukine 1 et les métalloprotéinases. Cette dégra-dation s’associe à une réaction inflammatoire localeaccompagnée d’une activité de la phospholipase A2secrétée et de la production de PGE2 [6, 7].

Quelques travaux ont porté sur le rôle des cytokinesau cours de la dégénérescence discale. Doita et al.identifient ainsi une production d’IL-1 dans des cocul-tures endothéliales et de cellules provenant de herniesdiscales. Ces travaux ont été confirmés par Takahachi etal. qui trouvent également du TNF-α dans du matérieldiscal humain obtenu après chirurgie [8]. L’action deces cytokines dans le disque intervertébral est compara-ble à ce qui a été décrit pour les articulations desmembres. Ainsi la présence d’IL-1 et de TNF-α estassociée à une production de PGE2 dans des fragmentsde disques maintenus en survie [8]. L’IL-1 agit sur lecatabolisme des protéoglycanes produit par des cellulesAF en culture en activant l’activité caséinase [9]. Laprésence de médiateurs de l’inflammation comme la

forme sécrétée de phospholipase A2 de type II (sPLA2)et les prostaglandines E2 (PGE2) dans le produit d’exé-rèse des hernies discales est maintenant bien établi.Cependant, on ne sait pas exactement quelles sont lescellules qui sont responsables de cette production. Deuxhypothèses sont discutées : la première suggère que lescytokines et les médiateurs de l’inflammation puissentprovenir d’infiltrats inflammatoires ayant pénétré undisque endommagé [10, 11]. La deuxième retient lapossibilité pour les cellules du disque intervertébral deproduire elles mêmes ces facteurs en réponse à desstimuli extérieurs. Les travaux les plus récents semblentcependant en faveur de cette dernière hypothèse [1,10].

POLYARTHRITE RHUMATOÏDE ET DISQUEINTERVERTÉBRAL

L’atteinte du rachis cervical au cours de la PR est bienconnue et documentée. L’atteinte du rachis lombaireest classiquement rare. La prévalence de l’atteinte dis-cale du rachis dorsolombaire au cours de la PR n’est pasconnue. Cependant, les malades souffrant de PR etégalement de lombalgies chroniques ne sont pas rares.

Le rachis cervical

L’atteinte cervicale est fréquente au cours de la PR,survenant chez un tiers des patients. Elle survient le plussouvent au cours de polyarthrites érosives sévères évo-luant depuis plus de dix ans. La luxation atloïdo-axoïdienne est le plus souvent asymptomatique. Ellepeut se révéler à l’occasion de cervicalgies inflammatoi-res rebelles ou de complications neurologiques. Elle estle plus souvent de découverte radiologique. Seul unnombre très faible de patients va évoluer vers unecompression médullaire [12]. L’atteinte porte essentiel-lement sur la charnière cervico-occipitale et le rachiscervical moyen. Contrairement aux autres articulationsnon synoviales (manubriosternale, symphysepubienne), ces articulations sont fréquemment le siègede destructions ostéochondrales. La synovite rhuma-toïde de la bourse séreuse péri-odontoïdienne est encause à la charnière. Les lésions cervicales basses sont enrevanche le plus souvent liées à une instabilité chroni-que du rachis par arthrite interapophysaire postérieure.Celle-ci entraîne des microfractures discales, dessubluxations vertébrales, des spondylolisthésis et finale-ment l’aspect radiologique classique en « marchesd’escalier ».

Disque intervertébral et rhumatismes inflammatoires 271s

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Radiologiquement, les disques de l’étage cervicalmoyen sont alors le siège de lésions à tendance destruc-trices (pincement intervertébral, abrasion des plateaux,absence de réaction ostéophytique). La pathogénie estcontroversée, soit d’origine traumatique chronique,favorisée par l’instabilité cervicale résultant des lésionsinterapophysaires, soit par l’extention à l’étage discald’un processus inflammatoire prenant son origine dansles articulations uncovertébrales adjacentes.

Il convient de bien connaître ces atteintes discales durachis cervical moyen ou bas. L’indication d’une arthro-dèse instrumentée occipitovertébrale pour une luxationhaute devra en tenir compte. En effet, si le point defixation inférieur de l’arthrodèse se situe au-dessus de ladiscopathie, cette dernière pourrait en postopératoires’aggraver ou brutalement se décompenser.

Le rachis dorsolombaire

L’atteinte du rachis dorsolombaire est classiquementrare. L’atteinte du disque, en particulier, est mal connue.

Les premières publications de la littérature, dont celleprinceps de Baggentoss et al. en 1954, rapportent descas d’atteintes du rachis lombaire avec présence degranulomes rhumatoïdes dans le corps vertébral, res-ponsable d’érosion du plateau et de destructions disca-les [13-15]. Le granulome est successivement décritcomme provenant, soit de la plaque cartilagineuse, soitdes articulations costovertébrales ou costotransversairesadjacentes. D’autres études signalent l’existence despondylites ou de spondylodiscites dans de rares cas[16-18].

L’étude d’Helliwell et al., plus récente, étudiant leslombalgiques chroniques dans une population souf-frant de polyarthrite rhumatoïde, retrouve 33 % delombalgiques sur une cohorte de 503 rhumatisants[19]. L’étude radiologique retrouve 60 % de discopa-thies, 10 % de spondylolisthésis, et 80 % d’atteintesarticulaires postérieures. L’étude radiologique deLawrence en 1964, intéressant aussi des rhumatisantschroniques, retrouve 29 % de discopathie, 17 % despondylolisthésis, et 50 % d’atteintes articulaires posté-rieures [20]. L’étude d’Helliwell et al. compare égale-ment un sous groupe de 52 radiographies du rachislombaire de polyarthritiques souffrant de lombalgieschroniques avec un groupe contrôle [19]. L’analyse desrésultats montre une différence significative dans legroupe PR pour l’existence d’une ostéoporose et sur-tout d’un pincement discal sans ostéophytose réaction-nelle, déjà montrée par Lawrence.

En réalité, deux théories s’affrontent pour expliquerla dégradation du disque intervertébral au cours de laPR :– la théorie mécanique pour laquelle des microtrauma-tismes et une instabilité segmentaire causée par la des-truction de l’articulation interapophysaire postérieure,entraînent la discopathie [21, 22] ;– la théorie inflammatoire expliquant la dégradationdiscale par une atteinte inflammatoire du DIV secon-daire à un granulome inflammatoire issue de la plaquecartilagineuse vertébrale ou des articulations adjacentes[23, 24].

On peut bien voir que les atteintes rhumatoïdes durachis lombaire et dorsal sont rares et difficiles à diffé-rencier de l’arthrose destructrice simple. Le pincementintersomatique et les érosions corticales des plateauxvertébraux résultent soit de l’extension et de l’infiltra-tion de la synoviale inflammatoire provenant des arti-culations interapophysaires postérieures, soit del’instabilité rachidienne résultant de cette même syno-vite déstabilisant l’arc postérieur.

SPONDYLARTHRITE ANKYLOSANTE ET DISQUEINTERVERTÉBRAL

Au cours de la SPA, l’atteinte discale peut être une causede rachialgies mécaniques ou inflammatoires persistan-tes malgré un traitement anti-inflammatoire bienconduit. On décrit principalement deux mécanismes àl’atteinte du disque [25].

Spondylodiscites inflammatoires ou discitesinflammatoires aseptiques

Leur prévalence estimée au cours de la SPA varie de 1 à18 %. Une étude contrôlée sur 147 SPA anglaises [26]retrouve une fréquence de 8 %. Une autre étude néer-landaise [27] retrouve une fréquence de 1,5 % avec sixspondylodiscites sur 400 SPA suivies 16 ans. Les spon-dylodiscites touchent aussi bien les hommes que lesfemmes et surviennent classiquement dans les formesévoluées de la maladie. Pour parler de spondylodisciteau cours de la SPA, les lésions doivent comporter desimages destructrices discovertébrales siégeant sur toutou partie du disque avec le plus souvent un pincementdiscal. Les différents étages rachidiens peuvent êtretouchés mais le siège prépondérant est le rachis dorsalbas ou le rachis lombaire. Les atteintes cervicales sontrares [28]. La spondylodiscite peut être unique oumultiple. Les symptômes douloureux sont difficiles àdistinguer cliniquement des symptômes axiaux de la

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maladie, mais souvent le tableau clinique est dominépar une modification de l’horaire ou de l’intensité dou-loureuse rachidienne chez des patients diagnostiquésSPA depuis plusieurs années [27]. Cependant, certainesspondylodiscites peuvent rester asymptomatiques.L’évolution est le plus souvent favorable sous traite-ment médical, et aucune complication notamment neu-rologique n’est notée dans la littérature.

Atteintes de type pseudarthrosique

Elles sont secondaires à une fracture transdicale. Ellessont caractérisées par un pincement discal ou aucontraire une ouverture vers l’avant de l’espace discal,secondaire à un trouble de la statique.

Elles s’associent à une condensation de l’os sous chon-dral et permettent parfois la mise en évidence d’un traitde fracture sur l’arc vertébral postérieur.

Enfin, des atteintes destructrices rapides peuvent sevoir par la succession de ces deux mécanismes.

RHUMATISME PSORIASIQUE ET DISQUEINTERVERTÉBRAL

La symptomatologie de la pelvispondylite psoriasiqueest proche de celle de la SPA mais serait moins sévère.Elle est fréquemment associée aux autres formes del’affection. L’association de psoriasis et de spondyliteétait déjà décrite par Coste et Forestier en 1935. Ladurée d’évolution du rhumatisme psoriasique avantl’apparition de lésions discovertébrales est en généralelongue, en moyenne de 15 ans [24], en faisant deslésions tardives [29, 30]. L’atteinte rachidienne est fré-quemment associée à une atteinte sacro-iliaque. Deslésions discovertébrales sont trouvées dans 25 % des casdans une étude portant sur 21 malades [29]. Les spon-dylodiscites, au nombre de sept, sont localisées au rachisdorsal bas. Une autre étude comparant les discites entrerhumatisme psoriasique, SPA et différentes formes despondylarthropathies ne trouve pas de différence entreces groupes [31]. L’atteinte rachidienne se caractérisepar l’existence de syndesmophytes de deux types.L’aspect classique, vertical, au contact du pourtourdiscal, comme il est décrit dans la SPA, et des syndes-mophytes plus irréguliers, s’écartant du pourtour dis-cal. Ceux-ci sont plus souvent asymétriques etunilatéraux qu’au cours de la SPA et peuvent apparaîtreà n’importe quel étage, voire atteindre uniquement lerachis cervical contrairement à la SPA où la progressionest habituellement caudocraniale [32].

L’atteinte du rachis cervical, fréquente et parfois iso-lée, présente quelque particularités : on peut observerl’ossification du ligament longitudinal antérieur, desarthrites des articulations interapophysaires postérieu-res, des syndesmophytes quelquefois isolés et dessubluxations atloïdo-axoïdiennes. Une étude contrôléerécente trouve sept aspects de spondylites sur 30patients, sans aspect de discite isolée vraie [33]. Uneautre non contrôlée, portant sur 57 patients, retrouve70 % de malades avec lésions rachidiennes cervicales.Vingt-cinq pour cent des patients ont des lésions érosi-ves de types rhumatoïdes, et 44 % montrent des lésionsde type SPA [34].

Enfin, dans le groupe SAPHO, l’existence de spon-dylodiscites inflammatoires semble commune, avec32 % dans une étude récente [35], et un aspect radio-logique identique à celui retrouvé au cours des SPA.

DISCUSSION

Certaines études, notamment celle d’Helliwell, mon-trent une forte prévalence de la discopathie radiologi-que chez des malades lombalgiques souffrant de PR.Cette discopathie est particulière par l’absence de réac-tion ostéophytique l’individualisant peut être de la sim-ple discarthrose.

Si l’on s’intéresse au principal rhumatisme inflamma-toire, c’est-à-dire la PR, deux théories s’affrontent pourexpliquer la maladie discale. La première, dite mécani-que, incrimine la synovite chronique touchant les inte-rapophysaires postérieures comme source d’instabilitése répercutant sur le disque. On peut noter qu’au seinde la pathologie discale vertébrale commune, l’hypo-thèse selon laquelle la discopathie serait la conséquenced’une instabilité de l’arc postérieur par arthrose intera-pophysaire postérieure, a été depuis longtemps rejetéepar certains auteurs [36]. On admet aujourd’hui que lapathologie initiale est discale avec retentissement sur lesarticulations interapophysaires postérieures. Ladeuxième hypothèse, dite inflammatoire, incrimine ungranulome inflammatoire venant envahir le disque et ledétruire, sans explication nette quand à sa provenancede la synoviale, de la plaque cartilagineuse ou de l’ossous-chondral.

Il existe peut-être une autre théorie s’appuyant sur lesprogrès récents dans la compréhension de la biochimiediscale [1, 2, 11]. En effet, la dégénérescence discalesurvient chez l’homme des la deuxième décennie, inté-ressant toutes les structures constituant le DIV. On saitque le disque dégénéré se néovascularise, notamment à

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la zone transitionnelle annulus fibrosus et corps verté-bral. Au cours de la PR, les discopathies semblentintéresser des malades ayant une longue évolution deleur maladie. Dans l’étude d’Helliwell et al., les maladessouffrant de PR ont une moyenne d’évolution de leurmaladie de 16,7 ans [19]. On peut donc imaginer qu’aucours d’un rhumatisme inflammatoire chronique, ledisque est la cible de cytokines pro-inflammatoiresapportées par la néovascularisation. Ces cytokines pour-raient activer la production de métalloprotéases par lescellules de l’annulus fibrosus, alors directement à l’ori-gine de la dégradation discale. Il se produirait alors unediscite chronique source de discolyse.

Ces hypothèses, concernant notamment la PR, res-tent à être démontrées. Des travaux complémentaires,tant cliniques que fondamentaux sont nécessaires pourmieux situer la maladie discale au cours des rhumatis-mes inflammatoires chroniques.

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274s B. Moura, M. Dougados

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Disque intervertébral et rhumatismes inflammatoires 275s