le culte royal des seleucides

25
Le culte royal de l'empire des Séleucides: une réinterprétation Author(s): Peter Van Nuffelen Reviewed work(s): Source: Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 53, H. 3 (2004), pp. 278-301 Published by: Franz Steiner Verlag Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4436730 . Accessed: 16/07/2012 05:22 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Franz Steiner Verlag is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte. http://www.jstor.org

Upload: mariafrankie

Post on 15-Feb-2015

60 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des Séleucides: une réinterprétationAuthor(s): Peter Van NuffelenReviewed work(s):Source: Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 53, H. 3 (2004), pp. 278-301Published by: Franz Steiner VerlagStable URL: http://www.jstor.org/stable/4436730 .Accessed: 16/07/2012 05:22

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Franz Steiner Verlag is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Historia:Zeitschrift für Alte Geschichte.

http://www.jstor.org

Page 2: Le Culte Royal Des Seleucides

LE CULTE ROYAL DE L'EMPIRE DES SELEUCIDES: UNE REINTERPRETATION*

Dans une lettre a ses satrapes de f6vrier-mars 193, retrouvee en trois exempl- aires - une en Carie et deux en Iran -, le roi Antiochos III exprime sa volonte d'augmenter les honneurs rendus A sa femme Laodice ?parce qu'elle montre son affection envers lui< et qu'elle >>est pieuse envers la divinit& et ordonne a cette fin que >>de meme que sont nomm6s dans le royaume des grands-pretres de nous-memes, soient 6tablies dans les memes lieux des grandes-pretresses de Laodice, qui porteront des couronnes d'or ayant son portrait, et dont le nom sera inscrit dans les contrats apres les grands-pretres de nos ancetres et de nous- memes.<< Avec cette inscription, qui nous indique 1'existence d'une grande- pr'trise eponyme des ancetres et du roi Antiochos, et la creation d'une fonction de grande-pretresse de la reine Laodice, le culte royal de 1'empire s6leucide jaillit au grand jour1.

Hormis ce document, nous savons peu de ce culte: nous sommes beaucoup mieux renseignes sur le culte municipal que recevaient les Seleucides dans de nombreuses cit6s. C'est sans doute la raison pour laquelle depuis longtemps personne n'a plus present6 une vue d'ensemble de cette question et qu'on se re'fre plutot aux 6tudes fondamentales publi6s a ce sujet dans la premiere moitie du vingti6me siecle2. Ce manque de sources est aussi source de contro- verse sur un bon nombre de points. La cr6ation du culte de 1'empire est-elle a placer peu avant 193, la date de la lettre d'Antiochos III, comme le pensent S. Sherwin-White et A. Kuhrt3; ou bien au retour d'Antiochos de son anabasis

* Toutes les dates sont avant Jesus-Christ. Je tiens a remercier Prof. H. Hauben pour ses remarques. Ividemment j'assume seul la responsabilite pour les idees exprimees et les erreurs eventuelles.

I OGIS 224; L. ROBERT, Nouvelles remarques sur l'edit d'Eriza, in BCH 54 (1930), p. 262- 267; ID., Inscriptions seleucides de Phrygie et d'iran, in Hellenica 7 (1949), p. 5-29; ID.,

Encore une inscription grecque de l'Iran, in CRAI (1967), p. 281-296; J. MA, Antiochos Ill and the Cities of Western Asia Minor, Cambridge, 1999, p. 354-356.

2 M. ROSTOVTZEFF, I7POFONOI, in JHS 55 (1935), p. 59-66; E. BIKERMAN, Institutions des Seleucides, Paris, 1938, p. 236-237; U. WILCKEN, Zur Entstehung des hellenistischen Konigskultes, in A. WLOSOK (ed.), Romischer Kaiserkult (Wege der Forschung 373), Darmstadt, 1978, p. 218-253, sp6c. p. 251-253 (= Sitzungsberichte der Preufiischen Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse, Berlin, 1938, p. 298- 321).

3 Susan SHERWIN-WHITE/Am6lie KUHRT, From Samarkhand to Sardis. A New Approach to the Seleucid Empire, Londres, 1993, p. 198.

Historia, Band LII/3 (2004) ? Franz Steiner Verlag Wiesbaden GmbH, Sitz Stuttgart

Page 3: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de 1'empire des S61eucides: une r6interpr6tation 279

orientale vers 204, une suggestion de Jeanne et Louis Robert4; ou bien encore le culte de l'empire est-il l'oeuvre d'Antiochos I et Antiochos III n'est-il respon- sable que d'une reorganisation en 1935? S'agit-il d'un grand-pretre des ancetres et du roi, comme il existait en Egypte ptolemaique, ou de deux grands-pretres, l'un du roi et l'autre des ancetres6? Quelle 6tait la tache des grands-pretres et grandes-pretresses du culte royal?

Une etude approfondie permettra d'6clarcir la genese du culte royal de l'empire et d'en saisir la dynamique, sans pour autant pouvoir en 6lucider tous les points de contentieux. Nous 6tudierons d'abord la date de la creation du culte et sa structure - le nombre de grandes-pretrises, la tache et le profil sociologique des grands-pretres. Ensuite nous ciblerons le culte de Laodice et la pr6sence des ancetres dans le culte royal, pour terminer avec un questionnement sur la relation entre le culte municipal et le culte de l'empire.

1. La date de la creation du culte royal de l'empire

Concemant la date de cr6ation du culte royal de l'empire s6leucide, trois propositions sont traditionnellement avancees. (A) La premiere donn6e incon- testable sur le culte royal est la lettre d'Antiochos III relative au culte de sa femme Laodice de 193, que nous venons de citer. Si l'on n'accepte que cette donn6e, on doit placer la creation du culte vers 193, sous Antiochos III. (B) D'autre part, si l'on accepte que >le grand-pretre de tous les temples<<, mention- ne par quelques inscriptions, est aussi un pretre du culte royal de l'empire, la cr6ation peut alors etre situee vers 209, sous Antiochos III. (C) Enfin on croit aussi parfois pouvoir situer la creation du culte sous Antiochos I, notamment en

4 Jeanne et L. ROBERT, Fouilles d'Amyzon en Carie. Vol. 1: Exploration, histoire, monnaies et inscriptions, Paris, 1983, p. 168 n. 40; J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 26-27; H. MULLER, Der hellenistische Archiereus, in Chiron 30 (2000), p. 519-542, 536.

5 L. CERFAUX/J. TONDRIAU, Un concurrent du christianisme. Le culte des souverains dans la civilisation grico-romaine (Bibliotheque de th6ologie. S6rie 3. 5), Tournai, 1957, p. 235- 236; F. TAEGER, Charisma. Studien zur Geschichte des antiken Herrscherkultes. 1: Hellas, Stuttgart, 1957, p. 309; P. HERRMANN, Antiochos der GroJJe und Teos, in Anadolu 9 (1968), p. 29-159; A. MASTROCINQUE, Manipolazione della storia in etd ellenistica: i Seleucidi e Roma, Rome, 1983, p. 106-114; D. FISHWICK, The Imperial Cult in the Latin West (EPRO 108), Vol. 1, Leyde, 1987, p. 15-17; H. MALAY, Letter of Antiochos III to Zeuxis with Two Covering Letters (209 BC), in EA 10 (1987), p. 7-15; K. JEPPESEN, Ikaros. The Hellenistic Settlements. Vol. III: The Sacred Enclosure in the Early Hellenis- tic Period, Aarhus, 1989, p. 74-79; J.-M. BERTRAND, Inscriptions historiques grecques (La roue A livres), Paris, 1992, p. 208 n? 1 12; J.D. GRAINGER, A Seleucid Prosopography and Gazetteer, Leyde, 1998, p. 19.

6 Un seul grand-pretre: U. WILCKEN, Zur Entstehung ... (note 2), p. 250 n. 71. Deux grands- pretres: E. BIKERMAN, Institutions ... (note 2), p. 247.

Page 4: Le Culte Royal Des Seleucides

280 PETER VAN NUFFELEN

se fondant sur les paralleles ptol6maiques. Etudions les arguments respectifs de ces propositions.

(A) La lettre d'Antiochos III de f6vrier-mars 193 sur la creation d'un culte royal de l'empire pour sa femme, constitue le seul 6lement relatif au culte royal d'empire dont le sens ne peut en aucun cas etre remis en cause. Le document parle clairement de l'existence d'un grand-pretre du roi et de ses ancetres, auquel le roi ordonne d'ajouter une grande-pretresse de la reine. Si l'on ne retient que ce document a propos du culte royal de l'empire, a l'instar de S. Sherwin-White et A. Kuhrt, on est contraint de dater sa creation de peu avant 1937.

(B) En 1987, H. Malay a publie une inscription provenant de la bourgade byzantine Ptel1ai en Mysie (aujourd'hui Balikesir), qui augmente considerable- ment notre connaissance du culte royal de l'empire8. Dans cette lettre de debut mai 209, Antiochos III ecrit A Zeuxis, le responsable de l'Asie Mineure Cistau- rique, qu'il a nomm6 Nicanor, son ancien grand-chambellan, comme ?grand- pretre de tous les sanctuaires cistauriques<< (apXtEpEv; Twiv tEpov iuvtawv -v

tfjt e1exKetva Toi3 Tai6pov) et comme >>prepos6 des temples<< (i' TiCv iep&V), une fonction de gestion financi6re.

La question est de savoir si l'on peut interpreter ce >>grand-pretre de tous les sanctuaires<< comme un grand-pretre du culte royal de l'empire. Si c'est le cas - et nous le pensons -, la lettre de Balikesir est la premi6re attestation d'un grand- pretre du culte royal de l'empire, qui fut donc cr66 avant 209. Voici les deux arguments dont nous disposons.

(a) Un Nicanor figure aussi dans les inscriptions d'Amyzon des annees 202-201 et celles de Xanthos des annees 197-196 comme grand-pretre 6pony- me, sans autre specification. Dans les formules de datation des d6crets de Xanthos, il apparalt avant le pretre eponyme du roi, une fonction creee par la ville aprds sa liberation par Antiochos III en 197. Il va de soi que le Nicanor de la lettre de Balikesir et le Nicanor des decrets de Xanthos sont une seule et meme personne. I1 s'en suit que les deux charges de grand-pretre sont donc elles aussi similaires.

Le grand-pretre a Xanthos 6tait interpr6t6 par Jeanne et Louis Robert, sans avoir connaissance de l'inscription de Balikesir, comme celui du culte royal de l'empire, parce qu'il prec6dait dans les d6crets immediatement le pretre muni- cipal des rois et parce qu'il apparait apr6s la liberation de la ville par Antiochos III. On sait depuis les travaux de C. Habicht que la d6monstration de la loyaute

7 Susan SHERWIN-WHITE/Am6lie KUHRT, From Samarkhand ... (note 3), p. 198. 8 H. MALAY, Letter ... (note 5). Voir SEG 37 (1987) n? 1010; P. GAUTHIER, Bull. Epigr.

1989, n? 276; J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 288-289.

9 Jeanne et L. ROBERT, Fouilles d'Amyzon ... (note 4), p. 146-166 (textes 14 et 15); P.

GAUTHIER, Bienfaiteurs du gymnase au Letoon de Xanthos, in REG 109 (1996), p. 1-34,

spec. p. 5.

Page 5: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de 1'empire des Seleucides: une r6interpr6tation 281

des cites passait par le culte royal'0. Pour temoigner de sa gratitude, la ville de Xanthos crea un pretre municipal du roi et, bien qu'elle n'en e'ut pas l'obligation (le grand-pretre devait etre nomme dans tous les contrats, mais sans doute pas dans les d6crets des cites' 1), elle mentionne dans ses decrets Nicanor, qui, pour que cette manifestation de loyaute ait un sens, doit etre le grand-pretre du roi.

(b) II existe deux dossiers d'un ?grand-pretre de tous les temples? a l'epo- que hellenistique: a partir de 203 le stratege ptol6mafque de Chypre porte aussi le titre de apxtepei; -rWV KQata rfiv vljaov 2. Dans 1'empire seleucide nous connaissons hormis Nicanor encore Ptol6mre, fils de Thraseas, apXtEpebq KoiX71; Eupia; Kcat OOtViK7c;, en fonction au d6but du deuxieme siecle13.

La plupart des savants y voient un grand-pretre qui etait le chef de tous les sanctuaires d'une satrapie ou de l'-le de Chypre, y compris les temples dedies au roi, s'il y en avait14. Sa tache comprenait la gestion administrative et le controle financier de ces sanctuaires. Selon ce raisonnement, le grand-pretre seleucide du roi et des ancetres est >>tout-a-fait diff6rent? du grand-prere de tous les sanctuaires15.

10 C. HABICHT, Gottmenschentum und griechische Stadte (Zetemata 14), Munich, 19702. 11 L'inscription de Balikesir dit (1. 44 46): caraXO)pilEIv e acTurov Kcam.iV TaL cauyypa-

atI; Kcam. ?v toiq dXXot; XpTiaTtagot; o t; eA'itotat. >>II faut le mentionner dans les contrats et dans les autres documents selon la coutume< (sur les sens de chrematismos, voir P. GAUTHIER, Bull. Epigr. 1995 n? 525). J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 145-147, 158 semble admettre qu'il fallait mentionner Nicanor 6galement dans les d6crets munici- paux (mais il traduit la phrase citee de fagon peu exacte par >>and to mention him in the contracts for which it is usual< [p. 291], ce qui sugg6re qu'il ne fallait pas mentionner le grand-pretre dans les decrets).

12 L. MOOREN, The Aulic Titulature of Ptolemaic Egypt. Introduction and Prosopography (Verhandelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van Belgie. Klasse der Letteren. 78), Bruxelles, 1975, p. 187-198; R. BAGNALL,

The Administration of the Ptolemaic Possesions outside Egypt (Columbia Studies in the Classical Tradition 4), Leyde, 1976, p. 38-49 et p. 253-262.

13 OGIS 230 (pour la date [apres 197], voir Jeanne et L. ROBERT, Bull. Epigr. 1970, n? 627); D. GERA, Ptolemy Son of Thraseas and the Fifth Syrian War, in AncSoc 18 (1987), p. 63- 73; F. PIEJKO, Antiochos III and Ptolemy Son of Thraseas: the Inscription of Hefzibah Reconsidered, in AC 60 (1991), p. 245-259; J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 321-323.

14 R. BAGNALL, The Administration ... (note 12), p. 72; Laura BOFFO, Iscrizioni greche e latine per lo studio della Bibbia (Biblioteca di storia e storiografia dei tempi biblici 9), Brescia, 1994, p. 71 n. 4, et p. 85; Chiara CARSANA, Le dirigenze cittadine nello stato seleucidico (Bibliotheca di Athenaeum 30), Como, 1996, p. 109 et p. 163-164.

15 La citation provient de Susan SHERWIN-WHITE et Amelie KUHRT, From Samarkhand (note 3), p. 34 et p. 198. Comparez C.B. WELLES, Royal Correspondance in the Hellenistic Period, Rome, 1966 (= 1934), p. 159. Welles reduisait aussi le grand-pretre de Daphnd A un fonctionnaire financier (voir son commentaire A son n? 44, p. 183), alors que le texte ne parle pas de charges de ce genre. La meme idde semble etre defendue par A.E. MILLWARD, The Ruler Cult of the Seleucids, diss. Toronto, 1973, (n.v.): voir R. BAGNALL, The Administration ... (note 12), p. 49 n. 40. Pour la bibliographie ancienne sur ce point de

Page 6: Le Culte Royal Des Seleucides

282 PETER VAN NUFFELEN

Pourtant, quelques problemes surgissent avec cette interpretation et vont nous diriger vers une autre conclusion. (a) Il existe des textes qui montrent que le contr6le financier des temples dans l'empire seleucide n'incombait pas au grand- prtre, mais a un fonctionnaire appele >pr6pose des temples? (6 ki T6V vep6ov). D'abord, la lettre de Balikesir distingue clairement les fonctions de grand-pretre et de charg6 des temples, comme on le verra par la suite. Nicanor doit etre un grand-pretre, qui exergait egalement une fonction de supervision administrative des sanctuaires. Puis, une inscription d'Apollonia Salbace datee d'avant 190, nous fait connaitre un certain Demetrios, &totK1Tll;, ikXoyta-ri; et o tetayovo; ?1ti 'r&v tep6)v16. II est donc indubitable que le controle financier des sanctuaires etait assure par le six TCi)v iepC5v et que celui-ci ne se confondait pas d'office avec le grand-pretre. Cette s6paration nette entre la supervision administrative et la grande-pretrise montre que cette dern.ire avait une fonction d'ordre religieux'7.

(b) Par ailleurs, il ne semble pas avoir existe une s6paration nette entre >>grand-pretre du roi<< et ?grand-pretre de tous les temples?. En effet, la lettre introductive d'Anaximbrotos a Dionytas, qui precede une des trois copies de la lettre d'Antiochos III sur le culte de sa femme, parle de ti~ IactkiXaa;l dpX~psia Td@v ?V Tti aa9palEiat18. Ce double genitif semble poser des problemes de traduction. C.B. Welles propose la traduction ?chief-priestess of the queen in the satrapy(<, puisque il croit devoir suppleer a l'article tdv le substantif t61ov9. Or, un grand-pretre est d'habitude ?de tel ou tel temple(<, ou de plusieurs temples20. II est evident qu'il nous faut ajouter i?pCov. Puisque le genitif 'i; PaatkiaoXa; est r6gi par dpXtgpeta, la traduction doit etre plutot >grande-pretresse de la reine et des temples dans la satrapie<<21. Comme dit

vue, voir H. BENGTSON, Die Strategie in der hellenistischen Zeit. Ein Beitrag zum antiken Staatsrecht (Munchener Beitrage zur Papyrusforschung und antiken Rechtsgeschichte 36), Vol. III, Munich, 1952, p. 166 n. 1.

16 L. ROBERT, La Carie. Histoire et geographie historique, Vol. II, Paris, 1954, n? 166, p. 285-302.

17 Sur le fait que le pretre Kadoas demandait A Nicanor la permission d'eriger une st6le avec les noms du grand-pretre et ceux des mystai d'Apollon Pleurenos dans un sanctuaire (SEG 46 [1996] n? 1519), voir ci-dessous.

18 OGIS 2241. 5. 19 C.B. WELLES, Royal Correspondance ... (note 15), p. 163-164. 20 P. ex. P. Merton I1 75 (184 ap. J.-C.); P.Oxy. Viii 11 13 (202 ap. J.-C.); P. Oxy. XLV 3251

(2ieme s. ap. J.-C.). Pour l'Asie Mineure, voir Laura BoFFo, I re ellenistici e i centri religiosi dell'Asia minore (Publicazioni della Facolta di lettere e filosofia dell'Universita di Pavia 37), Florence, 1985, passim.

21 Une autre traduction A laquelle on pourrait songer, ogrande-pretresse des temples de la reine dans la satrapie<<, est exclue: dans ce cas le grec dirait plut6t apXlepeta T6.v ?v tit

caapanwait rilg acitaictioi iEp(oV. Comparez A cet 6gard apXtepetc arc1v KcaT Kvkpov

Ai]g.wrpoq iepCov (CIG 2637, de l'epoque romaine). La traduction de J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 355 (avec n. 1) ?high-priestess of the queen for the rites in the satrapy<< est sans parallele.

Page 7: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des S6leucides: une reinterpr6tation 283

expressement la lettre d'Antiochos III sur le culte de sa femme, les grandes- pr'tresses de la reine sont pareilles aux grands-pretres du roi. Ceux-ci sont par cons6quent aussi des grands-pretres du roi et de tous les temples.

De notre argumentation, iH ressort qu'il est impossible que les deux fonc- tions, grand-pretre de tous les temples et grand-pretre du culte royal, aient exist6 independemment l'une de l'autre: le grand-pretre du culte royal etait en tout cas aussi un grand-pretre de tous les temples22. Nous ne pouvons pourtant pas demontrer de fagon sure qu'elles 6taient des leur origine identiques. En effet, la lettre d'Antiochos de 193 atteste que le grand-pretre du roi 6tait aussi un grand-pretre de tous les temples, mais celle de 209 ne prouve pas que le grand-pretre de tous les sanctuaires 6tait deja un grand-pretre du roi. II est donc possible d'argumenter avec H. Muller qu'Antiochos HI cr6a d'abord un grand- pretre de tous les sanctuaires et en fit plus tard, vers 204, egalement un grand-pretre du roi et des ancetres23. Le souverain serait alors responsable d'une double revolu- tion: il fonda d'abord un grand-pretre de tous les sanctuaires et plus tard il y associa le culte royal. Cette idee s'appuie sur le fait qu'Antiochos III assumait vers 202 le titre de Megas, ce qui indique, comme nous l'exposerons ci-dessous, 1'exis- tence d'un culte royal au niveau de l'empire a cette 6poque.

Malgre ce fait, nous hesitons a accepter sa proposition. D'abord, face a la documentation lacunaire, il faut se mefier d'entrevoir trop de revolutions dans la politique d'Antiochos III. Les quelques textes dont nous disposons rendent de telles conclusions un peu hardies.

Ensuite, il faut tenir compte des variations de l'acception du titre du grand- pretre dans les documents. Dans l'inscription de 193, il est question tantot de la >>grande-pretresse de la reine et des temples dans la satrapie(<, de >>grands- pretres de nous< et de >>grands-pretres de nous et des ancetres<<24. Dans les d6crets d'Amyzon et de Xanthos, il est simplement fait mention de grand- pretre, bien qu'a cette epoque, selon H. Muller, on avait deja ajout6 le culte royal aux fonctions du grand-pretre de tous les temples. Que la lettre d'Antio- chos III retrouvee a Balikesir parle d'un grand-pretre de tous les temples, cela peut etre considere comme une enieme variation.

En troisi6me lieu, des paralleles sugg&rent qu'un grand-pretre de tous les sanctuaires desservait d'habitude egalement le culte du souverain. C.G. Brandis avait deja en 1895 propose de comprendre le grand-pretre de tous les sanctuai- res a Chypre comme un grand-pretre du culte royal, se fondant notamment sur des parallNles romains de l'lle25. Un autre parallele est a recueillir en Egypte

22 Voir H. MOLLER, Der hellenistische Archiereus (note 4), p. 532-534, qui refute Susan SHERWIN-WHITE/Am6lie KUHRT, From Samarkhand ... (note 3), p. 198 et J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 26, 291.

23 H. MULLER, Der hellenistische Archiereus (note 4), p. 532-536. 24 OGIS 224 1. 3-4, 22-23, 27-28. 25 Art. archiereus, in RE II, 1 (1895), col. 471-483, spec col. 472. On pourrait d'ailleurs

Page 8: Le Culte Royal Des Seleucides

284 PETER VAN NUFFELEN

romaine: le grand-pretre du culte imperial y presidait tous les sanctuaires du pays26. Les grands-pretres ordinaires par contre, c'est-a-dire ceux qui n'etaient pas lies au culte royal, ne d6passaient jamais les limites geographiques de leur sanctuaire ou de leur ville sacree27.

Il faut aussi signaler qu'a partir de 208, on voit surgir des >>pretres du roi<< dans les cit6s. Nous sugg6rons ci-dessous que, il faut y voir une influence du culte royal d'empire que les cites imitaient au niveau local. C'est donc un indice que le culte d'Empire existait deja vers 209.

Finalement, en ce qui concerne le contexte politique, une date vers 209 se laisse aussi bien justifier qu'une date vers 204, la fin de l'Anabase. A cette epoque, Antiochos III prend v6ritablement les renes du pouvoir en main et se montre tres actif a la fois sur le plan militaire et administratif. Le debut de son Anabase (212-205), le developpement d'une politique matrimoniale28, la desi- gnation de son fils comme co-regent, la reforme de la strategie dans les provin- ces, tout cela se situe dans la meme p6riode29.

Somme toute, deux scenarios restent possibles, dont nous jugeons le pre- mier plus probable. Soit la premi6re donnee sur le culte royal de l'empire s6leucide est la lettre de Balikesir datant de 209, ce qui atteste que la fonction existait auparavant30, soit ce texte n'atteste que de l'existence d'un grand-pretre de tous les temples, une fonction a laquelle le roi ajoutait vers 204 le soin du culte du roi et des ancetres.

(C) Peut-on faire remonter la date encore plus loin et se joindre a l'opinion traditionnelle selon laquelle le culte royal de l'empire seleucide aurait ete etabli par Antiochos 131 et qu'Antiochos III aurait alors 6te l'artisan de sa r6organisa- tion, a condition que l'introduction d'une grande-pretresse de Laodice puisse etre appel6e oreorganisation((? L'argument habituel est assez faible: Antiochos

voir un indice pour cette theorie dans le titre plus 6labor6 que porte le stratege Ptol6m6e (196-180), fils d'Ag6sarque, dans une inscription recueillie tout pr6s de Paphos: apXte- pECo ApTVt56o; 48[o7Oivii ?] OEOV Kca't xoi) paastXo Kai T[6V 6(XO&v] Os& ci V 'var iepa 6l8pu'rat sv 4[rt vijowt] (T.B. MITFORD, Contributions to the Epigraphy of Cyprus. Some Hellenistic Inscriptions, in APF 13 [19391, p. 13-38, spec. p. 25). Un autre paralle romain: IG XII.2 549.

26 Voir p.ex. IG XIV 1085 (128 apr. J.-C.); Stud. Pal. XXII 66 (148-150 apr. J.-C.). 27 Voir L. ROBERT, Noms indigenes dans l'Asie Mineure greco-romaine (Bibliothbque

arch6ologique et historique de l'institut frangais d'arch6ologie d'Istanbul 13), Paris, 1963, p. 436-437.

28 Pol. 8. 23: Antiochos marie sa soeur Antiochis a Xerx6s d'Arrnenie (212). 29 H. BENGTSON, Die Strategie ... (note 15), p. 143-158; A. AYMARD, De nouveau sur la

chronologie des Seleucides, in REAnc 57 (1955), p. 102-112 (= Etudes d'histoire ancien- ne, Paris, 1967, p. 262-272).

30 SEG 37 (1987) 1010, 1. 30-31: Nicanor requt la fonction sur sa propre demande (cknep drut6 4ii ev). Elle existait donc deja.

31 Voir notes 2 et 5. J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 63 parle de >>recreating the office of high-priest<< en 209, ce qui sugg6re la preexistence de la fonction.

Page 9: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des S6leucides: une r6interpr6tation 285

I fonda un temple a l'endroit oiu Seleucos I etait enterre dans la ville de Seleucie de Pierie. Appien ajoute qu' >>on l'appelle Nikatoreion32<<. Le present qu'em- ploie l'auteur indique que ce nom valait a son epoque, et on ne saurait en deduire que c'etait le nom qu'Antiochos lui donnait33. En plus, rien ne prouve que cette fondation ait engendre un culte royal de l'empire organise et structure. Antiochos I se montrait plutot un bon Macedonien en creant un monument funeraire pour son p6re. Citons, comme exemples de cette coutume, D6m6trios Poliorcete A Dem6trias34, Lysimaque a Lysimachee35, ou meme Aratos A Si- cyon36. Aucun des cultes de ce genre n'a engendre un culte dynastique.

II n'empeche que H. Malay a 6galement cru trouver une preuve de cette these traditionnelle dans l'inscription de Balikesir: vers la fin de sa lettre, Antiochos III ecrit (1. 37-41): >>Et nous considerons comme necessaire qu'il [Nicanor] soit charg6 des temples, et que leurs revenus et les autres choses soient g6res par lui comme ce fut le cas pour Dion sous mon grand-p6re.<< H. Malay prend ce Dion pour un grand-pretre du culte royal, ce qui prouverait l'existence du culte dynastique sous Antiochos II37. II n'a pas remarque que la lettre d'Antiochos contient deux clauses (1.24 [iPovX6IteOa g?v et 1.37 (dt6k- Oa &?), la premiere nommant Nicanor comme grand-pretre, la deuxieme lui donnant la charge d' C'n't&v TCep&v. Dion assumait cette derniere fonction sous Antiochos II, et non pas la premiere38.

Aucune donn6e ne nous permet de remonter encore plus dans le temps, et de dater la creation du culte royal de l'empire s6leucide au debut du troisieme siecle. L'argument de U. Wilcken, selon lequel il serait logique que le culte des S6leucides connaisse la meme evolution que celui des Ptolemees39, n'a aucun poids: la structure meme du culte seleucide est d6ja differente de celui des Ptolemees (grand-pretre du roi et des ancetres par satrapie vs. pretre d'Alexan- dre et des Ptol6m6es d6ifi6s A Alexandrie).

Les donnees concordent pour dater la creation du culte royal de l'empire, comprenant un grand-pretre du roi r6gnant et des ancetres, sous le r6gne d'Antiochos III. Nous pref6rons une date haute, peu avant 209, mais une date plus basse, vers 204, reste elle aussi possible. Ce qui importe, c'est que ce fut Antiochos III qui fonda le culte.

32 Syr. 63. 33 K. BRODERSEN, Appians Abrifi der Seleukidengeschichte: Syriake 45, 232 - 70,369. Text

und Kommentar (Munchener Arbeiten zur Alten Geschichte 1), Munich, 1989, p. 181. 34 Plut. Dem. 53; IG IX.2 1099. 35 App. Syr. 64. 36 Plut. Arat. 53. 37 H. MALAY, Letter ... (note 5), p. 13-15; J.D. GRAINGER (A Seleucid Prosopography ... [note

5], p. 88) se base sur Malay. 38 Voir les doutes exprim6s par P. GAUTHIER, Bull. Epigr. 1989, n? 276. 39 Zur Entstehung ... (n. 2), p. 251-253.

Page 10: Le Culte Royal Des Seleucides

286 PETER VAN NUFFELEN

2. La structure du culte royal de l'empire

Le culte royal de I'empire s6leucide consistait en 193 en deux grandes-pretrises, l'une du roi et des ancetres, I'autre de la reine Laodice, comme le montre la lettre d'Antiochos III relative au culte de sa femme. La formulation un peu confuse de cette lettre, qui parle a la fois de ?grand-pretre de nous-memes<< et de >?grand-pretre de nous-memes et de nos ancetres<, pourrait faire douter un instant qu'on a affaire a deux grandes-pretrises separees, l'une du roi et l'autre des ancetres, faisant un total de trois avec celle de Laodice. On retrouve d'ailleurs cette separation dans quelques cultes municipaux qui, comme nous le verrons plus loin, t6moignent d'une intrusion du culte royal de l'empire dans les cites. Pourtant, il est plus logique d'accepter que les cites ont scinde une fonction qui existait au niveau imperial. En tout cas, dans les textes concemant Nicanor, il n'est question que d'un seul grand-pr8tre. Ne tirons donc pas trop de conclusions d'un manque de rigorisme formulaire. Le culte royal des Seleuci- des 6tait alors un vrai culte dynastique du roi et de ses ancetres.

Chaque grand-pretre et grande-pretresse 6tait nomm6 a vie, comme le montre l'exemple de Nicanor, nomm6 en 209 et en fonction jusqu'a la fin du regne des Seleucides en Asie Mineure (188)40. Selon la lettre d'Anaximbrotos a Dionytas, une grande-pretresse de Laodic6e devait etre installee dans chaque satrapie4l. Cela concorde avec le titre du seul autre grand-pretre du culte royal de l'empire seleucide qui nous soit parvenu, Ptolemee, fils de Thraseas, apXiepEi; KoikX% 1upia; xca't 4otviici, la Phenicie et la Coele Syrie etant en effet une satrapie42. Nicanor, par contre, est nomme pour tout le pays cistaurique, lequel comprend plusieurs satrapies. Cela entre en contradiction avec ce que dit Anaximbrotos, mais il faut savoir que le pays cistaurique 6tait depuis longtemps perqu comme une unit6 propre A l'int6rieur de l'empire seleucide. En outre, de vastes regions d'Asie Mineure cistaurique, en particu- lier les cotes et le nord, 6taient en 209 occupees par des puissances etrange-

40 SEG 46 (1996) 1519. 41 OGIS 224.5. 42 R. Sherk (The Eponymous Officials of Greek Cities: IV, in ZPE 93 [1992], p. 255)

interpr&te le grand-pretre Nikostrate d'une inscription provenant du village de Bent- Djebel pres de Tyr (SEG 1 [1930] n? 550) comme un grand-pretre du culte royal. C'est une erreur puisque cette inscription date probablement de l'epoque romaine (voir SEG 1 [1930] n? 545) et que Nikostrate est aussi 6pim6lete, une fonction assez basse dans l'hi6rarchie s6leucide - si c'etait une fonction seleucide (J.D. GRAINGER, A Seleucid Prosopography ... [note 5] ne mentionne pas l'6pim6lte comme fonctionnaire dans sa liste; en Egypte ptol6maique l'6pim6lbte 6tait un fonctionnaire financier assez modeste, voir W. PEREMANS - E. VAN'T DACK, Prosopgraphia Ptolemaica. 1: L'administration civile etfinanciere [Studia Hellenistica 6], Louvain, 1977, p. 89). Le texte renvoie sans aucun doute a un grand-pretre d'un temple local.

Page 11: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de 1'empire des S6leucides: une r6interpr6tation 287

res43. Le ressort des grande-pretrises semble donc avoir varie selon les condi- tions historiques et geographiques du lieu. I1 n'est par consequent pas a exclure que Laodice, la fille du roi, fuit nommee grande-pretresse pour l'ensemble des satrapies orientales, et non pas seulement la Medie, celles-ci etant en effet periues comme une unite propre et dirigees peut-etre a l'6poque par Men6d6- mos, auquel la lettre de nomination 6tait envoy6e".

La documentation ne nous permet guere de voir les grands-pretres en exercice de leur fonction. I1 est des lors difficile de s'exprimer sur le contenu de leur charge, mais il est clair qu'ils n'etaient pas la clef de votite d'un ensemble de >>pretres inf6rieurs du culte royal de l'empire<<, comme le pense F. Wal- bank45. C'est crier IA des pretres-fant6mes dont il n'existe aucune trace parce qu'ils n'ont jamais existe: comme nous venons de le dire, un grand-pretre pr6side un ensemble de temples et non pas un groupe de pretres. Encore moins peut-on consid6rer le grand-pretre comme le chef des pretres municipaux du roi: ceux-lA restent une institution municipale et sont, comme on le verra, plutot une r6ponse des cites a ce nouveau culte de l'empire qu'un element structurel de ce demier.

L'inscription de Balikesir fait etat de taches religieuses >>concernant les sacrifices et les autres choses?, sans specifier plus46. Une lettre d'un pretre d'Apollon Pleurenos au successeur attalide de Nicanor, Euthydeme, lui deman- de de poser une st6le dans son propre sanctuaire. I1 dit avoir d6ja introduit une telle demande chez son pred6cesseur, Nicanor. Un document curieux, car quelque droit de regard qu'on attribue au grand-pretre, on ne peut guere imagi- ner qu'il devait s'occuper des st0les qu'un pretre voulait dresser dans son propre sanctuaire47.

On a dejA soulign6 le fait que tous les grands-pretres et toutes les grandes- pretresses 6taient issus de la plus haute couche sociale et assez proche du roi lui-meme. Comme grande-pretresse le roi choisit une femme de haute descen- dance: dans la satrapie de Medie (ou dans l'ensemble des satrapies onentales) sa propre fille, Laodice48, et dans la Phrygie ou la Carie, B&r6nice, la fille d'un

43 R. BAGNALL, The Administration ... (note 12), p. 80-1 16; J.D. GRAINGER, A Seleucid Prosopography ... (note 5), s.v. Phrygia (p. 767), Lydia (p. 746), Karia (p. 734), Ionia (p. 730) et Lykia (p. 747).

44 La suggestion de H. MULLER, Der hellenistische Archiereus (note 4), p. 534 que la grande- pretresse B&6nice soit le pendant f6minin de Nicanor avec un ressort 6gal est improbable: Antiochos envoyait sa lettre A Anaximbrotos, le strat6ge de Phrygie (ou Carie), cf. J. MA, Antiochos III ... (note 1), p. 129.

45 Monarchies and Monarchic Ideas, in F. WALBANK (ed.), Cambridge Ancient History, Vol. VII, 1, Cambridge, 19842, p. 98. Voir aussi L. CERFAUX -J. TONDRIAU, Un concurrent ... (note 5), p. 236.

46 SEG 37 (1987) 1010 1. 33-34. 47 SEG 46 (1996) 1519 1. 7-8. 48 L. ROBERT, Inscriptions seleucides ... (note 1), p. 18.

Page 12: Le Culte Royal Des Seleucides

288 PETER VAN NUFFELEN

dynaste49. Nicanor fut l'ancien chambellan d'Antiochos III; Ptolemee, fils de Thraseas, fut un officier haut-place des Ptolem6es de la meilleure souche50, qui fit preuve d'allegance au roi seleucide pendant la cinquibme guerre de Syrie et en fut bien r6tribu6 en devenant stratege de Coele Syrie et de Phenicie. Il fut alors contraint de diriger et de defendre les territoires qu'il avait lui-meme participe a conquerir au profit de la Syrie, et oiu il possedait certains biens. D'un coup de maitre Antiochos III le nomma ensuite grand-pretre du culte royal en Coele Syrie et Phenicie, l'obligeant de la sorte a exprimer sa loyaute envers le roi a chaque c6remonie.

Le but id6ologique du culte royal de l'empire 6tait de manifester 'a travers sa propre presence aux grandes fetes religieuses des sanctuaires et des cit6s la preeminence du roi dans le champ religieux. Le grand-pretre du roi, qui portait sans doute une image du roi et peut-etre aussi des ancetres comme e&1ment de son costume51, comme la grande-pr8tresse en portait une de Laodice, formait le trait d'union entre un roi humain lointain et un roi divinise proche. Cette pr66minence implique une presence du roi divinise et de ses ancetres dans tous les coins et recoins de 1'empire. Le fait qu'une des trois copies de la lettre d'Antiochos III sur le culte royal de sa femme provient d'une phylake', une petite forteresse 2, et l'obligation d'inscrire le nom des grands-pres et gran- des-pretresses dans les contrats en portent temoignage.

Quelle pourrait etre la fonction d'un culte royal de 1'empire consistant, a partir de 209 ou 204, en un grand-pretre du roi et des ancetres et, pendant un certain temps 'a partir de 193, d'une grande-pretresse de Laodice, nommes 'a vie dans chaque satrapie et tenus par des gens issus des plus hauts couche sociale? Il 6tait avant tout une institution qui distribuait des honneurs. D'une part, le roi recoit des honneurs divins sans que des exploits militaires soient requis. II est divinise de par sa fonction. D'autre part, il peut distribuer des postes 'a ses fonctionnaires afin de r6compenser leur loyaut6. Les personnages de Nicanor et de Ptolemee nous montrent clairement qu' etre >>grand-pretre du roi<< etait une fonction honorifique: ni l'un ni l'autre n'y puisait sa puissance politique. Au contraire, cette charge se rajoutait, comme recompense d'une carri6re dej'a bien

49 A.G. Roos, Remarques sur un edit d'Antiochos 111, Roi de Syrie, in Mnemosyne 3 (1950), p. 54-63, sp6c. 61-63.

50 Voir Laura BoFFo, Iscrizioni greche ... (note 14), p. 84-86; Lucia CRISCUOLO, 11 dieceta Apollonios e Arsinoe, in H. MELAERTS (ed.), Le culte du souverain dans l Egypte ptole- maique au Ille siecle avant notre ere. Actes du Colloque international Bruxelles 10 mai 1995 (Studia Hellenistica 34), Louvain, 1998, p. 61-72, spec. p. 64.

51 Sur cette habitude, mieux attest6e pour 1'epoque romaine, voir I'aperqu de M. REDDt,

Casques de parade et culte imperial, in Y. LE BOHEC (ed.), L'Afrique, la Gaule, la religion d 1'epoque romaine. Melanges M. Le Glay (Coll. Latomus 226), Bruxelles, 1994, p. 663-668, 664-665.

52 L. ROBERT, Encore une inscription ... (note 1), p. 281-296.

Page 13: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de 1'empire des S6leucides: une r6interpr6tation 289

comblee: Ptolemee etait recompense pour sa d6sertion de l'arm6e ptol6maique et, pour Nicanor, c'etait le dernier ruban sur son uniforme avant sa mise au vert dans, comme on peut le supposer, son pays natal.

3. La grande-pretresse de la reine Laodice

La lettre d'Antiochos III ordonne de cr6er un culte de l'empire pour sa femme Laodice. Bien que cette fonction soit 6ponyme, il n'y a pas d' autre indice de son existence. On soupconne meme qu'elle cessa d'exister aussi subitement qu'elle fuit crdee: en 192/1 Antiochos III 6pousa Euboia, une fllue de Chalcis, et r6pudia sa femme53. Mais si l'on constate tant d'aridit6 en aval, beaucoup de richesses sont a recolter en amont, dans les cultes municipaux de Laodice qui prec6daient le culte de l'empire.

Quatre cites avaient dejA accord6 des honneurs divins A la reine avant 193: Sardes (le 6 juin 213)54, T6os (204/3)55, Hdracl6e du Latmos (entre 201 et 193)56 et Iasos (entre 195 et 193)57. Le d6cret d'HWracl6e, qui ordonne de faire des sacrifices >>aux dieux, aux rois et A leurs enfants<, est, de par son impr6ci- sion, peu instructif. Les trois autres le sont nettement plus, et surtout lorsqu'ils sont mis en parallele. Les trois cites louent Laodice pour le soutien qu'elle offre A son mari et A sa politique et elles laissent entendre qu'il existe une parfaite concorde dans le couple royal. Celle-ci est meme traduite dans la d6ification de Laodice A Teos et a lasos. A T6os, les jeunes filles qui s'appretent A se marier doivent se baigner dans une fontaine sur l'agora, rebaptis6e en ?fontaine de Laodice<, couronn6es et vetues de blanc. La ville de lasos ordonne aux jeunes des deux sexes qui veulent s'6pouser, de faire un sacrifice a >>la reine Aphrodite Laodice?. Elle cree aussi une pretresse de la reine Aphrodite Laodice. Dans les deux cas Laodice assumait une fonction d'Aphrodite: assurer la fertilit6 du maniage et la bonne entente entre les 6poux58.

53 Pol. 20. 8. 54 P. GAUTHIER, Nouvelles inscriptions de Sardes II (Hautes etudes du monde gr6co-romain),

Gen6ve, 1984, no 3. 55 P. HERRMANN, Antiochos der Grofie ... (note 5). Voir SEG 41 (1991) nL 1003. 56 M. WORRLE, Inschriften von Herakleia am Latmos 1: Antiochos 'll., Zeuxis und Herakleia,

in Chiron 18 (1975), p. 421-476, spec. p. 427. 57 I. lasos 4 = K. BRINGMANN - H. VON STEUBEN (ed.), Schenkungen hellenistischer Herrscher

an griechische Stadte und Heiligtimer, Berlin, 1995, n? 197. Cf. Jeanne et L. ROBERT,

Bull. Epigr. 1971, n? 621. 58 Voir p.ex. Paus. 2, 10, 14; 1. lasos 628; 1. Didyma 330. F. Sokolowski (Divine Honors for

Antiochos and his Wife Laodike, in GRBS 13 [1972], p. 171-176, spec. p. 172) sugg6rait que Laodice etait identifi6e A ArtEmis A Teos. Mais voir les remarques de Jeanne et L. ROBERT, Bull. Epigr. 1973, n? 438, et notre article Le culte des souverains hellenistiques: le gui de la religion grecque, in AncSoc 29 (1998-1999), p. 175-189, sp6c. p. 184.

Page 14: Le Culte Royal Des Seleucides

290 PETER VAN NUFFELEN

II est impossible de d6terminer si ce langage de concorde reflete la v'rit'; la repudiation de Laodice semble prouver le contraire. Mais il n'y a pas l'ombre d'un doute que cette concorde etait un element essentiel de l'ideologie royale du regne d'Antiochos III. Sa lettre qui annonce la creation d'un culte de l'empire pour sa femme, s'en fait l'echo: il faut etablir des grandes-pretresses parce que Laodice ?>montre son affection et sa sollicitude dans sa vie avec nous.<( Une telle concordance entre l'ideologie royale et la teneur des cultes municipaux permet de dire que les cites traduisaient et adaptaient en termes de culte l'image ideale que cette ideologie promouvait59.

Philippe Gauthier interpretait d6ja la decision de creer un culte de l'empire pour Laodice comme une apogee des cultes municipaux6O. Permettons-nous une remarque a cet 6gard: il se peut que les sources donnent cette impression, mais il faut se garder de >>surinterpr6ter< ce fait. Les cultes municipaux de Laodice n'6taient pas le fondement du culte de 1'empire et ce dernier n'avait pas besoin du premier pour etre cr66: les deux cultes temoignent uniquement des qualites que percevaient A la fois les cites et Antiochos III dans l'activite de la reine.

4. Les ancetres

L'importance des ancetres pour les rois hellenistiques n'a pas besoin d'etre d6montr6e. II est facile d'en multiplier les exemples, allant des pedigrees fantaisistes des diadoques aux monnaies >>comm6moratives<< frappees par Aga- thocle, roi de Bactrie (1 80-165), portant l'effigie de ses predecesseurs, d'Alexan- dre le Grand jusqu'a Demetrios Ier61. >>Comme au temps de nos ancetres<< devient une formule passe-partout qui ne designe pas necessairement des per- sonnes bien precises. Souvent on utilise cette pr6sence assidue dans le monde hell6nistique pour rendre evident 1'6tablissement d'un culte des ancetres par les S6leucides. Ce serait un culte n6 du rattachement du roi vivant au culte du roi- ktistes, au d6part culte municipal, plus tard dlev6 en culte de l'empire. Le culte des ancetres devient alors >>la cellule originaire du culte royal?, d'oiu les rois puisaient leur propre caractere divin62. A ce raisonnement, qui prone la genese

59 Sur le lien entre iddologie royale et culte royal, voir P. VAN NUFFELEN, Le culte ... (note 58).

60 Nouvelles inscriptions ... (note 54), p. 77. 61 F.L. HOLT, Thundering Zeus. The Making of Hellenistic Bactria (Hellenistic Culture and

Society 32), Berkeley/Los Angeles, 1999, p. 78-79. 62 M. ROSTOVTZEFF, I7POfONOI (note 2); ID., Syria and the East, in S.A. COOK (ed.),

Cambridge Ancient History, Vol. VII, Cambridge, 1928, p. 162-163; P. HERRMANN,

Antiochos der Grofle ... (note 5), p. 152-154; R.A. BILLOWS, Kings and Colonists. Aspects of Macedonian Imperialism (Columbia Studies in the Classical Tradition 22), Leyde, 1995, p. 41-44.

Page 15: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des Seleucides: une rdinterpr6tation 291

naturelle, et qui presuppose qu'Antiochos I crea le culte royal de l'empire, nous preferons la these d'une naissance abrupte, pas de creation ex nihilo, certes, mais d'un acte deliber6 d'Antiochos III. En creant le culte royal de 1'empire seleucide, le roi a dtl inventer en quelque sorte ses ancetres divinis6s et leur attribuer des surnoms cultuels.

Nous proc6derons en deux etapes. D'abord, nous d6terminerons le contenu du terme ?)ancetres< - qui 6tait ancetre du roi? Ensuite, nous analyserons les epithetes divines de ces ancetres afin de sugg6rer qu'Antiochos III, en cr6ant un culte des ancetres, a dOi faire un choix parmi les 6pithktes nombreuses que ses pr6decesseurs s'etaient octroy6es.

a. Qui sont les ancetres?

Bien que la lettre d'Antiochos III sur le culte de Laodice parle des ancetres, il ne nous renseigne pas sur ce qui se cache derri&re cette notion d')>ancetres<<. 11 existe pourtant un petit dossier qui nous informe sur l'existence d'un >>pretre des ancetres< et d'un >>pretre du roi<< dans de nombreuses cites. Examinons les textes.

Un decret d'Antioche de Perside (OGIS 233) est r6dig6 >>sous la pretrise de Heracleitos, pretre de Seleucos Nikator [I], et d'Antiochos Sote'r [I], et d'Antio- chos Theos [II] et de Seleucos Kallinikos [II] et du roi Seleucos [III] et du roi Antiochos [III] et d'Antiochos le fils. I1 date au plus tot de 208, mais sans doute de 20563. Nous avons ici affaire A un seul pretre du roi et de ses ancetres.

Une pierre provenant de S6leucie de Pierie (OGIS 245) et datant de l'6po- que de Seleucos IV (187-175) enregistre deux listes de pretres - pr6sentant chacune les pretres en fonction dans une certaine ann6e -, ou plus largement, de ceux qui assument une charge pontificale, parce que les listes incluent aussi des skeptrophoroi et keraunophoroi. La premiere liste, OGIS 245 1. 1-23, nous donne un pretre de Zeus Olympios et de Zeus Koryphaios, un pretre d'Apollon de Daphne, un pretre d'Apollon, un pretre de Seleucos [I] Zeus Nikator et d'Antiochos [I] Apollon Soter et d'Antiochos [II] Theos et de Seleucos [II] Kallinikos et de S6leucos [III] Soter et d'Antiochos [le fils d'Antiochos III] et d'Antiochos [III] Megas, et un pretre du roi S6leucos [IV]. La deuxieme liste, OGIS 245 1. 24-49, donne les memes pretrises, A quelques petites diff6rences prds: un pretre de Zeus Olympios et des Dieux Sauveurs et de Zeus Koryphaios, un pretre d'Apollon, un pretre de S6leucos [I] Zeus Nikator et d'Antiochos [I] Apoll6n Soter et d'Antiochos [II] Theos et de SH1eucos [III] Sote'r et d'Antio- chos [le fils d'Antiochos III] et d'Antiochos [III] Megas, et un pretre du roi

63 K. RIGSBY, Asylia. Territorial Inviolability in the Hellenistic World (Hellenistic Culture and Society 22), Berkeley/Los Angeles, 1996, p. 257-260, no 111.

Page 16: Le Culte Royal Des Seleucides

292 PETER VAN NUFFELEN

Seleucos [IV]. Ce n'est sans doute que par erreur que l'on a omis Seleucos II Kallinikos dans la dernire liste. La ville de Seleucie possedait donc un pretre du roi vivant et un pretre de ses predecesseurs.

Deux pierres, plus abimees, nous donnent des listes pareilles. SEG 8 (1937) n? 33, provenant de Scythopolis, enregistre un pretre de Zeus Olympios et des Dieux Sauveurs, et un >pretre des ancetres du roi<<. SEG 8 (1937) n? 96, provenant de S6baste en Samarie, nous donne la liste suivante: un pretre de Zeus Olympios et des Dieux Sauveurs, un >>pretre des ancetres du roi<<, et un pretre du roi Demetrios. Puisque le nom de Dem6trios est martele, il s'agit sans doute de D6m6trios II, qui perdit cette region au profit des Ptolemees entre 128 et 12564. II est legitime de supposer que derri6re la formule opretre des ance- tres<< de ces inscriptions se cache une liste semblable a celle d'OGIS 245.

Un texte de Teos (OGIS 246) nous donne un pretre d'une s6rie de rois divinises, >>[pretre] du dieu (theos) S6leucos [I] et d'Antiochos [III] Megas et d'Antiochos [I] Seter et de S6leucos [II] Theos et d'Antiochos [II] Theos et de Seleucos [III] Theos et d'Antiochos[III] Megas et d'Antiochos Theos [le fils co- regent d'Antiochos III] et de S6leucos [IV] Theos et d'Antiochos [IV] Theos Epiphane's et de Demetrios [I] Theos Soter<<. Sans doute, le lapicide a commis une erreur en mettant Seleucos II avant Antiochos I165. La liste continue encore avec quelques noms 6nigmatiques, oiu F. Piejko restitue le nom de Ptol6m6e Philometor. La mention hypothetique de Ptolem6e VI ne nous regarde pas ici.

Un fragment provenant de S61eucie du Tigre se lit ... 'Avnot]Xou Se 8l[Tflpo;l .oib a]atX&- 86 [ ... L'6diteur de ce texte plaqait le texte sous le r6gne

d'Antiochos 1166, mais des savants post6rieurs ont fait remarquer qu'il faut le dater sous Antiochos III ou meme encore plus tard67. Dans une publication ant6rieure, nous avons propose d'y voir un culte municipal comprenant de prtres s'par6s pour chaque roi defunt, et peut-etre aussi pour le roi vivant. Ce serait alors une forme du culte royal municipal jusqu'alors inconnue68.

P. Dura 25, datant de 180 apres J.-C., nous donne un ?pretre des ancetres< et un >pretre de Seleucos Nicator< (1. 19). La resurrection inattendue et breve des cultes seleucides reste difficile A expliquer69.

64 H. WILLRICH, art. Demetrius 11 Nikator, in RE IV (1901), col. 2798-2801, spec. 280 1. 65 F. PIEJKO, Ptolemies in a List of Deified Seleucids from Teos, in ZPE 49 (1982), p. 129-

131. En dernier lieu, A. MASTROCINQUE, Seleucidi divinizzati a Teo, in EA 3 (1984), p. 83- 85.

66 R.H. MCDOWELL, Stamped and Inscribed Objects from Seleucia on the Tigris (University of Michigan Studies. Humanistic Series 36), Ann Arbor, 1935, p. 258.

67 M. ROSTOVTZEFF, 1IPOFONO. (note 2), p. 66; C. HOPKINS, A Stele from Seleucia on the Tigris, in MUSJ 37 (1961), p. 237-246; Jeanne et L. ROBERT, Bull. Epigr. 1963, n? 293.

68 P. VAN NUFFELEN, Un culte royal municipal de Seleucie du Tigre a le'poque seleucide, in EA 33 (2001), p. 85-87.

69 Voir C.B. WELLES, apud P. Dura 25.

Page 17: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des Seleucides: une r6interpr6tation 293

Ces textes ont en commun qu'ils temoignent d'un culte municipal, et qu'ils datent de pendant ou d'apres le r6gne d'Antiochos III. Bien qu'ils concernent le culte municipal, leur concordance permet d'en deduire quelque chose a propos du culte royal de 1'empire (voir ci-dessous par. 5). Derrimre le mot oancetreso dans le titre du >>grand-pretre du roi et des ancetres<< du culte de l'empire se cachent les rois d6funts, Seleucos Nikator, Antiochos Soter, Antiochos Theos, S6leucos Kallinikos, Seleucos Soter, et d'Antiochos Megas, pour en rester la. Seulement A propos de Seleucos III Soter, il semble y avoir eu une certaine hesitation: ce n'est que dans une seule inscription qu'il reqoit un surnom cultuel. Nous y reviendrons ci-dessous. Notons que l'appellation ?les ancetres? n'inclut pas Alexandre le Grand. En cr6ant le culte royal de l'empire, Antiochos III ne semble plus avoir eu besoin du conquerant, parce que la quete de legitimit6 s'6tait d'ores et deja achev6e70.

A partir de son regne, les predecesseurs d'Antiochos III disposaient donc d'une epithete uniforme et universelle, qu'on retrouve dans de multiples decrets municipaux. Afin de montrer que cette uniformisation est due a la creation d'un culte des ancetres par Antiochos III, uniformisation par laquelle les rois seleuci- des recevaient tous un sumom cultuel, il faut en d6terminer l'origine.

b. L'origine des epithetes des Seleucides deifies

Les epithetes des ancetres ne suscitent gu&re la surprise, puisque ce sont en g6neral (a l'exception de S6leucos III, appelM d'habitude Keraunos) les sur- noms qui nous sont familiers par la lecture des Anciens comme Polybe et Appien et qui nous ont 6te inculques par les manuels modernes. I1 est parfois affirrne que les rois recevaient pendant leur vie l'une ou l'autre epithete univer- selle (ou plusieurs epithetes dans la basse 6poque hell6nistique), et qu'il s'agis- sait de la seule que le roi ait porte, toujours et dans tout l'empire. Le roi en serait traditionnellement porteur et cette epith6te pourrait parfois prendre la place du nom du roi, comme dans l'usage des historiens antiques71, exception faite pour

70 Certains chercheurs attirent I'attention sur un decret du koinon des loniens (I. Eryhtr. 504 = OGIS 222), qui d'aprbs eux liait le culte des rois Antiochos I, Antiochos II et de la reine Stratonice au culte d'Alexandre (C. HABICHT, Gottmenschentum ... [note 101, p. 92; A. MEHL, Seleukos Nikator und sein Reich. I: Seleukos' Leben und die Entwicklung seiner Machtposition [Studia Hellenistica 281, Louvain, 1986, p. 102; F. PIEJKO, Decree of the Ionian League in Honor of Antiochos I ca 267-262 BC, in Phoenix 45 [1991 ], p. 126-147, spec. p. 131). Or, il faut souligner que les r6f6rences au culte d'Alexandre sont d'ordre proc6dural: le decret dit que les ambassadeurs se reverront le jour de la fete d'Alexandre pour continuer la discussion. On se gardera d'y accorder un sens ideologique.

71 App. Syr. 65; Strabon 11.10.2, 12.8.15; Amm. Marc. 14. 8. 5, 23. 6. 3.

Page 18: Le Culte Royal Des Seleucides

294 PETER VAN NUFFELEN

les lettres royales qui ne mentionnent jamais l'epithete du roi - comme le montre la collection de C.B. Welles72.

Cette description de l'usage des 6pith6tes est assur6ment correcte pour les Ptolem6es a partir de Ptol6mee II et pour les Seleucides a partir d'Antiochos III. Pourtant, on ne peut pas en dire autant pour les Seleucides du troisi6me siecle. Exception faite d'Antiochos I, on ne peut pas prouver qu'un des predecesseurs d'Antiochos III ait porte de son vivant l'6pithkte qu'il porte dans la suite des ancetres, comme epithete officielle, c'est-A-dire comme valable dans tout l'em- pire.

La tradition moderne sur Seleucos I nous dit qu'il re,ut le sumom Nikat6r a cause de sa victoire a Ipsos73. Cependant aucune source ne donne ce nom avant le deuxi6me siecle74, et il n'a jamais requ de culte municipal sous ce nom. Au contraire, en 281, les catoeques atheniens de Lemnos le ven6raient comme Sote'r, Sauveur, pour avoir rendu l'ile a Athenes75. Appien, qu'on utilise en soutien de ce raisonnement, dit seulement qu'il recevait l'6pithkte Nikator pour ses succes dans les guerres, sans autre pr6cision76. Au lieu de raconter un evenement historique, Appien ajoute quelque chose de sa propre invention pour affirmer sa conviction que les epithetes royales proviennent de l'un ou l'autre exploit, une opinion partag6e par pratiquement toute la g6n6ration posterieu- re77. Dire que Seleucos I n'a jamais porte de son vivant l'epithete Nikator releve peut-etre de l'hypercritique, mais au moins il est scur que ce surnom n'6tait pas propage comme epith6te officielle de son vivant.

Antiochos I requt le sumom de Soter de T6os78, de Bargylia79 et d'Antioche de Perside80. Smyme l'appela Theos et Soter, Dieu et Sauveur8l. Apres sa victoire sur les Galates (277), ses soldats l'appelerent Kallinikos82, bien que lui-

72 Royal Correspondance ... (note 15). 73 F. STAHELIN, art. Seleukos 1, in RE II, 3 (192 1), col. 1208-1234, spec. 123 1; F. HOLT, O.C.

(note 61). Les deux monographies r6centes (J.D. GRAINGER, Seleukos Nikator. Construct-

ing a Hellenistic Kingdom, Londres, 1990; A. MEHL, Seleukos Nikator ... [note 70])

passent ce probl6me sous silence. 74 Les premi&res attestations sont OGIS 413; Pol. 10, 27, 1 1; R. HEBERDEY - A. WILHELM,

Reisen in Kilikien ausgefuhrt 1891 und 1892, in Denk. Ak. Wien 44 (1896), p. 1-168, n?

161, 166 (Olba). Signalons que Stephanos s.v. Nikatoris, attribue la fondation de cette

cite en Syrie a S6leucos I. L'historicit6 en est difficile A juger. Le cas semble ignor6 par

J.D. GRAINGER, The Cities of Seleucid Syria, Oxford, 1990. 75 Phylarque, FGrHist 81 F 29. 76 Syr. 57. 77 App. Syr. 65; Eus. Chron. Vol. 1 p. 249; Lib. Or. 11. 126; Amm. Marc. 14.8.5.

78 CIG 3075. 79 Syll.3 426. 80 OGIS 233,1. 15. Voir note 97. 81 1. Smyrna 573 1. 101 = OGIS 229. 82 Lucian. Zeuxis, 11.

Page 19: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des Sd1eucides: une r6interpr6tation 295

meme se proclamat Soter sur quelques monnaies qui se referent a ce succes militaire83, ce qui nous fait mesurer l'impact ideologique de cette victoire. Une source tardive l'appelle meme Megas, le Grand, ce qui peut etre une erreur84.

Antiochos II requt l'6pithete Theos de Milkte85 et peut-etre de Smyme86. Les sources 6crites accordent A Seleucos II toujours le surnom Kallinikos87, mais Polybe88 et Appien89 racontent qu'il fut affubl6 du sobriquet de Pogon, barbu.

Selon Porphyre, S6leucos III recevait le sumom Keraunos de son arm6e90. Cette epithete n'a jamais reussi A se gen6raliser - Porphyre est le seul A en faire etat - et il semble que le roi a pass6 son court regne sans surnom cultuel. En effet, en 205 l'inscription d'Antioche de Perside l'appelle encore simplement >>roi Seleucos<, dix-huit ans apres sa mort et apres qu'il eut pris sa place dans la suite des S6leucides divinises. Dans les listes d'OGIS 245, il porte le sumom cultuel Sote'r. Sa provenance reste un mystere sauf si l'on accepte le fait qu'Antiochos III a du' chercher une 6pith6te pour ce roi 6ph6m6re, >>Sauveur<< ayant assez de connotations apolliniennes, 6tant populaire dans la dynastie et disant beaucoup sans rien signifier de sp6cifique91.

Pour Antiochos III, pas d'ambiguit6s: c'est le premier roi dont nous ne connaissons qu'un seul surnom. Le surnom cultuel Megas surgit dans les sources en 202; un peu plus tard, vers 200, il se fit appeler le grand roi, fkaotXei; g?ya;92.

Dans le courant du troisieme siMcle, les rois s6leucides 6taient donc affubl6s d'une multitude d'6pithetes, des 6pithbtes cultuelles dans les cites, des surnoms militaires, et des sobriquets comme Pogon. II n'ya rien d'original A cela, le

83 R6ffrences chez R. FLEISCHER, Studien zur seleukidischen Kunst 1. Herrscherbildnisse, Mayence, 1991, p. 19-20.

84 Simonide de Magn6sie, FGrHist 163 T 1. 85 App. Syr. 65; OGIS 226. 86 1. Smyrna 573 1. 9. Voir W. ORTH, Koniglicher Machtanspruch und stadtische Freiheit

(Munchener Beitrage zur Papyrusforschung und antiken Rechtsgeschichte 71), Munich, 1977, p. 134 n. 50.

87 Trog. Prol. 26; Pol. 5.89.8; Porphyre FGrHist 260 F 2.6. 88 11.71. 89 Syr. 55. 90 FGrHist 260 F 32, cf. F44. F. MUCCIOLI, Seleuco 111, i Tolemei e Seleucia di Pieria, in

Simblos 2 (1997), p. 135-149, p. 138-143 propose d'y voir une epithdte cultuelle r6f6rant a Zeus Keraunios ou un >>Theos Keraunoso.

91 Cf. F. MUCCIOLI, Seleuco III ... (note 90), p. 146-149. II propose de voir dans Sote^r une epithete locale d6cernme par la cit6 de S6leucie de Pi6rie. Remarquons que la liste de surnoms cultuels dans l'inscription de cette cite donne pour les autres rois le surnom officiel. A notre avis, il s'agit donc d'un surnom officiel.

92 Chronologie de J. MA, Antiochos IIl ... (note 1), p. 272-276. Voir aussi H.H. SCHMITT, Untersuchungen zur Geschichte Antiochos' des GroJien und seiner Zeit (Historia Einzels- chriften 6), Wiesbaden, 1964, p. 93-95; E. WILL, Histoire politique du monde hellinisti- que (323 -30 av. J-Chr.), Vol. II, Nancy, 19822, p. 66.

Page 20: Le Culte Royal Des Seleucides

296 PETER VAN NUFFELEN

meme constat vaut pour les autres dynasties hellenistiques. La situation est diff6rente dans les listes des ancetres. Les 6pithetes qu'on y retrouve sont cultuelles: Nikator93, Soter, Kallinikos94 et Megas sont par exemple toutes des epicleses de Zeus95. Le contraste entre les donn6es d'avant et a partir du regne d'Antiochos III est frappant et montre qu'il y a eu une uniformisation des 6pith6tes des pred6cesseurs de ce roi.

Un autre contraste entre le troisieme et deuxieme siecle doit retenir notre attention. La regle de C.B. Welles conclut que les epithetes n'apparaissent jamais dans la correspondance royale hellenistique. Or, une regle semblable peut etre formul6e pour les documents qui emanent des sujets de l'empire, en particulier les d6dicaces et les d6crets des cites. Ces documents ne mentionnent jamais l'epithe- te royale, sauf si ce roi en porte une dans son culte dynastique, ou sauf si la cite a cr66 auparavant un culte municipal pour ce roi, et dans ce cas-lA la cite se r6fere A l'6pith6te locale. C'est-a-dire: si le roi porte une epithete dans une dedicace ou dans un d6cret, cette 6pith&te se refere ou bien au culte dynastique ou bien au culte municipal pr6existant. Or, on constate d'une part que les Seleucides portent tres rarement une epithete dans les decrets et les dedicaces du troisieme siecle, et que dans tous ces cas, il s'agit d'6pith6tes municipales. Par exemple, Milet crea un culte pour Antiochos II en l'apellant Theos selon Appien, pour avoir libere la ville du tyran Timarque96. Une inscription (OGIS 226) parle quelques ann6es plus tard en effet de la restauration de la libert6 et de la democratie par Antiochos Theos.97 D'autre part, les S6leucides re9oivent leur 6pith6te officielle regulierement dans les d6dicaces et dans les d6crets A partir d'Antiochos III, et sous ses successeurs

93 1. Side 90. D'apr6s nous, il s'agit d'un culte autonome, sans doute mac6donien d'origine, de Zeus Nikator, et non pas d'un culte de Se1eucos I sous guise de Zeus, comme le croit I'Mditeur J. Nolle (comparez la bibliographie qu'il cite).

94 SEG 2 (1931) 774 (Dura Europos). 95 H. SCHWABL, art. Zeus 1. Epikiesen, in RE II, 19 (1972), col. 254-233, spec. col. 334-335,

362-364. Sur le r6le de Zeus dans l'ideologie s6leucide, voir A. MASTROCINQUE, Zeus Kretagenes seleucidico. Da Seleucia a Praeneste (e in Giudea), in Klio 84 (2002), p. 355- 372.

96 Syr. 65. 97 D'autres exemples sont Syll.3 426 (Bargylia); CIG 3075 et OGIS 246 (T6os; voir sur ce

texte notre discussion plus loin). Voir aussi W. ORTH, Koniglicher Machtanspruch ... (note 86), p. 136. Cette observation nous permet peut-etre de supposer qu'Antiochos I recevait un culte municipal A Antioche de Perside, parce que le d6cret de 205 concemant la recon- naissance des jeux d'Artemis Leucophryene A Magn6sie du M6andre (OGIS 233) dit qu'>>Antiochos Sote'r 6largissait la ville'<. Nous ne prenons pas en compte l'effort de K. Jeppesen (ikaros ... [note 51, p. 74-79) qui supplee les lignes 22-24 de la fameuse inscription d'Ikaros Failaka (246) avec une indication de temps eir' roi 1ori?po; Kat Toi) eeoi, c.-A-d. sous Antiochos I Sauveur et sous Antiochos II Dieu. II est inouw qu'on date de telle faqon dans une inscription: les paralleles que donne Jeppesen sont des textes litteraires. Entre autres pour cette raison, ce supplement est i rejeter. Le supplement iirt Ocoi3V Ywnl;poq de F. Piejko (n.v., cite par JEPPESEN, Ikaros ... [note 5], p. 85) souffre du meme mal.

Page 21: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des S6leucides: une r6interpr6tation 297

leur epithete cultuelle semble >>coller 'a leur peau< comme un second nom98. Au troisieme siecle par contre les cites d'Asie Mineure se refierent aux rois sdleucides uniquement avec leur nom pr6ce'd de >>roi<<, alors que les Ptolem6es, pendant leur occupation de ces memes cites, pouvaient recevoir leur titre divin a partir du moment ou ils entraient dans le culte dynastique99.

Les constats pr6c6dents montrent que les sumoms cultuels du culte dynasti- que fonctionnaient comme 6pithetes officielles, c.-A-d. des surnoms 'a utiliser dans 1'ensemble de 1'Empirel'0. La diff6rence entre les Antigonides et les Ptolemees montre egalement le lien entre les 6pithetes officielles et le culte royal d'Empire. Les surnoms des Antigonides (p.ex. Monophthalmos, Gonatas, ou Doson) generalement utilises par les historiens anciens et modernes, ne sont que des sobriquetsl'l. Ils ne se sont generalises que dans l'historiographie antique; on ne les retrouve dans aucun document primaire. Les Antigonides sont la seule dynastie hell6nistique a se passer d'un culte dynastique. Les Ptolemmes, fournissant l'exemple typique d'un culte dynastique bien develop- p6, sont tous connus dans l'historiographie ancienne sous leur epithete cultuelle et beaucoup de documents la mentionnent. Les S6leucides passent du modele antigonide au modele ptolemaique a la fin du troisi6me siecle. C'est donc a cette epoque qu'une officialisation des epithbtes eut lieu et, par consequent, qu'il faut dater la creation du culte dynastique.

Le double changement, l'uniformisation et l'officialisation des epithetes des predecesseurs d'Antiochos III a partir du regne de ce roi-lA, demontre que la creation du culte des ancetres eut lieu sous Antiochos III. A partir de cette epoque, le roi seleucide et ses ancetres regoivent une epithete officielle. Le contraste entre le troisieme siecle sans epithetes au niveau de l'empire et le deuxieme avec une inflation d'epithetes - Antiochos IV Epiphaners ajoutera sur les monnaies les epithetes divines102, et ce roi sera aussi le premier a fonder des villes qui portent le nom >>Epiphanie<< d6riv6 de son sumom cultuel103 - suggere

98 On peut facilement consulter les indices d'OGIS a cet egard. 99 P. ex. OGIS 16 (Ptolemee ler, Halicarnasse), 55 (Ptolemee II, Telmessos), 78 (Ptolemee

III, Methymna); 1. Ilium 44 (Ptolm6e IV); TAM 11 160, 161 (Ptolmee Ier, Ilissa). 100 Surce point, voir C. HABICHT, Gottmenschentum ... (note 10), p. 158-159; R. Bagnall, The

Administration ... (note 12), p. 172 n. 144. 101 E.L. BROWN, Antigonos Surnamed Gonatas, in G.W. BOWERSOCK (ed.), Arktouros. Helle-

nic Studies presented to B.M.W. Knox, New York, 1974, p. 299-307. 102 E. BIKERMAN, Institutions ... (note 2), 243-248; R. FLEISCHER, Studien ... (note 83), p. 44.

Voir aussi J. ZAHLE, Religious Motifs on Seleucid Coins, in P. BILDE, e.a. (ed.), Religion and Religious Practice in the Seleucid Kingdom (Studies in Hellenistic Civilization 1), Aarhus, 1990, p. 124-135.

103 En Syrie: Epiphanie de l'Oronte et Epiphanie de l'Euphrate (J.D. GRAINGER, The Cities ...[note 741, p. 138-139). En Cilicie: Epiphanie Oinoanda (G. COHEN, The Hellenistic Settlements in Europe, the Islands, and Asia Minor [Hellenistic Culture and Society 17], Berkeley/Los Angeles, 1995, p. 365).

Page 22: Le Culte Royal Des Seleucides

298 PETER VAN NUFFELEN

la meme conclusion. I1 nous semble qu'Antiochos III a diu chercher une epithkte pour chacun de ses predecesseurs pour mettre sur pied son culte des ancetres. Sans doute a-t-il choisi la plus repandue parrni celles qui existaient, en veillant A user des allusions a Zeus 04. Remarquons que la >>creation<< des ancetres peut avoir pris un certain temps: nous avons constat6 que Seleucos III ne regoit aucune epithete dans la liste des ancetres a Antioche de Perside (OGIS 233). A condition que cette liste reflete fidelement la liste du culte royal de 1'empire - et ce n'est pas certain, comme le montrera notre cinquieme point -, cela pourrait indiquer que le predecesseur imm6diat d'Antiochos III attendait encore son epithete.

Le fait qu'Antiochos est parfois appele Megas dans des decrets municipaux A partir de 202 suggere que le culte royal fut cree avant cette date. Si l'on y accorde une interpr6tation stricte, cela signifie que le culte fut fondJe vers cette date: l'hypothbse de H. Muller, selon laquelle le culte royal de l'Empire fut cree quelques annees apres la creation d'un grand-pretre de tous les temples et ajout6 a ce demier, y trouverait un certain soutien (voir ci-dessus). D'autre part, il n'est pas exclu que la cr6ation d'un culte des ancetres ait pris un certain temps. Le cas de Seleucos III, l'epithete duquel se fixe plus tard que celles des autres rois, suggere cela. Ce sont des incertitudes que les sources ne permettent pas d'elucider.

5. La relation entre le culte municipal et le culte de l'empire

Nous venons d'etudier les ancetres dans le culte dynastique en nous basant sur des donn6es du culte municipal. En effet, toutes les pretrises que nous venons de discuter, a Dura-Europos, Antioche de Perside, S6leucie de Pi6rie, Scytho- polis, Sebaste et a T6os, emanent de l'autorit6 des cites. Un pretre pareil, lui aussi du culte municipal, ie?pei; t6Cv PaaikxcX v, on le rencontre a Xanthos, Amyzon et Olymos (197-193)1o5. Le pluriel ?des rois<o renvoie a la co-regence d'Antiochos III et de son fils (et co-regent) Antiochos ou indique qu'il s'agit d'un pretre du roi vivant et des ancetres'0.

Les deux series de pretrises datent toutes d'apres 209, apres la creation du culte royal de l'empire. Ce n'est pas un hasard. Bien que les cites accordent

104 R.A. Hazzard (Did Ptolemy I Get his Surname from the Rhodians in 304, in ZPE 93 [1992], p. 52-56) a deja emis l'hypothese que pour expliquer 1'epithete universelle Soter de Ptolem6e ler il vaut mieux supposer un acte volontariste de la part du roi que d'accepter une generalisation d'une 6pith6te municipale.

105 Jeanne et L. ROBERT, Fouilles d'Amyzon (note 4), p. 154-168; P. GAUTHIER, Bienfaiteurs ... (note 9), p. 2-6.

106 Jeanne et L. ROBERT, Fouilles d'Amyzon (note 4), p. 167-168 proposent d'y voir un culte du roi vivant et des ancetres.

Page 23: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des S6leucides: une r6interpr6tation 299

depuis longtemps des honneurs divins aux rois, des pretrises, assez rares, ne furent creees que pour les deux reines identifi6es avec Aphrodite, en l'occuren- ce Stratonice A Smyrne (pretresse d'Aphrodite Stratonicis107) et Laodice A Iasos (pretresse de la reine Aphrodite Laodice108), ainsi que pour Antiochos I A Ilion'09. Aucun >>pretre des rois<< ou >>des ancetres.< ne nous est connu avant la creation du culte royal de l'empire. Apres 209, par contre, on constate une multiplication de >>pretres des ancetres< et opretres des rois< dans les cites.

Ces deux ph6nom6nes, la cr6ation du culte royal de l'empire et la cr6ation d'un grand nombre de pretrises municipales, semblent etre li6s. Nous voyons s'6tablir un mouvement d'intrusion du culte royal dans les cit6s. On cr6e des pretrises calquees sur le culte royal de l'empire. Ces cultes se manifestent tous sous un autre jour (il y a des pretres du roi, des pretres des ancetres, et des pretres des ancetres et du roi r6gnant), ce qui exclut un oukase royal.

La liste des Seleucides divinis6s provenant de Teos, citee ci-dessus (OGIS 246, sans doute de la fin du deuxieme siele), peut illustrer l'autonomie des cites. La pierre enregistre onze noms lisibles, tous des rois s6leucides. Six parmi eux portent l'6pithMte theos, cinq portent un autre surnom: deux fois Antiochos III Megas, Antiochos I Soter, Antiochos IV Theos Epiphane's et D6metrios I Theos Sote'r. Comment expliquer cet usage particulier des sumoms cultuels?

Considerant les conclusions pr6cedentes (le culte royal de l'empire fut fonde par Antiochos III, peut-etre vers 209, et cette cr6ation impliquait qu'une liste des ancetres devait etre constitu6e, avec des 6pithktes appropri6es), on peut retrou- ver la logique qui dirigeait la constitution de cette liste au milieu du deuxibme si6cle. D'abord, la cite semble avoir voulu indiquer que les S6leucides 6taient divinis6s en leur donnant l'6pithkte theos. Meme a l'6poque oiu les rois portaient tous des sumoms officiels, elle n'en d6mord pas: pour indiquer qu'Antiochos IV Epiphane's et Dem6trios I Soter sont divinis6s, on a meme pris soin d'ajouter >>Theos? entre le nom et le sumom. Les seules >>anomalies<< restent Antiochos III Megas et Antiochos I Soter. L'explication peut se trouver dans le fait que ce sont les seuls S6leucides A etre divinis6s par la ville de Teosl 10. Cette liste serait ainsi un reflet du culte des ancetres instaure par Antiochos III, sans en etre une copie fid6le. On reprend les noms des rois, on y ajoute simplement Theos pour indiquer leur caractere divin, et ce ne sont que les rois jouissant d'un culte dans la ville elle-meme qui regoivent un autre sumom, i.e. leur epithete dans ce culte.

En insistant sur le fait que les cit6s semblent avoir trouv6 de l'inspiration pour leurs cultes municipaux dans le culte royal de l'empire, nous ne prechons

107 OGIS 229 = I. Smyrna 751. D'aprds nous il s'agit bel et bien d'un culte de la reine et non pas d'un culte d'Aphrodite orn&e d'une 6pithdte semblable au nom de la reine comme le pense K. Rigsby (Asylia ... [note 631, p. 98).

108 1. Iasos 4. 109 OGIS 219. Voir J. MA, Antiochos II1... (note 1), p. 254-259. 110 CIG 3075 et P. HERRMANN, Antiochos der Grofle (note 5), p. 37, C 1. 11.

Page 24: Le Culte Royal Des Seleucides

300 PETER VAN NUFFELEN

pas le retour a Rostovtzeff qui croyait pouvoir affirmer qu'apres Antiochos III chaque citd avait un pretre des dieux dynastiques Apollon et Zeus, un ou deux des ancetres et du roi regnant, et parfois une pretresse de la reine1ll. La distinction de Bikerman entre les cultes municipaux et les cultes de l'empire se laisse comprendre comme une reaction contre Rostovtzeff: les pretres du roi dans les cit6s ne disent rien sur le culte royal de l'empire. Cependant, en interpr6tant cette distinction comme une cloison entre les deux spheres, on fait fi des nuances. Les malentendus qui persistent a cet 6gard sont dus au fait que l'on a parfois erige ce principe en dogme en excluant toute interaction entre les deux spheres, alors que Bikerman ne voulait que refuter l'idee que le culte municipal ne serait qu'un avatar du culte de l'empire. Bref, il visait l'origine institutionnelle des cultes: les cultes municipaux etaient crees par la volonte autonome des cites, sans ordonnance royale. Ce que nous avons deduit des donn6es assez minces sur le culte royal de l'empire montre qu'il y avait des influences mutuelles, sans que cela implique que le roi imposait la creation de cultes municipaux.

Conclusion

La faiblesse des sources a propos du culte royal de l'empire seleucide nous oblige de faire fleche de tout bois et, par consequent, le brouillard d'incertitudes et de doutes ne peut etre que partiellement dissipe. Pourtant on peut etre suir de quelques traits saillants. Le culte royal de l'empire seleucide fut cree par Antiochos III. DMs lors deux possibilit6s restent, dont nous jugeons la premiere la plus probable. Soit Antiochos crea un grand-pretre de tous les sanctuaires, du roi vivant et des ancetres peu avant 209, soit il crea d'abord le grand-pretre de tous les temples (avant 209) et ajouta aux competences de cette fonction le culte du roi et des ancetres vers 204. Pour realiser cette creation, il a du >>systemati- ser? ses ancetres: il choisit d'exclure Alexandre le Grand et de commencer avec S6leucos I. Ensuite, il selectionna une epithete divine pour chaque roi. En 193, Antiochos y ajouta une grande-pretresse de Laodice, une fonction qui sans doute n'a pas survecu longtemps a la repudiation de la reine en 192, mais qui formait en quelque sorte I'apogee des honneurs divins que Laodice avait requs dans les cites.

Les grands-pretres nommes par Antiochos III etaient de la meilleure des- cendance et intimement lies a la cour royale. Ils presidaient aux sanctuaires d'une satrapie ou d'une rdgion plus vaste (par exemple le pays cistaurique). I1 n'existe aucune raison de reduire les grands-pretres a des fonctionnaires admi- nistratifs qui controlaient les finances des temples: leur tache 6tait d'ordre

I11 HPOFONOI (note 2), p. 6 1.

Page 25: Le Culte Royal Des Seleucides

Le culte royal de l'empire des Seleucides: une rdinterpretation 301

religieux. Ils occupaient pendant les manifestations religieuses des sanctuaires une position eminente: par leur presence ils rendaient tangible la pr6eminence du roi dans le champ religieux. Leur tache n'6tait alors pas de pr6sider A l'ensemble des >pretres du roi<< d'une satrapie - ces pretres-IA etaient des creations municipales, sur lesquels le roi n'avait aucune autorit6. L'importance du grand-pretre du roi et des ancetres se trouvait sur le plan symbolique: il etait le trait d'union entre un roi divinis6 proche et un roi vivant lointain. Ce culte n'6tait pas destine a un public restreint et determine, comme dit la these un peu etrange de Bikerman112 _ encore repetee de nos jours"3 - qui nous fait croire que le culte royal de 1'empire etait destine aux soldats et fonctionnaires vivant hors du cadre organise de la polis. Comme institution, le culte royal ne faisait qu'affirmer que le roi etait roi et divin, pour tous ses sujets.

La creation du culte dynastique causa plusieurs nouveaux ph6nom6nes. Les S6leucides recevaient une epithete divine officielle, valable dans tout l'empire; des cultes municipaux qui semblent s'inspirer du culte dynastique surgissent. C'est bien A Antiochos le Grand qu'on doit cette r6volution.

Katholieke Universiteit Leuven Peter Van Nuffelen

1 12 Institutions ... (note 2), p. 249-256. 1 1 3 S. PRICE, Rituals and Power. The Roman Imperial Cults in Asia Minor, Cambridge, 1984,

p. 37; F.W. WALBANK, Monarchies ... (note 45), p. 62-100, spec. p. 78.