ldj 125 janvier_fevrier_2014
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LDJ, 2014, liberté du judaïsmeTRANSCRIPT
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Présidente d’Honneur : Doris Bensimon
L.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 125 Janvier-février 2014 le numéro 2,50€
http://www.liberte-du-judaisme.fr
Editorial
Ce n'est pas sans crainte que depuis plus de deux années nous
suivons ce qui se passe en Tunisie. C'est la raison pour
laquelle nous avons consacré en partie cette Lettre à ce pays.
Nous avons rencontré lors d'un de ses passages à Paris Habib
Mellakh qui se bat, avec d'autres, pour que les salafistes ne fasse pas la loi au sein de l'Université de Tunis et nous avons
demandé à deux de nos amis, Wolfgang Freund et Albert
Maareck, qui connaissent bien la Tunisie de nous rappeler ce
qu'était la présence juive dans ce pays.
Mais regarder ce qui se passe de l'autre côté de la
Méditerranée ne nous empêche pas de voir ce qui se passe
dans notre propre pays. Les attaques abjectes dont a été
l'objet le Garde des Sceaux, sont-elles différentes de celles
qui ont été menées en leur temps contre Léon Blum et Pierre
Mendes-France lorsqu'ils furent à la tête de l'Etat ? Au moment où une enfant est poussée par ses parents à brandir
une banane parce que Christiane Taubira est noire, comment
ne pas évoquer les terribles conséquences du racisme comme,
entre autres, il a deux ans l'assassinat ciblé, à Toulouse, de
trois enfants juifs.
C'est dans ce contexte que nous nous sommes associés à la
déclaration du RAJEL que nous reproduisons ci-dessous.
Cette Lettre clôturant l'année nous nous souhaitons pour
2014 une année débarrassée de ces scories.
Le Bureau
Le RAJEL, Réseau des Associations Juives Européennes Laïques, condamne fermement la dérive raciste actuelle qui
répand ses braises partout en France et en Europe.
Le RAJEL s'associe aux actions qui combattent ce climat
nauséabond et condamne avec une grande fermeté les injures
racistes de ces dernières semaines envers Mme Christiane
Taubira. Garde des Sceaux.
Le RAJEL condamne les déclarations d'une candidate du
Front National aux élections municipales et celles de ce même Front National qui, tout en excluant cette candidate,
minimise l'importance de ses déclarations.
Les membres du RAJEL sont horrifiés par les invectives
d'enfants, mis en avant par des adultes, qui mettent en danger
le Pacte républicain et tous les efforts de l'éducation pour un
mieux-vivre ensemble.
Tous ces faits et déclarations racistes, sur fond d'inquiétudes
sociales, loin d'être des détails de l'histoire, sont des atteintes
violentes contre chacun et chacune d'entre nous. Nous
n'acceptons pas leur banalisation.
Regard "synthétisant" sur les Juifs
de Tunisie Contre plus/minus 140.000 au moment de
l’indépendance du pays (1956), il n’y en a plus
tellement, peut-être 3000 en tout et pour tout. Dont 1300 sur l’île de Djerba qui y vivent " à l’ancienne", et
quelque chose comme
1500 à 2000 dans le Grand Tunis. Sinon les
traces de l’une des plus
anciennes communautés
judéo-maghrébines, jadis florissantes, il faut les
chercher aujourd’hui
ailleurs : en France, en Israël, voire, un peu
partout dans le monde. Pour illustration : un peu plus de
100.000 Israéliens juifs revendiquent aujourd’hui, des racines tunisiennes.
Petit rappel historique : il existe, en fait, deux
"communautés" de Juifs tunisiens : les Yähoud twänsa et les Yähoud grana, c’est-à-dire les Juifs tunisiens et
les Juifs livournais. Grana étant une déformation
linguistique de Livorno, ville côtière italienne, qui avait reçu aux 15
e et 16
e siècles, de nombreux Juifs
hispaniques ayant fui les horreurs de l’Inquisition de la
très catholique "Nouvelle Espagne". Beaucoup de ces Juifs "livournais" avaient continué, par la suite, leur
migration vers les côtes relativement paisibles et
tolérantes de la Tunisie, d’où leur appellation Yähoud
grana, Juifs livournais. Les Yähoud twänsa par contre forment en Tunisie une communauté juive millénaire,
ayant vécu dans le pays depuis la nuit des temps et dont
le reliquat le plus "visible" est aujourd’hui la communauté juive de Djerba. La langue "maternelle "
des Twänsa était/est le " judéo-arabe", un arabe
tunisien truffé d’hébraïsmes qui s’écrit en caractères
hébraïques. Les Livournais par contre avaient amené avec eux l’italien comme langue véhiculaire. Je me
souviens encore, lors de mon premier séjour à Tunis en
1962, de tous ces Livournais pas tout à fait comme les autres, assis dans les cafés du centre-ville de Tunis,
sirotant café ou boukha (schnaps de figues, une
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spécialité judéo-tunisienne), habillés à l’européenne,
portant chapeaux et discutant entre eux en italien ou en français, voire dans un sabir italo-franco-hébraïco-
arabe tout à fait délicieux. Bien entendu aujourd’hui -
les mariages mixtes, les impacts de la francisation et de
l’arabisation générales, une certaine " laïcisation" de l’Etat tunisien moderne aidant - les différences entre
Grana et Tounsi se sont largement estompées. Un "Juif
tunisien" de 2013 est un "Juif tunisien". Point. Basta.
Puis, les différents gouvernements tunisiens, à
l’occasion de certains événements d’intérêt national, insistent régulièrement sur le fait que "nos concitoyens
de confession juive" (cette épithète me rappelle toujours
" unsere jüdischen Mitbürger" de feu Konrad
Adenauer) sont des Tunisiens à part entière, jouissant des mêmes droits et étant soumis aux mêmes devoirs
que n’importe quel autre ressortissant tunisien qui,
pour règle générale, est musulman. Le message est entendu, et il faut reconnaître que cette
qualification de la part des représentants significatifs de
la " Tunisie officielle" reflète grosso modo la réalité dans la vie de tous les jours. Ce qui n’empêche pas les
Juifs qui résident toujours en Tunisie de se comporter
en public suivant le vieil adage "vivons cachés, vivons
heureux", sauf à Djerba peut-être où ils se démarquent plus visiblement du maelström islamo-national. Mais
c’est un cas particulier qui possède ses raisons
historiques profondes que tout le monde reconnaît et respecte. Les Tunisiens d’aujourd’hui sont
certainement, avec les Marocains, les Musulmans les
moins "antisémites", c’est-à-dire antijuifs, du monde
arabe. Toujours est-il que, dans les relations entre Juifs et Musulmans tunisiens somme toute paisibles, des
" couacs" apparaissent de temps à autre. La cause est
évidemment à chercher dans les méandres du "tristissime" conflit israélo-arabe dont, bien
entendu, les casseroles font souvent du bruit à Tunis,
comme ailleurs le long des côtes sud et est de la Méditerranée. Fin 2011 par exemple.
Silvan Shalom, vice-premier ministre israélien, lui-
même d’origine tunisienne (il est de Gabès, dans le sud du pays), sembla "s’inquiéter" un peu exagérément du
sort de ses coreligionnaires tunisiens, à la suite des
élections du 23 octobre 2011 dans la Tunisie " postrévolutionnaire", desquelles le parti islamiste
Ennahda (Renaissance) est sorti grand gagnant, et
Monsieur Shalom d’appeler " la communauté juive établie en Tunisie à quitter la Tunisie dans les plus
brefs délais pour s’installer dans les territoires
occupés » [souligné WF]. Rien que ça. Bien entendu,
Ennahda n’a pas tardé à qualifier cet appel " d’irresponsable et d’irrationnel" précisant " que le
choix de tenir ce genre de propos en ce moment précis
est fort suspect" Et Roger Bismuth, président de la communauté juive
de Tunisie, d’enchaîner dans une prise de position
officielle :
"Tout ce bruit autour des déclarations de Silvan Shalom n’est
qu’une tempête dans un verre d’eau et une tentative de saper
le processus engagé par la Tunisie après avoir été délivrée
du joug de la dictature."» Puis plus loin : « Aucune partie
étrangère n’a le droit de s’ingérer dans les affaires de la
Tunisie, y compris les affaires de la communauté juive établie dans ce pays depuis plus de trois mille ans. La
communauté juive aime la Tunisie et n’envisage pas de la
quitter. »
L’affaire s’arrêta là, et, en général, le calme plat règne à
nouveau dans les relations que les "citoyens tunisiens
juifs" entretiennent avec la Tunisie "officielle", tant que "l’islamité" récemment renforcée de celle-ci,
because élections "démocratiques", n’interfère pas trop
dans la vie quotidienne. Mais des " sensibilités " particulières entre Tunisiens musulmans et Tunisiens
juifs persistent. Je m’en suis aperçu, il y a encore peu
de temps. Voulant prendre quelques photos de la
Grande Synagogue de Tunis, sise Avenue de la Liberté en plein centre-ville, je suis soudainement assailli par
trois " barbouzes "
habillés lambda et criant " interdit,
interdit ".
Un officier de police, lui en tenue,
se joint à eux et
m’explique :" Pour
des raisons de sécurité il est interdit
de photographier la
synagogue de
l’extérieur." Je
rigole, j’insiste, sortant ma carte de presse. Il me
conduit dans une maison voisine où habite le responsable (juif) de la synagogue, lequel, après avoir
écouté mes explications me conduit gentiment à
l’intérieur de la synagogue où il me laisse photographier à volonté, tandis que l’officier de police
m’attend dehors, après avoir confisqué mon passeport
qu’il garda dans sa poche, jusqu’à mon retour. Tout se
termine dans l’hilarité générale, et on me lance l’exclamation rituelle : " Soyez le bienvenu en Tunisie !"
Détail croustillant dans ce contexte : il paraît que les
ayants droit au scrutin de la communauté juive sur l’île de Djerba avaient majoritairement voté pour le parti
islamiste Ennahda. Qu’Allah les écoute ! - Porteurs de
kippa et de turban, même combat ? Devant l’Eternel peut-être, quant aux tristes affaires de la vie d’ici-bas, le
doute reste permis.
Wolfgang Freund
* Sociologue franco-allemand d'origine alsacienne, auteur
d’une thèse de doctorat en langue allemande sur "Les
Djerbiens en Tunisie“. - W. Freund a travaillé comme
enseignant et chercheur, dans les universités de Cologne, de
Strasbourg-II, de Paris-II, de Tunis, d’Ain Shams et Américaine au Caire, de Beer-Sheva. Il vit aujourd’hui, en
France. Il retourne régulièrement, comme " journaliste
indépendant", en Tunisie, en Egypte et en Israël.
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Lu, Vu et Entendu
La Tunisie au cœur.
Nous avons tous, plus ou moins, les yeux braqués sur
ce petit pays, si proche de l'Europe , moins de 200 km séparent les côtes tunisiennes de celles de la Sicile, si
proche de la France de par l'usage du français, si proche
du cœur des Juifs qui y sont nés et qui y ont vécu. C'est une des raisons pour
lesquelles nous avons rencontré,
à quelques uns, le dimanche 10
novembre, Habib Mellakh, Professeur de Littérature
Française à "La Manouba".
Le doyen de l'Université de La
Manouba, Habib Kazdaghli, a
été traîné devant les tribunaux pour avoir résisté aux empiétements des Salafistes. Il a été acquitté, ce qui n'a
pas empêché le Ministère Public de faire appel contre
ce jugement. Habib Mellakh a rendu compte de ces
événements dans un livre qui porte le joli titre de "Chroniques du Manoubistan".
Habib Mellakh a tenté de nous expliquer toute la complexité et la spécificité de la situation tunisienne et
en quoi elle est différente de la situation en Egypte.
Tout d'abord un peuple avide de savoir qui, dès avant l'instauration du protectorat français, avait commencé à
mettre en place les moyens d'éducation ouvrant sur la
modernité. Enseignement moderne qui est venu se
greffer sur le fond très ancien d'études théologiques de la Zitouna.
Ensuite une armée qui se tient à l'écart des débats
politiques, un syndicat puissant, l'UGTT, et surtout des femmes, beaucoup de femmes, qui ne tiennent pas
à voir se mettre en place une société islamisée où elles
perdraient tous les acquits obtenus sous la houlette de
Bourguiba. En face, un parti "Ennahdha" arrivé avec une
Assemblée élue pour promulguer une Constitution, et
qui, englué dans ses contradictions, n'arrive pas à sortir un texte acceptable pour la majorité des
Tunisiens. Un texte dont le dernier projet est sorti en
juin 2013 qui, s'il ne fait plus explicitement référence à la Charia, posait tout de même que "L'islam est la
religion de l'Etat" et ceci d'une façon irréversible (art
141) (1)
. Ennahdha, profitant de l'auréole de martyr que
lui avait préparée le régime de Ben Ali, se présente comme modéré, ce qu'il n'est pas selon H. Mellakh,
mais c'est, par contre, un parti expert dans le double
langage dont le président de la République Moncef Marzouki est l'exemple le plus marquant.
(2)
Notre ami Jean Ferrette a, lui, voulu voir ce qu'il en était, de ses propres yeux, et il s'est rendu à Tunis en
cette fin du mois d'octobre.
Il a assisté à quelques manifestations, celles qui
réclamaient le départ de l'actuel gouvernement et celle des policiers qui sont actuellement des cibles
privilégiées pour les islamistes.
Il en est revenu avec quelques photos (ci-dessous) et la conviction que " l'islamisme n'a aucun avenir, en
Tunisie et, a fortiori, ailleurs…. …les islamistes ne
représentant aucune force, aucune catégorie sociale proprement tunisienne: il s'agit d'une implantation
"hors sol", qui n'a été possible qu'avec l'argent du
Qatar, l'opportunité d'une situation caractérisée par une forte désorganisation des laïques, la non éducation
politique des électeurs et le désarroi de jeunes
désœuvrés. Il est frappant de voir comment toutes les
forces s'expriment contre Ennahdha: les organisations patronales, les professions libérales, l'UGTT, les
salariés du secteur public et privé, l'armée, la police....
Ceci dit, ils peuvent en attendant, faire beaucoup de mal… "
1- Il semble que cet article 141 ait été modifié depuis 2- On relira utilement ce qu'en a dit notre amie Simone
Bismuth dans la Lettre de LdJ n°121
Bureau de Liberté du Judaïsme.
Maryse Sicsu Présidente Isidore Jacubowiez Vice-Président Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire Odile Volf Secrétaire adjointe Noémie Fischer Trésorière Simone Bismuth Trésorière adjointe
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Histoire
La COMMUNAUTE JUIVE de SOUSSE
à l’époque du Protectorat français (1881 à 1956)
Le Protectorat français s’établit en Tunisie à partir de 1881 et
se maintint jusqu’en 1956, date à laquelle le pays recouvra
son indépendance nationale.
Les Communautés juives se répartissaient essentiellement
dans les grandes villes côtières et à l’île de Djerba ; la plus
nombreuse était celle de Tunis (entre 30 à 40 000 âmes) ;
celle de Sousse était estimée à 4 000 individus à la fin du
XIXe siècle.
La Communauté juive de Sousse entre traditions et
nouvelles influences La Communauté locale se caractérisait par une forte
inégalité sociale au début du XIXe siècle : les notables,
riches propriétaires d’oliveraies et industriels, dominaient le
reste de la population juive composée essentiellement de
nombreuses familles plongées dans une extrême misère. De
fortes traditions marquaient l’ensemble de la Communauté
desquelles n’étaient pas exclues certaines superstitions. Ces notables (familles Errera, Pariente, Ghez…) participèrent
à l’installation d’une école de l’Alliance israélite en 1883 ;
certains directeurs rencontrèrent toutefois quelques
difficultés dans leurs rapports avec ces familles, désireuses
avant tout de conserver leur emprise.
L’enseignement de l’hébreu, corde sensible de la tradition
locale, fut jugé insuffisant par les rabbins conservateurs
locaux et de nombreux parents en accusèrent les responsables
de l’Alliance. Entre temps, de nouvelles orientations se
manifestèrent et notamment une tendance libérale
assimilationniste, désireuse de répandre la culture française
(ouverture d’une bibliothèque en 1907), ce qui ne manqua pas de provoquer la réaction du grand rabbin Youssef Guez,
accusé de "fanatisme" par les libéraux. Cette tendance,
dominée par la personnalité de l’avocat Salomon Tibi, restait
malgré tout minoritaire ; elle s’efforçait d’encourager les
familles juives à faire instruire leurs enfants dans les écoles
publiques françaises.
Au lendemain de la Première guerre mondiale, sous
l’impulsion de l’association Aghoudat Tsion créée à Tunis,
l’idéologie sioniste se répandit progressivement à Sousse ;
des groupements firent leur apparition tels Terahem Tsion , qui s’efforcèrent de recueillir des fonds pour le Keren
Kayemet . La venue de la capitale en 1922 d’Alfred Valensi
et de son épouse, militants sionistes fortement engagés,
connut un certain retentissement dans la société juive
soussienne. Des mouvements de jeunesse se développèrent à
leur tour, ce qui indiquait la forte attraction exercée par le
sionisme sur la jeunesse locale (UUJJ, Damir, EJF). La
société juive était donc entrée dans une période de mutation,
sous l’influence de l’assimilationnisme français et du
sionisme militant.
Antisémitisme et évolution de la Communauté locale. Des troubles antisémites éclatèrent en 1917, en pleine guerre mondiale : partis de Tunis, ils se répandirent également dans
d’autres villes et notamment à Sousse : boutiques juives
pillées, à l’initiative de tirailleurs indigènes avec l’aide de la
population arabe. Les avocats israélites Tibi et Daninos
protestèrent auprès des autorités françaises accusées de
mollesse… Ces événements mettaient en évidence les
rancœurs des musulmans et des Européens contre une
communauté israélite en grande évolution sociale et
économique.
La période de l’entre-deux guerres se caractérisa par
l’expression de revendications électorales en 1922 de la part
de la Communauté soussienne qui, à l’instar de celle de Tunis, demanda d’appliquer le système électoral pour
nommer les responsables d’un Conseil de la Communauté
israélite à Sousse. Cette aspiration se heurta au refus des
services du Protectorat, peu favorables à satisfaire ces
velléités démocratiques.
Les tendances récurrentes aux divisions internes se
manifestèrent également en 1928 lorsqu’il fallut procéder à la
nomination d’un nouveau Grand rabbin à Sousse pour
succéder à Youssef Guez devenu Grand rabbin de Tunisie.
Des divergences apparurent entre les partisans d’Abraham
Sfez et ceux de David Boukobza. Chalom Flak, aux
tendances modernistes, fut choisi en 1929 comme Rabbin intermédiaire,ce qui provoqua la réaction des traditionalistes.
A son décès, intervenu en 1936, David Boukobza fut
finalement choisi pour lui succéder.
Sur le plan scolaire, l’attirance des familles soussiennes vers
les écoles publiques s’accentua de plus en plus et favorisa
l’occidentalisation de la société juive (années 1920 à 1942).
Les responsables de l’Alliance s’évertuèrent à faire face à
cette perte de prestige de leur propre établissement.
Occupation allemande et démocratisation de l’institution
communautaire Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale eut pour
conséquence l’occupation allemande de la Tunisie
(Novembre 1942 à Mai 1943). Un Comité provisoire présidé
par l’avocat Georges Binhas fut nommé à Sousse pour
assurer les relations entre l’occupant et la communauté juive
qui fut imposée de lourdes amendes par les gradés allemands.
A la libération de la Tunisie, un inventaire fut établi pour
rembourser les victimes de ces taxes discriminatoires.
Une nouvelle fois, à partir de l’année 1945, le Comité de
Sousse relança les revendications électorales (rapport du
docteur Younès) et, malgré les réticences des services du Protectorat, le décret du 4 mai 1950 accorda finalement un
système à deux degrés qui assura à la communauté locale une
représentation élue. Isaac Hayat devint le Président du
premier Comité israélite élu de Sousse.
L’indépendance de la Tunisie intervenue en 1956 sonna le
glas de cette évolution constante de la communauté
soussienne qui, à l’instar des autres populations juives du
pays, choisit le chemin de l’émigration progressive en France et en Israël.
Albert Maarek
La Lettre de LdJ. Janvier-février 2014
Rédaction et administration 13 rue du Cambodge 75020 Paris
Directrice de la publication: Maryse Sicsu
Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon,
Isidore Jacubowiez,
Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris
Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584
Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur auteur
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Lu, Vu et Entendu
Juifs et Musulmans
Le 16 octobre dernier, au Mahj
devant une salle pleine, la
Représentante de l'éditeur,
Abdelwahab Meddeb et Benjamin
Stora qui ont assuré la direction scientifique du livre, ont présenté
cette Encyclopédie de 1200 pages
qui a nécessité 5 années de travail,
la participation de 120 auteurs des
mondes juifs et musulmans
disséminés de par le monde et qui
sera édité le même jour en français et en anglais.(Une
traduction en arabe est envisagée) (1)
Il n'est pas question ici de résumer un tel ouvrage, les auteurs
eux-mêmes ne s'y étant pas risqués. On retiendra qu'il
comporte 4 parties:
- La période médiévale et la naissance de l'Islam
- Les temps modernes et l'expansion de l'Islam
- Les temps présents et les problèmes actuels
- Les points de rencontre, confrontation, divergence et
convergence.
Dans les explications de textes qui ont suivi, on retiendra la
question de la Dhimmitude qui a fait couler tant d'encre.
Instaurée, à l'origine, comme protection des communautés
minoritaires, et pas seulement des Juifs, elle est devenue au cours des âges de moins en moins supportable, surtout
lorsque mises en contact avec l'Occident ces populations
prirent connaissance de l'égalité citoyenne actée en France en
particulier. C'est à la suite de cela que les Communautés
juives orientales se sont mises en marche, bien avant, dit
Stora, le décret Crémieux offrant cette citoyenneté au Juifs
d'Algérie. Cette marche vers le droit occidental n'a pas été
l'apanage des Juifs, les élites arabes l'ont tenté également,
mais en vain, ce qui explique en partie "les révolutions
arabes" de 2011.
Les auteurs sont bien conscients que ce n'est pas un livre, aussi conséquent soit-il, qui résoudra les problèmes actuels
des relations judéo-arabes, mais ils notent que de plus en plus
de jeunes originaires de ces pays essayent de se réapproprier
l'Histoire, leur histoire, et qu'un livre de ce type possible
aujourd'hui ne l'aurait pas été il y a quelques décennies ;
"Les Temps modernes" de J.P. Sartre qui avait tenté de le
faire en 1967 n'avait pu que constater que le dialogue
souhaité s'était transformé en deux monologues sans aucun
espoir ni envie de convergence.
I.J.
1) "Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos
jours", Editions Albin Michel, sous la direction de : Abdelwahab Meddeb Enseignant de littérature comparée à
l’Université Paris-X. Animateur de l’émission "Cultures d'islam"
sur France-Culture, et
Benjamin Stora, Historien, Professeur à l'université Paris-XIII et à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales
Une histoire dans l'Histoire
Jacques Faïtlovitch et les Juifs d’Ethiopie
Les Juifs d’Ethiopie se nomment les Béta-Israël (la Maison d’Israël). Au siècle dernier, ils étaient connus
sous le terme de Falachas. Cette dénomination
péjorative de leur entourage n’a plus cours aujourd’hui. Les Béta-Israël auraient pu disparaître au cours de ce
siècle, oubliés du monde juif. Mais un homme consacra
sa vie entière à les défendre : Jacques Faïtlovitch
(1881–1955) renversa probablement le cours de l’histoire
des Juifs d’Ethiopie quand il prit la décision de partir
sur les traces de son maître, Joseph Halevy, dont il
suivait les cours à l’Ecole des Hautes Etudes de Paris. En 1867, ce dernier s’était rendu dans les villages
habités par les Falachas à la demande de l’Alliance
Israélite Universelle.
Des récits commençaient à parvenir au sujet de conversions forcées de Juifs en Afrique. Halevy vit
aussitôt que les Falachas étaient des Juifs en difficulté.
Malheureusement, il ne put faire partager sa conviction aux responsables de l’Alliance. Ses efforts ne furent
cependant pas inutiles puisqu’il insuffla l’idée à l’un de
ses élèves.
Jacques Faïtlovitch, né à Lodz, en Pologne, n’avait pas vingt-trois ans quand il persuada le baron Edmond de
Rothschild de financer sa première expédition. Il partit
en Abyssinie avec une énergie dont la flamme ne s’éteignit jamais. En 1904, après un grand nombre de
difficultés, Faïtlovitch arriva à Gondar, que J. Halevy
n’avait pu atteindre en raison de l’instabilité du pays,
une quarantaine d’années plus tôt. Il passa quatorze mois avec les Falachas, vivant dans les villages et
participant aux offices religieux. Les Béta-Israël lui
firent confiance après avoir constaté qu’il n’était pas un missionnaire venu les convertir, mais un Juif prêt à les
aider et soucieux de connaître leurs traditions.
Faïtlovitch découvrit un autre judaïsme antérieur au Talmud. Lui même se situait dans le courant de
l’orthodoxie moderne. Il s’efforça non sans mal de
changer les pratiques des Béta-Israël qui continuaient
les sacrifices rituels abandonnés depuis la destruction du Temple.
De retour à Paris Faïtlovitch présenta son rapport au
baron de Rothschild ; il insista moins sur les persécutions passées que sur le manque d’éducation qui
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faisait des Falachas des proies faciles pour les
missionnaires. Sa demande de soutien resta sans écho ; il résolut alors d’agir lui-même. Dès ce premier voyage,
Faïtlovitch avait amené avec lui deux jeunes garçons,
Tamrat Emmanuel et Getie Jeremias, qu’il confia à
l’Alliance afin d’en faire plus tard des enseignants et des leaders. Tout en préparant sa thèse à la Sorbonne, il
organisa des comités pour les Falachas en Europe et
aux Etats-Unis. Ces comités l’aidèrent à financer les expéditions suivantes.
Faïtlovitch obtint le soutien moral de plusieurs rabbins
dont Zadoc Kahn, le grand rabbin de France. En revanche, les notables de l’Alliance persistèrent à
considérer l’existence des Juifs d’Ethiopie comme une
question marginale. Cependant, ils consentirent à
réexaminer leur position, mais désignèrent à cet effet le rabbin Haïm Nahum, futur grand rabbin de Turquie.
Faïtlovitch refusa la place de subordonné qui lui était
proposée, estimant que son expérience et son savoir sur la question n’étaient pas pris en compte. Il organisa sa
propre expédition. Les deux hommes se croisèrent dans
la province du Tigré, le 1er mai 1908. Ils se saluèrent et
se parlèrent peu. Nahum rédigea le rapport que
l’Alliance attendait. Il décrivait les Falachas comme des
" mosaïstes" convertis par un groupe judaïsé venu
d’Egypte au IIème ou IIIème siècle. Il minimisait leur population, qu’il évaluait à six ou sept mille. En fait, il
n’était pas allé dans les villages les plus reculés et ne
parlait pas l’amharique, contrairement à Faïtlovitch. Les officiels éthiopiens l’avaient facilement induit en
erreur. De son côté, Faïtlovitch s’enfonça à l’intérieur
du pays, où il fut reçu comme le Messie par la
population juive. Il dut expliquer qu’il n’était qu’un simple "Falacha" blanc. A Addis-Abeba, il obtint une
audience de l’empereur. Il plaida la cause des Falachas
en butte aux accusations de sorcellerie, souvent maltraités et obligés de travailler pendant le chabbat.
L’empereur déclara qu’il veillerait à ce que les abus
cessassent. En 1921, l’action de Faïtlovitch fut renforcée par
l’appel déterminant du grand rabbin Abraham Isaac
Kook en faveur des Falachas. En 1924, Faïtlovitch
ouvrit le premier collège juif à Addis-Abeba. Dans les années qui suivirent, plusieurs écoles essaimèrent en
brousse. Le mouvement mit un frein aux succès des
missions protestantes. Près de quarante étudiants furent envoyés en Palestine, en France, en Allemagne et en
Angleterre. Une élite fut créée : certains devinrent
employés du gouvernement. Tadesse Yaacov devint ministre.
Comme il fallait s’y attendre, l’avancée des Juifs
entraîna des réactions hostiles du clergé et des officiels.
Des professeurs furent emprisonnés et leurs étudiants dispersés. La situation se dégrada encore plus avec
l’invasion des fascistes italiens.
Pendant le Seconde Guerre mondiale, Faïtlovitch
maintint de bonnes relations avec les autorités
éthiopiennes. L’empereur Haïlé Sélassié le nomma
conseiller à son ambassade du Caire. Après la guerre, Faïtlovitch s’installa en Israël. Sa
dernière visite en Ethiopie eut lieu en 1946. Il
considérait que dorénavant c’était à l’Etat Juif
d’assumer la responsabilité du retour des exilés. Mais, à l’époque, le sort des rescapés juifs d’Europe constituait
une priorité. Faïtlovitch ne relâcha pas ses efforts. En
1954, l’Agence juive installa une école de formation à Asmara et rouvrit des classes dans les villages de la
région du Gondar. Un an plus tard, vingt-sept garçons
et filles furent envoyés dans le village d’enfants de Kfar Batya en Israël. Faïtlovitch, alors infirme et presque
aveugle, eut la joie de recevoir une partie d’entre eux
dans sa maison de Tel-Aviv. Il mourut quelques jours
plus tard. Le soutien de l’Agence juive aux Béta-Israël diminua aussitôt. Néanmoins, les cinquante années
d’efforts de Faïtlovitch furent fécondes. Après maintes
péripéties, ses élèves et ceux qui continuèrent son combat virent leurs espoirs réalisés. Aujourd’hui la
communauté éthiopienne est installée en Israël et
compte 131 400 membres. Les succès et les difficultés de son intégration
constituent la suite d’une histoire dont la vie de
Faïtlovitch est une page inoubliable.
Maurice Dorès
Poésie
Tout hasard,
Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.
Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c'était à gauche. Car c'était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre. Car le temps était ensoleillé.
Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.
Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.
Tu es encore là? Sorti d'un instant encore entrouvert?
Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers? Je ne puis assez m'étonner, me taire.
Ecoute
comme ton cœur me bat vite.
Wislawa Szymborska.
L'auteur, Prix Nobel de Littérature (1996) est née en Pologne en 1923. Elle vit à Cracovie, à quelques kilomètres
d'Auschwitz où le hasard n'était pas absent.
7
Lu,Vu et Entendu
Maryan, La ménagerie humaine
"Comme un chien" dit K. C'était comme si la honte
allait lui survivre". C'est sur ces mots que se termine le
"Procès" de Kafka et c'est ce chien qui a servi de fil conducteur entre Maryan, Agnon et Kafka, lors d'une
lecture au Mahj (1)
d'écrits des deux derniers dans le
cadre de l'exposition consacrée au premier.
Pinhas Burstein dit Maryan est né en 1927 quelque part en Galicie polonaise. Il avait donc 14 ans lorsque
les nazis arrivèrent. Transbahuté de ghettos en camps, il
finit par être fusillé. Etre transpercé de part en part par
une balle et rester vivant est une expérience peu banale et on comprend que l'on en reste traumatisé pour toute
son existence. Maryan a dit quelque part que ses
peintures ne doivent pas être vues à travers son vécu, mais comment faire autrement quand on voit ses
visages déformés, ses personnages grotesques qui
peuplent ses tableaux, ses enceintes closes par des murs de pierres. Un peu avant la fin de sa course en ce
monde, Maryan alla consulter un psy qui lui conseilla
de dessiner pour surmonter ses angoisses. Il le fit sur
des carnets qui sont actuellement exposés au MAHJ. Dans ces carnets il se représente souvent en chien ; en
chien de juif, en chien fou comme le "héros" de la
nouvelle qu'Agnon écrivit dans les années 1920, "Le
Chien Balak" qui sème la terreur à Jérusalem parce
qu'il a été marqué non d'une étoile jaune mais d'une
marque indélébile "Chien fou" alors qu'il n'est en rien différent des autres représentants de la gens canine.
Allez voir Maryan au MAHJ ! Bien sûr, on est loin du
"beau" mais cela donne à réfléchir.
I.J. 1) Au Mahj le 14 novembre : deux lectures par Michel
Wuillermoz et Eric Elmosnino. Présentation de Daniela
Amsallem (maître de conférences, université de Savoie) et de Pierre Pachet (Ecrivain)
La Lettre de LdJ. Novembre-décembre 2013
Rédaction et administration 13 rue du Cambodge 75020 Paris
Directrice de la publication: Maryse Sicsu
Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon,
Isidore Jacubowiez,
Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris
Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584
Autour d'un voyage
Faut-il brûler Kafka ? demandait une revue, proche
du Parti Communiste Français en 1946. On reste,
aujourd'hui, stupéfait qu'une telle question ait pu être posée
à peine plus d'un an après
l'ouverture du camp
d'Auschwitz où les sœurs de Frantz Kafka furent gazées et
brûlées. Il est vrai qu'entre
Kafka et le réalisme socialiste à la mode, dans ce milieu là, à
cette époque là, il y avait un
abîme. Il faut tout de suite
dire qu'il n'y eut guère de réponses positives. Certains osèrent même avancer, -
en 1946 !- que l'univers absurde et bureaucratique
décrit par Kafka était celui du communisme. Quand on lit le "Procès"
(1) et qu'on sait maintenant la façon dont
se sont déroulés les procès dans les Pays du bloc
soviétique, et à Prague en particulier, on a du mal à ne pas faire le parallèle. Quand un des personnages du
Procès dit à K "…on ne peut rien faire contre ce
tribunal, on est obligé d'avouer. Ce n'est qu'à partir de
ce moment là que vous aurez une possibilité de vous en tirer...(p.146)" et qu'on lit ensuite "l'Aveu" d'Artur
London (2)
, on voit que la réalité n'a fait que copier la
fiction.
Mort en 1924, Kafka n'avait d'ailleurs jamais entendu
parler du Réalisme Socialiste. C'était la grande époque du Surréalisme et les surréalistes, et leur pape André
Breton, en particulier, tentèrent de s'annexer Kafka, car
en effet quoi de plus étrangement réaliste (4)
que le
monde Kafkaïen ?
Mais Kafka est-il "annexable"? Probablement pas,
malgré les différentes tentatives qui ont pu être faites et s'il a finalement été annexé c'est par Prague, sa ville
natale, à laquelle il était tant attaché. Lorsque l'on visite
Prague, on peut voir maintenant la place qui porte son
nom, la maison où il est né, le lycée où il a fait ses premières armes, la boutique de son père qui pesa si
lourd sur lui que Franz se trouva dans l'obligation, à 27
ans passés, d'écrire cette "Lettre au père", qui fait le plaisir des amateurs de belles-lettres et des
psychanalystes.
A Prague, on peut voir aussi, devant la "synagogue espagnole" transformée en musée et en salle de concert,
un Franz Kafka en bronze juché sur les épaules d'un
homme de forte carrure, sans tête, sans mains et sans
buste, qui peut être le père, mais qui peut être tout aussi bien Franz lui-même par un dédoublement absurde
dont il avait le secret, ou bien encore l'un de ces K qui
peuplent ses livres, perdus dans un monde sans queue ni tête, qu'ils essayent de comprendre et dans lequel ils
essayent de survivre.
8
Franz Kafka faisait partie de cette bonne société juive
de Prague, occidentalisée (3)
qui parlait allemand et qui ne se rendait à la Synagogue que le jour de Kippour. Il
a écrit en allemand, tout en se sentant comme un
"invité" (4)
dans cette langue, ce qui explique sans doute
son attirance pour le Yiddish quand il rencontra des "théâtreux" qui jouaient en cette langue. Il s'impliqua et
en 1912, au cours d'une soirée consacrée à la poésie
juive, il prononça son fameux "discours sur la langue yiddish" :
" …je tiens à vous dire, Mesdames et Messieurs,
combien vous comprenez plus de yiddish que vous ne le croyez."
Cette dualité, il la vécut également dans l'histoire ; né
dans l'empire austro-hongrois où il était de bon ton de
parler allemand, il se retrouva citoyen en 1918 de la toute nouvelle république Tchécoslovaque dont sa ville
Prague devint la capitale et la langue officielle le
Tchèque. Cette dualité il l'a vécue aussi comme tout Juif dans ce monde, ce monde qui parfois tourne à
l'envers comme les aiguilles de la fameuse horloge du
quartier juif de Prague qui tournent dans le sens inverse de toutes horloges sensées.
Prague vient d'ouvrir un
musée consacré à Kafka dans lequel il a été essayé de
rendre toute la complexité
de l'homme-écrivain. Dès l'entrée, des images troubles
se succèdent sur un écran,
des vues de Prague
tremblantes, comme pour nous indiquer d'office la
difficulté à le comprendre ;
un peu plus loin, un visage de femme, derrière un
rideau de tulle qui ondule et
modifie son image, essaye d'illustrer ses incertitudes envers les femmes qu'il a fréquentées et qu'il ne s'est
jamais décidé à épouser, de peur sans doute de ne
pouvoir assumer son écriture. La dernière de ces
femmes, Dora Dymant, aurait peut-être pu réussir à lui faire franchir le pas, elle était juive, elle venait de
Pologne, elle était sioniste, elle était jeune, mais il était
trop tard. Il finit par mourir de cette "…maladie spirituelle qu'est la tuberculose."
(5)
Isidore Jacubowiez
1) Franz Kafka : "Le procès" Flammarion 2) Artur London " L'aveu" Folio/Gallimard 1968. 3) "Je suis un juif d'Occident, le plus occidental de tous" (F. Kafka: "Lettres à Milena") 4) Marthe Robert : "Kafka" Gallimard 1960 (p.116) 5) Lettre à sa sœur Ottla
Visitez notre Site : "Liberte-du-judaisme.fr" Vous pourrez y écouter ou réécouter les conférences des années écoulées
Lu, Vu et Entendu
LA CELESTINE
Fernand de Rojas (1470-1541). est né au village de Montalban près de Tolède, aux environs de 1470. Alors
qu’il suit des cours de droit à l’Université de
Salamanque, il découvre par hasard
le premier acte d’un manuscrit au sein de l’Université. Il y ajoute
vingt autres actes qui constituent la
pièce et qu’il nomme plus tard "La Célestine ".
Cette création s’effectue à un
moment où sévit en Espagne l’Inquisition envers les Juifs et ceux
d’entre eux qui se sont convertis au
christianisme. En écrivant cette pièce, l’auteur dénonce les hiérarchies sociales et
littéraires de l’époque qu’il souhaite voir détruire. Il
considère cette œuvre comme une comédie tandis que
la critique en fait une tragédie en raison de la fin malheureuse des principaux protagonistes. Elle est
interprétée aujourd’hui comme l’expression tragico-
comique du monde et de l'individu. Devenu bachelier en droit, Fernand de Rojas choisit
la profession d’avocat. Il a un peu plus de vingt ans
quand il écrit cette comédie. Il se marie à Eléonore Alvarez avec qui il a quatre garçons et deux filles. En
1488, son père est condamné au bûcher comme juif
hérétique. Son beau-frère, Alvaro de Montalban lui
demande de le défendre auprès du Tribunal inquisitorial qui le citait comme Juif converti. Mais Fernand de
Rojas fut disqualifié pour les mêmes raisons au nom du
principe de la pureté du sang "La limpieza de la sangre", et ce malgré sa conversion. Dès la fin du
14éme siècle, une vague d’antisémitisme d’une rare
violence parcourt l’Espagne qui commence la reconquête du pays contre les Arabes.
C’est l’époque de l’acharnement purificateur du Saint-
Office et dans le même temps de l’humiliation et de la
précarité dans les quartiers juifs en Espagne. Tous les excès sont alors permis : prison, spoliation, déshonneur
public. Cette situation explique les précautions de
l’auteur dans la pièce concernant les origines propres de sa famille mais aussi son intention de dissimuler
certaines charges contre l’Inquisition qu’il introduit
dans cette comédie.
"La Célestine" a été considérée comme une œuvre
fondatrice du théâtre espagnol. Elle a eu une influence
immense dès sa publication sur le théâtre et le roman. Elle servira de modèle aux dramaturges du Siècle d’Or
(XVIe siècle) en Espagne et en France. Molière s’en
inspira dans "l’Ecole des Femmes" et dans d’autres
pièces. Pour Fernand de Rojas, la vie humaine est perçue comme une lutte tragique où l’homme est
entraîné par des forces qu’il ne contrôle pas.
9
Il en est ainsi dans sa pièce où le malheur s’abat aussi
bien sur l’héroïne Mélibée ou son père Plébério, que sur la Célestine, la vieille maligne. Le destin reste le maître
de la vie dans cet univers païen de la pièce qui exclut la
notion chrétienne du péché. La pièce est conçue sur
une moralité qui se rattache à la fois au Moyen-âge et à la Renaissance. Elle se présente comme une œuvre
profondément espagnole et universelle à la fois,
à l’image du Don Quichotte de Cervantès. Son aspect Moyenâgeux consiste pour l’auteur à donner une leçon
à des amants éperdus dont les égarements les mènent
à la mort, laquelle est l’expression du châtiment divin qui coïncide avec le sentiment religieux. Son aspect
Renaissance provient de la sensualité et du paganisme
de certaines scènes, de l’idéologie orgueilleuse et sans
limite de Calixte, enfin de la complicité sans scrupules des valets Sempronio et Parménio.
La double appartenance à ces deux époques se retrouve
également dans le langage des personnages. D’un côté, l’expression populaire et proverbiale des gens de la
plèbe, entachée par la convoitise et l’égoïsme, de
l’autre, celle raffinée et recherchée des nobles qui n’hésitent pas à latiniser et qui n'agissent que par
impulsions. Enfin, dernier point commun à ces deux
périodes : l’amour de deux jeunes gens immatures ressemble à celui de Tristan et Yseult au Moyen-âge,
et l’apparition de vils exploiteurs de cet amour à la
Renaissance.
Tout au long de la pièce, les références latines et les allusions à la mythologie grecque ont amené les
historiens à situer cette pièce dans la tradition
chrétienne. Mais ces historiens ont négligé d’autres aspects qui dépassent le contexte occidental pour être
universels. Fernand de Rojas connaissait Ovide, le
poète latin, Pétrarque et aussi le célèbre philosophe arabe Avicenne qui vécut à Cordoue au XIIe siècle. La
création au XVe siècle de la Célestine n’aurait pas été
possible sans l’existence d’un théâtre arabe et juif en
Espagne aux XIe et XIIe siècles. Dans tous les cas, il est fait état de la femme qui a peu de liberté. Enfermée
chez elle, elle ne sort que pour des situations
exceptionnelles et toujours accompagnée de sa servante. Elle était donc amenée à ruser vis-à-vis de son
époux, en ayant recours à de vieilles femmes
expérimentées pour l’aider à se libérer de ses liens de
dépendance vis-à-vis du mari. La nouveauté de La Celestine c’est que les événements y sont rares, mais
une fois survenus, ils font l’objet de commentaires
abondants de la part des personnages. On assiste à un intense va-et-vient : visites, messages, sorties et retours
ponctuent la pièce.
Soulignons la magnifique traduction d'Aline Schulman qui permet au lecteur français d’accéder à une œuvre
d’une modernité surprenante, âpre et implacable ; on y
trouve de fréquentes références au monde comme à une forme de " marché" où les personnes sont considérées
comme des marchandises et ne valent que par leur prix.
De ce fait les véritables valeurs d’humanisme s’estompent au profit de l’argent facile, celui des
affaires ou des casinos dont l’unique loi est celle du
profit immédiat.
Contrairement à l’image espagnole, le théâtre français
ne présente pas le personnage de la Célestine comme
incarnant le mal. Elle est résolument du côté de la vie, courant d’un lieu à l’autre, frôlant le bûcher. Mais c’est
aussi une femme franche et directe qui protège ses
filles, accueille le valet Sempronio enfant à qui elle sert de mère. Elle subit le mépris et les injures des hommes.
Enfin elle est serviable et maternelle, mais tout dépend
avec qui.
En conclusion, ce qu’il faut retenir de la pièce, c’est
qu’elle a suscité à la fois enthousiasme et répulsion, car
on a là un livre de divertissement et d’indécence. Erreur
pour ceux qui n’y ont vu que le divertissement en ne tenant compte que de son aspect humoristique,
indécence pour ceux qui se sont limités aux pages
traitant de la sexualité. On comprend mieux les protestations soulevées au sein de l’Eglise. L’amant,
Calixte, présenté comme un héros, n’ayant pas l’esprit
de compassion, est indigne des faveurs de Mélibée. Il est décrié par ses domestiques qui se moquent de lui
devant ou derrière lui. Il parle comme un hérétique,
mais il reste un personnage comique.
Cette pièce donne l’idée d’une comédie humaine où un amant de cour incarne la dérision et même le comique.
La Célestine en fait son jouet. Il s’y ajoute une part de
tragique avec la mort des héros et une part d’humour lorsque les personnages se moquent d’eux-mêmes à
tour de rôle. Cette découverte de l’humour est la nôtre
et non pas celle des lecteurs et du public du XVIe siècle.
Calixte échoue dans sa tentative de séduire Mélibée et
meurt. Quant à Mélibée, elle agit comme l’héroïne d’un roman maure, elle est la mal mariée. Après avoir perdu
sa virginité à l’acte XIV, elle s’écrie : " Ô pécheresse
de moi, si j’avais eu connaissance de telles choses, ma mère, comme tu aurais grâce à me savoir morte".
Avant de mourir, elle demande à son père pardon et
exprime le souhait d’être enterrée avec son amant. Une célèbre lamentation de Pébério termine la pièce
où il s’élève contre l’amour futile et l’amour courtois.
Cette phrase rejoint la harangue de l’auteur au lecteur : "Pleure et ris tour à tour à la lecture de cette
tragi-comédie où les amants empressés obtiennent un
bonheur plus rapide que les autres mais l’éphémère
est la loi de notre triste monde dans lequel le plaisir se transforme en malheur".
Armand Levy
1) Fernand de Rojas : "La Célestine " Traduction
française d’Aline Schulman – 2006 Fayard.
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de L.d.J. inscrivez-vous à YahooGroupe Courrier-LdJ. Si vous êtes intéressés, signalez-le par mail à :
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Lu, Vu et Entendu
Y'a photos Brassai et Blumenfeld, deux photographes juifs nés à la fin
du 19e siècle, sont actuellement présentés à Paris, l’un à
l’Hôtel de Ville de Paris et l’autre au Musée du Jeu de
Paume à la Concorde
Gyula Halàsz (Brassai) est né en Hongrie à Brasso (Brasov
actuellement en Roumanie) ; après des études artistiques à
Berlin, il arrive à Paris en 1924 où il se promène le jour et la
nuit en photographiant des graffiti creusés dans les murs de
plâtre et en utilisant les contrastes lumineux de la nuit. Ces
photos de graffiti de visages composent un intéressant
ensemble d’art primitif ; par ailleurs, des statuettes travaillées
dans des galets sont impressionnantes dans leur simplicité et
rappellent l’art préhistorique.
Ensuite il fréquente les cabarets de
Montparnasse, les bals musette, les
voyous, les prostituées et les
artistes ; il photographie les
ambiances de la nuit parisienne et
cela donne de surprenantes photos
avec brouillard, éclairages
nocturnes, phares de voitures,
réverbères ; photos mystérieuses
avec des personnages insolites
complétées par une série de photos de couples amoureux et d’enfants au Luxembourg et aux
Tuileries.
Brassai collabore avec Picasso et photographie son atelier et
ses sculptures ; par ailleurs, des photos du cirque Médrano et
des Folies Bergère montrent beaucoup de sensibilité et
d’insolite concernant les coulisses de la vie parisienne
Après la guerre il continue ses déambulations
photographiques dans Paris et publie Paris de jour après
Paris de nuit sorti avant la guerre ; il collabore à la revue
Harper’s Bazaar et reçoit le Grand prix national de la
photographie en 1978. Une intéressante expo qui fait suite à celles de Ronis, d’Izis, de Kertèsz (cf. La Lettre n°108) et de
Doisneau, toutes présentées récemment à Paris.
L’exposition consacrée à Erwin Blumenfeld présente des
photos, des dessins, des collages. Né à Berlin en 1897,
Blumenfeld part ensuite à Amsterdam et ouvre une
maroquinerie qui servira également pour réaliser des portraits
photographiques de ses clientes ; ensuite, il s’installe à Paris
et devient photographe de mode pour le magazine "Vogue
français" ; interné dans les camps du sud de la France, il
parvient à fuir aux Etats-Unis où ses photos sont publiées
dans de grands magazines américains. Blumenfeld rédige son autobiographie
publiée en français sous le titre Jadis et
Daguerre ; perpétuel migrant, il
s’installe définitivement à New- York
en 1941 où il participe à plusieurs
expositions et prépare un livre, Mes
100 meilleurs photos, qui sera publié en
français et en allemand.
Ses dessins et collages de style dadaïste réalisés en
Allemagne et aux Pays-Bas sont pleins d’humour comme ses
autoportraits délirants. A Paris, il réalise des portraits de
Rouault, Matisse, Yvette Guilbert, Marlène Dietrich … avec
effets spectaculaires et contrastes saisissants ; puis viennent
les extraordinaires photographies de mode en noir sur la
Tour Eiffel, en couleur dans les gratte-ciel de New-York dont
certaines feront la couverture de grands magazines américains.
A la prise de pouvoir d’Hitler,
Blumenfeld crée des photomontages
saisissants du dictateur, en particulier
celui avec des larmes de sang,
prémonitoire d’un personnage
totalement déshumanisé. Des photos de
la cathédrale de Rouen, de la Tour
Eiffel, de paysages urbains de Paris et
New-York complètent cette exposition
qui nous montre un photographe
expérimental, original et ayant vécu les tribulations migratoires du 20e siècle.
Michel Mohn
Pour en savoir et en voir plus
* Les photographes hongrois, Brassai, Capa, Kertész,
Moholi-nagy, Munkacsi ; Colin Ford, Londres, 2011 *E.Blumenfeld: Jadis et Daguerre ; Textuel, Paris , 2013
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Une si jolie
petite gare
Elle se trouve sur la
Grande Ceinture, le
réseau qui entourait
Paris pour éviter de le
traverser.
Les architectes lui ont
donné un petit air
pimpant dans le style
de celles qu'ils concevaient à l'époque pour desservir les
stations balnéaires. Elle était surtout utilisée pour le transport de marchandises et entre autres, nous a-t-on dit, pour les
produits des jardins qui à l'époque couvraient une partie de la
banlieue parisienne.
Un jour de 1943, Aloïs Brünner qui avait fait ses preuves en
déportant 48.000 juifs de Salonique, fut nommé, sans doute
grâce à ce haut fait, à la direction du camp de Drancy. Fort de
son expérience il décida de transférer de la gare du Bourget à
celle de Bobigny, plus calme, plus campagnarde, les départs
pour Auschwitz.
C'est cette petite gare où la rampe d'accès des autobus venant
de Drancy a disparu, mais où subsistent la voie et le pavage
de ce qui servait de quai d'embarquement que nous a
emmené Michel Mohn le 10 décembre dernier.
21 convois l'ont quittée entre le 1er Juillet 1943 et le 31
juillet 1944 emmenant vers les camps de la morts 22400
êtres humains qui pour les nazis ne l'étaient plus.
Il faisait froid en cette fin d'après midi dans cette zone en
friche qui entoure la gare. Un léger brouillard commençait à
descendre sur les rails qui serpentent encore sur le sol. Nous
étions une dizaine. Il faisait surtout froid dans nos cœurs.
I.J.
11
Echos des conférences de L.d.J.
Mercredi 13 novembre 2013
Charles Leselbaum Responsable de la Commission
Culturelle du B'nai Bri'th
Deux figures exceptionnelles dans l'histoire du
judaïsme portugais: Le Capitaine Carlos Barros Basto,
et le Consul Aristides de Sousa Mendes,
Aristide de Souza (1885-1954). est né dans une famille aristocratique
aisée. Son père est juge à la Cour
d'Appel de Coimbra. En 1910,
après avoir étudié le droit, et passé
avec succès le concours
diplomatique, il est nommé
Consul dans divers endroits. En
1928, Salazar est Président du
Conseil des Ministres. Aristides est nommé Consul général à
Anvers. En 1939, à la déclaration de la guerre, le Consul met
sa famille à l'abri au Portugal et revient à la tête du Consulat de Bordeaux, où il est censé appliquer les nouvelles
dispositions adoptées par Salazar pour limiter l'entrée des
étrangers et des apatrides. Il prend conscience que ces
mesures sont très restrictives. En 1940, il rencontre le rabbin
Kruger d'Anvers qui lui raconte les exactions commises par
les nazis.
Alors il ordonne courageusement la délivrance de visas à
toute personne qui en fait la demande. En 11 jours, 30.000
Juifs obtiennent leurs visas et partent pour les Amériques.
L'armistice est signé le 21 juin. Le 8 juillet, de retour à
Lisbonne, son calvaire va commencer. Il est jugé en procès,
inapte à diriger un consulat, et, après être dégradé, il sera mis à la retraite à 55 ans. Pour l'aider, la communauté juive de
Lisbonne lui verse une indemnité. Il meurt dans la misère en
1954, abandonné de tous.
Par la suite, un arbre est planté à Yad Vachem. De nombreux
articles sont publiés depuis quelques années sur la
personnalité très attachante de ce consul hors norme.
Le Capitaine Carlos Barros Basto (1887-1961) est né dans
une famille cristiano-novo d'Amarante. Il fait la première
guerre mondiale. Convaincu qu'il est Juif, il décide de se faire
circoncire et obtient satisfaction à Tanger après les réticences de la communauté de Lisbonne. Il s'installe à Porto et fonde
une communauté en 1923.En 1927, le journal "Ha lapid" (le
flambeau) est destiné à servir de lien à tous les groupes juifs.
En 1928, une première synagogue est installée à Porto pour
140 fidèles. Une Yéshiva est créée en 1929 pour former la
jeunesse. La communauté juive est inquiète de son activité
qui pourrait porter ombrage à l'autorité de Salazar, catholique
très ferme. De plus, il est favorable à la République et suspect
aux yeux des autorités. En 1936, des lettres anonymes
l'accusent d'abus sexuels sur les jeunes pensionnaires de la
Yéshiva. Il réalisera quand même son rêve: la construction
d'une synagogue monumentale inaugurée en 1938. Pendant la seconde guerre mondiale, tous ses efforts sont
voués à l'oubli, et sa veuve, puis sa fille ne cesseront de
réclamer sa réhabilitation, ce qui arrivera après le retour de la
démocratie au Portugal.
Aujourd'hui, sa synagogue est ouverte et accueille les
touristes et d'assez peu nombreux fidèles.
Maryse Sicsu
Mercredi 11 décembre 2013
LES JUIFS DE TETOUAN, un monde disparu
Guerschon Essayag nous a présenté une remarquable
analyse historique sur les Juifs de Tétouan au Maroc.
Né à Casablanca dans une famille
judéo-espagnole Guershon a quitté ce
pays en 1967 ; docteur en physique, il
prépare un master en hébreu depuis
sa récente retraite et travaille sur sa famille tétouanaise et sur l’histoire
des Juifs de Tétouan. Il s’est
documenté auprès des récits
rabbiniques, des notes de voyageurs
européens, des rapports de l’Alliance
Israélite Universelle installée à Tétouan en 1862. Les Juifs de
Tétouan avaient la réputation d’avoir une grande culture,
n’étaient pas intégrés au Maroc impérial et formaient une
communauté assez misérable dont très peu de traces
subsistent actuellement en dehors d’une synagogue et d’un
cimetière.
Tétouan, crée en 1307 pour contenir la poussée espagnole est une ville fortifiée du Rif. Elle a accueilli favorablement
des Juifs expulsés par l'Espagne qui au 15éme siècle
s’installent à Tétouan dans la "Juderia " aux cotés de Juifs
implantés dans la région depuis bien longtemps. Les Juifs
exercent différents métiers dans la banque, la médecine,
l’orfèvrerie et la cartographie ; Ils conservent la langue
espagnole et pratique la monogamie, ce qui n'était pas le cas
des Juifs du cru. Au 18ème siècle un nouveau sultan chasse les
Juifs et la Juderia est déplacée hors de la ville ; Les juifs sont
environ 8000 juifs vers 1800.
Après l'interdiction des représentants consulaires sur le territoire marocain, certains Juifs de Tétouan assurent la
représentation des puissances européennes au Maroc et sont à
ce titre "protégés".
Une guerre entre l’Espagne et le Maroc provoque des
massacres à Tétouan et
nombreux sont les Juifs
qui s’exilent à Gibraltar, à
Oran ou à Tlemcen ;
l’accord d’Algésiras en
1906 partage le Maroc
entre la France et
l’Espagne et les Juifs de Tétouan dépendants de
l’Espagne s’installent dans la partie moderne de la ville. Par
la suite ils soutiendront Franco, parti du Maroc espagnol, lors
de son coup d'état contre la République espagnole.
En 1956 le Maroc devient indépendant et les Juifs s’exilent
en Espagne, en Israël, en France ou en Amérique du Sud ;
cet exil avait déjà commencé en 1948 avec la création de
l’état d’Israël. A cette époque 5000 Juifs vivaient à Tétouan
qui possédait 16 synagogues ; actuellement perdure une
ancienne synagogue et quelques Juifs seulement y vivent
encore ; le grand cimetière de Tétouan est toujours présent avec environ 10 000 tombes. Suite à cet intéressant exposé,
une discussion a eu lieu sur le Maroc et les Juifs au temps du
protectorat français et de la présence espagnole.
Michel Mohn
Le diaporama utilisé comme support de cette conférence est
visible sur notre site " liberte-du-judaisme.fr"
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Activités de LdJ
Conférences Le thème général qui a été retenu pour l'année 5774
(2013-2014) est :
"Les juifs et leurs exils : ombres et lumières"
---------------------------- Mercredi 11 septembre 2013
Gérard Haddad : Psychiatre, Psychanalyste :
La psychanalyse a-t-elle quelque chose à dire sur le
travail humain ? Mercredi 9 octobre 2013
"L'immigration juive aux Etats-Unis dans la première
moitié du 20éme siècle" Mercredi 13 novembre 2013
Charles Leselbaum, Maître de conférences (Paris-Sorbonne) "Deux figures exceptionnelles dans l'Histoire du Judaïsme
Portugais" : Mercredi 11 décembre 2013
Guershon Essayag, Chargé d'études et recherches historiques
à Paris Sorbonne
La communauté juive de Tétouan au nord du Maroc Mercredi 15 janvier 2014
Marie-Noëlle Postic présentera ses livres : "La vie des Juifs du
Finistère sous l'occupation" et "Sur les traces perdues d'une
famille juive en Bretagne". Julien Simon présentera le prolongement théâtral "La vie comme
la vie" du second de ces livres. Mercredi 12 février 2014 Monique Halpern: Ex-présidente du CLEF qui regroupe nombre
d'associations féministes : La prostitution "juive" (1860-1920) :
un phénomène mal connu, une amnésie méconnue
Mercredi 12 mars 2014
Armand Lévy : L'Alliance Israélite Universelle. Une institution
française d'aide et de solidarité dans le combat contre
l'ignorance et la misère. Evolution et orientations actuelles
Mercredi 19 avril 2014
André Cohen de L'Association de Sauvegarde du Patrimoine Culturel des Juifs d'Egypte
"Les Juifs d'Egypte: départ sans retour" _______________________
Les conférences débutent à 19 heures. Ouverture des portes à 18 h 45. Elles sont suivies d'un débat et se tiennent au 13 rue du Cambodge Paris 20ème
Cercle de Lecture Dimanche 6 octobre 2013
" La famille Karnovski" de Israël Joshua Singer Denoël 2008 – Traduit du yiddish
En présence de Monique Charbonnel qui a traduit le livre.
Dimanche 26 janvier 2014
"Voyage vers l'an mil" de A.B.Yehoshua
Calmann Levy 1998 – Traduit de l'hébreu
Le dimanche 23 mars 2014
"Némésis" de Philippe Roth
Gallimard 2010 – Traduit de l'américain
Notifiez votre participation au : 01 46 55 73 83
Evénements
Dimanche 19 janvier 2014 à 16 heures
au 13 rue de Cambodge 75020 Paris
Présentation du film de Maurice Dorès et Sarah Dorès
"Jacques Faïtlovitch et les tribus perdues" en présence des réalisateurs.
Jacques Faïtlovitch gardait tous ses documents, agendas, correspondances, cartes de visite, passeports, plaques photographiques, journaux, livres. Le film s’appuie sur cette riche documentation ainsi que des tournages effectués en France, en Israël
et en Ethiopie. (voir page 5)
P.A.F. non adhérents 5 euros
Samedi 25 janvier 2014 à 16 heures au 13 rue de Cambodge 75020 Paris
Nancy Lefenfeld – historienne américaine – de passage à
Paris présentera son livre "The Fate of Others" sur une des
filières des passages clandestins en Suisse des enfants juifs durant la dernière guerre. La présentation appuyée sur des diapositives se fera en anglais mais la discussion qui suivra se fera en français Réservez dès à présent cette date. .
P.A.F. non adhérents 5 euros
Et ailleurs
Au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme
Une exposition consacrée au peintre Maryan né en
Pologne en 1927 dont les œuvres picturales sont irrémédiablement marquées par l'univers de la Shoah à
laquelle il a survécu. (voir page 7 ) Jusqu'au 9 février 2014
Au Mémorial de la Shoah
Exposition : Salonique et la destruction des Juifs de Grèce. Jusqu'au 1er mars 2014
Au Musée d'Histoire de l'Immigration Exposition sur le thème : Bande dessinée et Immigration
A la Porte Dorée Jusqu'au 27 avril 2014
Au Mémorial de la Shoah
Regards sur les ghettos : Une exposition de photos prises dans 400 ghettos,
antichambres de l'extermination. Jusqu'au 28 septembre 2014.
Au musée du Jeu de Paume
Erwin Blumefeld : Photos et photomontages (voir page 10) Jusqu'au 26 janvier 2014
A l'Hôtel de Ville de Paris
Brassaï : Photos pour l'amour de Paris (voir page 10)
Jusqu'au 8 mars 2014
Notre ami Elie Garbarz, un des fondateurs de notre Association, a perdu récemment sa fille Sarah suite à une
grave maladie; elle était intelligente, pleine d'humour et de
gentillesse. Courageuse, elle le fut jusqu'au bout et nous
garderons le souvenir d'une belle jeune femme toujours
souriante et disponible aux autres. Que sa famille soit
assurée de notre amitié et de notre sympathie.