l'amÉnagement d'un axe urbain la rue de la mon noye a … caco/1832... · 1589 la ville...

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L'AMÉNAGEMENT D'UN AXE URBAIN LA RUE DE LA MON NOYE A DIJON par M. Pierre GHAS La constitution de l'axe nord-sud formé par la rue Chabot- Charny, la rue La Monnoye et la rue Jean-Jacques-Rousseau a été fort lente. Elle s'est effectuée sans plan d'ensemble, selon les circonstances. La rue Chabot-Charny est actuellement à peu près rectiligne et assez large pour une rue du centre de la ville. Mais jusqu'à 1821 un étranglement à la hauteur de l'ancienne Faculté a rappelé l'existence d'une porte romaine, de part et d'autre de laquelle, d'ailleurs, la rue s'élargissait, suivant une règle à peu près générale ; le petit jardinet du n° 45 faisait partie de la chaussée et l'ancienne Bibliothèque universitaire, à l'inverse, a largement dépassé la construction antérieure 1 . D'où trois noms distincts : au nord, rue Saint-Étienne ; au niveau de l'étranglement, rue aux Singes ; au sud, rue de la Porte-Saint-Pierre a . La rue Saint-Étienne longeait un bras du Suzon, celui qui, au témoignage de Grégoire de Tours, traversait le caslrum 3 . Dans son axe, au nord, il n'y avait à l'époque romaine aucune porte ou poterne dans le mur du caslrum, seulement l'arcade sous laquelle passait le Suzon, aucune voie, que le lit du cours d'eau. Ce bras disparut au xn e siècle, au plus tard, et dans cette portion qui va de la place Saint-Étienne au mur du caslrum, il fut remplacé par une rue. Lorsqu'à la fin du xn e siècle le duc Hugues III fonda sa chapelle, la future Sainte-Chapelle, il réserva au bout du cloître un espace « pour laisser passer des charettes », ce qui atteste qu'une ouverture avait été pratiquée à cet endroit dans le mur romain ; 1. Pour toutes les rectifications tle rues du xix c siècle, voir F. GOIZET, Etude cetitentiale rétrospective sur Dijon (Bull, municipal 1899, p. 397-402 et 409-411 ; et tiré à part. I/élargissement de la rue des Singes avait été décidé dès 1761, puis en 1791 (Arch. dép. L 693). 2. Ou du Marché au Foin ; au XVIII" siècle, rue Saint-Julien. Il faut se rappeler que les noms de rues ont été extrêmement flottants jusqu'au xvni 0 siècle et que plusieurs dénominations ont quelquefois existé en même temps. Quoique copieux, l'ouvrage de Philibert MILSAND, Les rues de Dijon, kurs dénominations anciennes et nouvelles... (1847) ne donne pas tous les noms. 3. P. GiiA.s et J. RICHARD, Les anciens lits du torrent de Suzon (dans Revue archéologique, de l'Est, 1, 1950, p. 77-87).

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L'AMÉNAGEMENT D'UN AXE URBAIN

LA RUE DE LA MON NOYE A DIJON

par M. Pierre GHAS

La constitution de l'axe nord-sud formé par la rue Chabot-Charny, la rue La Monnoye et la rue Jean-Jacques-Rousseau a étéfort lente. Elle s'est effectuée sans plan d'ensemble, selon lescirconstances.

La rue Chabot-Charny est actuellement à peu près rectiligne etassez large pour une rue du centre de la ville. Mais jusqu'à 1821un étranglement à la hauteur de l'ancienne Faculté a rappelél'existence d'une porte romaine, de part et d'autre de laquelle,d'ailleurs, la rue s'élargissait, suivant une règle à peu près générale ;le petit jardinet du n° 45 faisait partie de la chaussée et l'ancienneBibliothèque universitaire, à l'inverse, a largement dépassé laconstruction antérieure 1. D'où trois noms distincts : au nord, rueSaint-Étienne ; au niveau de l'étranglement, rue aux Singes ; ausud, rue de la Porte-Saint-Pierre a.

La rue Saint-Étienne longeait un bras du Suzon, celui qui, autémoignage de Grégoire de Tours, traversait le caslrum 3.

Dans son axe, au nord, il n'y avait à l'époque romaine aucuneporte ou poterne dans le mur du caslrum, seulement l'arcade souslaquelle passait le Suzon, aucune voie, que le lit du cours d'eau.Ce bras disparut au xne siècle, au plus tard, et dans cette portionqui va de la place Saint-Étienne au mur du caslrum, il fut remplacépar une rue. Lorsqu'à la fin du xne siècle le duc Hugues III fondasa chapelle, la future Sainte-Chapelle, il réserva au bout du cloîtreun espace « pour laisser passer des charettes », ce qui atteste qu'uneouverture avait été pratiquée à cet endroit dans le mur romain ;

1. Pour toutes les rectifications tle rues du xixc siècle, voir F. GOIZET,Etude cetitentiale rétrospective sur Dijon (Bull, municipal 1899, p. 397-402 et409-411 ; et tiré à part. I/élargissement de la rue des Singes avait été décidédès 1761, puis en 1791 (Arch. dép. L 693).

2. Ou du Marché au Foin ; au XVIII" siècle, rue Saint-Julien. Il faut se rappelerque les noms de rues ont été extrêmement flottants jusqu'au xvni0 siècle etque plusieurs dénominations ont quelquefois existé en même temps. Quoiquecopieux, l'ouvrage de Philibert MILSAND, Les rues de Dijon, kurs dénominationsanciennes et nouvelles... (1847) ne donne pas tous les noms.

3. P. GiiA.s et J. RICHARD, Les anciens lits du torrent de Suzon (dans Revuearchéologique, de l'Est, 1, 1950, p. 77-87).

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380 PIEKRE GRAS

cette rue est appelée au xm e siècle « la voie publique par laquelleon va à la Verrerie » 1.

Il faut se rappeler, en effet, que la place des Ducs n'existait pas ;l'espace en était occupé par des propriétés privées que le duc Jeansans Peur achètera au début du xve siècle pour en faire un jardinsoigneusement clos ; la rue Verrerie se prolongeait jusqu'à la ruedu Secret, aujourd'hui Longepierre. Cette rue réservée par le ducest l'ancêtre de la rue La Monnoye ; elle était appelée généralement« rue du Cloître ». L'expression du xm e siècle « rue par laquelleon va à la Verrerie » indique quelle était le but principal de lacirculation dans cette rue, car, à droite, la rue des Prêtres (Longe-pierre) fait retomber sur la place Saint-Michel.

Il y avait une autre issue vers la rue J.-.I.-Rousseau actuelle,mais elle était malaisée. La rue J.-J.-Rousseau actuelle est la partieméridionale d'un chemin qui partait d'un pont sur le bras du Suzondit des Vieux-Terraux (près de l'actuelle caserne Krien). La partieextra muros est aujourd'hui la rue Parmentier. Intra-muros la ruese présentait de façon fort décousue ; elle était assez large dans laportion qui s'appelait rue Saint-Nicolas (jusqu'à la rue d'Assas) ;après le carrefour qui portait le nom pittoresque de « carrefour desCinq rues », elle se rétrécissait le long des halles sous le nom de ruedu Pilori ; enfin après la rue Chaudronnerie, c'était une ruelle de12 pieds de large (4 m environ) appelée généralement rue Ramaille.Jusqu'au xve siècle cette ruelle ne s'arrêtait pas rue Jeannin, maiselle arrivait rue Longepierre en traversant les Archives départe-mentales actuelles. Lorsque le chancelier Rollin construisit sonhôtel à cet emplacement, il obtint de la Ville le droit d'inclure cetteruelle dans son immeuble sous réserve d'un droit de passage quise restreignit de plus en plus. Lorsque la Ville acheta l'hôtel Rollinpour y installer la mairie, le droit de passage avait déjà pratique-ment disparu 2. Mais il en reste une trace tangible : le portaiaujourd'hui muré rue Longepierre qui est dans l'axe du porched'entrée des Archives.

C'est l'installation de l'Hôtel-de-Ville qui allait bouleverserl'aspect de ce quartier ; il fallait que la maison commune fut faci-lement accessible, il fallait aussi que le siège de l'autorité municipaleait un bel aspect. Raisons pratiques et considérations esthétiquesallaient se joindre pour amener la transformation du réseau des rues.

1. J. D'AKUAUMONT, Essai sur la Sainte-Chapelle (dans Mémoires de la Com-mission des Antiquités, t. VI, 1861-1864), p. 170-171, et J. RICHARD, Le « VieuxChastel » (Ibid., t. XXV, 1959-1962), p. 257.

2. L'histoire de l'Hôtel-de-Ville a été donnée par J. GAHNIKR, Les deuxpremiers hôtels de ville de Dijon (dans Mém. de la Commission, t. IX, 1874-1877,p. 1-111). Nous ne faisons que le compléter ou rectifier sur quelques points.

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PercétUTTionnoye /»

143. — La rue l.a Monnoye (rue du Cloître et place Moussier) et la rue Jean-,Jacques-Rousseau (rue Ramaille et rue du Pilori)existant en 1589supprimé avant cette date

— — - — ouvert à cette date— —•— rectification du xvine siècle

rectification du xixe sièclepercé en 1969-1970

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Les considérations pratiques l'emportèrent d'abord ; en janvier1589 la Ville de Dijon apprit l'assassinat du duc de Guise et décidade se rallier à Mayenne. Les assemblées se succédèrent presquechaque jour à l'Hôtel-de-Ville car il fallait prendre de nombreusesmesures de sécurité nécessitées par le redoublement de la guerrecivile. La « Chambre de Ville » s'aperçut alors que son hôtel étaittrès mal desservi ; elle remarqua qu'il était absolument nécessairede prolonger la rue du Cloître et elle voulut acheter la maisoncontiguë à la mairie, laquelle appartenait à la Sainte-Chapelle. Enattendant de tomber d'accord sur le prix, le procureur-syndicfut chargé le 2 janvier 1389 « de faire dépendre les portes de cettemaison pour former le dit passage » et cela dès le lendemain « euégard à la nécessité du temps ».

Aux délibérations des 24, 26 et 27 janvier, il fut encore questionde cette maison. Après discussion avec le chapitre de la Sainte-Chapelle et discussion des chanoines entre eux, tout s'arrangea.La Sainte-Chapelle ne voulait pas vendre cette maison sinon à unprix jugé trop élevé par la Ville, mais elle proposa une transactionle 27 janvier : « si la Ville se veut contenter de prendre une partiede la cour de la maison pour faire un passage de rue en autre, dela même largeur que celuy de la rue étant devant l'Hôtel-de-Villeau pilori, qu'il sera accordé gratuitement par lesditz sieurs véné-rables, à la charge que ladite ville fera faire à ses frais une muraillequi régnera tout le long de ladite rue pour faire séparation d'icellerue et de ladite maison, à hauteur convenable, avec un puits ».La Ville accepta et désigna des délégués qui allèrent immédiatementsigner l'accord au cloître de la Sainte-Chapelle et marquer sur leslieux l'emplacement de la rue 1.

Cette nouvelle rue, de même largeur que la rue Ramaille, n'avaitdonc que 12 pieds, soit 4 mètres de large. Elle n'avait pas étépratiquée entre l'Hôtel-de-Ville et la maison canoniale, mais àl'ouest de celle-ci, là où était la cour. En 1712, la mairie, pouragrandir l'Hôtel-de-Ville, acheta cette maison qui lui était adja-cente 2, mais il ne semble pas qu'on ait élargi alors la rue qui futdésormais bordée, à l'est, par la façade actuelle des Archivesdépartementales 3, à l'ouest par le mur de la cour d'un hôtel parle-mentaire celui des Loppin de Montmort.

Les travaux d'élargissement de rues qui suivirent furent ins-pirés par des considérations esthétiques. De 1707 à 1714, la mairie

1. Arch. municipales, B 226, fol. 149-153.2. Arch. dép., Fonds de la Sainte-Chapelle, G 1249-1. GARNIEU, ouvr. cité,

p. 76.3. Un peu modifiée car il avait élevé là en 1715 une chapelle, la chapelle

Saint-Alexis, qui était le siège du service de bienfaisance dit « Aumône générale ».

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HUE LA MONNOYE 383

avait modernisé la façade de l'Hôtel-de-Ville sur la rue Jeannin,élevant notamment le portail actuel. Pour le mettre en valeur onvoulut élargir la rue Ramaille. Les achats de maisons à démolircommencèrent en 1752 l mais allèrent lentement ; plusieurs d'entreelles appartenaient à la Sainte-Chapelle et la procédure, qui avaitdéjà été appliquée pour l'achat de 1712, était fort longue ; la Sainte-Chapelle n'acceptait de vendre que si elle pouvait racheter immé-diatement soit une autre maison, si c'était un logement de chanoine,ou une terre quelconque ; c'était un accroissement des biens demain-morte et il fallait une autorisation royale. A la Révolution,la partie de la rue Ramaille la plus proche de la rue Chaudronnerieétait élargie et bordée des maisons actuelles, uniformes, à arcadesau rez-de-chaussée, mais pas encore la partie la plus proche del'Hôtel-de-Ville.

Par contre, en 1788, lorsque l'hôtel Loppin de Montmort futvendu au conseiller de la Goutte, la Ville intervint, acheta la courde cet immeuble et l'annexa à la rue qui fut considérablementélargie 2 ; on la qualifia de place : la place Moussier, du nom duvicomte-maïeur, qui allait vite devenir sous la Révolution laplace de la Commune.

Un moment, la Ville avait envisagé de faire plus. Lors des dis-cussions sur le sort de l'ancien couvent des Jacobines, désaffectédès 1768, on avait pensé construire à son emplacement un nouvelHôtel-de-Ville, en face du Palais des États. L'ancien Hôtel-de-Ville aurait été démoli et une rue tracée de la rue Ramaille à laplace Saint-Étienne, « pour donner un débouché plus facile de laporte Saint-Nicolas à la porte Saint-Pierre » ; ces deux portesauraient été d'ailleurs démolies, les Halles transférées, etc. Maisce projet de 1785 ne reçut aucun début d'exécution ; il n'est connuque par un mémoire, sans plan ni devis précis 3.

La Révolution faillit arrêter ou retarder indéfiniment l'élargis-sement de la rue Ramaille. L'hôtel Guillaume que l'on appelle àtort de Frasans *, propriété de la Sainte-Chapelle, donnant sur larue Jeannin (n° 13 actuel), avait une dépendance donnant sur larue Ramaille (n° 88 actuel de la rue Jean-Jacques-Rousseau).Il englobait donc la maison formant l'angle des deux rues, maisonqui avait été achetée par la Ville dès 1752. Vendu comme biennational, l'hôtel appartenait en 1796 à J.-B. Thomas, personnage

1. Arch. mun. ,J 8 ; Arch. dép., Fonds de la Sainte-Chapelle, G 1249-1.2. Archives mun. J 10.3. J. RICHARD, Les projets de Ccllerier pour la construction d'une salle de

spectacle, dans Mém. de la Commission, t. XXIV, 1954-1958, p. 259.4. P. GRAS, L'hôtel Guillaume, dans Mém. de la Commission, t. XXV, 1959-

1962, p. 94-95.

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aisé car on ne lui donne pas d'autre profession que celle de « citoyenà Dijon » ; pour agrandir son immeuble il voulut acheter la maisond'angle en la faisant considérer comme bien national, en tantque propriété inutile à la Ville, ou plutôt, comme on disait alors,à la Commune. Celle-ci lit remarquer qu'elle voulait démolir cettemaison « pour former une petite place devant la maison commune...pour faciliter les dégagemens autour de la maison commune etcontenir les citoyens qui devraient se rassembler, soit pour lesfêtes publiques, soit pour les autres assemblées ordonnées par leslois ». Le Département était de cet avis, mais le citoyen Thomas,fort influent certainement, était appuyé par le Ministère de l'Inté-rieur qui niait l'intérêt d'élargir ces rues et poursuivait la ventede la maison comme bien national. L'administration municipalemenaça alors de s'adresser directement au Corps législatif et fitdémolir rapidement la maison en question en 1797 1.

Mais ce n'est qu'en 1805 que la Ville put aménager les deuxquarts-de-rond qui terminent la rue Jean-Jacques sur la rueJeannin. Le plan établi par le voyer de la Ville, Duleu, est du25 germinal an XIII (15 avril 1805) et il fut légèrement modifiéle 18 floréal « an I de l'Empire français » (8 mai 18905) par l'ingé-nieur en chef du département, Uriot-Montfeu 2. Les travauxsuivirent peu après 3 ; le côté oriental de la rue était parfaitementaligné ; sur celui de l'ouest, la Ville n'avait pas pu ou osé acheterla maison de J.-B. Thomas ; elle faisait une saillie de 1,40 m surla petite construction en quart de cercle et se raccordait ensuiteen biais avec la partie alignée. Il y a deux ans cette petite maison,avec un premier étage très bas, a été remplacé par une hauteconstruction qu'on a malheureusement laissé bâtir exactementsur son emplacement au lieu de réaliser enfin l'alignement prévuavec un premier étage très bas, a été remplacé par une hauteconstruction qu'on a malheureusement laissé bâtir exactementsur son emplacement au lieu de réaliser enfin l'alignement prévudepuis 1752. Cette disgracieuse saillie de 1,40 m n'est donc pasprête de disparaître.

On remarquera l'intervention de l'ingénieur des Ponts-et-Chaussées en 1805, corrigeant le plan du voyer de la Ville. En effet,

1. Arch. dép., L 693.2. Arch. dép., Fonds des Ponts-et-Chaussées, III, S 74 a/9.3. Le petit bâtiment de gauche en regardant depuis l'Hôtel-de-Ville fut

construit par la municipalité ; celui de droite par le propriétaire, le docteurVallot, auquel on avait fixé un alignement. Dans sa Description de Dijon, Vallotdate la construction de 1805 (Bibl. de Dijon, ms 1484, fol. 39 v°. C'est donc àtort que Garnier (art. cité, p. 90) date l'hémicycle de 1757.

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RUli LA MONNOYE 385

la rue Jean-Jacques était désormais considérée comme partie dela route impériale « de Nancy à Chalon », numérotée alors 60.

Au xvme siècle, on s'était bien gardé de laisser pénétrer dansDijon la circulation de transit, que l'on détournait par le « grandchemin de ceinture » ou « le tour des fossés », la voie qui suivaitexactement les fortifications, à l'extérieur, épousant fidèlementles avancées et les retraits des bastions et des demi-lunes, en termemilitaire le « chemin couvert ».

Alors que les villages devaient fournir des équipes de corvéablespour l'entretien des chemins, les villes avaient reçu la responsabilitéde certaines portions de routes. A Dijon, la Ville devait ainsientretenir 4 265 toises (8,316 km) de routes ; le chemin de ceintureen constituait une grande partie l. Ce chemin continua à êtreentretenu sous la Révolution 2. Le 1er nivôse an IV (22 décembre1795), l'administration municipale « ordonne le rétablissement auxportes de la ville de la consigne qui interdit le passage dans laville aux voitures et guimbardes passant en transit » 3. On s'efforçaitde réduire le plus possible la circulation en ville ; c'est ainsi que lesvoitures se dirigeant sur Langres, partant normalement des aubergesde la rue Guillaume, sortaient par la porte de ce nom et prenaientle chemin de ceinture pour rejoindre la route de Langres devantles Capucins (caserne Vaillant actuelle). Sur les plans de constructionde l'actuelle porte Guillaume (en 1784), cette portion du cheminde ceinture (qui, rectifié, est devenu la rue Devosge) est appelé« route d'Allemagne » 4.

C'est en 1799 seulement que ce système si logique de détournerle transit fut abandonné. Une loi du 11 frimaire an VII (1e r décembre1798) avait « déterminé le mode administratif des recettes et dépensesdépartementales, municipales et communales » 5. Dans les « dépensesgénérales... supportées par tous les Français » figurent la « confec-tion, entretien et réparation des grandes routes » ; dans les « dépensescommunales » figurent « l'entretien du pavé pour les parties quine sont pas grande route » et « la voirie des chemins vicinaux dansl'étendue de la commune ». Remarquons qu'il n'y a pas de routesdépartementales ; mais c'était l'administration départementale

1. Ordonnance des Elus de Bourgogne du 23 janvier 1756 (Arch. de la Côte-d'Or, C 4439). Plan dans R. GAUCHAT, Le carrefour routier de Dijon avant laRévolution (Mim. de la Commission, t. XXIII, 1947-1953, p. 346).

2. Arch. dép. L 1058 (1790), L 693 (an V et an VI).3. Arch. muii. Reg. des délibérations.4. De même sur des plans de Dijon de la première moitié du xix° siècle,

cette rue est encore qualifiée de « route de Paris par Langres » et la chemin deceinture est encore appelé « grand chemin ».

5. Bulletin des lois, n» 247 (2e série, t. VII), n° 2219.

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élue, qui, en application des principes de décentralisation adoptésen 1790, dirigeait sur place les travaux.

Uniquement par souci d'économie immédiate — mais la situationfinancière était alors particulièrement critique — la Ville de Dijondemanda que quelques-unes de ses rues servent de routes nationalesde façon à faire passer leur entretien à l'État. C'est le 22 prairialan VII (10 juin 1799) qu'elle prit position, par une lettre adresséeaux députés de la Côte-d'Or pour leur demander d'intervenir auprèsdu ministre de l'Intérieur, alors chargé des Travaux publics.

« II s'agit de régler la partie de nos rues faisant grandes routesdont l'entretien doit être à la charge du gouvernement ». L'admi-nistration départementale avait établi deux marchés ou « délivrances»pour l'entretien des grandes routes sur la commune de Dijon ;le premier avait été établi en considérant comme grandes routesdes rues de la ville ; le second prévoyait « l'entretien des cheminscouverts qui environnent la ville». Le Ministère de l'Intérieur n'avaitpris aucune décision. La Ville demandait à chaque député d' « agirauprès du Ministre pour le déterminer à opter pour la délivrance àla charge de l'entretien du pavé des rues qui aboutissent auxgrandes routes de préférence à celle qui est à la charge de l'entretiendes chemins couverts », bien que le dernier devis fut moins cher.La Ville se déclarait financièrement incapable de rétablir ses ruesdevenues impraticables et « l'état de dégradation où elles se trouventne vient de ce qu'elles sont continuellement fréquentées par laPoste et par les messageries » *. Il est plutôt à croire qu'avec ledésordre qui caractérisa le Directoire, la Ville n'avait pu fairerespecter l'interdiction d'entrer aux « voitures et guimbardespassant en transit ».

La rue Jean-Jacques Rousseau élargie et rectifiée pour mettreen valeur l'entrée de l'Hôtel-de-Ville, la rue La Monnoye élargieelle aussi et également pour dégager l'Hôtel-de-Ville, constituaientun beau prolongement pour la route de Largres et elles furentdonc classées comme route nationale (royale ou impériale selonles régimes).

Il y avait encore deux étranglements qui disparurent vite :la vieille porte Saint-Nicolas qui était un obstacle par son étroitesse,fut démolie en 1810 2 ; la Sainte-Chapelle et son cloître furentaussidémolis et à l'emplacement de ce dernier s'éleva le Théâtre, entreprisen 1810, terminé en 1828 et bien aligné sur l'hôtel de la Goutte,

1. Arch. mun., I D 1-17.2. C'était la porte du milieu du xve siècle, en forme de tour ; l'avant-porte,

du milieu du xvie siècle, très gênante aussi pour la circulation fut seulementdémolie avec le bastion Saint-Nicolas en 1847 (R. GAUCHAT, Le débasiionnementde Dijon, dans Mém, de la Commission, t, XXII, 1940-1946, p, 362 et 363),

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RUE LA MONNOYE 387

En 1830, la mairie quitta l'immeuble de la rue Jeannin pour allers'installer au Palais des États et les Archives départementalesprirent sa place. Mais la circulation avait pris l'habitude d'emprun-ter cet axe et deux élargissements eurent encore lieu.

Le transfert des Halles aux Jacobins en 1807 avait permis ladémolition des anciens bâtiments. Les constructions qui s'élevèrentà leur emplacement sous Louis-Philippe et Napoléon III le furenttrès en retrait et le Coin des cinq rues fut dégagé en rognant deuxmaisons de cet îlot en 1894. Enfin le dernier côté de la rue LaMonnoye qui n'avait pas bougé depuis le xm e siècle fut reculéà son tour en 1865 et aligné sur la façade des Archives.

L'axe Jean-Jacques-Rousseau - La Monnoye avait donc prisl'aspect sous lequel il fut connu pendant un siècle. Mais le trafics'accroît toujours. Le double crochet qu'impose l'emprunt surquelques mètres de la rue Jeannin devient incompatible avec lenombre et surtout le gabarit des véhicules. On a envisagé unenouvelle rectification : prolonger la rue La Monnoye jusqu'à larue Chaudronnerie et élargir la rue Auguste-Comte. La premièrepartie du projet a été réalisée de septembre 1969 à février 1970et cette « percée La Monnoye », au cœur du « secteur sauvegardé »a fait couler beaucoup d'encre.

C'est sans doute le tracé définitif de cet axe dont l'histoire estinstructive : pendant des siècles il n'y a pas eu de jonction entre— pour employer les noms modernes — la place du Théâtre et larue Jean-Jacques. Cette jonction a été réalisée involontairement, sil'on peut dire, non pas pour elle-même, mais pour faciliter l'accès àl'Hôte -de-Ville et cet axe s'est toujours ressenti de la façon frag-mentaire dont il avait été conçu et réalisé.