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Préface de Luc Montagnier La microbiologie, de ses origines aux maladies émergentes Jean-Pierre Dedet UniverSciences

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  • Prface de Luc Montagnier

    La microbiologie,de ses origines

    aux maladiesmergentes

    Jean-Pierre Dedet

    Sida, Ebola, SRAS, grippe aviaire, Chikungunya, autantde menaces qui nous confortent dans lide que lesmicrobes sont sources de prils. En ralit, les micro-organismes existaient ds lorigine de notre planteet ils ont contribu la formation de ses diffrentsmilieux. Acteurs essentiels de notre environnement,ils sont dincontournables gnrateurs de vies.Pourtant mme si les microbes sont prsents depuisdes temps immmoriaux, lhomme nen a connais-sance que depuis peu. La Microbiologie est unescience toute rcente, lhistoire trs dense, au rledcisif dans lavnement du monde moderne.Comment naquit la thorie microbienne des mala-dies ? Comment lindustrie agroalimentaire a-t-elletir profit des micro-organismes ? Quel fut limpactde la micobiologie nouvelle sur la mdecine et lachirurgie modernes ? Comment voluera la relationde lhomme avec les microbes ? Voici quelques-unesdes nombreuses questions auxquelles rpond cetteHistoire de la Microbiologie. Outil indispensable la culture gnrale des mde-cins, des pharmaciens, des vtrinaires et des biolo-gistes, ce livre sadresse, au-del, un public pluslarge curieux de connatre les thories, les dcouverteset les figures qui ont jalonn cette pope.

    UNIVERSCIENCESJean-Pierre Dedet

    LA MICROBIOLOGIE, DE SES ORIGINES AUXMALADIES MERGENTES

    JEAN-PIERRE DEDET

    est professeur deParasitologie laFacult de Mdecinede Montpellier, chef de service auCHU de Montpellier et responsable duneUnit de RechercheCNRS-UniversitMontpellier 1. Il est membre de lAcadmie desSciences dOutre-Mer.

    PHYSIQUE

    MATHMATIQUES

    CHIMIE

    SCIENCES DE LINGNIEUR

    INFORMATIQUE

    SCIENCES DE LA VIE

    SCIENCES DE LA TERRE

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    6493902ISBN 978-2-10-050806-8 www.dunod.com U

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    NordCompoFichier en pice jointe9782100498068_couverture.jpg

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    icrobiologie,de ses origines

    aux maladiesmergentes

    pI-IVDedet Page I Lundi, 11. dcembre 2006 10:51 10

  • pI-IVDedet Page II Lundi, 11. dcembre 2006 10:51 10

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    icrobiologie,de ses origines

    aux maladiesmergentes

    Jean-Pierre Dedet

    Professeur de Parasitologie la Facult de Mdecine de Montpellier(Universit Montpellier 1), chef de service du Laboratoire de Parasitolo-gie-Mycologie du CHU de Montpellier, et directeur de lUnit Mixte deRecherche 5093 (CNRS-Universit Montpellier 1) Biologie molculaireet gnome des protozoaires parasites , directeur du Centre National de

    Rfrence des

    Leishmania

    et du Centre Collaborateur OMS pour lesLeishmanioses, membre de lAcadmie des Sciences dOutre-Mer.

    Prface de Luc Montagnier

    pI-IVDedet Page III Lundi, 11. dcembre 2006 10:51 10

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    AUTEUR

    :

    Les Instituts Pasteur doutre-mer : cent vingt ans de microbiologie franaisedans le monde

    , LHarmattan, 2000.

    Les leishmanioses,

    Ellipses, 1999 (coord. par).

    Illustrations de couverture :

    Le colibacille

    Escherichia coli

    , en microscopie lectronique. Cette bactrie commune du tube digestif, dont certaines souches peuvent tre trs pathognes, est l'espce bactrienne la plus tudie car elle sert

    de modle d'tude pour les gnticiens.

    Institut Pasteur

    Dunod, Paris, 2007ISBN 978-2-10-050806-8

    pI-IVDedet Page IV Lundi, 11. dcembre 2006 10:51 10

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    Table des matires

    PRFACE XIII

    AVANT-PROPOS XIX

    CHAPITRE 1 DES MIASMES AUX MICROBES : PRHISTOIRE DE LA MICROBIOLOGIE 1

    CHAPITRE 2 PASTEUR ET KOCH : LA NAISSANCE DE LA MICROBIOLOGIE 13

    Louis Pasteur 13Ltude des fermentations 15La controverse sur la gnration spontane 16Les maladies des vers soie 20Bacille du charbon et vibrion septique 21Le cholra des poules et lattnuation de la virulence 24La vaccination antirabique 27

    Robert Koch 32Ltude du charbon 32Les avances techniques 33Les dcouvertes cardinales : bacilles tuberculeux et cholriques 34

    Dedet Livre Page V Jeudi, 30. novembre 2006 3:17 15

  • VI Table des matires

    Les postulats de Koch 37La tuberculine 37Les maladies tropicales 39

    Les apports de Pasteur et de Koch 40

    CHAPITRE 3 VOLUTION DES COLES FRANAISE ET ALLEMANDE 45

    Lcole pastorienne et lInstitut Pasteur 46Les Instituts Pasteur doutre-mer 52Albert Calmette et la srothrapie antivenimeuse 55Alexandre Yersin et la peste 55

    Le dveloppement de la Microbiologie en France, hors Institut Pasteur 57

    Lcole allemande 59Les disciples de Robert Koch 59Lusage des colorants en Bactriologie 65Le pneumocoque et la coloration de Gram 65Le gonocoque 67Escherich et la flore bactrienne intestinale 67

    La srothrapie : une mise au point franco-allemande 68

    La Microbiologie europenne hors de France et dAllemagne 73Almroth Wright 74La fivre de Malte 75La Mdecine tropicale 76

    Les dbuts de la Microbiologie outre-atlantique 77

    CHAPITRE 4 DE LANTISEPSIE LA VACCINATION : LES GRANDES TAPES DE LA PRVENTION DES MALADIES INFECTIEUSES 81

    John Snow et la transmission du cholra 82Ignace Semmelweis, un prcurseur mconnu 83La dcouverte du streptocoque et du staphylocoque 84Joseph Lister et lantisepsie 86Lasepsie 88

    La vaccination 92La variolisation 93Jenner et la vaccination 94Pasteur et lattnuation des microbes 98

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  • Table des matires VII

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    Wright et les vaccins bactriens tus 98Albert Calmette et le BCG 99Gaston Ramon : anatoxines, adjuvants de limmunit

    et vaccinations associes 102Les vaccins antipoliomylitiques 103Les vaccins daujourdhui et de demain 105

    CHAPITRE 5 LES DVELOPPEMENTS DE LA BACTRIOLOGIE DANS LA PREMIRE MOITI DU XXE SICLE 109

    Charles Nicolle, du germe au milieu 110

    Lpidmiologie des maladies vectorielles 115

    Apports mitigs de la srothrapie anti-pneumococcique 116

    La classification des streptocoques 119

    Les salmonelles 120

    La raction de fixation du complment 122

    CHAPITRE 6 MICROBES AU SERVICE DE LHOMME : LA DOMESTICATION DE LUNIVERS MICROBIEN 125

    Le rle des bactries dans la nature 127

    La prservation des aliments 130

    La lutte biologique 131Lutte biologique contre les rongeurs 131Lutte biologique contre les insectes 133

    CHAPITRE 7 LE DVELOPPEMENT DE LA VIROLOGIE 137

    Les virus filtrants 137

    Les bactriophages 140

    Les dveloppements techniques 142

    Les apports de la Biologie molculaire 145

    Les maladies infectieuses virales 147

    Les vaccins antiviraux et les grandes campagnes dradication 149

    Les virus mergents 152

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  • VIII Table des matires

    Loncogense virale 155

    Le sida 158

    Des maladies aux frontires de linfection 161

    Quel avenir pour les virus ? 162

    CHAPITRE 8 DE LA CHIMIE MICROBIENNE LA GNTIQUE MOLCULAIRE DES MICRO-ORGANISMES 165

    Le bacille typhodique et la biochimie bactrienne 166

    Lenzymologie microbienne 167

    La gntique microbienne 169

    LADN support de lhrdit 172

    La dcouverte des mcanismes de la synthse des protines 175

    La rgulation gntique de la synthse protique 176

    De lenzymologie lingnierie gntique 178

    Le squenage des gnomes microbiens 179

    CHAPITRE 9 DE LA QUININE AUX ANTIBIOTIQUES : LES GRANDES TAPES DE LA THRAPEUTIQUE ANTI-MICROBIENNE 183

    Les substances naturelles 185La quinine 185Larmoise 188Lhuile de chaulmoogra 189Autres substances naturelles 190

    Les mtaux et les antiseptiques 190Lantimoine 190Larsenic 191Le bismuth 192Le mercure 192Les antiseptiques 192

    Les dbuts de la chimiothrapie anti-infectieuse 194Paul Ehrlich 194Ernest Fourneau 197Les sulfamides et les sulfones 199

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  • Table des matires IX

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    Les antibiotiques 201La pnicilline 201La streptomycine 205Recherche systmatique 208

    Les antiviraux 209

    CHAPITRE 10 LES MICROBES CONTRE LHOMME : LA GUERRE BIOLOGIQUE 213

    La guerre biologique avant les dbuts de la Microbiologie 214

    La guerre biologique durant les deux Guerres mondiales 215

    La guerre biologique de 1945 1972 218

    CONCLUSION 225

    REMERCIEMENTS 229

    BIBLIOGRAPHIE 231

    CHRONOLOGIE DES GRANDES DCOUVERTES EN MICROBIOLOGIE 235

    LISTE DES PRIX NOBEL ATTRIBUS DES MICROBIOLOGISTES 241

    INDEX DES NOMS DE PERSONNES 245

    INDEX DES NOMS DE GERMES, MALADIES ET PRODUITS 255

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  • Dedet Livre Page X Jeudi, 30. novembre 2006 3:17 15

  • mes enfants, Vincent,Laurence, Guillaume et Antoine

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  • Dedet Livre Page XII Jeudi, 30. novembre 2006 3:17 15

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    Prface

    Il est difficile dimaginer quil y a seulement deux sicles, on ignoraitencore tout dun monde biologique invisible, la fois indispensable notre vie et pourtant si souvent dvastateur, celui des microbes. Cesont des innovations techniques dont le microscope ainsi que lapatience et le gnie de quelques savants du XIXe sicle, qui ont permisla dcouverte de ce nouveau Monde des bactries et des virus et, peu peu, sa matrise.

    Indispensables notre vie car, sans les transformations bactriennes,notre sol notre terre serait inerte et impropre la croissancedes plantes. Sans la colonisation bactrienne de notre intestin, nosdigestions ne seraient pas acheves. Aujourdhui, les bactries domes-tiques nous permettent deffectuer des fermentations contrles pourles produits alimentaires, et de produire en grande quantit des protinesutiles en thrapeutique.

    Mais les bactries taient aussi de redoutables parasites, causantautrefois des pidmies gravissimes de maladies mortelles, rendantdangereuses toute blessure, toute intervention chirurgicale.

    Lhistoire de la microbiologie, cest avant tout une aventure humaineaux multiples tapes, gravissant petit petit une chelle de connaissan-ces de plus en plus leve, permettant lespce humaine de saffranchirdes plus grands dangers causs par les bactries et les virus.

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  • XIV Prface

    Cette histoire, le Professeur Jean-Pierre Dedet nous la fait revivredune faon magistrale, la fois attractive pour le lecteur le moinsaverti et instructive pour les tudiants en Biologie et en Mdecine maisaussi pour les spcialistes curieux den connatre un peu plus sur lla-boration de nos connaissances et sur lorigine des progrs dont ilsbnficient dans leur pratique quotidienne.

    Deux figures dominent la fin du XIXe sicle en microbiologie, cellede Louis Pasteur en France et celle de Robert Koch dans la toute nou-velle Allemagne de lpoque. Leurs relations ntaient pas bonnes,pour des raisons extrascientifiques, la guerre de 1870 tait passe parl Mais malgr tout, cest la connaissance scientifique qui a triom-ph et Koch finit par accepter la vaccination contre la rage. Leurscontributions respectives et celles de leurs disciples sont dcrites dansce livre avec objectivit.

    En ce temps-l, les microbiologistes nacceptaient pas lapplicationdu darwinisme leurs petites btes et croyaient donc la fixit desespces microbiennes, malgr les attnuations de souches quils obte-naient par leurs vaccins. Et cest pourtant partir des bactries que, undemi-sicle plus tard, la gntique molculaire est ne, tablissantavec les transformations dAvery le rle primordial de lADN commesupport de linformation gntique, et pour certains virus celui delARN, avec les expriences dARN infectieux de Fraenkel-Conrat etde Gierer et Schramm.

    Ce sont aussi partir de systmes bactriens que sont ns les conceptsde prophage, tendus par la suite aux virus des eucaryotes, puis lespremiers modles de rgulation de linformation gntique avecMonod et Jacob et la dcouverte des enzymes de restriction par Arberqui allait permettre le clonage molculaire et lessor de lingnieriegntique.

    Aujourdhui, les bactries qui ont reu des gnes humains fabri-quent des protines utiles en Mdecine, telles linsuline, linterfron,des anticorps monoclonaux, des facteurs de croissance.

    Les craintes exprimes par les chercheurs eux-mmes, que cesmicrobes modifis nchappent tout contrle et crent des catastro-phes cologiques, ne se sont pas vrifies, grce des mesures strictesde confinement. Mais le danger vient dailleurs : il vient de lextraor-dinaire capacit de variation, donc de rsistance, des virus et bactriesaux actions que lhomme a menes contre eux et aussi des nouvellesoccasions que nous leur offrons par la mondialisation et par lexpan-

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  • Prface XV

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    sion incontrle de populations humaines sagglutinant en bidonvillesautour de villes gantes o les rgles lmentaires dhygine ne sontplus appliques. Les vecteurs de virus et bactries, rats et oiseaux, pul-lulent dans les montagnes de dchets, les poux de tte rapparaissentdans les coles (oui, dans nos coles), les malades hospitaliss meu-rent dinfections nosocomiales polyrsistantes aux antibiotiques ousont traumatiss vie ; des bacilles tuberculeux multirsistants fontdes ravages dans les prisons russes.

    La facilit des voyages donne lieu des transhumances massives duNord vers le Sud en priode estivale et, tout moment, la globalisationdes changes, notamment des produits de lagriculture, permet unva-et-vient incessant de germes. Ainsi que lavait prdit le PastorienCharles Nicolle dans les annes 1920, de nouvelles pidmies appa-raissent, SIDA, SRAS, Chikungunya, grippe aviaire et la liste nestprobablement pas termine.

    En fait, il faut sattendre une lutte perptuelle entre les attaquants,les microbes, et les attaqus, nous les humains. Certes, nous possdonsde puissantes dfenses, le bras inn et le bras acquis du systme immu-nitaire, les interfrons contre les virus, un meilleur quilibre nutritionnelquautrefois. Grce en plus aux vaccins, aux antibiotiques, les mala-dies infectieuses aigus ont recul mais leurs germes ne sont pas loin,mise part la variole qui a t radique par la vaccination. La chutede la couverture vaccinale au moment de lcroulement de lURSS aentran un retour de la diphtrie chez les enfants de ces pays.

    Certes, au cours du XXe sicle, la balance a t largement en notrefaveur. La population mondiale a plus que tripl du dbut la fin de cesicle et ceci en grande partie grce aux progrs de la mdecine et delhygine antimicrobienne. Lesprance de vie moyenne la naissancea fait un bond norme, du fait notamment de la diminution de la mor-talit infantile. une exception prs cependant, qui doit nous imposerde rester vigilants : celle des pays o le SIDA a une grande prvalence,lesprance de vie a diminu de 15 ans.

    Mais il ne faut pas sattendre des gains aussi importants dans lesicle qui commence. Dabord parce que nous nous rapprochons denos limites gntiques. Ensuite parce que la malnutrition lie la sura-bondance et au marketing entrane des dcs prmaturs par accidentcardiovasculaire ou crbral. Enfin, parce que nos microbes trou-vent des parades de plus en plus subtiles : aprs lapparition de gnesde multi-rsistance aux antibiotiques, vient le temps des biofilms rsis-tants la pntration des anticorps et des antibiotiques, et peut-tre

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  • XVI Prface

    demain, celui de nanoformes invisibles au systme immunitaire ettraversant les filtres les plus fins, sans parler des micro-bactries intra-cellulaires, Borellia, Bartonella et autres Chlamydia.

    Ainsi, les bactries ont-elles trouv le moyen de persister danslorganisme et dy causer des dgts peut-tre plus longs apparatremais tout aussi dvastateurs : cancer (Helicobacter pylori), plaquesdathrome (Chlamydia) et probablement aussi les maladies neuro-dgnratives : Alzheimer, Parkinson, sclrose en plaque. Il nousappartient de trouver des ripostes efficaces essentiellement prven-tives ces menaces, sinon la socit va se dpeupler en jeunes actifset saccrotre en retraits grabataires perclus de rhumatismes, ou aucerveau ramolli. Une socit invivable et non viable.

    La recherche en microbiologie a donc encore un grand futur devantelle, et il est dplorable que de moins en moins de jeunes chercheurs etmdecins se tournent vers cette discipline. Il y a encore de grandesdcouvertes faire !

    Puisse ce livre contribuer renverser ce courant.

    Professeur Luc Montagnier

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  • Il faut de temps en temps rcrire lhistoire non pas parce quondcouvre des faits nouveaux, mais parce quon aperoit des aspectsdiffrents, parce que le progrs amne des points de vue qui lais-sent apercevoir et juger le pass sous des angles neufs.

    Johann Wolfgang von Goethe

    On ne connat bien une science que si lon en connat lhistoire Auguste Comte

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    Avant-propos

    Tout le monde sait ce que sont les microbes, des micro-organismesvivants de trop petite taille pour tre vus lil nu et qui ncessitentdtre examins au microscope : virus, bactries, algues, champignonset protozoaires. Chacun a appris ses dpens que les microbes taientsources de maladies. Larrive des nouvelles pidmies (fivres hmor-ragiques dans les annes 1970, Sida dans les annes 1980, hpatite Cdans les annes 1990, SRAS et grippe aviaire dans les annes 2000)na fait que conforter lhomme de la rue dans cette ide. Ces derniresannes, des alertes au bioterrorisme, plus ou moins fondes mais large-ment relayes par les mdias, ont dramatiquement contribu accentuerla peur des microbes.

    Mais peu de gens savent que de trs nombreux microbes jouent unrle bnfique important dans la nature, chez les tres vivants et jusquedans notre vie quotidienne. Les micro-organismes existaient ds lespremiers temps de lhistoire de notre plante, au cours desquels ils ontcontribu la formation de divers milieux. Ils sont des acteurs essen-tiels de notre environnement et des lments indispensables la vie. Ilsse trouvent lorigine de toutes les chanes alimentaires. Les micro-organismes furent aussi, et sont encore, responsables de nombreusesmaladies humaines, animales ou vgtales, dont le poids social et co-nomique fut parfois, ou est encore, considrable.

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  • XX Avant-propos

    Si les microbes sont prsents depuis des temps immmoriaux,lhomme nen a eu connaissance que depuis peine un sicle et demi.Cette prise de conscience toute rcente a succd de longs siclesdignorance et de mconnaissance. La Microbiologie est une science,dont les balbutiements remontent au XVIIe sicle, lorsque Leeuwenhoek,dcouvrant le microscope en 1675, dmontra lexistence des micro-organismes. Mais il fallut attendre le XIXe sicle pour que leur rledans les maladies humaines et animales soit rvl.

    Lhistoire de la Microbiologie est certes phmre lchelle delhumanit, mais si courte soit-elle, cette histoire est extrmement dense.Des avances mmorables ont t accomplies en un temps sommetoute rduit. Il est remarquable quil ait fallu si peu de gnrationspour passer de la thorie microbienne des maladies lexplication desmcanismes infectieux au niveau molculaire. La dmarche expri-mentale qui incarne lapoge de la pense occidentale rationnelle etlogique, a eu un rle dcisif dans lavnement du monde moderne. Ence sens, le dveloppement de la Microbiologie a eu des consquencesdterminantes pour lhumanit. La Microbiologie a eu un impactnorme sur lessor dautres disciplines, telles que lcologie, lImmu-nologie, la Gntique, la Biochimie et la Biologie molculaire. Elle estfondatrice de la Biologie moderne et a donn lieu de multiples appli-cations dans les domaines de la Mdecine, de la Sant animale, delAgronomie et de lindustrie. Elle a contribu de manire remar-quable lamlioration de la sant et de lalimentation humaine etanimale. Environ le tiers des prix Nobel de Physiologie et Mdecinefut attribu des scientifiques travaillant dans le domaine de la Micro-biologie.

    Or, malgr un palmars aussi positif, la Microbiologie souffre dunemconnaissance prjudiciable. Peu de livres ont t consacrs sonhistoire. En France, tout particulirement, aucun ouvrage de synthsenest disponible. Ce paradoxe peut tre attribu au fait que luvremagistrale de Louis Pasteur a longtemps focalis, de faon presqueexclusive, une attention un peu chauvine et occult les grandes dcou-vertes ralises dans dautres pays.

    Notre objectif est de brosser une histoire de la microbiologie et deses diffrents domaines. Une telle tude ne saurait malheureusementtre que sommaire, compte tenu de la diversit des champs couvrir etde la multiplicit des dcouvertes embrasser. Nous souhaitons mal-gr tout faire uvre utile en comblant une lacune regrettable et enrhabilitant une discipline mconnue. Mais avant dentrer dans le vif

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  • Avant-propos XXI

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    du sujet, il nous parat important en pralable de bien faire saisir luni-versalit du monde des micro-organismes.

    Lapparition des micro-organismes la surface de la plante estsans doute contemporaine du commencement de la vie, comme ledmontrent les stromatolithes fossiliss, roches stratifies formes parincorporation de minraux dans des tapis bactriens. Les micro-organismes ont contribu la formation de divers milieux. Ils sontimpliqus dans les dpts de minerais, tels le carbonate de sodium oules minerais de fer, et la formation des combustibles. Le charbonrsulte ainsi de la carbonisation de matires vgtales par certainesbactries, il y a deux cents millions dannes. Les hydrocarbures ontune origine organique et procdent de la dcomposition du planctonmarin sous laction de bactries anarobies.

    Les micro-organismes sont prsents dans tous les milieux naturels,quils soient terrestres, aquatiques ou ariens. Ils sont prsents dans lesol o un gramme de terre fertile contient cent millions de bactries.Celles-ci constituent probablement le composant le plus important dela biomasse terrestre et ont t dtectes jusqu 400 mtres sous terre.Dans les ocans et les mers, les micro-organismes se rencontrent jusquonze kilomtres de profondeur. Dans les airs, ils sont prsents jusqu unkilomtre du sol. On a mme recueilli des spores de bactries et dechampignons dans latmosphre jusqu trente-deux kilomtres de laterre.

    Des micro-organismes existent mme dans les milieux extrmes.Les bactries thermophiles peuvent vivre 110 C ; les bactries psy-chrophiles sont adaptes au froid et se trouvent jusque dans les milieuxpolaires. Les micro-organismes halophiles sont adapts aux milieux sals,et mme la Mer Morte, la salinit excessivement leve, contientlevures et bactries. Des espces barophiles rsistent de fortes pres-sions. Certains micro-organismes tolrent lacidit, dautres les milieuxalcalins. Il existe des bactries dans les volcans sulfureux ou dans lessources hydrothermales sous-marines acides, chaudes et riches ensulfures.

    Les bactries interviennent dans les cycles de vie fondamentaux :cycles de lazote, du carbone, de loxygne, du soufre, tous lmentschimiques indispensables aux organismes vivants. Les bactries dni-trifiantes restituent lair de lazote du sol ou des plantes, cependantque les bactries fixatrices dazote le rendent utilisable par les plantes.Divers micro-organismes contribuent restituer le gaz carbonique latmosphre partir de la matire organique issue de la putrfaction

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  • XXII Avant-propos

    de diverses matires. De mme, les bactries sulfureuses transformentle sulfure issu de la putrfaction des organismes morts en sulfate, uneforme rutilisable par les plantes.

    Les tres vivants, animaux ou vgtaux, portent des multitudes demicro-organismes la surface de leur revtement cutan et muqueux etdans leurs cavits naturelles. Dj Antonie Van Leeuwenhoek, grandobservateur de micro-organismes, notait plaisamment : Mon juge-ment personnel est que les tres vivants que je porte dans ma proprebouche (mme si je la lave !) sont plus nombreux que toute la popula-tion des Pays-Bas . La plupart de ces micro-organismes participentactivement la digestion animale. Certains aliments ingrs par lesanimaux ne sont pas digrs directement par eux, mais ont besoin debactries ou de protozoaires pour que leur digestion soit effectue.Lestomac des ruminants est un milieu rempli de micro-organismes,grce auxquels la cellulose de lherbe est digre. De mme, danslintestin des termites, des bactries dcomposent la cellulose conte-nue dans le bois rong.

    Lintestin humain contient entre 300 et 500 espces diffrentes debactries, dont le nombre est dix fois suprieur au nombre de cellulesdu corps. Ces bactries sont principalement localises dans le grosintestin, o leur concentration atteint 1011 1012 par gramme decontenu luminal. Les bactries anarobies y sont 100 1 000 fois plusnombreuses que les arobies. La colonisation du tractus gastro-intesti-nal de lhomme commence ds sa naissance et se complte dans lespremiers jours de la vie. La microflore intestinale contribue la diges-tion par absorption de nutriments et apporte de lnergie. Les micro-organismes rsidants jouent galement un rle important dans les syn-thses vitaminiques, par exemple celles des vitamines B12 et K, etdans labsorption de certains ions, en particulier le calcium, le magn-sium et le fer. La flore intestinale a en outre un rle protecteur impor-tant par son effet trophique sur lpithlium intestinal et son influencesur le systme immunitaire. Elle joue galement un rle efficace debarrire vis--vis des agents infectieux exognes.

    Si la plupart des micro-organismes prsents chez les tres vivantsont un rle bnfique, un petit nombre dentre eux est responsable demaladies. Ils peuvent en effet envahir les organes profonds dans les-quels leur dveloppement actif est source de maladie. Certaines de cesmaladies infectieuses ont reprsent et reprsentent encore parfois devritables flaux pour lhomme, lanimal ou le monde vgtal. Enfinles micro-organismes peuvent se parasiter les uns les autres, formant

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    des systmes intriqus dans lesquels les interactions entre partenairessont parfois difficiles dmler.

    Pourtant, malgr limportance des micro-organismes dans les diff-rents processus vitaux et dans les phnomnes pathologiques, leurexistence a t ignore pendant des sicles, leur rle dans la nature etchez les tres vivants totalement mconnu. Le concept mme de mala-die infectieuse ne fut que tardivement acquis, au XIXe sicle, bien queles agents infectieux accompagnassent lhomme depuis son origineet que les maladies quils engendrent fissent partie de ses misres.Quelques grandes maladies infectieuses ont profondment marqulhumanit une priode donne, par le nombre massif de sujetsatteints et par limpact socio-conomique et politique majeur quellesont pu avoir. Elles peuvent tre considres comme emblmatiquesdune priode donne. Citons par exemple la peste et la lpre auMoyen ge, la syphilis la Renaissance, la variole lpoque classi-que (XVIIe et XVIIIe sicles), la tuberculose lre de la rvolutionindustrielle et du romantisme (XIXe sicle) et le Sida au XXe sicle.

    Non seulement les grandes pidmies firent des hcatombes, tellela deuxime pandmie pesteuse, responsable entre 1345 et 1352 de ladisparition denviron la moiti de la population dEurope, mais encoreles maladies infectieuses affectaient lhomme au quotidien. Ainsi, auXVIIIe et XIXe sicles, les infections puerprales avaient des taux demortalit de 10 30 % dans les cliniques et les maternits, la tubercu-lose tait la cause du dcs dun Europen sur quatre, alors que ladiphtrie reprsentait la premire cause de mortalit infantile urbaine.

    Louvrage que nous prsentons ne concerne pas directement lhis-toire des maladies infectieuses, mais celle des micro-organismes quien sont responsables. Il se propose de suivre lvolution des ides etdes concepts sur les microbes et les maladies dont ils sont responsa-bles, sur les mthodes mises au point pour les dceler et les produitspour les combattre. Il aborde les applications fructueuses quont gn-res ces connaissances et leurs prolongements vers dautres disciplines.

    Les premiers chapitres suivent un ordre chronologique. Ainsi, lesges prcdant Louis Pasteur et Robert Koch correspondent ce quonpourrait appeler la prhistoire de la microbiologie (chapitre 1). Denombreuses thories sy sont affrontes pour tenter dexpliquer lesmaladies infectieuses, avec la double limitation doutils dinvesti-gation pratiquement inexistants et dune absence de rigueur dans lesdogmes en cours cette poque. Avec Pasteur et Koch, au cours de

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  • XXIV Avant-propos

    la deuxime moiti du XIXe sicle, nous assistons la naissance de laMicrobiologie et tout particulirement lessor de la Bactriologie(chapitre 2). Les dcouvertes de ces deux savants ont marqu un chan-gement profond dans la pense mdicale de lpoque, et pas seulementdans le domaine des maladies infectieuses. Les coles franaise etallemande quils fondrent essaimrent dans le monde (chapitre 3).Depuis cette priode, une remarquable moisson de dcouvertes futfaite dans les diffrents domaines de la Microbiologie et la premiremoiti du XXe sicle fut marque par un dveloppement remarquablede la Bactriologie (chapitre 5).

    La diversification des dcouvertes devint rapidement si riche, quilest impossible de suivre ensuite le seul ordre chronologique. Cestpourquoi nous avons ensuite regroup par thme lvolution des ideset les avances des connaissances. Les grandes tapes de la prventiondes maladies infectieuses, de lantisepsie la vaccination, sont abordesau chapitre 4. La domestication de lunivers microbien, en particulierson utilisation dans le domaine agroalimentaire et dans la lutte bio-logique, est analyse ensuite (chapitre 6). Lhistoire de la Virologie estaborde indpendamment (chapitre 7). La Biologie molculaire doitson existence la Bactriologie ; ce titre lhistoire de sa naissancetrouve toute sa place dans cet ouvrage (chapitre 8). Les grandes tapesde la Thrapeutique anti-microbienne sont rsumes dans le chapitre 9.Enfin, si les microbes ont t couramment utiliss par lhomme pourdes applications utiles, ils ont fait parfois lobjet demplois nfastes,dirigs contre lui, un sujet dune actualit brlante abord au chapi-tre 10. Enfin, le lecteur intress par les repaires temporels comparatifstrouvera, la suite de la bibliographie, une chronologie des principalesdcouvertes faites en microbiologie et la liste des Prix Nobel attribus des microbiologistes. Deux index permettront de retrouver les nomsdes acteurs cits, personnes dune part et microbes ou maladies dautrepart.

    Une histoire de la microbiologie est certainement un lment fonda-mental dans la culture gnrale des mdecins, des pharmaciens, desvtrinaires, et plus largement des biologistes de notre poque. Maisau-del, elle sadresse un public plus gnral auquel nous souhaitonsfaire partager son univers merveilleux, les dcouvertes qui ont jalonnses diverses tapes, et les figures qui les ont marques. Notre objectifserait atteint si nous avions pu veiller la curiosit du lecteur, captiverson attention, rpondre ses questions.

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    Chapitre 1

    Des miasmes aux microbes : prhistoire de la

    Microbiologie

    Les maladies infectieuses ont de tout temps accompagn lhomme,mais celui-ci ne le sait que depuis peine plus dune centaine dannes,nous lavons dit. Les manifestations cliniques des maladies infectieu-ses ne furent, sauf cas particulier, que tardivement individualises etleurs causes restrent ignores jusquau milieu du XIXe sicle, poquede la naissance de la Microbiologie.

    Il ne fait aucun doute que les maladies infectieuses ont exist depuisla prhistoire, mais leur rle y est le plus souvent mconnu. Quelhomme prhistorique ait pu tre dvor par lours ou le lion ntonnegure, par contre, lide quil ait pu succomber aux maladies infectieu-ses nous est moins familire. Pourtant, la preuve de leur existence ences ges lointains existe pour certaines dentre elles, dont les lsionsspcifiques ou plus rarement les agents infectieux sont retrouvs surles ossements ou sur les momies. Ainsi, des caries dentaires ont tdtectes sur des fossiles hominiens du plistocne. Des lsions osseu-ses de tuberculose ont t dcouvertes sur des squelettes et des ufs duver nmatode Trichuris trichiura dans lintestin de la momie du glacier

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  • 2 1 Des miasmes aux microbes

    alpin dOtztal datant du nolithique (environ 5000 av. J.-C.). Des crnesde notables gyptiens ensevelis au IIe sicle av. J.-C. montraient deslsions spcifiques de lpre. Des ufs calcifis du ver plat Schistosomaont t trouvs dans des momies gyptiennes de lpoque pharaoniqueet des lsions viscrales typiques de la trypanosomose amricaine, oumaladie de Chagas, ont t dcrites dans des populations anciennesvivant au nord du Chili en Amrique du Sud quelque 2000 ans av. J.-C.

    Certaines maladies infectieuses ont des caractres cliniques suffi-samment strotyps et des symptomatologies suffisamment vocatricespour avoir fait lobjet de descriptions anciennes. Ainsi au deuximemillnaire av. J.-C., une maladie assimilable au cholra est cite dansla littrature vdique sanskrite et la rage figure en Msopotamie dans leCode Eshunna. Lhmaturie de la bilharziose urinaire est signale dansle papyrus Ebers en gypte, 1500 ans av. J.-C. La peste est voque plusieurs reprises comme un flau majeur dans lAncien Testament,sans que lon soit trs sr quil sagisse exactement de ce que nousnommons aujourdhui la peste. Dailleurs lpidmie de peste quiravagea Athnes vers 430-429 av. J.-C., ressemble davantage autyphus exanthmatique, selon le rcit quen fit Thucydide. Les fivrespaludennes se trouvent clairement identifies chez le mdecin grecHippocrate (460-370 av. J.-C.). La rage tait connue de Dmocrite etdAristote, deux auteurs grecs du IVe sicle av. J.-C., et Celse, auteurlatin du Ier sicle av. J.-C., en donna une bonne description clinique etprconisa de cautriser au fer rouge les morsures de chiens enrags.

    De mme, les maladies ruptives ou celles expression cutanedominante furent dcrites prcocement, mme si elles eurent des diffi-cults tre individualises les unes des autres. La lpre est cite danslAncien Testament (Lvitique), dans dantiques traits de mdecineindienne, tel le Sushrata (environ 600 av. J.-C.) et dans les crits deCelse (25 av./37 apr. J.-C.) qui fait galement allusion la rage et auttanos. La variole et la rougeole furent dcrites pour la premire foisen Chine au IVe sicle apr. J.-C., respectivement par Ko Hong (281-340)et Tche Fa Tsouen (vers 307). Plus tard, le mdecin arabe Rhazs(850-925) fit, dans son tude sur les maladies ruptives, une descrip-tion prcise de ces deux maladies et le mdecin chinois Houa Cheouconsacra une monographie ltude de la rougeole dont il dcrivit, auXIVe sicle, les taches blanc bleutre sur la muqueuse buccale.

    Le caractre contagieux de certaines maladies semble avoir tpressenti ds lantiquit grecque, en particulier par un auteur commeHsiode au VIIIe sicle av. J.-C., mais il fut ni par Hippocrate etlcole de Cos, qui croyaient que les pidmies ne pouvaient venir que

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  • Prhistoire de la Microbiologie 3

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    dun air corrompu. La pense hippocratique simposa durant des siclesau corps mdical mditerranen, puis europen, rejetant la contagionavec la force dun dogme incontournable. Mme la pense novatricedu pote latin Varron (Ier sicle av. J.-C.) ne put fconder la croyancede lpoque totalement aveugle par les dogmes hippocratiques.Pourtant, il affirmait dans son De re rustica : l o se trouvent desendroits marcageux, de minuscules animaux se multiplient, qui sontsi petits que lil ne peut les distinguer, mais qui pntrent dansle corps avec la respiration du nez ou de la bouche et provoquent degraves maladies .

    En dpit donc des quelques mentions anciennes que nous venons deciter, la notion de maladie infectieuse tait mconnue des mdecinesantiques. Les maladies infectieuses ne se distinguaient pas des autresmaladies, dont les causes taient expliques suivant les thories encours dans les poques et les civilisations correspondantes. Elles taientgnralement attribues la volont de dieux ou de gnies chtiant lescoupables (Msopotamie, IIe sicle av. J.-C.). En gypte ancienne, lesmaladies taient causes par des dmons subtils vhiculs dans lair,particulirement les jours nfastes. Rome, Fbris, la desse de lafivre, possdait trois temples. Cette conception du chtiment divintraversa les ges, relaye avec une belle constance par les trois grandesreligions rvles : Judasme, Christianisme et Islam, et reste encorefiche dans linconscient collectif des populations les plus dvelop-pes. Dans la Bible dj, depuis le Pentateuque jusquau NouveauTestament, la lpre est de nombreuses fois cite, et toujours associeau surnaturel, limpuret, au pch. Ailleurs, les maladies taient rap-portes laction de facteurs internes, comme un dsquilibre entre lestrois dosas, lments constitutifs du corps (vent, bile et phlegme) danslAyurveda de lInde ancienne, ou entre le souffle (Ki) et le sang(hiue) dans la mdecine chinoise depuis les Han. En France, on parlaitencore, au XVIIe sicle, dhumeurs peccantes . Les maladies furentailleurs attribues des causes externes : miasmes contenus dans lair(Hippocrate), dans le brouillard (Jean de Msu, 776-855) ou encoredans lair et leau (Avicenne, 980-1037).

    En Occident, le Moyen ge se caractrisa par une longue priodedobscurantisme mdical avec une domination de la mdecine parlglise qui imposait le respect inconditionnel de certains dogmes hri-ts de lAntiquit et compatibles avec le monothisme. Tout essai dervision ou de discussion tait considr comme hrtique. JusquauXVIIe sicle, la maladie tait considre comme voulue par Dieu, la

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  • 4 1 Des miasmes aux microbes

    fois chtiment individuel (collectif en cas dpidmie) pour les pchsdes hommes et injonction de faire pnitence et de se prparer mourir.La grande peste tait un flau envoy par Dieu pour chtier les hom-mes davoir pch. Les artistes de lpoque figuraient souvent sur leurstoiles des flches envoyes par Dieu du haut du ciel et frappant lescorps aux lieux de prdilection des bubons pesteux. Cette relation avecle ciel dura jusqu la fin de la deuxime pandmie et joua un rleessentiel dans la lutte contre la maladie. La syphilis de mme demeuralongtemps considre par certains comme une punition divine du pchde luxure.

    Intressant la fois lme et le corps, la maladie relevait du prtreautant, sinon plus, que du mdecin. Au Moyen ge dailleurs, la pra-tique mdicale sapprenait et sexerait au contact des moines. Lesmdecins parlaient latin, taient clercs, et, en tant quhommes dglise,ne pouvaient verser le sang, tche quils rservaient aux barbiers.

    Aux yeux de lglise, la maladie se combattait dabord par la prireet la pnitence : on adressait sa prire Dieu par lintermdiaire de laVierge et des saints. Mais la pit populaire attribuait aux divers saintsplus quun simple pouvoir de mdiateur et voyait en eux de vritablespuissances surnaturelles capables dintervenir directement dans la viedes hommes. Ainsi se dvelopprent les cultes de nombreux saints gu-risseurs, avec parfois des plerinages leurs sanctuaires. Saint Huberttait invoqu contre la rage, saint Roch ou saint Sbastien contre lapeste.

    La conception surnaturelle de la maladie sest maintenue dans lescivilisations traditionnelles. Dans les socits africaines, les maladiessont la signature dune faute, la consquence de la transgression duninterdit, le rsultat dun sort jet. Elles sont dclenches par les dieuxou les mauvais sorciers. Ceux-ci, qui ont le pouvoir denvoter, sontaussi les gurisseurs. Le traitement consiste rechercher do vient lafaute, qui est le responsable, voire le coupable. Mme de nos jours,dans des socits modernes et rationnelles, un fond de superstitiondemeure sur la cause et le traitement des maladies, infectieuses ou non,prt resurgir loccasion, comme ce fut le cas lors de lirruption duSida, au dbut des annes quatre-vingt. Cette maladie, ne touchant audpart apparemment que des homosexuels et des drogus, fut assimi-le par certains ecclsiastiques et dans certaines couches de la popula-tion un chtiment divin provoqu par les murs dissolues du temps.Pour dautres, la maladie tait la ranon prvisible de comportementsdviants, condamnables au regard des normes concernant la sexualittablies par les diffrentes religions. Cette notion de faute lorigine

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    de la maladie tait encore souligne par lexistence de victimes consi-dres comme innocentes : nourrissons ns de mres infectes ouhmophiles transfuss.

    lpoque de la Renaissance, la mdecine connut un essor tout fait remarquable dans ses divers domaines, y compris celui qui nousintresse ici. Lhistoire des maladies infectieuses est domine cettepoque par Girolamo Frascator (1483-1553). Celui-ci fit, dans unpome de 1530, une description prcise de la syphilis, mal communi-qu en punition par les dieux au berger Syphile, do le nom qui restaattach laffection. Mais il est surtout lauteur dun ouvrage sur lacontagion (De contagione et contagionis morbis, 1546) dans lequel ildistingue deux modes de transmission des maladies : la contagiondirecte dun individu un autre (phtisie ou lpre) et la contagionindirecte due des sortes de germes, les seminaria , transports parlair, les vtements ou les objets usuels, et spcifiques pour une mala-die donne. Si le concept tait abstrait, puisque les seminaria taient composes, selon Frascator, dune combinaison forte et vis-queuse ayant pour lorganisme une antipathie la fois matrielle etspirituelle, la notion de leur spcificit pour chaque maladie constituaitune intuition intressante. Les hypothses de Frascator induisirentchez quelques mdecins un mouvement de recherche et dobservationqui ne cessa plus et revisita la notion de contagion. Ainsi, AndrJoubert crivait-il propos de lpidmie de peste de 1626 Chteau-Gontier : on a dcouvert que la contagion ne vient que de la fr-quentation des gens pestifrs avec les autres habitants, et non de lacorruption de lair .

    partir du XVIIe sicle, lide novatrice de Frascator se prcisagrce la thorie du contagium vivum , selon laquelle les maladiesinfectieuses taient dues des animalcules vivants, invisibles lilnu. Lun de ses premiers partisans fut le savant Jsuite allemand Atha-nasius Kircher (1602-1680), auteur dun ouvrage sur la peste. Mais lemicroscope rudimentaire utilis par Kircher ne lui permettait pas devoir le bacille pesteux, et, bien que sa conception ft purement intuitive,elle eut nanmoins un retentissement certain.

    Cest peu prs la mme poque que se place la dcouverte despremiers micro-organismes. Celle-ci est mettre au crdit du hollan-dais Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723) en qui lon saccordegnralement voir linventeur du microscope (Figure 1). Drapier deson tat, il fabriqua des microscopes simples, composs de lentillesdoubles convexes maintenues entre deux plaques dargent, et dune

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  • 6 1 Des miasmes aux microbes

    qualit et dun grossissement nettement suprieurs ce quon avaitralis jusqualors. Il se servait de ses appareils pour examiner la tramedes tissus. Mais son intrt pour la biologie lamena observer toutessortes de matriels. Grce aux quelque 250 microscopes quil fabri-qua, il put observer des chantillons en milieu liquide en les plaantentre deux morceaux de verre et en les clairant sous un angle de 45,ce qui produisait une sorte dclairage sur un fond noir. Dans les lettresquil adressa avec rgularit, partir de 1673, la Royal Society deLondres, Leeuwenhoek dcrivit des bactries, divers lments figursdu corps humain et des protozoaires. Dans le tartre de ses dents, dansles matires fcales de lhomme et des animaux, il aperut des animal-cules varis. Dans le mot de bire, il dcouvrit des globules quil nerattacha toutefois pas au phnomne de la fermentation.

    Figure 1. l'aide des microscopes simples quil confectionna et qui lui servaient examiner la trame des tissus, Antonie Van Leeuwenhoek

    fut le premier explorer et dcrire lunivers microbien. Portrait peint par Johannes Verkolje en 1686. Institut Pasteur

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    Bien que les contemporains de Leeuwenhoek se soient merveillsde ses dcouvertes, lexploration microscopique du monde microbiensi brillamment entame ne connut pas de dveloppement apprciablependant plus dun sicle aprs sa mort. Des raisons techniques parais-sent expliquer ce retard. Les microscopes simples de fort grossis-sement tels que ceux de Leeuwenhoek taient difficiles et fatigants employer et le polissage de trs petites lentilles tait une oprationncessitant une trs grande adresse. Aussi, la plupart des contemporainsde Leeuwenhoek, comme ses successeurs immdiats, utilisrent-ils desmicroscopes composs, qui souffraient de graves dfauts optiques lesrendant moins performants que le montage simple de Leeuwenhoek.Les principales amliorations qui devaient conduire des microscopescomposs de la qualit que nous connaissons aujourdhui apparurentvers 1820 et continurent jusquen 1870. Ces amliorations furent aus-sitt suivies dune reprise de lexploration du monde microbien.

    Au XVIIIe sicle, pendant que lhypothse du contagium vivum spanouissait, quelques dcouvertes de micro-organismes se firent,mais sans lien avec le contagium vivum , qui fut dfendu pardivers mdecins et naturalistes, parmi lesquels Picoteaul, Cogrossiet Bradley. Langlais Marten supposait que la phtisie tait due desanimalcules, quant au franais Jean-Baptiste Goiffon il postulait quedes maladies pidmiques et contagieuses, comme la peste, et desmaladies contagieuses mais non pidmiques, comme la variole, lalpre, la rage ou la gale, taient dues laction danimalcules. Lexis-tence des protozoaires fut confirme par le franais Louis Joblot(1645-1723) et celle des bactries par lallemand Otto FreiderichMller (1730-1784). Celui-ci dcrivit de nombreuses bactries et lesclassa en genres et espces selon les rgles de la nomenclature mise aupoint, en 1762, par Carl von Linn (1707-1778).

    Lun des obstacles majeurs au rapprochement entre micro-organismeset maladies rsidait dans lincomprhension qui entourait loriginedes micro-organismes. La croyance trs ancienne que les insectes, etmme des animaux de grande taille, prenaient spontanment naissance partir de matires organiques en putrfaction avait t battue en br-che par litalien Francesco Redi (1626-1697) qui, sappuyant pour lapremire fois sur lexprimentation, avait dmontr en 1688 quilsuffit de protger la viande par une gaze pour empcher lapparitiondes vers et que ceux-ci naissent dufs dposs par les mouches. Ladcouverte des micro-organismes avait cependant provoqu un rebon-dissement dans la querelle de la gnration spontane. Lobscurantismeprosprant au royaume de linvisible, il fut suppos que des animalcules

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    de la taille de ceux signals par Leeuwenhoek provenaient de la trans-formation de matires organiques prexistantes, selon les opinionspartages par divers savants, dont le Franais Georges Buffon (1707-1788) et lAnglais John Tuberville Needham (1713-1781). Celui-ciobservait que du bouillon de viande, port bullition dans un flaconbouch hermtiquement, se troublait rapidement, signe de la prsencede micro-organismes. Il en dduisait que la matire organique poss-dait une force vitale qui pouvait confrer les proprits de la vie lamatire non vivante. Le prtre et naturaliste italien Lazzaro Spallan-zani (1729-1799) amliora les expriences de Needham scellant lavance les flacons, puis les plaant dans leau bouillante trois quartsdheures. Il suggra que non seulement lair transportait les germesdans linfusion, mais aussi quil tait ncessaire la croissance desgermes dj prsents dans linfusion.

    On aurait pu penser que les belles expriences de Spallanzaniallaient rgler la question une fois pour toutes. Cela aurait pu tre lecas si ses successeurs avaient suivi les prcautions exprimentales quilrecommandait. Cependant, des expriences errones continurent tre ralises et des rsultats favorables la gnration spontanefurent encore obtenus. En mme temps cependant, une trs intres-sante application des dcouvertes de Spallanzani avait t faite. Sesexpriences avaient en effet montr que des bouillons animaux ouvgtaux, mme trs prissables, ne subissaient ni putrfaction nifermentation quand ils avaient t correctement dbarrasss de toutmicro-organisme. Un industriel parisien, Appert, lana, au dbut duXIXe sicle, la conservation des aliments dans des botes tancheschauffes lbullition. Cette mthode de conservation indfinie dedenres prissables ou appertisation se rpandit largement avantque ses bases scientifiques eussent t clairement tablies.

    La dcouverte de loxygne, la fin du XVIIIe sicle, et la reconnais-sance de son rle essentiel pour la vie des animaux firent rebondirla querelle de la gnration spontane. Dingnieuses expriencesde Theodor Schwann en 1837 apportrent pour la premire fois ladmonstration que ni la croissance microbienne ni la dcompositionne se produisent dans un bouillon correctement chauff, mme sil estexpos lair, pourvu que cet air ait t au pralable entirementdbarrass de tout micro-organisme. Nous rapporterons plus loin (cha-pitre 4) les remarquables expriences de langlais John Tyndall dans lemme domaine.

    Malgr ce, expriences et contre-expriences se poursuivirent duranttout le XVIIIe et la premire moiti du XIXe sicle, opposant dfenseurs

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    et adversaires de la gnration spontane. Ce que quelquun a qualifiplaisamment de guerre des bouillons ne devait trouver de conclu-sion dfinitive que lorsque Louis Pasteur sattaqua au problme. Avecune absolue rigueur exprimentale, il rfuta dfinitivement la thsede la gnration spontane, ce sur quoi nous reviendrons plus loin(chapitre 2).

    Un autre obstacle la comprhension de la cause des maladiesinfectieuses rsidait dans les thories mdicales qui se multiplirent auXVIIe et surtout au XVIIIe sicle. Les iatrochimistes, la suite du hollan-dais Jan Baptist Van Helmont (1577-1644) faisaient des phnomnesorganiques le rsultat de ractions chimiques, alors que les iatromca-nistes, la suite de litalien Giovanni Alphonso Borelli (1608-1679) yvoyaient des mouvements soumis aux lois physiques. Pour les vitalis-tes montpellirains Paul Joseph Barthez (1734-1806) et Thophile deBordeu (1722-1776), la maladie rsultait de laltration de llan vitalqui animait le corps humain, retentissant sur les changes physico-chimiques. Les animistes, avec Georg Ernst Stahl (1660-1734) voyaientdans la maladie un drglement de lactivit de lme sensible ,principe rglant les changes lintrieur du corps. Pourtant, desmdecins comme Ren-Thophile Laennec (1781-1826) et PierreBretonneau (1771-1852) croyaient lexistence dentits morbidesspcifiques aux causes mystrieuses.

    De mme au dbut du XIXe sicle, le mode de transmission despidmies frappant les collectivits donnait matire discussion. Sile caractre contagieux de certaines dentre elles tait vident pour lepublic, les mdecins se divisaient sur lexistence ou non des miasmes ou des virus. La controverse connut un regain dactivit propos ducholra, opposant infectionnistes qui prconisaient une politiquedhygine publique, et contagionistes qui demandaient des lazaretset des quarantaines. Le rejet des ides de John Snow par le mondemdical (chapitre 4) est tout fait caractristique du dogmatismeaveugle, comme le refus des dmonstrations dIgnace Semmelweisquelques annes plus tard (chapitre 4). Et pourtant, ds le dbut duXIXe sicle, des dispositifs nationaux dhygine publique dune grandesimilitude se mirent progressivement en place travers lEurope.

    Le perfectionnement du microscope, toujours au dbut du XIXe sicle,amena la multiplication des descriptions de bactries libres ou sapro-phytes. Si les fermentations taient encore considres comme desphnomnes chimiques, quelques rares prcurseurs, tel CharlesCagniard-Latour (1777-1859), reconnurent le rle des levures. Et

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  • 10 1 Des miasmes aux microbes

    mme la fin des annes 1860, le rle des ferments dans certainesmaladies et fivres fut discut, et la question pose de savoir si letyphus, le cholra, la dysenterie formaient des entits distinctes. Selonces ides, les miasmes provenaient notamment des matires en tatde fermentation putride , et les matires en putrfaction reprsen-taient une cause commune ces diffrentes maladies que lon devaitranger dans la classe des maladies parasitaires . La thorie de la fer-mentation rejoignait celle du parasitisme : les maladies contagieuses etinfectieuses ntaient quune fermentation, dont llment dterminantau sein de lorganisme tait le microzoaire , le microphyte , ouencore le bactrium , le vibrion , le bacteridium , le spiril-lum ou la spore , tous noms dsignant les diverses formes desbactries, comme on appelait vers 1840 en Allemagne les micro-organismes unicellulaires considrs comme nappartenant ni aumonde animal ni au vgtal.

    Lun des premiers agents infectieux dcrit fut le sarcopte de la gale,signal au VIIe sicle par le mdecin chinois Tchao, mais dont le rledans la maladie ne fut reconnu que plus tard, en particulier par lemdecin arabe Avenzoar (1101-1162) au XIIe sicle, puis ensuiteconfirm par Renucci en 1834. Alexandre Donn (1801-1878) dcou-vrit en 1836 Trichomonas vaginalis, protozoaire parasite des voiesgnitales humaines, auquel il attribuait un rle pathogne certain. Maisla premire dmonstration exprimentale de la relation existant entreun micro-organisme et une maladie, animale dans le cas particulier,revient litalien Agostino Bassi (1773-1856) : travaillant sur unemaladie pidmique du ver soie, la muscardine, il dcouvrit en 1837quelle tait due un champignon parasite, qui reut le nom de Botry-tis (aujourdhui Boveria) bassiana en hommage son dcouvreur. Leschampignons responsables des teignes furent dcouverts par JohannLucas Schnlein (1793-1864) en 1839 pour le favus, puis par DavidGruby (1810-1898) entre 1841 et 1844. Vint ensuite la dcouverte dubacille du charbon par Rayer et Davaine en 1850, qui ouvrit la voieaux remarquables travaux de Robert Koch et de Louis Pasteur etpermit la naissance de la bactriologie.

    Ds lors fut dmontre la responsabilit de nombreuses bactriesdans ltiologie des maladies infectieuses correspondantes. La remar-quable mise au point mthodologique de Robert Koch, la culture enmilieu solide, lui permit, avec ses lves, didentifier et disoler enune dizaine dannes les bactries responsables de la majorit desmaladies infectieuses. Lre de la Bactriologie souvrait, laquelle

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  • Prhistoire de la Microbiologie 11

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    nous consacrerons les chapitres suivants. Elle fut dterminante dans ledveloppement de la Microbiologie. Pourtant, certains agents infec-tieux restaient invisibles, ce qui nempcha pas de croire la natureinfectieuse des maladies correspondantes, et des hommes commePasteur de dvelopper des mthodes de protection avant que leursagents ne soient identifis. Il fallut attendre des avances mthodologi-ques importantes pour que les virus puissent tre identifis, compltantainsi linventaire des agents responsables des maladies infectieuses.

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  • Bactries charbonneuses dans le sang dun animal infect. Les tudes sur le charbon menes indpendamment

    par Robert Koch (1873) et Louis Pasteur (1876) peuvent tre considres comme le dmarrage de la Bactriologie. Institut Pasteur

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    Chapitre 2

    Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    La naissance de la Microbiologie se situe dans la deuxime moiti duXIXe sicle. Deux fortes personnalits, deux hommes aux destins remar-quables, dominent cette priode. Il sagit du franais Louis Pasteur(1822-1895) et de lallemand Robert Koch (1843-1910). Esprits brillantset exprimentateurs talentueux, ils signorrent le plus souvent, secombattirent rgulirement. En ralit, leurs uvres furent remarquable-ment complmentaires. Les travaux de Pasteur jetrent les bases de lathorie microbienne des maladies infectieuses et apportrent les cls ducontrle de ces maladies au plan individuel et populationnel par la vacci-nation. Avec ses avances mthodologiques, Robert Koch ouvrit la voie la dcouverte de la majorit des bactries pathognes pour lhomme,grce leur isolement et leur culture partir des prlvements ralisschez des sujets souffrant de maladies infectieuses. Sa contribution futdterminante dans le domaine de lhygine et de la sant publique.

    LOUIS PASTEUR

    Lhomme qui allait rvolutionner la mdecine avec la thorie micro-bienne des maladies ntait pas mdecin, mais chimiste. Il naquit en

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  • 14 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    1822 Dle, fit ses tudes primaires et secondaires Arbois odemeuraient ses parents, et les termina Besanon. Entr lcoleNormale Paris, il y acquit une solide formation en physique etchimie. Il entra en contact avec des hommes exceptionnels, commeJean-Baptiste Dumas, Antoine-Jrme Balard et Gabriel Delafosse. Ildemeura lcole Normale, comme assistant du chimiste Balard, poury prparer une thse sur la dissymtrie molculaire par ltude descristaux de tartrate et de para-tartrate de soude et dammoniaque.Devenu professeur supplant de Chimie la Facult des Sciences deStrasbourg, Louis Pasteur poursuivit ses travaux sur la cristallographieet la dissymtrie molculaire. Il y pousa Marie Laurent, la fille duRecteur de lAcadmie. Devenu doyen de la nouvelle Facult desSciences de Lille de 1853 1857, il y tablit des relations troites avecle monde de lindustrie. Administrateur de lcole Normale Sup-rieure de Paris de 1857 1867, il installa un petit laboratoire dans unepartie inoccupe dun grenier. Cette soupente devint le laboratoire cen-tral o Pasteur conut et ralisa de multiples expriences et coordonnases travaux de terrain, dans les vinaigreries dOrlans, la campagneou sur les montagnes, dans le Gard, en Provence, Royat, au lazaret dePauillac, en Seine-et-Marne. Il fut lu lAcadmie des Sciencesen 1862, puis lAcadmie de Mdecine en 1873. Il tait devenu pro-fesseur de Chimie organique la Sorbonne en 1867. En 1884, uneancienne proprit de la famille impriale sise dans le parc de Ville-neuve ltang, Marnes-La-Coquette, fut achete par ltat au profitdu Ministre de lInstruction et affecte Pasteur et ses collabo-rateurs pour leurs travaux sur la rage. Le succs de la vaccination anti-rabique entrana un remarquable mouvement dopinion qui aboutit la construction du premier btiment de lInstitut Pasteur, rue Dutot Paris, grce au succs dune souscription publique internationale.Pasteur linaugura le 14 novembre 1888 et y demeura jusqu sa mort.Le 27 septembre 1892, la Troisime Rpublique fta le soixante-diximeanniversaire de Pasteur, au cours dimpressionnantes crmonies dejubil auxquelles assistait le Prsident de la Rpublique, Sadi Carnot.Louis Pasteur mourut Villeneuve ltang le 28 septembre 1895.

    Luvre scientifique de Pasteur peut tre divise en trois grandespriodes centres sur des objets scientifiques diffrents. La premire,purement physico-chimique, fut consacre la cristallographie. Laseconde, biologique, mena la rfutation de la gnration spontane.La troisime fut voue au dveloppement dune science nouvelle : laMicrobiologie.

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    Pasteur a consacr les dix premires annes de sa vie scientifique,de 1847 1857, tudier le pouvoir quont les substances organiquesde faire tourner la lumire polarise et approfondir les relations decette proprit avec la structure cristalline et la configuration molcu-laire. Cest sur ces tudes qua t fonde, de son vivant, une sciencenouvelle, la strochimie. Ce sont elles aussi qui lont dabord amen la conviction intuitive que les fermentations taient la manifestationde processus raliss par des organismes vivants et lont finalementconduit la thorie microbienne des maladies.

    Ltude des fermentations

    Cest tout naturellement que Pasteur aborda ltude des fermentations,car elles taient considres, lpoque, comme des ractions chimi-ques. De plus, il tait devenu professeur et doyen de la nouvelleFacult des Sciences de Lille, une ville o brasseries et distilleriesabondaient et o la matrise des fermentations apparaissait comme unenjeu important pour la transition entre fabrication artisanale et pro-duction industrielle.

    Lusage des boissons fermentes remonte des temps reculs ; il estmentionn dans la Bible et faisait partie du mythe de Dionysos. AuMoyen ge, les alchimistes distillaient lalcool. Mais les tudes sur lanature des fermentations ne commencrent quavec la naissance dela chimie, la fin du XVIIIe sicle. Aprs quelques observations prli-minaires de Mac Bride et de Cavendish, cest Antoine-Laurent deLavoisier (1743-1794) que revint le mrite davoir montr que les pro-cessus de fermentation obissaient aux mmes lois quantitatives queles ractions chimiques ordinaires. Au cours de la fermentation alcoo-lique, le sucre donne naissance des poids peu prs gaux de gazcarbonique et dalcool. Mais si Lavoisier reconnut le pouvoir de lalevure dclencher la fermentation, il nen considra pas moins la fer-mentation comme un processus purement chimique. La nature rellede la levure et son rle dans la fermentation ne furent dcouverts quequelques annes plus tard, en particulier par le baron Cagniard-Latourqui dcrivit la levure de bire. Bien que confirme par Schwann et parKtzing, la nature biologique des processus de la fermentation fut bat-tue en brche par les plus hautes sommits de la biologie de lpoque,en particulier Berzelius, Whler et Justus Von Liebig. Lautorit de cedernier tait telle que ses vues furent communment acceptes lpo-que. Il fallut attendre les travaux de Louis Pasteur pour quelles fussentinfirmes. Celui-ci dmontra, entre 1857 et 1865, que les fermentationstaient lies la multiplication dorganismes vivants microscopiques

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  • 16 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    (ferments vivants, globules de levures), et qu chaque fermentation,alcoolique, actique, lactique ou butyrique, correspondait un fermentsingulier. Cette notion de spcificit , il la transporta plus tard dansle monde des maladies infectieuses et des organismes vivants qui ensont les agents responsables.

    Pasteur tablit que les ferments ne se craient pas spontanment auxdpens de la matire morte, mais provenaient de micro-organismesprsents dans lair, leau ou la surface des tres vivants, par exemple la surface des grappes de raisin dans le cas de Mycoderma vini.Pasteur dmontra galement que le phnomne de la fermentation estpossible non seulement lair, mais aussi en son absence. Il forgea leterme danarobiose pour rendre compte de ce phnomne, et celuidarobiose pour son contraire. Certains de ces travaux furent effec-tus Paris, dans le laboratoire de fortune que Pasteur stait installdans les combles de lcole Normale. Mais la plupart dentre euxfurent le fruit des innombrables recherches faites par Pasteur dans desconditions plus dfavorables encore, dans les chais, les brasseries oules vinaigreries.

    Lun des concepts particulirement fcond la base de la pensepastorienne rsulta de ces tudes et postulait que les transforma-tions de la matire organique se faisaient par lintermdiaire de micro-organismes. Ces travaux eurent des applications pratiques dterminan-tes pour les industriels. Pasteur montra, en effet, que les maladies duvin et de la bire taient dues des contaminations par divers micro-organismes autres que la levure habituelle, et quelles pouvaient treprvenues par un chauffage 50 C, procd universellement employpar la suite sous le nom de pasteurisation . On peut dire que cestavec Pasteur qua commenc la domestication de la vie microbienne(voir au chapitre 6).

    Pasteur sattaqua ensuite au problme, rcurrent depuis des sicles,de la gnration spontane.

    La controverse sur la gnration spontane

    Grce au microscope, on avait not le grouillement des micro-organis-mes vivants dans les dchets organiques, mais on voyait en eux leffetet non la cause de la putrfaction. Leur prsence tmoignait, pensait-on, de la dsagrgation de la matire, et ntait pas considre commela source dun remodelage actif de celle-ci. Bien sr, lpoque oPasteur aborda le problme de la gnration spontane, on ne croyaitplus que la gnration spontane affectait les formes suprieures de la

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    vie. Une volution conceptuelle stait accomplie depuis les affirma-tions dAmbroise Par sur les crapauds issus de la substance humidedes pierres, ou depuis celles de Van Helmont, selon lesquelles la fer-mentation de grains de bl en prsence de linge sale pouvait engendrerdes souris. On ne croyait plus la conception de Buffon sur lapparitionsans germes prexistants des tres infrieurs , parmi lesquels il classaitles vers de terre et les mouches. Pourtant les htrognistes continuaient prtendre que la vie microbienne qui grouille dans les liquides en fer-mentation et en putrfaction tait le produit dune altration des matiresorganiques et le rsultat de quelque gnration spontane.

    On savait, en effet, depuis le milieu du XVIIIe sicle, que les bouillonsorganiques putrescibles o la vie a t dtruite par le maintien pro-long dune haute temprature se conservent souvent intacts, et que lavie microbienne ne sy dveloppe gnralement pas tant quils sontprotgs du contact de lair. La simple admission dair suffit crer lesconditions favorables la fermentation et la putrfaction des liquides,ce qui se traduit, au bout de quelques jours, par la prsence dunemultitude de micro-organismes divers. Les tenants de la gnrationspontane y voyaient la preuve que loxygne est ncessaire pourdclencher la gnration de la vie. Leurs adversaires affirmaient aucontraire que le rle de lair tait simplement dintroduire les germesvivants de la fermentation et de la putrfaction.

    Pasteur aborda le problme en exprimentateur hors pair, comme son habitude. Il ralisa dinnombrables expriences sur tous les typesde liquides organiques : extrait de levures, bouillon de viande, lait,urine, sang, et fit varier les conditions dadmission de lair, chauff ounon, filtr ou non. Il emprunta les techniques et les procds laborspar ses prdcesseurs en la matire, mais en consacrant une attentionsoutenue aux plus menus dtails techniques. Il russit mettre au pointdes expriences reproductibles et qui donnaient infailliblement lesrsultats attendus. Sur les conseils de Balard, il adopta les ballons col-de-cygne (Figure 2). Ceux-ci, contenant de lextrait de levure et dusucre, taient ports bullition pour y dtruire la vie et en chasserlair. Les ballons ferms au chalumeau pendant que la vapeur senchappait encore, se trouvaient pratiquement vids dair et leurcontenu demeurait strile aussi longtemps quon les gardait scells.Lorsquon brisait le col des ballons, le sifflement de lair y pntrant sefaisait entendre. Les ballons taient nouveau scells et dposs dansune tuve. La plupart voyaient ensuite la suspension se troubler, preuveque lair admis contenait des germes, mais certains demeuraient striles,preuve que la concentration des germes dans lair variait suivant les lieux.

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  • 18 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    Pasteur promena ses ballons dans de trs nombreux endroits, Paris, dans les caves et sur la coupole de lObservatoire, la campa-gne, sur la Mer de Glace Chamonix. Il brisait le col de ses ballonsselon de strictes prcautions, avec des pinces passes au pralable dansla flamme dune lampe alcool, maintenant les ballons aussi haut quepossible au-dessus de la tte de loprateur pour viter tout risquede contamination par les vtements de celui-ci. Et de fait, le nombre deballons demeurant striles tait le plus faible basse altitude, particu-lirement proximit des terres en culture, et le plus lev en hautemontagne loin des habitations et des cultures, ou dans un endroit olair tait rest longtemps immobile, comme dans les caves de lObser-vatoire de Paris. La plupart des ballons ouverts par Pasteur sur lesglaciers suisses restrent striles.

    Par leur simplicit, leur rigueur et leur lgance, ces expriencesfirent sensation dans les milieux scientifiques et profanes. Elles prou-vaient de faon dfinitive que les agents de la putrfaction ne sedveloppaient pas de novo dans les solutions organiques, mais quils

    Figure 2. Louis Pasteur basa son exprimentation contre la gnration spontane sur lutilisation des ballons col-de-cygne. Leur milieu de

    culture restait strile tant que le ballon navait pas t ouvert. En revanche, les micro-organismes contenus dans lair pouvaient le troubler aprs leur

    ouverture. Peinture de Robert Thom. Institut Pasteur

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    taient soit prsents au dbut de lexprience, soit apports par lair.Pourtant elles ne firent pas dsarmer les htrognistes, et particulire-ment leur chef de file, Flix Archimde Pouchet, directeur du MusumdHistoire naturelle de Rouen, avec lequel la controverse dura plu-sieurs annes. Pouchet obtenait des rsultats contradictoires ceuxde Pasteur, en utilisant, comme milieu organique, linfusion de foin,un milieu plus difficile striliser par la chaleur que leau de levureemploye par Pasteur. Lexplication de ces rsultats contradictoiresvint du botaniste et bactriologiste allemand Ferdinand Cohn, delUniversit de Breslau. Celui-ci montra en effet quau cours du cycledu bacille du foin, Bacillus subtilis, des structures intrabactriennesencapsules, les endospores, rsistaient au chauffage 100 C etdemeuraient vivantes.

    Le combat autour de la gnration spontane tait ainsi termin aubnfice de Pasteur, lorsquen 1872, le bactriologiste anglais HenryCharlton Bastian relanait nouveau le dbat. Celui-ci avait dcouvertque, tandis que lurine acide porte haute temprature demeuraitclaire et en apparence strile lorsquelle tait maintenue labri delair, elle se troublait et grouillait de bactries vivantes dans les dixheures qui suivaient sa neutralisation par la potasse. Pour Bastian,ctait lacidit seule de lurine qui empchait le dveloppement desbactries et non pas la strilisation. Pasteur montra que leau pouvaitcontenir des germes, et que dautre part la temprature de 110 C nesuffisait pas tuer les spores bactriennes.

    Il y eut encore quelques combats darrire-garde. De 1865 1890,le mdecin franais Antoine Bchamp soutint avec obstination sathorie des microzymas, granulations microscopiques composant lescellules des organismes suprieurs. Dans certaines conditions patholo-giques, ces microzymas se libraient des cellules et se transformaienten bactries. Mais Pasteur avait bel et bien mis bas le mythe de lagnration spontane.

    Il ne faut pas croire que la querelle sur la gnration spontane naitt quune simple controverse conceptuelle. Ce fut un remarquablemoment de dcouvertes pratiques prcieuses et dterminantes pourla bactriologie, parmi lesquelles les filtres bactriologiques de por-celaine, la strilisation par la vapeur surchauffe par autoclave, lastrilisation par chaleur sche au four, la strilisation par chauffagediscontinu (tyndallisation), la pasteurisation. Nous reviendrons endtail au chapitre 6 sur ce foisonnement de dcouvertes fondamentalespour le dveloppement de la Microbiologie et pour ses applications.

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  • 20 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    Les maladies des vers soie

    Cest avec ltude des maladies des vers soie, entreprise en 1865, quePasteur dmontra que les germes pouvaient tre causes de maladie.

    Vers le milieu du XIXe sicle, une maladie mystrieuse commena svir dans les levages franais de vers soie. En 1853, aucuneproduction dufs de vers soie ntait plus possible en France et,en 1865, lindustrie franaise du ver soie tait prs de la ruine. Lamaladie fut diagnostique en Italie, en Espagne et en Autriche ; elleenvahit ensuite la Grce, la Turquie et le Caucase, puis finit par gagnerla Chine et le Japon. Le Ministre de lAgriculture nomma une com-mission dtude, dont Jean-Baptiste Dumas pria Pasteur daccepter laresponsabilit.

    Durant cinq annes, Pasteur fit des sjours prolongs et rguliersprs dAlais (orthographe de lpoque, Als aujourdhui), menant sestravaux dabord dans une magnanerie, puis dans une maison, dontlorangerie fut transforme en laboratoire et en magnanerie expri-mentale, Pont-Gisquet. Il y venait accompagn de ses assistantsGernez et Maillot, puis avec Duclaux, sa femme et leur dernire fille.Lui qui navait au dpart pas la moindre notion de ce qutait un ver soie, devint un expert dans lart de les lever.

    Ltude fut laborieuse, car le problme biologique rsoudre taitcomplexe. Dans la pbrine, les vers atteints se couvraient de petitestaches ressemblant du poivre en grain ; leur dveloppement se trou-vait arrt et ils dprissaient peu peu, ne donnant quune rcolteinsignifiante. Pasteur demeura deux ans convaincu que la maladietait essentiellement de nature physiologique, et que les corpusculesntaient quune manifestation accessoire provoque par la dsintgra-tion des tissus. Pasteur en effet tait familiaris, grce ses tudes surles fermentations et la gnration spontane, avec la morphologie deslevures et des bactries. Il tait absolument tranger la Protozoologieet ne sut pas, au dbut, interprter les observations quil faisait. On saitdepuis que le parasite de la pbrine est un protozoaire, une microspo-ridie, Nosema bombycis, qui envahit pratiquement tous les tissus delembryon, de la larve, du cocon et du ver adulte. Il envahit de nom-breuses cellules, y devient presque invisible avant de se subdiviser encorpuscules nouveau visibles puis de dtruire les cellules. Maismme si Pasteur ne russit pas dabord rattacher la maladie unorganisme vivant, il avait ds le dbut compris que la pbrine tait lafois contagieuse et hrditaire et que les corpuscules reprsentaient unindice de sa progression. Il proposa la mthode du grainage cellulairepour sa prvention : si lon dtruit le ver reconnu malade et si lon ne

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    garde pour llevage que les ufs des individus sains, on arrte la dif-fusion de la maladie lensemble de llevage. Cest lhygine quisauve llevage des vers soie.

    Pasteur finit par sapercevoir que les levages de vers soie taienten fait dcims par deux maladies distinctes. Outre la pbrine, svis-sait la flacherie au cours de laquelle les vers dprissaient, mourraientet devenaient mous (do lappellation de morts-flats donne aux vers)et finissaient par pourrir. Empiriquement, les leveurs sen taientrendu compte et avaient cr des noms diffrents suivant laspect desvers malades, mais personne encore navait formul lhypothsedagents multiples. On sait aujourdhui que la flacherie est due unvirus que Pasteur ne pouvait apercevoir avec les moyens optiques delpoque. Il avait cependant observ que le tube digestif des vers soie, peu prs exempt de micro-organismes en temps normal, conte-nait au cours de la flacherie de nombreuses bactries. Il acquit unebonne connaissance des manifestations de la maladie et des lmentsqui en favorisaient le dveloppement : temprature leve, humiditexcessive et ventilation insuffisante des levages qui permettaient unemultiplication anormale des bactries sur les feuilles. Il formula lesrgles pratiques ncessaires pour prvenir le dveloppement de la nou-velle maladie.

    Comme dans le cas de la pbrine, et plus tard de la rage, Pasteuravait mis au point une solution pratique avant mme que les causes dela maladie naient t compltement reconnues. Les travaux sur lesmaladies des vers soie furent, dans luvre de Pasteur, un traitdunion entre les fermentations et les maladies contagieuses. Il y avaiten effet dcouvert la contagion et une confirmation de ses travaux surla dcomposition des tissus vgtaux et animaux par la fermentationet la putrfaction. Tout annonce, crivait-il en 1859, que cest des causes de cette nature que les maladies contagieuses doivent leurexistence .

    Bacille du charbon et vibrion septique

    Le charbon occupa une place prminente dans les premiers dvelop-pements de la microbiologie. La bactridie charbonneuse fut vraisem-blablement dcouverte par Pollander en 1849, bien que son mmoirene part quen 1855. Toujours est-il que cest Pierre Rayer (1793-1867) qui signala, dans une communication la Socit de Biologie deParis, en 1850, que le sang des moutons morts de charbon contenaitde nombreux micro-organismes immobiles, en forme de btonnets.

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  • 22 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    Linjection de ce sang dautres animaux se traduisait par le dvelop-pement de la maladie. Rayer tait le seul auteur du mmoire, mais ladcouverte fut revendique galement par son lve, Casimir-JosephDavaine (1812-1882), qui semble-t-il tait lorigine de lobserva-tion. De sorte que le germe fut par la suite appel bactridie de Rayeret Davaine, voire mme bactridie de Davaine. Les htrognistes pr-tendirent que la bactridie de Rayer et Davaine tait la consquence etnon la cause de ltat morbide, certains ny voyant que des fibrilles defibrine. Cette polmique devait se poursuivre plus de vingt ans, jusquce que Robert Koch et Louis Pasteur abordent ce problme laide deleurs nouvelles mthodes et de leurs nouveaux concepts.

    Louis Pasteur se mit ltude du charbon en 1876, sans savoirquun jeune mdecin de campagne allemand, Robert Koch, stait djlanc dans la mme tude et quil venait de prsenter FerdinandCohn, lInstitut de Botanique de Breslau, la biographie complte dubacille du charbon.

    Pasteur introduisit, avec toutes les prcautions dasepsie quil avaitdveloppes, une goutte de sang dun animal atteint de charbon dans50 cm3 durine strile. Aprs sjour dans ltuve et multiplication bac-trienne, il transfrait une goutte de cette culture dans un nouveauballon contenant nouveau 50 cm3 durine strile ; et ainsi de suitecent fois. Une goutte de la centime culture tuait un cobaye ou un lapinaussi rapidement quune goutte du sang primitif, alors quil nen sub-sistait pas une molcule dans le produit final. Bien que cette dmons-tration et pu suffire elle seule, Pasteur imagina dautres expriencesingnieuses pour dmontrer le rle tiologique du bacille du charbon,car de nombreux scientifiques et mdecins doutaient que le bacille futla cause de la maladie. Les travaux de Colin, professeur lcoleVtrinaire dAlfort, mritent dtre cits : ils sont en effet loriginedune nouvelle dcouverte de Pasteur. Aprs inoculation du sang devache charbonneuse un grand nombre de lapins, cet auteur ne trou-vait pas trace des btonnets de Rayer et Davaine, bien que les lapinsfussent morts. Il concluait que ces btonnets ntaient pas la cause ducharbon. Mais Pasteur suspecta que la maladie provoque exprimen-talement chez les lapins ntait pas le charbon, le sang ayant t pr-lev chez lanimal aprs sa mort. Il dcouvrit que ce sang contenait unautre type de bacille quil nomma vibrion septique et dont il tudiaavec beaucoup de soin la physiologie et les proprits chez le lapin, unanimal herbivore. Il montra que ce germe rpandu dans la nature vitsouvent dans lintestin des herbivores o il est inoffensif. Lorsquilpasse accidentellement la barrire intestinale, il sintroduit dans de

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    nombreux organes o il se multiplie activement entranant des pochesgazeuses et la destruction de ces tissus, rsultant en une maladie rapi-dement fatale. Pasteur saperut que le germe ne pouvait tre cultivquen milieu dpourvu dair : Clostridium septicum, agent de la putr-faction cadavrique, tait la premire bactrie anarobie pathognedcouverte.

    Pasteur multiplia cette poque les dcouvertes qui confortrent lathorie microbienne. En 1879, il dcouvrit le streptocoque dans le pusdun abcs survenu dans les suites de couches et lui attribua la fivrepuerprale, que de nombreux mdecins de lpoque, dont Hervieux, delAcadmie de Mdecine, croyaient encore due aux miasmes. Desfuroncles de son assistant Duclaux, il isola en 1880 le staphylocoque.Retrouvant la mme bactrie dans le pus dune ostomylite infec-tieuse, il nhsita pas dclarer que lostomylite et le furoncletaient deux formes dune mme maladie, ce qui ne manqua pas dedclencher le scepticisme de nombreux mdecins de lpoque maissavra exact par la suite. En 1881, Pasteur dcouvrit, dans la salivedun enfant atteint de rage, le pneumocoque, quil crut dabord trelagent de cette maladie.

    Sur le charbon, Pasteur confirma les travaux de Koch sans leurapporter de complments importants, si ce nest dans le domaine de latransmission et de la prvention. Chaque t pendant plusieurs annes,le laboratoire de Pasteur, rue dUlm, tait abandonn ds la fin juilletpour les environs de Chartres. Charles Chamberland et mile Roux ydemeuraient en permanence, Pasteur venait une fois par semaine sui-vre les travaux et donner la direction. L furent exprimentalementdmontrs les mcanismes de la transmission et furent expliquesnombre de connaissances empiriques des paysans de la Beauce. Ceux-ci avaient observ que les moutons contractaient le charbon dans cer-tains pturages (les champs maudits), mme aprs des annes daban-don. La survie des spores du bacille du charbon dans le sol y futprouve. Lide originale de Pasteur de la remonte en surface desspores par les vers de terre, depuis les cadavres danimaux enterrs, futdmontre. Les moutons ayant ptur aprs la moisson montraient-ilsune mortalit importante par le charbon, Pasteur et ses lves dmon-trrent le rle facilitant la pntration des spores jou par les blessuressuperficielles causes la muqueuse buccale par les chaumes.

    Intrigu par le fait que les poules taient rfractaires au charbon,Pasteur stait demand si la cause nen serait pas la tempratureleve de la poule (42 C), suprieure celle des animaux sensibles aucharbon. Pour vrifier cette hypothse, il fit inoculer une poule aussitt

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  • 24 2 Pasteur et Koch : la naissance de la Microbiologie

    place dans un bain froid pour abaisser sa temprature : cet animalmourut le jour suivant avec le sang et ses principaux organes remplisde bacilles de charbon. Pour prouver que ce ntait pas le bain pro-long qui lavait tue, une autre poule, non inocule celle-l, fut placedans les mmes conditions : elle survcut. Pour rendre lexprienceencore plus concluante, une troisime poule reut dix gouttes (au lieude cinq) de culture de charbon, mais sans tre soumise la baignade :elle demeura en vie. Grce cette exprience, Pasteur se rendit compteque la prsence dun agent pathogne dans le corps dun sujetntait pas ncessairement synonyme de maladie. Ctait la premiredmonstration que linfluence du milieu interne conditionne lvolu-tion de la maladie. Mais il fallut attendre des annes pour que limpor-tance du terrain dans le dterminisme de la maladie infectieuse puissemerger en tant que concept.

    Le cholra des poules et lattnuation de la virulence

    Si ltude du charbon avait apport une dmonstration exprimentaleau concept de contagion dj entrevu dans les tudes sur les maladiesdes vers soie, ltude du cholra des poules conduisit Pasteur lanotion dattnuation de la virulence et son application magistrale,la vaccination.

    En 1878, Pasteur commena ltude de la maladie pizootique desbasses-cours, improprement appele cholra des poules, car sans rela-tion avec le cholra de lhomme. Il sagit dune maladie bactriennefrappant les volailles qui meurent en quelques jours dune septicmiehmorragique. Linjection dune culture pure du bacille tue une poulenormale en 24 48 heures. Labsorption daliments contamins parle bacille provoque la maladie et la mort des poules, mais aussi deslapins, alors que les cobayes adultes prsentent un abcs localis etgurissent. Pasteur saisit immdiatement limportance de cette obser-vation chez le cobaye et y vit une rsistance linfection.

    Entr un an plus tt comme prparateur au laboratoire de Pasteur,rue dUlm, mile Roux fit en septembre 1879 une constatation sur-prenante. Reprenant les cultures de cholra des poules abandonnesdepuis juillet, il eut la surprise de voir quelles ne provoquaient pasla maladie chez les poules inocules. De plus, ces mmes poulesntaient ensuite pas affectes par linoculation ultrieure duneculture rcente, virulente de cholra, qui tuait des poules neuves achetes au march.

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    Pasteur vit immdiatement lanalogie de ce phnomne accidentelavec la vaccination et y reconnut lapplication dune loi gnrale. Levieillissement de la culture avait, dans le cas du bacille du cholrades poules, provoqu une attnuation du bacille, dsormais capabledinduire un tat de protection de la poule vis--vis de bacilles viru-lents. Pasteur comprit quil tait possible de produire au labor