l’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves...

31
Recognized in international, European, and French law, the precautionary principle facili- tates the avoidance of serious damage in envi- ronmental and health matters where scientific uncertainty exists. e influence of the pre- cautionary principle on French civil liability law has been the subject of lively debate. e debate has focused on whether this principle could, beyond the permitting the reparation of damage in case of wrongful breach, enable the prevention of damage through an action in civil liability. Civil courts were initially open to the possibility of extending civil liability law beyond its restorative function to a preventive function. However, several decisions at the end of 2012 put an end to this trend. is study focuses on the evolution of the role precautionary principle in civil liability and on these decisions. ese decisions arouse criticism as they undermine the purpose of the precautionary principle, namely to prevent certain damages. Reconnu en droit international, européen et français, le principe de précaution invite à l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique. En droit français, il a fait l’objet de vifs débats doctrinaux concernant ses conséquences en droit de la responsabilité civile. La question était de savoir si ce principe pouvait, au-delà de la réparation du dommage en cas de manquement fautif, per- mettre d’obtenir la prévention des dommages par le biais d’une action en responsabilité civile. Si, un temps, le juge civil s’est montré sensible à la possibilité d’élargir la fonction réparatrice du droit de la responsabilité civile à sa fonction préventive, il a mis fin à cette évolution dans une série d’arrêts rendus à la fin de l’année 2012. Cette étude revient sur cette évolution et sur ce coup d’arrêt qui suscite la critique tant il met à mal les raisons d’être du principe de précaution, à savoir la prévention de certains dommages. * Mathilde Boutonnet est maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille et titulaire de la Chaire CNRS droit de l’environnement. Après avoir soutenu une thèse sur le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, l’auteure a orienté ses recherches vers le droit de l’environnement, en particulier la place du droit privé dans la protection de l’environnement. Elle dirige aujourd’hui un programme de recherche soutenu par le Ministère français de la Justice sur le principe de précaution en droit de la responsabilité civile et pénale comparé. Cet article fait suite à une conférence délivrée à l’Université McGill avec l’accueil de notre collègue la Professeure Lara Khoury. L’auteure la remercie infiniment de cette invitation tant elle fut l’occasion d’ouvrir des nouvelles pistes de réflexion. L’influence du principe de précaution sur la responsabilité civile en droit français : un bilan en demi-teinte Mathilde Boutonnet *

Upload: others

Post on 11-Mar-2021

9 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Recognized in international, European, and French law, the precautionary principle facili-tates the avoidance of serious damage in envi-ronmental and health matters where scientific uncertainty exists. The influence of the pre-cautionary principle on French civil liability law has been the subject of lively debate. The debate has focused on whether this principle could, beyond the permitting the reparation of damage in case of wrongful breach, enable the prevention of damage through an action in civil

liability. Civil courts were initially open to the possibility of extending civil liability law beyond its restorative function to a preventive function. However, several decisions at the end of 2012 put an end to this trend. This study focuses on the evolution of the role precautionary principle in civil liability and on these decisions. These decisions arouse criticism as they undermine the purpose of the precautionary principle, namely to prevent certain damages.

Reconnu en droit international, européen et français, le principe de précaution invite à l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique. En droit français, il a fait l’objet de vifs débats doctrinaux concernant ses conséquences en droit de la responsabilité civile. La question était de savoir si ce principe pouvait, au-delà de la réparation du dommage en cas de manquement fautif, per-mettre d’obtenir la prévention des dommages

par le biais d’une action en responsabilité civile. Si, un temps, le juge civil s’est montré sensible à la possibilité d’élargir la fonction réparatrice du droit de la responsabilité civile à sa fonction préventive, il a mis fin à cette évolution dans une série d’arrêts rendus à la fin de l’année 2012. Cette étude revient sur cette évolution et sur ce coup d’arrêt qui suscite la critique tant il met à mal les raisons d’être du principe de précaution, à savoir la prévention de certains dommages.

* Mathilde Boutonnet est maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille et titulaire de la Chaire CNRS droit de l’environnement. Après avoir soutenu une thèse sur le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, l’auteure a orienté ses recherches vers le droit de l’environnement, en particulier la place du droit privé dans la protection de l’environnement. Elle dirige aujourd’hui un programme de recherche soutenu par le Ministère français de la Justice sur le principe de précaution en droit de la responsabilité civile et pénale comparé. Cet article fait suite à une conférence délivrée à l’Université McGill avec l’accueil de notre collègue la Professeure Lara Khoury. L’auteure la remercie infiniment de cette invitation tant elle fut l’occasion d’ouvrir des nouvelles pistes de réflexion.

L’influence du principe de précaution sur la responsabilité civile en droit français : un bilan en demi-teinte

Mathilde Boutonnet*

Page 2: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

1. INTRODUCTION 11.1La spécificité française du droit de la responsabilité civile 11.2 Rappel des sources 11.3 Rappel du sens 11.4 L’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité

civile français1

1.4.1 Premières imPressions 11.4.2 Un aUtre regard 11.4.3 La réPonse dU jUge 1

2. L’INFLUENCE INDEMNITAIRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE : UN BILAN MITIGÉ

1

2.1 Les limites de l’influence du principe de précaution sur la qualification de faute

1

2.1.1 ProPosition doctrinaLe 12.1.2 La jUrisPrUdence 12.1.3 Le PrinciPe de PrécaUtion reconnU comme norme de comPortement 12.1.4 Le PrinciPe de PrécaUtion comme soUrce d’obLigation de PrUdence

renforcée et affinée1

2.1.5 biLan 12.2 Le rejet de l’influence du principe de précaution sur la preuve du

lien de causalité1

2.2.1 ProPosition doctrinaLe 12.2.2 réPonse dU jUge 12.2.3 La PrimaUté dU droit commUn de La PreUve 12.2.4 L’imPossibLe abaissement dU niveaU de certitUde scientifiqUe 12.2.5 aPPréciation 1

3. L’INFLUENCE PRÉVENTIVE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE : UN BILAN CONTRASTÉ

1

3.1 L’admission audacieuse de l’influence préventive 13.1.1 en référé 13.1.2 aU PrinciPaL 13.1.3 PrinciPe de PrécaUtion et théorie dU troUbLe anormaL de voisinage 13.1.4 aPPréciation 1

3.2 L’admission fragile de l’influence préventive 13.2.1 origine de La fragiLité 13.2.2 La comPétence dU jUge jUdiciaire 1

Page 3: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

3.2.3 PrinciPe de PrécaUtion 13.2.4 traitement ParticULiers des risqUes créés Par Les antennes reLais 13.2.5 ProPositions 1

4. CONCLUSION 1

Page 4: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

11 JSDLP - RDPDD Boutonnet

1. INTRODUCTION

« Le réalisme peut avoir deux sens en politique. Le premier demande de ne pas lutter contre la réalité, mais de s’adapter à elle; le second demande de tenir compte de la réalité pour espérer la transformer ».1

1.1 La spécificité française du droit de la responsabilité civile

Le droit de la responsabilité civile constitue une discipline éminemment politique et, depuis sa codification dans le Code civil français, il fait l’objet de nombreux débats doc-trinaux2. Cela n’étonne pas tant, il véhicule, par son application, des valeurs morales

essentielles au cœur desquelles se trouve le souci des victimes et, derrière lui, la place à accorder, à côté de son rôle essentiellement indemnitaire, à la sanction du comportement des auteurs de dommages, leur dissuasion, leur punition, leur prévention, leur moralisation. Alors qu’au début du 20e siècle la question fut posée de savoir si, face à la croissance des dommages acci-

1 Edgar Morin et Anne Brigitte Kern, Terre Patrie, Paris, Seuil, 1993 à la p 145.2 Sur l’importance de la doctrine comme source du droit de la responsabilité civile, voir Geneviève

Viney, Traité de droit civil : Introduction à la responsabilité, 3e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2008 [Viney, Introduction].

Page 5: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 12

dentels aux origines non fautives3, il était nécessaire de renforcer le rôle indemnitaire de la responsabilité civile, le début du 21e siècle a vu émerger le débat sur l’opportunité de renforcer sa fonction préventive en raison cette fois de l’aggravation des dommages dans les domaines environnementaux et sanitaires, de leur dimension non plus individuelle, mais collective, aux caractères parfois irréversibles4. Cristallisant ce débat, le principe de précaution, principe de droit positif, a alors fait l’objet d’une intense réflexion doctrinale. Peu de principes de droit positif peuvent en effet se vanter d’avoir été autant débattus, décriés autant qu’approuvés. Là est peut-être la spécificité française sur laquelle il convient de s’attarder5 : avoir vu dans le principe de précaution, non seulement un principe majeur du droit de l’environnement, mais aussi, potentiellement, un nouveau principe novateur du droit de la responsabilité civile venant bouleverser « son cadre dogmatique »6.

1.2 Rappel des sources

Il est vrai que le principe de précaution7 trouve initialement ses origines en droit internatio-nal, en droit de l’Union européenne et en droit interne de l’environnement8. L’article 15 de la Déclaration de Rio du 5 juin 1992 dispose que

Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de pré-texte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement9.

3 Sur le combat mené par les défenseurs de la théorie du risque, voir L Josserand et R Saleilles ; sur ce rappel, Viney, ibid.

4 Sur cette évolution, Catherine Thibierge, « Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité : vers un élargissement de la fonction de la responsabilité civile? » (1993) 3 RTD civ 561 (Dalloz) [Thibierge, « Évolution »].

5 Précisons que l’auteure dirige actuellement une recherche collective sur le principe de précaution en droit de la responsabilité civile et pénale comparé. Cette première impression pourrait alors être confirmée, réfutée ou affinée au terme des résultats de la recherche.

6 Gilles J Martin, « Principe de précaution, prévention des risques et responsabilité : quelle novation, quel avenir? » (2005) 40 AJDA 2222 (Dalloz) [Martin, « Novation »].

7 La bibliographie concernant l’étude du principe de précaution par la doctrine française est quan-titativement extrêmement importante. Dans cet article, nous nous référerons à certains articles essentiels de manière aucunement exhaustive.

8 Sur cet historique, voir Sandrine Maljean-Dubois, Quel droit pour l’environnement?, Paris, Hachette Supérieur, 2008 aux pp 75-82 ; Agathe Van Lang, Droit de l’environnement, 3e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2011 aux para 120-126 [Van Lang, Droit de l’environnement]. Voir aussi Gilles J Martin, « Apparition et définition du principe de précaution » (2000) 239 LPA 7 à la p 9 (L’extenso) ; Mathilde Boutonnet et Anne Guégan-Lecuyer, « Historique du principe de précau-tion » dans Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, dir, Le principe de précaution : rapport au premier ministre, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, 253 ; Charles Leben et Joe Verhoeven, dir, Le principe de précaution : aspects de droit international et communautaire, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2002.

9 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Doc off CNUED, 47e sess, annexe point 1, Doc NU A/CONF.151/26 (Vol I) (1992), art 15.

Page 6: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

13 JSDLP - RDPDD Boutonnet

Il se retrouve ensuite dans plusieurs textes10, y compris de nature conventionnelle, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et la Convention sur la diversité biologique, et fait partie des principes fondateurs de « la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement » depuis le Traité de Maastricht de 199211. Quant au droit interne français, après avoir été reconnu par le législateur à l’occasion de la Loi Barnier du 2 février 199512 et codifié à l’article L 110-1 du Code de l’environnement parmi les « principes généraux » qui peuvent, en substance, « inspirer » la protection de l’environnement « dans le cadre des lois qui en définissent la portée »13, il a été hissé au niveau constitutionnel. En effet, il est reconnu à l’article 5 de la Charte de l’environnement adossée à la Constitution qui dispose :

Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage 14.

Selon le Conseil Constitutionnel, ce principe autant que les autres droits et devoirs de la Charte de l’environnement ont pleinement valeur constitutionnelle15.

1.3 Rappel du sens

Formellement, le principe de précaution invite ainsi à adopter des mesures de prudence selon certaines conditions. En aval, il ne s’applique qu’à certains risques de dommages d’une impor-tante gravité, certains textes exigeant même l’irréversibilité, malgré leur non-certitude scienti-fique. Il se distingue ici du principe de prévention qui ne s’applique qu’aux dommages scientifi-quement connus16. Si, originellement, les textes le restreignaient au domaine environnemental,

10 Sur ce rappel des sources internationales, Van Lang, Droit de l’environnement, supra note 9 aux para 120-123.

11 Sur ce rappel des sources de l’Union européenne, ibid au para 123.12 Loi n° 95-101 du 2 février 1995, JO, 3 février 1995, 1840, art 1.13 Voir l’article L110-1 §1 Code de l’environnement [C env] (« [l]e principe de précaution, selon lequel

l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable »).

14 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, JO, 2 mars 2005, 3697 [Loi constitutionnelle du 1er mars 2005].

15 Cons const, 19 juin 2008, (2008) Rec 313, 2008-564 DC.16 Principe lui aussi majeur du droit de l’environnement, voir notamment art L110-1 §2 C env dans

lequel il prend le nom de « principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économi-quement acceptable ».

Page 7: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 14

très rapidement la jurisprudence interne17 et européenne18 est venue l’étendre au domaine de la santé. Cela n’étonne pas, car, en observant de plus près les sources substantielles de ce prin-cipe19, en lien avec les crises sanitaires ayant eu lieu dans les années 90, notamment celle du sang contaminé et de la vache folle20, il en ressort qu’il trouve racine dans la nécessité de redou-bler de prudence face à la croissance et l’importance des risques collectifs en proie à une grande complexité scientifique. En amont, l’application de ce principe est conditionnée par l’adoption de mesures préventives provisoires et proportionnées, soucieuses d’un coût économiquement acceptable, tant il doit tenir compte des différents intérêts économiques, sociaux, écologiques et sanitaires en présence21.

1.4 L’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile français

En France, la question de l’influence du principe de précaution sur le droit de la responsabilité civile a été évoquée assez tôt. C’est à Monsieur Gilles J Martin que l’on doit l’ouverture du débat par le biais de son article intitulé « Précaution et évolution du droit » paru au Dalloz en 199522 aux termes duquel il envisageait, sous l’influence du principe de précaution, l’avène-ment de la « faute de précaution » consistant à rendre fautif « celui qui en situation d’incerti-tude scientifique ou de doute, n’aura pas adopté une démarche de précaution »23. Trois années plus tard, le débat fut relancé par la publication d’un Rapport sur le Principe de précaution dirigé par les professeurs Geneviève Viney et Philippe Kourilsky et remis au Premier Ministre24. Ce dernier envisageait que ce principe puisse influencer les conditions de mise en œuvre de la

17 Pour une analyse de la jurisprudence administrative, voir la thèse de Karine Foucher, Principe de précaution et risque sanitaire : recherche sur l’encadrement juridique de l’incertitude scientifique, Paris, L’Harmattan, 2002 ; Gilles Brücker, « Réflexions sur l’application du principe de précaution au domaine de la santé » (2007) 22 D 1546 (Dalloz).

18 Voir en particulier l’affaire de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), CJE The Queen c Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, C-157/96, [1998] ECR I-02211; voir aussi les sources légales CE, Communication de la Commission sur le recours au principe de précaution, Bruxelles, CE, 2000.

19 Mathilde Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2005 au para 371 et s [Boutonnet, Précaution].

20 Sur ce contexte politique, Boutonnet et Guégan-Lecuyer, supra note 9.21 Sur ces conditions, Kourilsky et Viney, supra note 9 (voir spécifiquement la définition proposée à

la p 151 : « Le principe de précaution définit l’attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu’elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l’environ-nement. Il s’impose spécialement aux pouvoirs publics qui doivent faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre États. Il commande de prendre toutes les dispositions permettant, pour un coût économiquement acceptable et sociale-ment supportable de détecter et d’évaluer le risque, de le réduire à un niveau acceptable et, si pos-sible, de l’éliminer, d’en informer les personnes concernées et de recueillir leurs suggestions sur les mesures envisagées pour le traiter. Ce dispositif de précaution doit être proportionnel à l’ampleur du risque et peut être à tout moment révisé »).

22 Gilles J Martin, « Précaution et évolution du droit » (1995) 39 D 299 (Dalloz) [Martin, « Évolution »].

23 Ibid.24 Kourilsky et Viney, supra note 9 à la p 181.

Page 8: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

15 JSDLP - RDPDD Boutonnet

responsabilité civile, non seulement la faute, mais aussi la preuve du dommage25. Il s’en suivit, au début des années 2000, une opposition doctrinale que l’on peut résumer, en substance, de la manière suivante : d’un côté, certains auteurs refusaient toute incidence du principe de pré-caution en raison de son champ d’application exclusivement public. S’appuyant sur les textes, ces derniers faisaient valoir que ce principe s’adressait aux pouvoirs publics et aucunement aux personnes privées26. Plus tard, cette résistance doctrinale trouvera un bon appui théorique dans la consécration constitutionnelle du principe de précaution visant explicitement les « autorités publiques »27. D’un autre côté, pour la grande majorité de la doctrine, si au contraire, l’ap-plication du principe de précaution aux personnes privées et, par conséquent, son incidence en droit de la responsabilité civile n’était pas « discutable »28, en revanche, alors que certains auteurs limitaient son rôle à la sanction de son non-respect en cas de dommages en résultant29, d’autres l’envisageaient également comme fondement d’une action en responsabilité préven-tive30. La question était alors de déterminer la nature de son influence, autrement dit, de savoir si, en droit de la responsabilité civile, le principe de précaution pouvait détenir une finalité à la fois indemnitaire et préventive : indemnitaire en conduisant à la réparation des dommages au nom de la violation du principe de précaution; préventive en permettant, sur son fondement, l’évitement de dommages graves dans le domaine environnemental et sanitaire, malgré leur incertitude scientifique.

1.4.1 Premières imPressions

La réponse à cette question n’est pas simple, car intimement liée à la conception que chacun peut se faire du droit de la responsabilité civile. Traditionnellement, cette branche du droit a vocation à réparer les dommages. Outre que le dommage est une condition essentielle du droit de la responsabilité civile, sa réparation en est sa finalité. En ce sens, selon le Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, la responsabilité civile se définit comme « toute obli-gation de répondre civilement du dommage que l’on a causé à autrui, c’est-à-dire de le réparer en nature ou par équivalent »31. La fonction réparatrice est même explicitement visée par l’ar-ticle 1382 du Code civil français32. Comme dit Fabre-Magnan, « [l]e droit de la responsabilité

25 Ibid à 180 et 186. 26 Voir notamment François Ewald, Christian Gollier et Nicolas de Sadeleer, Le principe de précaution,

Paris, Presse universitaire de France, 2001 à la p 25.27 Loi constitutionnelle du 1er mars 2005, supra note 15, art 5.28 Selon l’expression de Denis Mazeaud, « Responsabilité civile et précaution » (2001) 14 RCA 72. 29 Kourilsky et Viney, supra note 9 à la p 178 et s  ; Geneviève Viney, « Le point de vue du juriste

sur le principe de précaution » (2000) 239 LPA 66. Voir aussi les développements dans Viney, Introduction, supra note 3 à la p 155 et s ; Anne Guégan-Lecuyer, « L’apport du principe de pré-caution en droit de la responsabilité civile » (2000) 2 RJE 147 ; Patrick Jourdain, « Principe de précaution et responsabilité civile » (2000) 239 LPA 51 [Jourdain, «  Précaution  »]. Dès 1999, voir Laurence Boy, « La nature juridique du principe de précaution » (1999) 7:3 Nature Sciences Sociétés 5.

30 Thibierge, « Évolution », supra note 5 ; Catherine Thibierge, « Avenir de la responsabilité, respon-sabilité de l’avenir » (2004) 9 D 577 (Dalloz) [Thibierge, « Avenir »] ; Boutonnet, Précaution, supra note 20 ; Mazeaud, supra note 29 ; Martin, « Novation », supra note 7.

31 Gérard Cornu, dir, Vocabulaire juridique, 9e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, sub verbo « responsabilité ».

32 Art 1382 C civ (« Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »).

Page 9: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 16

civile est ainsi le droit de la réparation des dommages injustement causés à autrui  »33. En revanche, le principe de précaution revêt une finalité préventive. Si ses conditions d’appli-cation et de mise en œuvre varient d’une source à une autre, de manière générale, il s’agit bien d’imposer la prévention de certains dommages graves dans le domaine environnemental malgré leur incertitude scientifique. Ainsi, d’emblée, il s’en dégage une contradiction. Comme Monsieur Jourdain a pu le noter : « alors que le droit de la responsabilité civile a une fonction essentiellement indemnisatrice et intervient donc en principe après le dommage –qu’elle tente d’effacer ou au moins de compenser–, la logique de précaution cherche au contraire à prévenir un risque de dommage »34. D’où, d’emblée, le sentiment que le principe de précaution ne peut détenir qu’une place limitée en droit de la responsabilité civile comme principe favorisant la réparation des dommages par la sanction de sa méconnaissance, et non leur prévention.

1.4.2 Un aUtre regard

Toutefois, à bien y regarder, la prévention des dommages n’est pas absente du droit de la res-ponsabilité civile. De manière incidente et prophylactique, par la réparation, elle contribue à la prévention des comportements dommageables fautifs. On y retrouve sa vocation mora-lisatrice et normative incitant à « éviter les comportements socialement nuisibles »35. Sur ce point, outre que l’analyse économique du droit fournit un éclairage important quant au lien existant entre le coût de la réparation du dommage et l’efficacité de la prévention36, se pose très souvent la question de son renforcement par l’introduction officielle et encadrée du système des dommages-intérêts punitifs en droit français37. Surtout, de manière plus directe, l’action en responsabilité civile peut parfois conduire à la prévention même du dommage. En ce sens, en premier lieu, rattachable au droit de la responsabilité civile38, l’action fondée sur la théorie du trouble de voisinage permet à la fois de réparer les conséquences dommageables du trouble subi par la victime pour le passé et de l’empêcher de perdurer pour l’avenir en prescrivant des mesures de cessation. Le trouble ne se confond pas avec le dommage : « [i]l ne représente que la menace d’une telle atteinte qui, elle-même, constitue un dommage »39. Alors que, constitué, le dommage justifie des mesures de réparation, provisoire, le trouble justifie des mesures de pré-vention ou cessation40. En second lieu, comme l’a mis en évidence un auteur41, dans de nom-breux domaines (droits de la personnalité, droits réels et droits de la propriété intellectuelle), le droit positif manifesterait l’existence d’une véritable fonction spécifique de la responsabilité

33 Muriel Fabre-Magnan, Droit des obligations, t 2, 3e éd, Paris, Presse universitaire de France, 2013 à la p 39.

34 Jourdain, « Précaution », supra note 30 à la p 51.35 Viney, Introduction, supra note 3 au para 39.36 Fabre-Magnan, supra note 34 à la p 58.37 Geneviève Viney, « Préface » dans Suzanne Carval, dir, La responsabilité civile dans sa fonction de

peine privée, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1995, xv aux pp xvii-xviii.38 Sur cette théorie au regard du droit de la responsabilité et non uniquement du droit des biens, voir

Geneviève Viney et Patrice Jourdain, Les conditions de la responsabilité, 3e éd, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2006, aux para 938-939 [Viney et Jourdain, Conditions].

39 Philipe Conte, « Préface » dans Caroline Guillemain, Le trouble en droit privé, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2000 à la p 8.

40 Guillemain, ibid à la p 73.41 Roger Bout, « Préface » et Philippe le Tourneau, « Avant-propos » dans Cyril Bloch, La cessation

de l’illicite : Recherche sur une fonction méconnue de la responsabilité civile extracontractuelle, Paris, Dalloz, 2008, xiii et xv aux pp xiii-xviii.

Page 10: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

17 JSDLP - RDPDD Boutonnet

civile, la cessation de l’illicite, reposant, non pas sur la preuve d’un préjudice, mais là encore sur celle d’un trouble illicite conduisant à des mesures non pas réparatrices, mais de cessation. Enfin, de manière plus conceptuelle, il y a déjà plusieurs années, une thèse importante a mis en évidence la confusion qui régnait autour de la notion de réparation en nature, en particulier par le biais de la remise en état ou du rétablissement de la situation antérieure42. Derrière cette forme de réparation se cachent bien souvent des mesures permettant au juge d’agir directement sur la source du dommage et, par conséquent, d’empêcher « pour l’avenir le renouvellement du préjudice, la naissance d’un nouveau préjudice »43. Ainsi, s’il est vrai que la fonction de répara-tion des dommages en droit de la responsabilité civile est la plus « évidente »44, les traces de leur prévention ne sont pas absentes, en particulier par le biais de la dissuasion et de la cessation.

1.4.3 La réPonse dU jUge

D’où peut-être le fait que, face à cette dualité fonctionnelle cachée, de son côté, le juge n’a opéré aucun choix entre les deux propositions doctrinales, ou plutôt, a admis les deux voies envisagées par la doctrine. En effet, au vu de la jurisprudence, et malgré le fait que la Charte de l’environnement ait restreint son champ d’application aux autorités publiques, le principe de précaution exerce aujourd’hui une influence aussi bien sur le contentieux indemnitaire que sur le contentieux préventif de la responsabilité civile45. Soucieux de l’importance des risques de dommages dans le domaine environnemental et sanitaire, la Cour de cassation admet que le principe de précaution puisse conduire à la réparation des dommages à la suite de la sanction d’un fait générateur fautif alors que certains juges du fond admettent qu’il puisse justifier la prescription de mesures de prévention dès lors qu’est démontrée l’existence d’un risque même incertain scientifiquement46. Faisant preuve d’audace, le juge rappelle encore une fois combien son rôle est majeur dans l’évolution du droit de la responsabilité civile.

Problématique

Est-ce à dire que cette influence soit aujourd’hui stabilisée ? À regarder de plus près la juris-prudence, certainement pas. D’une part, de nombreuses incertitudes subsistent et devraient à l’avenir être levées. Parmi elles, la définition et les conditions de la faute résultant du man-quement au principe de précaution, la nature exacte du risque de dommage justifiant sa pré-vention, le type de mesures de prévention à prescrire, mais aussi, au-delà de son influence, la nature exacte de ce principe en droit de la responsabilité civile. Le principe de précaution est-il une simple norme de comportement relevant du droit de l’environnement, mais sus-ceptible d’être sanctionnée via la responsabilité du fait personnel ou un véritable principe du droit de la responsabilité civile prenant place aux côtés des autres principes de responsabilité civile? D’autre part, et surtout, depuis peu, certaines limites surgissent. Au mieux, elles restrei-gnent l’influence indemnitaire du principe de précaution en droit de la responsabilité civile. Au pire, elles mettent brutalement un terme à son influence préventive. En effet, outre que le juge refuse que le principe de précaution puisse, lors d’une action indemnitaire, exercer une influence générale sur toutes les conditions du droit de la responsabilité civile, en particulier le

42 Pierre Hébraud, « Préface » dans Marie-Ève Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1974 aux pp 9-17.

43 Roujou de Boubée, ibid à la p 217.44 Fabre-Magnan, supra note 34 à la p 54.45 Sur ce bilan jurisprudentiel, voir Mathilde Boutonnet, « Bilan et avenir du principe de précaution

en droit de la responsabilité civile » [2010] D 2662 [Boutonnet, « Bilan »].46 Ibid.

Page 11: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 18

lien de causalité47, il est récemment venu réduire sa compétence pour prescrire des mesures de prévention lorsque le risque litigieux résulte d’une activité autorisée et contrôlée par l’État48.

D’où la nécessité, en droit français, de porter un regard neuf et renouvelé sur l’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile. Les premières réflexions menées à son sujet ont consisté à éprouver la possibilité de son influence en droit de la responsabilité civile. La question centrale était de savoir si les conditions classiques de la responsabilité civile (la faute, le dommage, le lien de causalité) étaient susceptibles d’évoluer sous son influence. Était lancé au juge le défi de l’appréhension de l’incertitude scientifique en droit de la respon-sabilité civile et de la place à offrir à la prévention des dommages. Or, la jurisprudence montre que, malgré certaines incertitudes, les conditions de la responsabilité civile ont connu une évo-lution favorable à l’accueil de sa finalité indemnitaire et préventive. Au traitement malléable de la faute lors d’une action indemnitaire s’ajoute la distance face à l’exigence de lien de causalité certain et de dommage lors d’une action préventive. Aujourd’hui, la réflexion à mener connaît une nouvelle orientation. Il s’agit de débattre, non plus de la possibilité d’offrir une place au principe de précaution en droit de la responsabilité civile au regard de la définition, la fonction ou les conditions de la responsabilité civile, mais d’en dresser le bilan jurisprudentiel pour mieux apprécier les lacunes et résistances. La question centrale, à laquelle entend répondre cette étude, est alors la suivante : au regard du contentieux, de ses incertitudes et faiblesses, quelle est aujourd’hui l’exacte influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile et quel avenir lui réserver ?

Pour répondre à cette question, il convient de distinguer son influence indemnitaire de son influence préventive tant le bilan qui s’en dégage est différent. Si de manière générale, il apparaît en demi-teinte, de manière spécifique, l’influence indemnitaire du principe de précau-tion en droit de la responsabilité civile manifeste un bilan somme toute assez mitigé (I) et son influence préventive conduit à un bilan, quant à lui, plus contrasté (II).

2. L’INFLUENCE INDEMNITAIRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE : UN BILAN MITIGÉ

Aujourd’hui, le contentieux indemnitaire, c’est-à-dire la jurisprudence concernant les actions en responsabilité civile destinées exclusivement à obtenir la réparation des dommages, montre que le principe de précaution exerce effectivement une influence indemnitaire. Toutefois, son bilan s’avère mitigé car, au regard des prédictions doctrinales49, à la fois attendu et décevant. Il convient de noter, d’une part, les limites de l’influence du principe de précaution sur la quali-fication de la faute (A) et, d’autre part, le refus de l’influence sur la preuve du lien de causalité (B).

2.1 Les limites de l’influence du principe de précaution sur la qualification de faute

2.1.1 ProPosition doctrinaLe

Il y a déjà quelques années, pour la grande majorité de la doctrine, l’influence du principe de précaution sur la responsabilité personnelle fondée sur la faute ne faisait aucun doute50. Elle

47 Ibid.48 Ibid.49 Expression de Nicolas Molfessis, « Les prédictions doctrinales » dans L’avenir du droit: Mélange en

hommage à François Terré, Paris, Dalloz, 1999, 141.50 Voir notamment Martin, « Évolution », supra note 23 ; Kourilsky et Viney, supra note 9 à la p 178 ;

Guégan-Lecuyer, supra note 30 ; Jourdain, « Précaution », supra note 30 ; Mazeaud, supra note 29.

Page 12: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

19 JSDLP - RDPDD Boutonnet

allait dans le sens même du principe, ce dernier invitant à redoubler de vigilance lorsqu’un acte peut engendrer un dommage d’une importante gravité, dans le domaine environnemental et sanitaire, malgré son incertitude scientifique. En substance, la doctrine s’accordait sur l’in-fluence du principe de précaution lors de l’action en responsabilité civile fondée sur l’article 1382 du Code civil, donnant naissance à la « faute de précaution »51 selon laquelle, « celui qui, en situation d’incertitude ou de doute, n’aura pas adopté une démarche de précaution »52 et, au vu de laquelle, le juge sanctionnerait un manque de prudence dommageable face à un risque techniquement et scientifiquement incertain. Plus précisément, il semblait même possible de considérer que le principe de précaution puisse être considéré comme à la fois une norme de comportement dont le manquement serait constitutif de faute et une source de renforcement de l’obligation de prudence générale et d’affinement des obligations de prudence, en amont et en aval du risque53, telles les obligations d’information, de suivi, de retrait du marché, de traçabilité, etc.54.

2.1.2 La jUrisPrUdence

Or, si la Cour de cassation est venue clairement, bien que tardivement, reconnaître que le prin-cipe de précaution comprend une norme comportementale, en revanche, elle reste incertaine s’agissant de son influence sur l’obligation de prudence renforcée et affinée.

2.1.3 Le PrinciPe de PrécaUtion reconnU comme norme de comPortement

Le principe de précaution comme norme de comportement sanctionnable sur le fondement de l’article 1382 du Code civil est clairement consacré par un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 3 mars 201055. En l’espèce, les propriétaires d’un terrain à proximité d’une source d’eau minérale ont fait réaliser un forage pour l’arrosage du jardin. La société qui exploite la source d’eau estime que ces travaux peuvent entraîner un risque de pol-lution pour l’eau et des dommages pour les hommes qui la consomment. Elle assigne alors les propriétaires devant le juge civil qui rejette son action. Formant un pourvoi devant la Cour de cassation, elle argue ainsi du fait que le principe de précaution « impose d’anticiper et de préve-nir tout risque même non encore identifié » et, en l’espèce, « doit conduire le juge à ordonner la fermeture du forage ». La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme :

Mais attendu, d’une part, que selon l’article L. 110-1 II 1° du code de l’environne-ment, le principe de précaution est celui selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retar-der l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ; qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le forage, qualifié d’improductif par l’expert, avait été exécuté par une entreprise spécialisée dans les règles de l’art et le respect des autorisations administratives, et que l’expert avait conclu que ce forage se situant à l’aval du captage des eaux minérales de Saint-Jean Lachaud sans lien direct par faille avec celui-ci, n’avait aucune possibilité de polluer les eaux exploitées par le captage, même si l’on y précipitait des produits nocifs ou des germes délétères, la cour d’appel qui a retenu, à bon droit, que le risque de pollution

51 Mazeaud, ibid au para 8.52 Martin, « Évolution », supra note 23. 53 Mazeaud, supra note 29. 54 Boutonnet, Précaution, supra note 20 à la p 438 et s. 55 Émilie Bouchet-Le Mappian, « Le principe de précaution dans un litige entre voisins » [2010] D

2419.

Page 13: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 20

ayant été formellement exclu par l’expert judiciaire, le principe de précaution ne pouvait trouver application, a pu en déduire que les époux X... n’avaient pas commis de faute [nos italiques] 56

Par une analyse a contrario, on en déduit que, si les conditions imposant la mise en œuvre du principe de précaution, en particulier l’existence d’un risque même incertain, avaient été présentes, l’auteur du forage aurait dû le respecter, c’est-à-dire prendre des mesures de préven-tion effectives et proportionnées à un coût économiquement acceptable. Cette solution est importante, car, outre qu’elle confirme le fait que le principe de précaution est bien invo-cable en droit de la responsabilité civile, donc dans les relations entre personnes privées, elle montre qu’il peut conduire à la qualification d’une faute particulièrement encadrée s’il n’est pas respecté. En effet, cette faute ne peut être constatée que si le principe a lieu de s’appliquer et si les mesures de prévention n’ont pas été prises. On en retient que la faute résultant du manque-ment au principe de précaution ne se confond pas avec une simple faute pour manquement à un devoir de prudence renforcée. Elle réside dans le non-respect du principe lui-même au regard des conditions fixées par la loi.

2.1.4 Le PrinciPe de PrécaUtion comme soUrce d’obLigation de PrUdence renforcée et affinée

En droit de la responsabilité civile, l’obligation générale de prudence est issue des articles 1382 et 1383 du Code civil. Selon ce dernier, « chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence »57. La ques-tion s’est alors posée du renforcement et de l’affinement de cette prudence en cas d’incertitude scientifique, à l’occasion de certains arrêts rendus dans l’affaire du « distilbène » par la Cour de cassation le 7 mars 200658. Le distilbène est le nom d’un médicament prescrit aux femmes entre 1940 à 1977 dans le but de prévenir les fausses couches. Ayant entraîné des dommages importants pour les enfants qui y ont été exposés in utero (cancers de l’utérus et du vagin), ces derniers ont demandé leur réparation devant le juge civil. Dans ces deux arrêts, les laboratoires condamnés par les juges du fond avaient invoqué la violation du principe de précaution pour contester le fait qu’il leur avait été reproché un manque de vigilance dans la mise sur le marché et le non-retrait du marché antérieurement à 1971. L’arrêt rendu à l’occasion du pourvoi n° 04-16179 est particulièrement éloquent. Selon la société UCB Pharma, certes, le principe de précaution impose d’anticiper et de prévenir les risques d’un produit dans un contexte d’incertitude, mais il nécessite que les connaissances scientifiques de l’époque aient fait appa-raître l’existence d’un risque pour l’homme scientifiquement plausible, c’est-à-dire admis par une partie significative de la communauté scientifique. Or, selon le demandeur au pourvoi, il n’était pas possible de la condamner pour des faits ayant eu lieu avant 1971, car, à cette époque, les éléments connus n’étaient pas suffisamment plausibles en ce qui concernait le risque d’adé-nocarcinome chez l’enfant. Si dans les deux espèces, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la condamnation civile des laboratoires, dans cet arrêt, elle affirme clairement :

Mais attendu que la cour d’appel a constaté qu’existaient avant 1971 et dès les années 1953-1954 des doutes portant sur l’innocuité du distilbène que la littérature expérimentale faisait état de la survenance de cancers très divers et qu’en outre, à partir de 1971, de nombreuses études expérimentales et des observations cliniques

56 Cass civ 3e, 3 mars 2010, (2010) Bull civ III, n° 08-19.108.57 Art 1383 C civ.58 Voir les deux espèces, Cass civ 1re, 7 mars 2006, (2006) Bull civ 131, n° 143; Cass civ 1re, 7 mars

2006, (2006) Bull civ 130 n° 142. Voir les observations de Geneviève Viney, « Principe de précau-tion et responsabilité civile des personnes privées » [2007] C 1542 ; Olivier Gout, « Les avancées discrètes du principe de précaution » (2006) 7 Resp civ et assur 11 à la p 7.

Page 14: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

21 JSDLP - RDPDD Boutonnet

contre-indiquaient l’utilisation du distilbène ; qu’elle a pu en déduire sans dénaturer les rapports d’expertise, que la société UCB Pharma qui, devant ces risques connus et identifiés sur le plan scientifique, n’avait pris aucune mesure, ce qu’elle aurait dû faire même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients, avait manqué à son obligation de vigilance59.

Or, selon certains auteurs, l’admission de cette obligation de vigilance porterait en elle la voca-tion préventive du principe de précaution. Cette solution serait implicitement justifiée par la nécessité de vigilance en présence de « risques soupçonnés »60. Il est vrai que, d’emblée, l’obliga-tion de vigilance semble manifester le renforcement et l’affinement de l’obligation de prudence. Pourtant, à regarder de plus près l’arrêt, on peut en douter. Certes, si le laboratoire n’a pas été condamné sur le fondement de la violation du principe de précaution, en revanche, en rejetant le pourvoi, on peut se demander si la Cour de cassation n’a pas approuvé implicitement le fait que, au contraire, le principe de précaution invitait à sa condamnation. Cela se renforce si l’on constate que le manquement à « son obligation de vigilance » lui est reproché bien qu’il y ait eu, avant 1971, des résultats discordants quant aux avantages et inconvénients du produit. Toutefois, il demeure que le laboratoire a été condamné au regard de risques «  connus et identifiés ». Il semble alors que cette solution ne puisse être vue de manière certaine comme la consécration de la faute de précaution marquant le passage de l’obligation de prudence raison-nable en cas de risques certains à l’obligation de prudence renforcée et affinée en cas de risques moins certains, moins connus, débattus ou soupçonnés, mais porteurs de dommages graves.

2.1.5 biLan

L’influence du principe de précaution sur la responsabilité du fait personnel apparaît ainsi limitée. D’une part, si le principe de précaution est susceptible d’influencer la qualification de la faute, celle-ci ne réside aujourd’hui exclusivement que dans le manquement au principe de précaution tel qu’il est prévu précisément par les textes. D’autre part, en admettant cette influence, elle reste qualitativement et quantitativement limitée : la solution du 3 mars 2010 ne concerne que le domaine environnemental et est isolée. À l’avenir, on doute d’ailleurs de son futur succès sur ce point tant, s’il s’agit d’obtenir l’indemnisation du dommage, les victimes bénéficient de régimes plus efficaces tels que celui de la responsabilité du fait des choses (1384 al 1 du Code civil) et de la responsabilité du fait des produits défectueux (1386-1 et s du Code civil)61.

Derrière ce bilan, c’est la nature même du principe de précaution en droit de la responsa-bilité civile qui se dessine sous nos yeux62. En admettant que son non-respect puisse être sanc-tionné sur le fondement de l’article 1382, le juge l’appréhende comme principe, non pas  du  droit de la responsabilité civile susceptible de fonder une action de manière autonome, mais du droit de l’environnement dont le non-respect peut être apprécié en droit de la responsabilité, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel. Par ailleurs, puisque seul le non-respect de ses conditions légales précises semble aujourd’hui entraîner sa sanction, le principe de pré-caution constitue davantage un principe normatif porteur d’une norme précise qu’un principe directeur susceptible d’influencer le juge dans son appréciation de toute faute commise dans un contexte d’incertitude scientifique. Faut-il le regretter? D’un côté, il est vrai que, outre l’in-

59 Référence nécessaire.60 Viney, Introduction, supra note 3 au para 66-3.61 Sur le succès limité du principe de précaution pour des questions d’opportunité indemnitaire, voir

Mathilde Boutonnet, « L’accueil des principes environnementaux en droit de la responsabilité civile » dans Chantal Cans, dir, La responsabilité environnementale: prévention, imputation, réparation, Paris, Dalloz, 2009, 69.

62 Sur ce statut, voir Boutonnet, Précaution, supra note 20 au para 352 et s.

Page 15: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 22

demnisation, c’est la prévention qui en ressort affaiblie, le juge étant freiné dans sa découverte des obligations de prudence à adopter au nom du principe de précaution. D’un autre côté, en refusant de consacrer de manière générale la faute de précaution au regard d’une obligation de prudence renforcée, la jurisprudence respecte le sens du principe tel que fixé par le législateur et garantit la sécurité juridique des justiciables qui ne semblent devoir être concernés par ce principe que si les conditions de son application sont au préalable clairement réunies. Surtout, rien n’empêche de remédier aux carences soulevées. En ce sens, le législateur peut, sous son influence, non seulement créer des obligations légales favorables au respect du principe de pré-caution dans le domaine environnemental et sanitaire, telles que des obligations d’information poussées et de vigilance renforcées, mais aussi réfléchir à la nécessité d’améliorer les dispositifs d’indemnisation en cas de dommages graves commis dans un contexte d’incertitude scienti-fique. Cette réflexion serait d’autant plus nécessaire que la jurisprudence rejette aujourd’hui toute influence du principe de précaution sur la preuve du lien de causalité.

2.2 Le rejet de l’influence du principe de précaution sur la preuve du lien de causalité

2.2.1 ProPosition doctrinaLe

Le principe de précaution invite à éviter « la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques »63. Cela implique une possible incertitude scientifique du lien de causalité entre le fait générateur et la réalisation dommage. De ce fait, il y a quelques années, au cours du débat relatif à l’influence possible du principe en droit de la responsabilité civile, la majorité des auteurs a admis que celui-ci conduirait à un allègement de la preuve du lien de causalité en cas de dommages64. En ce sens, alors que, pour Monsieur Jourdain, « [u]ne faute de précaution présume au moins en fait le lien de causalité »65, pour Monsieur Mazeaud, une présomption devrait s’appliquer à « la santé ou la sécurité, dans la mesure où une telle faute crée un risque objectif de dommage »66.

2.2.2 réPonse dU jUge

Aujourd’hui, le juge ne semble pas prêt à assouplir la preuve du lien de causalité sur le fonde-ment du principe de précaution lors d’une action indemnitaire. Il convient ici de se tourner vers un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 mai 201167. En l’espèce, un Groupement agricole d’exploitation (GAEC Marcouyoux) a intenté une action en responsabilité contre la SA Réseau transport électricité (RTE) titulaire d’une servitude d’appui sur des terrains appartenant au GAEC et sur lesquels celle-ci exploite des lignes à très haute tension. Il estimait que les champs électromagnétiques étaient la cause des désordres sanitaires constatés dans ses élevages situés à proximité des lignes, lui causant ainsi des préjudices matériels et économiques. Les juges du fond ayant rejeté sa demande en consta-tant que le lien de causalité entre la mortalité des bovins et l’exploitation des lignes à haute

63 Loi constitutionnelle du 1er mars 2005, supra note 15, art 5.64 Sur ce rappel, voir Boutonnet, Précaution supra note 20 à la p 567 et s.65 Jourdain, « Précaution », supra note 30 à la p 56.66 Mazeaud, supra note 29 au para 15.67 Mustapha Mekki, « Droit de la responsabilité civile » (2011) 279 Gaz Pal 13 ; Mathilde Boutonnet,

« Les présomptions: un remède inefficace au refus d’influence des principes environnementaux sur la preuve de la causalité » [2011] D 2089 ; Philippe Brun et Olivier Gout, « Responsabilité civile » [2012] D 47 ; Patrice Jourdain, « Principe de précaution et causalité: quelle incidence du premier sur la seconde? » [2011] RTD civ 540 [Jourdain, « Causalité»].

Page 16: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

23 JSDLP - RDPDD Boutonnet

tension n’était pas démontré, le groupement agricole a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Tout en admettant cette incertitude scientifique, il faisait valoir que le principe de précaution invitait au contraire à la relativiser en présumant le lien de causalité. Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation affirme que :

[A]yant énoncé à bon droit que la charte de l’environnement et le principe de pré-caution ne remettaient pas en cause les règles selon lesquelles il appartenait à celui qui sollicitait l’indemnisation du dommage à l’encontre du titulaire de la servitude d’éta-blir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci et que cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes, la cour d’appel, qui a relevé que des éléments sérieux divergents et contraires s’opposaient aux indices existant quant à l’incidence possible des courants électromagnétiques sur l’état des élevages de sorte qu’il subsis-tait des incertitudes notables sur cette incidence et qui a analysé les circonstances de fait dans lesquelles le dommage s’était produit, a pu retenir, sans inverser la charge de la preuve, que, compte tenu de l’ensemble des explications et données fournies, l’existence d’un lien de causalité n’était pas suffisamment caractérisée et en a exac-tement déduit que les demandes d’indemnisation du GAEC ne devaient pas être admises68.

2.2.3 La PrimaUté dU droit commUn de La PreUve

On en retient que, si la Cour de cassation accepte que le principe de précaution soit invoqué dans le contentieux de la responsabilité civile, en revanche, elle refuse de lui faire jouer une influence sur la preuve du lien de causalité. Celle-ci ne dépend que du droit commun auquel il faut se reporter. En effet, comme l’exprime l’arrêt, la charge de la preuve du lien de causalité repose sur le demandeur69. Seul le système des présomptions permet de l’alléger70. Il faut en effet rappeler que, en droit français, l’incertitude scientifique n’est pas ignorée du droit de la responsabilité civile71. Du côté de la causalité72, le manque de certitude scientifique peut conduire à une certitude juridique grâce au système des présomptions de fait prévu à l’article 1353 du Code civil selon lequel le magistrat ne doit admettre « que des présomptions graves, précises et concordantes  ». Au vu de certains éléments de faits, malgré une incertitude, le juge est alors ou non convaincu de la forte probabilité de la causalité. Ainsi, la preuve par « la négative » ou par « exclusion » tient-elle une place importante dans le domaine médical, mais

68 Cass civ 3e, 18 mai 2011, (2011) Bull civ III, n° 80. 69 Art 1349 C civ.70 Sur les présomptions et le lien de causalité, voir Viney et Jourdain, Conditions, supra note 39, au

para 362.71 Michel Borgetto et al, Le traitement juridique et judiciaire de l’incertitude, Paris, Dalloz, 2008  ;

Étienne Vergès, « Les liens entre la connaissance scientifique et la responsabilité civile: preuve et conditions de la responsabilité civile » dans Ève Truilhé-Marengo, dir, Preuve scientifique, preuve juridique, Bruxelles, Larcier, 2012, 129 ; Anne Claudel, dir, Incertitude juridique, Incertitude scien-tifique, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2000 aux pp 9-15.

72 Anne Guégan-Lecuyer, «Incertitude et causalité dans la perspective des dommages de masse » [texte présenté à la Cour de cassation], en ligne : Cour de cassation <http://www.courdecassation.fr>.

Page 17: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 24

aussi, dans des cas particuliers, dans le domaine environnemental73. Par ailleurs, le législateur et le juge peuvent créer des règles de présomptions qui permettent de «  considérer comme acquis un fait déterminé, sur la seule preuve dûment rapportée d’un autre fait »74. Aux pré-somptions légales existant en particulier dans le domaine sanitaire75 s’ajoutent les présomptions judiciaires76. Or, dans l’arrêt du 18 mai 2011, face à l’absence de présomption de droit, seule la présence de présomptions de fait aurait permis d’emporter la conviction du juge et non une éventuelle influence du principe de précaution.

2.2.4 L’imPossibLe abaissement dU niveaU de certitUde scientifiqUe

Mais quel aurait pu être cette influence exactement? Pour répondre à cette question, il convient de rappeler le sens du principe de précaution. Il incite à éviter la réalisation des dommages malgré l’incertitude scientifique l’entourant. Autrement dit, la prévention doit avoir lieu bien que le débat scientifique ne permette pas de savoir si le dommage peut oui ou non se réaliser. Appliquée au lien de causalité juridique, l’influence invoquée consiste alors à faire valoir qu’il doit être présumé, car la certitude scientifique ne doit pas être exigée en cas de dommage grave. Or, en refusant son influence, le juge en vient à écarter toute possibilité de prendre en compte un degré trop important d’incertitude scientifique au-delà de l’appréciation déjà relativement libérale qu’il admet sur le fondement du droit commun, à savoir une prise distance encadrée à l’égard de la preuve scientifique par, d’un côté la possibilité de se passer de la certitude scientifique et, d’un autre côté, l’impossibilité de se contenter de la preuve d’une incertitude scientifique. En effet, il faut rappeler que la Cour de cassation adopte une conception souple de la causalité en distinguant la causalité juridique de la causalité scientifique, appelée encore « causabilité »77. La causalité juridique peut-être admise malgré l’impossibilité de démontrer sur le plan scientifique, de manière certaine, le lien de causalité. Ainsi la Cour de cassation, dans les affaires du vaccin anti-hépatite B et malgré l’incertitude scientifique régnant autour de la pos-sibilité qu’il soit notamment la cause du déclenchement de la maladie de la sclérose en plaques, admet que « si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut

73 Voir l’indemnisation des dommages causés par un bang supersonique, Cass civ 2e, 13 octobre 1971, (1971) Bull civ 198, n° 274. Voir aussi, du côté des juges du fond en matière de causalité environ-nementale et dommages causés aux bétails, des exemples de preuve par la négative Valérie Gaillot-Mercier et Mathilde Boutonnet, « La mise en œuvre de l’action en responsabilité et la réparation du dommage en matière d’environnement » dans Philippe Brun et al, dir, Lamy Droit de la responsabi-lité, Ruell-Malmaison, Wolters Kluwer France, étude 370 ; Trib gr inst Albertville, 26 août 1975, (1976) JCP Jur 18384 (note W Rabinovitch).

74 Jean-Luc Aubert et Éric Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 13e éd, Paris, Sirey, 2010, au para 72.

75 Voir par ex Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, JO, 5 mars 2002, 4118 (posant une présomption de droit en cas de transmission du virus de l’hépatite C par transfusion sanguine).

76 Voir dans le cas de la transmission du VIH par transfusion sanguine, Cass civ 1re, (2001) Bull civ 85, n° 130.

77 Sur ce rappel, Christophe Radé, « Causalité juridique et causalité scientifique: de la distinction à la dialectique » [2012] D 112.

Page 18: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

25 JSDLP - RDPDD Boutonnet

résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes »78. Toutefois, cette libéralité a des limites. Dans cette même affaire du vaccin anti-hépatite B, la décision de la Cour de cassation selon laquelle « l’absence de certitude scientifique sur l’innocuité du vaccin n’emporte pas de présomption de défaut » [nos italiques]79. Ainsi y a-t-il une limite dans l’accepta-bilité de l’incertitude scientifique. Certes, la causalité juridique et la causalité scientifique ne se confondant pas, la première ne dépend pas de la preuve scientifique, comme le rappelle l’arrêt du 18 mai 2011. Cependant, l’absence de certitude scientifique fragilise la preuve, car elle rend plus difficile la possibilité de démontrer la causalité juridique. Ainsi, en l’espèce, les effets nocifs des champs électromagnétiques sur les élevages donnant lieu à une grande incertitude scien-tifique, la preuve du lien causal juridique ne pouvait être apportée. À défaut d’admettre, au nom du principe de précaution, une plus grande distance à l’égard de la certitude scientifique allant jusqu’à se contenter de son absence même, le juge pouvait difficilement accepter une caractérisation du lien de causalité.

2.2.5 aPPréciation

Si d’emblée, ce rejet d’influence peut surprendre au regard des propositions doctrinales déduites du sens du principe de précaution, il nous semble au contraire justifié. Il ne faut pas s’y tromper  : le principe de précaution a pour finalité de prévenir la réalisation de certains dommages lorsqu’ils sont d’une importante gravité et cela malgré leur incertitude scientifique. Si l’exigence de certitude scientifique est mise de côté, c’est parce que les dommages graves peuvent encore être évités. Il ne s’agit donc aucunement d’indemniser des dommages malgré l’incertitude scientifique concernant leur causalité. Comme l’affirme Monsieur Jourdain, réservé à la prévention des dommages, « le principe de précaution n’a pas pour effet de trans-former comme par magie le doute en certitude »80. De ce fait, si l’on comprend que, parce qu’il contient une norme comportementale, il puisse influencer la caractérisation d’une faute sur le fondement de l’article 1382, ce serait dévoyer son sens que de lui faire jouer un rôle indemni-taire plus important, du côté de la causalité, comme d’ailleurs du côté de la preuve du défaut en matière de régime de responsabilité du fait des produits défectueux81. Là encore, au juge ou au législateur de décider si, dans certains cas, le contexte d’incertitude scientifique mérite d’être plus fortement pris en compte en cas de réalisation de dommages. En revanche, en toute logique, il serait davantage critiquable de refuser toute influence causale du principe de pré-caution lorsqu’il s’agit, par le biais d’une action en responsabilité civile, d’obtenir la prévention d’un dommage. D’où la nécessité d’observer de plus près l’influence préventive du principe de précaution en droit de la responsabilité civile qui s’avère plus contrastée.

78 Cass civ 1re, 22 mai 2008, (2008) Bull civ I, n° 148 ; Cass civ 1re, 7 mars 2006, (2006) Bull civ I, 130, n°142 ; Cass civ 1re, 22 mai 2008, n° 06-18848 [Cass civ 1re, n° 06-18848] ; Cass civ 1re, 22 mai 2008, (2008) Bull civ I, n° 147; Cass civ 1re, 22 mai 2008, n° 05-10593 ; Christophe Radé, « Vaccination anti hépatite B et sclérose en plaques: le tournant? » (2008) 7 Resp civ et assur 8 ; Luc Grynbaum, « Vaccins contre l’hépatite B et produits défectueux: les présomptions constituent un mode de preuve du lien de causalité et du défaut » (2008) 28 JCP G II 10131 ; Patrice Jourdain, « Lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques: la Cour de cassa-tion assouplit sa jurisprudence » [2008] RTD civ 492. Voir aussi s’agissant d’un vaccin ORL, Cass civ 1re, 25 juin 2009, (2009) Bull civ I, n° 141 ; Patrice Jourdain, « Lien de causalité entre vaccina-tion et maladie apparaissant ultérieurement: la jurisprudence s’affine » [2009] RTD civ 723.

79 Cass civ 1re, n° 06-18848, supra note 79.80 Jourdain, « Causalité », supra note 68.81 Cass civ 1re, n° 06-18848, supra note 79.

Page 19: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 26

3. L’INFLUENCE PRÉVENTIVE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE : UN BILAN CONTRASTÉ

Si l’influence indemnitaire du principe de précaution peut s’avérer en définitive assez déce-vante, son influence préventive donne lieu à deux types de sentiments. D’un côté, à observer la jurisprudence des juges du fond, on ne peut être que surpris par l’accueil rapidement fait à sa finalité préventive. L’audace jurisprudentielle doit ici être relevée. D’un autre côté, en tenant compte d’une récente jurisprudence de la Cour de cassation susceptible de remettre en cause cette influence, on ne peut être qu’interloqué par, indirectement, sa quasi-mise à mort. D’où la nécessité de mettre en exergue ce bilan contrasté : l’admission audacieuse de la finalité préven-tive du principe de précaution (A) est aujourd’hui largement freinée (B).

3.1 L’admission audacieuse de l’influence préventive

Que le principe de précaution puisse être invoqué lors d’une action en responsabilité civile afin d’obtenir la prévention d’un dommage et non uniquement sa réparation, cela n’allait pas de soi, au regard de la fonction traditionnellement indemnitaire de ce droit. Toutefois, bien que la jurisprudence ne soit pas unitaire sur ce point et qu’elle n’ait aucunement été confirmée par la Cour de cassation, il faut noter que plusieurs décisions ont admis cette possibilité dans un même domaine en proie à une véritable incertitude scientifique : les antennes-relais de télépho-nie mobiles suspectées, pour certains, de provoquer des dommages sanitaires pour leurs voisins. Pour comprendre cette jurisprudence, il convient de distinguer les décisions rendues par les juges des référés de celles rendues par les juges du fond82.

3.1.1 en référé

« L’objet du référé [est] de permettre l’obtention rapide d’une mesure provisoire dans l’attente de la solution définitive d’un litige »83. En droit français, au regard de la possibilité pour le juge de référés de prescrire des mesures destinées à faire cesser un dommage ou un trouble, une partie de la doctrine rattache cette procédure au droit de la responsabilité civile84. Plus particulièrement, parmi les procédures de référés, c’est celle prévue à l’article 809 du Code de procédure civile qui, a priori, semble le plus à même pour accueillir la finalité préventive du principe de précaution en ce qu’elle dispose : « [l]e président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Et « [d]ans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ». Si tout l’intérêt de cette disposition au regard du principe de précaution est donc d’admettre la prévention ou cessation malgré un manque de certitude, en revanche, la difficulté est qu’elle exige la démonstration d’un dommage immi-nent, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le domaine environnemental et sanitaire. On comprendra alors que, face aux décisions ayant refusé de faire une place au principe de précau-tion en affirmant notamment que ce dernier « n’autorise pas le juge des référés à s’affranchir des

82 Sur ce bilan, voir Geneviève Viney, « Le contentieux des antennes-relais » [2013] D 1489 [Viney, « Antennes-relais »] ; Mathilde Boutonnet, « Les risques éventuels générés par les antennes-relais de téléphonie mobile devant le juge civil » [2009] Gaz Pal 11.

83 Loïc Cadiet et Emmanuel Jeuland, Droit judiciaire privé, 5e éd, Paris, LexisNexis, 2006 au para 631.84 Voir en particulier Philippe le Tourneau, « Droit de la responsabilité civile », en ligne: Dalloz,

<http://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=RESPONSABILITE>.

Page 20: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

27 JSDLP - RDPDD Boutonnet

conditions d’exercice de ses prérogatives »85, celles ayant accepté d’interpréter souplement les conditions exigées par l’article 809 du Code de Procédure civile soient vues avec audace. Ainsi, par une ordonnance de 11 août 200986, le président du Tribunal de grande instance de Créteil a admis la demande en référé de personnes invoquant les risques de troubles générés par une installation après avoir constaté « un trouble manifestement illicite ». Il affirme que, « contrai-rement à ce que prétend la société de téléphonie mobile, il appartient au juge judiciaire de faire respecter le principe de précaution, traduction du devoir de prudence vis-à-vis des tiers et qui est expressément mentionné à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement  ». Par ailleurs, dans une décision du 15 septembre 201187, la Cour d’appel de Montpellier a ordonné le démantèlement d’une antenne relais en affirmant qu’il y avait bien un trouble manifeste-ment illicite dès lors que la société SFR avait fait naître chez les demandeurs « la crainte qu’en demeurant dans leur habitation, ils courent et font courir à leur enfant un risque sanitaire particulièrement grave si celui-ci devait se réaliser, dès lors qu’au regard des développements qui précèdent, il n’existe aucune garantie d’absence d’un tel risque ». Le juge rappele que la société SFR n’a pas respecté le principe de précaution puisqu’il existait bien un risque incertain et des solutions permettant de le réduire en installant l’antenne dans un autre lieu existaient. On en retient que, en référé, certaines décisions manifestent l’influence directe du principe de précaution sur le renforcement de la fonction préventive de la responsabilité civile en facilitant la preuve du trouble manifestement illicite. Invitant à anticiper les dommages graves malgré leur incertitude scientifique, le principe de précaution conduit à admettre que la non-garantie de l’innocuité des antennes-relais est constitutive d’un trouble illicite.

3.1.2 aU PrinciPaL

Cette jurisprudence trouve son prolongement dans le contentieux rendu «  au principal  », lorsque le juge statue à titre définitif sur la responsabilité civile de l’auteur. Là encore, la juris-prudence est loin d’être unitaire. Parmi les décisions ayant retenu que le principe de précaution puisse jouer un rôle préventif par le biais d’une action en responsabilité civile, il convient d’opérer une distinction88.

3.1.3 PrinciPe de PrécaUtion et théorie dU troUbLe anormaL de voisinage

Pour la grande majorité, ces décisions combinent deux fondements.  L’action est fondée à la fois sur le principe de précaution et la théorie du trouble de voisinage. Cela n’étonne pas, car cette théorie d’origine jurisprudentielle permet à certaines victimes de trouble de solliciter devant le juge civil la prescription de mesures de réparation, cessation et prévention lorsque celui-ci excède les inconvénients de ce que doit supporter une personne dans les rapports de voisinage89. Sous l’influence du principe de précaution, la preuve du trouble est alors assouplie, s’ouvrant ainsi à l’incertitude scientifique. Tout a commencé avec le jugement du Tribunal de grande instance de Grasse du 30 juin 2003 confirmé par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix

85 CA Paris, 15 mars 2000, (2000) JurisData 108718, n° 1999/24752. Voir aussi, 10 juin 2009, (2009) JurisData 010742, n° 09/00169; Trib gr inst Aix en Provence, 9 juin 2009, (2009) JurisData 010705, n° 09/00628.

86 Trib gr inst Créteil, 11 août 2009, (2009) JurisData 007359, n°09/00658.87 CA Montpellier, 15 septembre 2011, (2011) n° 10/04612 ; Trib gr inst Carpentras, 16 février

2009, (2009) JurisData 001396, n° 08/00707 ; François Guy Trébulle, « Droit de l’environnement » [2009] D 2448.

88 Sur ces distinctions, voir Boutonnet, « Bilan », supra note 46.89 Sur cette théorie, voir Viney et Jourdain, Conditions, supra note 39 au para 953.

Page 21: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 28

en Provence le 8 juin 200490. À l’occasion d’une action intentée par des personnes vivant à proximité d’une antenne-relais, le juge a ordonné la cessation du trouble par le déplacement de l’antenne après avoir constaté que la simple impossibilité de garantir l’absence de risque suffisait à caractériser le trouble. Autrement dit, le principe de précaution invite à considérer qu’un trouble peut être prouvé en dépit de l’absence de certitude scientifique des effets invo-qués et conduire ainsi à la prévention du dommage qui pourrait apparaître. Puis, d’autres décisions sont venues confirmer ce raisonnement, en particulier l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 4 février 200991, confirmant le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nanterre le 18 septembre 200892. Après avoir constaté que les normes définies par le décret du 3 mai 2002 applicables à l’émission des ondes électromagnétiques étaient respectées, le juge estime qu’il subsiste des doutes sur leur impact sur la santé. Il s’appuie sur différentes études scientifiques montrant l’ampleur de l’incertitude. Il en déduit que l’impossibilité de  « se voir garantir une absence de risque sanitaire généré par l’antenne relais [...] justifient être dans une certaine crainte légitime constitutive d’un trouble », son anormalité résidant dans son caractère sanitaire. Il ajoute qu’il est nécessaire de faire cesser « le préjudice moral résultant de l’angoisse créée et subie par les intimés », mais aussi d’accorder des dommages-intérêts, car, l’angoisse ayant perduré, elle constitue un préjudice réparable. On en retient que, sous l’influence du principe de précaution, le trouble est caractérisé au regard du simple risque, voire même la non-garantie de l’absence de risque, malgré l’incertitude scientifique concernant la possibilité que les antennes produisent certains dommages. De ce fait, comme tout trouble, il permet au juge de prescrire des mesures de réparation pour ce qu’il entraîne en termes de dommages, ici un préjudice d’angoisse, et des mesures de cessation permettant d’éviter la continuation ou la réalisation future des dommages, en l’occurrence ici sanitaires.

Action fondée sur le principe de précaution

Si ces décisions démontrent l’influence préventive du principe de précaution, celui-ci ne fait qu’appuyer le raisonnement du juge. Il permet d’assouplir les conditions de la théorie du trouble anormal de voisinage en opérant le passage de l’exigence de trouble résultant d’effets personnels concrets et certains à l’admission du trouble fondé sur le simple risque potentiel93. Or, un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nevers le 22 avril 201094 montre

90 Trib gr inst Grasse, 17 juin 2003, (2003) JurisData 221748 ; Sitsofé Kowouvih, « Les troubles anor-maux de voisinage et les antennes relais de téléphonie mobile: une utilisation inédite du principe de précaution en matière de responsabilité civile » (2003) 11 Resp civ et assur 7 ; CA Aix en Provence, 8 juin 2004, (2004) D Jur 2678 n° XAP080604X (annotation Mathilde Boutonnet) ; Philippe Delebecque, Patrice Jourdain et Denis Mazeaud, « Responsabilité civile : panorama 2004 » [2005] D Obs 185 au para 4.

91 Patrice Jourdain, « Risque et préjudice (suite): réparation au titre des troubles du voisinage du préju-dice généré par la présence d’antennes relais de téléphone mobile » [2009] RTD civ 327 ; Mathilde Boutonnet, « Point de vue » [2009] D Juris 499 ; Guy Courtieu, « Proximité d’une antenne relais de téléphonie mobile » [2009] RCA Comm 75. Voir aussi Blandine Mallet-Bricout et Nadège Reboul-Maupin, « Droit des biens » [2009] D Pan 2300.

92 Trib gr inst Nanterre, 18 septembre 2008, (2008) D Jur 96 (annotation Mathilde Boutonnet) [Nanterre, 2008]. Voir Trib gr inst Toulon, 26 mars 2006, (2006) Droit de l’environnement 164 (annotation David Deharbe et Eloïse Hicter).

93 Sur cette transformation de la théorie du trouble anormal de voisinage voir Philippe Stoffel-Munck, « La théorie des troubles du voisinage à l’épreuve du principe de précaution : observations sur le cas des antennes relais » [2009] D Chron 2817 ; Patrice Jourdain, « L’incidence du principe de précau-tion sur le trouble de voisinage » [2005] RTD civ Chron 146; Nanterre, 2008, supra note 93.

94 Trib gr inst Nevers, 22 avril 2010, (2010) n° 10/00180.

Page 22: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

29 JSDLP - RDPDD Boutonnet

comment le principe de précaution pourrait exercer une influence plus directe, constituant lui-même le fondement exclusif d’une action préventive. Concernant toujours l’implantation éventuellement dommageable d’une antenne-relais, le jugement a admis la condamnation civile de l’opérateur de téléphonie mobile sur le fondement du principe de précaution comme principe général du droit, applicable au droit de la responsabilité civile, et impliquant la pres-cription de mesures de prévention. Rigoureux, le jugement non seulement exclut l’application de la théorie du trouble de voisinage qui n’a de sens qu’en cas de risque certain, mais aussi soumet l’action préventive au respect des conditions précises du principe de précaution. Après avoir pris acte de la grande incertitude scientifique et de la subsistance du risque en dépit du respect des normes françaises en matière d’émission des ondes, il impose à l’opérateur d’effec-tuer des recherches supplémentaires sur les risques en jeu et, selon les conclusions, de trouver un emplacement plus adéquat. À cette fin, il prend soin de préciser qu’il s’agit de mesures pro-portionnées et économiquement acceptables. Si l’on ajoute qu’il s’agit de mesures tournées vers la prévention du dommage et de nature provisoire, il se dégage une véritable mise en œuvre contentieuse à finalité directement et exclusivement préventive du principe de précaution. En effet, d’une part, détournée de la notion de trouble, notion à cheval sur la réparation et la prévention, la solution est exclusivement tournée vers l’évitement de la réalisation de dom-mages. D’autre part, respectueuse des conditions légales du principe de précaution, elle montre qu’il pourrait à l’avenir être le fondement autonome d’une action préventive encadrée.

3.1.4 aPPréciation

Premièrement, cette jurisprudence du fond montre que l’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile suggère une certaine malléabilité de sa nature juridique95. Lorsqu’il accompagne la théorie du trouble anormal de voisinage, il est appréhendé comme un principe directeur du droit de la responsabilité civile invitant à assouplir certaines condi-tions bien connues, en l’occurrence celle du trouble, pour renforcer la prévention. Lorsqu’il est invoqué de manière autonome, il apparaît comme un principe normatif entendu comme celui qui bénéficie d’une « garantie normative »96, dont l’invocation en justice peut être suivie de la prescription de son respect, prenant place alors à côté des autres principes du droit de la responsabilité civile tels que le principe de responsabilité du fait des choses et la théorie du trouble anormal de voisinage97. Audacieuse, cette seconde nature s’avère plus respectueuse de la sécurité juridique en ce qu’elle tend à répondre aux conditions fixées par les textes recon-naissant le principe de précaution : la prévention encadrée des dommages. Deuxièmement, il ressort de cette jurisprudence que jour après jour se dessine l’action préventive fondée sur le principe de précaution. Soutenue par une partie de la doctrine98, cette action compléterait les actions déjà existantes, celles tournées vers la réparation des dommages sur les fondements des régimes de droit commun et de droit spéciaux et celles tournées vers la cessation des troubles soutenue en particulier par la théorie du trouble anormal de voisinage. Sous l’impulsion éven-tuellement du législateur, ne manquerait plus que de préciser plus clairement ses conditions de mise en œuvre et de déterminer précisément le type de mesures préventives auxquelles elle conduirait. Or, cette perspective pourrait ne jamais voir le jour, car la Cour de cassation est

95 Voir Boutonnet, « Bilan », supra note 46.96 Expression de Catherine Thibierge, La force normative: naissance d’un concept, Paris, Librairie géné-

rale de droit et de jurisprudence, 2009 à la p 823.97 Sur la place du principe de précaution parmi les principes du droit de la responsabilité civile, voir

Boutonnet, Précaution, supra note 20.98 Thibierge,  «  Avenir  », supra note 31.Sur la création d’une action collective et préventive, voir

Boutonnet, Précaution, supra note 20 à la p 305 et s. Plus récemment, voir Patrice Jourdain, « Comment traiter le dommage potentiel » [2010] RCA 11. Contre l’action préventive fondée sur le principe de précaution, voir Viney, Introduction, supra note 3 au para 66-2.

Page 23: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 30

récemment venue, comme nous allons en discuter, fragiliser la place du principe de précaution en droit de la responsabilité civile par la voie, non plus substantielle, mais processuelle, à savoir la compétence du juge. À peine émergée, l’admission de l’influence préventive du principe de précaution s’avère fragilisée.

3.2 L’admission fragile de l’influence préventive

3.2.1 origine de La fragiLité

D’où vient cette fragilité de l’influence préventive du principe de précaution? Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que, appliqué au contentieux des antennes-relais, le prin-cipe de précaution a suscité la critique de certains auteurs voyant d’un mauvais œil la possibilité pour le juge judiciaire de contredire des décisions prises par les autorités publiques. Monsieur Stoffel-Munck, mettant en doute la légitimité du pouvoir judiciaire dans ce domaine, affirme ainsi que « le juge judiciaire substitue son appréciation de ce qu’exige le principe de précaution à celle qu’ont opérée les pouvoirs publics » et qu’il « prive ainsi d’effet l’arbitrage réalisé par ces derniers entre les nécessités de l’intérêt public et le degré de l’incertitude scientifique »99. En substance, dès lors que l’État a autorisé le risque créé par l’émission des antennes-relais sous réserve de certaines conditions, en particulier du niveau de nuisance, le juge judiciaire ne serait plus légitime, via une action en responsabilité civile fondée sur le principe de précaution, à le contester. Or, outre que cette opinion doctrinale trouvait un appui dans une partie de la juris-prudence des juges du fond refusant l’influence préventive du principe de précaution au nom de l’incompétence du juge judiciaire100, elle explique aussi que la Cour de cassation ait, par un arrêt du 12 octobre 2011101, renvoyé la question de la compétence du juge judiciaire dans le domaine des antennes-relais au Tribunal des conflits.

3.2.2 La comPétence dU jUge jUdiciaire

Par six arrêts rendus le 14 mai 2012102, le Tribunal des conflits a affirmé que les autorités publiques désignées par la loi sont exclusivement compétentes pour « déterminer et contrôler les conditions d’utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d’implanta-tion des stations radioélectriques sur l’ensemble du territoire, ainsi que les mesures de protec-tion du public contre les effets des ondes »103. Et d’en déduire deux conséquences.

Premièrement,

l’action portée devant le juge judiciaire, quel qu’en soit le fondement, aux fins d’ob-tenir l’interruption de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou

99 Stoffel-Munck, supra note 94 au para 32.100 Voir notamment CA Chambéry, 14 février 2010, (2010) D Jur 707 n° 09.00731 ; Blandine Mallet-

Bricout et Nadège Reboul-Maupin, « Droit des biens » [2010] D Chron 2183 à la p 2187.101 Cass civ 1re, 12 octobre 2011, (2011) AJDI Jur 879, n° 10-24.559.102 Trib confl, 14 mai 2012, (2012) D Juris 1930 (annotation Gilles Martin et Jean-Charles Msellati) ;

Trib confl 14 mai 2012, (2012) Rec n° 3846 ; Trib confl 14 mai 2012, (2012) Rec n° 3848 ; Trib confl 14 mai 2012, (2012) Rec n° 3850 ; Trib confl 14 mai 2012, (2012) Rec n° 3852 ; Trib confl 14 mai 2012, (2012) Rec n° 3854.

103 Martin et Msellati, supra note 103 ; Agathe Van Lang, « La clause générale de répartition des com-pétences au secours des antennes relais » [2012] AJDA Chron 1525 à la p 1528.

Page 24: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

31 JSDLP - RDPDD Boutonnet

de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière104.

On en retient que, selon le tribunal des conflits, le juge judiciaire n’est pas compétent pour, y compris sur le fondement du principe de précaution, prescrire des mesures de prévention des dommages lorsque l’installation litigieuse est conforme à la loi applicable.

Secondement,

le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d’une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d’une part, aux fins d’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’une station radioélectrique qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public, d’autre part, aux fins de faire cesser les troubles anor-maux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou à un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvé-nients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables105

On en retient que, devant le juge judiciaire et sur le fondement notamment du principe de précaution, outre l’indemnisation, la prévention redevient exceptionnellement possible, mais réservée à des cas délimités : l’irrégularité de l’implantation, la non-conformité aux prescriptions ou le fait que la demande ne concerne ni la santé publique, ni les brouillages préjudiciables.

Cette délimitation des compétences a été entérinée par la Cour de cassation par deux arrêts du 17 octobre 2012106 et un arrêt du 19 décembre 2012107. Elle a censuré un arrêt rendu par une Cour d’appel qui avait prescrit l’interdiction de l’implantation de l’antenne-relais au regard de la crainte soulevée par la victime qui était porteuse d’un implant108 et a rappelé que « l’ac-tion tendant à obtenir l’enlèvement d’une station radioélectronique régulièrement autorisée par l’autorité administrative ne relève pas de la compétence du juge judiciaire »109. Par ailleurs, elle admet, à l’inverse, que le juge judiciaire est bien compétent, sur le fondement du trouble anormal de voisinage résultant d’effets d’électro-hypersensibilité attribués à l’antenne, pour prescrire des mesures d’indemnisation destinées à réparer le trouble de jouissance et le préju-dice physique et moral et une mesure de blindage de l’appartement. Il convient donc de retenir de cette jurisprudence que, dorénavant, dans le domaine des antennes relais – enjeu essentiel du principe de précaution – la prévention est largement freinée. Elle est refusée dans le cas des dommages concernant la santé des personnes vivant dans le voisinage lorsque l’implantation est régulière. Elle n’est admise qu’exceptionnellement, soit en cas d’irrégularité de l’autorisation ou du fonctionnement, soit lorsqu’il ne s’agit pas d’une demande relative aux risques relevant

104 Martin et Msellati, supra note 103.105 Ibid.106 Cass civ 1re, 17 octobre 2012, (2012) D Jur 2523, n° 11-19.259 [Cass civ 1re, n° 11-19.259] ; Cass

civ 1re, 17 octobre 2012, (2012) D Jur 2523, n° 10-26.854 ; Agathe Van Lang, « La question de la compétence judiciaire dans le contentieux des antennes-relais : fin ou suite? » [2012] RDI Chron 612 [Van Lang, « Compétence »].

107 Cass civ 3e, 19 décembre 2012, (2013) D Jur 91, n° 11-23.566 [Cass civ 3e, n° 11-23.566] ; Philippe Malinvaud, « Troubles de voisinage dus aux antennes-relais : où en est-on? » [2013] RDI Chron 162.

108 Cass civ 1re, n° 11-19.259, supra note 107.109 Cass civ 3e, n° 11-23.566, supra note 108 à la p 91.

Page 25: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 32

de la santé publique et aux brouillages préjudiciables, par exemple lorsque le dommage sani-taire est spécifiquement lié à la prédisposition de la victime.

3.2.3 PrinciPe de PrécaUtion

Certes, ces décisions ne concernent pas directement la mise en œuvre du principe de précau-tion. Elles n’affirment aucunement que celui-ci ne peut être invoqué devant le juge civil pour obtenir la prévention de dommages. Toutefois, indirectement, par le biais de la compétence, elles « le réduisent à néant »110. En effet, premièrement, il faut rappeler que les risques visés par le principe de précaution s’avèrent bien souvent des risques encadrés par l’État. Si c’est ici le cas des ondes électromagnétiques, c’est aussi le cas de l’autorisation de cultiver ou mettre sur le marché des organismes génétiquement modifiés111 tout autant que de la mise sur le marché de médicaments aux effets mal connus. En pleine croissance, les risques en proie à une grande incertitude scientifique en appellent à la gestion étatique, car ils peuvent, bien souvent être à la fois sources de dommages importants dans le domaine sanitaire et environnemental ainsi qu’au cœur d’intérêts économiques et sociaux. Secondement, si le principe de précaution possède ini-tialement un champ d’application environnemental confirmé par la Charte de l’environnement, la jurisprudence l’a très vite étendu au domaine de la santé, comme le confirme le conten-tieux des antennes-relais. Ainsi, exclure la compétence judiciaire dès lors que le défendeur s’est parfaitement conformé aux prescriptions découlant de la gestion étatique du risque dans le domaine de la santé publique, emporte deux conséquences. Cela revient, non seulement, techniquement, à empêcher toute action civile fondée sur le principe de précaution lorsqu’elle est destinée à obtenir la prévention des dommages au-delà du respect des normes, mais aussi, téléologiquement, à renier tout le sens originel du principe de précaution.

3.2.4 traitement ParticULiers des risqUes créés Par Les antennes reLais

Ce constat est d’autant plus sévère que, à regarder de plus près cette jurisprudence, c’est un coût d’arrêt éminemment politique qui en ressort. En effet, il convient de mettre en évidence que, techniquement, cette répartition des compétences souffre la critique. Il est vrai que la compétence du juge judiciaire est réduite lorsqu’elle concerne des décisions prises sur le fonde-ment des règles de police administrative112. Au nom du principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, qui trouve son fondement dans la Loi du 16 et 24 août 1790 et le Décret du 16 fructidor an III (textes visés par la Cour de cassation dans ces les arrêts précités du 17 octobre 2012 et 19 décembre 2012), le juge judiciaire ne peut traditionnellement113 ordon-ner des mesures qui contredisent directement les prescriptions édictées par l’administration114. En s’appuyant sur la caractérisation d’une police spéciale des communications relevant exclusi-

110 Martin et Msellati, supra note 103 au n° 13.111 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, « Les OGM, entre hostilité de principe et principe de précau-

tion » (2000) 1:4 Cités 15.112 Geneviève Viney et Patrice Jourdain, Les effets de la responsabilité, 2e éd, Paris, Librairie générale de

droit et de jurisprudence, 2001 au n° 46 et s [Viney et Jourdain, Effets].113 Voir en droit des installations classées depuis Trib confl, 23 mai 1927, (1927) S III 94 [Tribunal,

1927].114 Sur ce rappel, Van Lang, « Compétence », supra note 107.

Page 26: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

33 JSDLP - RDPDD Boutonnet

vement de la compétence étatique115, les décisions du Tribunal des conflits du 14 mai 2012 et de la Cour de cassation du 17 octobre 2012 et du 19 décembre 2012116 se conforment ainsi à la tradition jurisprudentielle française. Cependant, réduite, cette compétence judiciaire n’est, en principe, pas pour autant anéantie en raison d’une règle importante, « le droit des tiers », qui signifie que les autorisations administratives sont toujours délivrées sous réserve du droit des tiers117. Cela implique qu’il est possible d’intenter une action devant tout juge sans que le défendeur ne puisse arguer du respect de l’autorisation : l’acte administratif d’autorisation n’est en aucun cas un fait justificatif118. Au regard de l’arrêt de principe rendu par le Tribunal des conflits en 1927

[l]es tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dom-mages-intérêts que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice qu’un établisse-ment pourrait causer dans l’avenir, à condition que ces mesures ne contrarient point les prescriptions édictées par l’administration dans l’intérêt de la sûreté et la salubrité publique 119.

De ce fait, la seule limite de la compétence judiciaire réside dans la contradiction directe de l’autorisation. Ainsi, au regard de la jurisprudence, il a été démontré que, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, s’il est impossible d’ordonner directement la fermeture d’un établissement régulièrement autorisé120, il est possible d’obtenir du juge civil la prescription de mesures d’atténuation du trouble, d’ordonner des travaux y remédiant, de suspendre provisoi-rement l’activité pour faire disparaître les nuisances, voire même, malgré le respect des condi-tions d’exploitation, de prescrire des conditions supplémentaires, lorsque le juge judiciaire estime les prescriptions administratives insuffisamment protectrices121. On est alors surpris de constater que, dans le contentieux des antennes-relais, le juge ait fermé toutes portes à la compétence judiciaire en l’enfermant dans des conditions, soit d’irrégularité, soit de type de trouble. Faisant preuve d’une bien plus grande sévérité comparativement aux autres polices, en particulier du droit des installations classées, il fait de l’irrégularité ou du type de trouble

115 S’inspirant ici du Titre II du Code des postes et des communications électroniques intitulé « Ressources et Police ». Plus précisément, l’autorité en charge est le ministre chargé des Communications élec-troniques, de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) qui délivre les autorisations d’utilisation des fréquences radioélectriques, lesquelles constituent un mode privatif d’occupation du domaine public de l’État et de l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) compétente pour autoriser l’implantation des stations radioélectriques.

116 Directement inspiré de la décision Commune de Saint-Denis rendue par la Conseil d’État. Voir CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, (2001) AJDA Jur 2039, n° 326492 ; Jacques-Henri Stahl et Xavier Domino, « Antennes de téléphonie mobile : quand une police spéciale d’État évince la police municipale » [2011] AJDA Chron 2219 ; Agathe Van Lang, « L’exclusivité de la police spéciale des ondes électromagnétiques : quand la compétence prime le fond » [2012] RDI 153; Marianne Moliner-Dubost, « Le maire n’est pas compétent pour réglementer l’installation d’an-tennes de téléphonie mobile » [2012] AJCT 37.

117 Spécifiquement en la matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (IPCE), art L 514-19 C env.

118 Sur ce rappel, Michel Prieur, Droit de l’environnement, 6e éd, Paris, Dalloz, 2011 au para 689.119 Tribunal, 1927, supra note 114. 120 Cass civ 1re, 5 novembre 1963, (1964) D jur 178.121 Sur ce rappel édifiant avec les précisions jurisprudentielles, voir Viney et Jourdain, Effets, supra note

113 à la p 95.

Page 27: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 34

des conditions dérogatoires à celles en principe exigées dans l’exercice du droit des tiers. Sur le fond, l’exigence d’irrégularité est d’autant plus choquante que, si l’application de la théorie du trouble anormal est indifférente à l’exigence de faute et permet d’obtenir des mesures de prévention malgré le respect de la loi, de manière plus générale, en droit commun de la respon-sabilité civile, l’appréciation de la faute n’en dépend aucunement122. D’où le sentiment que l’on partage avec d’autres auteurs123 qu’il se dessine un traitement particulier dans le domaine des antennes-relais et, donc, potentiellement des risques en proie à la fois à une grande incertitude scientifique et à des conflits d’intérêts sanitaires, économiques et sociaux majeurs. En cas de risques non avérés, le juge judiciaire serait enclin à s’approprier un pouvoir de juger plus large.

Les distorsions techniques semblent manifestement signes d’une volonté politique, face aux enjeux suscités par les risques visés par le principe de précaution, de retirer toute possibilité au juge judiciaire de s’exprimer sur les effets du risque et les remèdes possibles, et in fine d’offrir, de larges pouvoirs à l’administration. Or, cette solution n’est pas sans danger. Avec le recul, on sait maintenant que de grandes crises sanitaires se sont produites en France avec l’aval de l’administration. Des produits mis sur le marché en toute légalité ont été sources de dommages importants. Que l’on songe ici aux drames du sang contaminé124 et de la vache folle125. Que l’on songe aussi, au regard du contentieux judiciaire actuel, aux drames du distilbène et, avec plus d’incertitude, celui de l’hépatite B. Dans tous les cas, l’inertie de l’administration à retirer suffisamment tôt les produits sur le marché à l’origine des dommages sanitaires, en raison de l’incertitude scientifique les entourant, a conduit à la réalisation de drames qui, en faisant application du principe de précaution, auraient pu être évités126. La frilosité judiciaire fait fi que certains risques souffrent le débat scientifique malgré la gestion étatique. Si l’État est incité à faire un choix et à gérer le risque, au regard de certaines données, il n’empêche que l’incertitude scientifique persiste. L’autorisation étatique ne rend pas par magie le risque inexistant.

3.2.5 ProPositions

Ce constat suscite deux sentiments qui oscillent entre la volonté de relativiser la portée de cette jurisprudence et celle de la contrer.

Relativiser la portée de la jurisprudence

Relativiser car, d’une part, il est possible de réfléchir à la manière dont les conditions qui s’en dégagent aujourd’hui peuvent être interprétées demain en faveur d’une subsistance du prin-cipe de précaution. En ce sens, certains auteurs se demandent si la voie de l’indemnisation des dommages autorisée par le Tribunal des conflits et la Cour de cassation ne pourrait pas englo-ber certaines mesures de prévention au regard de la fluidité des concepts et fonctions127. Il est vrai que certains auteurs ont démontré que certaines mesures de rétablissement de la situation

122 Sur ce rappel, Viney, « Antennes-relais », supra note 83.123 Martin et Msellati, supra note 103 au n° 15 (ils évoquent « le privilège de juridiction administrative

»).124 Michel Setbon, « Le cas du sang contaminé confronté au principe de précaution » dans Kourilsky et

Viney, supra note 9, 387.125 Marie-Angèle Hermitte et Dominique Dormont, « Propositions pour le principe de précaution à la

lumière de l’affaire de la vache folle» dans Kourilsky et Viney, supra note 9, 341.126 Sur le principe de précaution comme remède à ces drames, voir les annexes du rapport de Kourilsky

et Viney, supra note 9.127 Mustapha Mekki, « Chronique de jurisprudence » (2012) 334 Gaz Pal 13.

Page 28: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

35 JSDLP - RDPDD Boutonnet

dommageable étaient rattachées à l’indemnisation128. Reste que ce remède interprétatif semble bien fragile si l’on tient compte de l’exclusion dont font clairement part ces décisions de tout un ensemble vaste et complet des mesures de prévention. D’autre part, il convient de rappeler que, malgré tout, l’administration n’est pas sans contrôle. Par la voie du contrôle de légalité et parce que le principe de précaution est d’applicabilité directe, le juge administratif peut appré-cier la validité d’une autorisation administrative129. Toutefois, comme il a été noté, le Conseil d’État reste réticent à invalider un acte administratif, et au contraire à valider une mesure de précaution, sans tenir compte « d’indices sérieux permettant d’avoir un doute raisonnable sur l’innocuité du produit »130. En effet, « la tendance générale est au contrôle restreint, laissant un large pouvoir discrétionnaire à l’administration »131. En définitive, si l’on s’en tient à relativiser la portée de cette récente jurisprudence, il est tentant de penser qu’il « reste à espérer que la conscience et la culture du risque ont progressé au sein de l’administration, et que les impératifs économiques ne constituent pas le repère unique à l’aune duquel sont mises en œuvre certaines polices spéciales »132.

Contrer la portée de la jurisprudence

D’où la nécessité de partir à la recherche des voies permettant de contrer cette jurisprudence. À titre de conclusion, signalons trois pistes de réflexion possibles et indissociables133.

Restaurer la compétence du juge

128 Roujou de Boubée, supra note 43 à la p 137.129 Sur ce rappel du principe de précaution et du contrôle de légalité, voir Van Lang, Droit de l’envi-

ronnement, supra note 9 au para 128 ; Aude Rouyère, « L’exigence de précaution saisie par le juge » [2000] RDA Chron 266 ; Laurent Fonbaustier, « Le contrôle de légalité à la française comme mode de traitement du principe de précaution » [2007] D Chron 1523.

130 CE, 24 juillet 2009, Société BASF Agro, n° 316013.131 Fonbaustier, supra note 130 à la p 1526.132 Martin et Msellati, supra note 103 au n° 19.133 Les pistes de recherche ici proposées font l’objet actuellement d’un travail de recherche collective

approfondie soutenu par la Mission de Recherche Droit et Justice s’intitulant « Étude comparative de l’influence du principe de précaution sur la responsabilité civile juridique civile et pénale ». Se déroulant sur deux années, il consiste à effectuer un état des lieux de l’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile et pénale dans différents droits et à s’interroger sur son avenir en droit français par le biais de certains techniques existant dans les différents droits étrangers («Étude comparative de l’influence du principe de précaution sur la responsabilité civile juridique civile et pénale », en ligne  : Centre d’études et de recherches internationales et communautaires <http://www.ceric-aix.univ-cezanne.fr>).

Page 29: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 36

La première piste consiste avant tout à tenter de restaurer le pouvoir du juge judiciaire en matière de prévention des risques graves, dans les domaines sanitaires et environnementaux134. Il s’agit ici d’apprécier politiquement et juridiquement la restriction de la compétence du juge judiciaire dans l’application du principe de précaution. Du point de vue de l’opportunité, dans un contexte d’incertitude scientifique, n’est-il pas aujourd’hui devenu nécessaire d’ouvrir les espaces démocratiques? Les raisons d’être du principe de précaution, à savoir la prévention de risques d’une importante gravité malgré leur incertitude scientifique, n’invitent-elles pas à nuancer les conséquences liées à la séparation des autorités administratives et judiciaires? Le procès civil ne pourrait-il pas être ce lieu privilégié « d’une nouvelle alliance entre l’adminis-tration active, les citoyens et le juge, pour dire quels sont les risques acceptables »135? Du point de vue de la possibilité, gardien des libertés individuelles136, le juge judiciaire n’a-t-il pas ici naturellement vocation à intervenir137? L’avènement des droits fondamentaux dans le domaine environnemental reconnus en droit interne par la Charte de l’environnement et soutenu par la jurisprudence de la CEDH138 ne renforce-t-il pas ici sa légitimité139? Le droit d’accès à la justice n’est-il pas ici le seul garant du droit d’accès au droit à vivre dans un environnement sain140? Et cela ne passera-t-il pas nécessairement par la possibilité de prescrire des mesures préventives?

Justifier l’action préventive

La seconde piste consiste, une fois acquise cette possible restauration de la compétence judi-ciaire, à justifier l’avènement d’une action préventive fondée sur le principe de précaution. À cette fin, pour mieux l’accepter, il semble important de prendre acte des raisons politiques ayant mené à la restriction du pouvoir du juge. Comme l’affirme le Tribunal des conflits dans ses décisions du 14 mai 2012, le risque pointé du doigt est celui de l’immixtion dans les décisions relevant des autorités publiques141. Il est vrai que, le domaine de la santé publique relevant de l’intérêt général, il est dévolu à l’État. Or, par le biais de l’action en justice et des mesures préventives en résultant142, les individus invoquant la théorie du trouble de voisinage remettent en cause, à titre individuel, des autorisations censées répondre à l’intérêt général.

134 Déjà en ce sens, Mustapha Mekki, « Chronique responsabilité civil » (2010) 161 Gaz Pal 18 (l’au-teur s’interroge sur la légitimité du juge en ces termes : « ne pourrait-il pas tirer sa légitimité de l’existence d’un débat contradictoire, marque d’une démocratie de la discussion? »).

135 Hermitte et Dormont, supra note 126 à la p 383.136 Constitution du 4 octobre 1958, JO, 5 octobre 1958, 9151, art 66. 137 Dany Cohen, « Le juge, gardien des libertés? » (2009) 3:130 Pouvoirs 113.138 Voir notamment Jean-Pierre Marguénaud, « La Charte constitutionnelle de l’environnement face à

la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme » (2005) 5 RJE 199 à la p 202 et s ; Jean-Pierre Marguénaud, « Les droits fondamentaux liés à l’environnement » dans Olivera Boskovic, dir, L’efficacité du droit de l’environnement, Paris, Dalloz, 2010, 83 ; Jean-Cristophe Martin, « La contribution de la Cour EDH au développement du droit à l’environnement » dans Olivier Lecuq et Sandrine Maljean-Dubois, dir, Le rôle du juge dans le développement du droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 2008, 173.

139 Sur l’influence du droit à l’environnement sur le droit de la responsabilité civile, voir Vincent Rebeyrol, L’affirmation d’un droit à l’environnement à la réparation des dommages environnementaux, Paris, Defrénois, 2009.

140 Pour reprendre la formule de Yvon Desdevises, « Accès au droit, accès à la justice » dans Loïc Cadiet, dir, Dictionnaire de la Justice, Paris, PUF, 2004, 1.

141 Martin et Msellati, supra note 103.142 Sur l’originalité des mesures de cessation du trouble, voir Bloch, supra note 42.

Page 30: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

37 JSDLP - RDPDD Boutonnet

La question est alors de savoir si l’admission d’une action préventive davantage collective ne devrait pas contrebalancer la critique politique143. En ce sens, quelle pourrait être la portée des actions engagées par les associations aujourd’hui autorisées, devant le juge judiciaire, à défendre les intérêts collectifs de l’environnement et de la santé144? Au nom de la défense des intérêts collectifs, à savoir ici la défense d’une grande cause145 ne devraient-elles pas avoir voca-tion à solliciter la prévention des risques visés par le principe de précaution? Qu’en serait-il également si, demain, par le biais également d’une action de groupe dépassant le strict domaine de la consommation146, une multiplicité de victimes revendiquait la prévention de leur propre risque causé à grande échelle? Au-delà de la défense des intérêts d’autrui147, c’est ici le poids à accorder à la prévention du risque de masse qui est en jeu148. Subrepticement, la mise à mort des actions engagées individuellement au titre du principe de précaution ravive la question du possible renforcement de la défense des intérêts collectifs, au sens autant qualitatif que quanti-tatif, dans un but préventif.

Encadrer l’action collective

Cette collectivisation de l’action préventive fondée sur le principe de précaution s’avère une piste d’autant plus importante à approfondir qu’elle correspond au sens même de ce principe. Par un retour aux origines du principe de précaution, il consiste à éviter la réalisation de dom-mages collectifs d’une importante gravité, selon certaines conditions d’applicabilité et de mise en œuvre. Sa finalité préventive est directement liée à ses raisons d’être collectives149. D’où, une fois acquises l’opportunité et la possibilité de fondre le principe de précaution dans une action judiciaire plus collective, la nécessité de se soucier de l’encadrer au regard de ses propres condi-tions150. Quels risques seraient ici concernés? Quelles mesures de prévention pourraient être

143 Voir Jourdain, « Précaution », supra note 30 à la p 57 (« [l]es victimes potentielles, souvent igno-rantes des risques, ne pourront guère agir individuellement et l’efficacité de telles mesures passera par la reconnaissance d’un droit d’action aux associations défendant des intérêts collectifs »). Sur la création d’une action collective et préventive, voir Boutonnet, Précaution, supra note 20 à la p 297 et s.

144 Voir Geneviève Viney, « L’action d’intérêt collectif et le droit de l’environnement, Rapport français» dans Geneviève Viney et Bernard Dubuisson, dir, Les responsabilités environnementales dans l’espace européen : point de vue franco-belge, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2006, 217. Plus largement, voir Louis Boré, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les juridic-tions administratives et judiciaires, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1997.

145 Ou défense des intérêts altruistes (Viney et Jourdain, Conditions, supra note 39, aux para 303-303-7).146 Voir le Projet de loi n° 1015 du 2 mai 2013, France, (définitivement adopté par le Parlement

le 13 février 2014, futur article L 423-1 du Code de la consommation) ; Emmanuel Jeuland, «Substitution ou représentation? À propos du projet d’action de groupe » ; France, Ministère de la justice, Rapport sur l’action de groupe, (2005; président : Guillaume Cerutti et Marc Guillaume). Dans le domaine environnemental, voir Louis Boré, « Action collective et protection de l’environ-nement » dans Olivera Boskovic, dir, L’efficacité du droit de l’environnement, Paris, Éditions Dalloz, 2010, 45 à la p 51.

147 Viney et Jourdain, Conditions, supra note 39 au para 298.148 Voir Anne Guégan-Lecuyer, Dommages de masse et responsabilité civile, Paris, Librairie générale de

droit et de jurisprudence, 2006.149 Sur ce rappel, Boutonnet, Précaution, supra note 20 à la p 196 et s.150 Sur cet encadrement nécessaire, voir Viney, « Antennes-relais », supra note 83.

Page 31: L’influence du principe de précaution sur la ... · l’évitement de certains dommages graves dans le domaine de l’environnement et de la santé malgré leur incertitude scientifique

Boutonnet Volume 10: Issue 1 38

prescrites? Surtout, quel degré d’incertitude pourrait être admis151 et selon quels paramètres d’appréciation152?

4. CONCLUSION

En définitive, en demi-teinte, le bilan à la fois mitigé et contrasté de l’influence du principe de précaution en droit de la responsabilité civile est porteur d’un enjeu sociétal majeur consistant à savoir si le procès peut et doit devenir le lieu de défense des intérêts collectifs environnemen-taux et sanitaires comme contrepoids du pouvoir politique. S’il est acquis, au regard de la juris-prudence étudiée, que les conditions substantielles du droit de la responsabilité civile peuvent évoluer pour faire une place à la finalité indemnitaire et préventive du principe de précaution, reste à savoir si, demain, ses conditions processuelles lui permettront enfin de s’y épanouir.

151 L’étude de la jurisprudence de la CJUE et la législation de l’Union européenne est essentielle tant elle fournit des indices sur ce niveau de certitude (sur ce rappel, Viney, « Antennes-relais », supra note 83).

152 Sur ce point, la détermination de la place de l’expertise devant le juge judiciaire est essentielle, voir Ève Truilhé-Marengo, dir, La relation juge-expert dans les contentieux sanitaires et environnementaux, Paris, La Documentation Française, 2011.