l’exception de copie privée et les npvr · 2019-01-22 · partie 1 : l’application...
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Master 2 Recherche Droit international et européen de la propriété intellectuelle
Année universitaire 2017-2018
L’exception de copie privée et les nPVR
Louise BOYE-DELLA GIUSTINA
Mémoire de Recherche
Soutenu le 17 septembre 2018
Université de Strasbourg Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle
Sous la direction de Mme. Stéphanie Carre
L’Université de Strasbourg n’entend donner aucune approbation ou improbation aux
opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
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Remerciements
Je tiens particulièrement à remercier Madame Carre, qui a encadré la rédaction de ce mémoire
et avant cela, m’a guidée dans le choix du sujet.
Je souhaite par ailleurs remercier Monsieur Daniel Segoin, pour sa disponibilité pendant tout
le temps de rédaction de ce mémoire.
Enfin, je souhaite remercier ma famille qui fut d’un soutien précieux, ainsi que l’ensemble de
mes camarades de Master cette année, qui ont allégé ces mois de recherche pendant la période
estivale.
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Sommaire INTRODUCTION
PARTIE 1 : L’application controversée de l’exception de copie privée aux nPVR
Chapitre 1 : Une remise en cause du régime de l’exception de copie privée mis en exergue par les nPVR
I) La souplesse bienvenue de l’exception face aux technologies nPVR
II) Le bénéfice de l’exception aux fournisseurs nPVR restreint par la rigidité des conditions fondamentales
Chapitre 2 : Une remise en cause de la dichotomie traditionnelle entre les droits patrimoniaux accentuée par les nPVR
I) La confrontation de l’exception de copie privée au respect du droit de représentation
II) Le risque de violation du droit de communication au public préalable à
l’exécution de la copie privéePARTIE 2 : La mise en œuvre incertaine du droit à rémunération aux nPVR
Chapitre 1 : Le mécanisme risqué de l’assujettissement français des nPVR à la RCP
I) L’instauration d’un rapport conventionnel inédit au sein du secteur audiovisuel
II) L’instauration d’un rapport déséquilibré au sein du secteur audiovisuelChapitre 2 : La fragilité d’un dispositif de RCP renforcée par les conséquences économiques afférentes aux nPVR
I) Le risque de déséquilibre économique renforcé par l’activité concurrentielle des services nPVR aux organismes de diffusion
II) Le risque d’une élaboration prématurée du barème de rémunération pour copie privée
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Liste des abbréviations
ALAI Association littéraire et artistique
internationale
aff. Affaire
Cass. Cour de cassation
CE Conseil d’état
CJUE Cour de justice de l’Union européenne
CPI Code de la propriété intellectuelle
Com. Com. élec. Communication, Commerce électronique
DVR Digital video recorder
éd. Edition
FAI Fournisseur d’accès à l’internet
nPVR Network personnal video recorder
MTP Mesures techniques de protection
OMPI Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle
PVR Private video recorder
TGI Tribunal de grande instance
RDC Revue des contrats
RTD com. Revue trimestrielle de droit commerciale
UE Union européenne
VàD Vidéo à la demande
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INTRODUCTION
P.-E. Moyse l’affirme : « Non seulement les juristes ont-ils la vue courte, ils ont la riposte
législative souvent trop rapide, leurrés par la nouveauté d’une technologie bientôt
condamnée à être remplacée »1. Puisqu’un service de magnétoscope numérique dans le cloud
vient de faire l’objet d’une réforme législative, touchant à l’exception de copie privée en droit
français, on ne peut que souligner l’existence d’une sensibilité du législateur envers les
nouvelles technologies.
P.-Y. Gautier définit l’exception de copie privée comme « un droit de l’usager fondé sur un
usage domestique supposé non dommageable à l’auteur et point une simple tolérance de
l’auteur » 2. D’après l’article L. 122-5 du CPI, l’exception de copie privée est limitée aux
copies réalisées à partir d’une source licite, strictement réservées à l’usage privé du copiste et
non destinées à une utilisation collective. Elle constitue une exception au droit exclusif de
reproduction de l’auteur, qui est normalement soumis à son autorisation préalable. La
reproduction selon l’article L. 122-3 consiste « dans la fixation matérielle de l’œuvre par tout
procédé qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». En droit
français, les droits de reproduction et de représentation visent respectivement tous les modes
d’exploitation des œuvres sous forme corporelle et incorporelle, en vertu de l’article L. 122-
13.
Cet appareil législatif semble avoir été bousculé par la loi « relative à la liberté de la création,
à l’architecture et au patrimoine » dite Création, n°2016-925 du 7 juillet 2016 qui a encadré
l’arrivée sur le marché français des services de network personnal video recorder (nPVR). Ils
permettent à un téléspectateur de copier des programmes télévisés dans le cloud. Cela signifie
que : « le support d'enregistrement n'est plus un disque dur personnel propre à l'utilisateur
mais une capacité d'enregistrement personnelle mise à disposition par un tiers (par des FAI,
Google, Apple etc.). […] Cette fonction propose donc un service qui concurrence directement
les offres de « replay » et de VOD des diffuseurs de programmes » d’après le Rapport du
1 P.-E. Moyse, Minuit à la porte du droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, Mare & Martin, Coll. des presses universitaires de Sceaux, ed. 2018, p. 218 2 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. Droit fondamental, Classiques, Paris, 10e éd., 2017 p. 390 3 Traité de la propriété littéraire et artistique, A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Lexis Nexis 5e édition, 2017, para. 253
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Sénat sur le projet de loi4. En d’autres termes, les nPVR permettent à chaque usager de créer
sa propre vidéothèque télévisuelle, accessible en tous lieux et sur n’importe quel support.
La récente modification du CPI ajoute un alinéa supplémentaire à l’article L. 311-4, disposant
que, sont débiteurs de la rémunération pour copie privée : « l’éditeur d’un service de radio ou
de télévision ou son distributeur, au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative
à la liberté de communication, qui fournit à une personne physique, par voie d’accès à
distance, la reproduction à usage privé d’œuvres à partir d’un programme diffusé de manière
linéaire par cet éditeur ou son distributeur, sous réserve que cette reproduction soit
demandée par cette personne physique avant la diffusion du programme ou au cours de celle-
ci pour la partie restante ». L’apport de la réforme réside donc dans la modification de
l’assiette de la redevance pour copie privée en y incluant les services nPVR. Mais la
modification de l’article est limitée, puisque tous les services de médias audiovisuels ne sont
pas inclus, comme les services à la demande5, le catch-up tv par exemple.
Il faut entendre par « éditeurs d’un service de télévision », la personne qui « assume la
responsabilité éditoriale du choix du contenu du service de médias audiovisuels et qui
détermine la manière dont il est organisé »6. Quant au « service télévisuel » visé, il s’agit de
« tout service de communication au public par voie électronique, destiné à être reçu
simultanément par l’ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme
principal est composé d’une suite ordonnée d’émissions comportant des images et des
sons »7. Ainsi, aussi bien une chaîne de diffusion et une plateforme en ligne peuvent faire
l’objet d’une redevance pour copie privée, si elles proposent ce service. Enfin, le
« distributeur » désigne « toute personne qui établit avec des éditeurs de services des
relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication
audiovisuelle mis à disposition auprès du public par un réseau de communications
électroniques au sens du 2° de l’article L. 32 du Code des postes et des communications
électroniques, cela inclut également toute personne qui constitue une telle offre en établissant
4 J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (n° 495, 2015-2016), 11 mai 2016, p. 50 5 Les services à la demande peuvent être définis « comme tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service ». N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, Com. Com. élec., avril 2017, p. 2 6 Ibid. p. 2 7 Ibid. p. 2
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des relations contractuelles avec d’autres distributeurs »8.
Issue de l’Article 7 bis AA du projet de loi, cette modification du CPI a été introduite au
Sénat à l'initiative de D. Assouline, afin d'adapter le cadre légal de la copie privée aux
nouvelles pratiques dites de cloud computing9. En France, il n’existe pas encore de définition
légale du cloud, ni dans la plupart des autres pays européens d’ailleurs10. Mais dans
l’approche professionnelle, il s’agirait de « prestations de services de gestion de capacités
informatiques distantes »11.
A. Du magnétoscope traditionnel aux nPVR
1. L’avènement de la délinéarisation télévisuelle
Les services nPVR s’inscrivent dans une nette tendance à la délinéarisation permettant au
téléspectateur d’accéder à ses programmes télévisés quand il le veut, comme la télévision de
rattrapage, la VàD, le Start-Over12. Avant l’émergence du cloud, l’évolution technique du
magnétoscope des années 70 avait déjà commencé à changer le mode de consommation de
l’usager et pourtant, il n’avait posé aucune difficulté au regard de la copie privée. Par la suite
ont émergé les DVR (Digital Video Recorder), qui permettent l’enregistrement en numérique
d’un programme télédiffusé en linéaire13. Ils sont notamment proposés via les box, mises à
disposition par les FAI.
2. Un enjeu économique important pour le paysage télévisuel
Il apparaît légitime de s’interroger sur le fondement de l’application de l’exception de copie
privée appliquée aux nPVR.
« L’esprit des affaires a supplanté les affaires de l’esprit » constate le sénateur J. Ralite à
propos de l’évolution du droit d’auteur14. A cet égard, J. Lapousterle s’interroge sur le point
de savoir si le droit d’auteur constitue un droit économique : « Peut-on observer un
8 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 2 9 C’est-à-dire l'informatique dans le nuage, qui désigne : « un ensemble de techniques et de pratiques consistant à accéder, par un accès Internet, à du matériel ou à des logiciels informatiques situés chez un prestataire ». CSPLA, Résumé du rapport de la Commission spécialisée « Informatique dans les nuages », 23 octobre 2012, p. 2 10 Voir les réponses des Etats participants aux questionnaires relatifs au congrès de l’ALAI Kyoto, octobre 2012. 11 J. Martin, Réponse du groupe français au questionnaire relatif au congrès de l’ALAI Kyoto, octobre 2012, p. 1 12 Cette fonctionnalité permet au téléspectateur d’un programme télévisé en linéaire qui a déjà commencé à être diffusé de rependre le visionnage de ce programme à son début. 13 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, Légipresse n°341 sept. 2016 37° année, p. 365 14 P. Sirinelli et A. Bensamoun, Les exceptions au droit d’auteur, Dalloz, 2012, p.1
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déplacement du centre de gravité du droit d’auteur devenu l’accessoire de ses enjeux
économiques » 15 ? Ces discussions ont une résonnance particulière au sujet des nPVR. Ceux-
ci constituent avant tout un service commercial, dont le développement bénéficie de
conditions économiques idéales grâce au jeu de l’exception de copie privée. Dans ce
contexte16, les distributeurs de services de télévision voient dans les nPVR une offre à fort
potentiel17.
En effet, différents services nPVR ont vu le jour en France, comme la société Molotov qui a
joué un rôle déterminant dans l’impulsion des nouvelles dispositions de la loi Création, en
réussissant à contractualiser avec près de 90% de ce qui constitue l’audience télévisuelle en
France18.
La migration des consommateurs de la télévision vers les plateformes numériques utilisant le
stockage cloud est envisagée très sérieusement par les acteurs du paysage télévisuel, qui
estiment que « tous les segments sont impactés »19. Tous les services de consommation non
linéaire de la vidéo sont basés sur des modèles de cloud20. Par conséquent, si les nPVR
répondent effectivement aux besoins d’un nouveau marché, ils doivent aussi respecter les
conditions de concurrence saine à l’égard des organismes de diffusion.
Or, il se trouve que le cloud peut lui-même constituer une réponse à la concurrence faite à la
télévision par les plateformes de streaming. D’après le co-fondateur de la société Molotov J.-
M. Denoual : « la TV […] déploie massivement des programmes de qualité mais elle ne jouit
pas des atouts de la modernité sur internet, aux côtés de tous les services tels Netflix et
autres »21. Au vu de ces éléments, les nPVR interrogent profondément l’avenir de la
télévision, mais son développement peut être bienvenu.
15 J. Lapousterle, Le droit d’auteur, droit économique, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, Mare & Martin, Coll. des presses universitaires de Sceaux, 1ère éd. 2018, p. 47 16 D’après la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques bouleversent l’utilisation des œuvres, et justifient ainsi une réforme, destinée semble-t-il à moderniser le droit d’auteur pour le marché européen. Dans l’exposé des motifs : « L’évolution des technologies numériques a transformé la façon dont les œuvres et d'autres objets protégés sont créés, produits, diffusés et exploités. De nouvelles utilisations sont apparues, de même que de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques » COM (2016) 593 final, 14 septembre 2016. A cet effet A. Bensamoun s’interroge : « Faudra-t-il un jour renoncer à une conception personnaliste du droit d’auteur pour n’en retenir que l’aspect « marché » ? A. Bensamoun, La Réforme du droit d’auteur dans la société d’information : une histoire de normes, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, Mare & Martin, Coll. des presses universitaires de Sceaux., 1ère ed. 2018, p.24 17 Pour des chiffres sur l’écosystème actuel de la télévision en France, voir J. Bajon et J. Marceau, Audiovisuel français, la transformation par le cloud, synthèse de colloque, 9ème assise de la convergence des médias, 16 décembre 2015. 18 Ibid. pt 4.5.3 19 Ibid. pt 3.1 20 Ibid. pt 3.2 21 Ibid. pt 4.5
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B. Le nPVR et l’exception de copie privée : l’aboutissement d’une réflexion ancienne
Avant l’adoption de la loi Création, la question était posée depuis plusieurs années sur le point
de savoir si l’activité de nPVR devait rester rattachée au droit exclusif. Tandis que le droit
européen n’a pas tranché, la loi Création semble être la concrétisation d’études et
recommandations effectuées depuis de nombreuses années, comme le rapport de P. Sirinelli
dédié à ce sujet22. Elles démontrent un intérêt collectif.
Du côté des rapports à envergure internationale, le Congrès ALAI a consacré en 2012 un
colloque entièrement dédié aux technologies cloud computing, permettant d’envisager les
prémisses de l’avenir commercial des services de copie de programmes télévisés dans le
cloud. Au niveau européen, le Rapport Castex à l’initiative de l’eurodéputé F. Castex fut
repris pour les travaux parlementaires français23.
Du côté des études menées à l’échelon national, l’initiative du législateur français s'inscrit
surtout dans le prolongement du rapport rendu par le CSPLA le 23 octobre 2012. Ce rapport
synthèse des avis divergents, même s’il ne se prononce pas spécifiquement sur le nPVR mais
plus largement sur le cloud computing24. Il a estimé que certaines pratiques effectuées dans le
cadre du cloud correspondaient à une forme de copie privée, et avaient vocation à être
assujetties à la rémunération pour copie privée25. Les partisans de l’application de l’exception
copie privée ont cependant admis que le service cloud devait être « analysé juridiquement
comme un service de téléchargement traditionnel relevant du droit exclusif dès lors qu’il
s’agit de fournir à l’utilisateur une première copie des œuvres diffusées »26. Dans un registre
voisin, la Hadopi s’était déjà montrée favorable à l’exception de copie privée en matière de
copie de programmes télévisés au moyen du DVR27.
Si ces rapports furent utilisés en vue d’élargir le champ de la RCP aux services nPVR, ils font 22 P. Sirinelli, un marché dans les nuages : le cloud computing, vers une rénovation de la propriété intellectuelle ?, t. 43 Lexisnexis, coll. IRPI, 2014 23 Voir F. Castex, rapport sur les redevances pour copie privée, commission des affaires juridiques du Parlement européen, A7-0114/2014, 17 février 2014 24 Le Rapport oriente davantage son étude sur les services « de casier personnel », les services de synchronisation associés à un service de vente (tel que iTunes in the Cloud) et les services d’identification, de recherche et d’obtention d’équivalents tel que iTunes Match. 25 J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc., p. 47 26 CSPLA, Rapport de la commission spécialisée « Informatique dans les nuages », préc. p. 16 27 Voir Hadopi, avis n° 2014-1 pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, 11 septembre 2014
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également état de plusieurs difficultés de mise en œuvre, et d’alternatives à envisager.
C. Vers la modernisation du régime de rémunération de la copie
L’article 15 de la loi Création modifie l’article L. 331-9 du CPI en instaurant une convention
entre les fournisseurs de services et les ayants droits, destinée à aménager les conditions de la
rémunération. En France, c’est la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 qui a introduit le principe de
la RCP sous une forme forfaitaire, soumise à la gestion collective. Sorte de compromis entre
ayants-droit et les utilisateurs, la rémunération est prélevée sur des supports vierges, quelle
que soit l’utilisation qui en est effectivement faite par les usagers.
Le Rapport Lescure avait soulevé les difficultés d’assujettir le cloud à la RCP : « En l’état
actuel du droit communautaire, rien n’interdit à un Etat membre d’adopter une telle
disposition. Néanmoins, on ne peut exclure qu’elle soit à terme remise en cause, dans le cadre
d’une harmonisation communautaire des règles de calcul du préjudice »28. L’intervention du
législateur donne raison à P. Lescure. Cependant, il est possible de tempérer ces affirmations.
Selon C. Bernault : « on peine toutefois à expliquer qu’ils [nPVR] soient soumis à la
rémunération pour copie privée alors qu’en l’état de la loi et de la jurisprudence, cette
exception n’est pas applicable »29.
D. La question de la conformité au droit européen
Par conséquent, la question de la conformité des nouvelles dispositions du CPI au droit
européen se pose inévitablement. La très attendue décision Vcast portant sur l’application de
l’exception de la copie privée aux nPVR rendue par la Cour de Justice le 19 novembre 2017 a
plongé la confiance des autorités françaises dans un doute absolu, craignant de voir un jour
cette nouvelle loi devenir l’objet d’une question préjudicielle adressée au juge européen. La
décision Vcast souligne la spécificité des services nPVR, qui demandent d’être saisis avec
rigueur par le droit afin de garantir une protection optimale des auteurs et des titulaires de
droits dans l’environnement numérique.
Curieusement, les nouvelles dispositions du CPI abaissent ce niveau de protection. Cela
contraste avec la volonté historique des autorités françaises de limiter d’une part l’apparition
28 Voir P. Lescure, Rapport Mission « Acte II de l’exception culturelle », « Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique », mai 2013, p. 287 29 C. Bernault, Copie privée, compensation équitable, financement par le budget de l’Etat, principe utilisateur-payeur, Propriétés intellectuelles n° 61, octobre 2016, p. 446
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de nouvelles exceptions au niveau européen, et d’autre part de limiter l’étendue de leur champ
d’application30, afin d’éviter un mouvement harmonisation vers le bas31.
En tout état de cause, la Cour de Justice semble de plus en plus réceptive à une conception
évolutive du droit d’auteur au travers des nouveaux moyens de diffusion des œuvres. Ainsi les
nPVR sont l’occasion de soulever différents concepts laissant une large place à sa
jurisprudence, comme la notion de copiste, la définition du public et plus largement
l’appréhension des actes de reproduction et de mise à disposition des œuvres sur internet.
E. Une technologie déjà proposée dans d’autres pays
1. Le cas européen
Les opérateurs télécoms de plusieurs pays européens proposent déjà ce type de services,
comme par exemple Proximus (Belgique), Telefónica (Espagne), ou encore KPN (Pays-Bas),
sans que la législation locale n’encadre ces services par l’exception de copie privée32, comme
il le fut soulevé pendant l’élaboration de la loi Création33. En Europe les services nPVR
avaient déjà donné lieu à des contentieux, par exemple le Tribunal de commerce d’Anvers a
condamné la société Right Brain Interface pour n’avoir pas conclu d’accord avec les
différents ayants-droit impactés par ses services34, tandis que la source était illicite et que le
dispositif mettait en œuvre le droit de communication au public.
2. Le cas américain
Les Etats-Unis sont précurseurs des contentieux en matière de nPVR. Dans l’affaire
Cablevision, les juges ont considéré que les services nPVR ne portaient ni atteinte au droit de
30 Voir Secrétariat général des affaires européennes, note de cadrage de la commission des affaires juridiques sur la position française sur le paquet droit d'auteur du 14 septembre 2016, 28 octobre 2016 ; et Voir CSPLA, Rapport de la commission spécialisée « Informatique dans les nuages » préc., qui exprime une vision étatique de la politique culturelle. 31 Pourtant au niveau européen on peut observer globalement une tendance à restreindre les droits de l’auteur par de nouvelles exceptions. Trois nouvelles exceptions sont proposées dans le cadre de la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique du 14 septembre 2016. 32 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 463 33 « Ni l'Espagne, ni encore les Pays-Bas ne (s'étant) référés à l'exception de copie privée pour définir le cadre légal au nPVR » Intervention du Syndicat de l'Edition Vidéo Numérique (SEVN). Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 34 Belgique Trib. Com. Anvers, 4 nov. 2014, VRT, Medialaan SBS Belgium c. Right Brain Interface, RG A/14/1067
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reproduction des ayants droit, ni à leur droit de représentation publique35. Mais l’affaire Aereo
a relancé le débat en 201436 sur un service payant, très similaire au site français Molotov37. On
déduit de l’ensemble de ces perspectives jurisprudentielles que l’appréciation de ces cas
d’espèce illustre la tâche complexe que constitue la qualification juridique de tels services.
F. Le droit d’auteur confronté à l’économie du numérique
Si le législateur français se décide à encadrer un service tel que les nPVR, qui existent depuis
plusieurs années et dont l’activité était jusqu’alors exercée dans l’illicéité la plus totale, c’est
parce que le droit d’auteur s’inscrit dans ce que S. Von Lewinski appelle « la légalisation des
usages sur l’Internet »38. Les défenseurs des droits de l’auteur sur l’Internet pourraient
reprocher une pression trop forte en faveur de nouveaux acteurs économiques, profitant d’un
courant a priori plus favorable aux droits des usagers39. Ce fut le cas pour les fournisseurs
d’accès à l’Internet et leur objectif de reproduction massive d’œuvres40. Dans ce contexte, il
est légitime de s’interroger sérieusement sur les raisons qui ont poussé le législateur français à
faire bénéficier les services nPVR d’une exception. La question de la licéité de la copie des
programmes télévisés dans le cloud était loin d’être évidente, notamment depuis l’affaire
Wizzgo qui avait donné lieu en 2011 à un arrêt de la Cour d’appel de Paris rejetant une
reconnaissance de l’exception de copie privée. A cet égard, la loi Création pourrait conduire à
une véritable recomposition du paysage audiovisuel41.
Comme le relève justement V. Téchené, la vraie problématique concernant le cloud est qu’il
35 Cartoon Network LP, LLLP v. CSC Holdings, Inc. 536 F3d 121 2d Cir. 2008 ; Par ailleurs, précédemment à la décision Cablevision, les juges de l’affaire Betamax avaient déjà pris en considération l’effet sur le marché de tels services. Voir Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc. 464 U.S. 417. 1984 36 La Cour Suprême a en effet considéré que l’activité était similaire à celles des distributeurs de services de télévision par câble, et que cette société se livrait à des actes de représentation publique sans autorisation. Cour Suprême, 25 juin 2014, Broadcasting Cos. V. Aereo Inc. 37 Il s’agissait d’un service de retransmission par Internet de programmes diffusés par voie hertzienne simultanément à leur diffusion. Il fonctionnait grâce à la mise en place de milliers d’antennes de réception et impliquait des reproductions en cache temporaires sur les disques durs de la société Aereo. Les copies restaient propres à chaque abonné et aucune rémunération n’était reversée aux chaînes. 38 S. Von Lewinski, Les exceptions au droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, p. 133, Mare & Martin, ed. 2018, Coll. des presses universitaires de Sceaux 39 Puisque ce sont les usagers de l’œuvre, personnes physiques, qui bénéficient de l’exception de copie privée et sont redevables d’une redevance, et non les fournisseurs. 40 Aux Etats-Unis notamment, l’affaire Google Books a permis à ces plateformes de profiter d’une interprétation souple des exceptions par le fair use. 41 C. Bernault, Copie privée, compensation équitable, financement par le budget de l’Etat, principe utilisateur-payeur, préc., p. 446
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sera sûrement, demain, le seul support de reproduction42. Et que, si N. Binctin voit juste : « il
est des usages des œuvres qui ne peuvent techniquement faire l’objet d’une autorisation
préalable alors qu’ils relèvent du champ d’application du droit de propriété ». Les
organismes de diffusion doivent-ils se contenter de cette explication ? Au regard des
nouvelles dispositions nationales, il est légitime de s’interroger.
Quelles sont les problématiques afférentes à l’application de l’exception de copie privée à un
service tel que les nPVR, ainsi qu’à la mise en œuvre consécutive du droit à rémunération ?
L’étude de l’applicabilité de l’exception de copie privée est particulièrement importante.
D’une part, au regard de la jurisprudence européenne la plus récente. D’autre part au regard
du contexte plus général de la dématérialisation des supports des copies utilisés par les
usagers. Ces évolutions posent de nouvelles questions et entrainent une déstabilisation des
catégories de droits traditionnellement utilisées en droit français. Pour ces raisons,
l’application de l’exception de copie privée aux nPVR est controversée et nécessite une étude
des obstacles desquels elle doit répondre absolument (PARTIE 1). Cependant, une fois
l’application de l’exception en droit national, les nPVR soulèvent de nouveau des montagnes,
à l’égard du régime de la rémunération pour copie privée. Celle-ci se trouve profondément
transformée pour accueillir l’assujettissement des services nPVR. La déformation de la RCP
peut être bienvenue dans le cadre de la modernisation du droit d’auteur, mais suppose en
contrepartie un certain nombre d’encadrements précis par le législateur national, qui ne
semblent pas être apportés par la loi Création (PARTIE 2).
42 V. Téchené, Commission ouverte mixte Droit de la propriété intellectuelle et marchés émergents, audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris, Lexbase éd. aff. N°471 du 23 juin 2016, p. 6
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PARTIE 1 : L’application controversée de l’exception de copie privée aux nPVR
Choisir un régime d’exception de copie privée afin de permettre au droit d’encadrer une
nouvelle technologie, encore peu connue et dont les conditions d’utilisation peuvent se révéler
imprévisibles, emporte naturellement certains doutes quant à son application. Il apparaît
presque normal, en droit français, qu’une doctrine traditionnellement défenderesse des droits
d’auteur réveille son mécontentement devant une réforme telle que la loi Création. La France
elle-même se veut protectrice des droits de l’auteur, de la culture, et de la création43.
Les nPVR secouent donc le droit d’auteur sur de nombreux points. Si l’exception de copie
privée semble pouvoir s’élargir pour accueillir l’usage d’un magnétoscope numérique, cette
extension en défaveur des droits d’auteur ne pourrait s’effectuer sans accentuer une remise en
cause du régime actuel de l’exception (Chapitre 1). Par ailleurs, l’existence des nPVR aurait
tendance à questionner l’application d’une exception amputant uniquement le droit de
reproduction à l’auteur. La copie issue d’un nPVR est en effet dépendante d’un acte de
représentation, requérant une autorisation. L’application de l’exception de copie privée
pourrait alors exacerber une remise en cause de la distinction traditionnelle entre droit de
reproduction et droit de représentation, déjà observée depuis de nombreuses années (Chapitre
2).
CHAPITRE 1 : Une remise en cause du régime de l’exception de copie privée mis en exergue par les nPVR Puisque le législateur français choisit cette exception en vue d’encadrer l’utilisation de cette
technologie, elle pourrait être considérée comme le meilleur moyen aux fins de réguler les
usages des œuvres en question. Logiquement l’exception de copie privée permettrait de
conserver les intérêts des usagers d’un côté, et de minimiser les dommages conséquents subis
par les auteurs et des titulaires de droits de l’autre. Or, il ressort d’une rétrospective de
l’exception telle qu’envisagée en droit français que la récente extension par la loi Création
43 Cette position ressort des participations françaises aux questions préjudicielles posées à la Cour de Justice. Lorsque la France est partie principale, elle s’attache à défendre une vision partisane des droits de l’auteur. Voir à cet effet, particulièrement au sujet de la « fair compensation » et du « right to communication », l’étude britannique rendue par M. Favale, M. Kretschmer, P. Terremans, Normative Forces in the European Court of Justice: Who is Steering Copyright Jurisprudence?, publiée en juillet 201, at www.create.ac.uk
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fragilise les principes fondamentaux de l’exception, au point de questionner la légitimité de
choisir un mécanisme d’exception de copie privée afin d’encadrer les services nPVR.
Ainsi, si l’exception apparaît être d’interprétation souple, permettant un élargissement de son
champ d’application aux nPVR (I), le respect des conditions sine qua non de l’exception de
copie privée se trouverait heurté si le bénéfice de l’exception destiné aux fournisseurs, tiers
intermédiaires, n’était pas restreint (II).
I) La souplesse bienvenue de l’exception face aux technologies nPVR
L’édifice législatif français et communautaire existant avant une intervention du législateur ne
permettait pas, et ne permet peut-être toujours pas, d’encadrer les services nPVR sans
l’autorisation des ayants droit. La question se pose alors de l’extension réellement
envisageable de l’exception de copie privée aux nPVR. D’une part, l’assujettissement des
services nPVR questionne la raison d’être d’un droit à rémunération, qui fonde souvent
l’application de l’exception (A) ; et d’autre part, la conception mouvante du copiste
apparaitrait favorable à l’encadrement de copies réalisées dans le cloud par un intermédiaire
(B).
A. La raison d’être de l’exception en 1985 bousculée par les copies dans le cloud
Le cas des services nPVR est un bon exemple du caractère modulable de l’exception de copie
privée, confrontée inévitablement depuis 1985 à de nouveaux supports de copie, à de
nouvelles formes de diffusion des œuvres44. Cette capacité intrinsèque de l’exception à
s’étendre à de nouveaux supports serait liée à son statut. D’après P.-Y. Gautier, « c’est une
prérogative sous forme d’exception – mais pas un droit concurrent de celui des auteurs –
exceptionnelle dont jouissent les usagers, en tant qu’ils restent cependant dans les limites
fixées par la loi » 45.
En France au moment de la loi du 3 juillet 1985 il était justement question de faire face au
développement de nouveaux supports et nouveaux moyens de diffusion des œuvres,
44 L. Rivière, délégué général des éditeurs de logiciels et de groupes de services (Google, Amazon etc.) estime que « l’on va vers la fin de la copie privée dans les usages, notamment avec le développement de l’utilisation du cloud », « La copie privée, une invention française dans le viseur de Bruxelles ». C. Barrière, La copie privée, une invention française dans le viseur de Bruxelles, 11 mars 2015, consulté le 24 juilet 2018. https://www.euractiv.fr/section/langues-culture/news/la-copie-privee-une-invention-francaise-dans-le-viseur-de-bruxelles/ 45 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc. p. 354
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notamment dans le secteur audiovisuel. L’instauration de la RCP était la réponse législative à
l’impossibilité de prélever une rémunération auprès de chaque usager « copiste »46. Elle
consistait alors en un moyen de lutter contre l’incapacité matérielle et technique pour les
auteurs de contrôler les copies effectuées par des particuliers à des fins personnelles. Selon N.
Binctin : « il est des usages d’œuvres qui ne peuvent techniquement faire l’objet d’une
autorisation préalable alors qu’ils relèvent du champ d’application du droit de propriété »47.
Certes, entre-temps une véritable évolution eut lieu avec l’intervention de la loi n° 2001-624
du 17 juillet 2001, qui permis à Copie France de bénéficier de redevances issues des supports
numériques intégrés à des appareils48.
Mais près de 40 ans après l’instauration de la RCP, il paraît légitime de s’interroger sur cette
« raison d’être » de la RCP qui justifie, en partie, le bénéfice de l’exception à un certain
nombre d’entreprises commerciales dont le support assujetti peut être commercialisé. Si la
justification est de dédommager équitablement une incapacité de contrôle matériel sur les
copies, est-elle encore d’actualité dans le cadre des copies réalisées dans le cloud ?
Les conclusions de l’avocat général de l’affaire Vcast49 peuvent éclairer à propos des nPVR
en retenant que l'application d'une exception donnée est limitée aux situations dans lesquelles
cette application est justifiée par la raison d'être de l'exception. Il relie justement cette raison
d’être au droit à rémunération, puisqu’il l’identifie comme la grande difficulté voire
l’impossibilité de contrôler l'utilisation des oeuvres par les personnes qui y ont licitement
accès50. Il est plausible d’imaginer qu’avec des services comme les nPVR il est tout à fait
possible de quantifier le volume des copies effectuées. Puisqu’il s’agit de l’activité
commerciale d’une entreprise, celle-ci devrait être en mesure de quantifier le nombre de
46 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 464 47 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 4 48 Dans ce contexte, la doctrine avait poussé pour une intervention du législateur. En ce sens, voir Y. Gaubiac et J.C. Ginsburg, L'avenir de la copie privée numérique en Europe, Com. Com. élec. n° 1, janvier 2000 ; à l’inverse M. Buydens et S. Dussollier, Les exceptions au droit d'auteur dans l'environnement numérique : évolutions dangereuses, Com. Com. élec. n° 9, Septembre 2001 49 En l’espèce, la société britannique Vcast met à la disposition de ses clients un système d'enregistrement dans le cloud des émissions d'organismes de télévision italiens, notamment RTI. Ces émissions sont diffusées par voie terrestre (hertzienne) en libre accès. VCast capte et enregistre la plage horaire d'émission choisie par l’utilisateur dans le cloud, qui est fourni par un service de stockage indépendant. Les données audiovisuelles enregistrées sont ensuite mises à la disposition de l'utilisateur par le fournisseur du service nPVR. 50 Concl. M. Szpunar, 7 sept. 2017 Aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI, pt 60 et 61
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copies qu’elle fournit à ses clients51. Or, il se trouve que c’est précisément ce que demande la
Commission copie privée à la Société Molotov, exigeant un bilan détaillé d’un an d’activités
pour établir un nouveau barème en aout 201852… Par conséquent, le problème de contrôle
matériel se situe davantage du côté de l’ampleur numérique des copies.
Dès lors J. Glosslener et F. Jean concluent justement à la désuétude du régime de la RCP à
l’égard des nPVR : « Il est donc loisible de penser que les droits exclusifs de l’auteur
pourraient être pleinement garantis […] et les modalités de répartition de la RCP manquent
aujourd’hui de pertinence53 ». Comme il sera développé, le caractère forfaitaire de la
rémunération n’était effectivement plus justifié.
Cela confirme la tendance consécutive observée par A. Lucas : « force est de constater que le
phénomène de copie privée, impossible à endiguer jusqu’à ces dernières années, s’est
généralisé dans une certaine indifférence, le législateur n’intervenant qu’avec beaucoup de
retard (et pas de façon générale) pour compenser le préjudice causé aux auteurs. Dès lors
s’est répandue dans le public l’illusion que la copie privée, à la condition d’être non
lucrative, est permise54». Si en France il est considéré que la raison d’être de l’exception reste
toujours identique à celle de 1985, alors il est permis de douter de la légitimité de
l’assujettissement de supports comme les nPVR, faisant finalement le jeu d’entreprises
commerciales55. A. Lucas constate ces dérives de la RCP au numérique et propose « de
revenir, au moins pour la copie numérique, au droit exclusif, qui reste le principe56 ».
Par ailleurs, on peut aussi envisager l’évolution d’une raison d’être implicite de l’exception,
résidant dans le financement culturel57. Si la France défend obstinément le caractère optionnel
des exceptions à l’égard des Etats membres58, elle s’assure de pouvoir bénéficier d’une
flexibilité en matière de politique culturelle. Le mécanisme « très original » mis en place par
51 Les solutions de contrôle employées dans le secteur audiovisuel se rapportent classiquement à la maitrise du contenu distribué par les méthodes des « Media Asset Management ». J. Bajon et J. Marceau, Audiovisuel français, la transformation par le cloud, synthèse de colloque, préc. p. 20 52 Voir Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, 22 novembre 2016 53 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 464 54 A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc. p. 268 55 Mais le législateur français a tout de même entendu exclure les services nPVR parasitaires, en assurant une autorisation requise de la part des diffuseurs. 56 A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc., p. 250 57 Depuis 1985, la loi française permet aux sociétés d’auteurs de réserver 25% du total des sommes collectées à des aides à la formation, à la création, et à la diffusion du spectacle vivant, disposition qui permet d’accroître l’activité des secteurs culturels largement touchés par le phénomène de la copie privée des œuvres. 58 Voir Secrétariat général des affaires européennes, note de commission sur le Projet de rapport d’évaluation de la directive 2001/29, 19 janvier 2015. Il est clairement exprimé l’opposition de la France envers toute harmonisation de l’Union sur les critères de copie privée et du droit à rémunération.
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la loi Création aux fins d’assujettir les nPVR à la RCP en est un exemple. Le communiqué de
presse de la Commission copie privée du 17 aout 2018, confirmant le barème de RCP décidé
le 19 juin 2017, semble confirmer cette tendance en justifiant : « la rémunération pour copie
privée représente un enjeu important pour le soutien à la création dans la mesure où les
organismes de gestion collective doivent consacrer un quart des perceptions à des actions
d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant, à la formation et, depuis la loi du 7
juillet 2016, à l’éducation artistique et culturelle »59.
Or, on peut douter de l’importance de cette intention lors de la rédaction du projet de loi en
1985. On peut donc se demander si la France n’a pas une conception trop large de l’exception
facultative, en anticipant les redevances, qui constituent le mécanisme obligatoire.
Enfin, la rédaction des nouvelles dispositions pour la RCP, après un nombre important
d’amendements de l’article 7 bis AA de la loi Création, peut questionner la philosophie de
l’exception60. Les premières versions de l’article devaient modifier également les articles
L.122-5 et L. 211-3 du CPI mais il y fut renoncé rapidement61. Le scepticisme des avocats J.
Glosslener et F. Jean illustre une position réfractaire contre toute altération de la philosophie
de l’exception de copie privée : « La loi Création a donc modifié l’étendue de la copie privée
en allongeant la liste des redevables de la RCP tout en s’affranchissant de modifier les
articles relatifs au périmètre de la copie privée, fragilisant de façon évidente cet édifice. Il est
en effet pour le moins étonnant de toucher sensiblement, comme on l’a vu, à la philosophie de
l’exception pour copie privée, construite depuis des décennies, sans même viser les articles
L.122-5 et L.211-3 du CPI qui la définissent 62».
En tout état de cause, il semble que pour le législateur français la copie privée soit une
solution d’avenir, puisqu’il la modernise.
59 Communiqué de presse, décision n°16 de la Commission copie privée, 17 aout 2018 60 Comme le souligne à juste titre S. Von Lewinski, la rédaction des exceptions devient particulièrement importante à l’heure actuelle, puisque le libellé doit pouvoir clarifier l’état du droit envers les acteurs concernés. S. Von Lewinski, Les exceptions au droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, Mare & Martin, ed. 2018, Coll. des presses universitaires de Sceaux, p. 144 61 Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 62 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 467
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B. L’absence de définition du copiste en faveur de l’exception de copie privée aux nPVR
Alimentées par le développement du cloud, les divergences sur la détermination du copiste
sont au cœur de l’évolution du régime d’application de l’exception. Dans le contexte des
copies réalisées dans le cloud, la distinction entre la conception matérielle de copiste (le
propriétaire du matériel de copie) (1) et la conception intellectuelle de copiste (celui pour qui
est réalisée la copie) (2) est d’autant plus déterminante qu’elle permettrait de sceller
définitivement le sort des services nPVR63.
1. L’obstacle de la conception matérielle du copiste
Une ancienne lecture de l’article L.122-5 du CPI permettait d’interdire à un fournisseur de
services nPVR de faire une première copie en aval et de la partager sur les instructions de ses
clients64. La conception matérielle du copiste a émergé de la célèbre jurisprudence Rannou-
Graphie de 1984, qui, aujourd’hui datée, freine unanimement la copie privée65. La solution de
la Cour de cassation exige que le bénéfice de la copie privée soit subordonné à l’identité entre
le copiste et le bénéficiaire de la copie. Autrement dit, il est entendu par copiste celui qui
réalise la copie, détient et contrôle le matériel nécessaire. Or, aucune mention d’une telle
exigence n’a depuis été faite à l’article 5 para. 2 de la directive 2001/29. Si l’article affirme
que le copiste est une personne physique, il reste muet sur le fait de savoir si le dispositif
utilisé pour réaliser la copie doit appartenir à cet usager. En limitant ainsi l’exception, la Cour
de cassation a donc entendu exclure de la notion de copiste les personnes morales, qu’elles
poursuivent un but commercial ou non, et que l’usage privé soit licite ou non. Concrètement,
la conception matérielle du copiste interdit qu’un intermédiaire puisse brandir l’exception en
lieu et place de l’utilisateur pour bénéficier de la copie privée66.
63 Il convient de relever que le DVR, quant à lui, ne fait pas l’objet de ces controverses ; alors qu’il s’agit d’un dispositif permettant l’enregistrement en numérique et le stockage d’un programme télédiffusé en linéaire, proposé sur les box mises à disposition par les FAI. 64 Pour une autre lecture de l’article du CPI, voir P. Gaudrat et F. Sardain, De la copie privé (et du cercle de famille) ou des limites au droit d’auteur, Com. Com. Élec. n° 11, novembre 2005 65 Cass. Civ 1re, 7 mars 1984, n° 12-17016, Rannou-Graphie 66 D’autres exceptions accueillent tout aussi mal l’intervention d’un tiers intermédiaire : le cercle de famille (Art L.122-5-1° du CPI), et l’exception de parodie (Art. L.122-5-4° du CPI) par exemple.
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Fort heureusement la jurisprudence européenne Copydan67 du 5 mars 2015 a permis
d’actualiser la solution, qui n’a plus raison d’être à l’ère des supports dématérialisés comme le
cloud computing. Mais si l’arrêt Rannou-Graphie est aujourd’hui obsolète, il persiste quelques
zones d’ombre sur la conception de copiste, puisqu’à l’heure actuelle aucun des législateurs
français et européen n’est intervenu pour sceller sa définition68. Pourtant, il semble que la
volonté du législateur de la loi Création ait bien été d’enterrer timidement la jurisprudence
Rannou-Graphie, d’après le Rapport déposé par J.-P. Leleux et F. Férat sur le projet de loi69…
Il fut tout de même relevé qu’une incertitude subsiste sur le caractère licite des nPVR, à cause
de l’état de la jurisprudence française depuis l’affaire Wizzgo70.
Dans cette décision portant sur un magnétoscope numérique à distance sur Internet71, la Cour
d'appel de Paris a rappelé que le bénéfice de la copie privée est réservé au copiste, et
qu'ainsi, « il ne peut valablement être soutenu qu’un enregistrement à distance effectué par
une société au bénéfice de ses clients procède de la copie privée faute d’identité entre le
copiste et le bénéficiaire de la copie ». La Cour a suivi le jugement du TGI de Paris, celui-ci
ayant objecté en 2008 que : « La société Wizzgo étant le créateur de la copie mais n’en étant
pas l’utilisateur, l’exception de copie privée n’est pas applicable et la réalisation de la copie,
même si elle ne génère pas directement une recette, ne présente donc pas de caractère
licite ». A la suite de Wizzgo, c'est donc tous les services d’enregistrement numérique à
67 A noter que la décision porte sur la rémunération pour privée. CJUE, 5 mars 2015, aff. C-463/12, Copydan Båndkopi c/ Nokia Danmark A/S 68 A ce titre, il est intéressant de noter que M. Mihaly J. Ficsor (ancien adjoint du directeur général de l’OMPI), estime que la législation actuelle française continue d’empêcher l’intervention d’un intermédiaire, en tant que copiste : « As regards the French Intellectual Property Code, it appears quite clear that the copier and the user must be the same person, since it provides for an exception in respect of copies “reserved strictly for the private use of the copier and not intended for collective use.” Thus, if it is found that a service provider is the maker of the copy, the exception does not apply », Mihaly J. Ficsor, The WIPO internet treaties and copyright in the cloud, ALAI 2012, p. 12 En France le juge s’est effectivement appuyé, pour compléter cette notion de copiste matériel, sur une prohibition de l’utilisation collective de la copie. P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 362 69 « Dans le nuage, le prestataire de services est le détenteur du matériel de copie, ce qui écarte la possibilité de copies privées par l'utilisateur. Il en résulte la nécessité de modifier la loi pour revenir sur la jurisprudence « Rannou-Graphie », tel était l'objectif de l'amendement adopté au Sénat en première lecture ». Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 70 Un débat existe sur le caractère licite de cette fonctionnalité. Dans sa décision rendue en 2008 concernant la société Wizzgo, le TGI de Paris a estimé que « La société Wizzgo étant le créateur de la copie mais n'en étant pas l'utilisateur, l'exception de copie privée n'est pas applicable et la réalisation de la copie, même si elle ne génère pas directement une recette, ne présente donc pas de caractère licite ». Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 71 La société Wizzgo avait tenté de légitimer son service, d’une part, par l’exception de copie transitoire afin de justifier les copies réalisées préalablement à la mise en ligne des contenus, et d’autre part, par l’exception de copie privée, au regard de l’offre de copies proposée aux utilisateurs. Voir Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 décembre 2011, Wizzgo c/ Métropole Télévision et autres.
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distance qui se sont vu exclure de l'exception pour copie privée tandis que, comme le font
remarquer Google et Orange : « la copie qu’ils génèrent est comparable à celle permise par
un magnétoscope analogique actionné à domicile 72». Ce n’est pas tout à fait le cas, puisque
comme il sera détaillé, la société Wizzgo ne disposait pas de l’accord des organismes de
diffusion, pourtant requis dans le cadre d’un acte de représentation.
Selon J. Glosslener et F. Jean, l’arrêt Wizzgo rendu en 2011 par la Cour d’appel de Paris a
confirmé le dynamisme de la conception matérielle du copiste73. Cette affaire rappelle
utilement que les services de nPVR poursuivent une finalité commerciale et étrangère à la
conception de matérielle du copiste74. Par conséquent, une réforme législative s’imposait.
Cependant, la réforme est trop timide au regard des investissements économiques réalisés par
les entreprises du secteur. Puisqu’elle ne réforme pas le CPI sur la notion de copiste, elle ne
parvient pas à garantir un terrain d’investissements sûr, et s’expose au risque d’un
chamboulement européen de la part de la Commission ou de la Cour.
2. La pertinence de la conception intellectuelle du copiste en faveur des nPVR
La conception intellectuelle du copiste évite de considérer que le « copiste » est le fournisseur
de services. Elle est portée par un mouvement doctrinal qui plaide en faveur d’un
encadrement des copies réalisées dans le cloud, tel qu’exposé avec sagesse par le Rapport
dédié du CSPLA75.
En 2010, la jurisprudence européenne Padawan portant sur la rémunération pour copie privée
avait servi de premier argument jurisprudentiel pour la remise en cause de la conception de
matérielle du copiste76. Dans sa décision elle énonce en effet qu’il « est loisible aux États
membres d’instaurer, aux fins du financement de la compensation équitable, une redevance
pour copie privée à la charge non pas des personnes privées concernées, mais de celles qui
disposent d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique et qui, à ce
titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition de personnes privées ou 72 Hadopi, J. Toubon, Rapport synthèse des contributions-chantiers exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins, lancé le 24 octobre 2011 73 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 465 74 Ibid. p. 465 75 Voir CSPLA, Rapport de la commission spécialisée du CSPLA « Informatique dans les nuages », préc. p. 15 et suiv. 76 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 466
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rendent à ces dernières un service de reproduction77 ». Mais on peut rester sceptiques sur une
potentielle ouverture aux copies réalisées dans le Cloud, comme le relèvent J. Glosslener et F.
Jean : « Déduire de cet arrêt que la Cour serait revenue sur la notion de copiste matériel,
sous le seul prétexte qu’elle envisagerait une hypothèse de redevance pour copie privée dans
le cadre de la mise à disposition d’équipement ou d’un service de reproduction rendu par un
tiers, nous paraît hasardeux. D’une part, cette décision n’envisage pas l’hypothèse des copies
dans le cloud, d’autre part, la Cour s’est en réalité prononcée non pas sur l’exception de
copie privée mais sur le périmètre de la RCP et ses redevables 78».
Aujourd’hui, on peut se demander si l’affaire Vcast récemment rendue par la Cour de Justice
limite une quelconque consécration du copiste intellectuel au profit de services nPVR. La
Cour n’a malheureusement pas suivi les conclusions générales rendues par M. Szpunar, qui
optait pour la conception intellectuelle du copiste en considérant que la mise à disposition du
fournisseur des capacités de stockage dans le cloud ne diffère pas fondamentalement d'autres
moyens de reproduction79. Si l'oeuvre est reproduite à des fins privées et stockée dans le
cloud, le caractère de copie privée n'est pas exclu du seul fait que le processus implique
l'intervention de tiers, même contre rémunération, si l'usager a l'initiative de la copie80.
La France avait pourtant placé beaucoup d’espoir dans cette décision, pour éclaircir ce point.
Les autorités françaises avaient proposé à la Cour de tolérer l’application de l’exception, en
raisonnant en partie sur la personne du copiste81. Elles ont fait valoir que les conditions
énoncées par l’article 5, paragraphe 2, sous b) de la directive 2001/29 étaient bien remplies en
l’espèce car ce sont les usagers qui, au moyen d’un système d’enregistrement en ligne,
réalisaient des copies d’œuvres82. Les autorités ont soutenu à cet effet que la réalisation de
ladite copie est le fait d’un système mis à disposition par un tiers, par conséquent, il est
autorisé par le droit de l’Union depuis l’arrêt Copydan, dans lequel est autorisée une
77 CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/SGAE, pt 46 78 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 466 79 L’avocat général ne pense pas « qu'il faille exclure cette forme de reproduction du champ d'application de l'exception de copie privée du seul fait de l'intervention d'un tiers allant au-delà d'une simple mise à disposition de supports ou d'équipements. Aussi longtemps que c'est l'utilisateur qui prend l'initiative de la reproduction et qui en définit l'objet et les modalités, je ne vois pas de différence décisive entre un tel acte et la reproduction effectuée par ce même utilisateur à l'aide d'équipements qu'il maîtrise directement ». Concl. M. Szpunar, 7 sept. 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pt 25 80 F. Pollaud Dulian, La copie privée dans le nuage, Dalloz RTD Com. 2018, p. 102 81 Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. Voir aussi CSPLA, Compte-rendu de la séance plénière, 16 novembre 2016 82 Même s’il s’agit de la position officielle, de profondes divergences doctrinales continuent d’exister.
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compensation équitable réalisée à partir d’un dispositif appartenant à un tiers. Finalement, on
ne peut que comprendre la timidité de la loi Création à ce sujet, adoptée quelques mois plus
tôt…
Le Rapport de J.-P. Leleux et F. Férat fait au nom de la commission de la culture, de
l'éducation et de la communication sur le projet de loi Création fait état de la perplexité
persistante du droit français envers la notion de copiste. En raison de l’absence d’étude
d’impact sur la détermination du copiste, le législateur s’est donc contenté de l’adoption d’un
amendement se limitant seulement (pour le moment, semble-t-il) à circonscrire le régime aux
services proposés par les éditeurs et distributeurs de télévision et de radio83. Force est de
constater que la formulation apportée reste donc ambiguë volontairement : « cette
rémunération est également versée par l'éditeur d'un service de radio ou de télévision ou son
distributeur […] qui fournit à une personne physique […] »84.
En effet, si l’on réfléchit plus loin, envisager l’application de la conception intellectuelle du
copiste pourrait rendre délicat l’examen des conditions de la copie privée, et à ce titre, on peut
se demander si la copie privée est suffisamment souple pour de telles interprétations.
Consécutivement, le respect des conditions sine qua non de l’exception de copie privée se
trouverait heurté, dans le cas où leur rigidité ne serait pas garantie par la jurisprudence.
II) Le bénéfice de l’exception aux fournisseurs nPVR restreint par la rigidité des conditions fondamentales
Parmi les principes fondamentaux de l’exception érigés par les textes et la jurisprudence, celui
de l’usage privé de la copie se trouverait bousculé par l’intervention d’un tiers intermédiaire,
tel que le fournisseur de service nPVR (A). Pour cette raison, le principe d’interprétation
stricte des exceptions semble pouvoir servir de parachute aux droits de l’auteur. Il empêche
ces intermédiaires de se prévaloir d’un droit issu de l’exception, en vue d’un quelconque
objectif de protéger leurs « clients », usagers de leur propres copies privées (B).
83 « La commission des affaires culturelles et de l'éducation a décidé, au final, d'adopter un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article déposé par Marcel Rogemont […]. Si le rapporteur de l'Assemblée nationale a émis un avis favorable à cet amendement, ce n'est pas sans avoir rappelé une nouvelle fois ‘qu'en première lecture, nous avions décidé de ne pas légiférer sur ce point, estimant qu'il était trop tôt et que, faute d'étude d'impact, nous ne pouvions mesurer les effets de la disposition que nous envisagions de voter’ ». Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 84 Article L.311-4 du CPI modifié
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A) L’intervention d’un fournisseur de service nPVR limitée par l’usage privé de la
copie
Il est encore discuté de savoir si les nPVR répondent à la condition de l’usage privé de la
copie (1), lorsque la prohibition de son utilisation collective semble empêcher un mécanisme
technique de copie tels que les nPVR (2).
1. Le principe d'usage strictement privé et les nPVR
L’un des critères de la copie privée est celui de l’usage privé de la copie, déduit de l’article
L.122-5 du CPI prohibant une utilisation collective de celle-ci85. Ainsi, la limite de
l’application de l’exception résiderait dans l’usage de la copie, par le copiste.
La Cour d’appel de Paris dans son arrêt Mulholland Drive avait d’ailleurs consacré
l’importance de l’usage privé dans les conditions propres à l’exception86. Or dans le cadre du
service nPVR le partage de la copie peut sembler opposé à cette conception classique de la
copie privée, où chaque usager est censé détenir et utiliser sa propre copie pour son usage
privé. Ce n’est pas le cas des entreprises commerciales.
L’usage personnel et privé constitue pour la doctrine une base essentielle pour appréhender
l’application de l’exception. Cet usage pouvant être apprécié au cas par cas selon les
développements numériques, il constitue un critère permettant de résoudre de nouvelles
situations non prévues à l’articles L.122-587, comme les copies d’œuvres effectuées dans le
cloud qui n’y apparaissent toujours pas, ce que l’on regrette88.
A cet égard, un précédent entre la Commission européenne et le gouvernement italien de 2009
éclaire. Il était question de la compatibilité entre l’usage privé et l’application de l’exception
de copie privée aux nPVR, par une disposition italienne (similaire à celle promulguée par la
loi Création)89. La Commission fut sceptique90 et releva que la directive 2001/29 définit une
85 D’après l’article L.122-5 2° sont permises « les copies ou reproduction strictement réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective ». 86 Cass. Civ. 1ère., 19 juin 2008, n°07-14277, Mulholland Drive (CCE 2008, n° 102, comm. Caron ; RTD com. 2009, n°221, p. 65, S. Carre) 87 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 355 88 L’interopérabilité constitue un argument supplémentaire en ce sens, puisqu’il peut être considéré que le cloud computing permet effectivement d’effectuer des copies de consommation pour que l’usager, dans son cadre privé, puisse jouir de l’utilisation de l’œuvre d’un support à l’autre. 89 En l’espèce l’article 71-7 de la loi italienne sur le droit d’auteur était similaire aux dispositions promulguées par la loi Création, en ce qu’il visait à étendre le champ de l’exception de copie privée aux services de nPVR
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exception qui est circonscrite aux actes destinés à un usage privé sans dimension
commerciale91.
Ainsi, il est encore permis de douter de « l’usage privé du copiste » dans le cadre des nPVR ;
puisque comme vu précédemment, selon une interprétation stricte du copiste, le droit
européen limite traditionnellement le bénéfice de l’exception de copie privée à celui qui en
réalise un usage personnel92. Or, dans le cadre des nPVR, force est de constater que « la
jouissance de l’œuvre est exclusive d’un profit ou d’un intérêt économique immédiat » selon
les mots de P.-Y. Gautier93.
Dans tous les cas, la condition d’usage privé de la copie exige que l’utilisateur respecte un
usage normal de son droit de copie privée, c’est-à-dire sans en abuser94. Il apparaît légitime de
s’interroger à cet égard sur la question de savoir si le cloud computing bouscule l’usage
normal des œuvres. A priori, ce n’est pas l’usage de l’œuvre qui évolue, mais ce sont ses
supports de diffusion. En particulier dans le secteur audiovisuel, l’œuvre est « utilisée » de la
même manière par l’usager quel que soit le support, c’est-à-dire dans un cadre privé95.
Cependant, c’est le partage « à la demande » de l’utilisateur intermédiaire qui pourrait
bouleverser les modèles de diffusion, et heurter l’usage normalement privé de la copie.
nommés « videoregistrazione da remoto ». La loi italienne prévoyait que le dispositif était limité dans le temps, les copies étant ensuite automatiquement effacées des unités de stockage ce qui se limiterait à une modalité de time-shifting. 90 La position de la Commission sur les nPVR contraste d’ailleurs avec son biais résolument pro-plateforme et pro-consommateurs. Voir M. Favale, M. Kretschmer, and P. Torremans, Normative Forces in the European Court of Justice: Who is Steering Copyright Jurisprudence?, préc. 91 Lettre de la Commission du 23 février 2009, MARKT D1/DB D (2009) : « The making of digital copies of audiovisual works by third party service providers, such as cable operators, ISPs or telecom operators on behalf of users, who themselves are not even in possession of these original works, cannot be deemed equivalent to the making of a private copy by a consumer for his private use ». On peut par ailleurs se demander quelle importance la « dimension commerciale » revêt pour la Commission, qui ne la définit pas. Le but lucratif n’est pas explicitement prohibé dans la directive 2001/29, même si on en déduit son exclusion par la prohibition de l’utilisation collective. 92 S. Carre, Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant et al., Dalloz, 2ème ed., 2015 p. 299 A noter, l’arrêt Copydan rendu par la Cour de Justice en 2015 a semblé laisser penser aux Etats membres à un revirement de jurisprudence en la défaveur de cette conception stricte et traditionnelle de l’usage privé de la copie. 93 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 352 94 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 361 95 En France la plateforme Molotov possède « les quatre fonctionnalités classiques » de la télévision : le live, le replay, l’enregistrement et le guide, d’après le co-fondateur J.-D. Blanc. Voir Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, 22 novembre 2016
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2. Les copies issues des nPVR confrontées à la prohibition d'une utilisation collective
D’une manière consécutive au flou collectif engendré par le manque de clarté du droit, il reste
à savoir si les fournisseurs de services nPVR agissent dans le cadre d’une utilisation
collective. Pour cela, il faut envisager la copie réalisée « à la demande » et la définition de la
copie privée à l’article L.122-5. Le problème étant que l’état du droit positif ne permet pas de
trancher sur un rapprochement entre les deux avec certitude96… L’interprétation de la
définition apparaît donc libre à l’égard des Etats membres, faisant le jeu de la loi Création ! Si
les choses étaient simples, on pourrait en tirer la conclusion suivante : puisque les textes
n’encadrent pas clairement la liberté de copie d’une entreprise commerciale, ils ne permettent
pas d’empêcher la soumission à l’exception d’un service de copies collectives, c’est à dire
réalisées à grande échelle.
Dans un premier temps, le juge considérait que l’utilisation collective prohibait les copies
« collectives »97. Avant la jurisprudence Copydan, il était considéré par fiction judiciaire que
certes, le fournisseur n’est pas le copiste (celui-ci étant le client usager) mais son entremise à
un échelon collectif crée une sorte d’usage « public »98.
Or, pour déterminer ce qu’est un usage public, la qualification du copiste nous semble
apporter quelques indices. Selon la personne « copiste », le nombre de copies réalisées et
partagées est démultiplié. En effet, si le nombre de copies est primordial, d’une part pour
quantifier le préjudice subi par les titulaires de droit, il l’est d’autre part pour déterminer si
l’utilisation de la copie est d’ordre collectif.
Le fournisseur de service nPVR, suivant une logique de profit, cherche indéniablement à
proposer un nombre maximum de copies de programmes pour satisfaire un nombre maximum
de clients. Dans ce cadre différentes modalités de réalisation de copies sont envisageables par
le fournisseur.
96 Comme le soulève justement S. Carre : « si la notion de copiste a donné lieu à une jurisprudence importante (…), la condition d’absence d’utilisation collective n’a guère retenu l’attention des plaideurs ou des juges 96». « Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée ». S. Carre, Des exceptions d’usage privé, le cas de l’exception de copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant et al. préc. p. 312 97 A noter que la seule exception à ce principe expressément prévue dans les textes est à l’art L.122-53°, prévoyant une communication d’œuvres pour des raisons pédagogiques, contre une rémunération. 98 Propriété littéraire et artistique, p. 363, Pierre-Yves Gautier, PUF, coll. Droit fondamental, Classiques, Paris, 10e éd., 2017
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D’une part, le fournisseur peut opter pour la création d’une copie par demande d’utilisateur,
comme en matière de DVR. D’autre part, le fournisseur nPVR peut tout à fait réaliser une
seule copie dans le cloud, enregistrée à la demande du premier usager commanditaire. Il s’agit
du modèle de copie « advance share copy model ». Le fournisseur anticipe la demande de
copie de ses prochains clients, et se contente de partager cette copie avec les clients
intéressés99. De surcroit, celui-ci aurait une utilisation collective de l’unique copie, utilisée des
milliers de fois. Pour des raisons évidentes de coût, il semble que cette dernière technique soit
privilégiée. Or, comme le relèvent J. Glosslener et F. Jean : « pourtant d’un point de vue
légal, la première technique (une copie par utilisateur) est celle qui nous semble la plus
cohérente au regard de la conception de copie privée »100.
La prohibition de l’utilisation collective de la copie, au sens de l’article L.122-5 du CPI,
distingue-t-elle la transmission d’une seule copie à des milliers d’utilisateurs de la
transmission de milliers de copies pour répondre à la demande individuelle de chaque
utilisateur ? On peut regretter que cette question n’ait pas été posée pendant l’élaboration de
la loi Création. Mais, elle a tout de même été soulevée lors de l’élaboration du barème par la
Commission Copie privée ; notamment parce qu’il a fallu récolter des précisions sur le
processus technique de copie emprunté par l’entreprise Molotov (qui utilise l’advance share
copy model).101
Même si le fournisseur parvient à convaincre de l’usage privé de la copie, il ne bénéficie pas
directement de l’exception, revenant aux usagers, et ne peut revendiquer aucun droit
autonome.
B) Le bénéfice de l’exception aux fournisseurs de services nPVR limité par son objet
Il est unanimement admis que l’exception de copie privée ne peut être érigée en tant que droit
(1). Ainsi le principe d’interprétation stricte empêche un quelconque droit à copie à l’égard
des clients de tiers intermédiaires (2). Pourtant, ces derniers semblent profiter de ce droit
grâce à la loi Création.
99 Grâce à un système d’indexation, chaque utilisateur faisant ultérieurement la demande d’enregistrement est redirigé vers le contenu préalablement enregistré et stocké. 100 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 463 101 Voir Compte rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, 22 novembre 2016
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1. La mise en échec d’une instrumentalisation de l’exception de copie privée en tant que
droit en vertu du principe d’interprétation stricte
Les exceptions de l’article L-122-5 du CPI sont d’interprétation stricte, permettant une
interprétation la plus homogène possible entre les juges, au profit des auteurs et titulaires de
droit102. Cela étant dit comme le souligne P.-Y. Gautier, l’interprétation stricte ne signifie pas
qu’il est interdit de rechercher l’étendue de ces exceptions, mais qu’il faut la rechercher selon
sa conformité à la raison d’être de l’exception.
Au niveau européen103, à l’occasion de l’affaire ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie de 2014,
la Cour de Justice affirme que l'interprétation stricte de l'exception de copie privée « exige que
l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 soit entendu en ce sens que
l'exception de copie privée (…) s'oppose à ce que cette disposition soit entendue comme
imposant, au-delà de cette restriction prévue explicitement, aux titulaires du droit d'auteur
qu'ils tolèrent des violations de leurs droits pouvant accompagner la réalisation de copies
privées104». Le raisonnement fut transposé aux nPVR dans le cadre de l’affaire Vcast, où
l’interprétation stricte de l’exception de copie privée ne permet pas « d’extrapoler autour
d’actes préparatoires, complémentaires, nécessaires à la réalisation de cette exception »
d’après V.-L. Benabou105.
La Cour prend effectivement soin de rappeler que, si l'exception de copie privée est
d'interprétation stricte, il s’agit d'analyser pour chaque cas d’espèce relatif aux nPVR la nature
et la portée de l'intervention d’un fournisseur106. Or, un tel raisonnement semble totalement
déphasé avec la réalité de l’envergure économique de ce type de services en Europe. On peut
regretter que l’interprétation stricte appliquée aux services nPVR ne remplisse pas son rôle
premier, qui est nous semble-t-il, d’harmoniser.
102 Cass. Civ. 1ère., 19 juin 2008, n°07-14277, Mulholland Drive (CCE 2008, n° 102, comm. Caron ; RTD com. 2009, n°221, p. 65, S. Carre) 103 Au niveau européen la Cour de Justice affirme ce principe envers les dispositions d’une directive qui dérogent à un principe général établi par cette même directive, CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International, pt 56 104 CJUE, 10 avr. 2014, aff. 435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie, pt 31 105 CSPLA, Compte rendu de séance plénière, 19 décembre 2017 106 CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA pt 39 : « l'exigence d'une interprétation stricte de cette exception implique que ce titulaire ne soit pas pour autant privé de son droit d'interdire ou d'autoriser l'accès aux oeuvres ou aux objets, dont ces mêmes personnes souhaitent réaliser des copies privées ».
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A cause de la subjectivité de ce principe, rien n’est moins certain que la conformité de la loi
Création au droit européen107.
2. Le principe d’interprétation stricte comme limite au droit de copie des fournisseurs
nPVR au nom de leurs clients
P.-Y. Gautier relève que « l’exception à un droit exclusif peut fort bien reposer sur un droit,
voire une liberté » mais nuance cependant ce constat à propos de l’exception de copie
privée… En effet, le sens d’une exception s’oppose à celui d’un droit, tel qu’il fut confirmé
par les arrêts Mulholland Drive108 et Phil Collins109 : les exceptions ne relèvent pas de droits
subjectifs pouvant être invoqués en tant que tels, mais d’exceptions d'interprétation stricte
pouvant faire l'objet de certaines nuances110.
En ce sens, C. Caron souligne le fait que l’exception de copie privée soit « de plus en plus
brandie comme un symbole de résistance face à l’emprise du droit d’auteur mal compris et
souvent détesté. C’est pourquoi elle est parfois qualifiée à tort de droit subjectif »111.
En définitive, la question de la transférabilité du droit à l’égard des fournisseurs de services
nPVR semble inopportune, comme ce fut relevé pendant l’élaboration de la loi Création :
« l’exception de copie privée étant une exception et non un droit elle ne donne pas lieu à un
droit transférable ce qui a pour conséquence d'obliger l'utilisateur à réaliser lui-même
l'enregistrement. La Cour de cassation a pour sa part rendu des décisions allant dans le
même sens. Il en résulte que le nPVR en l'état du droit nécessite l'accord des ayants droit » 112.
La jurisprudence a déjà eu l’occasion de trancher la question de l’invocation de l’exception de
107 L’interprétation de l’exception dans la décision Vcast fut imprévisible, si bien que la solution finale retenue est surprenante et n’avait pas été envisagée par les autorités françaises. Voir à cet effet Compte-rendu de séance plénière du CSPLA du 19 décembre 2017. 108 Le juge statue que « la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d'une oeuvre protégée faite sans le consentement du titulaire de droits d'auteur », et que par conséquent, l’auteur ne peut « se prévaloir d'un intérêt légitime juridiquement protégé ». Cass. Civ. 1ère, 19 juin 2008, n°07-14277, Mulholland Drive (CCE 2008, n° 102, comm. Caron ; RTD com. 2009, n°221, p. 65, S. Carre). En l’espèce, il était avancé par une partie l’existence d’un droit à la copie, afin d’opposer toute mesure technique de protection sur l’œuvre. 109 Cass. Civ. 1ère, 27 novembre 2008, n°07-18778, Phil Collins 110 A noter qu’il ressort que la majorité des membres du rapport Hadopi sur les exceptions s’oppose à la création d’un droit subjectif de nature autonome par rapport au droit de l’auteur ou du titulaire. Hadopi, J. Toubon, Rapport synthèse des contributions-chantiers exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins, lancé le 24 octobre 2011 111 C. Caron, Droits d’auteur et droits voisins, Lexis Nexis, 3e éd., p. 330 112 Voir Rapport J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc.
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copie privée par une entreprise commerciale, pour son propre compte113. Mais le jugement
Wizzgo rendu par la Cour d’appel de Paris en 2011 est encore plus utile pour envisager le cas
spécifique des nPVR, puisque l’on peut interpréter la décision en ce sens qu’elle ne reconnaît
pas de « droit à » à l’intermédiaire, car une exception n’est pas transférable. Dès lors, le juge
aurait bien interprété strictement l’exception, à la défaveur des services similaires aux nPVR
en l’espèce.
Si l’élargissement de la copie privée aux services nPVR semble bousculer les conditions
intrinsèques de l’application de l’exception, il interroge par ailleurs l’intérêt d’appliquer cette
exception au droit de reproduction, lorsqu’un acte de représentation doit recueillir sa propre
autorisation.
Chapitre 2 : Une remise en cause de la dichotomie traditionnelle entre les droits patrimoniaux accentuée par les nPVR
Particulièrement présente dans les textes français, la scission entre les deux droits
patrimoniaux exclusifs, c’est-à-dire le droit de représentation et le droit de reproduction (le
droit de suite n’est pas en cause ici) n’a plus lieu d’être, lorsque le législateur français décide
lui-même d’appliquer une exception au seul droit de reproduction sur un magnétoscope
numérique. Ce mécanisme de copie emporterait l’inévitable exécution de ces deux droits. Une
fois de plus, l’application de l’exception de copie privée aux nPVR alimente une remise en
cause d’un régime traditionnel en droit d’auteur.
Ainsi, bien que nié par le législateur de la loi Création (semble-t-il), l’exception de copie
privée dans le cadre des nPVR est inévitablement confrontée à un problème de qualification
des actes réalisés (I), puisque l’autorisation de l’acte de représentation a été reconnu par la
Cour de Justice comme un critère prépondérant dans la réalisation d’une telle copie, qui
continue de renforcer la notion de communication au public (II).
113 Mais la Cour de cassation a rejeté un tel bénéfice de l’exception, car l’usage de la copie est professionnel. Cass. civ. 1e, 20 janvier 1969
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I) La confrontation de l’exception de copie privée au respect du droit de
représentation
La co-existence d’un acte de reproduction et d’un acte de représentation semble indéniable à
l’égard d’une technologie comme les nPVR (A) ; ainsi l’application de l’exception emporte
certains risques d’appréciation, notamment au regard de la licéité de la source de la copie,
condition sine qua non de l’exception (B).
A. Un élargissement du champ d’atteinte aux droits exclusifs par la double
fonctionnalité du service nPVR
L’exécution de la copie par le fournisseur nPVR possède une double fonctionnalité en ce
qu’elle provoque un acte de reproduction et un acte de représentation (1), remettant en cause
la pertinence des catégories de droit classiques envisagés dans les textes français (2).
1. Une double fonctionnalité technique inhérente à l’exécution de la copie nPVR
Le modèle français est caractérisé par des définitions larges des droits d’exploitation. Les
libellés généraux semblent pouvoir offrir l’avantage d’un cadre souple se prêtant mieux aux
évolutions technologiques114. Pourtant, les services nPVR bousculent la vieillesse paisible de
cette classification dans notre droit. Le droit de représentation fait partie du processus de
reproduction, puisqu’il intervient en aval de la délivrance de cette copie par une mise à
disposition des œuvres et ensuite par un acte de transmission de cette copie aux usagers115.
L’avocat général de l’affaire Vcast notifie parfaitement cette particularité du service : « son
rôle (le fournisseur nPVR) combine un acte de mise à disposition et un acte de
reproduction ».
De manière non surprenante, la récente décision Vcast déteint sur la catégorisation française
des droits patrimoniaux. Comme le relève la Cour de justice, « il convient de constater que le
fournisseur de ce service ne se borne pas à organiser la reproduction, mais, de surcroît,
114 A. Lucas qualifie l’approche française des monopoles d’exploitation de dualiste et souligne son caractère unique par rapport aux autres Etats membres de l’Union, et à la directive 2001/29 qui opte selon lui pour une approche tripartite. A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc. para. 253 115 Une telle qualification des différentes étapes du processus de copie semble d’autant plus possible lorsque le droit français retient une conception synthétique de la représentation, en le définissant comme « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque » à l’article L.122-2 du CPI.
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fournit, en vue de leur reproduction, un accès aux émissions de certaines chaînes de
télévision pouvant être enregistrées à distance. En ce sens, le service en cause au principal
possède une double fonctionnalité, consistant à assurer à la fois la reproduction et la mise à
disposition des œuvres 116».
Transposé au droit français, si d’après l’article L.122-3 du CPI, l’exception de copie privée
met en œuvre le droit de reproduction au sens strict, c’est-à-dire la fixation matérielle par tous
procédés, son application aux nPVR occulterait la persistance du droit de représentation aux
titulaires des droits117.
Par conséquent, le fait de soustraire les services de nPVR aux accords entre fournisseurs et
ayants droit soulève une interrogation supplémentaire quant au respect du droit de
représentation. Cette double fonctionnalité technique permet de s’interroger sur l’intérêt de
conserver dans notre droit une dichotomie entre ces deux droits patrimoniaux, devenue friable
en pratique…
2. La pertinence de la séparation entre droit de reproduction et droit de représentation à
l’égard d’un service de copie nPVR
Le cloud est un changement complet de paradigme entre les deux notions. Ce qui compte
dorénavant pour l’usager n’est plus l’accès au support de l’œuvre, mais l’accès à l’utilité de
celle-ci118. On assiste bien à une dématérialisation du support, fragilisant ces catégories de
droit qui « deviennent poreuses, ou peu prévisibles »119 comme l’affirme G. Vercken.
Evidemment, même en présence de nouveaux services de diffusion des œuvres comme les
nPVR, certains auteurs français semblent toujours s’accommoder du régime actuel du droit de
représentation. C’est le cas de P.-E. Moyse selon lequel : « le concept a su s’accommoder de
nombreuses techniques de diffusion avec une économie remarquable d’ajustement
terminologique. Ici comme ailleurs, la réponse du droit a été de produire un langage
116CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pts 37 et 38 117 Le cloud computing peut être légitimement intégré à l’article L.-122-3 aujourd’hui. C’est ce que dénonce A. Lucas qui critique justement « l’énumération démodée » de cet article, puisque les nouveaux supports liés à la numérisation n’y apparaissent toujours pas. A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc. para. 258 118 G. Vercken, La révolution du Cloud : a quoi sert le contrat ?, Dalloz IP/IT 2016, p.451 119 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, Dalloz PI/IT 2016, p. 467
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nécessaire à la compréhension des nouvelles situations »120.
En revanche comme le remarque justement A. Lucas : « les nouvelles formes d’utilisation des
œuvres nées de l’apparition conjointe des techniques de numérisation et d’internet semblent
appeler une remise en cause de la distinction cardinale entre exploitation sous forme
corporelle et incorporelle. La tendance est à raisonner en termes d’utilisation ou
d’exploitation » 121. Au sujet de l’utilisation des œuvres audiovisuelles notamment, reproduire
(c’est-à-dire copier) un film sur un support n’a d’intérêt que pour le représenter. Le juge
français en a fait le constat dès 1995 : « la cession du droit de représentation pour un mode
d’exploitation audiovisuel emporte nécessairement l’autorisation de reproduire l’œuvre dans
la stricte limite des impératifs techniques de la fixation de son image sur le support
permettant cette diffusion auprès du public » 122. Aujourd’hui la réflexion va plus loin avec
l’avènement du cloud, qui renouvèle les formes classiques de diffusion d’œuvres
audiovisuelles. Ces observations permettent à un certain nombre d’auteurs de plaider pour
l’abandon total de la communication au public au profit d’un concept plus large de
distribution électronique123. L’idée est de pouvoir englober des transmissions numériques,
comme les nPVR qui nous intéressent ici, et ainsi surpasser les catégories trop limitées du
droit d’auteur.
Du côté du droit européen, même s’il ne semble pas aussi rigide que le droit français sur ce
point, l’utilisation du principe d’interprétation stricte par la Cour de Justice semble tout de
même empêcher de voir une frontière « ténue » entre les deux droits patrimoniaux. Dans
l’affaire Vcast, la Cour a réaffirmé que l'exception de copie privée étant d'interprétation
stricte, elle ne s'étend pas au droit de communication et ne saurait justifier un acte de mise à
disposition du public non autorisé en amont de la copie124.
F. Pollaud-Dulian prend le contre-pied de ce raisonnement et nuance l’importance donnée au
principe d’interprétation stricte par la Cour : « il s'agit là d'une conséquence nécessaire de la 120 P.-E. Moyse, Minuit à la porte du droit d'auteur, préc. p. 213 121 Il qualifie de « représentation secondaire » le fait de retransmettre un signal porteur d’un programme télévisuel par un procédé technique quelconque qui permet d’atteindre un public disséminé. Or, cette sous-catégorisation pourrait convenir à l’activité d’un fournisseur de service nPVR. A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc. para. 254 122 TGI de Nanterre, 18 janv. 1995 123 Voir A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. 124 CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pt 39. Par comparaison, une doctrine française incarnée par P.-Y. Gautier va dans le même sens en considérant que « représenter l’œuvre, c’est l’exécuter publiquement ce qui rejoint le complément du droit de reproduction mécanique sans se confondre avec lui », P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 286
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distinction qu'opère la directive entre droit de reproduction et de droit de communication au
public plutôt que l'interprétation stricte de l'exception de copie privée 125». Or précisément,
cette distinction imperméable entre le droit de reproduction et le droit de représentation n’a
plus lieu d’être, si comme le relève P.-Y. Gautier, la plupart des exceptions tournent autour de
l’usage privée, à l’image de la copie privée, et prouve que l’exclusivité se rattache désormais
au critère de la communication au public126. Il serait dès lors plus pertinent de bâtir un droit
exclusif unique, et de consacrer une catégorie plus large « d’usage légitime à titre privé » 127
afin d’y inclure ces exceptions, étendues à de nouveaux services tels que les nPVR.
Par ailleurs de son côté la Commission européenne semble vouloir renforcer l’intérêt d’une
distinction entre les deux droits patrimoniaux, afin de garantir une protection élevée des droits
d’auteur. Le précédent déjà cité entre la Commission et le gouvernement italien a permis
d’éclairer sur la compatibilité d’une exception de copie privée recouvrant un service nPVR,
au regard du respect au droit de représentation. Le gouvernement italien avait effectivement
tenté de faire valoir que sa loi n’avait pas d’incidence sur le droit de reproduction et le droit
de représentation. Mais la Commission a rappelé que si la définition du droit de reproduction
est suffisamment large pour inclure les reproductions numériques dans le cloud, le droit de
représentation au sens de l’article 3 paragraphe 1 de la directive 2001/29 est également mis en
œuvre par le fournisseur de services nPVR128.
Par conséquent, non seulement la compatibilité de la loi Création avec le droit de l’Union
apparaît douteuse, mais elle apparaît aussi peu cohérente avec la distinction française
entretenue par la jurisprudence, aux fins de protéger les droits de l’auteur et des titulaires.
Si le service nPVR est effectué en violation du droit de représentation, la source de la copie
serait illicite, rendant impossible l’application de l’exception. Son sort serait une fois de plus
remis à la licéité du mécanisme d’accord professionnel.
125 F. Pollaud-Dulian, La copie privée dans le nuage, préc., p. 105 126 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 355 127 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 354 128 Voir lettre de la Commission du 23 février 2009, MARKT D1/DB D (2009) ; Concl. M. Szpunar, 7 sept. 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA. A cette issue les décrets d’application du dispositif italien ne furent jamais votés ; et c’est dans ce contexte que le Tribunal de Turin posa une question préjudicielle à la Cour de Justice à l’occasion de l’affaire Vcast.
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B. L'illicéité de la source de la copie conséquente du processus technique des nPVR
La consécration de la source licite (1) semble rendre difficilement acceptable le manque de
prédispositions françaises à cet égard, lors de l’extension du champ de l’exception aux nPVR
(2). Par ailleurs, il peut être intéressant d’envisager le règlement de la licéité de la source de la
copie par le biais de la jurisprudence du droit de communication au public afférente aux
hyperliens (3).
1. Le caractère licite de la source de la copie finalement consacré
Si la source de la copie est illicite, alors non seulement l'acte de transmission de la copie est
illicite mais aussi l'acte de reproduction, l'exception de copie privée ne pouvant jouer
valablement que si sa source est licite, en vertu de l’article L. 122-5, al. 1, 2° du CPI129. Une
loi du 20 décembre 2011 a en effet tiré les conséquences d'une décision du Conseil d’État du
11 juillet 2008 en précisant que seules les copies réalisées à partir d’une source licite ouvrent
droit à rémunération au profit des titulaires de droits130.
Au niveau européen, la Cour de Justice a clairement consacré cette condition dans l’affaire
ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie 131. Elle avait estimé « qu’admettre que de telles
reproductions puissent être réalisées à partir d'une source illicite encouragerait la
circulation des oeuvres contrefaites ou piratées. (…) et que l'article 5, paragraphe 2, sous b),
de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu'il ne couvre pas l'hypothèse de
copies privées réalisées à partir d'une source illicite 132».
2. La difficulté de garantir une source licite au regard de la législation française
L’intervention du législateur français simplifie de prime abord la question de la licéité de la
source de la copie issue des nPVR. Elle permet une présomption de source licite au bénéfice
129 Il est de règle générale que les copies « soient subordonnées à un accès licite », comme souligné par l’arrêt Conseil constitutionnel, 27 juillet 2006, n° 2006-540 DC 130 D’après une synthèse des contributions d’un Rapport Hadopi, Google et l'IABD préconisent la suppression de cette exigence. Hadopi, J. Toubon, Rapport synthèse des contributions-chantiers exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins, lancé le 24 octobre 2011 131 CJUE, 10 avr. 2014, aff. 435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie 132 Par ailleurs, l’avocat général avait lui souligné que l'application de l'exception de copie privée à partir d'une source illicite étendrait le champ d'application de l'exception de copie privée bien au-delà du « cas spécial » entendu par la directive. Concl. P. Cruz Villalon, 9 janvier 2014, aff. C-435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie, pt 83
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de l’utilisateur, en consacrant le bénéfice de l’exception de copie privée aux entreprises de
services nPVR, s’il existe entre les acteurs une convention portant sur l’autorisation et les
conditions de la copie, comme déjà cité133. Cependant, au regard du droit de communication
au public, lorsque celui-ci est entremêlé au droit de reproduction dans un seul processus
technique, force est de constater qu’exception faite à l’un n’empêche pas la violation de
l’autre. On peut donc se demander si le législateur français a effectivement songé à la notion
de communication au public, en s’en remettant aux accords professionnels. Dans l’affaire
Vcast, la Cour de justice ne fait aucune allusion à l'illicéité de la source, même si elle
emprunte un raisonnement basé sur la licéité de l’accès à la copie134. Pourtant pour la Cour, la
violation de l'article 3 de la directive n° 2001/29 empêche bien le jeu de l'article 5, paragraphe
2, lettre b)… la copie privée est mise en échec par l’autorisation préalable des titulaires de
droits pour la mise à disposition au public. Mais il convient de préciser que dans la décision
Vcast, le fournisseur nPVR n’avait pas l’accord des titulaires contrairement à la société
Molotov par exemple. Par conséquent on peut douter de l’application d’un tel raisonnement
sur le cas français.
3. Le critère de « connaissance » de l’utilisateur en droit de communication au public utilisé
pour trancher la licéité de la source d’une copie privée
Dans les cas où les services nPVR opèrent encore sans l’autorisation des titulaires de droit, il
peut être aussi intéressant d’envisager une toute autre approche. On peut chercher à faire
exister un impact de la qualification « d’utilisateur » cette fois au sens de la communication
au public, sur la licéité de la source d’une copie privée.
Tandis que la communication au public semble intervenir de manière proéminente en matière
de nPVR135, elle envisage d’une toute autre manière la responsabilité de « l’utilisateur » par
rapport à celle d’un utilisateur « copiste » par le régime de la copie privée. Puisque la copie
privée effectué par un nPVR poursuit un but commercial, il apparaît pertinent de mettre en
parallèle les raisonnements précédents avec une responsabilité basée sur la communication au
133 Il n’est pas question ici de cession de droits, mais bien d’autorisation, et sous forme de convention, comme il sera développé plus tard. 134 Et ce, contrairement à ce que l’avocat général déclare : « Si l’acte de reproduction lui-même peut, en principe, bénéficier de l’exception de copie privée, ce n’est pas le cas de l’acte préalable de mise à disposition qui constitue la source de cette reproduction » au pt 40. Puis, il affirme que la reproduction des émissions est effectuée à partir d’une source illicite au point 56. 135 A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc. para. 319 : « l’élément clé de la définition de l’acte de communication en Droit de l’Union semble être finalement le rôle incontournable de celui à qui l’acte est imputé et le caractère délibéré de son intervention ».
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public, distincte de celle déduite du régime de l’exception (dont l’application n’est toujours
pas reconnue par la Cour).
Le but commercial a déjà donné lieu à une jurisprudence européenne éclairante en matière de
communication au public, contrairement à la jurisprudence portant sur la copie privée. Il a par
exemple été question du but lucratif à propos de la communication au public pour un droit à
rémunération dans l’arrêt Del Corso136. L’utilisateur professionnel est même déjà considéré
dans la jurisprudence relative au peer to peer, dans laquelle il réalise « un acte de
communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son
comportement pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée et ce notamment,
lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de
l’œuvre diffusée137». On ne peut que remarquer que cette définition à une certaine résonance
avec les intermédiaires nPVR lors de la mise à disposition des œuvres…
Par ailleurs en matière d’hyperliens s’est développé en filigrane le rôle plus ou moins actif du
but lucratif poursuivi par un « fournisseur », lorsque l’hyperlien pointe vers un contenu
illicite138. Le caractère lucratif de l'acte de communication peut effectivement être pris en
considération139, sans qu'il soit toujours nécessairement pertinent140. En effet, la solution de
l’arrêt GS Media consacre une responsabilisation des utilisateurs professionnels141 par le
nouveau critère de la connaissance de l’illicéité du contenu. Or, ce critère est présumé rempli
en raison du but lucratif. La jurisprudence semble ainsi s’éloigner des canons traditionnels du
droit d’auteur142 puisque le but lucratif émerge pour prouver la connaissance de l’illicéité143 et
136 CJUE, 15 mars 2012, aff. C-135/10, Del Corso, pt 57 : « la juridiction de renvoi demande si la diffusion gratuite de phonogrammes réalisée dans un cabinet dentaire, (…) constitue une « communication au public » ou une « mise à la disposition du public », au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, et si une telle diffusion donne droit à la perception d’une rémunération pour les producteurs de phonogrammes ». 137 CJUE, 14 juin 2017, aff. C-610/15, Stichting Brein/Ziggo BV c/ XS4All Internet BV, "The Pirate Bay", pt 26 138 Si le créateur de l’hyperlien connaît ou devrait connaître ce caractère illégal du contenu visé, il effectue un acte de communication au public qui exige l’autorisation du titulaire des droits, sous peine de constituer un acte de contrefaçon. 139 CJCE, 7 déc. 2006, aff. C-306/05, SGAE c/ Rafael Hoteles 140 Le critère joue un rôle plus limité dans les affaires ITV Broadcasting c/ TV Catchup aux pts 42-43 (aff. C-607/11) ; et Reha Training c/ GEMA (aff. C-117/15). 141 Dans le cadre de cette jurisprudence, contrairement aux nPVR, seule la mise en œuvre de la communication au public était en cause, le droit de reproduction n’étant pas traité par la Cour. C’est la spécificité du « régime particulier » d’après P. Sirinelli, attribué aux hyperliens par l’ordonnance BestWater. P. Sirinelli, Hyperliens et droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, Mare & Martin, Coll. des presses universitaires de Sceaux, 1ère ed. 2018, p. 103 142 Même si le « caractère lucratif » ne caractérise pas en lui-même l’acte de communication au public, CJUE, 8 septembre 2016, aff. C-160/15, GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV pt 51 143 La présomption de connaissance de l’illicéité fondée sur la poursuite d’un but lucratif n’a pas été reprise dans l’arrêt The Pirate Bay cependant.
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dessine les contours de l’exclusivité du titulaire144. Si on essaie de « transposer » cette solution
aux services nPVR, il se trouve que le fournisseur de service poursuit systématiquement un
but commercial.
Cette jurisprudence, semble-t-il propre aux hyperliens, pourrait permettre de caractériser plus
facilement la responsabilité de ces fournisseurs, qui, lorsqu’ils agissent sans l’autorisation des
titulaires de droits, sont présumés avoir connaissance du caractère illicite de leur activité, en
amont de la « reproduction » de l’œuvre145. Pourtant, une telle présomption n’a pas été
développée par la Cour au sujet des nPVR, qui emprunte un tout autre raisonnement afin de
déduire le caractère illicite de l’acte de communication : dans la décision Vcast, il n’avait pas
été question du but lucratif de l’utilisateur mais de l’illicéité de la mise à disposition sans
l’autorisation des titulaires. Certes, la question préjudicielle portait sur l’exception de copie
privée. Mais même si ces solutions sont très éloignées par leur objet, elles démontrent surtout
une irrégularité du niveau de sévérité à l’égard des professionnels, ce qui contraste avec
l’importance généralisée du droit de communication au public.
II) Le risque de violation du droit de communication au public préalable à
l’exécution de la copie privée
On peut déduire du précédent que la difficulté propre aux nPVR tient à ce que ces services
puissent porter atteinte au droit de représentation146, pour lequel la seule limitation admise est
la représentation privée et gratuite au sein du cercle de famille. Or le droit de représentation
dont il s’agit ici intervient en aval de la délivrance de cette copie. Le sens de la limitation du
droit exclusif en matière de représentations privées et gratuites est donc sans rapport avec la
situation créée dans le cadre de la loi Création, où celui qui met en œuvre l’acte de
représentation est le fournisseur nPVR, et non l’usager de la copie147. Par conséquent, la
représentation de l’œuvre lors de sa mise à disposition auprès des clients risque d’autant plus
144 D’après A. Bensamoun le but lucratif constitue une condition de mise en œuvre de certaines exceptions. A. Bensamoun, La Réforme du droit d’auteur dans la société d’information : une histoire de normes, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. p.23 145 Avec une certaine résonance, P.-Y. Gautier souligne que dans le secteur audiovisuel, diffuser une œuvre audiovisuelle normalement destinée à un usage privé, revient à s’engager à payer plus cher « en toute connaissance de cause ». P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 287 146 Voir E. Derclaye, The right of communication to the public in the cloud: the EU perspective, ALAI 2012 147 Selon J. Glosslener et F. Jean, ces limitations au droit de représentation ne peuvent être invoquées qu’au bénéfice du détenteur d’une copie. J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la loi Création, préc. p. 468
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de violer le droit de communication au public des titulaires (A), s’il existe un nouveau régime
de qualification du public dans le cadre d’une diffusion secondaire, par un moyen technique
différent (B).
A. L’indéniable mise à disposition des œuvres par le fournisseur de services nPVR
A l’occasion de la question préjudicielle posée par le Tribunal de Turin dans le cadre de la
décision Vcast en vue de savoir si l’exception de copie privée au sens de la directive 2001/29
était applicable à un service nPVR, la Cour de Justice a soulevé elle-même la condition du
respect du droit de communication au public. Elle y a décelé une mise à disposition des
œuvres effectuée sans l’autorisation des diffuseurs, au moment où le client à la possibilité de
déclencher son enregistrement.
La mise à disposition par streaming des contenus copiés pourrait donc impliquer un acte de
représentation tant au sens de la directive 2001/29 que du CPI. L'article 3 de la directive
dispose que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou
d'interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la
mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès
de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ». Cet acte de mise à disposition148
sans autorisation des titulaires de droits s'imbrique donc, comme vu précédemment, dans le
processus destiné à permettre la copie privée, puisqu'il représente la source de la copie149. Or,
d’après la décision ITV Broadcasting150, le critère « clé » de l’acte de communication se
trouverait bien dans la mise à disposition de la copie. Par conséquent, il convient d’être
particulièrement attentif au raisonnement de la Cour sur la qualification des étapes effectuées
par le fournisseur.
En droit français, l’acte de représentation peut être qualifié après la simple mise à disposition
d’une œuvre sur un site internet par exemple. Les textes ne font pas référence à un acte de
transmission effective de l’œuvre afin d’accomplir un acte de représentation. Dans le cadre
des nPVR, étant donné que l’acte de transmission des œuvres copiées vers l’usager
148 D’après P. Sirinelli, l’acte de mise à disposition entre dans la définition généralement retenue du droit de communication au public au sens de l’article 8 du Traité de l’OMPI du 20 déc. 1996 ainsi que celle de l’article 3 de la directive 2001/29. P. Sirinelli, Hyperliens et droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. p. 103 149 F. Pollaud Dulian, La copie privée dans le nuage, préc., p. 102 150CJUE, 7 mars 2013, aff. C-607/11, ITV Broadcasting Ltd c/ TVCatchup, pt 26
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commanditaire est indispensable à l’exécution du service151, on peut se demander quelle
portée sa qualification emporte sur le sort du service. Il semble que cet acte de transmission
puisse être interprété comme « rendant accessible » l’œuvre au public. En effet, la Cour de
justice semble considérer dans sa décision Vcast que l’acte de transmission entre le serveur
cloud utilisé pour stocker la copie et le client constitue un acte de communication au public.
Or, dans le silence de la loi Création sur les conditions de la convention imposée, devrait-elle
autoriser expressément cet acte de transmission ? V.-L. Benabou s’inquiète à juste titre de
cette incertitude : « Cela conduit à s’interroger sur la conformité de notre législation nPVR
avec cette décision. Il semble que dans la loi française on ait réfléchi sur l’amont, qui est la
possibilité de la captation du signal, mais pas sur l’aval qui est l’acte de ‘transmission’
nécessaire à la consultation de la copie privée »152.
Sur ce point, la loi Création fait face à une incertitude grandissante : des utilisateurs sur le
territoire français effectuent potentiellement des copies privées illicites, mais peuvent se
prévaloir d’une loi nationale autorisant la réalisation de ces copies. Si à l’avenir la Cour de
Justice est amenée à constater l’inconformité de la loi Création, on peut imaginer que le droit
d’auteur français, regardé comme un exemple par nombre d’autres pays, serait discrédité par
une telle décision, puisqu’il aurait autorisé une activité contrefaisante d’une ampleur
d’économique considérable pour le secteur audiovisuel.
Si l’on considère une fois de plus dans ce cas de figure le régime spécifique du droit de
communication au public dédié aux hyperliens, l’acte de communication est « entendu de
manière large » puisqu’en l’occurrence, offrir un accès direct aux œuvres aux utilisateurs est
constitutif d’un acte de communication153. Selon la Cour de justice, il ressort de l’article 3 de
la directive 2001/29 qu’il suffit qu’une œuvre soit mise à la disposition du public de sorte que
les personnes puissent y avoir accès, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette
possibilité154. Transposée aux nPVR, une interprétation aussi large de l’acte de
communication semble permettre de le reconnaître dans la simple mise à disposition des
œuvres par le fournisseur, en faisant totalement abstraction de la deuxième étape, l’acte de
151 Il s’agit de l’acte permettant l’accès à la copie stockée dans le cloud. 152 Commission copie privée, Compte rendu de la séance plénière de l’article L.331-5 du CPI, 19 décembre 2017, p. 22 153 CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12, Nils Svensson c/ Retriever Sverige AB, pt 17 et 18 où la Cour entend garantir un niveau élevé de protection des titulaires. 154 CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12, Nils Svensson c/ Retriever Sverige AB pt 19 ; CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/SGAE
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transmission. Une telle solution pourrait arranger le législateur français, qui pourrait se
défendre de n’avoir pas fait mention des différentes étapes du processus de copie issue des
nPVR.
B. La recherche inutile d’un public conséquent au moyen technique emprunté par le service nPVR
Le critère de public nouveau ne semble pas pertinent pour apprécier la clientèle des
fournisseurs nPVR (1), étant donné que d’après la récente jurisprudence de la Cour, un moyen
de transmission des œuvres différent suffit à qualifier le public (2). Ce régime spécial ne fait
pas le jeu de la loi Création puisqu’il facilite la qualification d’un acte de communication au
public.
1. Le critère inattendu du public nouveau en défaveur des droits d’auteur
D’après A. Lucas, en droit français l’acte qui déclenche l’application du droit de
représentation n’est pas déterminé, contrairement à ce que pourrait laisser penser le libellé de
l’article L.122-2 du CPI, par le caractère public ou privé du lieu où est situé l’appareil
récepteur mais bien par la question de savoir si les personnes auxquelles sont communiquées
les œuvres forment un public155. Dans le cadre des nPVR, dans l’hypothèse où une copie est
réalisée pour chaque usager (à l’opposé du fameux advance share copy model), il pourrait être
considéré que la mise à disposition des œuvres n’est pas un acte de communication, faute
d’impliquer un « public »156.
Il reste alors à savoir ce qu’est le public. On se rend bien compte qu’il serait facile pour les
fournisseur nPVR d’échapper au droit exclusif en adoptant un modèle technique faisant
échapper à la qualification de « public » sa clientèle d’abonnés.
La Cour de Justice a une conception subjective du public et semble créer son propre droit.
Dans la décision ITV Broadcast du 7 mars 2013 au sujet de la catch-up TV, la Cour évoque
« un nombre indéterminé de destinataires, un nombre assez important qui y ont accès
155 A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, préc., para 307 156 J. Grosslerner et F. Jean, Télévision - éditeur, distributeur : qui communique au public ? (et qui doit payer ?), Légipresse n° 340, juillet - août 2016, p. 415
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parallèlement ou successivement, (…) car un grand nombre de personnes a parallèlement
accès à la même œuvre »157. Mais parallèlement, la Cour a créé un nouveau critère pour
qualifier un acte de communication, celui du « public nouveau » en particulier dans sa
jurisprudence portant sur les hyperliens, qui érige une distinction entre les communications
secondaires des oeuvres158. Dans l’affaire Reha Training, la Cour définit le « public nouveau »
comme « un public qui n’était pas pris en compte par les titulaires de droits sur les œuvres
protégées lorsqu’ils ont autorisé leur utilisation par la communication au public
d’origine159». Cette surprenante exigence de la Cour pourrait susciter certains doutes quant au
respect du droit de représentation par le fournisseur de service nPVR. Apparemment
constitutif de la qualification de communication au public, ce nouveau critère apparaît peu
clair étant donné qu’il n’est prévu par aucun texte160.
Les solutions dégagées par la Cour au sujet de la communication au public sont donc un
facteur d’imprévisibilité, à l’image des récents développements portant sur la communication
en ligne d’œuvres télédiffusées, dont la solution était inattendue par les états membres161…
2. Le critère du public nouveau abandonné au profit du moyen technique de transmission
A. Lucas le souligne, « le critère du public nouveau a été érigé par la Cour de Justice en
condition sine qua non. La Cour ne l’applique cependant pas dans toute sa rigueur,
puisqu’elle admet qu’une représentation secondaire soit soumise au droit exclusif, alors
pourtant qu’elle n’élargit aucunement l’audience de la représentation primaire, dès lors
qu’elle emprunte un mode technique spécifique ». Cette irrégularité dans l’application du
« public » fut observée dans le cadre des nPVR puisqu’il ressort de la jurisprudence de la
Cour que le seul critère du moyen technique différent suffit à établir l'existence d'un acte de
157 CJUE, 7 mars 2013, aff. C-607/11, ITV Broadcasting Ltd c/ TVCatchup, pt 49 158 CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12, Nils Svensson c/ Retriever Sverige AB, pt 24 et 25 où la condition de « public nouveau158 », intervient dans le cadre d’une communication secondaire identique à la communication primaire. 159 CJUE, Reha Training, 31 mai 2016, C-117/15, pt 45 ; même raisonnement dans CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA 160 Pour P. Sirinelli, ce critère a été érigé par la Cour suite à plusieurs erreurs d’interprétation de la Convention de Berne, pour laquelle elle s’est appuyée sur le Guide l’OMPI de 1978 à l’origine d’une confusion entre les paragraphes (ii) et (iii) de l’article 11 bis (1). Le guide déduit de la notion « d’autre organisme » celle de « public distinct ». Par exemple, la Cour cite le guide dans sa décision SGAE (aff. 306-05), au considérant 41. P. Sirinelli, Hyperliens et droit d'auteur, in A. Bensamoun et al. La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. p. 119 161 Voir l’Avis de l’ALAI sur le « public nouveau », 2014
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communication au public162. En principe, chaque fois qu'une transmission ou retransmission
d'une oeuvre s'opère par un mode technique spécifique, c’est-à-dire distinct, elle requiert
l'autorisation des titulaires de droits163. Dans l'arrêt ITV Broadcasting c/ TV Catchup, la Cour
de justice avait jugé inutile la démonstration d’un public nouveau lorsque le moyen technique
utilisé est différent du mode de diffusion originaire : « chacune de ces deux transmissions
(par télévision et par Internet) doit être autorisée individuellement et séparément par les
auteurs concernés étant donné que chacune d'elle est effectuée dans des conditions techniques
spécifiques, suivant un mode différent de transmission des oeuvres protégées et chacune
destinée à un public. Dans ces conditions, il n'y a plus lieu d'examiner, en aval, la condition
du public nouveau164». Or, comme le soulève à juste titre F. Pollaud-Dulian, le public n'est pas
forcément nouveau dans tous les cas, puisque le changement de procédé technique impliquera
toujours un acte de communication au public, que ce public soit différent ou non165.
Par ailleurs, l'arrêt AKM c/ Zürs.net du 16 mars 2017 comporte une autre réponse au sujet de
la retransmission par réseau et en simultané d’émissions d’organismes de radiodiffusion sans
autorisation. La Cour de justice y énonce que « la circonstance que (...) la transmission en
cause s'effectue par câbles permet de constater que Zürs.net réalise une communication, au
sens de l'article 3 de la directive n° 2001/29 » mais elle ajoute aussitôt « qu'il convient
cependant encore de vérifier si cette communication est destinée à un public nouveau166». La
solution est quelque peu ambiguë et laisse songeur quant à la licéité des services nPVR, eux
aussi à l’origine d’une diffusion des œuvres différente du moyen de diffusion originaire.
L'avocat général de l’affaire Vcast exprime un certain scepticisme : « L'arrêt (AKM c/
Zurn.net) en question n'est pas tout à fait clair à cet égard. Cependant, toute autre
interprétation signifierait qu'il constitue un net revirement de la règle découlant de l'arrêt
ITV Broadcasting selon laquelle, en présence d'un mode technique différent, la question de
l'existence du public nouveau n'est pas pertinente ».
Depuis, heureusement, l'arrêt Vcast a expressément repris l'approche de l'arrêt ITV
Broadcasting : « la transmission d'origine effectuée par l'organisme de radiodiffusion, d'une
162 Le mode technique est défini par P. Sirinelli comme une mise à disposition via les réseaux numériques. P. Sirinelli, Hyperliens et droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. p. 118 163 CJCE, 7 décembre 2006, aff. C-306/05, SGAE c/ Rafael Hoteles 164 La Cour ajoute que le public nouveau n'est pertinent que dans les situations sur lesquelles la Cour a été déjà amenée à se prononcer, dans les affaires SGAE, Football Association Premier League, Airfield et Canal Digitaal. 165 F. Pollaud Dulian, Le droit de communication au public encore et toujours… RTD Com. 2018, p.95 166 CJUE, 16 mars 2017, aff. C-138/16, AKM c/ Zurn.net, pt 26 et 27
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part, et celle réalisée par le fournisseur de services en cause au principal, d'autre part, sont
effectuées dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de
transmission des oeuvres et chacune d'elles est destinée à son public. Les transmissions
évoquées constituent donc des communications au public différentes, et chacune d'elles doit,
dès lors, recevoir l'autorisation des titulaires de droits concernés. Dans ces conditions, il n'y
a plus lieu d'examiner, en aval, si les publics ciblés par ces communications sont identiques
ou si, le cas échéant, le public ciblé par le fournisseur de services en cause au principal
constitue un public nouveau167». Il semble donc que les services nPVR ne soient pas soumis à
l’exigence d’un public nouveau, par conséquent la construction jurisprudentielle de la Cour au
sujet de la communication au public propre aux hyperliens est limitée : la passerelle entre
l’acte de communication effectué par un hyperlien et par un service nPVR n’existe pas.
Ces turbulences jurisprudentielles illustrent la difficulté de saisir le régime juridique
applicable aux nouvelles technologies dans la distribution audiovisuelle. Le seul constat
général est la place grandissante dans la jurisprudence européenne du « public »168. Du reste,
la licéité des services nPVR semblent tout autant atteinte par cette construction
jurisprudentielle, aux antipodes de la conception française du droit de représentation inscrite
dans le CPI 169. V.-L. Benabou s’inquiète des considérations de la Cour puisque selon elle, il
n’y a plus d’individualisation de la relation entre le client et son serveur si l’acte de
transmission de la copie touche un public...170 Devrait-on regretter la facilité avec laquelle la
Cour de Justice retient l’existence d’un public ? Il est clair que sa volonté est d’assurer un
haut niveau de protection à l’égard des droits de l’auteur et des titulaires. Même en étant
favorable au développement de nouveaux services de diffusion des œuvres, favorisant
l’effervescence technologique d’une économie, il est vrai que sans public, l’œuvre serait
reproduite dans le vide, ce qui n’a aucun sens pour une entreprise commerciale qui touche,
indéniablement, une clientèle. Par conséquent, il est logique de chercher à déduire une
violation des droits et un préjudice systématique causé, des services proposés par les 167 CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pts. 49 et 50. Par ailleurs, aux Etats Unis, la Cour suprême était arrivée au même résultat dans son arrêt Aereo au sujet d’une retransmission internet, que la Cour de Justice dans l’affaire Broadcasting. 168 Pour une synthèse des critères retenus par la Cour de Justice, voir P. Sirinelli, Rapport de la mission sur le droit de communication au public, 2016 169 La Cour soulève d’elle-même le droit de communication au public dans sa décision Vcast c/ RTI, alors que celui-ci n’était pas même envisagé par le gouvernement français dans ses observations écrites présentées aux juges de la Cour de Justice. Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 170 CSPLA, Compte-rendu de la séance plénière,19 décembre 2017
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fournisseurs nPVR…
Dans tous les cas, s’il s’avère que l’exception de copie privée est effectivement applicable aux
copies réalisées dans le cadre de services nPVR, sa mise en œuvre auprès des acteurs
économiques reste problématique. En France, la loi Création entend concilier les différents
intérêts par un accord professionnel, appelé « convention », passée entre les fournisseurs de
services visés à l’article L.311-4 et les titulaires de droit. Cette solution contractuelle pour
mettre en œuvre une exception interroge aussi bien sur sa conformité au droit européen, que
sur la mise en œuvre du régime de la RCP auprès de fournisseurs nPVR, qui exercent
potentiellement une activité concurrente à celle des titulaires, les chaines de diffusion.
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PARTIE 2 : La mise en œuvre incertaine du droit à rémunération aux nPVR
L’intégration à l’exception de la copie d’œuvres dans le cadre de services nPVR entraine
aussi des ajustements dans la mise en œuvre du régime de la redevance pour copie privée. Il
convient de rappeler avant tout que l’assiette de redevances abordée dans cette partie
concerne la communication audiovisuelle, en dehors de toute communication au public de
services à la demande et de la communication au public en ligne telle que définie à l’article 1er
de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Si d’après la jurisprudence européenne, la rémunération pour copie privée n’est pas due
lorsque la source de la copie est illicite171, le législateur français a, malgré les zones d’ombres
explicitées précédemment, mis en œuvre le mécanisme obligatoire. Un doute subsiste
puisqu’il s’est passé de la procédure de notification à la Commission européenne, en dépit des
dispositions de la directive n° 2015/1535 sur la procédure de notification des projets de règles
techniques relatives aux services de la société de l’information172. Dès lors cette mise en
œuvre ne s’effectue pas sans certaines incertitudes, tandis que l’enjeu économique est
important. Les collectes brutes de la RCP s’élèvent à 309 millions d’euros pour l’année 2016 173.
D’une part, l’originalité de la mise en œuvre pensée pour le droit à rémunération présente un
risque de déséquilibre auprès des acteurs économiques, altérant peut-être la philosophie de
l’exception (Chapitre 1). D’autre part, le droit à rémunération appliqué aux supports nPVR
entraine des conséquences économiques décisives auprès des acteurs concernés, puisque
l’impact économique de la rémunération peut être difficilement anticipé alors qu’ils se
trouvent potentiellement dans une situation de concurrence (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Le mécanisme risqué de l’assujettissement français des nPVR à la RCP
Le mécanisme du droit à rémunération sur les nPVR interroge. Tandis que sa forme
conventionnelle soulève plusieurs interrogations à l’égard de la philosophie de l’exception de 171 CJUE, 5 mars 2015, aff. C-463/12, Copydan Båndkopi c/ Nokia Danmark A/S 172 Voir l’article 5 de la directive (UE) n° 2015/1535 du 9 septembre 2015 : « 1. Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique […] ». 173 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 43
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copie privée (I), sa mise en œuvre imparfaite touche les acteurs économiques concernés du
secteur audiovisuel, en déséquilibrant dangereusement des rapports économiques qui ne
devraient pas être lésés par la RCP (II).
I) L’instauration d’un rapport conventionnel inédit au sein du secteur audiovisuel
La voie de l’accord conventionnel choisie bouscule la conception dorénavant « classique » du
droit à rémunération, puisque ce procédé apparaît nécessaire pour atteindre le bénéfice de
l’exception (A). Ce mécanisme original est d’autant plus troublant qu’aucune précision n’est
ajoutée quant aux deux parties (diffuseurs et fournisseurs), laissant dans l’embarras une mise
en œuvre bilatérale dont on ne sait quoi attendre (B).
A. Un dispositif conventionnel inopportun pour la mise en œuvre de l’exception
Une première remarque doit être faite sur l’utilisation de l’article L. 331-9174 du CPI pour
mettre en place le système conventionnel, tandis que son titre n’est pas consacré à la
rémunération pour copie privée, mais aux mesures techniques de protection. Selon cet article,
lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de
stockage, une convention doit être conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de
télévision. Les conventions permettent donc aux parties « de fixer les capacités de stockage
des services de nPVR et de garantir la sécurisation des programmes copiés par les
consommateurs au moyen de ces services et de prévenir d’éventuels risques de
contrefaçon »175. En d’autres termes, la convention fixe les limites du service nPVR.
Issu de l’article 15 de la Loi Création176, le dispositif conventionnel semble être le parfait le
compromis trouvé par le législateur français pour envisager l’assujettissement d’un service à
la RCP.
174 L’article L.331-9 al. 3 du CPI dispose : « Lorsqu'un distributeur d'un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 311-4, une convention conclue avec l'éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». 175 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 23 176 Loi Création Art. 15-2° : « L’article L. 331-9 est complété par deux alinéas ainsi rédigés : Lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 311-4, une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage. »
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Or si l’on comprend bien cette disposition, puisque l’autorisation des diffuseurs prend la
forme contractuelle, on peut considérer qu’une autorisation expresse est requise de la part des
titulaires. Il s’agirait de la condition préalable pour que leur flux de diffusion soit repris par
les fournisseurs de services nPVR177. Pourtant dès 2005 selon P. Gaudrat et F. Sardain, la
source contractuelle doit rester inenvisageable : « Le contrat est à écarter d'emblée, pour deux
raisons. Si le droit à copie procédait d'une source contractuelle, il pourrait tout simplement
ne pas être accordé ou être révoqué par la même voie. Mais surtout, l'acte générateur du
droit serait introuvable »178. Ces observations apparaissent toujours justes.
En effet, le mécanisme de la redevance pour copie privée n’est pas un système conventionnel,
il est fondé sur l’application de barèmes fixés par la Commission copie privée179. On peut
donc se demander pourquoi une telle convention est nécessaire, si les opérateurs doivent
appliquer les barèmes de la Commission. Cela conduit à une remise en cause du mécanisme
de la RCP, puisque son fonctionnement serait lié à la fois à des décisions générales et
impératives, et à la fois à des conventions180.
Finalement cette remise en cause du régime de la RCP accompagne celle afférente à
l’exception, comme vu précédemment. Une incertitude demeure sur un point déterminant : à
défaut de pouvoir établir une convention, faut-il revenir au droit exclusif ?
Il nous semble bien que l’existence de la convention soit une étape préalable à l’application
de l’exception de copie privée. Le paradoxe est troublant. La raison d’être de l’exception
prévue par le législateur est de déroger en toute logique au principe d’autorisation préalable
de l’auteur sur l’utilisation de son œuvre, en mettant en place une RCP. Ainsi, d’après G.
Vercken, le renvoi de la loi Création au droit à rémunération et à l’obligation de la conclusion
d’un contrat constitue un signe de désarroi du régime instauré181.
177 A l’instar d’une autorisation expresse requise pour restreindre les droits exclusifs de l’auteur, une tendance à reconnaître une autorisation implicite de l’auteur pour la reproduction et/ou la représentation de son œuvre est déjà reconnue par la Cour de justice (décision Soulier, aff. C-301/15 ; décision Svensson, aff. C-466/12). Voir S. Von Lewinski, Les exceptions au droit d'auteur, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc. p. 129 178 P. Gaudrat et F. Sardain, De la copie privé (et du cercle de famille) ou des limites au droit d’auteur, préc. 179 La loi du 4 juillet 1985 a instauré une commission indépendante, composée de représentants des redevables et des bénéficiaires, qui a pour mission de déterminer les modalités de mise en œuvre de la rémunération pour copie privée : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Propriete-litteraire-et-artistique/Commission-pour-la-remuneration-de-la-copie-privee 180 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 4 181 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 467
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A cet égard, le dernier Rapport d’activité de la Commission copie privée nous fait une
remarque intrigante : « De tels accords, qui ne conditionnent pas la mise en œuvre de
l’exception […] »182. Cela paraît étrange, étant donné qu’un Accord a pour objet d’accorder.
Au vu de l’ensemble des développements précédents, la mise en œuvre de l’exception auprès
des nPVR ne pourrait se passer d’une autorisation des diffuseurs. Il est donc incorrect
d’affirmer que ces conventions entre les acteurs ne sont pas déterminantes pour l’application
de l’exception.
Surtout au regard du droit européen, cette convention semble indispensable pour garantir
l’autorisation des titulaires de droits. L’originalité du mécanisme n’est donc pas due à la seule
créativité inventive de notre législateur ; mais à l’obligation d’obtenir un accord dont on ne
saurait proposer d’autre forme. On ne peut donc que se résigner à un tel système, qui
encourage, en fin de compte, la modernisation (souhaitable) du droit d’auteur. Après tout, il
s’agissait du but poursuivi par la loi Création. Celui d’adapter la rémunération pour copie
privée aux usages numériques183. Comme l’observe G. Vercken : « les frontières entre droit
exclusif – objet du droit contrat – et exceptions- hors du champ du contrat – ont aussi sinon
disparu, se sont perdu dans les méandres législatifs et jurisprudentiels »184.
Si la Loi Création impose l’obtention d’un accord, celle-ci reste largement silencieuse sur les
conditions à prévoir dans une telle convention. Seule la pratique professionnelle semble ainsi
pouvoir préciser à l’avenir les conditions à prévoir afin de mettre en œuvre la copie privée
réalisée par les nPVR185.
B) Un dispositif conventionnel incertain pour la mise en œuvre bilatérale de l’exception
D’une part, la mise en œuvre bilatérale des conventions emportent des incertitudes quant à
182 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.23 183 « La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a apporté plusieurs modifications au dispositif de la rémunération pour copie privée afin […] de l’adapter aux usages numériques ». Ibid., p. 21 184 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 467 185 La pratique professionnelle est, selon les termes de C. Caron, « un comportement de fait qui est adopté par les acteurs d’une discipline juridique ». Puisqu’elle porte sur l’application d’une règle de droit, la pratique professionnelle est susceptible de constituer une source de droit. C. Caron, Rapport général sur les usages et pratiques professionnels en droit d’auteur, n° 1 Congrès ALAI, Paris, 18 sept. 2005 p. 416
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l’aménagement de la RCP (1). D’autre part, ces incertitudes sont renforcées par la solution
arbitrale attribuée au CSA en cas de conflit (2).
1. L’incertitude laissée quant à la mise en œuvre bilatérale des conventions
Le problème majeur est lié à la lecture de l’article L. 331-9, qui ne permet pas de comprendre
avec qui cette convention doit être signée186. La méthodologie de l’adoption de l’amendement
peut susciter un questionnement quant à la mise en œuvre collective de ces conventions à
l’avenir. Il avait été question, lors des discussions parlementaires, de mettre en place un
accord collectif afin de permettre une certaine unification des conditions auxquelles seraient
soumis les distributeurs de nPVR, avec renvoi à un décret en Conseil d’État à défaut d’un
consensus au 1er janvier 2017. Cependant, ce dispositif n’a pas été retenu et par conséquent, le
contenu des conventions dépend entièrement de la puissance de négociation des opérateurs.
Certes, la volonté a surement été d’éviter les risques de blocage inhérents à un accord
collectif. Mais on peut reprocher à la voie bilatérale un cruel manque de transparence pour la
copie privée. Il est en effet difficile de connaître le contenu des négociations entre diffuseurs
et distributeurs de services de nPVR.
D’après P.-D. Cervetti, le droit professionnel de l’audiovisuel présente les avantages d’une
régulation plus concrète, plus souple et démontre une aptitude certaine au rééquilibrage des
rapports de force dans la pratique contractuelle187. Cependant, face à un dispositif inédit tel
que celui en cause, on peut s’interroger sur le juste équilibre entre les forces de négociation en
présence.
Pour J. Glosslener et F. Jean, la difficulté de négociation concerne ici surtout les titulaires de
droits : « L’impact de ces nouveaux services se fera également ressentir chez les producteurs
qui, privés de leur droit exclusif de reproduction, perdront probablement de leur pouvoir de
négociation auprès des opérateurs. Dans le secteur du film particulièrement, les sources de
revenus liés à l’offre de vidéo à la demande risquent d’être sensiblement impactées 188».
Pourtant, d’une manière peu surprenante, la force de négociation ne semble pas être du côté
186 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 3 187 P.-D. Cervetti, Du bon usage de la contractualisation en droit de la propriété littéraire et artistique, Thèse de doctorat, Université d'Aix Marseille, P.U.A.M., janvier 2015, para. 599 188 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468
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des fournisseurs nPVR. Par exemple, les diffuseurs M6 et TF1 auraient réussi à imposer une
limitation de 20 heures d’enregistrement seulement à l’égard du distributeur Molotov189. De
telles limitations entravent forcément le développement à grande échelle de ce type de
service.
Par ailleurs, la voie bilatérale peut rendre les conditions d’abonnement illisibles pour les
usagers des services nPVR, étant donné que chaque diffuseur est en mesure d’imposer ses
propres conditions190.
Par conséquent, les deux parties négociatrices ne sont pas sur un pied d’égalité, ce qui rajoute
un caractère curieux à la mise en œuvre de la RCP. Elle se retrouve au milieu de deux forces
commerciales. Il faut garder à l’esprit que d’un côté, l’objectif des diffuseurs est de diminuer
l’attractivité de ces nouveaux services, et de l’autre, les fournisseurs de services souhaitent
pouvoir exercer leur activité lucrative dans des conditions profitables optimales.
D’un point de vue très pratique, il a été pointé par un représentant d’éditeur (SFR) le risque de
coûts supplémentaires à la charge des fournisseurs nPVR en matière de service client. Il
faudra expliquer toutes les différences contractuelles avec les diffuseurs aux clients, pour que
ceux-ci comprennent les limites de leurs abonnements191. Pour toutes ces raisons, le recours à
la voie bilatérale ne permet pas réellement à ces services de s’étendre si leur marge de
manœuvre est très restreinte dans le cadre des négociations. Il est donc aussi possible de
questionner l’efficacité de ce dispositif à l’égard des objectifs de soutien à l’innovation
technique par ailleurs.
On peut se demander jusqu’où les diffuseurs peuvent se permettre de limiter le service. Il ne
semble pas qu’ils puissent purement refuser un enregistrement, puisque comme vu
précédemment, cela remettrait complètement en question la philosophie de l’exception de
copie privée. Si on est tenté de comparer de tels accords à des licences d’exploitation forcées
dans le cadre de la théorie des facilités essentielles, il faut rappeler que ces conventions sont
bien imposées auprès des fournisseurs pour l’exercice de leurs services, et non auprès des
organismes de diffusion... Mais comme il sera étudié, on peut tout de même questionner la
réelle portée du consentement de la part d’un diffuseur qui reçoit une compensation pour une
partie seulement de ses programmes diffusés.
189 Compte-rendu de séance plénière, Commission de l’article L.311-5 du CPI, 14 mars 2017, p.2 190 Compte-rendu de séance plénière, Commission de l’article L.311-5 du CPI, 14 mars 2017, p.2 191 Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI du 14 mars 2017, p.6
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L’intervention du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sera donc d’autant plus délicate à
l’égard de rapports économiques forcés pour la mise en œuvre de la RCP.
2. Le sort d’une exception laissé à l’arbitrage du Conseil supérieur de l’audiovisuel
En cas de contentieux portant sur la mise en œuvre de l’exception, une nouvelle autorité vient
s’ajouter aux autorités concurrentes (juge judiciaire, ou la hadopi par exemple), le CSA. En
effet, l’articleL. 331-9 du CPI modifié prévoit la compétence du CSA, autorité
administrative indépendante, lorsque celle-ci est saisie par un éditeur ou un distributeur des
services de tout différend relatif à la conclusion ou à l’exécution de la convention. Il devra
veiller aux caractères objectif, équitable et non discriminatoire de la convention.
En d’autres termes, le CSA doit tenter d’harmoniser les conditions de mise en œuvre de la
copie privée, mission qui pourrait dépasser le cadre habituel de ses attributions192. Il renforce
ainsi son pouvoir sur le droit d’auteur au travers d’un pouvoir de sanction. N. Binctin
condamne cette entorse à la copie privée : « Le juge judiciaire aurait été certainement aussi
compétent que le CSA. Une dilution des sources de contentieux s’ouvre, ce qui ne devrait pas
arranger la mise en œuvre de la redevance pour copie privée »193.
Or, il est vrai que le CSA a déjà un rôle d’arbitre au sein de ses missions et qu’ainsi, il est un
observateur privilégié des pratiques contractuelles du secteur audiovisuel. L’intérêt de son
intervention réside donc forcément dans son expertise. Qui de mieux placé pour garantir une
qualité d’expertise sur la matière en jeu ? Cependant, ses missions n’ont jamais touché de près
ou de loin à la mise en œuvre des exceptions en droit d’auteur.
La perplexité à l’égard de sa nouvelle compétence réside dans le fait que l’arbitre n’est pas lié
par une définition légale, et qu’il dispose a priori d’un pouvoir d’appréciation extrêmement
large… Cela contraste avec la rigueur de l’interprétation stricte appliquée au champ des
exceptions.
Mais en définitive, il nous semble devoir admettre que le CSA est accommodant. Comme le
rappelle P.-D. Cervetti, la finalité de la mission arbitrale est la réception d’un droit uniforme
192 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 193 Selon lui même « L’HADOPI aurait pu aussi se voir confier le pouvoir de superviser la mise en œuvre du régime de la redevance pour copie privée ». N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 3
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et de plus, la limite de sa compétence à l’égard de la copie privée réside dans l’absence
imperium de l’arbitre : « en l’absence d’application volontaire des parties, ces dernières
pourront saisir un juge spécialisé en propriété intellectuelle pour obtenir l’exécution forcée
de la sentence 194».
Pour finir, la mise en œuvre de la RCP telle qu’imaginée par le législateur de la loi Création
touche non seulement la philosophie de l’exception, mais participe à déséquilibrer des
rapports économiques bâtis sur l’assujettissement du support nPVR.
II) L’instauration d’un rapport déséquilibré au sein du secteur audiovisuel
Le mécanisme choisi par le législateur entraine un déséquilibre des forces décisionnelles
auprès des deux grands acteurs concernés. D’un côté, les intérêts des entreprises de
communication audiovisuelle sont laissés de côté par la mise en œuvre de la RCP (A). De
l’autre, les fournisseurs de services nPVR auront du mal à faire valoir leurs intérêts ou du
moins, ceux de leurs clients (qui rappelons-le, sont débiteurs de la redevance), puisqu’ils ne
sont toujours pas, à l’heure actuelle, représentés au sein de la Commission copie privée qui
décide pourtant des modalités d’assujettissement (B).
A. Les intérêts lésés des entreprises de communication audiovisuelle non éligibles à
la RCP
Dans l’affaire Reprobel, la Cour de justice considère que seuls les titulaires du droit exclusif
de reproduction sont susceptibles de subir un préjudice devant être compensé équitablement
au sens de l’article 2 de la directive 2001/29195. Or le régime de la RCP n’envisageait pas le
cas des entreprises de communication audiovisuelle, titulaires d’un droit voisin196. Les
conséquences en sont qu’il est permis de douter qu’une compensation équitable puisse être
allouée à l’ensemble des ayants droits dès lors que les entreprises de communication
audiovisuelle sont ignorées des bénéficiaires de la RCP. La Commission Copie privée ne peut
194 P.-D. Cervetti, Du bon usage de la contractualisation en droit de la propriété littéraire et artistique, préc., para. 599 195 CJUE, 12 novembre 2015, Aff. C-572/13, Reprobel, pts 47 et suiv. 196 On entend par communication audiovisuelle toute communication au public de services de radio ou de télévision, quelles que soient les modalités de mise à disposition auprès du public, ainsi que toute communication au public par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication au public en ligne telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
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prendre en compte le manque à gagner des entreprises de communication audiovisuelle dans
le calcul des barèmes de la RCP. Pourtant, elles sont aux premières loges du dispositif de RCP
décidé.
J. Glosslener et F. Jean soulèvent justement cette problématique : « En tant que producteur
d’une partie de leurs programmes, ces entreprises pourront prétendre, pour ceux-ci, à
compensation. Mais qu’en est-il s’agissant des émissions qui n’auraient pas été
préalablement fixées sur un support et qui représentent une large partie des contenus
aujourd’hui consommés en mode non linéaire, ou encore des émissions non susceptibles
d’être qualifiées d’œuvres de l’esprit ? »197.
L’entreprise de communication audiovisuelle ne peut toucher une compensation que si elle
produit son propre contenu protégé en tant que producteur198. Pourtant, tous les programmes199
qu’elle diffuse sont exploités par les fournisseurs nPVR.
Pour cette raison, l’assujettissement des nPVR est l’opportunité de soulever le manque de
protection que ces entreprises peuvent rencontrer, lorsque des plateformes reprennent leur
signal afin de proposer une diffusion en ligne de l’ensemble de leurs programmes200. Les
préjudices économiques sont facilement identifiables. D’une part, la fabrication du signal et la
promotion du contenu sont déjà financés201. Ils représentent un investissement économique
important, dont se passent entièrement les fournisseurs nPVR. D’autre part, la reprise des
programmes entraine un manque à gagner, au travers des revenus parallèles comme la
publicité202. En effet, l’audience d’un programme enregistré sur Molotov n’est pas
197 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 198 J. Glosslener et F. Jean précisent : « Une chaine produisant ses propres contenus pouvant être protégés par le droit d’auteur peut prétendre, pour ceux-ci, à compensation ». Ibid. p. 468 199 L’article 1er de la directive du 10 mars 2010 définit le programme comme « un ensemble d’images animées (...) constituant un seul élément dans le cadre d’une grille ou d’un catalogue établi par un fournisseur de services de médias et dont la forme ou le contenu sont comparables à ceux de la radiodiffusion télévisuelle. Un programme est, à titre d’exemple, un film long métrage, une manifestation sportive, une comédie de situation, un documentaire, un programme pour enfants ou une fiction originale ». Et les œuvres audiovisuelles (que peut constituer un programme) comprennent les œuvres cinématographiques ainsi que « les œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles » d’après l’article L.112-2 du CPI. 200 Voir concl. M. Szpunar, 5 juillet 2018, aff. C-298/17, France Télévisions SAc/Playmédia sur l’obligation de must carry. 201 J. Grosslerner et V. Aknin, Cloud et copie privée : pas d’éclaircie à l’horizon, 14 décembre 2017, consulté le 25 juin 2018. https://www.village-justice.com/articles/cloud-copie-privee-pas-eclaircie-horizon,26721.html#Wjg25vBsaP5TpmiM.99 202 Médiamétrie intègre depuis 2011 l’audience en différé dans les 7 jours et devrait dans cette optique, intégrer la consommation de la télévision au travers des services de nPVR afin de limiter le préjudice des chaînes. J.
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comptabilisée par TF1203. De ce point de vue, il est certain que les entreprises de
communication audiovisuelle sont lésées par l’exception204. On peut donc reprocher au
législateur de la loi Création de ne pas avoir anticipé en dehors des conventions, le bénéfice
certain d’une compensation. La loi Création ne saurait réussir à garantir une compensation à
l’ensemble des ayants droit tant que les entreprises de communication audiovisuelle sont
exclues du bénéfice de la RCP. Encore une fois, l’enjeu économique de la RCP est important
pour les organismes de communication audiovisuelle.
La situation est donc paradoxale au regard du mécanisme conventionnel. L’une des parties
n’est pas bénéficiaire de la RCP mais est habilitée à limiter les modalités des nPVR.
J. Glosslener et F. Jean s’interrogent à juste titre : « Ce système ne laisse-t-il pas transparaître
la légitimité des chaînes à bénéficier de la RCP ? »205. Selon G. Vercken cependant, l’absence
de versement d’une compensation peut s’organiser grâce à la convention imposée, dans
laquelle les chaines peuvent exiger une contrepartie financière206.
Pour leur part, les fournisseurs de services nPVR sont également lésés par un aspect encore
laissé de côté depuis la réforme de 2016, leur absence de sièges à la Commission copie privée.
B. Les intérêts lésés des fournisseurs de services nPVR non représentés à la
Commission copie privée
En France, les acteurs économiques sont traditionnellement inspirateurs du contenu des
normes en droit d’auteur. Ils sont assimilés au processus décisionnel, à l’élaboration de la loi
régissant leurs activités207. Ces acteurs, pouvant être considérés comme des groupes de
Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 203 A contrario en Allemagne les chaines de diffusion ont réussi à imposer aux fournisseurs que les enregistrements s’effectuent avec des publicités « non skipables ». J. Bajon et J. Marceau, Audiovisuel français, la transformation par le cloud, synthèse de colloque, préc., p. 24 204 Cependant, les diffuseurs disposeraient déjà d’imposantes infrastructures leur permettant de proposer leurs propres services de nPVR. L’économie de la télévision de rattrapage en 2015, les études du CNC, mars 2016 in J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 205 Ibid. p. 468 206 G. Vercken, L’incertitude des contrats cloud sur les contenus : le cas typique de l’enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 467 207 La participation directe à l’élaboration de la norme législative en droit d’auteur est particulièrement visible auprès des acteurs de l’internet. Voir les « Accords de l’Elysées » conclus entre l’Etat, les représentants des ayants droits et ceux des intermédiaires internet dans le cadre de la mission de lutte contre le téléchargement illicite de la loi Hadopi II.
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pression, participent ainsi à la création du droit d’auteur en tant que « source réelle 208».
L’action de ces groupes de pression est institutionnalisée au sujet de l’assujettissement des
supports et de la détermination de la RCP auprès de la Commission copie privée, autorité
administrative209. Cette participation marque l’existence d’un droit négocié en droit d’auteur,
selon J. Lapousterle210, qui observe que cette irruption constitue un puissant révélateur de la
dimension économique du droit d’auteur.
La Commission copie privée est effectivement marquée par cette dimension économique, au
regard de la composition de ses membres. Les douze représentants des bénéficiaires et douze
représentants des contributeurs, présidés par un représentant de l’Etat, décident ensemble des
supports servant de base à la redevance et du montant qui leur sont afférés. D’après la
Commission : « ce paritarisme est cohérent avec la mission de la commission copie privée,
qui est d’évaluer de manière contradictoire le préjudice lié à l’exercice de la copie
privée »211. Cependant, la question de la représentativité constitue le point épineux du système
décisionnel de la redevance ; et elle fut relancée à l’issue de la loi Création, dont l’article 17
modifie l’article L. 311-5 du CPI.
La question de la représentativité s’est déjà manifestée lorsque le Conseil d'Etat, dans deux
arrêts de 2014, a validé des décisions de la Commission prises en l'absence des représentants
des industriels. Ils avaient décidé de faire blocage en quittant leur siège. Le Conseil a estimé
que l'absence des industriels lors de la réunion de la Commission ne saurait être regardée
comme ayant entaché d'irrégularité sa composition212. Cette solution consacre-t-elle une
importance relative de la représentation des industriels au sein de la Commission ? Pour le
moins, elle ne doit pas empêcher la légitimité des nouveaux acteurs d’intervenir à leur tour
208 J. Lapousterle reprend la définition de G. Cornu des sources réelles « entendues comme l’ensemble des données morales, économiques, sociales, politiques, etc. qui suscitent l’évolution du Droit ». J. Lapousterle, Le droit d’auteur, droit économique, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc., p. 47 209 Article L.311-5 du CPI : « Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa de l'article L. 311-4 et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs. Trois représentants des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation participent aux travaux de la commission, avec voix consultative ». 210 Il décrit ce droit négocié comme « un droit hybride, doté de la portée normative attaché classiquement aux actes unilatéraux que constituent la loi et le règlement mais puisant sa source dans une négociation directe entre les destinataires de la norme ». J. Lapousterle, Le droit d’auteur, droit économique, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc., p. 58 211 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.21 212 CE 9° et 10° s-s-r., 19 novembre 2014, arrêts n° 358734 et n° 366322
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dans le processus décisionnel d’une redevance qui leur est dorénavant affectée (ici en réalité,
à leurs clients).
On peut dès lors regretter que le législateur n’ait pas modifié les articles L.311-5 et R.311-1
du CPI pour intégrer au sein de la Commission les éditeurs et leurs distributeurs de services
nPVR, nouveaux débiteurs de la RCP. Cette absence influence forcément l’élaboration du
barème, la méthodologie de calcul employée et les montants d’assiettes. Comme il sera
étudié, une seule société (la société Molotov) s’est auto-représentée à cet effet lors
d’auditions, ce qui soulève plusieurs questions à l’égard de l’évaluation de l’impact
économique de la RCP. En effet, il peut paraître surprenant qu’une société dont les éléments
chiffrés sont si importants pour l’élaboration du barème que celle-ci doive s’engager à
soumettre ses statistiques commerciales, tandis qu’aucun siège au sein de la Commission ne
soit habilité à représenter ses intérêts213.
Par ailleurs, l’absence remarquée de ces nouveaux acteurs doit être mise en parallèle avec la
présence neuve de représentants de l’Etat et de leur voix consultative214. Cette nouvelle
composition démontre une méfiance à l’égard de la composition de la Commission et par
extension, un doute à l’égard de l’objectivité de ses décisions215. D’après N. Binctin : « Les
représentants de l’administration ne peuvent ni porter la voix des auteurs, ni celle des
consommateurs ou celle des industriels »216.
La question de la représentativité est donc loin d’être résolue et il reste à la Commission le
défi de décider des modalités de la RCP pour un service. Celles-ci entrainent nécessairement
des conséquences économiques dont l’appréciation subjective ne facilite pas la mise en œuvre
de la compensation.
213 D’après la décision n°16 de la Commission établissant un barème initialement provisoire, celui-ci devait être réévalué après un an d’application, afin de prendre en considération les données transmises par Molotov entre-temps. 214 Sont ajoutés trois représentants des ministres chargés de la culture, de l’industrie et de la consommation, qui ont commencé à siéger au sein de la Commission dès le 2 février 2017. 215 L’article 18 de la loi du 7 juillet 2016 a modifié l’article L. 311-6 du CPI qui prévoit désormais qu’une part limitée à 1 % du montant global de la rémunération pour copie privée peut être affectée au financement des études d’usages de la commission. Ce mode de financement spécifique et transparent doit contribuer à l’indépendance des études menées. 216 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 4
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Chapitre 2 : La fragilité d’un dispositif de RCP renforcée par les conséquences économiques afférentes aux nPVR
La mise en œuvre du droit à rémunération à l’égard de services tels que les nPVR ne va pas
sans questionner les limites de l’application d’un tel régime à de nouveaux acteurs. On
continue de s’interroger sur la légitimité des fournisseurs de supports à bénéficier
indirectement du régime, grâce au paiement de la redevance par leurs clients. Les fournisseurs
nPVR sont pris d’une controverse liée à la concurrence inévitable causée auprès des titulaires
de droits, les organismes de diffusion (I). Dans ce contexte, il apparaît d’autant plus difficile
de calculer avec rigueur l’impact économique de la redevance, qui reste soumise à l’exigence
de compensation équitable (II).
I) Le risque de déséquilibre économique renforcé par l’activité concurrentielle des
services nPVR aux organismes de diffusion
Il est impossible de ne pas envisager la relation concurrentielle qu’il peut exister entre un
fournisseur de services nPVR et une chaîne de télévision. Certes, la mise en œuvre d’un droit
à rémunération est supposée compenser le préjudice subi. Mais le but commercial poursuivi
par les deux parties citées heurte l’idéal d’une réparation totale. Rien ne demeure moins
certain que l’assujettissement à la rémunération pour copie privée d’un nouveau mode
d’exploitation des œuvres (A), lorsque la mise en œuvre du triple test permettrait de cerner
facilement les éléments contradictoires à l’exception, dans un contexte concurrentiel (B).
A. L’assujettissement d’une potentielle nouvelle exploitation des œuvres à la RCP
Il nous semble que la relation concurrentielle existante entre les deux parties devrait être prise
en compte lorsqu’il s’agit d’assujettir le nouveau service. On peut se demander si la RCP ne
couvre pas une nouvelle exploitation économique des programmes et œuvres audiovisuelles.
Selon C. Bernault : « la loi Création pourrait conduire à une véritable recomposition du
secteur audiovisuel »217.
De manière étrange, la rémunération pour copie privée a été définie en droit d’auteur français
comme une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur. Comme le souligne S. 217 C. Bernault, Copie privée, compensation équitable, financement par le budget de l’Etat, principe utilisateur-payeur, préc., p. 446
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Carre : « il existe néanmoins un certain paradoxe à considérer la copie privée comme un
mode d’exploitation des droits de l’auteur et, dans le même temps, à affirmer que l’unique
objet de la rémunération est ‘de compenser pour les acteurs la perte de revenus engendrée
par l’usage qui est fait licitement et sans leur autorisation’218 ».
A titre préliminaire, il convient de rappeler que les chaines de diffusion doivent passer par des
négociations avant de conclure un contrat de cession nécessaire à l’exploitation des œuvres
audiovisuelles. Face aux nPVR, ce contexte pourrait paraitre injuste auprès de ces acteurs,
titulaires de droits patrimoniaux. Appliquer l’exception de copie privée permettrait ainsi à
d’autres entreprises de s’affranchir de telles cessions dans les conditions prévues par la loi.
Comme vu précédemment, les chaînes de télévision ne font pas partie des bénéficiaires de la
RCP alors que la fabrication du signal de ces chaînes représente un investissement
considérable219.Par conséquent, l’ampleur de la reproduction tolérée en matière de copie
privée n’est pas encadrée. En effet, si la Loi Création entend permettre à des distributeurs de
mettre à disposition des contenus sous couvert de la copie privée, elle risque de porter une
grave atteinte aux chaînes de télévision en concurrençant leurs propres activités. Il semble que
la lecture de la loi Création suffit à faire état d’une contradiction flagrante : les conventions
imposées monétisent la diffusion des œuvres et programmes par les services nPVR ; tandis
que l’exception de copie privée est par nature non commerciale. Dans le cadre des nPVR, il
est clair que l’on est confronté à un nouveau mode d’exploitation des œuvres, puisque l’aspect
commercial est indissociable de ce type de service.
Le législateur choisit donc de mettre en place un droit à rémunération sur les supports de
copies nPVR dont la fonction est exclusivement de réaliser des enregistrements à des fins
commerciales. On peut lui opposer le cas des disques durs sur box assujettis, dont la fonction
n’est pas exclusivement dédiée à l’enregistrement de vidéogrammes220. Dans l’affaire Wizzgo,
la Cour d’appel de Paris a déjà souligné à juste titre la nature commerciale de la copie dans ce
cadre : « la copie opérée par le service est dotée d’une valeur économique propre dès lors
218 S. Carre, Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant et al., préc. p. 313 219 Cela paraît contradictoire, étant donné que l’arrêt Padawan précise que la compensation équitable en matière de RCP doit être calculée en fonction du préjudice causé. Voir CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/ SGAE CJUE. 220 Un droit à rémunération est possible sur des supports dont la fonction n’est pas exclusivement de réaliser des copies, à condition néanmoins qu’ils aient cette fonction, et qu’elle ne soit pas minime. Voir CJUE, 5 mars 2015, aff. C-463/12, Copydan Båndkopi c/ Nokia Danmark A/S
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qu’à chaque copie est attaché un utilisateur et que le montant des recettes publicitaires
générées par le service sera directement lié au nombre des utilisateurs du service et au
volume des copies réalisées pour le compte de ces utilisateurs »221. En effet, la valeur
économique représentée par chaque copie se traduit à travers les formules d’abonnement des
plateformes nPVR telles que Wizzgo ou Molotov, et à travers la publicité générée par ces
plateformes.
Pourtant, d’après le Rapport d’activité de la Commission copie privée de 2015-2017, « Le
législateur s’est attaché à garantir que le développement des services de nPVR ne puisse
remettre en cause l’existence de l’offre télévisuelle traditionnelle ainsi que les services de
télévision de rattrapage et de vidéo à la demande ». Si le problème est soulevé, c’est bien
qu’il existe. Comment être sûr qu’un enregistrement à la demande sur internet ne va pas se
substituer à la vidéo à la demande sur la télévision ? De quelle vision sur le long terme
disposons-nous à ce sujet ? Aucune, en réalité.
Par ailleurs, il est évoqué ici « l’offre télévisuelle traditionnelle ». Or, la société Molotov s’est
vantée lors de l’une de ses auditions à la Commission copie privée de proposer les « fonctions
classiques » de la télévision …222 Dans ce cas, ces éléments concrets ne sont pas réellement
pris en compte pour assujettir les supports nPVR à la RCP. Maitre Brault, avocat des co-
fondateurs, a d’ailleurs expliqué que la principale crainte des organismes de diffusion réside
dans les capacités de stockage proposées par le service223. On ne peut nier l’existence d’un
risque de préjudice supplémentaire lorsqu’une autre entreprise commerciale propose un
service équivalent sans aucune limite d’enregistrement des programmes. L’équivalence entre
les services a même été énoncée lors de l’élaboration de la loi Création. En effet, pour le
Syndicat des entreprises distributrices de programmes audiovisuels (SEDPA) « la rédaction
de l'amendement 7 bis AA dans sa version issue de l'Assemblée nationale instaure un
dispositif juridique déséquilibré qui met à mal un processus de prise en compte des usages et
des supports non linéaires (VàD, SVàD, TVR224) engagé par les professionnels, et remet en
221 Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1ère chambre, 14 décembre 2011, Wizzgo c/ Métropole Télévision et autres 222 Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, préc., p. 5 223 Ibid. p. 8 224 Ces services de vidéo à la demande sont définis par le CSA comme des services généralement payants qui permettent de regarder une vidéo (série, film, etc.) proposée par un site. https://www.csa.fr
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cause la valorisation de ces droits par la filière audiovisuelle en fragilisant encore un peu
plus la création »225.
Pour les distributeurs, la rédaction de l’article 7 AA bis « permettrait un détournement de
l'encadrement législatif des services VàD, SVàD, TVR... en affectant notamment les règles
relatives aux quotas d'œuvres d'expression originales françaises et européennes des décrets
SMAD et pourrait par conséquent fausser la concurrence »226. Même s’il est souhaitable de
favoriser le développement technologique de nouveaux services, cela ne doit pas se faire au
détriment de l’équilibre du secteur audiovisuel où, à titre factuel, la concurrence est
importante227. La question de la concurrence déloyale et des activités parasitaires s’impose
donc.
En matière de nPVR, il paraît difficile d’identifier des actes de parasitisme séparés des actes
de contrefaçon. Pourtant dans l’affaire Wizzgo, les juges du Tribunal de Grande Instance de
Paris semblent admettre la possibilité d’une activité parasitaire : « il est interdit de créer et
s’approprier une richesse économique à partir d’un service de copie d’œuvres ou de
programmes audiovisuels qui se soustrait à la rémunération des titulaires des droits de
propriété intellectuelle »228. La France veut assurer des conditions de concurrence égales entre
les plateformes en ligne ayant acquis les droits et les diffuseurs229. Or, on peut se demander si
la loi Création assure ce niveau de concurrence.
La relation entre l’utilisation de deux services équivalents, le PVR230 d’un côté et le nPVR de
l’autre, a déjà été anticipée par les organismes de diffusion. En effet, en présentant un
225 Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 226 Ibid. 227 Hadopi soulève : « Les artistes, producteurs et diffuseurs soutiennent que le partage illicite de copies de ces programmes [sur internet] détourne une partie de l’audience, à la fois en direct et pour la télévision de rattrapage, privant d’autant de ressources d’abonnement ou de publicité les bénéficiaires de l’exploitation de l’œuvre. Pour les ayants droit, le partage de la copie réalisée lors de la première diffusion d’une œuvre à la télévision française peut, en outre, avoir des répercussions sur la profitabilité d’autres actes d’exploitation de la même œuvre ». Hadopi, avis n° 2014-1 pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, préc. para. 16 228 TGI Paris, 3e chambre, 1ère section, 25 novembre 2008, Wizzgo c/ Métropole Télévision et autres 229 Voir Secrétariat général des affaires européennes, note de cadrage de la commission des affaires juridiques sur la position française sur le paquet droit d'auteur du 14 septembre 2016 préc. 230 Le PVR signifie "Personal Video Recorder" ou enregistrement vidéo personnel. Les TV équipées de fonctions PVR permettent d'enregistrer les programmes des chaînes décodées par le tuner de la TV. Les enregistrements peuvent être programmés ou lancés en direct et ils sont stockés sur un support USB externe (clé USB, disque dur). Anonyme, https://www.lcd-compare.com/definition-de-pvr.htm consulté le 20 juillet 2018
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chiffrage relatif aux perspectives de collectes après un déploiement du nPVR, ils ont estimé
que : « le parc de box à disque dur intégré allait diminuer à partir de 2018 en raison de
l’entrée sur le marché de ces nouveaux services [nPVR]. […] Selon eux, plusieurs années
s’écouleront avant que ces collectes ne retrouvent leur niveau actuel (26 millions d’euros
pour les box à disque dur installées chez les membres de la FFTélécoms). Ils ont estimé que le
taux d’équipement des foyers en NPVR devrait progresser au fil des ans et aboutir en 2021 à
un parc global de PVR classique à hauteur de 38 % et services de NPVR à hauteur de 34 %,
soit un peu plus de 70 % de pénétration des foyers TV pour les deux types d’enregistreurs de
programmes ». D’après ces données anticipées, la proximité entre l’utilisation des deux
services est indéniable et devrait être prise en compte dans le taux de rémunération231. Les
groupes TF1 et M6 ont déjà lancé un appel au Ministère de la culture pour faire part de leur
inquiétude face à une disposition qui « remet en cause de façon disruptive l'exposition des
programmes audiovisuels et l'économie de leur fonctionnement »232.
Par ailleurs, le législateur de la loi Création n’a pas entendu limiter les droits exclusifs des
titulaires pour tous les types de diffusion, mais limite la reproduction « avant la diffusion du
programme ou au cours de celle-ci », ce qui exclut expressément les fonctionnalités
permettant d’avoir accès à un programme déjà diffusé par exemple233, mais peut inclure le
time-shifting. Ce service est proposé par les chaines de TV et les nPVR. La société Molotov
propose par exemple ce service de « pause du direct », qui ne reste disponible que tant que le
programme est diffusé en linéaire234. Les problématiques sont donc les mêmes entre les nPVR
et le time-shifting, dont le sort est très lié à la mise en place des services de nPVR. Il se trouve
que c’est au travers du time-shifting que l’exception de préjudice minime a été reconnue pour
la première fois à l’égard de la RCP235. En effet, certains usages ne donnent lieu à aucun
paiement au titre de la compensation équitable dès lors que le préjudice causé est
231 Pour voir l’ensemble des positions présentées au sein de la Commission, voir Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 25-30 232 Voir J.-P. Leleux et F. Férat, Rapport N° 588, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi, préc. 233 Renvoie aux fonctionnalités de « Start-Over » et de « Reverse EPG ». 234 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 26 235 Selon la Commission : « il n’y a aucune obligation de paiement en ce qui concerne certains actes uniques de copie radiodiffusées ou d’autres objets qui sont réalisés dans le simple but de les voir et de les écouter à un moment plus adéquat (time-shifting) sous réserve des conditions de l’article 5 para. 5 de la directive 2001/29 ». Déclaration de la Commission européenne, doc. 11375/00 ADD 1, 15 sept. 2000 in T. Maillard, La réception des mesures techniques de protection et d’information en droit français, thèse de doctorat, Université XI Faculté de Jean Monnet, soutenue le 11 mars 2009, p. 259
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insignifiant236.
A l’occasion de la décision Copydan, les autorités françaises ont fait valoir que le 35ème
considérant de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États
membres de ne pas appliquer la compensation pour des copies à usage privé lorsque le
préjudice des titulaires de droits est minime237. Dans l’affaire Copydan, une interprétation de
la décision peut aller dans le même sens, si l’on considère qu’il est possible de ne pas prélever
de redevances sur des supports qui n’ont qu’une fonction « minime » de réalisation de copies
à usage privé238. Or, l’enregistrement est l’unique fonction d’un nPVR, donc le time-shifting
ne semble plus forcément rentrer dans le préjudice minime239. En tout état de cause, étant
donné qu’il revient aux Etats membres d’apprécier ce caractère minime, le législateur de la loi
Création a eu la liberté de décider d’une compensation équitable, semble-t-il.
J. Glosslener et F. Jean expriment une certaine méfiance vis-à-vis d’une telle dérive sur le
secteur audiovisuel, dont le financement pourrait en être lourdement impacté :
« Indirectement, c’est le financement de la création qui pourra être impacté puisqu’il est
principalement assuré par ces éditeurs. Cette mise en concurrence n’est pas négligeable au
regard du marché de la TVR. En 2015, la consommation a augmenté de plus de 36 % et le
chiffre d’affaires généré par ces services a été estimé à 90 millions d’euros. En outre, les
services de nPVR sont tellement simples à l’utilisation qu’ils sauront séduire des
téléspectateurs qui n’auraient par ailleurs pas cherché à copier les contenus
traditionnellement consommés en TVR en l’absence d’une telle technologie »240.
L’encadrement de la copie n’est-il pas censé empêcher un nouveau mode d’exploitation sans
l’accord des titulaires de droits ?
236 Dans la décision Padawan de 2010, la notion de préjudice minime est aussi soulevée par le juge à propos du calcul de la compensation équitable, celui-ci excluant une obligation de compensation équitable. CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/SGAE pt. 39 : « S’agissant, en premier lieu, du rôle joué par le critère du préjudice subi par l’auteur dans le calcul de la compensation équitable (…) Afin de déterminer le niveau de cette compensation, il convient de tenir compte, en tant que « critère utile », du « préjudice potentiel » subi par l’auteur en raison de l’acte de reproduction en cause, un « préjudice (…) minime » pouvant toutefois ne pas donner naissance à une obligation de paiement ». 237 Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 238 CJUE, 5 mars 2015, aff. C-463/12, Copydan Båndkopi c/ Nokia Danmark A/S, pt 28 239Ibid. pt 29 : « le caractère principal ou secondaire de cette fonction et l’importance relative de la capacité du support à réaliser des reproductions sont susceptibles d’influer sur le montant de la compensation équitable due. Dans la mesure où le préjudice causé aux titulaires de droits serait considéré comme minime, la mise à disposition de ladite fonction pourrait ne pas donner naissance à une obligation de paiement de cette compensation ». 240 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 466
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Une appréciation de la validité du choix du législateur d’assujettir les services nPVR, au
regard des éléments économiques cités, doit en plus s’effectuer au travers du triple test.
B) La violation incertaine des droits exclusifs des organismes de diffusion
éclairée par le triple test
Certes, le triple test empêche l’application de l’exception. Mais il est question pour les nPVR
d’un mécanisme de droit à rémunération ayant pour objet de rendre conforme l’application de
l’exception au droit européen. Or d’après une certaine anticipation, la RCP mise en place ne
saurait éviter une violation du triple test. L’exploitation normale ne semble pas être prise en
compte par le législateur français (1), étant donné qu’il existe des services analogues proposés
par les diffuseurs (2), et que la copie privée d’œuvres télévisuelles ne peut faire l’objet
d’aucune mesure de protection (3). Par ailleurs, le périmètre relativement large des nouvelles
dispositions (4) est susceptible de provoqué un préjudice injustifié aux ayants droits (5).
1. L’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre non anticipée
Le triple test, institué par la Convention de Berne et adopté par l’article L. 122-5 du CPI
s’applique non seulement au juge, mais également au législateur qui envisagerait de consacrer
de nouvelles exceptions. Ils sont tous deux investis de la mission de limiter le champ
d’application de l’exception lorsque celle-ci menace de porter atteinte à l’exploitation
normale de l’œuvre241. D’après F. Pollaud-Dulian, l'atteinte à l'exploitation normale de
l'œuvre correspond à l’atteinte à une forme d'exploitation actuelle ou même potentielle, qui
est de nature à priver les ayants droit de profits significatifs242. En définitive, cette interdiction
suppose que la copie privée ne devienne pas en elle-même un véritable mode
d’exploitation243. Au vu des éléments étudiés précédemment, il est permis de s’en inquiéter.
Le Rapport du CSPLA de 2012 portant sur le cloud computing invitait déjà à s’en remettre au
triple test pour l’application de l’exception de copie privée au cloud computing244. La Cour de
Justice dans l’arrêt ACI Adam avait jugé que faire jouer l'exception de copie privée à partir
241 Pour J. Lapousterle, le triple test est un « tamis destiné à maintenir hors du champ d’application des exceptions toutes les pratiques susceptibles de contrarier l’exploitation économique normale des œuvres ». J. Lapousterle, Le droit d’auteur, droit économique, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc., p. 47 242 F. Pollaud Dulian, La copie privée dans le nuage, préc., p. 106 243 Or, « le triple test lui-même contient en germe une appréciation économique » permettant de limiter une telle exploitation de l’œuvre. A. Bensamoun, La Réforme du droit d’auteur dans la société d’information : une histoire de norme, in A. Bensamoun et al., La Réforme du droit d'auteur dans la société d'information, préc., p.23 244 CSPLA, Rapport de la commission spécialisée « Informatique dans les nuages » préc., p. 18
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d'une source illicite contreviendrait à l’exploitation normale de l’œuvre245. Par conséquent,
l’application du triple test à l’assujettissement des nPVR fait peser sur les nouvelles
dispositions du CPI un risque de non-conformité au droit européen.
Le juge de la Cour de cassation, dans le célèbre arrêt Mulholland Drive, apporte
d’importantes précisions quant à l’exploitation normale dans le cadre des nouvelles
technologies, puisqu’elle justifie sa solution par : « les risques inhérents au nouvel
environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d’auteur et à l’importance
économique de l’exploitation de l’œuvre »246. Et comme le relève Hadopi dans un avis rendu
sur les copies privées de programmes télévisuels : « Le risque d’une atteinte à l’exploitation
normale des œuvres télédiffusées doit s’apprécier en prenant en compte le contexte des
technologies numériques et des modes d’exploitation de ces œuvres. […] Le régime de
l’exception de copie privée, dont il résulte de l’application du ‘test en trois étapes’ qu’il
repose sur un équilibre entre les droits des auteurs et les facultés d’usage des
consommateurs, est donc affecté par ces changements technologiques »247.
2. L’exploitation anormale d’un service analogue
Le risque des services nPVR est spécifique. Même si l’activité commerciale de fournisseurs
intermédiaires n’est pas contrefaisante en elle-même, c’est la démultiplication des mises à
disposition qui peut créer le caractère contrefaisant. Ainsi les services nPVR pourraient porter
atteinte au processus normal d’écoulement des œuvres, en permettant aux usagers de se
dispenser du recours à la télévision, c’est à dire le moyen de diffusion initiale, comme vu
précédemment. A ce titre, le doute de la conformité au triple test est accentué par la décision
Vcast, puisque la Cour n'aborde pas la question, contrairement à l’avocat général248. Il
constate deux formes d'atteinte à cette étape du test. D'un côté, les pratiques nPVR empêchent
les organismes de radiodiffusion d'exploiter des services analogues ; de l'autre, elles privent 245 CJUE, 10 avril 2014, aff. C-435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie, pt 39 : « admettre que de telles reproductions puissent être réalisées à partir d'une source illicite encouragerait la circulation des œuvres contrefaites ou piratées, diminuant ainsi nécessairement le volume des ventes ou d'autres transactions légales relatives aux œuvres protégées, de sorte qu'il serait porté atteinte à l'exploitation normale de celles-ci ». 246 S. Carre, Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant, préc. p. 300 247 Hadopi, avis n° 2014-1 pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, préc. para. 16 248 Mais dans l'arrêt ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie, elle avait jugé que l'exception de copie privée ne peut pas jouer lorsque la reproduction est faite à partir d'une source illicite, parce qu'elle est susceptible de causer « un préjudice injustifié aux titulaires du droit d'auteur », ce qui se réfère manifestement à la troisième étape du triple test. F. Pollaud Dulian, La copie privée dans le nuage, préc., p. 104
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ces organismes d'une partie des ressources publicitaires que doivent générer leurs
programmes : « Cela constitue donc un service supplémentaire par rapport à la
radiodiffusion initiale. Les organismes de télévision pourraient vouloir fournir eux-mêmes un
tel service, en exploitant ainsi les œuvres dont ils détiennent les droits et en en tirant des
revenus supplémentaires » 249. Comme vu précédemment, les organismes de communication
audiovisuelle se financent effectivement principalement grâce à la publicité : « Or, […] VCast
se trouve en concurrence directe avec ces organismes sur le marché de la publicité. Dès lors
que VCast exploite sans autorisation des œuvres dont ces organismes de télévision détiennent
les droits d'auteur, cette concurrence devient déloyale »250. Certes en France, les organismes
sont censés donner leur autorisation par la convention imposée. Mais à la question de savoir si
le niveau de concurrence dans le secteur audiovisuel est pris en compte par le Ministère de la
Culture ou par la Commission copie privée dans le cadre de l’exploitation normale du triple
test, la réponse serait négative, d’après M. Daniel Segoin251.
3. L’exploitation normale empêchée par l’absence de mesures
techniques de protection
Les mesures techniques de protection, définies par l’article L.331-5 du CPI comme tout
moyen de contrôle de la copie des œuvres252, devraient permettre aux ayants droits de limiter
la réalisation de copies privées à l’exploitation normale des œuvres. Ce principe a été affirmé
par le Conseil constitutionnel, selon lequel peuvent être mises en place des mesures de
protection : « limitant le bénéfice de l’exception à une copie unique, voire faisant obstacle à
toute copie, dans les cas particuliers où une telle solution serait commandée par la nécessité
d’assurer l’exploitation normale de l’œuvre ou par celle de prévenir un préjudice injustifié à
249 Concl. M. Szpunar, 7 sept. 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pt 67 250 Ibid. pt 68 251 D’après M. Daniel Segoin, en France le triple test est davantage perçu comme un outil servant à renforcer une exception, ou alors comme un critère supplémentaire empêchant la réalisation de l’exception. La France l’utilise à rebours. Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 252 Art. L.331-5 du CPI al. 1 : « Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur d'une oeuvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme sont protégées dans les conditions prévues au présent titre ». Al. 2 : « On entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu'une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection ».
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leurs intérêts légitimes »253.
Dans son avis rendu en 2014 en matière de copie privée des programmes télévisés sur
enregistreurs numérique, la Hadopi semble vouloir autoriser les mesures techniques sur des
copies d’œuvres télévisées, d’une manière compatible avec l’exploitation normale : « Ces
restrictions, mises en œuvre au moyen de mesures techniques de protection, ne doivent pas
excéder ce qui est, en l’état de l’art, nécessaire pour limiter ce risque à un niveau compatible
avec l’exploitation normale de l’œuvres »254 .
Or, l’alinéa 1 de l’article L.331-9255 introduit par la loi du 1er aout 2006 prévoit que « les
éditeurs et les distributeurs de services de télévision ne peuvent recourir à des mesures
techniques qui auraient pour effet de priver le public du bénéfice de l'exception pour copie
privée y compris sur un support et dans un format numérique, dans les conditions
mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3 ». Autrement dit, des
mesures techniques de protection ne peuvent empêcher la réalisation de la copie privée en
matière audiovisuelle à partir de services de télévision256. Les nPVR sont parfaitement
assimilables au « format numérique ». On en déduit qu’en principe, il n’est pas possible pour
des entreprises de communication audiovisuelle de mettre en place des mesures de protection
pour empêcher la captation du signal par le fournisseur nPVR, ou pour empêcher la
réalisation de copie dans le cloud à partir de ce signal, lorsqu’il s’agit de l’application de
l’exception de copie privée. Au vu des éléments étudiés quant à l’exploitation des œuvres
dans le cadre des nPVR, on peut douter de la conformité de cette nouvelle disposition au droit
européen. Dans la résolution adoptée en 2014 par le Parlement européen sur les redevances
pour copie privée, il est précisément énoncé : « à l’ère du numérique, le recours à des
mesures techniques de protection rétablissant l’équilibre entre la liberté d’effectuer des
copies privées et le droit à l’exclusivité des copies devrait être autorisée »257. Si aucunes
mesures de protection ne peuvent être utilisées pour garantir aux organismes de diffusion une
253 Conseil constitutionnel, 27 juillet 2006, n° 2006-540 DC. 254 Voir Hadopi, avis n° 2014-1 pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, préc. 255 Art. L.331-9 Al. 3 : « Lorsqu'un distributeur d'un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 311-4, une convention conclue avec l'éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». 256 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 467 257 Parlement européen, Résolution du 27 février 2014 sur les redevances pour copie privée (2013/2114(INI), pt 26.
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exploitation normale de leurs programmes, le caractère concurrentiel des services nPVR ne
s’en trouve que renforcé.
A titre comparatif, d’autres services audiovisuels possèdent un régime de protection différent
concernant les mesures de protection. Par exemple, la vidéo à la demande, potentiellement
concurrencée par les nPVR, ne peut faire l’objet d’aucune copie par l’usager. En vertu de
l’article L.331-8 du CPI « le consommateur ne saurait se procurer à titre définitif une œuvre
qui lui a en quelque sorte été louée de façon immatérielle, pour un usage momentanée »258,
explique P.-Y. Gautier.
Selon G. Vercken, « la convention, inscrite dans l’article relative aux mesures techniques,
doit permettre de fixer l’équilibre permettant de déterminer si les modalités du service nPVR
porte atteinte ou non à l’exploitation normale de l’œuvre »259. Il sera étudié l’aménagement
des modalités de limites de copies par les conventions, rééquilibrant l’exploitation des œuvres
entre les diffuseurs et les fournisseurs, grâce au régime non forfaitaire de la RCP.
4. Le périmètre trop large de l’exception
Par ailleurs la loi Création ne précise pas dans quelle mesure le téléspectateur pourrait
programmer les enregistrements. J. Glosslener et F. Jean dénoncent précisément les
conséquences des nouvelles dispositions trop vagues introduites dans le CPI : « La Loi
Création ne prévoit donc pas les conditions d’usage du nPVR qui seront définies par le biais
d’accords entre éditeurs et distributeurs et qui devront fixer les questions relatives à la
capacité et la durée de stockage, au nombre d’utilisateurs, à la possibilité d’enregistrements
simultanés ou encore à la sécurisation de ces services » 260. Or, dans le cadre du litige
précédemment évoqué entre la Commission et le gouvernement italien sur la loi italienne
portant sur le droit d’auteur, la Commission a confronté la disposition italienne litigieuse au
triple test et a estimé qu’elle ne passait pas cette seconde condition relative à l’exploitation
normale, car celle-ci est trop large au regard des dispositions de la directive 2001/29261. En
France, le système conventionnel pour établir les modalités de la RCP est-il suffisant ?
258 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p.369 259 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 474 260 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 261 Lettre de la Commission du 23 février 2009, MARKT D1/DB D (2009)
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Ce système peut effectivement sembler suffisant, au regard de l’exigence d’un contrôle des
titulaires sur l’exploitation de leurs œuvres. L’avocat général dans l’affaire Vcast explique
que « la seule impossibilité, pour les titulaires des droits d'auteur, de contrôler l'exploitation
que des tiers font de leurs œuvres, du fait de la définition trop large du périmètre de
l'exception de copie privée, constitue déjà une atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre, car
un tel contrôle, en dehors du champ légitimement réservé à la sphère privée de l'utilisateur,
relève de cette exploitation normale »262 . A cet égard, le législateur français semble avoir pris
ses dispositions. On peut en effet considérer que la convention imposée pour la RCP donne
l’opportunité au diffuseur de contrôler l’exploitation, puisqu’il peut négocier les conditions
d’exploitation commerciale par le fournisseur de service nPVR. Si tel n’est pas le cas, cette
impossibilité de contrôle cause un préjudice injustifié en plus de l’atteinte à l’exploitation
normale263.
5. Le risque de préjudice injustifié au regard de l’obligation de
compensation équitable
Le critère de préjudice injustifié serait un « outil visant à apprécier la proportionnalité entre
l’octroi de l’exception et la préservation des intérêts de l’auteur » et « ce n’est que si ce
préjudice est injustifié ou hors de proportion que l’exception doit être considérée illégitime
au regard du test »264, d’après S. Dusollier.
Cependant, le préjudice injustifié répond aussi de la nécessité de mettre en place une
compensation équitable, dans le cas où l'exception de copie privée peut jouer265. Dans ce cas,
la RCP, conçue comme l'indemnisation du préjudice subi par l’exception, pourrait valider la
troisième étape du test. En ce sens, pour A. Lucas, ce qui compte au regard de cette étape du
test n’est pas que le copiste ait acheté l’original, mais qu’il réalise la copie sur un support pour
lequel il s’est acquitté la rémunération pour copie privée266. Cette conception n’arrange pas les
fournisseurs nPVR, puisqu’il n’est pas possible de savoir avec certitude si le mécanisme du
262 Concl. M. Szpunar, 7 sept. 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA, pt 66 263 Ibid. pt 64 : « l'application de l'exception de copie privée à des services qui peuvent facilement relever du monopole normal des titulaires des droits leur porterait également un préjudice injustifié ». 264 Voir M. Buydens et S. Dussollier, Les exceptions au droit d'auteur dans l'environnement numérique : évolutions dangereuses, préc. 265 Concl. P. Cruz Villalon, 9 janvier 2014, aff. C-435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie, pt 54 266 A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, Lexis Nexis 4e éd., 2012, para. 413
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barème français répond à cette étape du triple test. En effet, celui-ci a été élaboré sans étude
d’impact auprès des ayants droits, comme il sera étudié.
Par opposition, l’arrêt Infopaq insiste sur le caractère injustifié du préjudice : « la simple
incidence sur les intérêts légitimes du titulaire des droits (…) ne suffit pas ; cette incidence ne
saurait, au contraire, être injustifiée. Il faut à cette occasion tenir compte du caractère
quantitatif et qualitatif de cette incidence 267». Or, le calcul de la RCP ne nous semble pas
devoir prendre en compte ce caractère injustifié, puisque l’application de l’exception est
censée être justifiée…
Une incertitude persiste quant à la conformité des nouvelles dispositions au triple test.
L’aspect concurrentiel et la nature du service assujetti à la RCP sont autant d’éléments qui
permettent de douter de la perspicacité du mécanisme de réparation choisi par le législateur.
L’enjeu autour de l’impact économique engendré par la RCP est donc important.
II) Le risque d’une élaboration prématurée du barème de rémunération pour copie privée
Certes, on défend la nécessité pressante pour le droit d’auteur de se réformer pour encadrer de
nouveaux services bousculant les modes de diffusion des œuvres. Mais la mise en œuvre d’un
droit à rémunération n’est pas sans risque lorsqu’il s’agit d’évaluer précisément le niveau de
compensation qui doit être versé. Par conséquent, la précipitation forcée de la Commission
copie privée, confrontée à un support peu connu, peut fragiliser son barème de redevance sur
les supports nPVR ; d’une part, à cause de la difficulté d’évaluer son impact économique (A) ;
d’autre part, à cause de la méthodologie inédite pour évaluer son montant (B).
A) La détermination de la rémunération pour copie privée confrontée à l’incertitude
de son impact économique
La détermination de la rémunération au niveau national doit répondre à l’obligation
européenne de compensation équitable (1). Mais l’assujettissement des nPVR n’a fait l’objet
d’aucune étude d’impact économique au préalable (2) tandis que les retombées économiques
sont importantes pour le paysage télévisuel (3).
267 Concl. V. Trstenjak, 12 février 2009, aff. C-5/08, Infopaq, pt 139
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1. L’obligation de compensation équitable
Contrairement aux autres exceptions, l’exception de copie privée ne permet pas à l’auteur de
perdre son droit corrélatif à rémunération grâce à l’article 5 para. 2 b) de la directive
2001/29268. La compensation de l’exception de copie privée s’est imposée dès sa création269.
Les supports servent de base à la redevance, qui varie selon le préjudice subi par le titulaire270.
La Cour de justice a consacré la notion de compensation équitable en tant que notion
autonome271 du droit de l’UE dans sa décision Padawan, qu’elle définit comme la contrepartie
du préjudice subi par l’auteur, résultant de la reproduction de son œuvre effectuée sans son
autorisation pour un usage privé272. Dans un souci de cohérence au niveau de l’Union, elle
ajoute : « qu’une interprétation selon laquelle les États membres qui ont introduit une telle
exception identique, […] seraient libres d’en préciser les paramètres de manière incohérente
et non harmonisée, susceptible de varier d’un État membre à l’autre, serait contraire à
l’objectif de ladite directive tel que rappelé au point précédent » 273. Selon la Cour, le critère
utile afin de déterminer le niveau de compensation adéquat est celui du préjudice potentiel
subi par l’auteur274. Cette position jurisprudentielle s’impose aux Etats membres.
Dans le cadre de la décision Padawan, la France a confirmé sa volonté de voir laisser aux
Etats membres la possibilité de pouvoir aménager les modalités de la RCP275. Elle affirme que
selon la directive 2001/29, des modalités instituées par le juge de l’UE doivent être rejetées si
268 P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, préc., p. 352 269 S. Carre, Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant, préc. p. 312-314 270 En ce sens, V. Téchené condamne la tendance observée à toujours décider de montants supérieurs aux précédents. V. Téchené, Commission ouverte mixte Droit de la propriété intellectuelle et marchés émergents, audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris, préc. p. 3 271 CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/SGAE, pt 32-33 : « La notion de « compensation équitable », qui figure dans une disposition faisant partie d’une directive qui ne comporte aucun renvoi aux droits nationaux, doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union et interprétée de manière uniforme sur le territoire ». 272 Ibid. pt 40 : « Il résulte de ces dispositions que la conception et le niveau de la compensation équitable sont liés au préjudice résultant pour l’auteur de la reproduction de son œuvre protégée effectuée sans son autorisation pour un usage privé. Dans cette perspective, la compensation équitable doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par l’auteur ». 273 Ibid. pt 35-36 : « La volonté du législateur de l’Union de parvenir à une interprétation la plus uniforme possible de la directive 2001/29 se reflète notamment dans le trente-deuxième considérant de celle-ci, lequel invite les États membres à appliquer les exceptions et limitations au droit de reproduction de manière cohérente, dans le but d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ». Cependant, il revient au juge national d’apprécier certaines modalités comme le droit au remboursement et la présomption d’usage privé d’un support (CJUE Amazon.com International Sales, 11 juillet 2013 C-521/11). 274 Ibid. pt 39 : « Afin de déterminer le niveau de cette compensation, il convient de tenir compte, en tant que ‘critère utile’, du ‘préjudice potentiel’ subi par l’auteur en raison de l’acte de reproduction en cause ». 275 Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018.
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elles ont vocation à se juxtaposer au droit national. Cette marge d’appréciation laisse au
législateur français l’initiative d’élargir le champ de la RCP aux services nPVR. On peut
imaginer qu’une rigidité des modalités de mise en œuvre de la RCP émanant des autorités
européennes auraient pu empêcher une conception aussi large de l’application de l’exception
de copie au cloud computing…276 En tout état de cause, il n’existe pas encore de définition
commune pour la compensation équitable, ni pour le upréjudice. En 2014, le rapport Castex
sur les redevances pour copie privée a donc relancé la Commission pour trouver une
convergence au sujet des critères de modalités de négociation pour les barèmes de la copie
privée277.
A l’égard du cloud, la décision Copydan ouvre une brèche aux Etats membres, semble-t-il, en
précisant que la directive 2001/29 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit
une compensation équitable pour copie privée pour les reproductions d’œuvres protégées qui
sont effectuées par une personne physique à partir ou à l’aide d’un dispositif qui appartient à
un tiers. Par conséquent, dans l’affaire Vcast, l’objectif des autorités françaises a été de
pérenniser la jurisprudence Copydan et Padawan où le cloud computing apparait en
filigrane278.
Dans la décision Vcast, le tribunal de Turin avait posé à la Cour la question préjudicielle de
savoir si une législation qui autoriserait un service nPVR moyennant une compensation
équitable serait conforme ou non à l’article 5 para. 2 de la directive 2001/29. Or, la Cour ne
répond malheureusement pas à cette question. Par conséquent, un flou persiste à propos d’un
droit à rémunération pour les services nPVR. La France avait pourtant suggéré des éléments
de réponse à la Cour sur ce point. Elle estime qu’il est conforme à la jurisprudence
européenne qu’une entreprise commerciale mettant à disposition un système d’enregistrement
soit redevable du financement de la compensation équitable, puisqu’elle a la possibilité de
répercuter la charge réelle du financement sur les usagers279. La Cour affirme elle-même avec
ferveur ce principe, qu’elle a consacré à nouveau dans sa décision EGEDA c/ AMETIC en
276 A l’occasion de l’affaire Vcast impliquant un fournisseur de services nPVR, la France a rappelé une fois de plus que les Etats membres disposent d’une large marge d’appréciation sur la mise en œuvre de la rémunération pour copie privée. Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 277 F. Castex, Rapport sur les redevances pour copie privée, préc. p. 8 278 Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 279 Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018.
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considérant que la compensation équitable doit toujours, in fine, peser sur la personne
physique qui bénéficie de l’exception de copie privée280. Le raisonnement qu’a suivi le
législateur de la loi Création en 2016 s’est donc retrouvé lié à la problématique de l’affaire
Vcast, en ayant endigué l’assujettissement des nPVR.
2. L’élaboration d’un nouveau barème sans étude d’impact
économique
De la volonté de soumettre les nPVR à la RCP émerge un champ d’éléments à définir :
l’assiette, le taux, la collecte, les conditions de distribution. L’enjeu est grand, devant
l’importance économique de la RCP en France. Le co-fondateur de la société Molotov, J.-D.
Blanc, explique qu’en réalité : « la difficulté réside dans le fait qu’il conviendra de définir un
barème avant que le service ne soit lancé à grande échelle »281. A cet égard, la méthodologie
suivie pour le calcul des barèmes à la Commission démontre les difficultés d’évaluation de
l’impact économique de la RCP appliquée aux nPVR282.
Tout d’abord, il convient de relever que la précipitation de la Commission copie privée à
élaborer un barème s’est faite sous l’impulsion des titulaires de droits dès 2016, selon lesquels
il était nécessaire d’adopter une décision provisoire pour assujettir le nouveau service (suite
au lancement de la société Molotov). La peur des diffuseurs de voir émerger une telle
entreprise est-elle justifiée pour plonger l’établissement d’une RCP dans la précipitation, au
risque de ne pas compenser équitablement, faute de visibilité ?
En incorporant une modification du CPI par le biais d’un amendement, le gouvernement s’est
dispensé de mener une étude d’impact, à laquelle les rapports sur le cloud computing
précédemment cités et utilisés dans le projet de loi ne peuvent se substituer. Les débats
parlementaires font d’ailleurs état de cette absence d’étude283. Et à l’heure actuelle, le
maintien définitif de la décision n°16 de la Commission pour le barème souffre lui aussi de
280 C. Bernault, Copie privée, compensation équitable, financement par le budget de l’Etat, principe utilisateur-payeur, préc., p. 442 281 Commission de l’article L.311-5 du CPI, Compte-rendu de séance plénière, 22 novembre 2016, p. 8 282 Pour lire les discussions menées sur la méthodologie de calcul des barèmes à la Commission, voir Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 38-42 283 Voir Rapport présenté lors de la deuxième lecture auprès de l’Assemblée nationale où le rapporteur à l’Assemblée nationale M. Le Député Patrick Bloche relève que ce « sujet est éminemment complexe et il est, en effet, fort ennuyeux que nous ne disposions d’aucune étude d’impact » in J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 466
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cette carence.
On peut se demander comment la Commission copie privée est en mesure par la suite de
calculer le « préjudice potentiel » causé aux ayants droits. Certes, le caractère « adéquat » de
la compensation n’existe pas dans les textes français, mais le législateur est intervenu avec la
loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 pour rajouter dans le calcul de la rémunération l’usage
du support, lui-même calculé dans le cadre d’enquêtes et études d’impact284. Il semble donc
que la méthodologie suivie pour obtenir le barème ne soit pas satisfaisant, comparé au niveau
d’exigence européen. La RCP est supposée prendre en compte les pratiques de consommation
chez l’usager. Du côté des nPVrR, il peut s’agir du « ad skipping » par exemple, qui risque
d’affecter les chaînes de télévision.
On ne peut que regretter l’élaboration précipité d’un barème de RCP, puisqu’il nous semble
que le préjudice pour les ayants droits n’a pu être correctement calculé. En définitive, la
décision n°16 de la Commission est entrée en application à compter du 1er août 2017 et
comporte les éléments du barème suivants : le paiement de la RCP est mensualisé ; le barème
applicable aux nPVR est calculé sur une durée moyenne d'utilisation des services de 5 ans285.
Par ailleurs, plusieurs « tranches de rémunération » sont envisagées en fonction des capacités
de stockage, qui ont bénéficié d’une conversion simple soit 1 heure est égale à 1 gigaoctet
d’enregistrement286.
3. L’impact économique de l’assujettissement pourtant non
négligeable
Or, en constatant les taux de rémunération retenus, on peut continuer de douter de la prise en
compte de la réalité économique du secteur. Puisque pour un stockage de 320 à 500 heures
d’œuvres enregistrées (ou programmes…), le taux s’élève à 0,750 euros mensuels pour
l’usager. Soit moins d’1 euro pour enregistrer potentiellement 225 films de 2 heures… De
quoi se cacher de la Commission européenne287. Cependant, rappelons que les conventions
peuvent aménager les types de programmes pouvant être enregistrés.
Pour mieux saisir l’impact économique de la RCP sur ce type de service, il convient de 284 Le CE était déjà arrivé à des conclusions équivalentes à celles de la Cour de Justice au regard du caractère ‘adéquat’ de l’indemnisation dans ses décisions, notamment l’arrêt CE, 11 juillet 2008, Syndicat de l'industrie des matériels audiovisuels électroniques c/ Sorecop et Copie France 285 Décision n°16 de la Commission copie privée, 19 juin 2017 286 Décision n°16 de la Commission copie privée, 19 juin 2017 287 Voir Lettre de la Commission au gouvernement italien du 23 février 2009, MARKT D1/DB D (2009)
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comparer les taux avec le cas des copies réalisées en dehors du champ de l’exception. Dans la
décision Wizzgo, le juge d’appel a estimé que les copies contrefaisantes avaient une valeur
individuelle de 2 euros TTC, en se référant à la valeur moyenne d’une vidéo à la demande
proposée par les diffuseurs, estimée à 2 euros TTC. Par conséquent, la société Wizzgo avait
été condamnée à payer 1 120 148 euros à TF1, pour 610 227 heures d’œuvres copiées.288 On
peut donc imaginer l’importance de l’enjeu financier autour de l’assujettissement des nPVR et
de l’élaboration de ce barème. Au regard de ces chiffres et de l’appréciation du contexte
concurrentiel déjà présentés, on peut douter encore une fois de la licéité de l’application de la
RCP.
B) La détermination de la rémunération pour copie privée confrontée à l’incertitude de la méthodologie du barème
La méthodologie pour élaborer le barème affecté aux nPVR est inédite, et emporte des
incertitudes quant au niveau de réparation laissé aux ayants droits. Elles s’expriment à travers
le data mining (1), la spécificité d’un régime non forfaitaire (2) basé sur le barème des box à
disque dur (3), qui pourrait tempérer l’interdiction des mesures techniques de protection (4).
1. L’élaboration d’un barème sur mesure consacrée par le data
mining
L’article L. 311-4 du CPI subordonne l’adoption par la commission copie privée de barèmes
de rémunération à la réalisation d’études d’usage préalables289. Le Conseil d’État a précisé la
portée de cette obligation dans une décision du 17 juin 2011 en indiquant que la Commission
copie privée « doit apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs
évolutions, le type d’usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des
enquêtes et sondages qu’il lui appartient d’actualiser régulièrement ; que si cette méthode
repose nécessairement sur des approximations et des généralisations, celles-ci doivent
toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements »290.
Dans le cadre de la loi Création, selon N. Binctin : « Le législateur intègre explicitement la
prise en considération des usages en modifiant en ce sens l’article L. 311-4 du Code de la
288 Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1ère chambre, 14 décembre 2011, Wizzgo c/ Métropole Télévision et autres 289 A titre indicatif, depuis la modification de l’article L. 311-6 du CPI, les sociétés de gestion collective peuvent consacrer 1% des sommes collectées par la copie privée au financement des études d’usages visées par l’article L. 311-4 al. 4 du CPI. 290 CE, 17 juin 2011, n° s 324816, 325439, 325463, 325468, 325469, Canal + distribution et autres
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propriété intellectuelle. La référence aux enquêtes peut ouvrir une interrogation. Au lieu
d’une référence à une enquête auprès des utilisateurs, n’aurait-il pas été plus fiable de
permettre la mise en place de sondages automatiques et anonymes dans les fichiers stockés
dans les espaces dédiés à cette utilisation en ayant recours à des outils d’analyse de data. La
solution aurait été certainement plus fiable et plus précise »291. Cependant, la dernière
modification de l’article L. 311-4 permet à la Commission d’utiliser la méthode du data
mining. Il est justement prévu dans le cadre des nPVR, où le montant du taux de rémunération
peut être déterminé par application des seuls critères fondés sur le nombre d’utilisateurs et la
capacité de stockage, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet
assujettissement. Ainsi, le législateur s’est passé de devoir recourir à l’utilisation d’éléments
objectifs normalement fournis par les sondages.
De ce contexte a résulté la difficulté de devoir évaluer les retombées du barème de la
redevance auprès d’une seule société. En effet, la Commission copie privée a auditionné à
plusieurs reprises les co-fondateurs de la société Molotov ; qui fut assignée à présenter un
chiffrement complet de son activité de l’année 2017-2018 à la Commission292. On peut donc
douter de la fiabilité d’un barème élaboré sur le modèle économique de cette seule société,
lorsque la Commission se base sur un an d’étude d’usage auprès de celle-ci pour confirmer
son barème définitivement en août 2018293.
Finalement, le 17 aout 2018, la Commission a annoncé qu’elle était satisfaite des barèmes
initiaux décidés le 19 juin 2017, puisqu’ils ne seront pas revus : « Cette décision [n°16]
permet aux opérateurs qui ont commencé à déployer ce nouveau service ou à ceux qui en
étudient la possibilité de procéder au déploiement dans un cadre juridique sécurisé. […] Ce
dispositif constitue une réponse adéquate et souple face à la nécessaire adaptation de la
propriété intellectuelle aux évolutions des technologies et des pratiques culturelles. Il permet
en effet de trouver un équilibre entre l’aspiration naturelle du public à accéder aux œuvres et
la préservation de la rémunération des ayants droit »294.
Certes, il n’est pas prouvé que le data mining permette d’obtenir des résultats plus certains et 291 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 3 292 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p. 27 293 Certaines précautions ont été prises au sein de la Commission, puisqu’il a été soulevé lors de la séance plénière du 14 septembre 2017 que « les éléments transmis par les opérateurs ne devront pas être de nature à révéler des informations qui fondent leur modèle économique ». Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.32 294 Communiqué de presse, décision n°16 de la Commission copie privée, 17 aout 2018
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plus objectifs. Mais ce moyen semble objectivement préférable dans le contexte d’un nouveau
service encore peu connu comme les nPVR. Cependant, au regard de l’enjeu économique
sérieux y afférent, il est aussi nécessaire pour l’assujettissement des nPVR d’étudier les
pratiques d’usages et de comportements dans des services similaires295.
2. Un barème de RCP non forfaitaire et accommodant pour
assujettir les nPVR
Le barème non forfaitaire prouve les spécificités du service nPVR comparé aux autres
supports faisant l’objet de décisions de la Commission296.
A l’occasion de recours en annulation contre les décisions de la Commission copie privée
devant le Conseil d’Etat,297 celui-ci a eu l’occasion de définir la rémunération pour copie
privée en précisant qu’il s’agit d’une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur,
fondée sur la rémunération directe et forfaitaire298. Cette rémunération forfaitaire est par
ailleurs consacrée par la loi, à l’article L.331-3 du CPI.
La loi Création a dû compléter les alinéas relatifs aux critères à prendre en compte pour la
détermination de la RCP afin que ceux-ci s’adaptent au service nPVR. En effet, les critères
sur lesquels les barèmes de RCP sont fixés ne sont plus exclusivement de nature forfaitaire,
contrairement à la conception classique de cette rémunération, dès lors qu’il est question du «
nombre d’utilisateurs du service [...] et des capacités de stockage » pour identifier le montant
aux termes de l’article L.311-4 du CPI.
Il nous semble que le barème non forfaitaire apparaît comme le moyen de garantir le plus de
précision possible pour l’assujettissement de ce service peu connu, en l’absence d’étude
d’usage lors de son élaboration en 2017. Il a été souligné dans la doctrine que cet élément
peut être considéré comme un critère davantage lié aux logiques de licences299. Tandis que
pour C. Bernault, le barème non forfaitaire est une forme de soutien au développement des
295 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 3 296 Pendant l’élaboration du barème, les ayants droit ont proposé de mettre en place une RCP échelonnée dans le temps. Il s’agit de la différence avec les box, prises en référence, puisque la rémunération ne serait pas perçue en une seule fois, à savoir au moment du démarrage du service. Voir Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.26 297 La plupart des recours concernent les critères d’élaboration du barème utilisés par la Commission. 298 CE, 11 juillet 2008, Syndicat de l'industrie des matériels audiovisuels électroniques c/ Sorecop et Copie France. Le CE avait, en amont, déjà affirmé ce principe de rémunération forfaitaire dans son Avis du 10 octobre 2000 n°365310. 299 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468
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magnétoscopes numériques300.
Le critère du « nombre d’utilisateurs » reflète cette particularité des services de nPVR, en ce
qu’il souligne que l’unique activité commerciale des services est la copie d’œuvres et de
programmes diffusés à la télévision pour ses clients. A l’inverse, l’usage de la plupart des
autres supports assujettis à la RCP n’est que théorique (disque dur, MP3…). Pour N. Binctin :
« La référence au nombre d’utilisateurs remplace celle liée au nombre de supports
commercialisés sur le territoire. En effet, la référence au nombre de supports n’a plus de sens
dans le cloud »301.
Au regard de la capacité de stockage, la solution conventionnelle semble cohérente avec les
solutions antérieures pour les autres supports de copie. Mais N. Binctin appelle à prendre en
compte dans les conventions l’articulation entre le nombre d’utilisateurs et les capacités de
stockage fournie : « Il sera nécessaire de dépasser la seule question de la capacité de
stockage brut pour apprécier le nombre d’abonnés pouvant accéder à des contenus copiés
car, techniquement, les opérateurs ne font pas toujours une copie par abonné mais peuvent
mutualiser une copie pour l’ensemble de leurs abonnés. L’approche par la capacité de
stockage conduirait à sous-estimer le nombre de copies générées par les utilisateurs de tels
services »302.
Il reste que les conditions de mise en œuvre de ce caractère non forfaitaire ne sont pas
abordées par la loi Création. Ainsi, la place est laissée à la pratique contractuelle par l’article
L.331-9 qui donne le pouvoir aux conventions de déterminer le niveau de redevance. En effet
les conventions ont nécessairement un impact sur le montant de la RCP, puisqu’elles sont
destinées à aménager les conditions de stockage des œuvres par les clients des fournisseurs de
services nPVR303. De cette manière, les conventions peuvent aider à rendre pertinent le
système non forfaitaire en aménageant des limites de durée de conservation de la copie dans
ces espaces de stockages304, ou même la nature des programmes copiés. Or, dans la mesure où
les conditions contenues dans ces conventions diffèrent selon les diffuseurs et selon les types
300 C. Bernault, Copie privée, compensation équitable, financement par le budget de l’Etat, principe utilisateur-payeur, préc., p. 447 301 N. Binctin, Les apports de la loi liberté de création à la rémunération pour copie privée, préc., p. 4 302 Ibid. p. 3 303 J. Glosslener et F. Jean, Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée le NDVR encadré par la Loi Création, préc. p. 468 304 G. Vercken, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, préc., p. 46. Par ailleurs, il faut préciser que les copies réalisées dans le cloud sont temporaires et que le barème désigne la capacité maximum de stockage possible.
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de programmes, cela rend les offres totalement hétérogènes, voire illisibles305.
A cet égard, les fournisseurs nPVR se méfient de l’influence des conventions sur le taux de
RCP. Un des représentants des fournisseurs auditionnés à la Commission a indiqué que des
diffuseurs refuseraient que certains programmes soient enregistrés, ce qui remettrait en cause
l’équivalence entre nPVR et d’autres services comme les PVR306. Cela s’explique par le fait
que les diffuseurs redoutent la capacité illimitée de stockage du cloud. Et à défaut de
limitations conventionnelles, le fournisseur de services nPVR n’aurait à se soucier d’aucunes
limites de stockage307.
Par conséquent, le barème non forfaitaire nous paraît pertinent, puisqu’il permet à la RCP de
s’adapter à la nature du service envisagé. A cet égard, il s’agit d’un moyen efficace trouvé par
le législateur. L’avenir nous dira si ce dispositif est cependant conforme au droit européen.
3. La similarité envisagée entre les supports de copies box et
nPVR
Il doit être mis en parallèle les barèmes décidés pour les box à disque dur ou à mémoire de
stockage multimédia308 et les barèmes pour les services nPVR. La décision n°16 reflète une
solution de compromis entre les divergences exprimées à cet égard durant les séances de la
Commission. Les barèmes applicables ont effectivement été construits par référence à ces
supports.
Au sein de la Commission copie privée, le choix de s’aligner sur la méthodologie de calcul du
taux de rémunération propre à ce type de support a été étudié, puisque les deux supports de
copie seraient similaires. Comme la Commission le relève, « Au regard des usages de copie,
il apparaît que ce type de copie [nPVR] est destinée à se substituer aux modalités actuelles de
la copie effectuée par les particuliers sur les supports permettant la réception des
programmes de télévision et de radio (‘box à disque dur’). Le montant de la rémunération
pour copie privée afférente à ce type de service est fonction, non seulement des capacités de
305 Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI du 14 mars 2017, p.2 306 Le PVR (Private Video Recorder) est un enregistreur de programmes audiovisuels sur disque dur virtuel. Il regroupe les décodeurs et box à disque dur, proposés par d’autres opérateurs comme Orange et SFR. 307 Voir Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, 22 novembre 2016 308 Elles désignent les supports de stockage externes multimédia qui sont intégrés ou reliés à un boîtier assurant l’interface entre l’arrivée de signaux de télévision et un téléviseur et qui ne sont pas exclusivement dédiés à l’enregistrement de vidéogrammes. Voir décision n° 15 de la Commission pour la rémunération de la copie privée du 26 décembre 2012 (Annexe 2) et décision n°16 de la Commission pour la rémunération copie privée du 19 juin 2017 (Annexe 1).
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stockage qu’ils offrent, mais aussi du nombre d’utilisateurs du service auxquels ces capacités
sont offertes »309. A titre factuel, s’agissant des capacités de stockage, la société Molotov
applique les mêmes limites maximales de stockage que celles qui existent pour les box, à
savoir 500 Go soit 500 heures d’enregistrement310.
Pourtant, les représentants de la société Molotov ont fait valoir qu’il n’était pas possible de
transposer aux services de nPVR un barème existant tel que celui applicable aux box à
disques durs intégrés311. Cela peut paraître contradictoire et opportuniste, étant donné qu’ils
expliquent par ailleurs aux membres de la Commission que la fonctionnalité d’enregistrement
est similaire à celle qui existe sur certaines box et décodeurs312. On peut se demander si
l’argument soulevé, c’est-à-dire le fait que les utilisateurs de services de nPVR soient plus
libres que ceux des box de salon car le service est dématérialisé, est recevable.313 Quant aux
diffuseurs, ils avaient souhaité utiliser les barèmes applicables aux disques durs intégrés aux
box dédiées à l’enregistrement de vidéogrammes314 tels qu’ils sont présentés dans le tableau
n°3 de la décision n°15 du 14 décembre 2012315. Ils avaient donc initialement proposé
d’appliquer une rémunération forfaitaire.
En conséquence, le barème sur mesure créé pour les nPVR contient des ajustements par
rapport à celui des disques durs intégrés aux box dédiées à l’enregistrement de vidéogrammes.
Le paiement de la RCP est mensualisé et le barème applicable aux nPVR est calculé sur une
durée moyenne d'utilisation des services de 5 ans316. Par comparaison, les barèmes applicables
aux box et décodeurs à disque dur intégré ont été calculés en 2012 sur une durée moyenne
d'utilisation de 2 ans317. Enfin, une nouvelle tranche de rémunération a été introduite, visant
309 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.23 310 Ibid., p.26 311 Ibid., p.26 312 Ibid., p.26 313 En réalité, la différence réelle entre les deux supports se trouverait dans la durée de l’abonnement. La résiliation de l’abonnement aux services nPVR serait facilitée car elle s’effectue en ligne ; tandis que le prix d’une box associée au taux de la RCP pourrait être amortis par l’opérateur sur plusieurs années. Ainsi, il est proposé que la volatilité des usagers en ligne soit prise en considération lorsqu’il s’agit des nPVR. Voir Compte-rendu de séance plénière de la Commission de l’article L.311-5 du CPI, 22 novembre 2016. 314 Il s’agit de mémoires et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur ou un boîtier assurant l'interface entre l'arrivée de signaux de télévision et le téléviseur (décodeur ou « box »), autres que ceux mentionnés au tableau n° 9 comportant une fonctionnalité d'enregistrement numérique de vidéogrammes ou un baladeur dédié à l'enregistrement de vidéogrammes. Voir Décision n° 15 de la Commission pour la rémunération de la copie privée du 26 décembre 2012 (Annexe 2). 315 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.28 316 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.31 317 Certains membres du collège des industriels ont jugé contestable de diviser le montant de la RCP par 2 ans (durée des usages prise en compte en 2012) aux fins de déterminer un barème mensuel, dans la mesure où
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les capacités d’enregistrement de 8 à 20 Go afin « de mieux prendre en compte les capacités
qui pourront être offertes aux utilisateurs »318. De cette manière : « les membres ont estimé
que si des différentiels d’usages sont constatés, ceux-ci pourront encore mieux se refléter au
travers des capacités ajustées à la baisse »319.
En définitive, les usagers semblent s’acquitter du même montant pour les deux types de
supports. Il suffit de calculer avec l’amortissement du coût sur 5 ans, comme il est prévu pour
les nPVR. Pour la tranche de 320 à 500 gigaoctets, la box revient à 45 euros lors de l’achat
d’après le tableau n°3 de la décision n°15 de la Commission ; tout comme le service nPVR
revient à 45 euros pour 5 ans d’abonnement (0,750 € x 60 mois)320. Il en est de même pour les
autres tranches d’assiettes. Une capacité d’enregistrement de 160 à 250 gigaoctets revient à 30
euros pour les usagers de box et à 30 euros pour les usagers nPVR, pour une période de 5 ans
également. Les similarités entre les deux supports de copies ne démontrent-elles pas un
impact économique anormalement important auprès du paysage télévisuel ?
4. La détermination de la rémunération pour copie privée
confrontée à l’absence de mesures de protection
La question de l’incidence des mesures techniques de protection sur le niveau de la
compensation équitable doit nécessairement être posée321. De manière surprenante, il n’y est
pratiquement pas fait référence dans les travaux de séances de la Commission copie privée.
Par conséquent un certain doute quant à l’articulation entre les dispositions du CPI et les
nPVR subsiste. Comme le souligne S. Carre : « une obligation de prendre les dispositions
utiles pour garantir le bénéfice effectif de ces exceptions est imposée aux titulaires de droits
utilisant des mesures techniques322 ». Au-delà du bénéfice de l’exception, l’utilisation de
mesures techniques de protection participe à déterminer le niveau de rémunération au titre de
l’exception ; puisque la loi dispose que le montant de la RCP : « tient compte du degré
d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les
usages relevant de l'exception pour copie privée » en vertu de l’article L.311-4 du CPI, Molotov avait estimé la durée de vie d’une box entre 4 et 5 ans, et que d’après le représentant de FFFTélécoms la durée de vie des box serait comprise entre 6 et 8 ans. Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.28 318 Décision n°16 de la Commission pour la rémunération copie privée du 19 juin 2017 319 Commission pour la rémunération de la copie privée, Rapport d’activité session 2015-2017, février 2018, p.30 320 Décision n°16 de la Commission pour la rémunération copie privée du 19 juin 2017 321 J. Martin, Réponse du groupe français au questionnaire relatif au congrès de l’ALAI, Kyoto, octobre 2012, p. 14 322 S. Carre, Le cas des exceptions d’usage privé : le cas de la copie privée, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, M. Vivant, préc. p. 309-314
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modifié par ailleurs pour accueillir les nPVR. Par exemple, d’après la position française
défendue dans l’affaire Copydan, si les œuvres sont protégées par des MTP contre la
réalisation d’une copie, le niveau de compensation équitable doit être fixé à un niveau plus
faible323.
Concernant les nPVR, la question des MTP avait déjà été soulevée dans le cadre de l’avis
rendu par la Hadopi en matière de copie privée des programmes télévisés sur enregistreurs
numériques324. Il confirme l’utilisation de mesures de protection contre les copies sur les
œuvres diffusées à la télévision mais aussi sur le reste des programmes : « sauf à adopter un
comportement discriminatoire, un FAI peut protéger, en conséquence indirecte d’une
demande des ayants droit, l’ensemble des flux qui transitent par son récepteur. […] qu’en
principe, la protection devrait varier en fonction des chaînes et même en fonction des
programmes d’une même chaîne, selon les demandes des ayants droit et du risque
d’exploitation prévisible325 ». Or, selon J. Glosslener et F. Jean : « La transposition de cet avis
en matière de nPVR – lequel milite en faveur d’exigences relativement contestables – nous
paraît loin d’être évidente ». Cela est particulièrement vrai depuis la loi Création.
L’alinéa 1 de l’article L.331-9 semble exclure toute idée de MTP sur les services nPVR dont
les usagers s’acquittent de la RCP326. On peut se demander si cette disposition signifie que les
plateformes nPVR sont assurées de pouvoir proposer leurs services même en l’absence
d’accord conventionnel avec les chaînes. Les diffuseurs seraient réduits à ne pouvoir
empêcher techniquement les fournisseurs d’avoir accès à leurs programmes. Cela paraît-il
envisageable en pratique ? Pas vraiment. En effet, au vu des développements précités, la
conclusion de la convention semble indispensable à la mise en place de la RCP auprès des
chaînes327. Puisque cette nouvelle disposition est insérée dans cet article propre aux mesures
techniques, on peut tout à fait envisager que la convention scelle le sort d’un droit aux
mesures techniques à l’égard des chaînes de diffusion. Obligées de contracter avec les 323 Par conséquent, reste compatible avec la directive 2001/29 la copie réalisée par le contournement d’une mesure technique de protection grâce à une compensation équitable. Issu d’un entretien avec M. Daniel Segoin, agent du gouvernement français devant la CJUE, attaché à la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, le 19 juin 2018. 324 Hadopi, avis n° 2014-1 pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet, préc. para. 7 325 Ibid. para. 22 326 Article L.331-9 al. 1 : « les éditeurs et les distributeurs de services de télévision ne peuvent recourir à des mesures techniques qui auraient pour effet de priver le public du bénéfice de l'exception pour copie privée y compris sur un support et dans un format numérique, dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3 ». 327 Et ce, malgré un déni de la part des autorités s’obstinant à déclarer que cette convention n’est pas la condition de mise en œuvre de l’exception.
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fournisseurs et ainsi d’assujettir leurs programmes à la RCP, les chaînes ne pourront plus
utiliser de mesures techniques.
Par conséquent, le régime non forfaitaire de la RCP peut constituer un intérêt important pour
les diffuseurs. Ils pourraient chercher à limiter le nombre de copies réalisées. Un
aménagement conventionnel pour les mesures de protection serait-il possible en vertu de
l’article L.331-9 ? Il conviendra de définir ce que peut constituer une mesure technique de
protection à l’égard des services nPVR. En tout état de cause, la mise en place de mesures de
protection apparaîtrait contraire à l’esprit des textes et ainsi, on peut en conclure que les
diffuseurs ne peuvent concéder un nombre « trop bas » de copies au profit des fournisseurs de
services nPVR. Il n’est pas clair si le régime non forfaitaire (c’est-à-dire l’aménagement des
conditions de stockage et du nombre d’utilisateurs) doit garantir « l’exercice effectif » de
l’exception ou non, en vertu de l’article L.331-7 du CPI.
En définitive, on ne peut que reconnaitre l’utilité d’empêcher les mesures de protection du
côté des diffuseurs, si la RCP est assurément acquittée par les usagers du service nPVR.
L’assujettissement des nPVR n’a pas vocation à pousser les fournisseurs à contourner des
mesures techniques de protection apposées sur le signal (à partir du flux linéaire sur l’internet
par exemple). Autoriser la protection technique du signal malgré la RCP empêcherait toute
initiative économique de la part de fournisseurs de services de nPVR, et nous aurait semblé
contradictoire avec l’intention du législateur de la loi Création. Il est cependant souhaitable
que des solutions transparentes soient développées, de manière à éviter des incertitudes qui ne
sont pas saines pour la mise en place de l’exception de copie privée. Il reviendra au CSA,
ainsi que le prévoit l’article L.331-9 du CPI, le soin de vérifier le respect du principe
d’interdiction de l’apposition de mesures techniques de protection sur le signal télévisuel328.
328 Article L.331-9 al. 2 : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille au respect des obligations du premier alinéa dans les conditions définies par les articles 42 et 48-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ».
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o A. LATREILLE et T. MAILLARD, Le cadre légal des mesures techniques de protection et d’information, Dalloz. 2006
o F. POLLAUD-DULIAN, La copie privée" dans le nuage", Dalloz RTD Com. éd. janv.-mars 2018
o F. POLLAUD-DULIAN, Le droit de communication au public encore et toujours…, Dalloz RTD Com. éd. janv.-mars 2018
o V. TECHENE, Commission ouverte mixte Droit de la propriété intellectuelle et marchés émergents, audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris, Lexbase éd. aff. N°471, 23 juin 2016
o G. VERCKEN, La révolution du Cloud : a quoi sert le contrat ?, Dalloz IP/IT 2016
o G. VERCKEN, Cloud sur les contenus : le cas typique de l'enregistreur vidéo en réseau (NPVR) après la loi du 7 juillet 2016, Dalloz PI/IT 2016
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Travaux issus de Colloques
o J. BAJOON et J. MARCEAU, Audiovisuel français, la transformation par le cloud, synthèse de colloque, 9ème assise de la convergence des médias, 16 décembre 2015
o C. CARON, Rapport sur les usages et pratiques professionnels en droit d’auteur, n° 1 Congrès ALAI, Paris, 18 sept. 2005
o E. DERCLAYE, The right of communication to the public in the cloud: the EU perspective, ALAI 2012
o M. FAVALE, M. KRETSCHMER, P. TERREMANS, Who is steering the jurisprudence of the European Court of Justice? The influence of member state submissions on copyright law, www.create.ac.uk
o J. MARTIN, Réponse du groupe français au questionnaire relatif au congrès de l’ALAI Kyoto, octobre 2012
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Législation
Union européenne
o Directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
o Commission européenne, proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique
numérique, 2016/0280 (COD), 14 septembre 2016
France
o Loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986
o Loi n° 2006-961 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information du 1 août 2006
o Loi n° 2016-925 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine du 7 juillet 2016
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Table de jurisprudence
Etats-Unis
o Cour Suprême des Etats-Unis, 1984, 464 U.S. 417., Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc.
o Cour Suprême des Etats-Unis, 4 août 2008, The Cartoon Network LP v. CSC Holdings, Inc
o Cour Suprême des Etats-Unis, 25 juin 2014, American Broadcasting Companies, Inc., et al., Petitioners v. Aereo, Inc., f.k.a. Bamboom Labs, Inc., 13-461
Belgique
o Tribunal du commerce d'Anvers, 4 nov. 2014, RG A/14/1067, VRT et Medialaan SBS Belgium c. Right Brain Interface
Cour de Justice de l’Union européenne
o CJCE, 7 décembre 2006, aff. C-306/05, SGAE c/ Rafael Hoteles
o CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International
o CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, Padawan SL c/ SGAE
o CJUE, 16 juin 2011, aff. C-462/09, Stichting de Thuiskopie c/ Opus Supplies Deutschland GmbH et autres.
o CJUE, 15 mars 2012, aff. C-135/10, Del Corso
o CJUE, 7 mars 2013, aff. C-607/11, ITV Broadcasting Ltd c/ TVCatchup
o CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12, Nils Svensson c/ Retriever Sverige AB
o CJUE, 10 avril 2014, aff. 435/12, ACI Adam c/ Stichting de Thuiskopie
o CJUE, 21 octobre 2014, aff. C-348/13, BestWater International c/ Michael M. et Stefan P.
o CJUE, 5 mars 2015, aff. C-463/12, Copydan Båndkopi c/ Nokia Danmark A/S
o CJUE, 12 novembre 2015, aff. C-572/13, Hewlett-Packard Belgium SPRL / Reprobel SCRL
o CJUE, 19 novembre 2015, aff. C-325, SBS Belgium NV c/ SABAM
o CJUE, 31 mai 2016, aff. C-117/15, Reha Training
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o CJUE, 8 septembre 2016, aff. C-160/15, GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV
o CJUE , 1er mars 2017, aff. C-275/15, ITV Broadcasting Limited c/ TVCatchup Limited
o CJUE, 16 mars 2017, aff. C-138/16, AKM c/ Zurn.net
o CJUE, 14 juin 2017, aff. C-610/15, Stichting Brein/Ziggo BV c/ XS4All Internet BV, "The Pirate Bay"
o CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-265/16, Vcast Limited c/ RTI spA
France
Conseil constitutionnel
• Conseil constitutionnel, 27 juillet 2006, n° 2006-540 DC
Conseil d’état
• CE 9° et 10° s-s-r., 19 novembre 2014, arrêts n° 358734 et n° 366322
Cour de cassation
• Cass. Civ 1ère, 7 mars 1984, n° 12-17016, Rannou-Graphie
• Cass. Civ. 1ère., 19 juin 2008, n°07-14277, Mulholland Drive
• Cass. Civ. 1ère, 27 novembre 2008, n°07-18778, Phil Collins
• Cass. Civ. 1ère, 5 juillet 2017, n° 831 FS-D, PlayTV c/ France Télévisions
Cour d’appel
• Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 décembre 2011, Wizzgo c/ Métropole Télévision et autres
Tribunal de grande instance
• TGI Paris, 3ème ch., 1ère section, 25 novembre 2008, Wizzgo c/ M6 Web et autres
• TGI Paris, 3ème ch., 1ère section, 9 octobre 2014, Playmedia c/ France Télévisions
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Table des matières
Remerciements..........................................................................................................................2Liste des abbréviations..............................................................................................................4INTRODUCTION.....................................................................................................................5
A. Du magnétoscope traditionnel aux nPVR...............................................................7B. Le nPVR et l’exception de copie privée : l’aboutissement d’une réflexion ancienne................................................................................................................................9C. Vers la modernisation du régime rémunération de la copie...............................10D. La question de la conformité au droit européen..................................................10E. Une technologie déjà proposée dans d’autres pays..............................................11F. Le droit d’auteur confronté à l’économie du numérique....................................12
PARTIE 1 : L’application controversée de l’exception de copie privée aux nPVR.........14
CHAPITRE 1 : Une remise en cause du régime de l’exception de copie privée mis en exergue par les nPVR...........................................................................................................................14
I) La souplesse bienvenue de l’exception face aux technologies nPVR......................15A. La raison d’être de l’exception en 1985 bousculée par les copies dans le cloud. ..............................................................................................................................15B. L’absence de définition du copiste en faveur de l’exception de copie privée aux nPVR.......................................................................................................................19
II) Le bénéfice de l’exception aux fournisseurs nPVR restreint par la rigidité des conditions fondamentales..................................................................................................23
A) L’intervention d’un fournisseur de service nPVR limitée par l’usage privé de la copie............................................................................................................................24B) Le bénéfice de l’exception aux fournisseurs de services nPVR limité par son objet ..............................................................................................................................27
Chapitre 2 : Une remise en cause de la dichotomie traditionnelle entre les droits patrimoniaux accentuée par les nPVR...........................................................................................................30
I) La confrontation de l’exception de copie privée au respect du droit de représentation....................................................................................................................31
A. Un élargissement du champ d’atteinte aux droits exclusifs par la double fonctionnalité du service nPVR....................................................................................31B. L'illicéité de la source de la copie conséquente du processus technique des nPVR..............................................................................................................................35
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II) Le risque de violation du droit de communication au public préalable à l’exécution de la copie privée............................................................................................38
A. L’indéniable mise à disposition des œuvres par le fournisseur de services nPVR..............................................................................................................................39B. La recherche inutile d’un public conséquent au moyen technique emprunté par le service nPVR.......................................................................................................41
PARTIE 2 : La mise en œuvre incertaine du droit à rémunération aux nPVR...............46
Chapitre 1 : Le mécanisme risqué de l’assujettissement français des nPVR à la RCP............46I) L’instauration d’un rapport conventionnel inédit au sein du secteur audiovisuel47
A. Un dispositif conventionnel inopportun pour la mise en œuvre de l’exception. ..............................................................................................................................47B) Un dispositif conventionnel incertain pour la mise en œuvre bilatérale de l’exception......................................................................................................................49
II) L’instauration d’un rapport déséquilibré au sein du secteur audiovisuel.........53A. Les intérêts lésés des entreprises de communication audiovisuelle non éligibles à la RCP...........................................................................................................53B. Les intérêts lésés des fournisseurs de services nPVR non représentés à la Commission copie privée..............................................................................................55
Chapitre 2 : La fragilité d’un dispositif de RCP renforcée par les conséquences économiques afférentes aux nPVR................................................................................................................58
I) Le risque de déséquilibre économique renforcé par l’activité concurrentielle des services nPVR aux organismes de diffusion....................................................................58
A. L’assujettissement d’une potentielle nouvelle exploitation des œuvres à la RCP ..............................................................................................................................58B) La violation incertaine des droits exclusifs des organismes de diffusion éclairée par le triple test................................................................................................64
II) Le risque d’une élaboration prématurée du barème de rémunération pour copie privée..................................................................................................................................70
A) La détermination de la rémunération pour copie privée confrontée à l’incertitude de son impact économique......................................................................70B) La détermination de la rémunération pour copie privée confrontée à l’incertitude de la méthodologie du barème................................................................75
Bibliographie...........................................................................................................................84Table des matières...................................................................................................................92Annexes...................................................................................................................................94
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Annexes ANNEXE 1 : DÉCISION N° 16, BAREME DE SUPPORTS nPVR DÉCIDÉ LE 19 JUIN 2017
ANNEXE 2 : DÉCISION N° 15, BAREME BOX À DISQUES DURS INTÉGRÉS DÉCIDÉ LE 14 DECEMBRE 2012