la question de hainan et paracel

12
Claudius Madrolle La question de Hai-nan et des Paracels In: Politique étrangère N°3 - 1939 - 4e année pp. 302-312. Citer ce document / Cite this document : Madrolle Claudius. La question de Hai-nan et des Paracels. In: Politique étrangère N°3 - 1939 - 4e année pp. 302-312. doi : 10.3406/polit.1939.5631 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1939_num_4_3_5631

Upload: ducdd

Post on 23-Oct-2015

23 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Page 1: La Question de Hainan Et Paracel

Claudius Madrolle

La question de Hai-nan et des ParacelsIn: Politique étrangère N°3 - 1939 - 4e année pp. 302-312.

Citer ce document / Cite this document :

Madrolle Claudius. La question de Hai-nan et des Paracels. In: Politique étrangère N°3 - 1939 - 4e année pp. 302-312.

doi : 10.3406/polit.1939.5631

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1939_num_4_3_5631

Page 2: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN ET DES PARACELS

La France dans les mers du sud de la Chine

Le pavillon français ne fit que tardivement son apparition dans les mers d'Extrême-Orient, après ceux du Portugal, de l'Espagne, de la Hollande et de l'Angleterre.

La première relation commerciale directe entre la France et la Chine méridionale date de la fin du XVIIe siècle ; mais des religieux français, membres des Missions étrangères de Paris et de la Société de Jésus, étaient déjà parvenus en Asie Orientale. Dès le premier quart du XVIIIe siècle, des bâtiments de la Compagnie Royale de Chine, puis de la Compagnie des Indes, avaient reconnu diverses îles et rades entre le détroit de Malacca et la rivière de Canton. C'est ainsi que des journaux de bord enregistrent les noms de Poulo Condor, des Paracels, de Kouang-tcheou-wan, de Yu-hn. Les trois premiers de ces territoires sont aujourd'hui abrités par le pavillon français, tandis que Yu-lin vient d'être occupé par la marine japonaise.

Afin de suivre les étapes de la France dans les mers de Chine, je rappellerai pour mémoire l'expédition française conduite par Mgr d'Adran, à la fin du règne de Louis XIV, venue au secours d'un prince d'Annam dépossédé qui put avec cette aide reconquérir sa principauté, puis le Tonkin. Pour prix de cette intervention, il avait assuré à la France la cession de Poulo Condor et celle de Tourane, qui, la Révolution grondant, ne furent pas retenues.

C'est en 1 858 que la France prit pied en Indochine en occupant Tourane, Poulo Condor et Saigon, puis Hanoi, d'abord en 1873 et définitivement en 1882. Depuis cette époque, notre pavillon flotte aux frontières de la Chine. Après l'affaire de Lang-so'n (1885) fut évoquée pour la première fois l'occupation de Hai-nan, puis sa cession par la Chine en compensation des Pescadores; malheureusement au traité de paix de T'ien-tsin (9 juin 1 885), la France, pressée de mettre fin à un état d'hostilités, abandonna toute demande d'indemnité.

Il semble que, dans les années suivantes, aucune puissance ne se soit intéressée politiquement à Hai-nan. Mais en 1895, un peu avant la signature

Page 3: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN 303

de la convention de Pékin (3 novembre), on apprit que le Japon avait tenté d'obtenir la cession de l'île en échange de Port-Arthur. Installés depuis peu à Formose, les Japonais pensaient déjà à de nouveaux points d'appui vers l'Insulinde.

C'est alors qu'en 1896, un Français résolut de faire une reconnaissance de l'île. Afin d'avoir une lettre d'introduction auprès du Tao-tai de Hai-nan, il s'adressa au gouverneur général de l'Indochine, qui lui répondit en ces termes : « Le manque de tout renseignement précis sur l'île de Hai-nan, sa géographie intérieure, sa situation économique, ne me permet pas de vous confier une mission spéciale quelconque. » A vrai dire, l'île était mal connue ; elle avait, de plus, fort mauvaise réputation. On pensait qu'elle n'était qu'un refuge de pirates, et qu'un étranger n'y pourrait pénétrer. C'est en raison de cette défaveur que le consul de France à Canton, Imbault-Huart, ajouta au passeport du voyageur qu'il lui était interdit de s'aventurer dans l'intérieur de l'île considérée comme région troublée.

Les éléments d'orientation, les cartes chinoises aux contours défigurés dont on disposait, joints à la méfiance des autorités expliquent suffisamment que peu d'étrangers soient parvenus à gagner le massif central de l'île; encore ceux-ci demeuraient-ils dans le pays, puisqu'ils étaient membres de la Mission presbytérienne américaine. Ils publièrent un récit succinct de leur voyage sans aucun relevé. Les dangers cependant n'étaient qu'imaginaires, puisqu'en 1896 un explorateur français put y pérégriner sans grands incidents — notons pourtant qu'à proximité de la « Chaîne de la Mère des Li », ses coolies effrayés par la première barrière montagneuse le menacèrent de désertion. La Société de Géographie de Paris, pour intéresser nos compatriotes aux régions méridionales de la Chine, créa un prix qui fut décerné en 1 900. Puis, sur son initiative et sur celle du Comité de l'Asie Française, une nouvelle mission partit en 1907-1908 pour Hai-nan. Elle permit de compléter la carte de l'île, de faire une étude des roches du massif central et de visiter les populations autochtones.

La France n'était alors représentée dans le sud de la Chine que par un consul à Canton et un vice-consul à Pak-hoi. L'importance de Hai-nan n'avait déjà pas échappé à notre gouvernement qui créa un vice-consulat à Hoi-hao en avril 1 897.

A la fin de cette même année, se produisit le coup de force de l'Allemagne sur Kiao-tcheou, pour venger l'assassinat (6 novembre 1 897) de deux de ses missionnaires. Cet incident coûta cher à la Chine. Le 1 3 novembre, l'amiral von Diederichs occupa Ts'ing-tao et, le 6 mars 1898. la Chine reconnaissait à l'Allemagne l'affermage pour 99 ans d'un territoire de plus de 500 kilomètres carrés, des concessions de mines et de chemin de fer dans le Chantong.

Page 4: La Question de Hainan Et Paracel

304 LA QUESTION DE HAI-NAN

La Russie répliqua aussitôt par l'occupation de rades libres de glace, Port-Arthur et Dalny (Dairen) : second coup de force sanctionné par la Chine, le 27 mars, avec d'autres avantages pour l'Empire russe.

A ces actions d'éclat, l'Angleterre préféra négocier. Ses vues étaient à portée de Hongkong; elle se préoccupait surtout d'assurer la sécurité de son rocher, par la cession à bail des îles voisines et l'élargissement du territoire de Kao-long. Dans le nord, elle obtint aussi la cession temporaire de la rade de Wei-hai-wei.

L'Italie, de son côté, réclama une concession. Ses regards se portèrent sur la baie de San-men au sud de Ning-po. On raconte à ce sujet que le Prince Kong, président du Tsong-li Yamen, demanda ironiquement au ministre d'Italie à cette occasion d'ouvrir un atlas et de lui montrer la place de son pays.

La France s'installe à Kouang-tcheou-wan.

Hai-nan demeure territoire chinois

La France, troisième puissance limitrophe de la Chine, n'avait pas prévu l'intervention allemande et ses conséquences. Tandis que les puissances étrangères avaient des buts bien définis, elle resta quelques mois indécise, peu documentée sur la valeur des havres voisins de l'Indochine. Trois rades s'offraient à ses possibilités :

1) Celle de Long-men, près de Mong-cai, que les Chinois avaient utilisée naguère comme base d'opération dans leurs campagnes contre le Tonkin révolté ; elle avait l'avantage d'étendre notre frontière le long des côtes du golfe du Tonkin et de récupérer des cantons que les Mac rebelles avaient cédés à la Chine en 1 537.

2) Celle de Kouang-tcheou, débouché possible d'un vaste arrière-pays, si l'on obtenait l'autorisation de créer des voies rapides de communication vers l'intérieur.

3) Celle de Yu~lin, au sud de Hai-nan, en raison de la situation de l'île. Hai-nan commande, d'une part, l'une des entrées du golfe du Tonkin, de l'autre, la grande route maritime Singapour-Hongkong, par Cam-ranh.

On dédaigna la première, parce que trop proche du Tonkin, bien qu'elle eût facilité le commerce d'une partie du Kouang-si. On craignait que Long- men ne fit concurrence à Haiphong : or, ces deux ports sont éloignés l'un de l'autre de 210 kilomètres à vol d'oiseau, soit la distance du Havre à Calais ;

La seconde avait bien été reconnue sous Louis XIV, par Y « Amphitrite »,

Page 5: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN 305

mais la Marine avait oublié cet événement, ainsi que le relevé de la baie qui en avait été fait. Les cartes chinoises et européennes de 1898, les renseignements recueillis deux ans plus tôt, indiquaient sans précision l'existence d'une échancrure maritime très importante. C'est pourquoi le lieutenant de vaisseau de Gueydon, avec l'aviso « Le Lutin » fut chargé de faire une première reconnaissance du « wan » de Kouang-tcheou. Le choix de Kouang-tcheou souleva certaines objections du fait de la situation excentrique de la baie et du développement de son front de mer : la défense d'une telle concession, morcelée en plusieurs îles, s'avérait délicate. De toute façon, une liaison directe Haiphong, Ngan-p'ou, Kouang-tcheou- wan serait nécessaire pour éviter le détour par le passage dangereux du détroit de Hai-nan qui sépare l'île de la presqu'île de Lei. Le problème une fois résolu, la concession pouvait envisager un avenir certain, à condition qu'une voie ferrée fût autorisée pour amener les produits de la vallée du Si-kiang au futur port d'embarquement.

Ce plan n'avait rien qui dût étonner le Tsong-h yamen, puisque celui-ci venait d'accorder à l'Allemagne, à la Russie, à la Grande-Bretagne, des avantages semblables : sécurité d'abord, puis voies de communication pour la mise en valeur de la zone concédée. Mais la France venait de prendre possession de Madagascar, qui, comme le Tonkin, restait à pacifier. Il semblait que les efforts de la métropole dussent être ménagés. Dans cette expectative, on préconisa plutôt l'occupation d'une des rades de Hai-nan.

Toutes les grandes puissances ont été à même de connaître l'importance stratégique du Yu-lin. En 1896, le commandant de la marine chinoise assurait que depuis cinq ans il avait vu une dizaine de bâtiments de guerre étrangers entrer dans la baie. L'Allemagne, entre autres, y envoya cette même année, par deux fois, la canonnière « Iltis » qui devait sombrer dans un typhon le 22 août suivant. La défense de Yu-lin était alors concentrée à San-ya : elle comprenait un détachement de milice et trois jonques armées. Les deux havres de San-ya et de Yu-lin sont voisins; le premier est réservé aux jonques, le second aux vaisseaux de haut bord. Yu-lin comprend deux rades, l'une extérieure, l'autre intérieure, avec respectivement des fonds de 27 et 9 mètres; des hauteurs enserrent ces nappes d'eau et peuvent les protéger contre une attaque par le front de mer.

Pour la France, il ne s'agissait en 1898 que d'acquérir l'emplacement d'une future base navale, sans limite vers le nord, car les Li de la montagne, il y a 40 ans, jouissaient de facto d'une grande indépendance vis-à-vis des autorités chinoises. Mais cette confiance en l'avenir de l'île ne put balancer les promesses escomptées sur le continent d'un établissement à Kouang-tcheou-wan : Hai-nan offrait des rades pour ancrer des cuirassés,

Page 6: La Question de Hainan Et Paracel

306 LA QUESTION DE HAI-NAN

mais ses nappes d'eau ne présentaient pas l'étendue de l'immense baie de Kouang-tcheou. De plus, l'Angleterre, qui venait d'étendre son domaine autour de Hongkong, s'inquiétait des vues possibles de la France sur la grande île. Elle craignait d'avoir à partager le contrôle de la route d'Extrême-Orient. Une démarche du Foreign Office, une campagne des journaux anglais, une interpellation à la Chambre des Communes, le 27 février 1896, décidèrent le ministère Méline à arrêter son choix sur Kouang- tcheou-wan.

Le 1 1 mars de la même année, la France formulait ses demandes et, le 10 avril, la Chine les acceptait. Douze jours après, le pavillon français était hissé par l'amiral de la Bédollière sur le petit fortin de Hai-t'eou, bientôt dénommé Fort-Bayard. Il convient ici de noter que le 1 0 avril 1898 notre ministre à Pékin rappelait à la Chine son engagement envers la France du 1 5 mars 1 897 « de ne pas céder l'île de Hai-nan à d'autres puissances ».

Entre 1894 et 1899, la France avait étendu ses intérêts en Chine et les avait réglés par une série de conventions tout à son avantage. En voici les principales :

Récupération de la concession de Han-k'eou, oubliée pendant 33 ans. Consolidation du protectorat religieux en Chine. Participation dans la construction et l'exploitation du chemin de fer de Pékin à Han-k'eou (1214 kms.). Création d'intérêts autour du Tonkin. Concession à la France du terrain pour l'établissement du chemin de fer du Yun-nan. Concession de Kouang-tcheou-wan et d'annexés, face au golfe du Tonkin. Exploitations minières dans les districts voisins de Kouang-tcheou-wan. Création d'un vice-consulat à Hai-nan. Obtention du Vatican de remplacer dans cette île les missionnaires portugais par des Français. Déclaration que les provinces chinoises autour du Tonkin ne seraient cédées à aucune autre puissance, puis réédition de cette même assurance pour Hai-nan. Mais, à partir de cette époque, la politique française s'orienta plus spé

cialement vers l'Afrique. En Asie, l'amiral Courrejoles, abandonné à ses propres initiatives avec des effectifs réduits, lassé par les attaques des bandes chinoises contre nos postes et aussi par les questions de frontières perpétuellement remises en discussion, « avait hâte de signer une convention quelle qu'elle fût pour lever l'ancre ». On accepta pour Kouang-tcheou- wan une délimitation injustifiée et, bientôt, on oublia même de faire

Page 7: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN 307

valoir les clauses minima de sa sécurité et de son développement économique. Ces clauses, qu'on avait eu beaucoup de peine à faire insérer dans la convention du 1 6 novembre 1 899 passée avec le maréchal Sou, comprenaient, notamment, l'occupation du port vers Ngan-p'ou, face au Tonkin, et la remise des terrains pour la construction de la voie ferrée entre cet embarcadère et Fort-Bayard.

Depuis quarante ans, grâce à l'énergie de quelques gouverneurs, l'aspect de notre concession s'est bien amélioré : Fort-Bayard est devenu une cité administrative coquette, Tch'e-kan un centre commerçant important, et le territoire, débarrassé de la piraterie, vit honorablement du transit, qui se chiffre par 1 00.000.000 de francs, de son port avec l'arrière- pays. Pourtant sa sécurité en temps de guerre n'est pas résolue puisqu'il est sans communication directe par la mer avec le Tonkin.

Depuis la Grande Guerre, la vie économique s'est développée dans cette Chine du sud, grâce en partie à l'aménagement des anciennes pistes en routes larges, parfois empierrées. A peine tracées, elles sont parcourues par des autobus et des camions automobiles entassant marchandises et passagers. C'est ainsi qu'on peut faire le tour de Hai-nan en voiture et même atteindre l'orée des montagnes. Sur le continent, des services d'autobus mettent en relation, en trois étapes, Kouang-tcheou-wan avec Lang- so'n, par le Kouang-si. Mais ces facilités de transport, établies pour les communications du temps de paix, auraient un revers en période d'hostilités : elles permettraient à l'ennemi de pénétrer dans le pays s'il était insuffisamment armé et défendu.

Hai-nan a bénéficié également d'une meilleure administration. Ses cultures se sont augmentées de vastes plantations de caoutchouc. Son commerce se fait principalement avec Hongkong; la France et l'Indochine y participent pour une bien faible part.

Bien que la France officielle fût absente de Hai-nan en 1896, grâce à un unique affréteur, Marty et Cie, son pavillon occupait le deuxième rang dans le mouvement du port de Hai-k'eou. Avec le gouverneur Paul Doumer, la situation s'était modifiée : en plus du vice-consulat créé à Hai-Hao en 1897, l'Indochine entretenait une école française, une poste, un hôpital, de plus un négociant et un industriel étaient venus s'installer dans l'île. Plus tard, les difficultés financières enrayèrent le développement de l'influence française. Aujourd'hui, la situation est la suivante : La France a replacé à Hai-k'eou un vice-consul de carrière, des missionnaires de l'ordre de Picpus ont remplacé les Portugais et pris l'ancien hôpital à leur charge, mais notre pavillon n'est plus qu'au dernier rang.

Pendant de longues années, on ne reparla plus de Hai-nan. En juin 1 907, cependant, une convention fut signée avec le Japon. Elle prévoyait : « Le

POLITIQUE ÉTRANGÈRE. 2O

Page 8: La Question de Hainan Et Paracel

308 LA QUESTION DE HAI-NAN

maintien de la situation respective et des droits territoriaux des deux pays sur le continent asiatique, notamment dans les régions de Chine voisines des territoires où les puissances ont des droits de souveraineté, de protection ou d'occupation ».

Le Japon dans le golfe du Tonkin

Nous arrivons au conflit sino-japonais. La lutte commencée dans le Ho-pei s'étendit peu après dans le bas Yang-tseu, enfin dans le sud de la Chine.

Dès septembre 1937, trois canonnières nippones et un porte-avions pénétraient dans les eaux de Hai-nan, et les 7, 16 et 21, exerçaient leurs tirs sur le fort et la ville de Hai-k'eou (Hoi-hao). La protestation de la France se fit attendre. On eut alors l'impression que le quai d'Orsay avait perdu de vue la valeur exacte des conventions du 1 5 mars 1 897 avec la Chine et du 10 juin 1907 avec le Japon.

Ce fut seulement le 24 septembre que notre ambassadeur à Tokyo, M. Arsène Henry, demanda des explications au vice-ministre japonais, M. Horinuchi, qui répondit que la protection des navires japonais, assurant le blocus des côtes chinoises, contre une attaque aérienne partant de Hai-nan exigeait ces bombardements.

Après cette démarche, on pouvait penser que le gouvernement nippon reconnaissait la validité des conventions qui paraissaient couvrir, autour de l'Indochine, une zone d'influence réservée à la France. Mais on s'aperçut bientôt que pour l'Empire du « Soleil Levant » les conventions antérieures étaient discutables, qu'il établissait un distinguo entre le bombardement et l'occupation tout en se réservant pour un débarquement et une prise temporaire à titre de sûreté. En effet, dès la mi-novembre 1937, le Japon faisait comprendre que la non-occupation de Hai-nan par ses troupes pourrait dépendre de la non- participation de l'Indochine au ravitaillement de la Chine. Comme avertissement, les 12 et 29 janvier 1938, deux navires et des avions nippons bombardèrent Hai-k'eou, tandis que des canonnières se présentaient devant Yu-lin le 19. Paris fit alors une nouvelle démarche à Tokyo pour rappeler les termes de l'arrangement de 1907.

Une période d'accalmie suivit, puis le 17 juin 1938, le général Ugaki» ministre des Affaires Etrangères, fit cette déclaration : « Le gouvernement n'envisage pas l'occupation de l'île pour le présent, mais, même si le Japon occupait Hai-nan, cela n'aurait rien à voir avec le traité franco-japonais de 1907 >».

Page 9: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN 309

Ainsi, nous étions prévenus indirectement que ce gouvernement n'entendait pas se lier pour l'avenir à des engagements passés et déclarait que ceux invoqués ne couvraient pas Hai-nan. Afin de justifier ces ruptures de contrat, la France et l'Angleterre furent accusées de prêter assistance à la Chine. Dès ce moment, il apparut qu'une expédition militaire sur Canton était projetée, qu'elle serait menée de façon à encercler Hongkong enfin que l'occupation de Hai-nan suivrait. Pendant ce même mois de juin, une importante force navale japonaise croisa dans les parages de l'île convoitée; elle coula une trentaine de sampans et bombarda Hai-k'eou pendant sept jours, alors que des raids d'avions provoquaient l'affolement dans diverses agglomérations.

Le Japon ne cessait d'accuser la France de ravitailler la Chine. Notre ministre des Affaires Étrangères, M. Bonnet, donna le 20 juin, à l'ambassadeur du Japon, M. Sugimura, l'assurance formelle que la France observait strictement ses engagements. L'Angleterre s'émut d'un débarquement possible des Nippons, et, le 28 juin 1 938, M. Buttler fit une déclaration à la Chambre des Communes : « Les gouvernements britannique et français ont bien précisé au gouvernement de Tokyo, par l'intermédiaire de leurs ambassadeurs, qu'ils considéraient toute occupation de Hai-nan par les troupes nippones comme une mesure pouvant donner lieu à des complications indésirables. Au cas où de telles complications surgiraient, les gouvernements de Londres et de Paris se donneraient réciproquement, sans aucun doute, tout l'appui que comporteraient les circonstances ».

Pour la chronologie des faits, rappelons que ce fut au début de juillet 1938 que la France fit connaître son occupation effective des îles Paracels.

Pendant ce temps, le Japon préparait son offensive dans la Chine méridionale. Il occupa l'île de Wei (13 septembre) à 135 kilomètres de la frontière d'Indochine et des îles Kao-t'eou. C'est de cette base que partit le vol d'avions nippons sur Yun-nan-fou, à 800 kilomètres, qui devait bombarder l'arsenal mais n'atteignit que l'ancien temple de Confucius et celui dit des Poissons.

En octobre 1938, l'expédition contre Canton coupa les communications de Hongkong avec l'intérieur et compromit le ravitaillement de la colonie anglaise. La Chine rappela la majeure partie des effectifs de Hai-nan, laissant l'île à la sauvegarde de la diplomatie française.

La presse nippone mit de nouveau en question la possession de l'île. Le 28 janvier dernier, l'amiral Yonai, ministre de la marine japonaise, fut interpellé à la Chambre en ces termes : « Au point de vue militaire, nous sommes à la phase finale du conflit avec la Chine. Il reste à régler un seul problème : l'occupation de Hai-nan. J'espère que le fait sera accompli dans le plus bref délai ». D'après l'Agence Domei, le ministre répondit :

Page 10: La Question de Hainan Et Paracel

310 LA QUESTION DE HAI-NAN

« La Marine n'a pas besoin de créer une base navale sur le continent chinois, étant donné nos lignes stratégiques. Pour le moment, nous n'avons pas l'intention de créer une base navale sur le continent ». Or, Hai-nan n'est pas le continent...

Le 9 février 1939 au soir, une soixantaine de navires nippons vinrent jeter l'ancre à l'ouest de Hai-k'eou. Le débarquement se fit dans la nuit, protégé par des vedettes spéciales blindées, armées de mitrailleuses. Une brigade japonaise prit pied dans le voisinage de l'ancien Tch'eng-mai, puis à l'aide de chars et protégée par l'aviation, la colonne progressa rapidement sur Hai-k'eou. La ville fut occupée avant midi. Dans leur marche, les Japonais ne furent accrochés que par un petit détachement chinois, dans la zone des volcans.

Depuis, les débarquements se sont multipliés dans les estuaires pour contrôler les cités les plus commerçantes du sud et de l'est ; la région ouest, face au Tonkin, ne semble pas avoir encore reçu de garnisons nippones.

Les Paracels et les Spratly

Les îlots, les récifs dédaignés naguère et dont on s'écartait, sont aujourd'hui le sujet de recherches, de convoitises, d'échanges de notes diplomatiques. On leur a, en effet, découvert des qualités ignorées autrefois : celles de bases aériennes, de points de surveillance et de police des mers.

Les Paracels

Les Paracels sont des îlots célèbres dans les annales maritimes par l'échouement de 1' « Amphitrite », le premier vaisseau français qui, sous Louis XIV, se rendit de France en Chine (1698).

Ce petit archipel, situé à la latitude de Hué et de Tourane, est divisé en deux groupes : celui du Croissant, le plus voisin des côtes de l'Indochine, et celui de l'Amphitrite, plus à l'est. Sa situation géographique n'avait pas échappé au roi d' Annam, Gia-Long, qui en prit possession en 1 806. Cependant, la Chine le revendique comme relevant de l'administration de Hai-nan et le Japon s'y intéresse en raison d'un gisement de phosphate exploité par des Nippons.

En 1930, la presse indochinoise avait réclamé l'occupation de l'archipel pour l'établissement d'un feu utile à la navigation, et pour servir de base éventuelle à des hydravions. En octobre 1937, l'Indochine fait élever sur l'île Pattle un phare à éclipse dont le rayonnement enserre tout le groupe du Croissant; puis, en juin 1938, elle installe sur l'île Boisée, plus

Page 11: La Question de Hainan Et Paracel

LA QUESTION DE HAI-NAN 311

à l'est, un poste météorologique pour déceler les typhons et un feu permanent pour la sécurité de la navigation.

Le 3 juillet 1938, le quai d'Orsay fait part de la prise de possession des îles par la France. Tokyo paraît n'avoir fait à ce sujet que de simples réserves, cependant la question peut être plus tard remise en discussion. C'est en vue de prouver le bien fondé de notre installation qu'il faut signaler la note suivante, relevée dans les Lettres édifiantes et curieuses (T. 3, p. 38 de l'édition du Panthéon littéraire de 1843) : « Le Paracel est un archipel qui dépend de l'Annam ».

Les Spratly

Le groupe des Spratly, connu sous le nom des îles de la Tempête, est situé au large de l'Indochine, à la latitude de Poulo Condor. Au nombre de quatorze, les Spratly émergent au sud-est de Padarang, au sud des Para- cels, à 594 milles au sud de Hai-nan. Ce sont des îlots coraliens habités par d'innombrables oiseaux de mer; ils constituent une position intéressante pour les hydravions vers l'Insulinde, à égale distance de l'Indochine et de Bornéo.

La France avait fait reconnaître ce groupe, le 1 3 avril 1 930, par la canonnière « La Malicieuse ». Les 7 et 10 avril 1933, elle fit poser des bornes de prise de possession par les avisos « Astrolabe » et « Alerte »; enfin le 25 avril 1938, un mât de pavillon fut dressé par le croiseur « Duguay- Trouin ». La notification de l'annexion parut au Journal Officiel du 26 juillet 1933.

Lors de la signification de l'occupation des Paracels, en juillet 1938, notre ambassadeur à Tokyo rappela l'annexion antérieure des Spratly par la France. Le Japon fit alors des réserves, car, à son avis, si depuis 1917 des Japonais exploitaient des gisements de phosphates dans l'île principale, il n'avait jamais été remarqué qu'un seul Français s'y fût installé. Fort de cette constatation, Tokyo, notifia à notre ambassadeur le 31 mars dernier, que les Spratly, habitées par des Japonais, étaient placées sous la juridiction nippone et rattachées administrativement au territoire de Formose; l'occupation était assurée par un détachement de police.

Le 4 avril 1939, le gouvernement français adressa une note protestant contre cette décision et proposa même une solution par arbitrage. Cette protestation fut rejetée. Le Japon est donc aujourd'hui installé en sentinelle sur la route de l'Insulinde. Cet acte démontre qu'une prise de possession même notifiée, n'a de valeur que si elle est suivie d'une occupation effective et permanente.

Page 12: La Question de Hainan Et Paracel

312 LA QUESTION DE HAI-NAN

Conclusion

Ainsi la France, qui avait cru assurer la sécurité de l'Indochine en établissant une zone d'influence politique autour des eaux indochinoises, a vu ses accords dénoncés ou devenir caducs du fait d'un des partenaires. Si elle a récupéré les Paracels, le Japon s'est installé aux portes mêmes de ses possessions, coupant ses lignes de communications avec Kouang- tcheou-wan et la route maritime Singapour, Cam-ranh, Hongkong. Cette situation nouvelle a contraint la France de fortifier Djibouti, point d'appui sur la route impériale et de préparer la défense de l'Indochine.

L'armement de notre colonie était urgent, car il s'agit de défendre 3.000 kilomètres de côtes. Or, jusqu'à présent, une seule place forte avait été prévue, celle du Cap Saint- Jacques. Depuis, on a installé des batteries à Cam-ranh, mais le port de guerre reste à édifier. On a également armé une des entrées de la baie de Ha-long. Cependant, l'étendue des côtes demande une protection plus efficace, comme le développement de l'aéronautique, la constitution d'escadrilles de sous-marins, l'aménagement de nouvelles rades : Ream sur le golfe de Siam, Pt. Dayot, Tourane en face de Yu-lin sur la mer de Chine. L'effectif indochinois a été porté de 25 à 50.000 hommes. Ce n'est là qu'un minimum pour la garde d'un pays dont la superficie égale celle de la France jointe à la moitié de l'Italie continentale.

Cependant, malgré le voisinage de Singapour et de Hongkong, bases navales et aériennes fortement armées, nous ne pouvons être certains de dominer les mers asiatiques, il y a donc lieu de rechercher une voie terrestre de secours; celle-ci ne peut être établie que vers l'ouest. Là, une route, via le Laos et la Birmanie, permettrait d'atteindre Rangoun sur le golfe de Bengale et, par ce port, d'assurer le ravitaillement éventuel de l'Indochine.

Tant que la défense de l'Indochine n'est pas complétée, que le Japon n'a pas donné des signes évidents de lassitude, notre colonie reste en état d'alerte et il ne semble pas que la politique de la France puisse être utilement modifiée. Son but doit être : de soutenir la Chine puisqu'il n'y a pas eu déclaration de guerre et, conformément aux conventions passées, de laisser transiter par le chemin de fer du Yun-nan tous produits qui lui sont destinés, enfin, de protester par des notes diplomatiques énergiques contre les agissements des Nippons dans la zone indochinoise; cela pour réserver l'avenir et pouvoir reprendre en temps utile la question de Hai-nan, satellite de l'Indochine.

Claudius Madrolle