la machine a démonter le temps et l'espace 002
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Au sommaire de ce second numéro, des articles sur : Richard Kern, «Stand by me Doraemon» et Klavdij Sluban.TRANSCRIPT
RICHARD KERN'S GOODBYE 42ND STREET
Numéro 002 Août 2015
En mille neuf cent huitante-six déjà, donc bien
avant l'élection de Rudolph Giuliani au poste
de maire de New York et la mise en application
de son infecte politique de «tolérance zéro», la
plupart des cinémas de la quarante-deuxième
rue, l'une des plus mal famées de la grosse
pomme, avaient commencé à fermer leurs
portes (ou, tout au moins, avaient cessé de dif-
fuser des cannibaleries italiennes ou des pornos
gore, pour privilégier de davantage convention-
nelles kung fueries tournées aux Philippines).
De surcroît, et comme s'il s'agissait de sou-
ligner encore un peu plus la fin d'une époque
que d'aucuns prétendent dorée (telle la douche
du même nom ?), la publication de «Sleazoid
express», fanzine précurseur en son genre, em-
blématique des lieux autant que de leur am-
biance particulière (voir le bouquin «Sleazoid
Express : A mind-twisting tour through the
grindhouse cinema of Times Square» chez «Si-
mon & Schuster»), s'interrompait abruptement.
C'est donc dans ce contexte crépusculaire que
Richard Kern, pas encore le photographe bran-
ché, luxueusement édité par «Taschen», qu'il
est aujourd'hui, mais déjà réalisateur under-
ground transgressif (l'année précédente, il avait
enchaîné avec une poignée de complices, dont
Nick Zedd, Lydia Lunch ou David Wojnaro-
wicz, des titres tels les mythiques «Thrust in
me», «You killed me first» ou «Manathan love
suicides»), c'est donc dans ce contexte cré-
pusculaire, disais-je, que Richard Kern torcha
«Goodbye 42nd street».
Ode violente, virale, réalisée dans l'urgence
(celle que dicte une fin programmée ou l'abus
d'amphétamines), d'une new-yorkitude électri-
sante (la même que l'on trouvait depuis la fin
des seventies dans la musique des «Ramones»
ou de Richard Hel, dans les photos de David
Godlis ou le «Driller killer» — «Le tueur à la
perceuse» ! — d'Abel Ferrara), chant d'amour à
un cinéma de l'excès et au quartier qui, par ses
débordements (drogue, meurtre, prostitution),
l'a peut-être incarné au mieux dans la vie de
tous les jours, mêlant habilement scènes gore
ultra bricolées, nudité et documentaire (Kern,
en caméra portée, filme d'un pas pressé la
quarante-deuxième rue, ses vitrines de fast-
foods ou de sex-shops, ses passants, la caissière
d'une salle obscure qui se cache précipitam-
ment, une autre qui l'invective, menaçante),
tandis qu'une musique bruitiste, hypnotique y
insuffle une énergie inouïe. Plus qu'un film,
une expérience physique.
A tel point d'ailleurs, qu'aujourd'hui, avec la
ressortie en dvd de la compilation «The hard-
core collection» et l'internet à domicile, cela
me paraît quand même un peu étrange (pour ne
pas dire plus...) de découvrir cette oeuvre, aussi
percutante que le taxi parisien qui avait ren-
versé Stiv Bators en mille neuf cent nonante,
bien peinard dans son salon ou caché derrière
l'écran de son ordinateur. Que voulez-vous, ma
bonne dame ? Les temps changent...
Ecrire un scénario original coûte généralement
de l'argent, puisqu'on est obligé d'employer une
(ou plusieurs) personne(s) créative(s) pour cela.
Pire encore, on n'est jamais certain de l'accueil
qui sera réservé au résultat (surtout s'il est vrai-
ment original !). Il est donc beaucoup plus inté-
ressant, financièrement parlant, pour nos amis
pourvoyeurs de soupe des grands studios de
tourner des remakes.
De toute façon, le public lambda n'a ni mé-
moire, ni curiosité et se révèle habituellement
plus sensible à la coupe de cheveux ou au logo
qui orne le t-shirt de l'acteur principal qu'au
message que le metteur en scène cherche (peut-
être) à faire passer.
D'où l'invraisemblable quantité de saletés ve-
nues s'échouer sur les écrans ces quinze derniè-
res années (si vous en voulez une liste, allez sur
«Imdb», il y a des couillons spécialisés dans le
sport compilatoire !).
Hélas pour les requins du business, même les
pires choses lassent parfois (ou tendent en tout
cas à rapporter moins de fric) et il faut bien
alors essayer d'innover (pas trop quand même)
pour relancer la planche à billets. Aussi, l'argu-
ment massue avancé par ces illettrés ultra ca-
pitalistes pour justifier encore et encore cet
exercice paresseux et le plus souvent inutile du
remake (car, s'il pouvait y avoir parfois quelque
raison à retourner, avec davantage de liberté,
dans les années soixante / septante, des oeuvres
castrées précédemment par la censure, l'époque
frileuse, bouffie de politiquement correct, qui
est la nôtre, ne peut en rien laisser présager une
bonification du produit de base, quel qu'il soit à
l'origine), bref, l'argument massue est le re-
cours à une prétendue innovation technique.
Ici, une soi-disant 3D (je croyais qu'il fallait
des lunettes pour ça ?!).
Le plus ridicule, c'est que ça marche : «Stand
by me Doraemon» s'est retrouvé premier cinq
semaines consécutives au box-office et
représente le second plus gros succès de l'année
au pays du soleil levant !
Toutes ces basses considérations pécuniaires
mises à part, qu'en est-il du film ?
Côté scénario : un copié collé (à la ligne de
dialogue près) de certains épisodes marquants
de la série. Si vous n'avez jamais vu une aven-
ture de Doraemon et Nobita de votre vie, vous
risquez d'être ravi. Dans le cas contraire...
Côté musique : c'est plutôt inégal et, lors des
scènes dramatiques, tellement sirupeux que ça
en tape rapidement sur les nerfs.
Côté animation : si la «3D» s'adapte parfaite-
ment aux sorties en bambou-coptère des deux
lascars (en particulier lors de la séquence futu-
riste, assez impressionnante), le reste est davan-
tage sujet à caution. Surtout en ce qui concerne
la démarche ridicule des personnages (se se-
raient-ils tous fait sodomiser avant le début du
tournage ?) et les expressions faciales beaucoup
trop exagérées.
En définitive, le film n'est ni vraiment bon, ni
vraiment mauvais. Trop prévisible, trop mal
animé mais quand même sauvé (malgré lui ?)
par les fondamentaux de l'oeuvre magnifique
du duo Fujiko F. Fujio, il se laisse regarder.
Reste qu'il vaut assurément mieux se (re)plon-
ger dans le manga ou (re)voir l'un ou l'autre des
plus de deux mille épisodes conçus pour la télé,
que de se précipiter sur ce produit dont la prin-
cipale qualité (et c'est tout dire !) est d'être ten-
dance.
Stéphane Venanzi
Jusqu'à la fin août, idéal exutoire à la canicule,
la galerie «Focale», à Nyon, propose le travail
photographique de Klavdij Sluban : «Autour de
la mer Noire — Voyages d'hiver». Une errance
désenchantée dans la grisaille postcommuniste,
à travers des paysages désolés, oubliés de tous,
même des oreilles de la «NSA» et des nou-
velles mafias russes. Une virée triste, sans but
aucun, imprégnée d'une mélancolie au parfum à
la fois subtil et aussi prégnant qu'une vieille
odeur de hareng mariné. De quoi vous faire
oublier les immondes baleines échouées sur les
plages publiques !
En plus, c'est accompagné d'un beau texte
d'Olivier Rolin (frère de Jean — mais pas le
cinéaste de «Requiem pour un vampire», l'an-
cien mao lui aussi écrivain...), spécialiste, sui-
vant «Wikipédia», du «récit géographique»
(pour autant que cela signifie quoi que ce
soit ?!). D'ailleurs, maintenant que j'y pense, si
j'étais un besogneux de la presse bourgeoise
(ou faussement spécialisée), j'aurais pu vous
pisser de la copie facile en vous démontrant,
«Wikipédia» à portée de main, l'indéniable
influence de l'oeuvre de Franz Schubert sur ce
projet (mais je n'ai jamais été très porté sur les
lieder — mon côté anar, sûrement*) ou, encore
plus pathétique, en me mélangeant un peu les
baskets, du dix-huitième roman d'Amélie
Nothomb. Hélas, je n'écris que pour «La ma-
chine à démonter le temps et l'espace» et je n'ai
déjà plus de place. Ciao !
* C'est de l'humour «homophonique», pour ceux qui n'auraient pas
compris...
La machine à démonter le temps et l'espace Publication mensuelle (si tout va bien) éditée par «Les éditions de la saucisse et du saucisson». Numéro 2, août 2015 Tous les textes sont de Stéphane Venanzi. Quant aux photos, qui demeurent la propriété de leurs ayant-droits, elles sont reproduites ici uniquement à titre d'exemple. Abonnement pour 1 année (12 numéros) : 10 francs suisses à verser sur le CCP 87-190546-6 au nom de Stéphane Venanzi.