la lutte pour la reconnaissance Économie du don
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Les i dées et l es opi ni ons expri mées dans ce livret sont cel les des
auteurs et ne reflètent pas nécessai rement l es vues de l ' UNESCO. Les
appel l ati ons empl oyées dans cette publ i cati on et la présentati on
des
données qui y fi gurent n' i mpl i quent
de
la part
de
l UNESCOaucune
prise de positi on quant au statut j uri di que des pays, terri toi res, vlles
ou zones ou de l eurs autori tés, n quant à l eurs fronti ères ou limtes.
Publ i é en 2004 par
:
Organi sati on
des
Nati ons Uni es pour l ' éducati on, a scienceet lacul ture
Secteur des sciences sociales et humai nes
7, l ace
de
Fontenoy, 75350 Pari s 07SP
Sour
a
di rectiondeMoufidaGoucha,
Chef
de laSecti onde laphi l osophi e
et des sciences humai nes,assi stée
de
Mi ka Shi no et
de
Feri el Ai t -Ouyahi a
O
UNESCO
I mpri mé
en
France
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Introduction
L‘ Insti tut i nternati onal
de
phi l osophi e
(1.I.P)
st la
pl us anci enne des i nsti tuti ons phi l osophi ques i nternati o-
nal es.
I
a
été
f ondé en
1937 à
Pari s
à
l ’ occasi on du
Congrès Descar tes, à l’initiative d‘Émile Bréhi er et du
phi l osophe suédoi s
&
Petzal l .
Pl acé dès sa
f ondat i on
sous
le
patronage du Prési dent
de
la
Républ i que françai se,
i l s’est
d‘ abord
appel é
I nsti tut i nternati onal
de
col l abora-
ti on phi l osophi que. I1 s’est donné pour mssi on,
dès sa
créati on, à une époque de fortes tensi ons i déol ogi ques,
de rassembl er des
représentants qual i fi és
de
la c ommu-
nauté phi l osophi que i nternati onal e pour sauvegarder
l ’exerci ce
de
la pensée,
la
possibi l i té d’ une réfl exi on
cr i -
ti que et la
l i bert é
d’ expressi on. Dans
une
époque pl us
normal e, l a pri s pour tâche de favori ser l ’ échangedes
i nformati ons et
des i dées,
de promouvoi r l es droi ts de la
rai son et l ’ i déal
de
tol érance, de prati quer et dencour a-
ger l ’ ouverture mutuel l e des cul tures,
des
mental i tés et
des tradi ti ons. Reconnu par
l’UNESCO
omme repré-
sentati f de
la
communaut é phi l osophi que mondi al e,
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regroupant
des
phi l osophes
de
toute nati onal i té
et
de
toutes tendances, l met à l ' œuvre à l ' échel on i nternati o-
nal des pr ogr ammes de recherche, publ i e pl usieurs col -
l ecti ons
et
un péri odi que
la Bibliographie de
la
philoso-
phie, const amment mse à j our par 260 col l aborateurs
dans 55pays. organi se chaque annéedesEntreti ens, où
des
phi l osophes
de
réputati on i nternati onal e débattent
des probl èmes actuel s de la phi l osophi e, en accordant
une parti cul i ère attenti on aux mét hodes mses en œuvr e
et aux perspecti ves de sol uti on. Les derni ers Entreti ens
ont eu l ieu
à
New
Del hi
en 2000
sur la
gl obal i sati on, en
2001
à
Hel si nki
et
àTartu (Estoni e) sur lamét hode d' i n-
terrogati on, en
2002
à
Madr i d
sur
les
probl èmes ouverts
en histoi re des concepts.
L' Insti tut i nternati onal de phi l osophi e dont , par droi t
de
f ondat i on,
e
si ège social
est à Pari s,
est actuel l ement
prési dé
par Anne Fagot- Largeaul t ,professeur au Col l ège
de France. Son
secrétai re
générai est
Pi er r e
Aubenque.
L' Insti tut i nternati onal de phi l osophi e a demandé à
deux
de
ses anci ens prési dents, Paul Ri cœur
et
J aakko
Hi nt i kka,
de
présenter au publ i c des aspects de l eurs
réfl exi ons actuel les. O n ne saurai t prétendre épui ser, avec
ces deux noms presti gi eux, tout l 'éventai l
de
la réfl exi on
phi l osophi que contemporai ne.
Mai s
l ' un et l 'autre
phi -
l osophes en représentent
de
f açon exempl ai re deux
des
courants l es pl us vi vants et l es pl us féconds.
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Paul Ri cœur
est
reconnu c omme l ’ un
des
pri nci paux
phénoménol ogues et herméneutes de notre t emps ; pl us
exactement , l a su féconder l ’ unepar l ’autre
ces
deux
approches que sont la phénoménol ogi e, sci encedes phé-
nomènes psychi ques, er l ’ herméneut i que, ci encede l ’ i n-
terprétati on, not amment des myt hes
et
des symbol es
rel i gi eux. Pl us r écemment ,
l
s’est
consacré
à
l ’ él uci dati on
de questi ons éthi ques, c omme cel l e
de la
responsabi l i té
et du bon usage de la mémoi r e.
J aakko Hi nt i kka, représentant maj eur du courant
anal yti que, a travai l lé dans
le
domai ne de la phi l osophi e
du l angage, de la l ogi que mathémat i que
et
phi l oso-
phi que. I1
a
proposé une nouvel l e défi ni ti on
de
la véri té,
q i i i lu a perms
de
résoudre le
difficile
probl ème
de
la
véri té
des
proposi ti ons futures. I l s’est égal ement i ntéressé
à ceux des phi l osophes du passé, d’ Ari stoteet Descartes
à Fregeet Wttgenstei n, qii ont ouvert lavoi e aux appro-
ches
contemporai nes.
Pi erre
Aubenque,
Profissew hoizortlireà L’UniuersitéPm‘s-IV
Secrétaire
gédraL
de
I7.I.P
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La
lutte
pour
la
reconnaissance
et l’économie du don
Paul Ri cœur
Le
t itre
de
cette conférence, La luttepour la recon-
naissance et l’économie
du
don, sembl e mar i er l ’ eauet l e
f eu,
e
mot
((
l utte
)>
et
le
mot
((
don
))
;
mai s
ce
qui
est
en
jeu
c’est
le mot (( reconnai ssance », la reconnai ssance
mutuel l e ; ce
travai l
fat parti e dune tentati ve pl us vaste
de
donner au concept
de
(( reconnai ssance
))
une di gni té
phi l osophi que qu’ i l n’ apas, compar é au mot (( connai s-
sance
))
;
i l y
a des théori es
de la
connai ssance, des traités
de
la connai ssance,
mai s,
sel on mon i nf ormat i on, nous
n’ avons
pas
de grand l i vre qui porterai t le
titre D e
a
reconnaissance j e ne sui s pas sûr qu’ on pui sse l ’écri reet
je n’ en présente que des f ragments. C’ est le f ragment ter-
mnal
de
cette recherche que j e présente ici.
Le
concept de reconnai ssance
est
entré dans la phi l o-
sophi e
grâce
essenti el l ement au phi l osophe al l emand
Hegel , presque
au
début de son œuvre phi l osophi que, à
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I éna entre
1802
et
1806.
Le
t hème de la reconnai ssance
n’est pas i nconnudu publ i c de l angue françai se,grâce au
travai l de Koj ève sur le grand livre de Hegel qui suivi t
cette péri ode de préparati on, Lu Phénoménologie de
L’Erprit ;
le noyau de cette œuvr e est la lutte
pour
la
reconnai ssance préci sément, mai s autour
d’ un
t hème
qui
m a paru
un
peu réducteur, la l utte
du
maî tre et de ï es-
cl ave, et qui en effet, dans ce l ivre, ne peut se termner
que par un envoi
en
quel que sorte dos- à-dos
du
maî tre
et de l ’escl ave
qui
se reconnai ssent tous deux c ommepar-
tageant la pensée. La sortie de la lutte
pour
la reconnai s-
sance dans La Phénoménologie de l’Esprit, ’est donc le
stoï ci sme,
où un
maî tre et
un
escl ave,
un
emper eur et
un
escl ave, di sent
tous
deux
(( nous
pensons
)) ;
et c omme
tous les deux pensent ,
ils
sont i ndi fférents, maî tre
ou
esclave. Le stoï ci sme produi t donc le scepti ci sme. J ’ai
al ors sui vi les t ravaux dune autre générati on de cher-
cheurs,
qui
remontai ent
plus
haut que cet ouvrage très
achevé, admrabl e, de
La
Phénoménologie
de
I‘Eprit,
la
péri ode d‘ I éna,
où
des ouvrages f ragmentai res i nachevés
met tent en chanti er l ’ i dée de la lutte
pour
la reconnai s-
sance, mai s avec
un
hori zon beaucoup plus promet teur
de dével oppements ul téri eurs que cette espèce de f erme-
ture que j ’ i ndi quai s sur le stoï ci sme et le scepti ci sme.
Dans ces écrits et
surtout
dans l eur réactual i sati on en
Al l emagne pr i nci pal ement autour de j eunes chercheurs,
1
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et
aussi
à
Louvai n- l a- neuveautour
de
Tamni aux,
l ’ i dée
général ement exposée est la sui vante : si nous restons
seul ement dans l ’ hori zonde la lutte pour la reconnai s-
sance, nous créerons une demande i nsati abl e, une sorte
de
nouvel l e consci ence mal heureuse, une revendi cati on
sans fi n. C’ est pourquoi je me suis demandé
si
nous n’ a-
vi ons
pas
par
ai l l eurs, dans notre expéri ence quot i di enne,
l ’ expéri enced’être reconnus, d’ êt re ef fecti vement recon-
nus, dans un échange qui
est
préci sément l ’ échange du
don. C’ es t donc une tentati ve dont j ’ i gnorele succès,
mai s
dont j e suis certain qu’el l eest f éconde, pour com-
pl ét er et corri ger l ’ i dée f i nal ement vi ol ente de l utte par
l ’ i dée non vi ol ente de don. Voi l à donc la l i gne général e
de
ma
présentati on.
Pour di re quel ques mot s de l ’ œuvre
de
Hegel à I éna,
je
veux dési gner quel est l ’ adversai repermanent que la
phi l osophi e pol i ti que a tenté de combatt re
et
d‘ excl ure :
i l
s’agi t du Hobbes du Léviathan.On peut di re que toute
la
tradi ti on du droi t naturel ,
de
Grot i us, Puf endor f ,
Locke, Lei bni z,
er
j usqu’ à
Fi cht e,
tend
à
réfuter Hobbes.
L‘ i dée de Hobbes, chacun le
sai t
au moi ns très sommai -
rement , c’ est que dans l ’ étatqu’i l appel l e
de
nature
-
c’est
une sorte
de
fabl e
de
l ’ ori gi ne,
t
qui est d‘ai l l eurs
par-
fai tement reconstrui te
par
une descri pti on empi r i que
d‘ état
des
choses
-
es hommes ne sont condui ts que par
la peur de a mort vi ol ente,
de
la mai n d’ un autre. Les
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passi ons qui règnent sur
cette
peur sont
la
compét i t i on,
la
déf i ance,
((
def i dence
))
et
la
gloi re.
Au
f ond,
c’est
autour
de l ’ i dée
de
déf i ance que nous al l ons tourner
pui sque
la
reconnai ssance que nous al l ons voi r
est la
répl i que
à cette
déf i ance pour sorti r de l ’état
de
nature
ainsi présenté
par
Hobbes.
La
sol uti on
est
un contrat,
mai s
un contrat entre
des
hommes noués
par
la
peur
et
qui s’ en remettent à un souverai n qui , l ui , ne contracte
pas, ne
parti ci pe
pas c omme contractant au contrat ; si
bi en qu’ un
arti fi ce, l ’État, st
représenté
par le
gros ani -
m dont i l
est
quest i on dans
le l i vre de
J ob
: le
Lévi athan,
c’est
la grosse bête en quel que sorte.
Le
pro-
bl ème
qui
a été
posé
à
Hobbes
et
à
tous
ses
successeurs
est
de
savoi r
s’i l y
aurai t un f ondement moral di sti nct
de
la
peur, un f ondement moral dont on peut
di re
qu’i l
donne
la
di mensi on humai ne, humani st e
à la
grande
entrepri se pol i ti que.
C‘ est
dans cette l i gne que le j eune
Hegel se
situe
;
mai s
i l a der r i ère
lu
des
appui s consi dé-
rabl es,des
ant i -hobbési ens
i
j ’ose
di re,
c’ est-à-di re
a tra-
di ti on, assez m défi ni e i l faut di re, du droi t naturel ,
avec l ’ i dée qu’i l y a une mar que moral e ori gi nai re sur
l ’ hommeque vous trouvez chez Grot i us dans cette
((
qua-
lité
moral e de
la
personne
))
-
c’est
une expressi on
de
Grot i us
: ((
qual i tas, moral i s personae ))
-
en vue
de
quoi
on peut l égi t i mement posséder, fai reet agi r ;
c’est
le
pre-
mer relais.
Le
deuxi ème relai s, c’est bi en entendu Kant ,
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avec
son
i dée
de
l ’ autonome,
’ est-à-di re
au sens propre
du mot que
le
soi
et
la nor me f orment un l ien absol u-
ment pri mti f; un i mpérat i f catégori que s’ensui t
et i l
n’ y
a
pas
de
probl ème déri vé
de
la peur :
c’est
une f ondat i on
pri mordi al e de la moral i té ; mai s l e probl ème est de tirer
une phi l osophi e pol i ti que du pri nci pe d’ aut onome, et
c’ est
à
ce
st ade
qu’ i ntervi ent
l e
derni er
rel ai s,
le
grand
phi l osophe peut-être
le
pl us di ffici le à
l ire
de toute la
phi l osophi e al l emande,
Fi chte.
C’ est
lu
le premer
qui
a
lié
l ’ i déede
réfl exi on sur soi
à
une i dée de l ’ori entati on
vers l ’ Autre ; cette détermnati on réci proque de la cons-
ci ence de soi et
de
l ’ i ntersubj ecti vi té, c’est l ’ œuvre
de
Fi chte,
et
en
ce
sens, dans
cette
péri ode au moi ns,
Hegel
est un Fi chte ;
j ’aj outerai
à ces
moti vati ons une admra-
ti on sans bornes pour la Ctégrecque et l ’ i dée
de
retrou-
ver
la bel l e Cté dans l es condi t i ons de la moderni t é :
c’est
donc la
tâche
que s’assigneHegel . Les deux ouvra-
ges, ou pl utôt
l es
deux f ragments sur l esquel s j e vais
mappuyer
et
dont
j e
vais
f ai re
une
très
brève
présenta-
ti on sont
le
Système de La vie éthique de
1802
et
la Real
phi l osophi e, phi l osophi e
de
lavie réel l e, des années 1804-
1806 ; nous avons empl oyé en françai s (( vi e éthi que
))
pour tradui re un mot al l emand de grande portée qui est
le
mot
G
Si tten
)) : l es
mœur s
; c’ est - à-di re
qu’ au l ieu
de
parti r de
l ’ i déeabstrai te
du devoi r moral , de l ’ obl i gati on,
on part de la prati que des mœur s ;
l
y a à une sorte d’é-
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Cho
à
Ari stote qui préci sément
a écri t
une éthi que
à
par-
t i r du mot ((ethos »,
l es
mœur s
;
donc c omme on ne pou-
vai t pas empl oyer le mot
((
mœur s
))
en françai s c omme
l ’ al l emand empl oi e (( Si tten
»,
on
a
tradui t
par
éthi que
;
dans
le
mot vi e éthi que,
l y a
une vol onté
de
concrétu-
de
de la prati que des hommes et pas seul ement de l eurs
obl i gati ons
abstrai tes
moral es. Sur
ce
proj et
se
greffe
une
mét hode qui est
de fai re
apparaî tre
la
négati vi té
-
c’est-
à-di re tout ce qui , dune f açon
ou
dune autre, ni e -
c omme le moteur dynam que
de
l ’ avancée des i dées
et
des
prati ques.
La
sortie
de la
vie naturel l e d’ êt re
si mpl e-
ment là, da sein ))c omme on
dt
en al l emand, se
fait par
le
négati f qui pousse touj ours pl us l oi n.
Le
proj et
hégé-
l ien - qui au f ond ne changera pas j usqu’ à l ’ accompl i sse-
ment
le
pl us convai ncant
de
l ’ œuvre hégél i enne dans cet
ordre prati que, à savoi r
Les Principes de La philosophie du
droit
-
consi ste dans un parcours de ni veaux
et
d’ i nsti tu-
ti ons
où,
par la mul ti pl i cati on des négati ons, se construi t
peu
à
peu un ordre humai n. L‘ori gi ne du pol i ti que,
c’est
donc
la
sortie
de la
peur
par
cette poussée spi ri tuel le qui ,
sous le vi de de la négati vi té vi ve
et
vi vante, produi t
des
i nsti tuti ons de pl us en pl us ri ches qui , dans le derni er
grand ouvrage
des Principes de La philosophie
du
droit
s’organi seront autour
de
la famlle,
de
la
soci été civi le
et
cul mneront dans
la
soci été pol i ti que
où
l es
hégél i ens
tentent de retrouver l ’ équi val ence de la bel l e
Cté
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grecque,
mai s
à parti r de l ’ i ndi vi dual i té née
à
la
Renai ssance,
dans
la
péri ode
des
Lumères
et à
travers la
phi l osophi e kant i enneet f i chtéenne. Quant au deuxi ème
ouvrage,
Real phi l osophi e,
e t er me c
real ))
i ndi que qu’ i l
s’agi t de di re comment l’esprit,
le
Gei st, entre dans
l ’H stoi re, entre dans la réal i té hi stori que, comment la
l i bert é
qui
est
d’ abord une
i dée
abstrai te
devi ent hi sto-
ri que. C’ est donc à travers toute une hi stoi re
des
conquê-
tes prati ques, pragmat i ques et i nsti tuti onnel l es
de
I ’ hom
me
que
se
construi t
ce
desti n
-
pol i ti que f i nal ement ,
pol i ti que au sens l arge - de vi vre ensembl e dans
des
los
et des i nsti tuti ons. Hegel parcourt trois modèl es de
reconnai ssance
:
le
premer ,
sous
l ’ égi de
de
l ’ amour
(ce
qui
étai t
déj à un grand mot hégél i en), l ’affectivi té sous la
f or me aussi bi en de
la
sexual i té et
de
l ’ éroti sme que de
l ’ amti é
et
du respect mutuel :
le
mot amour est un mot
qui défini t toutes l es rel ati ons proches des hommes qui
sont engagés af fecti vement ; un deuxi ème ni veau, juri -
di que,
est
celui du droi t
où
règnent général ement
des
rapports contractuel s - mai s l es rapports contractuel s
pour Hegel sont touj ours des rapports de fai bl e qual i té
humai ne, parce que dans le rapport de contrat, pri nci pa-
l ement autour de la propri été, on sépare pl utôt que l ’ on
uni t le
<
ceci est à moi
)) de
(( ce qui est à toi
)) :
et la
sépa-
rati on du m en
et
du ti en n’est
pas
un
acte
de
reconnai s-
sance, on peut
di re
d’ une certai ne faaçon qu’ i l
reste
un
15
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él ément
de
déf i ance dans
la
rel ati on contractuel l e.
J e
crois qu il est
très
i mportant
de di re
la per manence de
I ' anti -contractuai i sme dans toute l ' œuvre
de Hegel
: le
contrat est un rapport abstrai t et qui est d'ai l leurs sanc-
t i onné par l ui - même,
à
savoi r quil produi t l ' i nfracti on.
Hegel magni f i e un peu ce concept d' i nfracti on par cel ui
de
cr i me
;
et
le
pl us surprenant
à
la
l ecture
de
ces
cieux
essai s est, j e ne di rai pas une apol ogi e du
cr i me,
mai s une
tentati ve pour comprendre comment
le
cr i me contri bue
à la progressi on du rapport humai n en ébranl ant le
rap-
port si mpl ement j uri di que qui
est
en quel que sorte
dénoncé de pauvreté spi ri tuel le
;
je me per met s de di re
en passant que l orsque ef fecti vement dans une soci été
i l
y
a destructi on de tous l es rapports humai ns véri tables
liés
à la société
civile, à la
soci été pol i ti que, nous retom
bons tout si mpl ement sur
des
rapports
de
droi t,
et
c'est
la cri mnal i té qui en quel que sorte révèl e l ' i nhumani té
prof onde
de
rel ati ons qui ne serai ent que
des
rel ati ons
j uri di ques. Au- dessus
de
ce
rapport si mpl ement
abstrai t,
pur ement j uri di que, contractuel , dénoncé par la crim-
nal i té,
i l
y
a la recherched' un lien communautai r e qui
pour Hegel est l État (c'est le troi si ème ni veau). C' est un
sujet de grande controverse de savoi r si la descri pti on et
la constructi on de l État hégél i en ne sont
pas
encore
chargées
de
déf i ance mutuel l e
;
e
voudrai s
di re
quel ques
mot s sur l es tentati ves contemporai nes de ré-appropri a-
16
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ti on
et
de
réactual i sati on
de
la
phi l osophi e du j eune
Hegel ,
reconstrui sant, recherchant quel s serai ent
l es
équi val ents concrets, dans notre expéri ence, du négati f
hégél i en
;
c’est dans son livre
La Luttepour la reconnais-
same que se trouve l ’ i dée-cl éque j ’ai mai ntenant
repré-
sentée, à savoi r que
c’ est
par des expéri ences négati ves de
mépri s,
((
M ssachtung
»,
que nous découvrons notre
propre dési r de reconnai ssance ; notre dési r de recon-
nai ssance
est
né de la di s-sati sfacti on
ou
du mal heur du
mépr i s
; c’est toute une phénoménol ogi e du mépr i s qui
gui de la reconstructi on
par
Al ex Honnet h de l ’héri tage
du j eune Hegel .
le
montre aux trois ni veaux parcourus
par
Hegel dans son œuvr e
;
j e
suis
très
i ntéressé surtout
par
le
premer et
le
derni er de
ces
ni veaux car sur
le
j eu
éthi que mai ntenant nous sommes abondamment pour -
vus de commentai res
et
de ré-i nterprétati ons ;
mai s
le
j uri di que n’ occupepas toute
la pl ace
: l est encadré par
quel que chose qui
est
du pré- j uri di queet quel que chose
qui
est
du post- j uri di que,
et
c’est successi vement dans
le
pré- j uri di queet
le
post- j uri di que que Honnet h voi t opé-
rer
le mépr i s et la provocati on à surmonter le mépr i s par
la reconnai ssance ;
cette mse
en coupl e
de
l ’ i dée
de
mépr i s et de l ’ i déede reconnai ssance me paraî t être l’ac-
qui s pri nci pal de cette réactual i sati on. Voi ci quel ques
exempl es :
e
modèl e premer - pui sque Honnet h nous
présente en s omme trois modèl es
de
reconnai ssance, au
17
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
15/37
ni veau
des
affects
(des
affecti ons c omme on
disai t
au
XVIII‘ i ècl e ),
au ni veau j uri di que
et
au ni veau pol i ti que
- e modèl e
premer
donc couvre la gamme
des
rapports
érot i ques, f aml i aux, am caux, c’ est- à- di re (je ci te
Honnet h) i mpl i quant
des
l iens affecti fs pui ssants entre
un nombr e restreint de personnes ; lepré- j uri di quemér i -
te
d‘ être
parcouru dans toutes
ces
di mensi ons
par
la
ri chesse extraordi nai re des sent i ments négati fs qu’ i l com-
porte. Auj ourd’ hui nous avons certai nement
des
échos
très ri ches de ces composant s négati fs de l ’affecti vi té
pre-
mère
dans
la
psychanal yse, dont bi en sûr
Hegel
n’avai t
pas le moi ndre pressent i ment ; Honnet h s’ i ntéresse sur-
tout
à
la
psychanal yse post - f reudi enne
de
tous
l es
senti -
ment s d’ abandon, de détresse, de mal heur de
la
pr i me
enf ance, qui précèdent l ’ entrée dans le compl exe
d‘ û3di peet qui parai ssent être des comment ai res possi -
bl es de
la négati vi té : ’ enfant cherche, dans
le
besoi n dê -
tre rassuré, a conf i ance dans lavi e, ou dans le fait de n’ ê-
tre
pas
conf i rmé,
de
ne
pas
être
approuvé, ’acqui si ti on
de la capaci téde la
sol i tude
;
cette acqui si ti on
de
la capa-
ci té de sol i tude
à
parti r de l ’ abandonet de
la
menace d’a-
bandon consti tuerai t, pour Honnet h,
e
mei l l eur équi va-
l ent cont emporai n,moder ne, de l ’anal yse hégél i enne.
J e
me
porte d un saut
à
l ’autre extrémté de
la
recon-
nai ssance confl i ctuel l e
;
on peut
di re
que toute l ’ entre-
pr i se
d’ Honnet h à la sui te de Hegel c’est j ust ement la
18
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
16/37
noti on
de
confl i t destructeur
de
reconnai ssance,
car
c’est
làque cette phénoménol ogi e atteint peut-êtresa i mte et
appel l e une remse en quest i on du rôle quasi f ondateur
attri bué
à
la not i on
de
confl i t
et
de lutte ;
ce
qui
est
en
questi on,
c’ est
l ’ au-del àde la reconnai ssance j uri di que
que l ’ auteur caractéri se ainsi . Nous ne pouvons nous
comprendre c omme porteurs
de
droi ts que si nous avons
en
même
t emps
connai ssancedes obl i gati ons normat i ves
auxquel l es nous sommes tenus
à l ’ égard
d‘autrui
;
nous
ne sommes nous- mêmesqu’ à condi t i on d’entreteni r avec
autrui des rapports de constructi on mutuel l e, c omme
dans la pr i me enfance la capaci té d’ êt re seul pour sorti r
des menaces d’ abandon. ci c’ est le mépri s soci al qui est
la
f orme négati ve nouvel l e. O n pourrai t di re que
l es
mal heurs de nos soci étés, que Hegel avai t parfai tement
anti cipés dans son anal yse de la société
civile,
vi ennent
de ce
que la société
civile,
mar quée essenti el l ement
par
l ‘ i ndustri al i sati on,par
la
maî tri se de
ce
qu’ i l connai ssai t
déj à à
l ’ époque
des
rel ati ons i ndustri el l es, produi t en
même
t emps
la
pauvreté
;
i l
y
a
un l ien étrange entre
la
producti on de ri chesse et la product i on d’ i négal i tés -
mai s
nous vi vons
de cel a,
n’est-ce
pas,
cruel l ement. O n
pourrai t di re que la contradi cti on qui est source de
méconnai ssance, déni s
de
reconnai ssance, c’ est dans nos
sociétés
la
contradi cti on prof onde qu’i l
y a
entre une
attri buti on
égal e
de
droi t (en pri nci pe nous sommes
17
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8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
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égaux c omme ci toyens
et
c omme porteurs
de
droi ts)
et
l ’ inégal i té de
la
di stri buti on de bi ens : c’est-à-di reque
nous ne savons pas produi re
des
sociétés économ que-
ment et soci al ement égal i tai res alors que la f ondat i on
j uri di que de nos sociétés
est le
droi t égal à l ’ accès
de
tou-
tes l es sources
de la
reconnai ssance j uri di que. C’ est ce
confl i t entre attri buti on
de
droi ts
et
di stri buti on
de
bi ens
qui est en quel que sorte la
limte
i ndépassabl e
de
nos
soci étés contemporai nes
et
démocrat i ques. Cel ui qui
est
reconnu j uri di quement et qui n’est pas reconnu soci al e-
ment souffre d’ un mépr i s f ondament al qui est
lié
à la
structure même de cette contradi cti on entre attri buti on
égal e de droi ts et di stri buti on i négal e de bi ens ; dans le
l ivre de Honnet h, un chapi tre entier est consacré aux
fi gures contemporai nes du déni
de
reconnai ssance, avec
des sent i ments c omme la honte, la col ère, l ’ i ndi gnati on,
la révol te, etc. Les f ormes
de
reconnai ssance rel evant
de
l ’ esti me
soci al e concernent le nœud le pl us di ssi mul é
entre l ’uni versal i sati on
l iée à la
conquête du j uri di que et
la
personnal i sati on
par
la
di vi sion du travai l ;
et
c’est ce
nœud di ssi mul é qui est source de mépri s et de déni de
consi dérati on soci al e, où
le
défaut de consi dérati on
publ i que
et
le
sent i ment i nt i me d‘attei nte à l ’ i ntégri té
vont
de
pai r.
C’ est
sur cette fronti ère i ndéci se du manque
de
reconnai ssance soci al e
par la
mul ti pl i cati on des i néga-
lités
dans
des
sociétés
de
droi t
égal
que
j e
me
pose
la
20
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
18/37
questi on
de
savoi r
si
l ’ i dée
de
lutte
est
alors la derni ère
i dée. La rel ecture des textes de Hegel à I éna et l eur ré-
i nterprétati on contemporai ne m ont condui t
à
un poi nt
de
perpl exi té que
j e
résume ainsi
: ’« être
reconnu ))
de
la
lutte pour la reconnai ssance n’est-i l pas l ’ enj eu d’ une
demande i ndéf i ni e, ai sant fi gure de (( mauvai s infi ni ))
?
C’ est
une expressi on hégél i enne, que
ce
soit
sous
l es
trai ts négati fs d’ une négati on insati abl eou posi ti fs d’ une
revendi cati on sans l imte, donc une sorte de mal heur de
la
consci ence comme produi t
de la
civi l i sation. Pour
conj urer ce mal ai se de la consci ence mal heureuse moder -
ne
et
le péril des déri ves qui en découl ent j e me sui s pro-
posé
de met t r e
en coupl e
l es
moti vati ons d’ une l utte
i ntermnabl e au sens
où
Freud parle d’ une anal yse i nter-
mnabl e avec des expéri ences sans doute rares mai s pré-
cieuses, effectuati ons heureuses
de la
reconnai ssance
;
ce
sont l es f ormes non vi ol ente de la reconnai ssance que
j e
voudrai s met t r e en
f ace de
la f or me confl i ctuel l e de la
reconnai ssance, qui est
le
grand
héri tage
hégél i en. C’ est
pour cette rai son que j ’ai rouvert l e dossi er du don à un
moment on peut di re i nattendu de mo n anal yse,
et
j e
suis
très
consci ent
de
l ’ espèced’ hi atusque
e crée
dans
mon propre di scours en passant
de
l ’ i déede l utte à l ’ i dée
de don.
Une grande œuvr e publ i ée
par
Mar cel
Mauss
s’ ap-
pel l e
LEjai sur
le don,
sous-ti trée
Forme
et raison de
l’é-
21
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
19/37
change dans
les
sociétés archaïques
Mar cel
Mauss
parl e
de
sociétés
((
archaï ques )) non pas au sens barbare du t er me,
mai s
voul ant di re qu’el l es ne sont
pas
entrées dans
le
mouvement général
de
la civi l i sation - une soci été pol y-
nési enne ou d’ Améri que.
Ceci
est i mportant parce que
mon probl ème sera
de
savoi r
si
le don reste un phéno-
mène archaï que
et
si
nous pouvons retrouver
des
équi va-
l ents moder nes de ce que Marcel Mauss a très bi en
décr i t
c omme
((
économ e du don ))
; mai s
pour Mauss
i l
s’agi t
d’ une économ e, c’ est-à-di reque le don
se
pl ace dans la
même l i gnée que l ’ économe marchande.
La
rel ecture
qui
est fai te
auj ourd’ hui
de Mar cel
Mauss
est
présentée
dans le l ivre
de
J acques Hénaf inti tulé (je vais expl i quer
pl us loin
la
rai son
de ce titre) Le Prix de la vérité,
en
sous-
titre Le don.
C’ est une tentati ve
de
ré- i nterprétati on
de
la
di al ecti que
de
l ’ échange du don pour
le
sortir
de
son
archaï sme et lu resti tuer un aveni r. Mauss avai t bi en vu
qu’ i l
y
avai t quel que chose d‘ étrange dans ces prati ques
archaï ques et qui ne l e
mettai t
pas sur l e chem n
de l ’é-
conom e marchande, qui n’étai t
pas
un antécédent
ou
un
précédent , donc une (( f orme pri mti ve », mai s qui étai t
si tué sur un autre pl an. C’ est sur
le caractère
cérémoni el
de l ’ échange que j e veux insister : la cérémoni e de
l ’é-
change ne
se
fait
pas
dans la quoti di enneté ordi nai re des
échanges mar chands, bi en connus de ces popul ati ons
sous
l a
f orme du troc ou
même
de
l ’ achat
et
de
la
vente
22
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
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avec quel que chose c omme une monnai e. Hénaf soul i -
gne que le don,
a
chose donnée dans l ’ échange,n’est
pas
du tout une monnai e
; ce
n’est pas une monnai e
d’é-
change, c’est autre chose, mai s alors quoi
?
Reprenons
l ’anal yse
de
Mauss au poi nt où
l
s’arrête- sur une éni g-
me, ’ éni gme du don
: e
don appel l e
le
cont re- don,
t le
grand probl ème
de Mar cel
Mauss n’est
pas
du tout
((
pourquoi faut-i l donner
?
))
mai s ((
pourquoi faut-i l
rendre
?
».
C’ es t
donc l e retour du don qui est pour
Mar cel
Mauss
la
grande éni gme.
La
sol uti on qu’i l en
donnai t
étai t
d‘ assumer l ’expl i cati on apportée
par ces
popul ati ons
el l es- mêmes ; et c’ est
d’ai l l eurs
ce
que Lévi -
Strauss, dans
Le
Système
deparenté,
t
dans
le
reste
de
son
œuvre,
a
cri ti qué
: e
soci ol ogue ou l ’ anthropol ogue assu-
me
ici
l es
croyances
de
ceux qu’i l observe.
O
que di sent
ces
croyances
?
Qu’i l y
a
dans
la
chose échangée une force
magi que, qui doi t ci rculer
et
retourner
à
son ori gi ne.
Donner en retour,
c’est
fai re
reveni r
la
force contenue
dans
le
don à
son
donateur. L‘ i nterprétati on que J acques
Hénaf nous propose
(et
que
j e
prends
à
mon compt e) est
que
ce
n’est
pas
une force magi que, qui
serai t
dans
le
don, qui contrai ndrai t au retour,
mai s le caractère de
substi tut
et de gage. La
chose donnée, quel l e qu’el l e soit
- des per l es ou des échanges mat r i moni aux, n’ i mporte
quoi qui peut être le présent, le don, e cadeau
-
n’est
rien que le subsi tut d’ une reconnai ssance taci te ; c’est le
23
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
21/37
donateur qui
se
donne l ui - mêmeen substi tut dans
le
don
et en
même
t emps le don est gage
de
resti tuti on
;
e f onc-
t i onnement du don serai t en réal i té non pas dans la
chose donnée mai s dans
la
rel ati on donateur-donatai re,
à
savoi r une reconnai ssancetaci te symbol i quement fi gurée
par le don. C’ est cette i dée d’ une rel ati on
de
reconnai s-
sance symbol i que qui va
être
pour moi l ’obj et
de
la
conf rontat i on avec
l es
anal yses
de la
lutte i ssues de
Hegel .
me
sembl e
que
ce
n’est
pas la
chose donnée qui
par sa force exi ge le retour mai s c’est l ’acte mutuel de
reconnai ssance
de
deux êtres qui n’ ont pas le di scours
spécul ati f de leur connai ssance
; la
gestuel l e
de
la recon-
nai ssance,
c’est
un
geste
constructi f
de
reconnai ssance
à
travers une chose qui
est
symbol i que, qui symbol i se
le
donateur et
le
donatai re. C e qui justi fie
cette
i nterpréta-
ti on, c’est qu’ on peut
la
met t re en rapport avec une expé-
ri ence qui n’est certai nement pas archaï que : nous avons
une expéri ence de
ce
qui n’ a
pas
de pri x,
la
not i on du
(( sans prix ». Dans la rel ati on
de
don entre l es
((
pri m-
t i fs », c omme on l es appel ai t
à
cette époque- l à, l
y avai t
l ’ équi val ent
de ce
que pour nous a d’ abord été dans l ’ ex-
péri ence grecque la découverte du (( sans prix
))
lié
à
l ’ i
dée
de véri té -
d‘où
le titre du l ivre de Hénaf , ePrix de
kz vérité
: en
réalité, c’est
le
((
sans prix ))
de la
vérité.
L’expéri ence fondatri ce ici c’est la déclarati on de Socrate
f ace aux sophi stes : (( moi j ’ ensei gne la véri té sans
me
24
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
22/37
fai re
payer
N
;
ce
sont
l es
sophi stes qui sont
des
profes-
seurs que l ’ on paye - nous sommes dans
la
l i gnée des
sophi stes pl us que de Socrate. Un probl ème
a
été posé à
l ’ ori gi ne,
c’ est
le rapport entre
la
véri té
et
l ’ argent,un
rapport on peut
di re
d‘ i ni mti é. Cet t e i ni mti é entre
la
véri té (ou
ce
qui
est
cru c omme véri té
et
ensei gné c omme
véri té)
et
l ’ argent
a
el l e- mêmeune l ongue hi stoi re
- et le
l i vre de Hénaf est en grande partie une hi stoi re de
l’ar-
gent f ace à
l a
véri té. En
effet
l ’ argent,de si mpl e i ndi ce
d’égal i téde val eur entre des choses échangées, est devenu
l ui - même une chose
de
val eur, sous la f or me d’ uncapi -
tal ;
l à
l es
anal yses marxi stes sont certai nement
à
l eur
pl ace, sur la f açon dont la val eur d‘ échangeest devenue
pl us-val ue
et, à part i r
de
là,
mysti f i cati on, au sens que
l ’ argent devi ent mystéri eux pui squ’ i l produi t
de
l ’ argent
alors qu’ i l ne devrai t être
que
le
si gne d‘ un échange réel
entre des choses qui ont l eur val eur soit par la rareté, soit
par
l e
travai l qui y est i ncl us, soit par la pl us-val uede a
mse à
la
di sposi ti on d’ un consommat eur ; que de mys-
ti fi cation l ’ argent soit devenu
la
chose uni versel l e qu’ i l
est
devenu, mar que le combl e
du
confl i t entre
la
véri té
et
l ’argent.
A
cet
égard,
Hénaf renvoi e au livre du grand
soci ol ogue al l emand Si mmel (fi n xr r - début
me ,
ans
l equel
i l fait
l ’él oge
de
l ’ argent en comprenant
sa pl ace
dans la civi l i sation c omme uni versel échangeur ; l ’ argent
est
donc ti tu aire en quel que sorte
de
tous
l es
processus
25
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
23/37
d’uni versal i sati on
-
ce
que nous vi vons actuel l ement
c omme gl obal i sati on ;
le
premer phénomène à gl obal i -
sati on, c’est la ci rcul ati on de l ’ argent ; et
Si mmel
va
même j usqu’ à
di re
qu’ i l
est
symbol e
de l i berté
en ce sens
qu’ on peut
acheter n’ i mporte quoi
avec
l ’ argent, on
a
donc la l i bert é
de
choi x. Mai s
Si mmel ,
qui est en même
t emps
un moral i ste néo- kant i en,mont re quel que chose
de
monst rueux, que Socrate avai t prévu :
e
dési r d’ argent
est une soi f illimtée ; on pense au mot d’ Horace
((
auri
sacra
f ames »,
la fa imsacrée
de
l ’or. O n retrouve ce que
tous l es moral i stes, depui s Ari stote et l es stoï ci ens,
avai ent dénoncé c omme la vol onté d’avoi r trop, la
((
pl éonexi a
»,
l ’ i nsatiable. L‘ i nsati abl e,
c’ est à la
fois l’in-
fin
et
l ’ i nsai si ssable,
d‘où
a si gni fi cati on l i bératri ce du
rapport avec
les
bi ens non- mar chands
- le titre
d’ une
l i vrai son récente
de
la revue
Esprit
se présentai t sous la
f orme d‘ une i nterrogati on i nqui ète :
((
Exi ste-t-i l encore
des bi ens non- mar chands ? ». M a suggest i on
est
que,
dans l es f ormes contemporai nes
et
quoti di ennes
de
ï é -
change cérémoni el des cadeaux nous avons un modèl e
dune prati que
de
reconnai ssance,
de
reconnai ssance
non-vi ol ente. l y aurai t alors un travai l à fai re, qui serai t
la répl i que du travai l d‘ Honnet h sur
l es
f ormes du
mépri s,
une enquête sur l es f ormes di scrèt es de recon-
nai ssance dans lapol i tesse, mai s aussi dans le festif.
Est- ce
que
la
di fférence entre
l es
j ours ouvrabl es, c omme nous
26
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
24/37
di sons,
et
les
fêtes
ne
garde
pas
une si gni fi cati on f onda-
trice, c omme
s ’ i l
y avai t une sorte de sursis dans
la
course
à
la producti on,
à
l ’ enri chi ssement
et
qui fait que le fes-
t i f
serai t
pour ainsi di re la répl i que non vi ol ente de notre
lutte pour
être
reconnu
?
En effet, on peut
di re
que dans
un rapport de cadeau, d’ échange, e bi enfai t, nous avons
une expéri ence
vi ve
de
reconnai ssance
;
nous
ne
sommes
pl us en demande d‘ i nsati abl e mai s nous avons en
quel que sorte le
peti t
bonheur d’ êt re reconnai ssant
et
d’ êt r e reconnu. Soul i gnons le fait qu’ en françai s le mot
reconnai ssance signi fie deux choses, être reconnu pour
qui on
est,
reconnu dans son identi té, mai s aussi éprou-
ver
de
la
grati tude
-
l
y
a,
on peut
le
di re,
un échange
de
grati tude dans le cadeau.
J e
termne sur l ’ i nterrogati on qui
est
la m enne
: us-
qu’ à quel poi nt peut - on donner une signi fi cati on f onda-
tri ce à
ces expéri ences
rares ?
Cependant
je
tendrai s
à di re
que tant que nous avons
le
sent i ment du sacré
et
du
caractère
hors- ouvrage
de
la
cérémoni e dans l ’ échange
sous son aspect cérémoni el , alors nous avons la promesse
d’ avoi r
été
au moi ns une fois dans notre vi e reconnu ;
et
si
nous n’ avi ons amai s eu l ’ expéri enced’êtrereconnu, de
reconnaî tre dans lagrati tude
de
l ’ échangecérémoni el , nous
seri ons des vi olents dans la lutte pour la reconnai ssance.
Ce
sont
ces
expéri ences
rares
qui protègent
la
lutte pour
la
reconnai ssance
de
retourner
à la
vi ol ence
de
Hobbes.
27
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
25/37
Présentation de l’auteur
Paul Ri ceur , l ’ un
des
plus grands phi l osophes f ran-
çai s,
est
reconnu comme l ’un
des
pl us i mportants phé-
noménol ogues auj ourd’ hui .
Né
en 1913, Paul Ri cceur est Professeur honorai re et
anci en Doyen de l ’ uni versi té Pari s X- Nant er r e,
Professeur honorai re
de
l ’ uni versi té
de
Chi cago
et
Prési dent honorai re de l ’ I nsti tut i nternati onal
de
Phi l osophi e.
Ses ouvrages couvrent un l arge éventai l de t hèmes, de
l ’hi stoi re
de
la phi l osophi e
à la
métaphysi que, en passant
par la
cri ti que l ittéraire et esthéti que, l ’ éthi que, e struc-
tural i sme l i ngui sti que, a phi l osophi e de la psychanal yse,
le
marxi sme
. . .
Sa contri buti on la pl us i mportante à
la
phi l osophi e moder ne
se
si tue dans
le champ de l ’ hermé-
neut i que,
c’ est- à-di re
a
sci ence de l ’ i nterprétati on, t en
parti cul ier l ’ herméneut i que
des
symbol es rel i gi eux.
D e nombr eux Pri x ont récompensé ses travaux, dont
le
Pri x Hegel (Stuttgart),
Karl J aspers Hei del berg) ,
Léopol d Lucas (Tübi ngen) , le Gr and Pri x
de
l ’ Académe
29
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
26/37
f rançai se,
le
Bal zan Pri x pour
la
Phi l osophi e (Sui sse,
1999)
et le
Pri x Kyoto
des
arts
et
phi l osophi e
(2000).
Parm
ses pri nci paux ouvrages : La mémoire, l’histoire,
l’oubli (Le Seui l , 2OOO), Soi-même comme un autre (Le
Seui l ,
1990),
Temps et récit,3 t omes (Seui l ,Poi nts, 1983-
1985), La Métaphore
(Le
Seui l ,
1975 ,
Le Conflit
des
interprétations
(Le
Seui l ,
1969),
Philosophie
de
la
volonté
1-111
(Aubi er, 1950/1960).
Paul Ri cœur
a
obt enu sa l i cence en phi l osophi e en
1933à
Rennes. Inscri t à la Sor bonne l ’ année sui vante,
l
a
été
reçu
à
l ’ agrégati on en
1935.
I l a ensei gné dans
divers l ycées, en parti cul ier au col l ège Cévenol . Après
avoi r col l aboré au
CNRS
pendant trois ans,
l
a
ensei gné
de
1948à
1957
c omme Professeur d‘hi stoi rede laphi l o-
sophi e à l ’ uni versi té
de
Strasbourg et de 1957 à 1967
c omme Professeur
de
phi l osophi e général e
à
l ’ uni versi té
de Pari s Sorbonne.
D e
1967 à 1987, Paul Ri cœur a
ensei gné
à
la Facul té des l et t res de l ’uni versi té de Pari s
Nanterre, dont
i l
a
été
le
Doyen
de
1969
à
1970.
En
1970, l a été
appel é
dans la chai re du théol ogi en Paul
Tillich à l ’ uni versi té
de
Chi cago.
Parm
ses responsabi l i tés édi tori al es, retenons qu’ i l a
été
membr e
du comté des revues
Esprit
et Christianisme
social,qu’ i l a
été
di recteur de la Revue de Métaphysique
et
de
Morale,
qu’i l
di ri ge,
en col l aborati on
avec
Françoi s
Wahl , la
col l ecti on
L‘Ordre
philosophique (édi ti ons du
30
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
27/37
Seui l )
et
qu’ i l
a
été
responsabl e
des
rubri ques concernant
la
phi l osophi e pour 1’Enrycl opaedi a Universal i s.
Pour Paul Ri cœur , penser,
c’est
di al oguer
:
di al oguer
avec l es
vi vants, avec
l es
morts,
avec
l es phi l osophes,
avec
l es
autres savants.
I1y a
du Socrate chez lu
;
à cel a
près
qu’ i l n’ adopte j amai s la f ameuse i ronie de l ’ Athéni en,
cette di stance un bri n scepti que
à
l ’égard du tout savoi r
:
((
J e sai s
que
je
ne
sai s
ri en. ))
La
modest i e, chez Ri cœur ,
n’ empêche
pas
l ’ ambi t i on
: la
phi l osophi e,
mê me si el le
n’ apas réponse
à
tout, peut apporter quel ques réponses,
et pas
seul ement entasser l es questi ons.
C’ est
pourquoi
son
travai l se
situe
à
égal e
di stance
de
la
prétenti on
de
< fai re syst ème
))
et de
la fausse modest i e du scepti que.
Le
di al ogue, sel on Ri cœur , est l ’ uni que pl anche de salut
du phi l osophe, mai s aussi
de
l ’ hommemoder ne, dans un
monde dépourvu
de
repères
certai ns.
Cet t e
convi cti on
donne
sa
mar que à son œuvre phi l osophi que
et
à
son
parcours i ntel l ectuel .
Penseur
et
passeur
Il
se
défi ni t c omme un
(( espri t
curieux
et
nqui et
».
La
curi osi té le pl onge dans
l es
l i vres,
mai s
égal ement dans
l ’ i nqui étude, en mettant en concurrence sa formati on
intel lectuel l e
et
son éducati on protestante.
Cet
engage-
ment rel i gi eux ne
sera
pourtant
j amai s
reni é.
Il
se
f onde
sur la convi cti on i nti me que
{
kzparol e
dehomme
estpré-
31
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
28/37
cédée par
la
parole
de
Dieu
n,
mai s
qu’ une
stri cte
di vi si on
du travai l s’est opérée afin de ne pas mél anger les genres :
l ’ exégèse bi bl i que est une chose,
e
travai l phi l osophi que
en
est
une autre.
La
seconde révél ati on vi ent
de
la
classe de
phi l oso-
phi e
1929-1930),ui représentai t à l ’ époque un autre
regard
sur
des
((
humani tés
))
déj à
assi ml ées
par
l es
él èves
:
l es Grecs et l es Lati ns, es Cl assi ques et l es Lumères, tout
cel a
étai t
revu en prof ondeur, en confl i t
et
en cri ti que.
Le
j eune Ri cœur s’ engage alors dans
des
études de phi l oso-
phi e mar quées
par
le spi ri tual i sme françai s. Devenu pro-
fesseur dans un l ycée,
l a
guerre le surprend
à
Muni ch,
lors dun cours
de
perfect i onnement
de
l angue al l emande
:
((
Je s tour à tour
civil
mobilisé, puis combattant vacant,
enfin combattant vaincu
et
oficier prisonnier. ))Les années
de
capti vi tésont consacrées
à
approfondi r
la
phi l osophi e
al l emande, et c’est après la Li bérati on que Ri cœur com-
mence son f ormdabl e travai l de passeur i ntel l ectuel
:
c’est
par
lu que
J aspers,
Husserl
et
d’autres furent i ntro-
dui ts en France. En
1948, l
est nommé
à
l ’ uni versi té
de
Strasbourg, pui s en 1956 à la
Chai r e
de phi l osophi e
général e de
la
Sor bonne.
Dur ant cette péri ode,
la
réfl exi on de Ri cœur sembl e
en mar ge
de
l ’actual i té intel lectuel le
:
l ne prend pas part
à
la
frénésie structural i ste,
même
s’i l
en
partage
l ’ i ntérêt
pour
le
l angage
et la
psychanal yse.
La fidélité à la démar -
32
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
29/37
che
et
à
l ’ héri tage
phi l osophi ques alors
si
décri és
au nom
des
sciences humai nes en
est la
pri nci pal e rai son. Mai s
i l
y a
aussi son dési ntérêt pour
la
pol émque.
((Je
mesure
mon
travail,di t-i l , à sa propre
ambition,
et non
par rap-
port à
lkir du
temps )
Sur chaque questi on, Ri cœur pro-
cède
touj ours
par
un repérage
des
argumentat i ons
concurrentes, avant
de
tracer son propre si l l on.
En
1967,
l
parti ci pe
à
la
créati on
de
l ’uni versi té
de
Nanterre.
((
Jkvais
l’espoir,écrit-il,
que
ln
taille
de
l’insti-
tution permettrait dlnstaurer
des
rapports moins aiionymes
entre enseignants
et
enseignés,
elon
l’idée ncienne
de
la com-
muiiauté
des
maîtres
etdes
disciples.
>
Choi x l uci de
et
cou-
rageux, pui squ’ i l anti ci pai t Mai
68,
mai s
f i nal ement
funeste
:
en
1970,
l ors que, devenu Doyen
de la
Facul té
de l ettres, i l tente de remet t re l ’uni versi té en
mar che,
l
est
harcel é par
l es
pl us radi caux des contestatai res. Le
26
j anvi er, l
est
pris
à
partie dans un coul oi r
et
coi ffé d’ une
poubel l e
L‘affai re
fat
la
une
des
j ournaux. Ri cœur est prof on-
dément
bl essé par l ’ échec
du di al ogue qu’ i l avai t tenté,
j usqu’ au bout , de
préserver. I1
qui tte alors Nanterre pour
l ’uni versi té cathol i que
de
Louvai n. Paral l èl ement, i l
donne un ensei gnement
de
pl usi eurs semai nes
par
an à
l ’uni versi té de Chi cago, ce qui lu
per met d‘établ i r
là
encore un pont entre deux tradi ti ons de pensée
:
a phi -
l osophi e anal yti que angl o- saxonne
et la
phénoménol ogi e
33
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
30/37
conti nental e. Revenu
à
Nanterre en
1975,
l
y
termne
sa
carri ère académque en
1981.
A ce moment , son travai l
phi l osophi que trouve sa pl ei ne consécrati on publ i que,
en France
et à l ’ étranger. D e
cette œuvr e
ri che et
vari ée
on peut reteni r une
i dée
qui en consti tue sans doute le
cœur
et
un
des
pri nci paux apports
:
l ’ i denti té narrati ve.
L‘ i denti té narrati ve
Qui sui s-j e
?
Qui sommes- nous ? Tout e réfl exi on
i ndi vi duel l e ou col l ecti ve sur
cette
questi on sembl e
vouée à produi re une ant i nome. D’ un côté, l ’ i denti té
personnel l e
(le
cher Moi ) ou col l ecti ve
(par
exempl e
la
Nat i on) sembl e si prof ondément inscri te en nous qu’el l e
ne
paraî t
souffri r aucune di scussi on.
Mai s,
dès
lors qu’ on
tente de lu donner un cont enu,
c’est l ’ i mpasse ;
toute
défi ni ti on
paraî t
réductri ce, i nfi dèle ou excl usive : e
cher
Moi devi ent égoï sme ou mauvai se foi
;
l ’ appartenance
nati onal e devi ent nati onal i sme, voi re chauvi ni sme.
Bref,
l ’ i denti té est soit trahi e, soit néfaste quand on tente de
l ’ identi fier. D’ où une seconde atti tude possi bl e
:
e
scep-
ti ci sme.
Ce
moi prof ond, pourtant
si
évi dent et
si
i nt i me,
est en réal i té opaque et i nconnu. N’ est - cepas une i l lu-
si on ? Mai s comment pourrai s-j e
y
renoncer ?
Cet af f rontement entre un dogmat i sme du Moi , bi en
f âcheux, et un compl et scept i ci sme, bi en dffi ci leà teni r,
a
traversé
toute l ’hi stoi re
de
la
pensée.
Héracl i te
y
voyai t
la
tâche même
de la
phi l osophi e
:
((
/e me suis cherché
34
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
31/37
moi même
,
écrivait-il,avant
le
f ameux
((
Connais-toi
oi-
même
)) socrati que
et
l ’ i nterpel l ati on i nqui ète de saint
August i n dans
ses
(( Confessi ons
))
: ((
Que
suis-je, mon
Dieu
? ))
Cet t e i nterrogati on trouve
de
nos j ours une
urgence pl us grande
et
peut-être pl us décisive
:
dans nos
soci étés i ndi vi dual i stes, en
effet,
l ’ exi gence d’être soi -
même
est
devenue pl us
i mpérat i ve
que
j amai s.
Être
soi-
même
ans doute, encore faut-i l savoi r quel
est
ce moi
que l ’ on doi t
être.
La not i on d‘ i denti té narrati ve que t hémat i se Paul
Ri cœur représente une sol uti on él égante
et
réel l ement
prof onde à cette cruci al e perpl exi té. O n peut la résumer
en une f ormul e
: (( /e
suis
ce que j e me raconte.
))
Qu’ apporte le réci t à ce probl ème
?
Beaucoup, en véri té.
D’ abor d, l nous sort d’ uneconcept i on fixiste ou f i gée
de
l ’ i denti té
:
cel l e-ci n’est n total ement à découvri r
( comme une chose pré-donnée)
n
seul ement
à
i nventer
( comme un artifice), el le rési de dans un mél ange de
détermnat i on,
de hasard et de
choi x,
de
mémoi r e, de
rencontres et de proj ets.
Le
réci t a cette vertu de r emet t -
re tous ces él éments en mouvement
et
en rel ati on afin
d’ en ai reune t rame. Ensui te, un
réci t
ne
se
contente
pas
en
réal i té de
raconter des faits.
I1
l es i nterprète, es argu-
ment e,
l es
reconstrui t.
I
sél ecti onne
et
travai l le
l es
moment s pour en fai re une histoi re qui a un sens et une
effi caci té.
35
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
32/37
L' i denti té produi t
de
l 'hstoire
et
en
est
le
produi t.
Bref, en me racontant , e me découvre moi - même à la
fois
même et
autre.
Chacun en convi endra,
ce
concept d' identi té narrative
est une de ces bonnes i dées de phi l osophes qui permettent
de comprendre
et de
clarifier bi en
des
expéri ences vécues.
Quand, ati gués
d'être
nous- mêmes, omme
e
dt
le
soci o-
l ogue Al ai n Ehrenberg, nous ent amons
ce
salvateur tra-
vail
sur soi
»,
c'est souvent le réci t
de
soi qui offre
la pre-
mère bouffée d' oxygène; quand, en si tuati onde transi tion
professionnel l e, nous nous i nterrogeons sur notre véri tabl e
vocati on,
c'est
encore le réci t qui nous réinscrit dans un tra-
jet
cohérent d' exi stence. Et, orsque
la
di spari ti on des êtres
chers
et
âgés se profi le, que cherche- t-on conserver, si non
une
trace
de leur mémoi re pour mai nteni r le l ien famlia ?
Et même, quand i l s'agt de souder l'esprit d' entrepri se, ne
tente-t-on
pas de
recueil l ir les témoi gnages des empl oyés
pour identi fier l es
((
valeurs fondatri cesde
la
mai son
>
?
LES
réci ts
de
vie connai ssent auj ourd' hui un succès consi déra-
bl e.
A
une époque
où
l ' identi té nest pl us
héri tée
dune
appartenance l i gnagère, n fourni e
d' embl ée
par un régi me
i nsti tuti onnel
et
professi onnel , chacun s'en ressent ledépo-
si tai re fragi le
et le responsabl e i nqui et.
Paul
Ri cœur nous
offre ici une catégori e tout à
fait
essentiel le pour penser
ce
qui peut encorefdi re Lien dans une société d' i ndi vi dus. Une
mani ère,
là
encore,
de
fai re
penser
le
di al ogue.
36
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
33/37
Pri nci paux ouvrages
Paul Ri cœur est l ’ auteur de très nombr eux ouvrages
et arti cl es dans le monde entier. En pl us de ses l i vres, l a
écri t pl us de
500
essais, l es pl us i mportants sont rassem
bl és dans di x vol umes, dont beaucoup ont déj à été tra-
dui ts en angl ai s, et d’ autres sont
à
sui vre. Pour la pl upart
ses
écri tures concernent
l e
dével oppement d’ une anthro-
pol ogi e phi l osophi que. Cette anthropol ogi e, qu’ i l est
convenu d’ appel er anthropol ogi e de la personne (( capa-
bl e
»,
a
pour objecti fs
de
f ai re un exposé des possibi l i tés
et
des vul nérabi l i tés f ondamental es que l es
êtres
humai ns
mont rent dans l es activi tés qui composent l eurs vies.
Bi en que l ’ accent soi t touj ours ms sur la possibi l i té de
compr endr e l ’ i ndi vi du, Ri cœur
rej ette
uni f ormément
n’ i mporte quel l e récl amati on de Cartési enne pour un
transparent absol u de l ’ i ndi vi du
à
l ui - même qui rendrai t
la
connai ssance
de
soi i ndépendante
de
n’ i mpor te quel
genre de connai ssance du monde.
Au
cours du dével oppement
de
son anthropol ogi e,
Ri cceur
a fait
un décal ageméthodol ogi que i mportant . Sa
propre écri ture avant
1960
étai t dans la tradi ti on de la
phénoménol ogi e exi stentiel le. Mai s pendant l es années
1960,
Ri cœur a concl u cel a correctement pour étudi er la
réal i té humai ne et a dû combi ner la descri pti on phéno-
ménol ogi que avec l ’ i nterprétati on herméneut i que. Pour
l es herméneut i ques, celui qui
est
i ntel l igible,
est
accessi -
37
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
34/37
bl e
à
tous, dans,
et
par
la
l angue
;
et tous
les
dépl oi e-
ment s de la l angue récl ament l ' i nterprétati on.L'anal yse
herméneut i que ou l i ngui sti que de Ri cœur na pas
exi gé
de
lu
de
désavouer les résul tats
de base de ses pr em èr es
i nvesti gati ons. l'a cependant mené non seul ement
à
l es
revisi ter,
mai s à
voi r égal ement pl us clai r dans l eurs
i mpl i cati ons.
Extrai ts :
Pi erre-Henri Tavoi i l ot
(Uni versi té Pari s- Sorbonne)
Paul Ricœur :
ne
vie de dialogues
OLe Poi nt 17/06/04 n" l 657 - page 96
38
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
35/37
Bibliographie
Gabriel arcel et Karljaspers Temps résent.1947)
Philosophie de
la
volonté
(Aubi er,1350-1961)
tome
L e volontaire
et
l’inuolomaire
tome
II
L‘hommefaillible
tome III La symbolique du
mal
Histoire et vérité (Histoire,1955)
De l’inteiprétution, essui
sur
Freud (Seuil,1965)
Entretienssur lizrt etlupsychanalyse (Mouton,
1968)
L e conflit des interprétations(Seuil,1969)
La
métaphore vive
(Seuil,
1975)
?he et croire, chemin de sérénité Cerf,975)
La émuritiquede l’action (Seuil,1978)
La
narrativité CNRS,980)
Être ssence et substance chez Pluton etAristote
( SEDES, 982)
Tpmps et récit (SeuilIPointsEssais, 1983,1984,1985)
tome L’ordrephilosophique
(
euil,
1983)
tome
II.
La
conJigzirutiondnns
le récit
dejction
(Seuil,1984)
tome
I I
L e temps raconté (Seuil,1985)
Du exte
à
l’action >
(SeuilIEsprit,
1986)
S oi -m êm e c o m m e un autre (SeuilIPoinis ssais, 1990)
Lectures
I
(Seuil,
199
I)
Lectures
II (Seuil,
1992)
39
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
36/37
Phénoménologie
t
théologie
(Critérion,
1992
Lectures111(Seuil,1993)
Le
juste
(Édition
Esprit, 1995)
Reyeexio
n
zite.Autobiographie intellectuelle
(Éditions
Esprit, 1995)
Entretiens :
a
critiqueet la conviction
(Calmann
Lévy,
1995)
Autrement. Lecture d’autrement u’être
ou
au-deb
del’essence dEmrnanuel évinas PUE 997)
L’idéologieetl’utopie(Seuil,
1997)
La nature etla règle (avecJean-Pierre hangeux,
Penser
la
Bible
avec
André Lacoque, Seuil,
1998)
La
Mémoire,
l’histoire,l’oubli(Seuil,2000)
L‘herméneutique Biblique
Cerf,
00
1
Pdrcours dela reconnaissance
(
lon,2004)
Sur la traduction(Bayard,2004
Odile Jacob,
1998
Ouvrages sur Paul Ricœur
Paul Ricœur, essens d’ztne ie de François
Dosse
Cahiersdel’Herne
ir.E
Azouvi et M. evault d‘Allonnes
(LaDécouverte Poche,200 )
2004)
40
-
8/18/2019 La lutte pour la Reconnaissance Économie du Don
37/37
Dumas-Titoulet mprimeurs
42100 Saint-Etiennr
Dépôt
légal
:
novembre 2004
No imprimeur
:
41527 A
Iinprimé
en Fraiire