la lettre de la bibliothèque n°44

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Disparition d’un grand japonologue : Jean-Jacques Tschudin (1934-2013) Directeur de la publication Sawako Takeuchi Rédaction Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette La Graphisterie.fr Impression Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1 er trimestre 2014 ISSN 1291-2441 Bibliothèque Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés 4 n° 44 - Hiver 2014 La lettre de la bibliothèque 1 A vec Jean-Jacques Tschudin disparaît l’un des meilleurs spécialistes du théâtre japonais, celui qui aura, sur ce sujet, fourni en lan- gue française les travaux les plus complets. Son parcours fut atypique, puisqu’il avait atteint la quarantaine lorsqu’il entama des études universitaires. Jusque-là, diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Genève, il s’était consacré à la peinture, à la gravure, au cinéma, en exerçant ses talents dans divers pays d’Europe et d’Amérique et, pour finir, au Japon. Il rapporta de ces voyages informa- tions et réflexions sur les mouve- ments politiques de l’heure, mais aussi sur les recherches artistiques et théâtrales, et il gardera toujours une grande attention aux problèmes politiques, sociaux et culturels. Après un long séjour au Japon (1969-1974), il s’inscrit à la section de japonais de l’université Paris 7 (future Paris Diderot) et parcourt bien sûr sans difficulté le cursus, apportant son aide aux étudiants débutants. Assistant associé en 1981, puis maître de conférences et enfin professeur, toute sa carrière se déroulera dans la section de japonais de Paris 7, dont il devint l’un des piliers, jusqu’à sa retraite en 2003. Il laisse le souvenir d’un enseignant rigoureux mais proche des étudiants, attentif à chacun, qui s’investit tota- lement auprès d’eux. Pratiquant le travail d’équipe, il organisa notamment des colloques internationaux et publia des ouvrages collectifs de recherche (cf. La Société japonaise devant la montée du milita- risme, en collaboration avec Cl. Hamon, Picquier, 2007). Dans le domaine de la traduction, il anima le « groupe Kirin » auquel on doit trois recueils préfacés par lui (Nouvelles japonaises, Picquier, 1986-1988). Il assura enfin la responsabilité édito- riale du volume II des Œuvres de Tanizaki (Bibliothèque de la Pléiade, 1998). Il fut un chercheur très actif (une soixantaine d’articles) et un tra- ducteur fécond (plus de cinquante nouvelles et romans d’auteurs divers). Mais la contribution essentielle de Jean-Jacques Tschudin à la japono- logie est l’ensemble de ses études sur le théâtre, devenues des références essentielles. La Ligue du théâtre pro- létarien japonais (L’Harmattan, 1989) présente « un pan méconnu du théâtre révolutionnaire de l’entre- deux-guerres » ainsi qu’« un moment crucial de la maturation du théâtre moderne au Japon ». Comme dans ses travaux postérieurs, sont recensés tous les aspects de l’activité théâtrale : le répertoire, mais aussi la scénogra- phie, l’histoire et l’organisation des troupes, le point de vue des specta- teurs des divers milieux, les relations avec les autres formes de théâtre, et, plus généralement, l’inscription dans un moment précis de l’histoire poli- tique et culturelle. Dans Le Kabuki devant la modernité - Théâtre des années vingt (éd. L’Âge d’Homme, 1995), son doctorat d’État, Jean- Jacques Tschudin décrit la confron- tation de ce genre traditionnel avec la « déferlante de l’occidentalisa- tion », les stratégies adoptées pour « louvoyer entre les pressions contra- dictoires des autorités, des intellec- tuels, des financiers et des associa- tions de spectateurs. » Élargissant encore le champ, il élabore ensuite une Histoire du théâtre classique japonais (Anacharsis, 2011, 500p.). Ici encore un récit suivi, alerte malgré son extrême précision scientifique, est assorti de multiples documents. Un dernier aspect de l’histoire du théâtre japonais est celui de la découverte qu’en ont faite les Occidentaux. Sur ce sujet, Jean- Jacques Tschudin mettait la dernière main à la rédaction d’un ouvrage lui aussi extrêmement riche quand il a succombé à la maladie. La publica- tion en est prévue. Naissance et évolution du théâtre moderne : À la fin du XIX e siècle naît un nouveau genre théâtral se distinguant des formes classiques, , kyôgen, kabuki, ou shinpa (un dérivé du kabuki) : le shingeki, ou « nouveau théâtre », s’appuie sur un large mouvement de traductions de pièces occi- dentales, de Shakespeare à Tchekhov. Le shingeki prend son essor avec la création en 1924 du Petit Théâtre de Tsukiji à Tôkyô par la troupe du même nom, qui pro- duit un grand nombre de pièces étrangères. Dans les années 1930, la popularité du théâtre prolétarien influence de nombreuses troupes qui seront peu à peu confrontées à la censure, tandis que le gouvernement impérialiste instrumentalise le théâtre pour servir sa propagande. C’est néanmoins dans ces mouvements d’inspiration marxiste que le théâtre moderne d’après-guerre puisera ses racines. Les ouvrages suivants retracent cette aventure du théâtre au cours de la première moitié du XX e siècle : Catherine Hennion : La naissance du théâtre moderne à Tôkyô : du kabuki de la fin d’Edo au Petit Théâtre de Tsukiji, Éd. L’Entretemps, 2009 Jean-Jacques Tschudin : Le Kabuki devant la modernité, L’Âge d’Homme, coll. Théâtre années vingt, 1995 Jean-Jacques Tschudin : La ligue du théâtre prolétarien japonais, Éd. l’Harmattan, 1989 Brian Powell : Modern Japanese theatre: a century of change and continuity, Éd. Japan Library, 2002 Le théâtre évolue à partir des années 1960, se détachant de la dramaturgie occi- dentale vers une écriture qui s’intéresse davantage à la vie quotidienne et à la société. Porté par une génération de metteurs en scène tels que Kara Jurô ou Suzuki Tadashi, le mouvement du « Petit théâtre angura », explore la mise en scène dans des endroits exigus, populaires ou insolites créant une proximité avec le public. Dès lors, le théâtre moderne n’aura de cesse de se diversifier, comme le montre la collection suivante : Half a century of Japanese theatre, Éd. Kinokuniya, 2000 (avec l’aide de la Fondation du Japon) : ces dix volumes élaborés par la Japan Playwrights Association ont permis la traduction et la publication de pièces représentatives de leur décennie – des années 1950 aux années 1960 – soit un total d’une soixantaine de pièces, tou- tes précédées d’une introduction sur l’auteur et sur leur contexte social. Regards croisés : En 1900, les Français découvrent le shinpa à l’Exposition universelle de Paris. La troupe de Kawakami, en quête en Occident de nouvelles formes d’expression théâ- trale, est finalement amenée à présenter des pièces conçues pour le public parisien, qui, en dépit de leur qualité médiocre, sont illuminées par le talent et le charisme de l’actrice Sada Yacco. Son souvenir marque les débuts d’une influence réciproque entre les scènes françaises et japonaises, jusqu’à aujourd’hui, sujet auquel est consacré un numéro de la revue Théâtre Public : Scènes françaises, scènes japonaises : allers-retours, Association Théâtre-Public / Université Waseda, 2010 Oida Yoshi, acteur formé au kyôgen, rejoint en 1968 l’équipe internationale que Peter Brook a fondée à Paris, afin de faire des recherches expérimentales sur le théâtre. Il raconte cette époque qui a vu fleurir de grands noms du théâtre français. Son témoignage en tant qu’homme de théâtre japonais, à travers trois livres, apporte un éclairage particulier sur la recherche à la fois spirituelle, physique et artistique dans le métier de comédien : Oida Yoshi : L’acteur flottant ; l’acteur invisible ; L’acteur rusé, Actes Sud, 1992, 1997, 2000 C.C. Zoom sur... Le théâtre moderne Jacqueline Pigeot, professeur émérite à l’université de Paris 7 - Denis Diderot

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La lettre de la bibliothèque de la MCJP

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Page 1: La lettre de la bibliothèque n°44

Disparition d’un grand japonologue : Jean-Jacques Tschudin (1934-2013)

Directeur de la publicationSawako Takeuchi

RédactionChisato Sugita

Pascale DoderisseRacha Abazied

Cécile CollardeyConception graphique

et maquetteLa Graphisterie.fr

ImpressionImprimerie Moutot

Dépôt légal : 1er trimestre 2014

ISSN 1291-2441

BibliothèqueMaison de la culture

du Japon à Paris101 bis, quai Branly

75740 Paris cedex 15Tél. 01 44 37 95 50Fax 01 44 37 95 58

www.mcjp.fr

OuvertureDu mardi au samedi

de 13h à 18hNocturne le jeudi jusqu’à 20h

FermetureLes dimanches,

lundis et jours fériés

4

n° 44 - Hiver 2014

La lettre de la bibliothèque

1

Avec Jean-Jacques Tschudindisparaît l’un des meilleursspécialistes du théâtrejaponais, celui qui aura,sur ce sujet, fourni en lan-

gue française les travaux les pluscomplets. Son parcours fut atypique, puisqu’ilavait atteint la quarantaine lorsqu’ilentama des études universitaires.Jusque-là, diplômé de l’École desArts Décoratifs de Genève, il s’étaitconsacré à la peinture, à la gravure,au cinéma, en exerçant ses talentsdans divers pays d’Europe etd’Amérique et, pour finir, au Japon.Il rapporta de ces voyages informa-tions et réflexions sur les mouve-ments politiques de l’heure, maisaussi sur les recherches artistiqueset théâtrales, et il gardera toujoursune grande attention aux problèmespolitiques, sociaux et culturels.Après un long séjour au Japon(1969-1974), il s’inscrit à la sectionde japonais de l’université Paris 7(future Paris Diderot) et parcourtbien sûr sans difficulté le cursus,apportant son aide aux étudiantsdébutants. Assistant associé en1981, puis maître de conférences etenfin professeur, toute sa carrière sedéroulera dans la section de japonaisde Paris 7, dont il devint l’un despiliers, jusqu’à sa retraite en 2003. Illaisse le souvenir d’un enseignantrigoureux mais proche des étudiants,attentif à chacun, qui s’investit tota-lement auprès d’eux.

Pratiquant le travail d’équipe, ilorganisa notamment des colloquesinternationaux et publia des ouvragescollectifs de recherche (cf. La Sociétéjaponaise devant la montée du milita-risme, en collaboration avec Cl.Hamon, Picquier, 2007). Dans ledomaine de la traduction, il anima le« groupe Kirin » auquel on doit troisrecueils préfacés par lui (Nouvellesjaponaises, Picquier, 1986-1988). Ilassura enfin la responsabilité édito-riale du volume II des Œuvres deTanizaki (Bibliothèque de la Pléiade,1998). Il fut un chercheur très actif(une soixantaine d’articles) et un tra-ducteur fécond (plus de cinquantenouvelles et romans d’auteursdivers).

Mais la contribution essentielle deJean-Jacques Tschudin à la japono-logie est l’ensemble de ses études surle théâtre, devenues des référencesessentielles. La Ligue du théâtre pro-létarien japonais (L’Harmattan,1989) présente « un pan méconnudu théâtre révolutionnaire de l’entre-deux-guerres » ainsi qu’« un momentcrucial de la maturation du théâtremoderne au Japon ». Comme dansses travaux postérieurs, sont recensés

tous les aspects de l’activité théâtrale :le répertoire, mais aussi la scénogra-phie, l’histoire et l’organisation destroupes, le point de vue des specta-teurs des divers milieux, les relationsavec les autres formes de théâtre, et,plus généralement, l’inscription dansun moment précis de l’histoire poli-tique et culturelle. Dans Le Kabukidevant la modernité - Théâtre desannées vingt (éd. L’Âge d’Homme,1995), son doctorat d’État, Jean-Jacques Tschudin décrit la confron-tation de ce genre traditionnel avecla « déferlante de l’occidentalisa-tion », les stratégies adoptées pour« louvoyer entre les pressions contra-dictoires des autorités, des intellec-tuels, des financiers et des associa-tions de spectateurs. » Élargissantencore le champ, il élabore ensuiteune Histoire du théâtre classiquejaponais (Anacharsis, 2011, 500p.).Ici encore un récit suivi, alerte malgréson extrême précision scientifique,est assorti de multiples documents.Un dernier aspect de l’histoire duthéâtre japonais est celui de ladécouverte qu’en ont faite lesOccidentaux. Sur ce sujet, Jean-Jacques Tschudin mettait la dernièremain à la rédaction d’un ouvrage luiaussi extrêmement riche quand il asuccombé à la maladie. La publica-tion en est prévue. ■

Naissance et évolution du théâtre moderne :

À la fin du XIXe siècle naît un nouveau genre théâtral se distinguant des formesclassiques, nô, kyôgen, kabuki, ou shinpa (un dérivé du kabuki) : le shingeki, ou« nouveau théâtre », s’appuie sur un large mouvement de traductions de pièces occi-dentales, de Shakespeare à Tchekhov. Le shingeki prend son essor avec la créationen 1924 du Petit Théâtre de Tsukiji à Tôkyô par la troupe du même nom, qui pro-duit un grand nombre de pièces étrangères. Dans les années 1930, la popularité duthéâtre prolétarien influence de nombreuses troupes qui seront peu à peu confrontéesà la censure, tandis que le gouvernement impérialiste instrumentalise le théâtre pourservir sa propagande. C’est néanmoins dans ces mouvements d’inspiration marxisteque le théâtre moderne d’après-guerre puisera ses racines. Les ouvrages suivantsretracent cette aventure du théâtre au cours de la première moitié du XXe siècle :■ Catherine Hennion : La naissance du théâtre moderne à Tôkyô : du kabuki de la fin d’Edo au Petit Théâtre de Tsukiji, Éd. L’Entretemps, 2009■ Jean-Jacques Tschudin : Le Kabuki devant la modernité, L’Âge d’Homme, coll. Théâtre années vingt, 1995■ Jean-Jacques Tschudin : La ligue du théâtre prolétarien japonais, Éd. l’Harmattan, 1989■ Brian Powell : Modern Japanese theatre: a century of change and continuity,Éd. Japan Library, 2002

Le théâtre évolue à partir des années 1960, se détachant de la dramaturgie occi-dentale vers une écriture qui s’intéresse davantage à la vie quotidienne et à la société.Porté par une génération de metteurs en scène tels que Kara Jurô ou Suzuki Tadashi,le mouvement du « Petit théâtre angura », explore la mise en scène dans des endroitsexigus, populaires ou insolites créant une proximité avec le public. Dès lors, le théâtremoderne n’aura de cesse de se diversifier, comme le montre la collection suivante :■ Half a century of Japanese theatre, Éd. Kinokuniya, 2000 (avec l’aide de laFondation du Japon) : ces dix volumes élaborés par la Japan Playwrights Associationont permis la traduction et la publication de pièces représentatives de leur décennie– des années 1950 aux années 1960 – soit un total d’une soixantaine de pièces, tou-tes précédées d’une introduction sur l’auteur et sur leur contexte social.

Regards croisés :

■ En 1900, les Français découvrent le shinpa à l’Exposition universelle de Paris.La troupe de Kawakami, en quête en Occident de nouvelles formes d’expression théâ-trale, est finalement amenée à présenter des pièces conçues pour le public parisien,qui, en dépit de leur qualité médiocre, sont illuminées par le talent et le charisme del’actrice Sada Yacco. Son souvenir marque les débuts d’une influence réciproqueentre les scènes françaises et japonaises, jusqu’à aujourd’hui, sujet auquel est consacréun numéro de la revue Théâtre Public : Scènes françaises, scènes japonaises :allers-retours, Association Théâtre-Public / Université Waseda, 2010■ Oida Yoshi, acteur formé au kyôgen, rejoint en 1968 l’équipe internationale quePeter Brook a fondée à Paris, afin de faire des recherches expérimentales sur le théâtre.Il raconte cette époque qui a vu fleurir de grands noms du théâtre français. Sontémoignage en tant qu’homme de théâtre japonais, à travers trois livres, apporte unéclairage particulier sur la recherche à la fois spirituelle, physique et artistique dansle métier de comédien :Oida Yoshi : L’acteur flottant ; l’acteur invisible ; L’acteur rusé, Actes Sud, 1992,1997, 2000

C.C.

Zoomsur...

Le théâtremoderne

Jacqueline Pigeot, professeur émérite à l’université de Paris 7 - Denis Diderot

Page 2: La lettre de la bibliothèque n°44

alliait une profonde connaissance desclassiques chinois et japonais à unemaîtrise des procédés narratifsmodernes. Dans la postface, leprofesseur Ninomiya se penche sur ledécalage entre la popularitéd’Akutagawa et sa réception par lacritique à travers l’analyse de textes

rarissimes tels qu’une lettre envoyée au philosophe MoriArimasa, signée du grand chercheur français Bernard Franck.

Project ItohHarmonieTrad. de l’anglais par Christophe Cuq

Saint-Laurent-du-Var : Panini Books, coll. Éclipse : 2013. 323p.

Ce titre, couronné de plusieurs prix pour la science-fiction (Seiun,Nihon SF taishô, Philip K. Dick Award),est l’œuvre ultime de Project Itoh, morten 2009. Cette dystopie au suspensesoutenu est un récit glaçant qui s’ouvreau lendemain d’une troisième guerremondiale, nucléaire. Un nouvel ordremondial ultramédicalisé est en place :la vie humaine étant la ressource la

plus précieuse au monde, la santé de chacun est surveillée enpermanence grâce au WatchMe, un dispositif implanté danschaque adulte. Une situation intenable pour un grouped’adolescentes qui opte pour la seule rébellion possible, le suicide. L’une d’elle, Tuan, survivra, s’intégrant tant bien que mal au système. Adulte, elle se replongera dans son passé pour lutter contre une entreprise terroriste auxdesseins effroyables...

Manga

TOYODA TatsuyaGogglesParis : Éd. Ki-oon, 2013. 228p.

Toyoda Tatsuya est unmangaka autodidacte,soucieux de nourrirson œuvre de sesexpériencespersonnelles sans sesoumettre à un systèmecommercial. Son talent estnéanmoins digne des plus grandsmaîtres d’aujourd’hui. Manga

largement primé au Japon comme en Europe, Goggles offresix histoires inspirées avec réalisme de la société des années1990 à 2000, en pleine récession. On y croise de jeuneschômeurs désabusés s’occupant comme ils peuvent, despatrons intraitables, une société à la merci des fluctuationsboursières, une enfant meurtrie en mal d’amour... Mais loinde verser dans la noirceur, l’auteur s’attache avant tout avecdélicatesse et empathie aux relations humaines ; les joies etles peines fluctuent entre ses personnages parfois paumés, àla recherche de liens qui maintiennent l’espoir.

Sociologie

Joseph TOBIN (dir.)La grande aventure de Pikachu : grandeur et décadence du phénomène PokémonToulouse : Pix’n Love, 2013. 415p.

Aujourd’hui, tout le monde ou presqueconnaît les fameux Pokémon. Conçu parNintendo, Pokémon est d’abord une sériede jeux vidéo. Rapidement le jeu vidéos’est décliné en produits dérivés en tousgenres : mangas, série télévisée, cartes àcollectionner, autocollants, jouets…Pokémon est devenu très rapidement une

marque reconnue par les enfants du monde entier. Lephénomène a néanmoins failli disparaître en 2002 où ilconnut une période de déclin, avant de renaître. Cet ouvragese propose d’étudier ce phénomène, élargissant l’analyse à lamondialisation de la culture japonaise et à la consommationpar les enfants d’une culture produite en masse.

Ethnologie

Alain BRIOTMonstres et prodiges dansle Japon d’Edo :

présentation, traduction etcommentaires de l’Album Tayasu 84

Paris : Collège de France, Institut des HautesÉtudes Japonaises, 2013. 178p.

L’Album Tayasu 84, qui provient des archives duseigneur Tayasu Narimasa (1779-1846), consigne les

apparitions en divers endroits du Japon d’êtresmystérieux entre 1789 et 1843. D’une très grande

diversité, cette trentaine de planches illustrées relève pourmoitié du monde des yôkai, êtres surnaturels de la culturepopulaire issus d’un fonds de croyances très anciennes dontl’étude compte des noms illustres. Les autres illustrations se répartissententre anomalies humaines, ouanimales, et « animaux étranges ».C’est donc également dans le monde dela tératologie, aussi dérangeant queriche de sens, que nous guide lejaponologue et médecin Alain Briot,non sans établir quelques parallèlesérudits avec l’Occident.

Cuisine

Japon, la cuisine à la fermeTrad. par Marie Maurin, photos de MiuraKenji

Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 381p.

Plus qu’un livre de cuisine, c’est untémoignage revigorant qui nous estprésenté dans cet ouvrage

superbement édité. Nancy Singleton Hachisu est californienneet vit au Japon depuis plus de vingt ans, avec son mari,agriculteur bio japonais, et leurs enfants, dans une ferme traditionnelle de lapréfecture de Saitama. Elle y mène une vie très active en tantque fermière et cuisinière, militante du mouvement « slowfood ». Ce livre de recettes est imprégné de sa viequotidienne et de sa connaissance des produits japonais quiconstituent la nourriture de base à la campagne. Onapprendra aussi bien à faire du tôfu « maison », des nouillesudon, que des plats simples et savoureux, tout en lisant lesanecdotes qu’elle partage sur son quotidien ; une vieparticulière de fermière gaijin, portée par la volonté detransmettre l’amour des bonnes choses.

Art

KAMISAKA SekkaLes Herbes de l’éternité

Présent. et trad. de Manuela Moscatiello

Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 143p.,livret 44p.

C’est à un illustre représentant des artsdécoratifs japonais, peintre prolifiqueet singulier, que ce coffret rendhommage. Kamisaka Sekka (1866-1942), souvent considéré comme ledernier grand héritier du courantRimpa, fit de l’art sa quête, tant dans

ses peintures, dessins, qu’au fil de riches collaborations avecdes artisans divers. Chef-d’œuvre de Sekka pour ce qui est dela gravure sur bois, publié au tout début du XXe siècle, LesHerbes de l’éternité est une collection de soixante imagesfaisant la part belle à l’univers végétal et à la littératurejaponaise classique. Le talent original de Sekka, qui révèle,ici, des cadrages audacieux, là, une simplification extrêmedes formes ou encore de très gros plans, aura largementcontribué à la modernisation du design japonais.

Littérature

OGAWA ItoLe restaurant de l’amour retrouvéTrad. par Myriam Dartois-Ako

Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 243p.

Rinco perd la voix à la suite d’un chagrind’amour, et revient malgré elle dans sonvillage natal, chez sa mère, femmefantasque vivant avec un cochonapprivoisé. Ravagée, mais forte de sonsavoir-faire culinaire, elle met toute sonénergie dans l’ouverture d’un petitrestaurant, dont la formule spécialeconsiste à rendre les gens heureux, grâce

à des plats cuisinés avec amour en fonction du profil de ceuxqui les mange. Avec fraîcheur et simplicité, Ogawa Itô déploieun monde de saveurs où l’alchimie entre les aliments, choisisavec science et recueillement par l’héroïne, libère lesénergies, où l’on est ravivé par le goût des choses simples etvraies. Une savoureuse histoire sur le partage, le don et laguérison, qui se déguste bouchée après bouchée, comme lacuisine de Rinco.

ÔE KenzaburôAdieu, mon livre !Trad. par Jean-Jacques Tschudin

Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 475p.

Bien que le prix Nobel ait continué àpublier d’autres textes par la suite, ceroman a été écrit avec la volonté de sonauteur de dire « adieu au genreromanesque ». Cet ouvrage fait partied’une trilogie intitulée « Périodetardive » (concept tiré de l’essaid’Edward W. Saïd, On Late Style). Lestrois textes sont articulés autour dupersonnage d’un vieil écrivain, Chôkô

Kogito, double de l’auteur, aux prises avec ses interrogations,doutes et démons du passé. Ce roman, comme beaucoupd’autres textes de cet écrivain engagé, entre en résonanceavec la catastrophe nucléaire que vit le Japon, creusant lethème qui obsède son auteur : la mémoire et la vulnérabilitédes êtres. Si ce livre n’est pas le dernier d’Ôe Kenzaburô, c’estnéanmoins la dernière œuvre de traduction de Jean-JacquesTschudin, grand japonologue à qui nous rendons hommagedans ce numéro de La Lettre.

AKUTAGAWA RyûnosukeJambes de cheval Trad. par Catherine Ancelot ; postf. Ninomiya Masayuki

Paris : Les Belles Lettres, coll. Japon, 2013. 221p.

Akutagawa Ryûnosuke est l’un des maîtres incontestés de lalittérature japonaise moderne ; le plus prestigieux des prixlittéraires porte d’ailleurs son nom. Si ses principaux romanset nouvelles ont déjà été traduits en langue française, il restenéanmoins des inédits pour le grand plaisir des amoureux dece prodigieux narrateur, qui, malgré sa courte carrière, nous alaissé une œuvre riche et étonnante. Les dix-sept récits réunisdans ce recueil témoignent du talent de cet écrivain qui

Regards sur le fonds

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