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Odette Mainville

LA FILLEMÈRE ET LE SOLDAT

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En couverture : © Bob Th omas/iStockphoto, © bepsy/Shutterstock.comConception de la couverture : Gianni CacciaMise en pages : Yolande Martel

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Mainville, Odette, 1948-

La fi lle-mère et le soldat : roman historique

isbn 978-2-7621-3519-0 [édition imprimée]isbn 978-2-7621-3520-6 [édition numérique PDF]isbn 978-2-7621-3521-3 [édition numérique ePub]

I. Titre.

ps8626.a417f54 2013 c843’.6 c2012-942822-1ps9626.a417f54 2013

Dépôt légal : 1er trimestre 2013 Bibliothèque et Archives nationales du Québec

© Groupe Fides inc., 2013

La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édi-tion remercie de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéfi cie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

imprimé au canada en février 2013

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À Karen et AmerigoÀ Enrico et Tarah

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LA FILLEMÈRE

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Ce n’était pas la première fois que Daniel pédalait les quatre-vingts kilomètres de chemin de terre pentu et

accidenté qui séparent Petite-Vallée de Corteréal. Mais cette fois, il allait faire la grande demande. Tout le long du par-cours, avec assurance, il avait anticipé la mise en scène et répété le scénario : il devait se tenir comme ci, dire ça, sourire un peu ; surtout, contenir ses élans pour la belle Céline, qu’il n’avait pas vue depuis trois mois.

Mais voilà qu’à l’approche du village son fl egme lui faisait faux bond. Il avait le trac. Tout devenait confus ; les mots se mêlaient dans sa tête. Daniel s’arrêta un moment, le temps de se ressaisir. Il posa sa bicyclette sur le revers du fossé et s’assit sur une pierre juste à côté. Il tira son mouchoir de sa poche, s’épongea le visage et prit une longue respiration. C’était une journée limpide, toute parfumée d’effl uves printaniers. Devant lui s’étalait, luxuriante et généreuse, la vaste campagne gaspé-sienne. Pourtant le regard de Daniel, obstinément fi xé au-delà de la courbe du chemin, n’en captait que le pan réduit des terres vallonnées du père Isidore.

Le père Isidore… Celui à qui Daniel devait justement demander la main de Céline. Or, s’il était une personne qui l’intimidait, c’était bien Isidore Blouin. Non pas qu’il fût par-

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ticulièrement désagréable – juste un peu bougonneux –, mais c’était un homme froid, replié sur lui-même. Presque aveugle, il avait la manie de parler la tête baissée. Une manie qui avait cependant l’avantage de dissimuler ses yeux globuleux, défor-més par d’épais verres correcteurs. Visage mince et allongé, nez aquilin, tête chauve : une composition peu attrayante qui distrayait Daniel quand le vieux daignait lui adresser la parole. Pour comble, il mangeait la moitié de ses mots.

Comme il s’apprêtait à formuler la demande si intimi-dante, le jeune homme se répétait qu’il devait absolument y mettre toute son attention. S’il fallait que la réponse du père Isidore soit plus élaborée qu’un simple « oui » et qu’il ne la saisisse pas ! Pas question de risquer une réplique au hasard, de se couvrir de ridicule ou, pire encore, d’off enser son futur beau-père. Décidément, l’approche de la rencontre lui don-nait mal au ventre.

Daniel était bien plus à l’aise avec madame Alida. Une femme simple, quelque peu naïve, sans la moindre subtilité, mais aff able et accueillante, qui l’aimait bien et qui voyait en lui un mari idéal pour sa fi lle. « C’est un bon garçon », qu’elle se plaisait à répéter, avec un accent anglais hérité de son père. Une mère qui aimait ses enfants par-dessus tout. Aveuglément même. Par contre, elle n’aimait pas son mari et elle n’avait guère de scrupule à liguer ses enfants contre lui. Fort heureu-sement, leur irrespect se limitait à une sorte de connivence teintée d’un humour plus espiègle que malicieux. Aucun d’eux n’aurait eff ectivement osé une impolitesse envers lui. Mais ce comportement des enfants, conjugué à l’attitude de la mère, contribuait encore davantage à l’isolement du père.

La famille comptait alors neuf enfants âgés entre douze et trente ans, dont les aînés avaient déjà quitté la maison. Sept garçons, tous grands et minces comme leur père, et deux fi lles, l’une très jolie, l’autre plutôt laide. Céline, sixième de la

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lignée, avait les cheveux blonds, le teint clair et soyeux, les yeux rieurs. À la fois douce et pétulante, elle aimait la vie, rêvait de la ville et de grands voyages. Elle aurait bien voulu s’amuser, mais hormis les veillées familiales du temps des fêtes, son milieu rural était plutôt pauvre en distractions. Elle avait deux bonnes amies avec lesquelles elle causait de tout, surtout des garçons. Elle était, des trois, la plus audacieuse et leur tenait des propos qui les faisaient parfois rougir. Elle puisait ses connaissances, leur assurait-elle, des conversations espionnées auprès de ses grands frères et de leurs compa-gnons. Bien chaperonnée par ses frères justement, elle se joi-gnait allègrement aux rassemblements de jeunesse, où elle entraînait aussi ses deux amies. C’était vers elle cependant que les attentions masculines se portaient surtout.

C’était précisément au cours d’un de ces rassemblements de jeunesse que, l’année précédente, elle avait fait la connais-sance de Daniel, en visite chez ses cousins à Corteréal. Le jeune homme avait été conquis par le charme de la sémillante Céline. L’attirance avait été réciproque, car Daniel n’était pas dépourvu d’attrait lui non plus. Tout de son corps exhalait force et virilité. Moins svelte que ses frères, mais plus costaud, il dépassait Céline de quelques centimètres et elle en était satisfaite. Les cheveux châtains, le front haut, il avait un menton sculpté, des lèvres bien dessinées. Mais plus que tout, ses yeux taquins, pleins de douceur, magnétisaient la jeune fi lle.

Daniel s’attendait à ce que ce soit madame Alida qui lui ouvrît la porte et cela lui donna du courage. Il enfourcha sa bicyclette et parcourut les derniers arpents. De sa chambre, dissimulée derrière le rideau, Céline observa son arrivée. Elle le vit appuyer sa bicyclette contre la maison, gravir les mar-ches du perron, puis il échappa à son champ de vision. Elle fut alors submergée d’une angoisse telle qu’elle craignit de

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s’évanouir. Elle alla s’asseoir sur le bord de son lit et attendit, aff olée, refoulant ses larmes.

Lentement, la porte s’ouvrit. Le sourire de Daniel se fi gea.— Bonjour… Madame Alida, vous n’avez pas l’air d’aller

bien.— Entre, mon garçon.— Vous est-il arrivé quelque chose… à vous ?… à quelqu’un

de la famille ?… à Cél ?…— Non, non. Viens, entre.— Mais il n’y a personne ici. Où est le reste de la famille ?— Attends, Céline est dans sa chambre. Je l’appelle.Daniel se retrouva seul dans la cuisine. Il promena son

regard autour. Tout était propre et impeccablement rangé, comme d’habitude. Mais d’habitude, ce décor ordonné était animé de conversations, de rires et d’espiègleries. Voilà qu’à présent la vie semblait retenir son souffl e. Même la berçante du père Isidore, au bout du poêle, était immobile, vide. Pourtant, Daniel était attendu. Il n’avait anticipé rien de moins qu’un joyeux accueil dans cette maison où tout le monde appréciait sa compagnie. Surtout après une si longue absence. Il eut une furtive intuition que l’absence du père et des garçons n’était pas le fait du hasard. Il perçut, à l’étage supérieur, un léger craquement du plancher puis un bourdon-nement de voix. La pensée que Céline se trouvait bel et bien là-haut ne le rassurait pas pour autant. Un terrible pressenti-ment lui serra le cœur.

Il l’aperçut qui descendait les marches d’un pas mal assuré. Elle s’avançait vers lui, hésitante, le visage défait, le regard voilé. Il voulut s’élancer vers elle, mais de ses deux mains levées, elle lui signifi a d’arrêter. Ils s’immobilisèrent tous les deux ; lui, la fi xant, muet, tandis qu’elle penchait la tête vers le sol. Un lourd silence les tenait à distance. D’une voix étran-glée, Daniel la supplia :

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— Pour l’amour du ciel, Céline, dis-moi ce qui se passe.Mais elle gardait les yeux obstinément braqués vers le sol.— Parle, dis quelque chose. Es-tu malade ? T’est-il arrivé

un malheur ?— …— Céline, je t’en prie !Elle releva brusquement la tête, le temps de murmurer :— Va-t’en, c’est fi ni entre nous.— Quoi ! fi ni ?— C’est comme ça, c’est tout. — Céline, regarde-moi et dis-moi ce qui se passe.— Je ne t’aime plus, voilà.— Je ne te crois pas. C’est impossible. Toutes ces lettres que

tu m’as écrites. Tu disais que tu avais hâte de me revoir, que nous allions faire la surprise à tout le monde, que nous allions nous marier…

— Je sais. Hier, c’était ça ; aujourd’hui, c’est autre chose.— Céline, j’ai droit à une explication. Viens, assoyons-nous

un moment.— Inutile. J’aime quelqu’un d’autre.— Comme ça ! du jour au lendemain. Voyons, sois sérieuse !

Dis-moi la vérité.— Je n’ai rien d’autre à ajouter. S’il te plaît, pars.— Céline, je t’aime comme un fou ! Tu ne peux pas… juste

comme ça…— Daniel, ne rends pas les choses plus diffi ciles. Va-t’en !— D’accord. Si c’est ce que tu veux, Céline, je vais partir.

Mais pas avant de t’avoir dit une dernière chose, ma belle chérie.

Daniel la regarda intensément pendant qu’à nouveau Céline baissait les yeux. Il approcha sa main, la posa sous son men-ton et, tendrement, lui releva la tête. Il la sentit frémir.

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— Je veux au moins garder de toi le souvenir d’un dernier regard. Je veux, oui, que tu me regardes pendant que je dis ceci : Mon adorée, tu mens ! Et un jour, je saurai bien pour-quoi. Ça, je te le jure.

Daniel repartit et pédala sans interruption jusqu’à Petite-Vallée. La nuit était déjà tombée ; les lampes s’étaient éteintes aux fenêtres du village. Le jeune homme s’arrêta, indécis. Pas un bruit, pas une ombre ; tout n’était que silence et opacité. On aurait dit le néant. Pourtant, c’était la tourmente dans l’âme du pauvre garçon. Durant tout le trajet, il avait rejoué la scène dans sa tête. Tantôt, il rageait de n’y rien compren-dre ; tantôt, il démasquait des coupables et les broyait avec une ardeur forcenée. Puis tantôt encore, attendri, il la revoyait, son beau visage affl igé, ses yeux voilés de brume. Il en était certain, elle portait un terrible secret qu’elle ne pouvait lui confi er. Il se mettait alors à regretter de ne l’avoir prise dans ses bras, malgré son interdiction. Car de cela aussi il était maintenant certain : elle n’aurait pas résisté. Elle avait si mala-droitement joué son numéro. S’il l’avait seulement serrée sur son cœur, tout aurait encore été possible. Il s’en voulait mor-tellement de ne pas l’avoir fait.

Et voilà que les regrets et les remords s’ajoutaient à la dou-leur qui lui lacérait le cœur. Voilà que le blâme se retournait contre lui. Si ce revirement n’avait pas l’heur d’atténuer son chagrin, il avait au moins le mérite d’exonérer sa bien-aimée.

Daniel s’approcha lentement de la maison de ses parents, s’assura que rien ne bougeait à l’intérieur, puis se faufi la à l’arrière vers la porte extérieure de la cave. Avec mille précau-tions, il l’ouvrit et marcha à tâtons vers la huche à pain. Il en sortit une miche ; puis de l’armoire juste à côté, il saisit un morceau de morue salée. Il quitta l’endroit sans faire de bruit, reprit sa bicyclette et se dirigea, par le sentier de la montagne,

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vers la cabane à sucre de son père. Les quelques kilomètres à parcourir étaient cahoteux et diffi ciles, mais il connaissait bien le chemin et se rendit sans heurt.

Il pénétra dans la cabane, craqua une allumette et alluma la lampe à huile, là sur la tablette. Il déchira un morceau de pain qu’il eut du mal à avaler tant il avait de nœuds dans la gorge. Promenant un regard désemparé tout autour, il ne vit qu’ombres tremblantes sur les murs sombres. Il souffl a sur la mèche et se laissa choir sur le grabat dans un coin de la pièce. Et le scénario reprit de plus belle, défi lant impitoyablement… à l’en rendre fou. Exténué et brisé, sans plus aucun recours, il céda aux larmes qui jaillirent à fl ots. Lui qui n’avait plus pleuré depuis qu’il était petit garçon, il pleura sans retenue jusqu’à sombrer d’épuisement dans un lourd sommeil.

Quand il se réveilla, le lendemain matin, il mit un moment à comprendre où il se trouvait. Vite rattrapé par la doulou-reuse réalité, il se souleva de sa couche et sortit uriner près de la cabane. D’après la position du soleil, il jugea qu’il devait être environ neuf heures. Il rentra chercher un contenant afi n de tirer de l’eau du puits. Il se rinça le visage et se désaltéra un peu. Maintenant tenaillé par la faim, il revint à l’intérieur et mastiqua lentement quelques morceaux de pain et de morue salée. Puis, il se rappela que c’était dimanche.

« Faudrait que j’aille à la messe. Je n’ai jamais manqué la messe. Je ne vais pas me mettre un péché mortel sur la cons-cience par-dessus le marché. Mais je ne peux pas, non… J’ai dit à qui voulait l’entendre que j’allais me marier. Tous ces gens qui me croient parti faire la grande demande… Aff ronter les regards ? Répondre aux questions ? Avouer que Céline m’a planté là ? Me couvrir de ridicule ? C’est au-dessus de mes forces. Que le bon Dieu me pardonne ! Je m’en confesserai, s’il le faut. »

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Daniel passa le reste de la journée à errer, le cœur broyé de chagrin. Tantôt, il suivait les sentiers qui sillonnaient l’éra-blière ; tantôt, il s’assoyait près du ruisseau, remuant distrai-tement les galets ; tantôt, il se tenait immobile, appuyé contre un arbre, les mains dans les poches, le regard plongé dans le vide. La nature dans toute sa splendeur était impuissante à calmer sa souff rance. Le piaillement des oiseaux, le bruisse-ment des feuillages, le gazouillement de l’eau, toute cette joyeuse symphonie lui écorchait les oreilles. Même les rayons du soleil lui étaient insupportables. Fuyant alors l’éclat du jour, il rentrait dans la cabane, se terrant entre ses murs som-bres, espérant y emprisonner sa douleur. Espérant échapper aux appels de la vie. Il s’étendait sur son grabat, essayait d’envisager le prochain pas à franchir, mais toujours et sans fi n, les mêmes scènes s’imposaient cruellement.

La journée s’écoula, lente et éprouvante. Que serait désor-mais sa vie ? Il avait beau retourner la situation dans tous les sens, elle lui semblait sans issue. Pourtant, quand le soleil commença à descendre derrière les montagnes, Daniel se dit qu’il ne pouvait nicher indéfi niment dans cette fi chue cabane. Il se redressa soudain, se frotta le visage et se remit à arpenter le territoire. Il lui fallait faire quelque chose. Il énuméra, pour la centième fois, toutes les avenues possibles ; une seule s’im-posait inéluctablement : fuir. « Torrieu ! pourquoi pas ça. »

S’il n’était pas arrivé à cuver sa peine, Daniel avait au moins pris une décision. Il attendit que la nuit fût conforta-blement installée, puis il rentra chez lui et se glissa dans son lit. Le lendemain matin, il attendit que Damien soit parti à la pêche, que Léo et Raoul soient à l’étable à faire le train et que les plus jeunes aient pris le chemin de l’école, puis il des-cendit s’asseoir à la table. Sa mère, qui l’avait entendu rentrer la veille, lui jeta un regard inquiet mais ne dit rien. Elle savait

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Une histoire digne d’un roman, dira-t-on. Pourtant, c’est l’his-toire véritable de Daniel et de Céline, profondément amoureux l’un de

l’autre, qui rêvent de se marier. Un faux pas de la belle et leur destin s’en voit radicalement changé.

C’est au début des années , à l’époque où la chape des préjugés socio-religieux pèse lourd sur le Québec, se faisant rigoureusement la gardienne de la conduite du peuple jusque dans les moindres interstices de sa vie privée. De passage chez sa sœur au Nouveau-Brunswick, Céline est séduite par un soldat en transit et se retrouve enceinte. À son retour, quand Daniel se présente pour faire « la grande demande » à son père, elle lui annonce la rupture de leur relation, sous un faux prétexte évidemment. La jeune femme part alors pour Québec où elle est accueillie par une famille désireuse d’adopter son enfant. Elle y demeurera comme nourrice d’abord, puis comme servante pendant quatre ans. Cette enfant, elle la verra grandir dans son voisinage sans jamais avoir le droit de lui dévoiler le lien qui les unit. Elle s’engagera ensuite dans un mariage de raison qui fi nira par miner ses aspirations au bonheur, par détruire sa soif de vivre.

Quant à Daniel, il s’enrôle dans l’armée canadienne et s’en va combattre outre-mer. Il reviendra à jamais meurtri par les horreurs de la guerre, rame-nant avec lui une Anglaise, une épouse hors du commun. Très instruite et issue d’un milieu familial bourgeois, elle subit un choc culturel sans précédent car elle doit cohabiter avec les membres de sa belle-famille à peine lettrée, au cœur d’un petit village gaspésien encore privé d’électricité et d’eau courante.

Céline et Daniel se reverront au cours des années …

Odette Mainville est bibliste, professeure

retraitée de la faculté de théologie et de sciences

des religions de l’Université de Montréal. Son

premier roman, Le curé d’Anjou, a connu un grand

succès auprès du public.

www.groupefi des.com

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